Une remarque intéressante de Marin Ferraz sur le saint-simonisme et la philosophie grecque
Dans son Traité complet de philosophie, remarque Ferraz, le saint-simonien Buchez traite "la philosophie païenne à peu près comme un ecclésiastique bien connu a traité la littérature païenne, il en fait une sorte de ver rongeur qui mine et détruit insensiblement les fondements de notre société, et il propose de la remplacer par la philosophie chrétienne. Mais il ne s'aperçoit pas que remplacer la philosophie païenne, qui affirme et raisonne, par une prétendue philosophie chrétienne, qui affirmerait sans raisonner, ce ne serait pas remplacer une philosophie par une autre, mais supprimer toute philosophie. Qu'est-ce, en effet, qu'une philosophie d'où le raisonnement est banni et d'où la raison est absenter Cependant, si absurdes que soient les conclusions de Buchez, elles sont logiques. Elles sont la dernière conséquence de ce saint-simonisme qui sacrifie en tout et partout l'esprit critique à l'esprit organique, au point déplacer le moyen âge au-dessus des âges modernes et de préférer l'Inde et le Thibet à la Grèce et à Rome."
Eternelle question de savoir ce que la religion doit faire de la philosophie. Cela me fait penser à ce journaliste catholique américain que je relisais récemment et qui reproche à l'Islam d'être trop "sola scriptura" à l'égard des Grecs. Il ressort la thèse ecclésiastique classique selon laquelle les penseurs grecs païens sont déjà sauvés par leur propre philosophie du fait que Dieu se manifeste dans sa création, et s'est déjà révélé à eux par la raison. Saint Paul allant argumenter avec les philosophes grecs sur l'Aréopage...
Un mot sur le patriotisme de Louis-Alexandre Piel
Je voudrais évoquer aujourd'hui l'architecte chrétien Louis-Alexandre Piel (1808-1841) qui fait partie de l'arbre dominicain et dont j'ai découvert l'existence en travaillant sur Lacordaire. Cet architecte formé par la mouvance chrétienne rationaliste et moderniste liée au saint-simonisme (les buchéziens), était un passionné de l'art gothique (il avait effectué un tour des monuments gothiques d'Allemagne dont il avait fait un ouvrage, remarqué par Montalembert). Il suivait en cela l'enseignement de Buchez qui, dans l'Introduction à la science de l'histoire en 1833 avait écrit que le christianisme, religion de l'égalité et de la liberté, trouvait sa plus belle expression architecturale dans la cathédrale médiévale. "Vainement, écrit-il, on nous a dit que l’époque, où ces monumens (gothiques) furent construits, était un temps de ténèbres et de barbarie, que c’étaient des œuvres grossières, bizarres, dépourvues d’harmonie ; vainement on nous avait enseigné une théorie du beau, toute de convention et toute opposée ; vainement, en un mot, on avait fait tout ce qu’il était nécessaire pour en détourner nos regards. Notre siècle a ouvert les yeux, et, quelle que fût son incrédulité, il a été frappé d’étonnement, épris d’admiration et de sympathie. La présence de ces grands monumens n’a pas été sans influence sur le mouvement religieux qui a lieu en ce moment. On a compris l’unité ; et alors on a jugé comme une époque de décadence cette renaissance tant célébrée par lesécrivains et les philosophes du dix-huitième siècle. On a vu qu’elle était un retour au paganisme en toutes choses, dans les sentimens et dans les formes, aussi bien que dans les mœurs, c’est-à-dire le premier pas dans la carrière qui a eu pour terme l’anarchie où l’art se trouve aujourd’hui. On a compris enfin que l’art n’était point une affaire de délectation individuelle, mais une œuvre profondément sociale, et l’un des plus puis- sans moyens d’éducation et de conservation morale. "
Piel allait tenter de prouver que l'éclectisme, dont il vit les premiers signes poindre en Allemagne et associé selon lui à l'art pour l'art, était un échec, en offrant un projet de restauration de style gothique pur à l'église Saint Nicolas de Nantes, projet que n'accepta que partiellement le conseil municipal et auquel Piel finalement renonça en entrant dans les ordres.
Lié à Hyppolyte Réquédat, tous deux rencontrent chez Buchez (dans son école rue Chabanais dont le comte de Beaurepaire souligne le caractère viscéralement patriotique, ce que les biographies postérieures minimisent) Hyacinthe Besson (1816-1861) et d'autres jeunes qui partagent leur quête religieuse. Par le bais de Réquédat, qui vient d’entrer dans l’archiconfrérie du Très Saint et Immaculé Cœur de Marie fondée par Charles-Éléonore Dufriche des Genettes (le plus souvent orthographié Desgenettes), curé de Notre-Dame des Victoires, à Paris, renoue avec la pratique religieuse, et fonde le 27 décembre 1839 à Notre-Dame des Victoires la confrérie Saint-Jean l’Évangéliste. La mort de sa sœur, le 2 décembre 1840 le convaincra d’abandonner l’architecture et faire le choix de prendre l’habit des frères prêcheurs, comme Réquédat. Après la mort de celui-ci d'une phtisie pulmonaire, il se donnera lui-même en sacrifice, pour la restauration de l'Ordre dominicain.
Intéressant ce qu'il écrit après avoir serré convulsivement les mains de la dépouille de Réquédat : "Oh ! Dieu est un Dieu jaloux ! Nous lui payons aujourd'hui la dîme et les prémices!. Un meilleur Français pouvait-il mourir pour le rétablissement des Frères Prêcheurs en France? Qui a plus aimé la patrie? Qui se serait plus volontiers sacrifié pour elle? Il l'a fait : c'est une bénédiction pour nos travaux." Pour Piel, la restauration de l'Ordre dominicain était faite pour la France.
Cela venait aussi, en un sens, de Buchez, qui était très attaché au rôle de la France comme seul pays catholique d'Occident, fille aînée de l'Eglise qui a sauvé la papauté et suivi le Pape en tout (avec Clovis, avec Charlemagne, avec la création de l'Université), et qui risquait au XIXe siècle de périr face à la Russie : "La Russie est, vis-à-vis du reste de l’Europe, ce qu’était la Macédoine au temps d’Alexandre, vis-à- vis de la Grèce. Quant à nous, Français, il ne nous restera plus d’autre royaume que celui de l’intelligence. Puisse un tel avenir ne pas se réaliser !"
L'idée était de rendre à la France son statut de fille ainée, pour en faire un fer de lance de reconquête spirituelle du continent face à l'utilitarisme anglais et au rationalisme prussien.
