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L'évangélisation de la Gaule
Une conférence d'Arnaud Boüan du Chef du Bos, de la congrégation des Petits frères du Sacré-Cœur, qui pose beaucoup de questions. Son site est ici.
En gros Arnaud Boüan, inspiré par les Petits Bollandistes, reprend toute l'histoire soi-disant légendaire de l'évangélisation des Gaules au Ier siècle à laquelle on a cru pendant longtemps (alors que les universitaires reportent maintenant cette évangélisation au IIIe siècle) et essaie de voir comment elle fait système et jusqu'à quel point dans sa logique intrinsèque elle peut être crédible.
On auraît parmi les premiers évangélisateurs du Nord au Sud : Saint Lucien à Beauvais, Drennalus à Morlaix, Exupère à Bayeux, Nicaise à Rouen, Denis à Paris, Memmius à Châlons en Champagne, Sixte à Reims, Cléments à Metz, Materne à Cologne, Euchère en Germanie inférieure, Clair à Nantes, Julien au Mans, Gatien à Tours, Aubin à Orléans, Ursin à Bourges, Andoche à Autun, Bénigne à Dijon, Lin à Besançon, Eutrope à Saintes, Martial à Limoges, Austremoine à Clermont, Pothin à Lyon, Amadour à Bordeaux, Front à Périgueux, Saturnin à Toulouse, Trophime à Nîmes, Ste Marthe à Tarascon, St Maximin à Avignon, St Lazare et Marie Madeleine à Marseille, Aphrodisius à Béziers, St Paul dans les Pyrénées.
St Pierre a envoyé 7 apôtres : Trophime, Saturnin, Maximin, Austremoine, Martial, Gatien, Materne. Ce premier envoi est raconté par Grégoire de Tours dans la Gloire des Martyrs, on est sous le règle de Claude, ce sont des disciples directs du Sauveur. Et il y eut ensuite un second envoi par Clément de disciples des apôtres.
Ces envoyés ont à nouveau leur filiation. Certains de ces saints ne sont pas connus. D'autres selon la tradition sont cryptés dans l'Evangile. par exemple Martial est le petit garçon qui apporte cinq pains au Sauveur (Matt 18:3). On le surnomme "l'apôtre des apôtres". Certains sont arrivés dès 72 ap JC, et il y a aussi des apparitions mariales dès le Ier siècle (ND du Puy, ND des Champs, ND de Bethléem - apparue à Saint Savinien à Sens - ).
La conversion des élites romaines est importante aussi. Par exemple Silanus, bourreau de Sainte Valérie, convertie par St Martial à Limoges. Valérie était la petite fille de Lucius Capreolus, héros de la guerre de Cantabrie, et la fille de Léocade et de Suzanne (nom d'inspiration judéenne), la fille de Manilius Armillus, ex-lieutenant du proconsul des Gaules dans le Berry (que bizarrement en minute 7'22, Arnaud Boüan qualifie Suzanne de "duchesse d'Aquitaine de l'époque", ce qui est un anachronisme). Junius Silanus, cousin de Claude, proconsul d'Aquitaine en 42, avait été proconsul d'Aquitaine et aurait participé à la campagne de Bretagne. A son retour, il découvre que sa promise, Valérie, est devenue une vierge consacrée. Il la fait décapiter en 46 (c'est une sainte céphalophore). Silanus s'est ensuite converti. Cela a fait un gouverneur romain converti.
Les éléments convergent dit Arnaud Boüan. Les évangélisateurs sont des très proches des apôtres. Crescent, premier évêque de Vienne est un proche de Paul (mentionné dans Tim 4), Sergius Paulus, proconsul à Chypre, premier évêque de Narbonne (il aurait accompagné Paul à Narbonne, puis revenu à Chypre, il reçoit après la persécution de 66 sous Néron l'apparition posthume de Paul qui lui dit de s'occuper de Narbonne tandis que Barnabé s'occupera de Chypre). L'Eglise de Lyon est liée à Jean.
Véronique (Bérénice) née à Bazas (Cossium) en Aquitaine, servante chez un centurion romain suivit celui-ci et son épouse à Jérusalem quand le soldat y fut nommé. Quand ses maîtres retournent en Aquitaine pour fuir des persécutions (car Véronique les a convertis), Elle accompagne Saint Martial dans son travail d'évangélisation. En 1140, Garcias, évêque de Bazas dans son Baptista Salvatoris a expliqué que Véronique avait recueilli le sang de Jean le Baptiste avant que la hache ne s'abatte sur son cou. Michel Bourrières, professeur au collège des Petits Carmes à Cahors et spécialiste de Rocamadour allait avancer en 1895 que Véronique avait sûrement des origines juives.
St Philippe a aussi évangélisé la Gaule selon Isidore de Séville dans l'expédition de 63, En 69, Saint Clair (l'abbé Travers disait que c'était un Romain venu à Nantes par l'Aquitaine) a été converti par Saint-Pierre. Bouan tient de soeur Maryvonne historienne au Carmel de Morlaix que Drennalus envoyé par Joseph d'Arimathie (d'origine britannique car il faisait du commerce entre cette île et la Judée, ce qui faisait sa fortune, ce qui explique qu'il évangélisât Gastonbury) avait le premier évangélisé à Morlaix. St Maximin évêque d'Aix-en-Provence pendant 40 ans a été envoyé avec Joseph d'Arimathie par Saint Pierre en 63 (il faisait partie des 12 disciples envoyés). Il se serait arrêté à Rennes (Condate) avec Saint Luc et Suffrenus pour fonder l'évêché de Rennes.
Sainte Marthe a été enterrée par Saint Front (qui lui avait rendu visite à Tarascon quelques années plus tôt). Front, israélite du Mont Carmel,peut-être ancien soldat d'Hérode, qui fut un des 72 disciples présents à la Pentecôte accompagna Pierre à Rome. Evêque de Périgueux(Vésone), il participa aux funérailles de Marthe par bilocation.
