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Le thaumaturge Francis Schlatter

31 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Spiritualités de l'amour

Je trouve dans un vieux numéro de la revue maçonnique L'Initiation, ici, à côté d'un texte intéressant de Marie-Dominique Massoni sur le rapport des surréalistes à l'hermétisme, un article de l'éditeur Philippe Dugerey sur le guérisseur américain Francis/François Schlatter (1856-1896). Le Youtubeur Huillam Daverec avec sa partialité maladroite habituelle en a parlé il y a 9 jours. Il se garde d'ailleurs d'évoquer le détail des conditions de la mort du thaumaturge comme le fait Dugerey. Il ne dit pas non plus que Schatter prétendait être le Christ et termine lamentablement sa vidéo sur une tentative de culpabiliser son public sur le thème "si vous n'avez pas les dons de Schlatter, c'est parce que vous manquez de foi" (thème assez classique chez les charismatiques qui fait peser un poids psychologique criminel sur les adeptes de ce mode de pensée).

Il est sans doute légitime de comparer ce guérisseur à Maître Philippe dont j'ai parlé ici, ou à Bruno Gröning évoqué ici. Il soignait avec des mouchoirs comme une guérisseuse (*) de Jurançon (Béarn) dans les années 1940 (et sans doute ailleurs).  Ses écrits ne sont pas "bibliques", par exemple quand il qualifie les Indiens chactas chez qui il a séjourné de "vrais chrétiens" (A true account p 22), mais bon chacun en conclura ce qu'il veut.

Bon, je profite du fait que nous sommes aujourd'hui le jour d'Halloween pour vous recommander de ne pas célébrer cette fête. Cette affiche des néo-templiers de Disneyland (que j'ai photographie en région parisienne le 17 octobre) avec une enfant transformée en Cruella perverse (qui joue sur le noir et blanc maçonnique), devrait suffire à vous détourner de ce culte néo-païen qui ne dit pas son nom.

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(*) Pour les historiens amateurs ou professionnels qui voudront un jour se pencher sur  les "médiumnités" en milieu rural ou péri-urbain au XXe siècle, je donne cette piste de la guérisseuse de Jurançon. D'après ma mère (née en 1934) elle s'appelait Mme Chermieux. Initialement Mme Arribarat (nom de son premier mari qui était dans la marine), mais était divorcée. Son deuxième mari M. Chermieux était originaire du nord de la France, et s'était mis à la pratique du magnétisme comme elle (imposition des mains, souffle dans un mouchoir). Ce mari était dans la marine et, elle avait eu un fils et deux filles dont Colette, née en 1939 à Saïgon, morte le 25 janvier 2019 à Bizanos, que j'ai connue quand elle était vendeuse chez Printal à Pau (rue maréchal Foch - une dame qui a eu ensuite quelques problèmes d'alcoolisme). Ils avaient 

Ils étaient locataires au rez-de-chaussée de cette maison (à l'étage était M. Molinari, employé chez Rota), rue de la République. Elle avait fait un rituel sur la photo de ma mère pour son certificat d’études, et avait fait brûler des édredons à ma grand mère.

 

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La solitaire des rochers

26 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

On trouve dans une bibliographie générale de 1856 "La solitaire des rochers ou correspondance de Jeanne-Marguerite de Montmorency avec le RP Luc de Bray son directeur 3e édition" en deux volume, publié chez de Périsse avec des notes de l'abbé Dabert, vicaire général de Viviers. Le Tome 1 du livre est accessible ici.

Bernard Duhoureau dans "Guide des Pyrénées mystérieuses" (1985 eds Sand) se fit l'écho des doutes d'Eugenio d'Ors dans Du Baroque (Gallimard 1968) sur l'authenticité de ces lettres diffusées dans l'entourage de Mme de Maintenon, épouse secrète de Louis XIV, et publiées bien plus tard en 1787, relève cependant que des détails de cette correspondance montrent qu'elle était vraiment écrite dans les Pyrénées. Selon un biographe anonyme (peut-être le dominicain janséniste Nicolson), il s'agirait de Jeanne-Marguerite de Montmorency, car cette grande famille avait bien perdu une enfant de ce nom en 1661, qui avait 15 ou 16 ans. C'est son confesseur, cordelier curé de la Trinité à Rochefort près de Versailles (décédé en 1699), qui lui recommanda cette retraite à la manière de Marie l'Egyptienne dans les Pyrénées, après que, dans un premier temps, l'adolescente eût seulement songé à se perdre dans le menu peuple à Paris puis chez un menuisier à Auxerre dont elle apprit l'art. De Bray lui imposait de lui écrire tous les trois mois.

Les lettres originales sont perdues. En 1998 un certain Noël Gardon dans le Bulletin de La Diana (Loire) précise que l'ermitage de cette femme ne pouvait être dans le Forez car il y est question d'ours (elle même portait un écureuil sur son épaule)  et d'une grotte souterraine grande comme une cathédrale, ce qui oriente vers les Pyrénées.

"Dans sa quinzième lettre commencée le 29 novembre 1697 et terminée le 6 avril 1698, elle explique que son désert est charmant, avec des fleurs en tous temps, beaucoup de fruits sauvages du chèvre-feuille toujours fleuri. Il n'y a pas de bêtes féroces, seulement d'énormes serpents qui ne lui disent rien mais qui éloignent les habitants du pays. C'est dans cette lettre qu'elle demande la permission d'aller faire un pélerinage à Notre-Dame-de-Mont-Serrat. Dans la lettre suivante elle raconte son voyage à Mont-Serrat qui, d'après son récit, se trouve à trois jours de marche de son second ermitage. "  Elle précise qu'elle n'est alors plus en France. C'est donc en Espagne. D'après l'auteur, en novembre 1697 elle pourrait être à Saint Chignian dans l'Hérault. Ils e peut que dans sa vie elle ait erré entre l'Aude et l'Ariège.

Bernard Duhoureau rappelle que les ascèses dans les Pyrénées sont fréquentes. Mlle de Montpensier et Mme de Longueville hébergées au château de Beaucens dans la vallée d'Argelès avaient conçu le projet de faire de même, avant de se raviser.

L'histoire de la jeune fille a quelque rapport avec celle de l'affrontement Fénelon/Bossuet dont on a parlé ici en 2019.

Le RP jésuite moderniste provençal Henri Brémond (mort en Béarn en 1933) s'était penché sur cette dimension dans Le Correspondant de 1910. Brémond est tenté de ne voir dans l'affaire de la Solitaire des Rochers qu'une supercherie du confesseur, mais se retient d'aller jusque là du fait que l'historien du jansénisme, Augustin Gazier (1844-1922) croyait à son authenticité (selon un article de l'Univers du 25 janvier 1904, article signé par l'abbé Delpode Gazier l'appelait Jeanne-Marguerite de Caylus et la possibilité qu'elle soit une "de Caylus" figure ici aussi, MMe de Caylus était une proche de Mme de Maintenon).