"Les Géants et le mystère des origines" de Louis Charpentier
Ceux qui ont lu mon livre "Les Médiums" savent que j'ai une dette personnelle à l'égard du sanctuaire de la Sainte-Baume en Provence. En 2014, j'ai même pu participer à un pèlerinage des Compagnons du Devoir sur le flanc de sa colline (et il se trouve d'ailleurs que j'ai été conduit à travailler récemment à nouveau sur ce sanctuaire dans le cadre de la préparation d'un nouveau livre qui paraîtra prochainement).
A propos des Compagnons du Devoir, et des grands bâtisseurs, je voudrais mentionner ici le livre pitoresque de Louis Charpentier, "Les Géants et le mystère des origines" paru aux éditions Robert Laffont en 1969 (ouvrage qu'Amazon m'a livré chargé d'odeurs d'huiles essentielles dont comme nous dit Doreen Virtue il faut se méfier). Comme beaucoup de livres de cette époque sur l'histoire secrète (on peut penser par exemple aux travaux de Gérard de Sède sur les Goths), ce genre de texte est rempli d'affirmations gratuites, reposant notamment sur des toponymies controversées. Mais dès que l'on essaie d'aller un peu au-delà de l'historiographie académique pour comprendre certains phénomènes spirituels à l’œuvre dans l'évolution humaine, il peut être intéressant d'y jeter malgré tout un coup d'oeil, au cas où, sait-on jamais, quelque vérité se mêlerait aux erreurs.
Carpentier est spécialiste de l'architecture et de ses codes secrets qu'on a parfois évoqués sur ce blog et que lui-même a explorés autour du cas de la cathédrale de Chartres. Il fait partie de ces gens qui trouvent que cette cathédrale a des proportions semblables à la pyramide de Chéops en Egypte, et qu'elle comprend trois tables, rectangulaire, carrée et ronde, qui aurait servi aussi à la construction de temples égyptiens, et au temple indien de Konarka (il se prévaut d'un courrier que lui adressé l'indianiste suisse Alice Boner à ce sujet, mais aussi du béarnais Raoul Vergez sur le volet français).
Son intuition est que les constructeurs de mégalithes (qui auraient été éventuellement instruits par des extra-terrestres), ont été les détenteurs de savoirs secrets, qui se seraient ensuite diffusés en Europe et en Orient, et transmis par des confréries plus ou moins clandestines, des sortes de "maîtres Jacques" qui auraient effectué des tours du monde permanents comme les Compagnons du Devoir avec leur tour de France (ce qui rejoint un peu les théories actuelles sur les Bâtisseurs de l'Ancien monde). Ils ne seraient appelés Géants (par exemple dans toute la toponymie de Gargan) que par référence à leur supériorité spirituelle (un complément intéressant à mes considérations sur l'histoire des Géants dans mon livre Les Nephilim).
Cette hypothèse amène Louis Charpentier à reconstituer toute une chronologie historique secrète, en partie articulée à l'astrologie. Il y aurait eu selon lui 5 ères astrologiques avant la nôtre. Celle du lion (illustrée notamment par le sphinx) de 10 910 av JC à - 8 750, celle du cancer de - 8 750 à - 6 600 avec les scarabées égyptiens, celles du Gémeau de - 6 600 à - 4 600 (qui lui fait penser aux colonnes jumelles de Tyr), celle du taureau de - 4 600 à - 2 300 (le temps du Minotaure, d'Apis en Egypte, de Cualngé en Irlande, de Tarnos en Gaule), de - 2 300 à - 150 celle du bélier (le temps de la Toison d'Or et du dieu Amon cornu), enfin celle du poisson de - 150 à nos jours (le temps du christianisme).
Il exploite la légende d'Hercule/Héraklès, dans laquelle il veut voir la trace de guerres de civilisations. Elle commence avec la mort du lion de Némée (la fin de l'ère du lion) et cela se termine avec les constructions des deux colonnes jumelles (le début des Gémeaux), donc pour lui cela pourrait correspondre à l'ère du cancer (l'époque du mésolithique)... Les armées hérakléennes dont on peu suivre la progression à travers la toponymie (Port Hercule à Monaco, Heraklea Caccabaria/Cavalaire-sur-Mer) auraient traversé à pied sec le détroit de Gibraltar non encore creusé pour combattre les peuples atlantes à Tanger où se trouve le tombeau d'Antée leur roi, fils de Poseidon (le royaume de la mer, Hercule, lui est fils de Zeus, le royaume de la terre, le troisième fils de Cronos étant Caron, dans les enfers). Hercule vola les boeufs roux du géant Geryon, puis les pommes initiatiques (elles permettaient d'ouvrir l'Olympe) des Hespérides. Pour Charpentier ,il s'agirait là de peuples de géants dans un sens métaphorique, c'est-à-dire de maîtres bâtisseurs versés dans les sciences ésotériques.
Charpentier prête les mêmes qualités aux Ligures que combattit aussi Héraklès. En s'appuyant sur Camille Jullian, il veut trouver des traces de leur dieu Lug dans toutes sortes de villes de Londres à Louviers, Lyon, Lion-en Beauce, Lusignan, Loches, et veut aussi identifier sa parèdre Lugine à Mélusine. Mauléon, Luchon, tout vient de Lug et même Lourdes, qui, à travers la racine basque "ur" (eau) pourrait vouloir dire "eaux de Lug", un moyen bien commode d'attribuer ses miracles à la racine ligure... Lug eut pour symbole le corbeau, mais aussi l'oie (comme la patte d'oie de ce peuple de constructeurs qu'étaient les cagots parias dans les Pyrénées). Or les villes qui évoque Lug forment une spirale à travers la France, comme le jeu de l'oie, nous explique l'auteur... Et des restes du génie des premier bâtisseurs se trouveraient dans la configuration astrologique de Stonehenge et dans les artefacts de Glozel. Tout cela dessine une géographie sacrée de lieux à vibration tellurique particulière où l'on aurait planté de la vigne ou dansé des danses rituelles pour se remplir d' "énergies subtiles" dont les sabbats de sorcières auraient gardé le souvenir (je crois que l'apologie des sorciers qui marque toujours ce genre de spéculation montre assez leur parti pris idéologique anti-chrétien).
Je vous passe les développements sur les menhirs...
L'Orient et l'Occident auraient donc été instruits par ces grands bâtisseurs, mais finalement ceux d'Orient auraient progressé plus vite que ceux de l'Ouest, et auraient dû leur apporter des savoirs complémentaires (avec le cas des Phéniciens et de maître Hiram). Même la légende de la venue de Ste Marie Madeleine et sa famille en Provence, à l'arrière-plan du sanctuaire des Compagnons du Devoir à Ste Baume serait une allégorie de ce mouvement (p. 194).