Léon Dubois (1873-1959) le raconte ainsi :
"Le corps de la Sainte était exposé dans l’église qu elle même avait fait construire. Tout était prêt pour la sépulture, lorsque le Pontife allait célébrer, à Vésone, le Saint Sacrifice. En attendant le peuple, il se tenait recueilli à sa place. Tout à coup Jésus lui apparaît et lui dit : « Mon « fils, venez et accomplissez la promesse que vous avez a faite d’assister aux obsèques de Marthe, mon hôtesse. » Il dit, et tous les deux, en un clin d’œil, sont transportés à Tarascon auprès du cadavre de la Vierge de Béthanie qu’ils mettent dans le tombeau, au grand étonnement de la foule".
Arnaud Boüan retient aussi cette bilocation (prouvée par le gant et l'anneau de St Front que les gens de Périgueux ont pu aller récupérer à Tarascon). (minute 14')
Pour lui le fait qu'on ait retrouvé en 1943 une statue de déesse romaine brisée près de ND de la Délivrande en Normandie prouve que le récit de la tradition sur le remplacement du culte de Démeter par Regnobert était authentique.
Le nom des cathédrale Saint Etienne, premier martyr mort en 35, est lé au fait que les premiers évangélisateurs de la Gaule, Saint Martial, Saint Front, Sainte Véronique ont assisté à sa lapidation.
Dans un sermon St Augustin dit qu'en Afrique du Nord il y a une pierre qui a servi à lapider le martyr à son coude droit. On trouve des églises qui disent avoir ce genre de pierre dans le Médoc et à Limoges. Les cathédrales de Limoges, Metz, Auxerre, Sens, Bourges, Toulouse, Châlons, Toul, Agen, Cahors, Saint-Brieuc sont dédiées à St Etienne.
Au moment du martyr de Saint André, Saint Martial est à Bordeaux en 62, il reçoit l'apparition de Saint Pierre qui lui dit que son frère André vient d'être crucifié et de la lui dédier (source le dominicain Bernard de la Guionie/Bernardus Guidonis, ou Bernard Guy, dominicain évêque de Lodève vers 1300, qui dit aussi que Martial avait amené en Gaule du sang d'Etienne).
Pour la cathédrale Saint Pierre, à Poitiers, Jean Bouchet, dans ses Annales d'Aquitaine de 1557, rapporte qu'un jour que Saint Martial distribuait au peuple de Poitiers la parole de Dieu, la voix du Sauveur se serait fait entendre tout à coup, et en lui annonçant le martyre de saint Pierre (en 64), consommé à l'heure même dans la ville de Rome, elle lui aurait ordonné de "faire cy une église" en son honneur; ce que Martial aurait entrepris aussitôt.
Saint Amadour, envoyé à Rome 2 ans avant cela pour rendre compte de la situation en Aquitaine assiste au martyre et revient ensuite à Limoges avec des reliques, notamment a ceinture de St Pierre au moment de sa mort, des cheveux et un des clous (19ème minute). Des cathédrales St Pierre viennent ensuite en second (à Nantes, Beauvais, Rennes, Troyes, Angoulême) correspondent à la 2ème évangélisation.
Une fresque du palais papal d'Avignon montre la prédication du Sauveur devant Martial (né en 15), enfant de la multiplication des pains, son père et sa mère. Ils font partie de la tribu de Benjamin comme Etienne. On voit aussi son baptême. Il y a des représentations de l’apposition de la main sur son crâne. Le reliquaire de Limoges du chef de Saint Martial porte la trace de cette main.
Les témoins de la passion comme Martial et Véronique n'ont pas subi le martyre. Martial eut Alpinien et Austriclinien comme co-adjuteurs.
Ste Bénédicte à Bordeaux est la femme d'un gouverneur (Sigisbert) qui persécuta en 44 St Front et qui alla trouver St Martial pour guérir son mari tombé malade. Martial (30ème minute), convertie selon les Actes d'Amadour aussi sous l'influence de Véronique et Amadour devenus ermites à Soulac (comme Marthe l'était à Tarascon). Elle reçut le bâton d'évêque de Martial avec lequel elle réalisa des miracles (ce bâton allait en permettre jusqu'à la Révolution).
Arnaud Bouan admet que la conversion de gouverneurs permettait l'entrée des autorités chrétiennes dans les villes (auparavant des prieurés étaient construits hors de la ville tant que des autorités païennes gouvernaient la province).
Le tombeau de Ste Véronique est à Bordeaux (le corps a été enlevé de Soulac au moment des raids vikings). A Bazas la décollation de Jean-Baptiste fait partie des armes de la ville. Des vitraux à Bordeaux du XIXe siècle racontent toutes ces histoires.
Zachée, le publicain des Evangiles, est identifié à Amadour ("Amateur du Roc") par les traditions locales, et fut compagnon de Martial en Gaule. Le corps d'Amadour fut retrouvé intact en 1166 au seuil de la chapelle ND de Rocamadour. Arnaud Bouan fait siennes toutes les légendes, même celle consignée par le carme Bonaventure de Saint Amable des lettres de Martial à Zachée retrouvées sur le corps d'Amadour. Pour lui tout comme la déesse mère de St Aubin authentifie l'histoire traditionnelle de ND de la Délivrande en Normandie, une stèle au musée de Bordeaux disant "Arula a fait ce présent à Jupiter ; Saint Martial l'a consacré avec le temple et le vestibule" serait la preuve de l'apostolat de Marial."
A noter que Bonaventure de Saint Amable dit aussi qu'après avoir converti le gouverneur de Bordeaux Saint Martial réduit le paganisme au Pays Basque et en Béarn sous le règne de Néron en étant passé par Agen, puis obtient la conversion d'Austris, fille du cruel gouverneur de Toulouse Marcel qui avait avait supplicié l'évêque Saint Saturnin. Arnaud Bouan ne va pas jusqu'à suivre les traditions jusque là.