Il est plein d'ironie à l'endroit de l'ascète et écrit : "Des centaines de saints et de saintes sont allés beaucoup plus loin sur la route du renoncement. La solitaire tourne indéfiniment sa crécelle à chaque fois qu'elle va prendre la discipline. Quand il lui prend fantaisie de jeûner, Versailles est avertie de ce prodigieux événement. Les vrais saints font moins de fracas". Il doute de certains de ses témoignages comme celui-ci : "Il y a beaucoup de neige dans ce pays-ci; mais afin qu'on ne connût point mes pas, j'avais attaché par-dessous les semelles, à une méchante paire de souliers, des écorces d'arbres faites en forme de pied de biche, en sorte qu'il est impossible de connaître qui y avait passé."

Il est aussi sceptique devant ce genre de récit "Je me suis ressouvenue d'avoir vu, un dimanche, un cheval mort; j'en fus chercher la tête et la moitié du cou; je fis une fosse dans le sable, je me mis dedans de tout mon long et j'attirai sur moi cette carcasse qui ne sentait pas trop bon. "

Il trouve l'anecdote contradictoire avec le fait qu'elle écrive un peu plus loin : " Je n'ai pu, un jour, communier, ayant été obligée de boire la nuit, tant j'avais la poitrine échauffée, en partie, par la chaleur des chèvres qui ont une vilaine odeur qui affadit le coeur, et deux autres fois je ne pus prendre la discipline, parce que ces animaux se mirent tellement à crier, que cette femme crut que je les battais ou que je voulais les têter." Le RP Brémond observe que c'est bien la première fois qu'un "saint" peut refuser la communion à cause des odeurs de chèvres.

Fénelon, accusé de quiétisme, rappelle-t-il, avait avec lui les Jésuites (qui pourtant avaient condamné le quiétisme de Molinos), et contre lui non seulement Bossuet, mais aussi les jansénistes. Or les lettres de la sainte comprennent des "éléments de langage" empruntés au jansénisme. Par exemple lorsqu'elle déplore que le roi n'ait pas de bon conseiller spirituel (une attaque contre le Père La Chaise), ou critique le RP Guilloré (un adversaire de son confesseur). Le confesseur provoque à dessein et en des termes grossiers dès sa deuxième lettre de 1693 des prises de position de la sainte sur le quiétisme : "Demandez à Dieu, je vous prie, s'il est glorifié d'une dévotion qu'on appelle intérieure, sans agir ni prier" (ce qui caricature le quiétisme). Il l'informe aussi des "choses infinies mais bien abominables de Mme Guyon". A quoi la sainte répond l'année suivante : "Je prie le Seigneur que les évêques et les savants puissent connaître jusqu'où peut aller toute la malice et la contagion du quiétisme, afin qu'ils y remédient. Il est temps que le Seigneur y mette la main". Les critiques des positions quiétistes se font de plus en plus dogmatiques sous la plume de la gyrovague, et le RP Brémond qui les prête sans hésiter à De Bray  ou à quelque autre scribe de son clan, les trouve aussi vulgaires que les fantasmes sexuels (notamment saphiques)  que la sainte est censée avoir au contact du démon.

Tout cela sent le mauvais roman, estime l'auteur jésuite, même s'il y a peut-être eu réellement au départ une jeune ascète et quelques lettres d'elle (recopiées plusieurs fois et modifiées). Mme de Maintenon, crédule (qui aurait d'ailleurs hérité d'un crucifix sculpté par la sainte après la mort du RP De Bray, avant qu'il ne devînt propriété des Dames du Sacré Coeur d'Amiens), s'y sera laissée tromper, pour le plus grand profit des adversaires de Fénelon.

Avant Brémond, le jésuite belge François-Xavier de Feller (1735-1802) dans son Dictionnaire Historique de 1818-20 avait présenté l'éditeur des lettres de 1787 comme un "des plus fanatiques saltimbanques de Saint-Médard" et citait la phrase de l'abbé Bérault selon laquelle pour les jansénistes "c'eût été effectivement un beau sujet de triomphe qu'une jeune Montmorency, qui se dérobe  toutes les grandeurs du siècle, et va s'enterrer dans un désert inconnu, pour s'y faire janséniste. Mais qui serait assez dépourvu de bon sens pour croire à cette chimère ?" Cependant il estimait qu'on peut trier le bon grain de l'ivraie et trouver dans ses lettres le témoignage d'une réelle pureté de coeur de la Montmorency pénitente, ce que soulignaient aussi les revues catholiques des années 1840. L'article de Brémond en tout cas convainquit le spécialiste de Rousseau Pierre-Maurice Masson (1879-1916).

L'histoire souligne à nouveau le problème de  l'intermediation entre le/la mystique et son confesseur pour savoir ce qu'il se passait vraiment...

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Les OVNIs et la Sainte-Baume

25 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Spiritualités de l'amour, #Médiums, #Sainte-Baume

Le 1er juin 2014, je reçus un mail d'une adepte provençale du New Age, initiée à la Sainte Baume à la fin du carême 2012, dont je parle dans mon livre sur les médiums qui reflète le mix typique du New Age entre OVNIs-énergies (démons d'un point de vue chrétien) et "synchronicités" :

"Le jour où je suis montée à la Sainte-Baume pour bénir les quarts avec le médium Orion, le 16 mai (deux semaines après y être allée avec toi), il a eu des théories que je comprenais mieux sur les dits "extra-terrestres". En fait ces manifestations remarquées par différentes personnes représenteraient bien des phénomènes qui nous échappent encore mais qui prennent du sens lorsque nous poussons à fond les explications avec les énergies, ... Tout serait lié. Mais il a une sacrée avance sur moi. Les flashs qu'il a en parlant avec les personnes m'ont laissée sans voix et je dois voir pour croire.