Rien dans toutes ces considérations ne paraît bien sérieux, mais l'ouvrage trouve sa place dans les nombreuses rêveries autour de l'architecture secrète qui ont enfanté celles qui passionnent certains geeks sur Internet aujourd'hui...
Pourquoi j'ai jeté ma collection de "Smash Hits"
Pendant deux ans entre mars 1986 et août 1988, j'ai acheté la revue britannique bimensuelle Smash Hits qui faisait autorité en matière de pop music. Et je l'ai conservée dans mes archives comme un souvenir de jeunesse pendant plus de trente ans, mais là j'ai décidé de jeter tous les exemplaires.
Pourquoi ? D'un point de vue superficiel on pouvait trouver cette revue bien amusante et inoffensive, mais c'est du point de vue spirituel qu'il faut tout observer, et, de ce point de vue là, c'était une publication toxique. Vous savez que la manipulation des esprits passe par la répétition : on enferme les âmes dans des réseaux d'images et de références dont elles ne peuvent sortir, ce que les Anglo-saxons appellent le "Mind control". Hé bien c'est ce que faisaient les diverses livraisons de Smash Hits avec leurs références croisées qui faisaient système entre elles et qui, sous couvert de légèreté, injectaient un venin bien spécifique.
Pour en faire la démonstration j'ai décidé, avant de tout jeter, d'analyser les pages de trois numéros : ceux du 2 au 15 juillet 1986, puis 16 au 29 juillet et 20 juillet au 12 août de la même année, je montrerai comment cela vous submergeait par vagues, un peu comme les tubes qui arrivaient à la radio, et les clips au classement du Top50 à la TV, sans donner aux jeunes lecteurs les clés pour comprendre de quoi au juste on les abreuvait.
Commençons par le numéro du 2 au 15 juillet avec en "une" le groupe UB40. Je feuillette. Haut de page, Andy Taylor, chanteur de Duran Duran, posé en fausse idole. La revue invite les jeunes à s'interroger sur son changement de look, parce qu'il est devenu plus sauvage "wild". Duran Duran est un groupe qui n'a jamais voulu de bien aux ados. Le titre "Union of the snakes" associé à un clip très suggestif est marqué au coin de l'occultisme à chaque scène.
On continue un peu plus loin avec une page sur le retour de Madonna avec son album "True blue". Là encore, pas de risque qu'on vous parle d'occultisme. Pourtant juste avant la sortie de cet album, en 1985, Madonna, chantre de la libération sexuelle des filles, qui aimait s'afficher en style "punk" façon prostituée chargé de crucifix ("parce qu'il y a un homme nu dessus") avait clairement annoncé la couleur en arborant, au début du clip "Into the Groove", la pyramide Illuminati, et la référence à leur création en 1776 sur son blouson, avec un beau clin d'oeil façon oeil d'Horus. Notez aussi les trois pentagrammes rouges juste en dessous : le cerveau n'analyse pas, mais l'oeil enregistre.
Plus occultiste encore la publicité pour le dernier single des UB40 Sing our own song, où la pochette du disque met en valeur l'oeil omnivoyant (l'oeil gauche qui pleure sur fond de ciel qui brise la symétrie du visage), on a aussi une spirale trois pyramides et un signe ésotérique de feu, sur fond d'incitation à la revanche post-coloniale et ç la sécession (la chanson parle de créer "notre propre société"), qui sera un des thèmes favoris de George Soros et de tous les affiliés des sociétés secrètes vingt ans plus tard - "ordo ab chaos".
Tournons encore les pages. Un article sur une opération de relations publiques lancée par une série d'adeptes de l'oeil omnivoyant (Bono de U2, Sting, Peter Gabriel, Madonna) en faveur d'Amnesty International. Cela s'appelait "Conspiracy Of Hope tour". C'est dans la même veine que "USA for Africa", l'opération humanitaire inscrite sous le label de la chanson "We are the world" dans laquelle les auteurs ont glissé que celui qui notre seigneur nous demandé de changer les pierres en pain (normal : dans la Bible c'est Satan qui demande cela à Jésus).
Ce genre de happening humanitaire est depuis 30 ans un ciment puissant du luciférisme, quitte à ce qu'ensuite cela serve surtout à vous enfermer chez vous dans le célèbre show Together at Home. En tout cas cela vous enferme dans le rejet de Dieu, en ce sens c'est bien une conspiration, mais une conspiration de la désespérance et non ne l'espoir.
Pour que personne n'ait de doute sur le contenu occultiste des messages (mais bien sûr sans vous l'expliquer), Smash Hits vous présente ensuite le couple adepte de l'ésotérisme les Eurythmics, habillés de noir et de blanc (symboles de la dualité). La photo symbolise le fait que le monde visible doit refléter le monde invisible et le bas être à l'image du haut, vieux principe holistique magique de Paracelse, en anglais ça se dit "As above so below", les occultistes essaient toujours de vous enfermer là dedans, et Smash Hits aussi, mais bien sûr sans rien vous dire, en faisant passer tout cela pour une blague "ha ha, les Eurythmics sont des gens bizarres"... des gens bizarres eux aussi adeptes de l'oeil d'Horus qui vous avaient annoncé le Nouvel ordre mondial dans le clip "Sweet dreams"
Page suivante une petite pub pour l'album des Bananarama "True Confession" qui inclut le "hit" Venus. J'ai déjà expliqué ici comment ce titre remonte en fait au Beatles, groupe très investi dans l'occultisme satanique (avec leur investissement spirituel hindou, leur album qui montre des enfants coupés en morceaux, celui qui rend hommage à Aleister Crowley, le mage "le plus pervers du XXe siècle") et qui a été lancé avec succès pour la première fois par le groupe Shocking Blue dont une des chansons évoque un pacte avec le diable.
La chanson phare de l'album ne parle que de tortures et d'obsessions, c'est ce qu'il fallait à la jeunesse de cette époque là (nous) selon les Bananarama et Smash Hits. Il fallait lui parler de ça plutôt que du salut de l'âme. Un peu plus loin, un article sur le groupe qui a cumulé les succès depuis quelques années Buck Fizz, qui présente à l'Eurovision une chanson très "nouvel ordre mondial au service de l'amour et de l'unité, one one one" "New beginning", dont les paroles reprendront les slogans archi-connus de Bono, Freddy Mercury etc "build a new world where the code world is love, in this new world all the children are ONE". Love Love love, one one one. Comme les Eurythmics les 4 membres sont en noir et blanc symbole de dualité. Le titre de l'article est digne du "Venus" des Bananarama : "To hell and back" parce qu'ils auraient survécu à un accident d'autocar.