Je ne pense pas que ce conférencier rende vraiment service aux traditions en tentant d'évincer tout regard universitaire laïque sur elles, mais il a le mérite de faire connaître les discussions qui ont duré pendant des siècles sur l'action des disciples directs de Jésus et des douze apôtres en Gaule, discussions qui ne reposaient pas forcément que sur du vent. Et surtout, sa conférence peut être le point de départ d'une puissante méditation sur la notion de "militia dei".
Nephilim : les critiques contre Heiser
Dans mon livre sur les Néphilim, j'avais présenté les thèses de Michael Heiser décédé en 2023 et j'avais fait état aussi des critiques dont elles faisaient l'objet.
Dans ce montage de plusieurs vidéos publié cette semaine sur le site de Doreen Virtue cette semaine on apprend que celle-ci a bien connu Heiser, et qu'après avoir collaboré avec lui, elle s'en est distanciée.
Parmi les propos tenus par les différents intervenants, on peut retenir l'argument selon lequel le pluriel de majesté dans "Créons l'homme à notre image" ne renvoie pas nécessairement à la notion mésopotamienne de "conseil divin", l'idée que le "dieux "au pluriel dans les psaumes peut aussi renvoyer à des anges, que les "nephilim" éliminés par Josué sont des êtres humains, sans l'ombre d'un doute possible, de sorte que l'emploi du terme en Génèse 6 peut aussi désigner des êtres humains (ce que disaient déjà St Augustin et Luther), l'idée que Jésus n'a jamais cité mot pour mot le livre d'Hénoch 1, il a pu en emprunter le vocabulaire pour être compris par le public de sont temps et la référence des lettres de Jude et Pierre aux anges déchus dans le Tartare n'implique pas plus une validation canonique du livre que celle à Ménandre dans les épîtres de Paul n'encourage à adopter le paganisme de cet auteur.
Il est reproché à Heiser de s'être enfermé comme beaucoup de savants dans une seule hypothèse développée à partir de peu de verset, d'être devenu à son corps défendant une sorte de chainon manquant entre l'évangélisme et les tendances libérales du christianisme (notamment celles sensibles à l'historicisme critique qui font dériver le judaïsme du polythéisme). Pour les intervenants, l'hypothèse des Nephilim qui corrompent le sang humain est une thèse en phase avec le sensationnalisme et le complotisme ambiant qui nourrit une vision obscure et remplie de crainte de l'avenir. Il n'est pas étonnant que cela plaise aux new-agers et aux tendances charismatiques du protestantisme. Les invités de Doreen Virtue soulignent aussi que cela pousse beaucoup d'Américains vers l'orthodoxie russe, grecque ou éthiopienne qui a toujours reconnu le livre d'Hénoch comme canonique et qui est assez indulgente envers le gnosticisme. A titre personnel j'ajouterai que je ne suis pas étonné qu'en France le livre d'Hénoch soit promu par un ex-journaliste qui a déjà déclaré en public qu'il n'était pas catholique (son livre "Le grand mensonge universel" le démontre amplement) mais dont le gnosticisme sur les anges attire beaucoup de croyants. Naguère j'avais eu un échange avec lui par mail sur la stigmatisée Thérèse Neumann qui m'avait montré qu'il ne se souciait pas du tout de corriger les erreurs factuelles de ses propos même sur des sujets récents... a fortiori sur des thèmes historiques anciens; Les Nephilim sont devenus un des articles de vente des boutiquiers de la spiritualité assez étrangers à la recherche de la vérité.
Pour info cette vidéo a suscité une réponse assez longue (un live) qui accuse Virtue et ses invités de déformer les positions d'Heiser et de se méprendre sur le sens des mots en hébreu.
L'ambassadrice de Sainte-Rita
Amandine Cornette de Saint-Cyr est une bourgeoise parisienne, fille de la galeriste et figure de la jet set Sylvana Lorenz et ex-belle-fille du commissaire-priseur Pierre Cornette de Saint Cyr (1939-2023).
Née en 1976, diplômée d'une école de commerce (spécialité marketing), stagiaire dans des magazines, ancienne assistante du journaliste Stéphane Bern au Figaro Madame, elle a travaillé à la télévision pour Thierry Ardisson notamment, et a publié un premier roman en 2007. Formée dans une sorte de christianisme hédoniste pour autant que cette expression ne soit pas un oxymore, elle dit préférer "être une pècheresse joyeuse qu'une sainte dépressive" d'après ce qu'elle a écrit dans son livre sur Sainte Rita, comme l'a rappelé son interviewer sur Radio Notre Dame de le 25 juin 2024. Dans un roman de 2018 elle a évoqué ses mésaventures avec le présentateur TV Patrick Poivre d'Avor, thème sur lequel elle est revenue quand celui-ci a été poursuivi en justice.
En 2019 à la suite de violentes douleurs abdominales elle a fait une pèlerinage à Cascia en Ombrie, c'était son second pèlerinage, à 43 ans, le premier étant à 26 ans au début des années 2000. Le 5 juin 2024 elle a été interviewée par Cyril Hanouna sur C8, elle racontait qu'elle avait rencontré là-bas une femme dont la tumeur au cerveau a disparu grâce à la sainte, une autre dont le problème cardiaque s'est résorbé. Elle raconte aussi qu'elle a amené une de ses collègues musulmanes de 45 ans frustrée d'être célibataire sans enfant à cet âge à la chapelle Sainte Rita de l'église Saint-Augustin à Paris, et que quelques mois plus tard, sa collègue était mariée en congé de maternité.
Notons que la presse de Bolloré a bien aidé Mme Cornette de Saint-Cyr, puisque le 1er juillet dernier c'était aussi le Journal du Dimanche qui l'interviewait sur son livre, ainsi que Paris-Match le 13 juillet.