Il s'avère que le hasard a voulu que mes parents, si éloignés de tout cela (ma mère me demandant même de ne rien dire à mon père sur tous ces nombres que je vois sans cesse) voient dans le ciel un point lumineux qui a disparu en très peu de temps. Il ont trouvé cela curieux. Il ont tout de même pris une photo. Orion m'a dit qu'il y a beaucoup de manifestations de ce style non expliquées, on ne sait pas d'où cela vient, du côté Sainte-Baume, là entre autres où j'habite. Une photo a été faite quelques jours plus tard du côté d'Aix-en-Provence. A la même période, mon père souffrant d'hémorroïdes et les médicaments des médecins n'y faisant rien, j'ai essayé avec mes pierres. Au pire je pensais que les quartz ne feraient rien. Quand ils les a eus dans les mains, il les a rejetés car les douleurs ont augmentées. La personne à qui j'avais pris l'améthyste il y a quelques années (femme de compagnons), infirmière et passionnée de lithothérapie, me disait que le quartz était relié au chakra couronne. Or mon père refuse totalement tout ce que j'ai vécu jusqu'à présent. Il le rejette. De la même manière il a rejeté les quartz qui ont eu un impact sur lui.

J'ai connu Orion car il a attiré mon attention. Il voyait beaucoup 3h33, le chiffre 3...
Après notre passage à Sainte-Baume, alors que cela faisait quelque temps que je remarquais souvent le 44 (les chiffres arrivent par période, c'est un peu comme si l'univers conversait avec moi de cette manière mais j'ai du mal encore à comprendre le code...) il m'a appris que le projet dont il m'avait parlé (boutique éso) se trouvait à Nantes. Le code postal est 44. J'ai eu le sentiment que cela le concernait. Puis dans les autres séries de nombres j'ai commencé à remarquer plus précisément les heures miroirs doubles comme 14h14, 16h16, 18h18. Orion me dit au même moment sans que je lui aie parlé de quoi que ce soit, que son copain remarque en ce moment les heures miroirs et la dernière était 17h17. encore un point commun qui me rapproche une fois de plus d'Orion. (d'ailleurs peut-être ma première commande de stylisme car il souhaite des tenues adaptées à ce qu'il proposera à ses clients, ils vont probablement partir sur Nantes car ils ont trouvé, son copain et lui, une belle boutique d'ésotérisme à reprendre). Et voici le message qu'il m'envoie ce soir: "Coucou Delphiane, merci pour ton message, je fais un court passage sur Facebook - c'est de la folie en ce moment, nous sommes partis avec mon copain jeudi, on a visité Narbonne (plus joli que je pensais) la Cité médiévale de Carcassonne (gros piège à touristes) puis descendu dans la région des cathares, nous avons dormi à Rennes les Bains, cette région est très fort énergétiquement parlant, l'hôtel choisi par hasard à la dernière minute était au 22 puis nous avons été à Bugarach ! à 11h11 nous arrivons sur le Mont et ensuite on voit deux voitures stationnés du 44 (Nantes) je ressens la présence des énergies qui m'appellent et extraterrestres puis nous nous rendons à Rennes le château (tu connais l'histoire de l'Abbé Saunière peut être) et bien Marie Madeleine s'est rendu ici il y a 2000 ans !! waouh! j'ai eu pleins de numéros 22, 11, 33 ... pleins de messages et de signes - j'ai aperçu une soucoupe - tout cela est lié ! on a visité un village, Alet les Bains (source thermale) puis monter pour voir une église avec une pierre druidique ... je fais court car il y a tellement à raconter, on a vraiment été guidé pour ce lieu, je pense y retourner .... toute cette région ... puis nous avons été en Espagne, visité Figueres, le musée Dali, Girona (Gérone) et là encore pleins de messages ... nous sommes rentrés ce matin vers 2H30 du matin, nous sommes arrivés au panneau Aix en Provence à 2H22 ... "

Sur cet Orion elle disait aussi un autre jour "Il est du chemin de vie 7, comme toi, et moi aussi, et nous avons été vers les mêmes choses. Il capte les mêmes énergies. C'est lui qui m'a parlé de la légende qui dit que Marie-Madeleine était portée 7 fois (encore ce 7) par jour par les anges au-dessus de la grotte où se trouve un vortex d'énergie."

Voilà un univers très éloigné du mien désormais... Et tant mieux... Delphiane, femme au foyer en projet de reconversion se disait "sorcière" et "parfaite gueisha" tout en menant une vie de couple à élever ses trois enfants. On notera comment, dans une ambiance de pensée New Age, n'importe point lumineux dans le ciel devient un OVNI pourvu que ce soit encadré par des "synchronicités" et des "heures miroirs". Cela sent la "trame", comme on dit dans le tantrisme, qui prend au piège d'un sorte de toile d'araignée. La cible de l'oiseleur est tirée vers le bas, toujours à la recherche d'un "envers mystérieux" de sa vie, d'énigmes à résoudre qui l'éloigneront de la spontanéité de ses sentiments (sous couvert d'un "amour énergétique" universel et abstrait) et de son sens de la responsabilité à l'égard de son entourage et du monde (puisqu'il ne s'agit plus que de "suivre les guides").

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Sainte Catherine de Ricci et le souvenir de Savonarole

19 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète

Catherine de Ricci (1522-1590) est une enfant de banquier florentin. En 1535 (à 12 ans) elle intègre le couvent de Saint-Vincent fondé en 1505 par de neuf filles spirituelles (de bonne famille) du prédicateur et réformateur républicain Savonarole mort en 1898 qui avait prophétisé cette sainte action (tout comme il avait prophétisé la destruction du monastère voisin infidèle de Sainte Catherine qui fut pillé par la soldatesque quand Charles Quint rendit Venise aux Médicis).  Le P. Bayonne fait un portrait touchant de ces nobles moniales et de leur piété, en reprenant le témoignage de Serafino Razzi qui fut confesseur à Saint-Vincent en 1591, un an après la mort de Ste Catherine de Ricci, et sexagénaire, fut très scrupuleux dans sa façon de recueillir les témoignage des anciennes.

Catherine de Ricci d'une nature très délicate, et par ailleurs très sujette aux évanouissements qui étaient en réalité des extases, fut assez isolée au début dans ce monastère.

Au mois de mars de l’année 1538, à l’âge de seize ans, elle fut tout à coup "assaillie par une maladie des plus graves et des plus singulières par ses complications. C’était à la fois une affreuse hydropisie qui envahissait tout son corps, les douleurs delà pierre qui lui déchiraient les reins, un asthme des plus violents, qui semblait à chaque instant lui refuser le souffle nécessaire à la vie, et enfin une fièvre ardente et continue. Une seule de ces maladies, avec son degré d’intensité, eût suffi pour la condamner à de cruelles souffrances et la conduire en peu de temps aux portes de la mort."