Smash Hits enchaîne avec un reportage sur un festival comme il y a en a tant depuis Woodstock. Cette fois c'est le Glastonbury pop festival. Côté conditionnement spirituel, qui s'étonnera que les premières photos présentées mettent en valeur une tarologue diseuse de bonne aventure ?
Ensuite une petite interview de star. Exercice favori de Smash Hits qui, en général au milieu de considérations culinaires insignifiantes ou de jugements de valeur sur des chanteurs amis et concurrents n'hésite pas à faire parler les artistes de leurs expériences paranormales (voir avec Belinda Carlisle, ou Carol Decker).
Dans ce numéro il s'agit de Owen Paul (Owen McGee) qui venait de reprendre un vieux tube, "My favorite waste of time". Un détail intrigant (le genre de détail qui pourrait justifier que je garde les Smash Hits pour des études plus approfondies, mais le jeu n'en vaut pas la chandelle), il avoue tout de suite que son fils Brian qui a été batteur des Simple Minds est maintenant dans le groupe Propaganda. Brian McGee a commencé dans le punk, qui est un style musical lancé par le disciple du sataniste Aleister Crowley (il possédait sa bague) Malcom McLaren. Propaganda est un groupe clairement occultiste de type Illuminati. Leur premier single "duel" est un jeu de mot sur "dual" la dualité, et une bonne partie du clip est tournée sur un damier maçonnique, dont la symbolique est liée à cette dualité. Leur second succès "P. Machinary" annonce (au sens de la programmation prédictive), comme "Sweet dreams" des Eurythmics la réduction de l'humanité au stade de marionnettes d'une vérité imposée par la machine (une anticipation du règne de l'intelligence artificielle). Le groupe a pu faire croire qu'il dénonçait ce risque, mais la présence des papillons (référence au programme Monarque du MK Ultra), comme leurs jeux de signes dans Duel révèle clairement leur haut niveau d'initiation dans les sociétés secrètes qui veulent imposer au monde cet agenda. Le groupe est tellement initié dans l'ésotérisme que, non seulement sur scène leur code couleur est strictement le noir et le blanc (voir ici - 6e minute - , ici, là, bien sûr là avec encore le damier, réhaussé par le violet-mauve couleur du nouvel ordre mondial comme dans Purple-rain/purple-reign))mais en plus, quand ils dérogent, ils utilisent le vert et le noir, couleurs d'Harpocrate dans les mystères égyptiens (voyez ici et ici ou là), bref, c'est du très lourd dans la magie qu'on vous balance sous couvert de divertissement. L'aspect étonnant est que Brian McGee est écossais, et Propaganda est un groupe allemand. Qui a servi d'intermédiaire pour rapprocher les savoir-faire musicaux de ces deux pays pour produire des morceaux de musique si peu favorables à l'émancipation humaine ? Smash Hits ne vous le dira pas.
Ensuite le même numéro nous présente les deux membres du groupe Wham faisant un drôle de signe ésotérique avec deux doigts. George Michael est à l'époque un sex symbol qui n'a pas le droit de révéler son homosexualité, tout comme Samantha Fox.
Enfin Smash Hits balance parmi les paroles de tubes du moment celles de Papa don't preach de Madonna, chanson anti-avortement dans le clip de laquelle Madonna pose en marinière noire et blanche (symbole de dualité) et dont la face B porte le titre "menteur" un procédé classique qu'allait reproduire une DJ illuminati ghanéeenne plus de trente ans plus tard avec une chanson pour les chrétiens leur recommandant de lire la Bible, mais truffée de pyramides, avec pour titre "deceiver" (trompeur).
Voilà donc pour le premier numéro de la série de trois. Présenter le second, celui du 16 au 29 juillet, va nous permettre de comprendre l'effet d'accumulation dans le conditionnement de l'esprit des jeunes lecteurs.
Ce numéro dès sa page 1 annonce des posters de Queen. Freddie Mercury chanteur de Queen (dont à l'époque Smash Hits cache un peu l'homosexualité, comme pour George Michael, puisqu'ils iront même demander à la chanteuse phare de Bangles si elle accepterait de l'épouser). Queen est profondément immergé dans l'occultisme, comme le révèle le nom de scène de son leader, lequel a plus d'une fois admis sur scène avoir passé un pacte avec le diable, et avoir "canalisé" en très peu de temps Bohemian Rhapsody qui a été enregistré sur le piano de Paul Mc Cartney chanteur des Beatles (dont on a explicité les inspirations spirituelles ci-dessus).
Dans ses premières pages, ce nouveau numéro de Smash Hits va ouvertement se payer la tête de ses lecteurs sous le titre "20th century fox Ha ha) en leur montrant tous les artistes qui portent le nom de "fox" le renard, de Samantha Fox à Sly Fox en passant par Fox the Fox, en oubliant juste un détail... C'est que Fox en gematria signifie 666, le chiffre de l'Antéchrist.
Le groupe Sly Fox avec son tube "Let's go all the way" dont la couverture joue sur l'opposition noir blanc (comme l'avait fait Paul Mc Cartney avec Stevie Wonder en 1982 avec Ebony and Ivory) entre deux demi-visages (référence classique à la maçonnerie, mais aussi à un procédé de composition d'un seul portrait avec deux visages qui va de la Sapho de Pompéi à la Joconde de Léonard de Vinci), et proclame "We need heaven on earth today" (le règne de l'Antéchrist), ne peuvent pas l'ignorer...
En page suivante un petit clin d'oeil à Elvis Presley adepte de la théosophie de Mme Blavatsky. Comme avec les Beatles, il faut toujours "capter" l'énergie des idoles de la génération antérieure, histoire de maintenir la continuité des malédictions. On est en outre à un moment où il y a encore du rockabilly au sommet des charts européens. Puis Smash Hits lance un petit jeu autour du dernier single "A kind of magic" de Queen, single très axé occultisme (avec la référence à la magie bien sûr mais aussi la répétition invocatoire de "one one" "One dream, one soul, One prize, one goal. One golden glance , One shaft of light".
Outre l'occultisme, la revue se réfère souvent aux spiritualités asiatiques qui sont au fondement de la pop music depuis les Beatles et dont beaucoup d'artistes sont adeptes. Dans ce numéro le prétexte en sera une interview de Sid Haywoode qui vient de voir entrer dans les charts son succès "Roses" (les roses aussi ont une connotation occultiste, c'est une référence à la rose-croix) : on nous dit qu'elle récite des mantras bouddhistes et boit beaucoup de champagne.