C'est par cette chapelle de l'église Saint Augustin que l'autrice a découvert Sainte Rita, puisque sa mère l'y a amenée à un moment où elle se sentait perdue. Elle lui a dit : "vas y, prie, demande à la sainte ce que tu as à lui demander". Elle dit qu'elle partage maintenant Sainte-Rita autour d'elle depuis 25 an (donc depuis 1999) en les amenant à St Augustin.
Lors de son pèlerinage (qui fut plus productives que ses neuvaines, dit-elle), l'écrivaine a demandé à la Sainte de devenir son ambassadrice.
Selon ce que lui a indiqué le sacristain du sanctuaire de Sainte Rita Nice, à ainsi qu'elle le détaille dans son livre "Au Secours Sainte Rita" Marie Laforêt, Mireille Mathieu, Amanda Lear, Raymond Barre, Mylène Demongeot, la James Bond girl Claudine Auger, Grace Kelly (qui y a déposé une photo des Grimaldi), et le maire de Nice (ex ou toujours franc-maçon) Christian Estrosi s'y sont rendus.
Christophe Mory sur Radio Notre Dame (5ème minute) pose la vraie question : "est-ce de la spiritualité ou de la superstition ?" L'artiste Ben (1935-2024), ami de Sylvana Lorenz, athée, a un autel pour Sainte Rita dans son jardin pour que ça lui porte chance, et avait fait pour le carnaval de Nice un char dédié à la Sainte demandant la libération des femmes et des minorités régionales françaises (les phrases sont écrites sur un cube noir, ce qui n'a pas une très bonne significations ésotérique). Yves Klein, natif de Nice (1928-1962) artiste et pionnier du judo, a été initié à Sainte Rita par sa tante Rose. L'ex-beau père de l'autrice (qu'elle ne mentionne pas dans ses interviews) rappelle (ici en min 30) que ce visionnaire aux tendances rosicruciennes qui a fait plusieurs fois le pèlerinage à Cascia s'accoudait toujours à la même fenêtre pour faire des pauses quand il faisait du judo à Fontenay-aux-Roses. Ultérieurement des religieux ont sans le savoir construit une chapelle en face de cette fenêtre avec une statue de Sainte Rita. En 1961, après un tremblement de terre Yves Klein a déposé à Cascia un ex-voto demandant à devenir invulnérable et que son exposition soit "celle du siècle" (Emmanuelle Dancourt il y a 12 ans rappelait déjà que cet ex voto été beaucoup critiqué).
Pierre Cornette de Saint Cyr (qui avait toujours une statue de la sainte sur lui) quant à lui avait eu une série de synchronicités étonnantes en lien avec Yves Klein le jour de la bénédiction des roses à la chapelle Ste Rita de Fontenay aux Roses qu'il a racontées sur KTO TV en 2012 ici. Pour être tout à fait franc, avec Klein on est dans une philosophie rose-croix liée à Max Heindel et, en fait, à la théosophie de Mme Blavatsky (luciférienne, ancêtre du New Age). Pierre Cornette de Saint Cyr gravitait au conseil d'administration du Palais de Tokyo, thématisait beaucoup la conquête de l'espace autour du saut dans le vide d'Yves Klein. Il rêvait d'ailleurs de faire une vente aux enchères depuis une station spatiale. On peut se demander si la promotion médiatique de Sainte Rita dans la mouvance Bolloré a un rapport avec ça. Je referme la parenthèse.
En 1985 après sa guérison du cancer, Roland Gerbeau (1919-2012) qui a écrit la célèbre "Douce France" lui a consacré une chanson.
Amandine Cornette de Saint-Cyr pense que les gens sont incités à redonner aux autres les bienfaits qu'ils reçoivent de Sainte-Rita.
En décembre, j'avais relevé sur ce blog en décembre la spiritualité très providentialiste qu'avait nourri chez la femme de Jean Guitton sa dévotion à Sainte-Rita. Voici donc le versant médiatique du culte, avec un livre qui s'est hissé dans le "top 10" des ventes de la Procure en juillet 2024. Le petit détour par Yves Klein, et la question posée par Emmanuelle Dancourt sur le lien avec la rose-croix (question que plus personne n'ose poser dans les interviews à Amandine Cornette de Saint-Cyr) doit quand même nous interroger sur les forces spirituelles à l'arrière-plan de cette "ambassade".
Le voyage sur la lune selon Kepler
Les débats actuels sur la réalité de l'alunissage de 1969 nous le font peut-être oublier, mais la question du voyage sur la Lune a eu beaucoup d'importance sur le plan ésotérique, et a coûté fort cher à l'astronome J. Kepler dont on a déjà parlé ici.
Revenons sur ce sujet plus en détail.
A l'été 1609, Kepler a l'idée d'un alunissage en appendice à son travail de 1593 sur la perception des phénomènes célestes depuis la Lune (qui dérive d'une comparaison de la Lune avec la Terre, laquelle renvoie à Pythagore pour qui la Terre est une Lune, voyez Pierre Borel à ce sujet). Il en fait part à Galilée en disant qu'il a fait une géographie lunaire pour faire plaisir à Johannes Matthaeus Wackher von Wackhenfels, conseiller ecclésiastique de Rodolphe II.
Mais alors en 1611, des exemplaires de son Songe (un conte sur ce sujet) circulent jusqu'à Tübingen où des gens y voient une source de mise en cause de sa mère, Katharina qui vit à Weil-der-Stadt. Les archives auxquelles ont eu accès divers auteurs expliquent qu'une certaine Ursula Rheinhold a eu recours à ses services pour avorter avec une potion qui l'a rendue malade. Le frère d'Ursula, barbier, qui a lu le Songe, s'est épanché auprès du juge de Léonberg. Katharina a commis l'erreur de lancer un procès en diffamation, et alors les langues se sont déliées contre elle. Le 7 août 1620, à 74 ans, elle est emprisonnée à Léonberg pour sorcellerie. Elle sera libérée un an plus tard après que Kepler eut trouvé des causes naturelles aux sortilèges qu'on lui reprochait.