Ce supplice lui fut infligé sans interruption, sans le moindre relâche, pendant deux années consécutives. "Les médecins, que le caractère inouï du mal avait déconcertés dès le premier jour, le furent bien davantage, quand, en dépit de tous leurs efforts combinés, il se montra obstinément rebelle à tous leurs remèdes"

Après avoir invoqué divers saints pour elle, les nonnes font un voeu à Jérôme Savonarole à l'anniversaire de sa mort sur le bûcher. Ses cendres avaient été versées dans l'Arno sur ordre du pape, mais les religieuses en avaient conservé un peu, ainsi que des objets qui lui avaient appartenu. "Elles récitaient des prières devant ces reliques bénies, honoraient ses images , l’invoquaient avec confiance, et tous les ans célébraient le jour de sa mort comme la fête de sa nativité dans le ciel."

Sainte Catherine s'associe au voeu de ses soeurs pour obtenir sa guérison avant sa fête, qui était dans trois jours.

"Le 23 mai, veille du dernier jour, qui, cette année, était la veille de la Sainte-Trinité, elle avait demandé de demeurer seule dans sa cellule, afin dé prier ses saints avec plus de ferveur. Voilà que vers les quatre heures du matin , s’étant approchée du petit autel où se trouvaient leurs reliques, épuisée de fatigue, elle y appuya ses bras et sa tête, et s’endormit. « Alors, dit la chronique du couvent, trois frères, revêtus de l’habit de Saint-Dominique, lui apparurent environnés d’une grande splendeur, et celui qui était au milieu paraissait porté dans un nuage éclatant. Sœur Catherine, s’adressant à  celui-ci, lui dit : « Qui êtes-vous ? — Quoi, lui répondit le Frère, est-ce que tu ne me connais pas?  — Non, Père, dit Catherine, je ne vous connais « pas ! — Mais à qui demandes-tu ta guérison? répliqua-t-il. — Au frère Jérôme, répondit-elle « aussitôt.—Eh bien! c’est moi qui suis frère Jérôme et je viens te guérir. Mais avant promets-moi « d’obéir toujours fidèlement à tes supérieures et à ton confesseur, et puis d’aller te confesser ce matin pour faire la communion. Là-dessus, il fait un grand signe de croix sur elle, et elle se trouva parfaitement guérie. Effrayée d’abord d’une si subite et si grande transformation, sa frayeur disparut bientôt pour faire place à une immense allégresse et une vive reconnaissance envers Dieu . » Ce prodige est resté comme un des plus mémorables événements du monastère, à cause de la gloire du bienheureux Jérôme et de ses compagnons qu’il consacre d’une manière si éclatante. Il eut aussi pour résultat immédiat de modifier sensiblement l’attitude des sœurs vis-à-vis de notre sainte. La vertu héroïque qu’elle avait déployée dans cette longue maladie, et la protection merveilleuse du Ciel dont elle venait d’être l’objet, ne leur permettaient plus de la juger aussi défavorablement. Elles commencèrent à concevoir des doutes sur la nature de ses évanouissements et de ses sommeils, et à se dire que derrière ces apparences vulgaires pourraient bien se cacher des réalités d’un ordre supérieur."

A la Noël 1540 (elle a 18 ans) Savonarole lui apparaît encore amenant avec lui la Vierge Marie portant l'enfant Jésus. Les reliques de Savonarole produisirent encore d'autres miracles notamment en janvier 1541 en soignant une religieuse. Catherine avait aussi des visions de St Thomas d'Aquin, de Saint-Vincent-Ferrier (grandes figures de l'ordre dominicain).

Pour le deuxième anniversaire de sa guérison la nuit précédant le 23 mai 1542 elle a à nouveau une apparition de Savornarole qui l'amène à Jésus avec toutes les soeurs du couvent. Je passe ici les passages sur l'union mystique de Sainte Catherine à Jésus, ses stigmates etc.

"Le tribunal du Merveilleux" de Yvonne Chauffin et Marc Oraison, livre d'inspiration catholique mais enclin à rationaliser, dans les années 1970, les excès des mouvements charismatiques relativise un peu les témoignages des moniales dans monastères, à propos de la congrégation récente de soeur Yvonne-Aimée de Malestroit, ce qui vaut aussi sans doute pour les témoignages recueillis par Serafino Razzi. Et il faut prendre en compte aussi ce que disait le psychologue Boris Cyrulnik il y a 5 ans dans une conférence ici de la complexité du phénomène des extases.

Cependant on ne peut pousser le scepticisme jusqu'à penser qu'il ne se passait "rien" au couvent de Saint-Vincent, et ce qui est intéressant c'est que ces prodiges émanaient d'une figure dont le pape refusait de reconnaître la sainteté (à la différence par exemple de Philippe de Néri) à cause de son engagement supposé avoir été trop loin dans le sens de l'égalitarisme démocratique (et de l'anticapitalisme, si l'on veut utiliser un vocabulaire plus actuel). On a vu dans mon livre sur Lacordaire que les débats sur Savonarole ont pris une nouvelle tournure au XIXe siècle quand s'est posée la question d'un catholicisme républicain (le P. Bayonne y fait référence au début de son livre). L'Eglise a essayé de dire, tout en canonisant Catherine de Ricci, que celle-ci n'était liée qu'à l'enseignement moral de Savonarole (qui avait réalisé des exploits pour la réforme des moeurs et de la pratique religieuse de la bourgeoisie et du prolétariat florentins) et non à son engagement politique, mais séparer action politique et oeuvre morale chez ce prédicateur est assez arbitraire. Et, du coup, il y a là matière à interrogation sur ce que cette histoire dit de la mission politique du christianisme dans la société.

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Le chapeau de Liane de Pougy

18 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Otium cum dignitate

Lu dans Gil Blas du 3 mai 1910 à propos d'un personnage qu'on a découvert il y a peu.

Le petit "béquin" et le petit prince de Mme LIANE DE POUGY devant le juge de paix de Saint Germain

C'est un petit, tout petit chapeau, un tout petit « béguin », mais il est déjà grand dans l'histoire.

Simple tulipe en paille noire à la corolle épointée et bordée d'un ruban de dentelle blanche, il occupe depuis de longs jours l'attention du monde.

Mme Liane de Pougy le portait le lundi de Pâques dans les rues de St-Germain, où elle villégiature souvent, et le petit chapeau eut le. malheur de déplaire à un groupe d'autochtones: Deux femmes s'en moquèrent, et leurs maris eurent Ia faiblesse de les approuver. Alors le petit prince Ghika, chevalier servant de dame Liane, rappela les rieurs au respect que l'on doit à tout petit chapeau lorsqu'une jolie femme le porte.

En guise de réponse, l'un des maris, irascible le gifla. Puis, comme, les oreilles rouges, le petit prince levait le bras dans un geste de parade, le mari exaspéré, lui lança un vigoureux coup de poing sur les mâchoires et enfin, de plus en plus convaincu qu'il combattait pour la logique et la morale, étendit le bras une deuxième fois et te prince chancela. Entre temps, tel un guerrier grec pour s'exciter au courage, M. Martet, car c'était lui, invectivait le prince, La princesse Liane et jusqu'à leur compagne de promenade et amie, Mme d'Arvilly !