Le christianisme bien sûr est absent des pages de Smash Hits sauf lorsqu'il s'agit de s'en moquer comme avec les Jesus and Mary Chain, qualifiés de "Nouveaux Sex Pistols" en forme d'hommage au style punk dont on a vu plus haut qu'il est, comme les Beatles, dans l'héritage d'Aleister Crowley (remarquez l'oeil droit caché).
Au passage on nous balance les paroles du dernier tube d'Arcadia, "The Flame"... Arcadia est un groupe issu de Duran Duran (ce qui explique que dans le précédent numéro Smash Hits se soit penché sur le changement de look de leur chanteur Andy Taylor). Leur nom est une référence au tableau classique de l'occultisme "Et in Arcadia Ego" comme le dit Wikipedia, mais ce que Wikipedia vous cachera c'est que l'Arcadie est le pays du dieu Pan idole des hippies depuis les années 1960 (et du groupe Led Zeppelin, dirigé par Jimmy Page, disciple d'Aleister Crowley - cf Stairway to Heaven sur Pan le joueur de flûte) et accessoirement représentation de Satan. Arcadia a commencé sa carrière par une chanson sur les roses, comme Haywoode. Le morceau "The Flames", les flammes, figure sur un album où l'on trouve aussi l'arcane des roses ("Rose Arcana"), Garde moi dans les Ténèbres (Keep me in the Dark) et le Diable (El Diablo). Tout un programme pour les jeunes auditeurs...
Comme le conditionnement ne marche qu'avec la répétition, il faut bien bombarder le troupeau. Et donc Smash Hits revient sur Queen et ses hauts faits, en nous glissant au passage une photo d'un membre du groupe avec un pantalon maçonnique en damier, histoire d'habituer l'oeil.
Et puis, comme le mind control fonctionne sur des chassés croisés, pour bien consolider les mailles du filet, on vous ressert Samantha Fox "666" en vous expliquant que le musicien du groupe Motörhead Lemmy Killmister a des clichés d'elle dans sa chambre (avec une bonne façon de croiser l'imaginaire "skull and bones" avec l'obsession sexuelle).
Evidemment Smash Hits ne peut pas manquer de contribuer au culte morbide de l'esclave du MK Ultra James Dean à qui Hollywood a accordé deux Oscars posthumes (et que divers artistes de Madonna à Off citaient dans leurs chansons).
La page d'interview est consacrée à Susanna Hoffs la chanteuse des Bangles pour qui l'occultiste Prince a composé "Manic Monday". On lui fait parler du sens de l'humour de Prince, et de la rupture entre les deux leaders du groupe Wham. Parce qu'il faut toujours revenir à cette funeste racine, Susanna Hoffs ne peut pas manquer de dire que ça ne la choque pas autant que lorsque les Beatles se sont séparés (en 69... Susanne Hoffs n'avait pourtant que 10 ans...). C'est dans cet interview que la revue demandera à la chanteuse si elle épouserait Freddie Mercury malgré sa moustache (peut-être simplement pour renforcer la trame des références croisées après le name dropping sur Prince et les Beatles).
La page suivante montre comment la revue continue à tisser les mailles du filet avec des références multiples à des adeptes de la religion de l'oeil d'Horus (David Bowie, Phil Collins, le groupe Police), il faut que ces noms ne quittent jamais le paysage mental des ados.
Puis on en vient au troisième numéro, celui du 30 juillet au 12 août.
Même procédé que dans le précédent numéro pour faire passer de l'occultisme sous couvert d'humour. Là on passe en revue les couvre-chefs ridicules, ce qui permet en fait de montrer sans dire des accoutrement qui relèvent en réalité de l'occultisme, un peu comme avec la célèbre soirée costumée des Rothschild en présence de Salvador Dali.
Cela commence par Boy George, totem adrogyne (on sait que l'androgynie est une composante de la sorcellerie). On rit de son accoutrement sans souligner qu'il met en évidence l'oeil d'Horus (l'oeil gauche).
On continue avec Peter Gabriel de Genesis dont on nous dit qu'il a un chapeau de "ptérodactyle" sur la tête (sic), histoire de ne pas souligner la référence vampirique aux chauves-souris : déformer ce qui se donne vraiment à voir est une spécialité de la revue.
Ensuite vient un petit article sur la star du moment Chris de Burgh, qui chante une petite ballade sur la Dame en rouge (The Lady in Red) référence à la prostituée de Babylone dans l'Apocalypse que certains occultistes mettent en scène dans des sacrifices rituels comme le Babalon work.
Evidemment Chris de Burgh ne peut pas éviter l'hommage rituel aux Beatles, même si cela peut sembler tomber comme un cheveu sur la soupe, quand il raconte qu'il chantait leurs chansons dans sa jeunesse.
D'ailleurs tant qu'à parler pour la millième fois des Beatles, Smash Hits fait un peu de publicité dans ce numéro à Paul McCartney (qui vient de sortir le single "Press"), qui nous ressert un peu d'imagerie "black and white" (Michael Jackson qui a rendu hommage à l'album des Beatles Sergent Pepper -celui qui met en scène Aleister Crowley - au Music Awards de 1984 sortira bientôt le single "black and white"... toujours la répétition ad nauseam autour de la dualité, la magie fonctionne comme ça). Que signifie le geste en direction du public ? Est-ce une façon de solliciter sa participation dans le sortilège qu'on lui jette ?
Dans la série "références croisées" autour de mage Aleister Crowley, le groupe It Bites, lui, préfère se référer à Led Zeppelin.
Tandis que le groupe Spandau Ballet renvoie à Duran Duran.
Comment Smash Hits arrive a placer ce groupe dont le tube "True" avait des connotations très romantiques à la limite de l'imaginaire porno est un mystère, mais il y parvient avec la photo ci-dessous. en expliquant au lecteur qu'il s'agit d'une position "un peu spéciale" avec sa coach de yoga (ce qui au passage permet aussi à la revue de remplir son quota de référence aux spiritualités asiatiques que les lecteurs sont fortement incités à adopter, avec ou sans champagne).
Et puis, comme si ça ne suffisait pas. Les jeunes lecteurs ont droit à un poster des Beatles qu'ils pourront offrir à leurs parents.
Il manquait bien encore un occultiste adepte de l'oeil d'Horus et des cornuto. Ce sera Ozzy Ozbourne. A compléter par une petite publicité pour le dernier single de Samantha 666 Fox (parce qu'il faut bien que toutes les boucles soient bien bouclées).