Ce qui a alerté le barbier c'est, dans le Songe, que le héros, du nom de Duracotus l'islandais venu de Thule, raconte comment sa mère Fioxhilde morte récemment a convoqué des esprit pour faire un "voyage astral" jusqu'à la Lune...
Cet événement donna envie à Kepler de préciser sous forme de notes ce qu'il avait voulu expliquer dans le Songe : le code de ce roman renvoyait à la magie naturelle (au sens de Pomponace) et non à la magie noire - par exemple que le daimon dont il s'agit est un ensemble de savants dont il a consulté les ouvrages).
Dans ce Songe, Kepler raconte qu'en 1608, au moment des conflits entre Rodolphe II et l'empereur Matthias, les gens en Bohème recherchaient des précédents à leur histoire, et lui-même, Kepler était tombé sur l'histoire de Libussa (Libussae viraginis), la mère légendaire du peuple tchèque, célèbre pour sa magie. Un jour il s'endort et il lui semble lire dans son sommeil un livre acheté à la foire de Francfort. Mais alors le vent et la pluie dans son sommeil viennent détruire la fin du livre. En fait dans son rêve il y avait la magicienne Fioxhilde (un mot que dans ses notes il dira inspiré par le fait qu'il avait vu le mot "Flox" sur une vieille carte de la maison que le recteur de l'université Charles lui louait à Prague au niveau de l'Islande, île qu'il relie à plusieurs références livresques), et son fils Duracotus (celui qui s'exprime dans le livre) et ils se sont couverts la tête pour mieux entendre un daimon. A la croisée d'un chemin ils prononcent une formule magique pour que neuf chefs d'esprits les fassent voyager jusqu'à Levania, allégorie de la Lune, ce qui est l'occasion pour Kepler d'utiliser ses travaux de 1593 dans ses descriptions.
L'histoire de l'aventure de Duracotus et de sa mère sorcière aurait été, selon l'historienne de l'Art Catherine de Buzon (Cahiers de Fontenay 1975) entièrement réduite à des explications naturelles par les notes de bas de page écrites pour disculper sa mère à Leonberg. Michel Ducos ici, en 1985, y voyait un pur divertissement. Il relève cependant que beaucoup de notes explicatives de Kepler renvoient au "Sur le visage qui apparaît dans le disque de la lune" de Plutarque. Or Plutarque, lui, ne plaisantait pas du tout quand il écrivait que l'une des taches de la Lune, appelée le "golfe d'Hécate" est le lieu "où les âmes subissent la peine et obtiennent vengeance de ce que, une fois devenues démons, elles ont fait ou souffert" (Plutarque, 944, c).
J'ajoute aussi que dans les années 1970 l'anthropologue Maurice Godelier qui enquêtait sur les Baruya, une des dernières tribus coupées des Blancs en Nouvelle Guinée fut interpellé par leur chamane qui lui dit : "la lune est est le séjour des morts - donne nous la formule magique qui a permis aux Blancs d y aller ".
La Jeanne d'Arc de George Bernard Shaw
Je regardais hier "Saint Joan" d'Otto Preminger avec Jean Seberg (1957) transposition à l'écran de la pièce de George Bernard Shaw qui est en intégralité ci-dessous.
Selon George Bernard Shaw (dont l'intégralité de la pièce peut aussi être vue sur You Tube) ,la Pucelle était "la plus insigne sainte guerrière du calendrier chrétien et le plus bizarre des excentriques preux du moyen-âge. Bien que catholique de profession et fort pieuse et en dépit de son projet d'une croisade contre les Hussites, elle était en réalité la première des martyrs protestants. Elle était également l'un des premiers apôtres du nationalisme et la première parmi les Français à pratiquer dans la guerre le réalisme de Napoléon, contrairement au jeu chevaleresque de son temps, avide de rançons. Elle a ouvert les voies à la rationalisation du costume féminin et,, comme le fit deux siècles plus tard la reine Christine de Suède, ainsi que Catherine d'Erauso et d'innombrables héroïnes inconnues qui se déguisèrent en homme pour servir comme soldats ou marins, elle refusa d'accepter le rôle réservé aux femmes et s'habilla, combattit et vécut comme les hommes. "
Par là Shaw signifiait qu'elle était capable de porter Dieu contre toutes les censures sociales, y compris celle de l'Eglise. On dit que la pièce publiée en 1924 (quatre ans après la canonisation) et fit beaucoup pour faire canoniser l'héroïne tandis qu'un comité d'intellectuels catholiques à Londres (la Saint Joan's Alliance - parmi eux des personnalités très estimables comme Hilaire Belloc) se mobilisait pour financer un mémorial expiatoire du crime commis par les Anglais à Rouen.
On ne peut regarder le film sans une grande émotion. Le personnage de Jeanne y est fidèle à ce qu'on connaît d'elle. C'est d'autant plus touchant qu'il est incarné par Jean Seberg qui alors n'avait pas 19 ans. A l'époque la critique la trouva un peu trop "cutie". Aujourd'hui on voit les choses bien différemment, car elle fut elle-même une sorte de Jeanne d'Arc, à sa manière, et mourut en martyre - elle ignorait alors que cela finirait ainsi. Sur les planches, vingt ans plus tôt, c'était Katharine Cornell, la reine du théâtre américain (celle dont on faisait des statues), qui tenait ce rôle à New-York.
Je ne puis être indifférent non plus au fait que Graham Greene sur lequel je travaillais beaucoup l'an dernier, et qui avait un rapport si complexe à Dieu et à la révélation chrétienne, ait écrit le scénario.