Attroupement La police accourt. Tout Je monde va au commissariat Le prince Ghika et Mme Liane de Pougy déposent une plainte, et Le petit chapeau, victime muette mais séduisante, vient demander justice.

* *

Le juge de paix de Saint-Germain, il y a quinze jours, s'offrit déjà à le venger. Mais les avocats qui le défendent voulurent des assignations en règle et rendez-vous fut pris alors pour hier après-midi.

a Tout le monde y fut exact. La rue, d'ordinaire si paisible, où se trouve l'entrée du prétoire, avait pris un aspect d'émeute. Les indigènes y criaient et sifflaient. Toutes les fenêtres encadraient trois, quatre, cinq curieux penchés vers la chaussée, prêts à tomber s'il le fallait. Le service d'ordre était débordé, c'était émouvant et splendide. Enfin, une automobile apparut. Sur le siège, près du mécanicien, un carton blanc : c'était le petit chapeau 1 On le descendit avec précaution. Mme de Pougy le suivit, accompagné du prince Ghika, de Mme d'Arvilly et de deux membres du barreau parisien, Me Bonzon et Périnne.

On s'empila dans l'étroite salle et les débats commencèrent.

* *

Le premier, le prince fut invité à refaire le récit de l'agression. Il s'avança pâle, livide. Sur un front d'ivoire les ondulations noires de ses longs cheveux rejetés en arrière lui donnaient un visage de fillette, de fillette bien ennuyée de se trouver là. Le souvenir de ces scènes violences l'affecte encore.

Après lui, Mme Liane de Pougy parla :

- Et puis M. Martet m'a donné des noms d'oiseau.

— Quel oiseau ? questionne, imposant, le juge de paix, M. Quesnel, transformé en président de tribunal de simple police.

— Un oiseau avec de grandes pattes,

— Une grue ?

— Oui, avoue Mme de Pougy, dans un souffle.

— Très bien, très bien, et après ?

Après ? mais, M. Martet a proféré dans la rue à l'adresse de la plaignante des injures graves et Ie prince a été victime de coups et violences ayant causé des blessures assez sérieuses.

 Les témoins l'affirment. Mme Journet, pâtissière devant le magasin de qui se passait la scène, sa jeune employée, de simples passants, tout le monde a vu la colère terrible de M. Martet -

Aussi, son avocat, Me Morel, n'essaie-t-il pas de discuter les faits, mais, pour donner à son client au moins l'attitude du courage, il cherche à représenter le prince Ghika, si petit, si pâle, si frêle, comme un matador dangereux. Et deux témoins cités par Me Morel viennent raconter une histoire vieille d'un an !

— Oui,, un jour sur la terrasse de Saint-Germain, le fox-terrier d'un officier de cuirassiers, au lieu de courir le museau aux fers du pur sang que montait son maître, alla faire un crochet sur le gazon et mordre, au passage, la levrette de Mme de Pougy. Le prince Ghika, toujours généreux, alla au secours de la petite chienne et, croyant ; les témoins propriétaires du fox, proféra à leur : égard des menaces de mort.

Quand les clercs de notaire, domiciliés dans le vertueux Saint-Germain, ont terminé leurs dépositions, le président fait placer entre eux le prince sanguinaire. Il apparaît doux, timide et grêle : comme devait être la levrette en face du fox-terrier,et les témoins ont l'air de bulls trapus et querelleurs. La cause est entendue.

*

Le président va juger quand Me Bonzon et Me Perinne, les avocats du prince Ghika el de Mme dé Pougy, le prient de se déclarer incompétent !

Comment ! lui qui avec tant de bonne humeur, d'esprit et de parfaite courtoisie a dirigé tes débats, il n'aura pas la joie de prononcer le jugement définitif ? Le coup est dur. L'excellent magistrat va s'enfermer dans la pièce voisine pour réfléchir. Il est six heures.

Des groupes sympathiques et animés se forment.

Les habitants de Saint-Germain qui, au cours des débats, ont souvent, par la voix des témoins ou les murmures dont ils soulignaient certaines dépositions, réclamé la qualité de « provinciaux », entourent le brave M. Martet, défenseur des modes assagies et de la morale des foyers réguliers aux joies chastes.

Ceux qui sont sensibles à la beauté, au charme et à la grâce s'empressent auprès de Mme Liane de Pougy.

Souriante et alanguie, un peu fatiguée peut-être par les émotions de cette journée, elle a besoin de s'épancher.

Elle glisse aux confidences :

— Certainement, elle va se marier, elle épousera le prince.

— A Saint-Ferdinand des Ternes, dans un mois, à une heure du matin,précise aimablement Mme d'Arvilly. La robe est déjà commandée l

— N'est-ce pas prince ?

Mais le prince est de plus en plus pâle. Ce procès le préoccupe. Ses parents, là-bas, en Roumanie, J'apprendront ; ils lui couperont tes vivres.

- Pauvre petit. Comment va-t-il faire ?

- Liane a cent mille francs de rente, explique Mme d'Arvilly.

Sur cette phrase (un quiproquo et non urne réponse), le pauvre président rentre. Il est résigné.

Il regarde cette belle salle qu'il ne retrouvera pas, les agents qui con-tiennent la foule, les jolies femmes, les modistes accourues de Paris, il regarde Mme Liane de Pougy, il regarde le petit chapeau, et enfin, d'une voix navrée, consomme le sacrifice : il se déclare incompétent !

Le petit chapeau va partir pour Versailles, la ville du grand roi, pour plaider en correctionnelle.

Je me suis procuré son "Mes Cahiers bleus". Le 17 décembre 1919, Liane de Pougy raconte les comment cela s'est passé. Le lundi de Pâques vers 4 heures, ayant fait le tour des Antiquaires avec son mari et une femme qu'elle appelle La Gigolette, elle s'en va prendre un chocolat chez Jousset, 18 rue au Pain.  

"Je portains un petit chapeau noir garni de grosse dentelle blanche, très simple, à la mode d'aujourd'hui, mais cela se passait en 1910, époque des derniers tromblons, des larges bords, etc. Nius croisons eux grosses bourgeoises empanachées d'autruche qui me désignent, éclatent de rire et disent à haute voix : "Oh, ce chapeau ! - C'est Liane de Pougy, une grue de Paris." Grue désignait les prostituées mondaines à l'époque.