Pour tout ceux qui n'auront pas compris qu'il s'agit à travers la musique d'imposer la religion de l'oeil d'Horus, Smash Hits ne le précisera pas, mais balancera quand même une photo de Stan Ridgway qui pose bien en évidence la loupe sur son œil gauche. Il faut toujours tromper, montrer sans dire. Sa chanson Camouflage ne dit-elle pas que "les choses ne sont pas vraiment ce qu'il y paraît" (Things are never quite the way they seem)
Pour finir la revue offre en dernière page une photo du chanteur d'InXs, qui lui aussi chargea ses collections de photos de références à l'oeil d'Horus, et ses chanson de référence au démon (Devil inside). Le lecteur nous croira-t-il quand on lui dira que la X est une référence à l'Antéchrist, comme le 666 - voyez le show de Madonna "Madame X".
Quand on a compris cette trame, on n'a plus très envie d'y participer. On préfère laisser tout ce petit monde qui, dans les années 1980 la cultivait et à continué à l'imposer avec de nouveaux artistes ou en ne cessant de recycler les anciens sur les scènes de spectacles et les plateaux TV continuer de ressasser en boucle leurs obsessions, leurs malédictions, et tourner en rond dans leurs cercles infernaux.
Voilà pourquoi j'ai préféré jeter ces revues.
L'hommage de Théodore de Banville à Pierre Leroux (1871)
Ils ne furent pas nombreux ceux qui, à l'heure du décès du socialiste Pierre Leroux, surent lui rendre l'hommage qu'il méritait. C'est que la gauche française en ce temps-là voulut le charger des péchés de l'échec de 1848, et, dans sa frange la plus révolutionnaire, souhaitait déchristianiser le socialisme, quitte à le passer au feu de la fausse scientificité marxiste allemande. Le poète Théodore de Banville (1823-1891) osa faire exception dans Le National, du 17 avril 1871 avec cet article :
"Pierre Leroux vient de mourir : c'était un juste. Nul plus que lui ne fut préoccupé des besoins, des souffrances, des déceptions que subit le peuple et des maux sans nombre qui accablent cet éternel martyr. Et non seulement il fut l'ami du peuple, mais il fut le peuple lui-même par le constant effort, par le travail, par la misère, qui le prit au berceau et qui ne l'a pas quitté jusqu'à sa mort.
Le front haut, les arcades sourcilières fermes et hardies, le regard puissant, le nez régulier, les lèvres charnues, le menton énergique et indiquant une invincible volonté, cette énorme chevelure crépue, frisée, farouche, indomptée, superbe, et ces robustes épaules de portefaix et de héros, tout en lui indiquait le créateur fait pour inventer et porter un monde. En effet, il a créé et porté laborieusement tout un monde de pensées, au milieu de gens qui souvent riaient de lui, comme on rit presque toujours des hommes qui ont en eux quelque chose de la flamme divine. Prométhée, aujourd'hui, sentirait son foie dévoré non par le vautour, mais par le ridicule, et se verrait cloué, non sur un rocher battu par des flots, mais dans cette mansarde froide et mal close que Balzac a tant de fois et si bien décrite.
Chez nous les réputations ne se font que par la bourgeoisie : aussi l'heureuse et facile célébrité appartient-elle de droit à la médiocrité frivole et aux œuvres dans lesquelles l'idée est servie à doses homéopathiques ! Pierre Leroux, disais-je, fut peuple ; il le fut, non seulement dans le sens propre et exact du mot, mais aussi dans le sens figuré et symbolique ; car il représente le peuple de l'avenir, instruit par son propre effort, ayant par un miracle de volonté déchiré tous les voiles, et travaillant lui-même à son affranchissement. Erudit comme Rabelais, sachant à fond le grec, l'hébreu, les langues vivantes, ayant fait le tour de toutes les théologies et de toutes les philosophies, que lui manqua-t-il donc pour arriver au succès ?
Ce ne fut pas le style assurément ; car il était passé maître en l'art d'écrire. Ni l'esprit non plus, car il avait à lui seul beaucoup plus que tous les amuseurs qui font profession d'en montrer. Mais précisément, sa science universelle était faite pour inspirer une légitime terreur aux savants de profession qui ne savent rien, et aux coryphées des académies, que de tels voyants embarrassent. De plus, on pardonne à un homme d'avoir quelques idées, mais non d'être, comme celui-là, une source féconde, intarissable d'idées. Autre crime : en écrivant sa Réfutation de l'Eclectisme contre Victor Cousin, Pierre Leroux avait eu le tort de s'attaquer à un de ces triomphateurs souriants qui ont dompté et enchaîné à leur service le bonheur et la fortune. Le Succès n'aime pas qu'on se refuse à adorer ses idoles, et il ne manque pas de punir, en s'enfuyant loin d'eux, ceux qui insultent ainsi sa puissance. On voit que l'auteur du livre De l'Humanité avait vingt bonnes raisons pour être et rester pauvre. C'est ce que le grand poète Henri Heine expliquait déjà dans ses lettres parisiennes de1843, avec son implacable ironie qui n'excluait ni l'admiration ni la tendresse.
"Je viens, dit-il, de commettre une indiscrétion en mentionnant la pauvreté de Pierre Leroux. Mais il m'était impossible d'éviter une semblable indication ; cette pauvreté est caractéristique, et elle montre que l'excellent homme n'a pas seulement compris par la raison la misère du peuple, mais qu'il y a pris part en personne, et que ses pensées reposent dans la plus terrible réalité. C'est ce qui donne à ses paroles une vie palpitante et un charme bien plus grand que la puissance du talent. - Oui, Pierre Leroux est pauvre, comme l'ont été Saint-Simon et Fourier, et la pauvreté providentielle de ces grands socialistes a enrichi le monde, enrichi d'un trésor de pensées qui nous ouvrent un nouveau monde de puissance et de bonheur. Dans quel affreux dénûment Saint-Simon a passé ses dernières années, personne ne l'ignore ; tandis qu'il s'occupait de l'humanité souffrante, de ce grand patient, et qu'il imaginait des remèdes contre son infirmité de dix-huit siècles, il tombait parfois lui-même malade de misère ; il ne prolongea sa pénible existence qu'en tendant la main. Fourier aussi était forcé de recourir à la charité de ses amis, et que de fois je l'ai vu, dans sa redingote grise et râpée, marcher rapidement le long des piliers du Palais-Royal, les deux poches de son habit pesamment chargées de façon que de l'une s'avançait le goulot d'une bouteille et de l'autre un long pain. Un de mes amis qui me le montra la première fois, me fit remarquer l'indigence de cet homme, réduit à chercher lui-même sa boisson chez le marchand de vin et son pain chez le boulanger. - Comment se fait-il, demandai-je, que de tels hommes, de tels bienfaiteurs de l'humanité, sont ici en France en proie à la misère ? - Il est vrai, répondit mon ami avec un sourire sarcastique, que cela ne fait pas grand honneur au pays tant vanté de l'intelligence ; il est vrai aussi, ajouta-t-il, que de pareilles choses n'arriveraient certainement pas en Allemagne : chez nous, le gouvernement prendrait tout de suite sous sa protection des gens de semblables principes, et leur accorderait gratis pour toute la vie la nourriture et le logement dans la forteresse de Spandaw ou dans celle du Spielberg."