Universaux, nominalisme, réalisme, conceptualisme
Fin juin 2019, j'ai retrouvé dans mon journal du 2 avril 1991 (j'avais 20 ans) ce texte relatif à une conférence de Sciences-Po-Paris de Grands enjeux du débat politique et social (GEDPES) animée par Séloua Boulbina qui est aujourd'hui directrice du Collège international de Philosophie.
"J'ai ramené ma tête hirsute au cours de GEDPES, sans motivation. Je dormis pendant une heure entrecoupée par quelques bavardages avec mon voisin. Malgré le peu d'intérêt que je portais à son cours sur la technique (duquel le nom de Heidegger fut absent), Mme Boulbina, charitable, me permit de me mettre en valeur in extremis et sans frais, en me demandant innocemment : "Colera. Est-ce que vous avez déjà entendu parler du nominalisme ? est-ce que ça vous dit quelque chose ?" J'ai pu réciter trois phrases synthétiques sur la question avant de me rendormir.
"Balaise" a dit mon voisin. J'imaginais les jeunes filles de l'assistance sciencepotarde se disant : "Quelle tête ce M. Colera ! Avec quelle aisance et quel air détaché il disserte sur des sujets hermétiques, lui qui n'est qu'un Sciences-Po comme nous, paré qui plus est des apparences vertueuses de la modestie et de la banalité. Quel esprit étonnant ! Comme je ne suis rien devant lui !"
Et cette idée me séduisait."
Ce morceau d'anthologie de la bêtise et de la vanité de l'âge tendre (qui cependant n'était pas dépourvu d'une petite dose de second degré) m'a bien fait rire quand je l'ai relu. J'avais donc une certaine aisance, semble-t-il, à l'époque, sur les sujets de philosophie du langage, domaine dans lequel j'avais décroché un premier accessit national au concours général des lycées en 1988 (il n'y avait pas eu de second prix à l'époque derrière le premier).
De fil en aiguille récemment, je suis à nouveau tombé sur la problématique du nominalisme, et, du coup, j'ai décidé de vous offrir un petit voyage dans ce monde en me fondant sur un séminaire du collège de France d'Alain de Libera et Irène Rosier-Catach de 2018-2019, intitulé "Philosophie du langage et théologie au Moyen-Age".
Je me bornerai ici à en reprendre les éléments principaux.
Au Moyen-Age, il y a plusieurs sujets parlants : l'homme, Dieu, les anges. Victor Cousin en 1840, premier éditeur d'Abélard, voyait dans la querelle du réalisme (tenu par Guillaume de Champeaux) et du nominalisme (tenu par Roscelin de Compiègne) était centrale au Moyen-Age, querelle à laquelle Abélard avait ajouté le conceptualisme. Chaque option répond à la question que sont les universaux : des noms, des choses, des concepts ?
Cette querelle procède d'une réduction de la philosophie antique à une seule question dans l'Isagogè de Porphyre de Tyr, introduction aux catégories d'Aristote traduites par Boèce. Pour mémoire dans l'Organon d'Aristote on a d'abord le traité des Catégories, puis le Peri Hermeneias (De l'Interprétatio).
Ogden et Richard (1923) tracent un triangle sémantique symbol-thought of reference-referent, qui renvoie à onomata (nom), noemata (pensée), onta (étant) chez les commentateurs d'Aristote.
Pour les néoplatoniciens notamment Simplicius, (au VIe s) les catégories sont "dans le langage qui procède de l'âme humaine les mots simples qui signifient les réalités simples ou genre suprême par la médiation des notions simples qui sont dans l'âme".
Ces mots simples sont les premiers dans l'histoire, Philippe Hoffmann en 1987 a montré que les commentateurs décèlent deux étapes d'institution des mots : celle des catégories (traité par le Des Catégories,), puis celle des noms et verbes (traité par Peri Hermeneias).
Le questionnaire de Porphyre pose trois questions
- les genres et espèces existent-ils ou sont-ils des concepts ?
- s'ils existent sont-ils des corps ou des incorporels ?
- s'ils sont incorporels sont-ils séparés ou existent-ils dans les sensibles et en rapport avec eux (et circa ea constantia) ?
Cousin y voyait la poursuite de l'opposition entre idéalisme platonicien et théorie aristotélicienne des formes immanentes.
Joseph Marie De Gérando (1772-1842), dans un mémoire primé par l'Institut en 1799, ajoutera Zénon le stoïcien à ce triangle. S'il y a chez Platon une existence des genres et des espèces avant la chose (ante rem), sur un mode surnaturel, et chez Aristote une existence physique de ceux-ci, unis aux individus (dans la chose donc, in rem) mais détachables par l'esprit, Zénon, lui, pose leur existence dans l'esprit qui les conçoit (après la chose, par comparaison, post rem). On retrouve là la trilogie néo-platonicienne d'Ammonius avant le multiple, après le multiple, dans le multiple. Cela a été repris par les chrétiens syriaques, puis par Avicenne.
Gérando a reçu cela par Brucker (1696-1770), qui avait vu que métaphysique, physique et logique, recoupe le ante rem, in rem, post rem.
Ammonius dans son commentaire de l'Isagogè dira que si l'on suppose un anneau représentant Achille qui marque plusieurs pains de cire. L'observateur qui trouve les pains, constate que l'empreinte est identique et remonte à un anneau antérieur aux multiples, tandis que la marque est bien dans les multiples, et celle qui est dans la faculté discursive de celui qui l'a imprimée est postérieure au multiple.
Sergius de Reshaina dans les années 500 utilisera la même tripartition mais pour dire que les espèces et genres se partageant en trois : ceux qui sont simples et premiers auprès de Dieu, ceux qui sont dans la matière ou ceux qui sont intellectuels. Une espèce est auprès du Créateur et imprimée dans le monde. Et l'observateur l'imprime ensuite dans sa mémoire.