Le prince Georges les dévisage et leur dit : "On devrait se regarder dans la glace avant de se moquer des autres !". Les deux maris suivaient, le "père Martet lui assène un coup de poing dans le menton. Georges qui a deux "salières ravissantes de la Compagnie des Indes" dans une main et "deux jolies miniatures Directoire" dans l'autre ne peut se défendre. On appelle un agent. Un procès verbal est dressé au poste. Le père Martet habitué à boire était éméché.

Liane de Pougy ne mentionne pas la procédure à Versailles mais insiste sur le fait que cet incident dont une presse malveillante s'accapara eut le mérite de hâter son mariage. "Au fond cette Liane tant décriée, vilipendée, prise à partie, avait en elle tout ce qu'il fallait pour faire une bonne épouse, mérite que je veux d'ailleurs partager avec mon petit compagnon si calomnié également".

Contrairement à ce qu'en disaient Jean Dutourd et son préfacier dominicain, je pense que la plus grande partie du journal de Mme de Pougy est bon pour le bûcher des vanités - le récit de ses dîners avec Cocteau, ses savantes démonstrations, contre Ramon Gomez de Serna, sur la sensibilité des seins des femmes etc. Rien de très édifiant dans tout cela.

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La conversion de Liane de Pougy

14 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Sainte-Baume, #Christianisme, #Anthropologie du corps

Feu l'académicien Jean Dutourd, dans "La Chose Ecrite" (2009, p. 137) sous le titre "Marie Madeleine" nous décrit Liane de Pougy (Anne-Marie Chassaigne) qu'il resitue dans l'histoire des grandes courtisanes françaises dont il cite le nom et dans le contexte sociologique de celles des années 1900, qu'il cite aussi (Emilienne d'Alençon, Lina Cavalieri, la Belle Otero, Cléo de Mérode, les trois dernières n'étaient pas françaises, ce qui fit de Liane une gloire nationale) et dont il précise que son père, chirurgien parisien au début du siècle les avait aperçues chez Maxim's dans leur armure de "cuirassiers du plaisir" selon le mot de Cocteau qui les avait connues. En 1910, à 41 ans, elle avait abandonné sa fonction de cocotte, un an plus tard elle commence à écrire ses Cahiers bleus, un journal (dont Dutourd compare le style à celui de Morand), qu'elle allait léguer au père dominicain de la Sainte-Baume Rzewuski, ancien illustrateur de mode converti sous l'influence de Maritain en 1926, ami d'André Chouraqi etc.

Dans son "Nos Belles Mondaines" en 1895 le journaliste Gaston Bonnefont nous la dépeint à 26 ans dans son environnement ordinaire fait de luxe et de volupté. Le préfacier de ses Cahiers bleus allait décrire l'intérieur de son âme différemment comme "maladivement sensible et susceptible. Prompte à céder à des engouements et aux amitiés, elle l'est aussi pour qu'un rien puisse en causer la rupture".

Quarante-huit ans (en 1943) plus tard cette fille d'un capitaine des lanciers en retraite deviendra dominicaine tertiaire.

L'itinéraire de sa conversion dans les années 20 se nourrit de celui d'un autre bisexuel mondain devenu mystique, le poète Max Jacob, exilé au monastère vide de Saint-Benoît-sur-Loire, pour qui elle tricote des chaussettes et écharpes rouges. "Pourquoi ne deviendriez-vous pas une sainte ? Vous en avez l'étoffe", lui avait-il écrit. Jean Chalon qui a été le préfacier de leur correspondance (et l'auteur de biographies de femmes illustres) juge que "Max Jacob rencontra en sa princesse une pénitente de choix" et fut comme son directeur de conscience, ce qui est sans doute un peu exagéré.

A vrai dire dans le début de ses Cahiers bleus, en 1919 c'est plutôt elle qui se sent plus catholique que lui, car elle lui reproche d'avoir écrit dans "La Défense de Tartuffe" qu'il a eue une "sacrée apparition" de Jésus au lieu d'une "apparition sacrée".

Il semble que son mari Georges Ghika (1884-1945), prince roumain, fils d'ambassadeur, ait joué un rôle dans le cheminement chrétien de sa femme, comme de Max Jacob, ce dernier écrivant en août 1921 : "Georges m'a aidé dans ma marche vers la perfection en me donnant l'exemple des vertus chrétiennes, de l'éducation chrétienne, de l'esprit raffiné chrétien, de la réserve, de la dignité, de l'excessive modestie qui sont le christianisme même. Il est un Seigneur chrétien de l'histoire".

Les rapports avec Max Jacob furent en dent de scie comme avec tous ses amis avec qui elle rompait facilement pour se réconcilier avec eux tout aussi vite.

Le dominicain Alex-Ceslas Rzewuski, lui, avait rencontré Liane vers 1924 chez Mme Ganna Walska, chanteuse d'opéra américaine d'origine polonaise, épouse du magnat Mc Cormick.

Il raconte en ces termes ses premières impressions sur le couple Ghika :

"On se mit à table. Je fus placé à la gauche de la maîtresse de maison dont la place d'honneur, à sa droite, fut occupée par une curieux personnage qui attira mon attention. Petit, le teint basané, je le pris pour quelque Américain du Sud, bien que son élégance ne manquât point d'une certaine distinction tout en gardant un léger caractère inquiétant.

Ma voisine de gauche était une ravissante personne. Très élégante, elle était vêtue d'un strict tailleur gris perle, de coupe classique et anglaise. On l'aurait facilement prise pour une lady arrivée d'outre-Manche si son joli chapeau, du même ton que son costume, ne lui avait apporté quelque chose de raffiné et très parisien.

Pouvait-on lui donner un âge ? Difficilement ; mais, malgré la souplesse de sa silhouette la parfaite beauté de ses traits, il me semblait qu'elle n'était plus d'une première jeunesse. Peut-être, me disais-je, avait-elle entre cinquante-cinq et soixante ans. S'il en était ainsi, elle les portait fort allègrement bien. Son parfait profil d'un antique camée, la beauté de son regard et le charme de son sourire n'avaient encore subi aucun des outrages du temps; Oui, ce sourire ! Il était certes bien joli et pourtant, sans atténuer la discrétion de l'ensemble de sa personne dont émanait une réelle distinction, il y avait en lui quelque chose d'indéfinissable, d'indéniablement équivoque, aux limites du "canaille".

L'échange aimable de banalités qui permet de découvrir l'identité d'une personne que l'on ne connaît pas et avec qui on voudra s'entretenir tout le long d'un grand repas me fit comprendre - car elle me parla aussitôt du voisin de droite de Ganna Walska comme de son mari - que ma charmante voisine n'était autre que la très célèbre courtisane de la fin du XIXe et du commencement du XXe siècle. Je compris aussi que le mystérieux monsieur auquel le protocole avait réservé la première place à la table était le prince roumain qu'elle avait épousé depuis quelques années, Georges Ghika".