Ce dernier trait est délicieux, mais il montre avec quel optimisme nous jugea toujours Henri Heine, car en réalité les penseurs chez nous ne sont pas plus garantis des forteresses que de la misère, quoique cette dernière prison soit encore celle qui les réclame le plus impérieusement. Les ouvrages de Pierre Leroux, tous d'une si haute inspiration et d'une si grande portée, sont innombrables ; mais que peut un auteur qu'on ne lit pas, quand même ses arguments seraient encore meilleurs qu'ils ne le sont et quand même son style redoublerait de force et d'habileté ?
Les articles de la Revue Encyclopédique, de l'Encyclopédie nouvelle, et de la Revue des Deux-Mondes, et surtout les livres intitulés Réfutation de l'éclectisme, où se trouve exposée la vraie définition de la philosophie - De la mutilation d'un écrit posthume de Théodore Jouffroy ; - De l'Humanité, de son principe et de son avenir ; - Sept discours sur la situation actuelle de la société et de l'esprit humain ; - D'une religion nationale, ou du culte ; - Discours sur la situation actuelle de la société - De l'Humanité, solution pacifique du problème du prolétariat ; - Projet d'une constitution démocratique et sociale ; - Le carrosse de M. Aguado ou Si ce sont les riches qui payent les pauvres ; - De la Ploutocratie, ou du gouvernement des riches ; - Du christianisme et de ses origines démocratiques ; - De l'Egalité ; - Malthus et les économistes ou Y aura-t-il toujours des pauvres, et enfin les premières livraisons du poème philosophique La Grève de Samarez et la traduction du Livre de Job présenté sous la forme dramatique ; tous ces écrits, dis-je, ces travaux surhumains, ces ouvrages si divers et tendant tous au même but, auraient suffi sans doute à populariser dix écrivains, et je le répète, il ne leur a manqué véritablement qu'un seul mérite : celui de trouver des lecteurs. Quand on daigna lire Pierre Leroux, ce fut dans les livres où George Sand, aussi habile vulgarisateur que grand poète, s'était nourri de son esprit et inspiré de sa pensée ; dans Consuelo, dont on dit qu'il suggéra le plan à l'illustre écrivain, dans Spiridion, dans Le Péché de M. Antoine et dans Le Compagnon du tour de France. Mais ceci se passait à l'époque où l'on aimait encore les beaux romains composés et écrits comme des poèmes. Aux derniers jours de l'empire, quand la littérature de Clodoche et de la Comète eut décidément triomphé, le philosophe humanitaire n'eût pas eu beaucoup plus de chance d'être écouté sous la forme du roman que sous celle du discours, et s'il avait tenu absolument à faire exposer ses doctrines, il eût dû s'adresser pour cela aux auteurs de L'Oeil Crevé et du Petit Faust, c'est-à-dire aux seules gens qui avaient encore le privilège d'être écoutées, à un moment où il était de bon goût de mépriser le Dante aussi bien que Shakespeare !
Pierre Leroux d'ailleurs, s'il s'acharnait à chercher un remède à nos ennuis dissolvants et aux peines qui nous déchirent, ne s'obstinait pas à forcer l'attention et l'admiration de ses contemporains. Avec Proudhon qui si souvent l'attaqua d'une verte façon et ne lui ménagea pas la férule, il avait cela de commun que, comme lui, il fit vingt métiers pour vivre et pour faire vivre les siens, au lieu de se draper dans son orgueil et de se poser en prophète méconnu. Il savait les chiffres, les sciences mécaniques, la typographie, l'agriculture et, en vérité, on se demande ce qui lui manqua, si ce n'est cette légère dose de bêtise et de niaiserie prosaïque, sans laquelle nul ne saurait ici bas exercer aucune profession, pas même celle de poète. Reçu d'abord à l'Ecole polytechnique, où il ne peut entrer parce qu'il lui faut soutenir immédiatement sa mère restée veuve avec quatre enfants , nous le voyons tour à tour commis d'agent de change, apprenti chez un entrepreneur de bâtiments, où il sert les maçons, puis typographe, formant à ce métier qu'il vient d'adopter ses frères Achille, Jules et Charles Leroux, et enfin prote chez Panckourcke.
En 1821, il épouse une ouvrière aussi pauvre que lui (de ce mariage devaient naître cinq enfants) et recommence à travailler, à lutter. Il invente le piano-type, machine destinée à faire mouvoir mécaniquement à l'aide d'un clavier des caractères typographiques, puis trouve un procédé expéditif pour fondre les caractères, procédé qu'il ne put venir à bout d'appliquer, malgré l'aide que lui prêta généreusement M. de Luynes, car on sait qu'il n'est pas d'invention, si pratique et si simple qu'on puisse la supposer, qui ne commence par dévorer des fortunes !
C'est alors que M. Lachevardière, ami de Pierre Leroux, achète l'imprimerie Cellot, et fournit au philosophe des fonds qui lui permettent de fonder le journal Le Globe, où ses collaborateurs Guizot, Villement, Remusat, Cousin, Léon de Malleville, Duvergier de Hauranne, Duchâtel n'eurent pas de peine à faire prédominer la politique courante sur la philosophie et à paralyser les efforts de celui qui les avait groupées autour de lui. Mais la vie littéraire avait commencé pour Pierre Leroux : son affiliation à la doctrine saint-simonienne qu'il abandonna par les plus honorables scrupules de la morale dès qu'il en connût les secrètes promesses, le Catéchisme écrit avec Jean Reynaud, ses travaux à la Revue des Deux mondes, à la Revue Encyclopédique, à la Revue Indépendante, les journaux L'Eclaireur et La Revue sociale, fondés et imprimés par lui à Boussac, où il avait réalisé parmi les ouvriers typographes les bienfaits pratiques de l'association, sont des choses connues de tous. On sait qu'en 1848 Pierre Leroux arriva à l'Assemblée, porté par cent dix mille votes, en même temps que Louis Bonaparte et Proudhon. S'il n'obtint aucun succès devant ses collègues, qu'il voulait naïvement occuper d'améliorer le sort des classes pauvres, ce n'est pas seulement parce qu'il s'abandonna à une telle illusion, qui montrait la pureté de son âme ; c'est surtout parce qu'habitué à parler le français des maîtres comme à l'écrire, il ignorait la lourde phraséologie parlementaire, et parce qu'il n'aurait pas su répéter toutes les cinq minutes : dans cette enceinte, en donnant à ces mots absurdes la longueur d'un vers hexamètre !