Avicenne dans le sillage d'Ammonius (le avant, dans, après, qui sera repris par Albert le Grand) remarque qu'il y a un intelligible que l'on conçoit d'abord avant qu'il ne soit dans les choses, comme l’œuvre d'un artisan, et celui qu'on trouve d'abord dans les choses sensibles avant d'être formé dans l'intellect. Avicenne en viendra à penser l'émanation de l'Un à travers les créatures angéliques et les êtres sensibles, puis le travail conceptuel de réunification.
Il y a une sigillation qui va de la pensée de Dieu avec les entités qui lui correspondent vers la capacité d'abstraction de l'homme.
Le fil d'Ariane du questionnaire de Porphyre permet de comprendre ce qui s'est passé au XIIe siècle. A ce moment là, Abélard y ajoute une quatrième question : "si les genres et espèces existent en rapport avec les sensibles, sont-ils nécessairement aussi longtemps qu'ils sont genres et espèces une chose subordonnée à eux par nomination. Ou si l'on préfère si les choses nommées sont anéanties l'universel peut-il consister seulement dans la signification de l'intellection, comme la rose s'il n'y a aucune rose ?"
Le compendium des examens de Paris de 1240 porte sur les universaux de Porphyre. (1h16). Cela se retrouvera chez Martin de Dacie, Pierre d'Auvergne, Raoul le Breton, Guillaume Russell (qui coupera des idées divines et prendra les entités comme entités physiques comme le soleil ou métaphysique comme les concepts) etc développeront aussi ces problématiques.
Irène Rosier-Catach de l'EPHE développe le "linguistic turn" du XIIe siècle. Guillaume de Champeaux (1070-1121) maître d'Abélard. Au XIe siècle, on reçoit Aristote à travers les commentaires de Boèce.
Le premier grand commentaire de Porphyre(P3) à partir de Boèce ne doit rien à Anselme de Cantorbury malgré les ressemblances qu'on reconstitue a posteriori. C'est une logique "in voce" qui apparaît contre la logique "in re" de Boèce. Ayant récupéré tous les textes via Boèce, on va les lire ligne par ligne, ce que ne fait pas Boèce, et cela donne lieu à des interrogations autour du fait que les mots n'ont pas d'article en latin.
On connaît les positions de Guillaume de Champeaux notamment à travers les commentaires de ses disciples et adversaires. Abélard l'a forcé à revenir sur sa position sur les universaux, c'est ce qu'il dit dans l'Histoire de mes malheurs. Gosvin (cf contribution de Grandeux dans ce livre) à son tour allait affronter Abélard et raconter comment sa victoire publique avait discrédité Abélard, comme Abélard le fit avec G. de Champeaux.
La 4e question se comprend dans la dispute d'Abélard avec son maître. Guillaume (dans son commentaire du grammairien Priscien de Césarée) place dans les choses de formes diverses une substance identique. En posant la question des intellections vides et du fait que Platon et Socrate pourraient n'être que des accidents de la substance homme qui ouvre la voie au nominalisme, Abélard combat le réalisme sur le terrain où il s'était développé, celui de la signification du nom commun. Puisqu'il y a des choses universelles, il faut expliquer leur intellection par les noms communs.
Les thèses ontologiques dérivent des thèses sémantiques. Cela implique aussi une réflexion sur la qualité (chez Boèce "album"/blanc n'est qu'une qualité, mais est-ce un nom ou un adjectif ?). Toutes les choses sont discrètes et donc elles ne peuvent avoir que des noms propres.
La 4ème question crée une théorie des intellections : un nom à référence vide risque de créer une intellection vide. Dans le triangle de Boèce mots (voces)/concepts/ choses, le concept peut ne pas ressembler à la chose : il y a une visée (attentio), ce qui renvoie à St Augustin. On peut viser la chose autrement qu'elle n'est. Une chose singulière peut être visée comme universelle, ou des choses inexistantes.
Sans la récupération de la grammaire de l'Antiquité tardive et des débats potentiels qui la soustendaient par Guillaume de Champeaux, la révolution abélardienne n'aurait pas été possible. Ils ont récupéré tout une héritage de questions traitées par Boèce qui a dormi pendant 500 ans.
Abélard arrive aux opérateurs logiques comme actes de l'esprit indépendants de l'esprit. Cette notion d'acte n'était pas chez Boèce. Tout cela fut pensé en lien avec la grammaire et la question de la uox : comment une même voix peut être produite par moi et arriver la même dans vos oreilles ? est-ce la même ? On aura la même chose avec les universaux comme communs. Idem la question du temps et du nombre.
Dans la première disputatio des Tusculanes Cicéron faisait dialoguer A et C sur les enfers (y a-t-il des gens aux enfers ou pas ? où purge t on son malheur ? si on n'est plus peut-on être malheureux ?).
C enferme A, dans un problème qui renvoie à la référence vide. Une des propositions de la fin rejoint "je voudrais ne pas mourir mais être mort ne m'est rien". La Conclusion pourrait être reformulée "La mort est la fin des réalités terribles" (quod finis terribilium est mors), thèse condamnée à Paris en 1277 par Etienne Tempier.
Cicéron ne se posait pas la question, mais il ouvrait sans le savoir celle de la référence vide. Son origine au Moyen-Age fut dans la question l'humanité du Christ "in triduo mortis". Soit trois propositions : l'homme est un animal, aucun homme n'existe. César est homme, César est mort. Christ durant les trois jours du tombeau fut homme.