Pendant la seconde guerre mondiale, Liane de Pougy et son mari Georges Ghika se réfugient en Suisse. Rzewuski, devenu dominicain en 1926 et directeur spirituel d'un séminaire international de son ordre à Fribourg, se rend parfois à Lausanne, rendre visite à une cousine paralysée à la clinique de Bois-Cerf tenue par des religieuses françaises. Alors qu'il s'apprête à prendre l'ascenseur dans cette clinique en froc blanc dominicain, il est interpellé par le prince Ghika car Liane (qui portait lorsqu'il a croisé le couple quelques jours plus tôt, un manteau de vison et un petit chapeau recouvert de longs voiles - ce qui ne fait pas très tertiaire dominicain) l'a reconnu lors de leur précédente rencontre et a mandé son mari pour le solliciter. Elle est maintenant alitée dans une chambre de la clinique presque tout le temps, mais souhaite le revoir.

Pendant cinq ans il allait tantôt déjeuner avec le couple dans la salle à manger de Bois-Cerf, tantôt la voir dans sa chambre dans son lit où tout était bleu pâle, "en l'honneur de la sainte Vierge à qui dès sa naissance sa mère l'avait consacrée".

"Peut-être sa figure s'était-elle légèrement émaciée et comme allongée, ce qui lui conférait quelque chose de serein et même d'un peu sévère. Etendue sur son lit, elle ne perdait rien de son élégance de jadis. Lorsqu'elle était assez bien pour déjeuner à la salle à mange, elle y venait de sa belle démarche souple de jadis, peut-être un peu ralentie, en s'appuyant légèrement au bras de Georges".

Bizarrement, alors que Max Jacob trouvait Georges très chrétien, Rzewuski le qualifie d’agnostique ("malgré son agnosticisme, Georges m'a toujours manifesté de l'amitié". Il précisera que Liane le décrivait comme "dégénéré, voire anormal et hystérique" (en 1919 elle disait qu'il est "un ange, un amour, un tout petit exquis, un vieux sage, un morne philosophe, un érudit etc. On lui reproche d'être... trop beau"). Il lui aurait empruntée un jour une de ses petites amies, ce qui allait inverser ensuite sa culpabilité à son égard d'avoir été une ancienne prostituée. Son agnosticisme est assez cohérent avec ce que Liane dit de sa belle-mère, qui avait seulement dix ans de plus qu'elle, qu'elle "ne croit ni à Dieu ni à diable, le crie tout haut".

Rzewuski la jugea digne de prendre le froc noir et blanc du tiers ordre de Saint-Dominique, ce qu'elle fit à la chapelle de la clinique. Elle récita après ça chaque jour comme le lui imposait la règle le petit office, le chapelet, la lecture de l'Evangile. Elle s'enthousiasma pour la lecture de L'imitation de Jésus-Christ de Thomas a Kempis dont elle lisait chaque jours un ou plusieurs chapitres. Son mari se plaignait qu'elle restât encore capricieuse et versatile, mais elle était devenue plus sereine et patiente.

Le dominicain jettera ce regard rétrospectif sur sa conversion . "On a souvent parlé et écrit à son sujet comme d'une conversion ? Etait-elle vraiment une convertie à l'instar d"un Saint Paul, d'un Saint Augustin, d'un Pascal, ou, de notre temps, d'un Claudel, des Maritain ? Ce serait plutôt à une Marie-Madeleine que son passé et son présent me font penser (...)

Dès son enfance Liane avait toujours eu la foi. Elle l'eut dès sa naissance entourée de sa pieuse famille. Adolescente, les bonnes soeurs de son pensionnat breton où ses parents l'avaient placée l'astreignirent aux pieux exercices de son temps et de son milieu : leçons du catéchisme, du chapelet et dévotion bretonne à Sainte-Anne-d'Auray.

On y prit soin aussi de sa bonne éducation, de ses  jolies manières (...). D'après ce qu'elle en dit, même durant ses années les plus orageuses, elle ne manquait pas, en passant près d'une église, d'y entrer et d'y allumer un cierge. En 1910, lorsque se posa le problème de son mariage avec le prince Ghika, elle voulut le faire célébrer selon sa religion dans une église catholique. Rien ne s'y opposait d'ailleurs car, quoique divorcée de son premier mari, le lieutenant de vaisseau Pourpre, celui-ci était décédé depuis déjà vingt ans. Pourtant, c'est la mort de son fils Marco, l'aviateur tombé au champ de bataille en 1916 qui lui porta le coup cruel qui lui redonna en nouvel élan de religiosité".

Effectivement le début de ses Cahiers Bleus, dès avant les années 20, comme on l'a déjà dit plus haut, révèle une inspiration chrétienne. Celle de la peintre diariste russe Marie Bashkirtseff, morte à 25 ans en 1884, qui était très dévôte, Le 2 juillet 1919, pour son 50ème anniversaire, elle précise que la Sainte Vierge était apparue en rêve à sa mère (43 ans, demi-espagnole par son père), assise dans un beau cerisier blanc et lui aurait dit "Tu auras une petite fille le jour de ma fête. Elle sera appelée Marie. Je la protègerai. Après une vie mouvementée elle finira grande sainte au paradis". Liane ne naquit pas le 15 août, mais le 2 juillet, jour de la visitation donc  la prédiction s'est réalisée. Elle fut marquée par la religiosité de sa mère mais aussi de sa voisine créole à l'accent des îles, qui fut pour elle une sorte de seconde mère. Il est possible que le christianisme de sa mère se soit construit par opposition à la frivolité de la grand mère maternelle qui, belle, avait eu une liaison avec Victor Hugo (sa mère fit détruire sa correspondance compromettante avec l'écrivain) et vécut dans le luxe.

Elle était sujette à des migraines une fois par mois. Le 3 juillet 1919, jour de migraine, elle éteint la lumière le soir, "un demi-coma la terrasse", elle veut "faire sa prière" et" au milieu de ses invocations à sa patronne chérie, Ste Anne d'Auray, elle voit nettement (son mari) couché dans la maison de santé du professeur Hartmann (à Neuilly)... prend sa main qui est déjà glacée",puis elle se rend compte que son mari dort près d'elle. "Elle se sent agitée, pénétrée de terreur, inondée de sueur, enfiévrée, tremblante", s'inquiète parce que son mari doit être opéré, demande des protections, promet d'aller à Lourdes et Auray et donner 5 000 francs aux pauvres si tout se passe bien.