Jeté à Jersey par le coup d'Etat, chef alors d'une famille composée de trente-deux personnes, Pierre Leroux, après avoir inauguré des cours de phrénologie, dont le produit ne suffisait pas à nourrir son monde, put enfin grâce à une souscription faite par Jean Reynaud, se livrer à la saine, à la fortifiante agriculture, à laquelle il appliqua sa science profonde et son esprit d'innovation. Il a vécu dix années à Samarez, près Saint Hélier, et c'est là qu'il a découvert, qu'il a reconstruit le Livre de Job, montrant dans son admirable traduction qu'en ce merveilleux poème est écrite la passion de l'Humanité elle-même. Là éclate et se manifeste le grand poète ayant la claire, la fulgurante vision de l'avenir ; mais aussi quel miracle que ce commentaire dont il a accompagné le poème et dans lequel il traite Renan de Turc à More ! On y trouve la lucidité, la verve, l'érudition sûre d'elle-même, la raillerie élégante et fine de Paul-Louis Courrier. Ceux qui ignorent que Pierre Leroux, avec son éloquence enflammée et lyrique, posséda l'esprit le plus agile, le plus moderne, je dirais le plus parisien, si j'étais sûr d'être compris, peuvent savoir à quoi s'en tenir là-dessus en lisant ce pamphlet net et brillant comme une gerbe d'étincelles ! Et qu'il méditent aussi cette phrase, écrite par le philosophe, à propos du Livre de Job : Sans doute ce qu'il y a dans ce livre, ce qui n'est dans aucun autre au même degré, c'est que l'Art y est adéquat à la philosophie, ne formant ensemble qu'un tout aussi vivant que la vie même. Mais la lumière, une lumière que je ne puis m'empêcher d'appeler divine, ruissèle partout et de partout.
Pierre Leroux n'est plus ; son œuvre va apparaître ce qu'elle est, sous la main de la Mort, qui déchire tous les voiles !"
Du coup, je me suis un peu intéressé à Banville à ce qui a pu cimenter ses accointances pour l'inventeur du mot "socialiste". Ce n'est pas facile à trouver car Banville est un parnassien, le contraire d'un poète militant, et le contraire d'un chrétien ou au moins le type même d'un non-chrétien, alors que Leroux plaçait ses convictions christiques (hérétiques et sulfureuses sous l'influence de Fabre d'Olivet, mais hautement spirituelles) au cœur de son combat. J'ai soupçonné que, peut-être, il y avait une clé du côté de cette phrase : "il posséda l'esprit le plus agile, le plus moderne, je dirais le plus parisien, si j'étais sûr d'être compris". La complicité entre ces deux personnages (aujourd'hui inhumés dans le même cimetière, celui de Montparnasse) tiendrait au fait que les deux étaient fleurs du même humus, cette monstrueuse capitale dont Leroux a parlé avec éloquence. Pourtant Banville est né à Moulins, loin de Paris, mais comme fils de militaire il n'a pas de racine géographique familiale et l'on pressent que son vrai terreau fut la capitale où il fit ses études.
Jacques Bainville en 1912 le qualifie de "gamin de Paris, virtuose du burlesque et de la cocasserie en rimes"... Un gavroche des vers, en somme, comme Leroux l'aurait été de la théologie politique... Anatole France dans Le Temps du 15 mars 1891 vit dans Banville "un personnage de fantaisie, échappé d'une fête à Venise, au temps de Tiepolo". Bainville ajoute qu'il "aimait surtout les beaux costumes et plus encore les déguisements" et qu' "il a vu le monde comme un bal paré". C'est curieux car cet aspect de sa personnalité. Il aurait d'ailleurs eu du mal à admirer les tenues de Leroux dont la vieille redingote faisait jaser la presse bourgeoise en 1848-49.
J'avoue qu'aux remarques aigres de Bainville sur son presqu'homonyme, je préfère l'hommage d'Anatole France dans Le Temps qui rend justice à toute l'élégance de Banville, élégance qui, me semble-t-il, transparaît à merveille dans son éloge de Leroux. Théodore de Banville, l'homme au violon rouge, l'homme à la lyre, comme le roi David. Il est beau de recevoir un hommage mortuaire d'un tel homme.
Outre Paris, Banville et Leroux avaient en commun cette expression que je trouve encore sous la plume d'Anatole France : "Fait d'une ignorance absolue des lois universelles, son optimisme était inaltérable et parfait. Pas un moment le goût amer de la vie et de la mort ne monta aux lèvres de ce gentil assembleur de paroles". Certes chez Leroux le tragique ressortait davantage du fait de la vie terrible que lui et les siens menèrent. Mais il partageait avec Banville une douceur de tempérament exceptionnelle qui faisait sa grandeur.
Au delà de ces deux points communs, je peine malgré tout, en lisant et relisant la note nécrologique d'Anatole France, à comprendre la raison profonde qui a pu pousser Banville, un homme pour qui le Beau "était un voile ingénieux à jeter sur la réalité, une housse, une nappe brillante pour couvrir le lit et la table de Cybèle" pour "toujours nuer, nacrer, iriser l'univers et porter sur la nature un regard féérique qui l'inondait d'azur et de rose tendre"... à aller rejoindre avec des termes justes dans son noir exil de Samarez le vieux Leroux, et non seulement lui, mais aussi l'ombre de ses infortunés partisans : Thoré, Dussoubs, Faure, Bac, Pauline Roland etc.
Il faut peut-être simplement prendre acte du fait, sans chercher à comprendre, que parfois de telles convergences se produisent. Cela fait partie du mystère des êtres. La rose appelle l'obscurité. Parce que la rose n'est peut-être pas si rose, ou l'obscurité si obscure. Banville n'était peut-être pas tout entier, pas seulement, ce sectateur des "Vénus vénitiennes" purement décoratives qui "ne savent pas un mot de mythologie", que ses contemporains croyaient connaître.
En tout cas il ne le fut pas, quand il écrivit sur Leroux.