Roger Bacon (1212-1292) s'en est pris au franciscain Richard Rufus de Cornouailles (Richardus Cornubiensis), dans un bilan critique de toutes les discussions sémantiques du XIIIe siècle sur la prédication sur les classes vides. L'ignorance obstinée de principes sémantiques conduit non seulement à l'ignorance mais aussi à l'hérésie. Erreur quand on soutient que César mort est un homme, ou qu'un homme mort est un animal. Hérésie quand on maintient avec Richard de Cornouailles lecteur de Pierre Lombard, que Jésus est resté homme pendant les trois jours. Richard dit Bacon, était célèbre parmi les foules imbéciles, mais tenu pour fou parmi les sages et réprouvé à Paris. Il avait lu les sentences en 1250, puis pendant 40 ans il a tenu la foule dans sa démence.
Selon Bacon, un nom ne peut s'appliquer univoquement à ce qui est à ce qui n'est pas. Un son vocal peut perdre la signification dont l'a doté sa première imposition. Le locuteur redonne ou retire son adhésion à un sens chaque fois qu'il ouvre la bouche.
Sa propre doctrine a été condamnée. Tout homme est nécessairement animal, est une sophismata."Beaucoup de parisiens suivent les sophismata plutôt que la philosophie / multi parisienses non philosophiam, sed sophismata sun secuti" disait Albert le Grand.
Le 18 mars 1277 l'évêque de Cantorbury interdisait l'enseignement à Oxford qui disait qu'il ne pouvait y avoir de vérité nécessaire sans constance du sujet. C'est l'acte I de la séparation entre les théories analytiques et continentales.
Le système parisien des nations permettait qu'il y ait à Paris aussi des positions de type anglais. Les livres circulent, les personnes aussi, entre l'Angleterre et la France. La Magna Carta est promue à Paris alors qu'un tiers des maîtres sont anglais. La constantia subjecti signifie la permanence du sujet : comment la proposition faite sur un sujet peut avoir une vérité réelle si ce sujet n'existe pas ? la vérité est-elle conditionnelle ? Bacon toute sa vie s'est battu pour la thèse condamnée en 1277. Le plus érudit des modernes, Leibniz en fait un moment de sa réflexion sur le fondement des vérités éternelles.
Il écrivait dans ses Nouveaux Essais : "Les scolastiques ont fort disputé de constantia subjecti, comme ils l’appelaient, c’est-à-dire comment la proposition faite sur un sujet peut avoir une vérité réelle si ce sujet n’existe point : c’est que la vérité n’est que conditionnelle, et dit qu’en cas que le sujet existe jamais, on le trouvera tel. Mais on demandera encore en quoi est fondée cette connexion, puisqu’il y a de la réalité là-dedans qui ne trompe pas. La réponse sera qu’elle est dans la liaison des idées. Mais on demandera , en répliquant, où seraient ces idées si aucun esprit n’existait, et que deviendrait alors le fondement réel de cette certitude des vérités éternelles. Cela nous mène enfin au dernier fondement des vérités, savoir, à cet esprit suprême et universel qui ne peut manquer d’exister, dont l’entendement, à dire vrai, est la région des vérités éternelles , comme saint Augustin l’a reconnu et l’exprime d’une manière assez vive ; et afin qu’on ne pense pas qu’il n’est point nécessaire d’y recourir, il faut considérer que ces vérités nécessaires contiennent la raison déterminante et le principe régulatif des existences mêmes, et, en un mot, les lois de l’univers. Ainsi ces vérités nécessaires étant antérieures aux existences des êtres contingents, il faut bien qu’elles soient fondées dans l’existence d’une substance nécessaire".
La problématique de la référence vide au XIVe siècle change de propositions litigieuses "chimaera est chimaera" "deum esse est deus" "mundum fore". Chimère ne désigne rien, c'est une notion vide qui n'autorise aucune prédication de forme, dira Ockham. La proposition "le monde serait" a-t-elle pu exister avant que le monde ne fut.
Je ne vais pas plus loin dans mon résumé de la conférence ci-dessous sur les problèmes que se posèrent les philosophes du langage de 1100 à 1300. Je vous laisse regarder ce qu'après 2h38 Mme Rosier-Catach dit sur le langage des anges, et les questions que Gilles de Rome (1247-1316) sur les anges qui font société et qui ne sont donc pas de simples envoyés comme le dicte le dogme, questions qui font réfléchir au thème de l'ouverture à l'autrui. Assurément il y a là un puits de questionnements dans lequel on pourrait passer beaucoup de temps.
Les martyrs d'Ouganda
La basilique de Namugongo en Ouganda est toute entière imprégnée (ses vitraux, ses piliers) du souvenir des premiers catholiques guidés par les Pères Blancs et anglicans de ce pays qui moururent en martyrs en 1886 persécutés par le roi du Buganda Mwanga II.
On trouvera ci-dessous un film pédagogique de 1996 "Fires of hope" dans sa version française, film très simple dans sa facture et sa philosophie mais qui, semble restituer d'une façon assez fidèles, la manière dont les martyrs ont vécu leur conversion, avec tout ce que cela impliquait de renoncement à la polygamie, à la sorcellerie etc. J'ai pensé au film "Silence" de Scorcese sur les jésuites au Japon, dans lequel Scorcese par la bouche de l'inquisiteur demande si ces paysans se convertissent vraiment au christianisme ou à une version christianisée de leur paganisme. Mais ce genre de questionnement sophistiqué est en invalidé par le courage manifesté au moment de leur sacrifice.
Le martyre de Charles Lwanga et ses compagnons a été connu tôt en Europe. Un ouvrage en français de 1893 en fait état. En réalité la persécution de Mwanga II fit au moins 4 000 morts. L'évêque missionnaire alsacien Mgr Henri Streicher (1863-1952) a raconté leur histoire dans un livre gratuit en ligne ici sur Gallica. Il y a des collèges Charles Lwanga au Burkina, en Côte d'Ivoire, un lycée Charles Lwanga au Tchad, au Sénégal, au Kénya, et bien sûr il y en a quelques uns en Ouganda, sans parler des écoles primaires, des églises etc.