Son problème était de réconcilier son passé de cocotte avec sa foi. "Mon père, sauf tuer et voler, j'ai tout fait" avait-elle dit au prêtre qui' l'avait confessée avant son mariage. Je soupçonne que - comme c'est souvent le cas quand les péchés sexuels sont abondants - parmi toutes ses fautes, il y eut l'occultisme. Le chapitre "L'alchimiste" de livre "Les sensations de Mlle de la Bringue" qu'elle écrivit en 1904 (alors qu'elle était encore courtisane) le laisse entendre.

Passant en voiture en Savoie en 1926, obéissant à une inspiration surnaturelle, elle alla sonner à la porte de l'Oeuvre de Sainte Agnès qui s'occupait d'enfants monstrueux. Devant cette humanité dégradée qui pousse des cris et des gloussements qui lui ont fait prendre conscience à elle de sa déchéance et de son besoin de Jésus, ce qui allait la conduire à se dévouer à cette oeuvre. Elle mourut en décembre 1950 au Carlton de Lausanne et enterrée en Savoie dans le cimetière qui recueillait les restes des enfants monstrueux de l'Oeuvre de Sainte-Agnès.

J'avoue que cette histoire de la prêtresse de Sappho "cuirassière du plaisir" devenue dominicaine m'a laissé assez perplexe. On sent qu'il manque beaucoup de pièces au puzzle pour pouvoir ne serait-ce qu'entrevoir l'arrière-plan spirituel de tout cela. Peut-être faudrait-il que je lise l'intégralité des Cahiers Bleus. Cette lignée maternelle bizarre qui va de Victor Hugo, à Sainte-Anne d'Auray. Cette Sainte Vierge qui annonce l'histoire d'une sainte (surtout d'une "grande sainte", ce qui n'est pas très chrétien : les plus grands sont ceux qui veulent être petits)... Au final la cocotte n'est pas vraiment devenue sainte pour ce qu'on peut en percevoir. Elle ne s'est même pas vraiment convertie. Elle s'est repentie, soit... et encore... elle porte encore du vison, elle n'a pas fait vœu de pauvreté et ne désavoue qu'à demi-mots au nom d'un assagissement bourgeois ses vices sexuels du passé (il en est d'ailleurs un essentiel dont elle ne se défera jamais tout à fait)... Mais en même temps, certes, devenir tertiaire dominicaine ce n'est pas rien... et cette "union" étrange avec une œuvre d'aide aux enfants monstrueux a quelque chose de très impressionnant, et, au fond, d'aussi mystérieux que les migraines dont souffrait la demi-mondaine, et que ses visions. D'un bout à l'autre il y a quelque chose de "bizarre" dans tout cela, d'étrange... même la caution de ce dominicain ancien illustrateur nous questionne tant elle baigne dans une sorte de gentille indulgence qui ne cherche pas vraiment à aller au fond des choses.

Notre époque hédoniste et nihiliste, qui ne s'intéressera qu'à la superficielle (et éphémère) beauté des belles éblouissantes des années 1900 ne s'interrogera pas sur l'envers religieux de ce que certaines devinrent ensuite, sur ce catholicisme tardif qui est un peu le pendant de la "Belle époque" parisienne, un peu comme le mysticisme de Jacqueline-Aimée Brohon était le pendant des "Lumières" rationalistes 180 ans plus tôt. Est-ce vraiment du catholicisme ? est-ce autre chose ? Est-ce le poids de l'âge ? la rançon de la perte d'un fils ? un mouvement de balancier comme la foi de sa mère par rapport àla frivolité de la grand-mère ? Quels ont été les fruits de tout cela auprès de l'entourage ? Ne fut-ce qu'un feu de paille au fond d'une clinique de Lausanne quand la beauté du corps a perdu ses éclats ? Pour les enfants malformés de Savoie ce ne fut pas seulement cela. Et pour d'autres ? On aimerait savoir.

En tout cas voilà encore quelqu'un qui est lié à la Ste Baume, où elle était allée. Voyez sa phrase du 1er avril 1932 (vendredi saint) : "J'ai écrit au dominicain dont l'éloquence m'avait frappée pendant mon séjour à la Sainte-Baume. Le Père Sineux est jeune, vibrant, son verbe entraîne. Il est prieur à Saint Maximin entre Toulon et le pieuse montagne". Il paraît qu'elle était déjà Madeleine dans ce tableau de 1891 (à 22 ans).

 

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Occultisme et dédoublement

14 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire secrète, #Médiums

Deux ans après mon passage chez les médiums divers phénomènes en rapport avec le dédoublement me sont arrivés, notamment il y a quelques années deux personnes à mon travail étaient prêtes à témoigner que j'étais entré dans leur bureau pour solliciter une tâche, alors qu'en réalité à ce moment là je potassais mes dossiers à 150 km de là. Les bilocations furent fréquentes chez les saints catholiques, et avant eux celle de Pythagore fut célèbre. Mais elles sont aussi liées à l'occultisme. Une de mes correspondantes m'écrivait hier : "Au moment où j'utilisais les tarots de ma grand-mère, il y a quelques années  plusieurs personnes ont dit m'avoir vue ailleurs, parfois dans des situations surprenantes. Je me rappelle entre autres, de l'une d'entre elle qui n'a jamais démordu de m'avoir vu à cheval en vallée de Bagnères-de-Bigorre,  alors que j'étais dans le Gers et que l'équitation n'était plus qu'un lointain souvenir."  Ces tarots avaient fini par lui jouer un mauvais tour (une décorporations aux conséquences effrayantes).

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Théosophie, occultisme et caodaïsme au Sud-Vietnam

11 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire secrète, #Histoire des idées, #Médiums

En 2010, Jérémy Jammes, aujourd'hui professeur d'anthropologie et d'études asiatiques à l'IEP de Lyon, dans Thông thiên học ou la société théosophique au Sud du Vietnam s'était penché sur un sujet original : le rôle de la théosophie dans l'émergence du caodaïsme, mouvement politico-religieux de Cochinchine à la fin de l'époque coloniale française. Pour ce faire, il avait comparé des entretiens contemporains (auprès d’autres théosophes, d’adeptes Minh et caodaïstes vietnamiens) avec des documents scientifiques et confessionnels (théosophique, bouddhiste, Minh et caodaïste), tout en relevant que des archives théosophiques vietnamiennes expédiées en France par la Russie au début des années 2000 ne sont toujours pas disponibles.

Il y explique que dans le premier tiers du XXe siècle, le confucianisme et le bouddhisme ont perdu de leur autorité dans la société indochinoise. Dans ses  Notes sur le caodaïsme du 1er janvier 1952 au 1er juin 1954 (Archives Nationales, Section d’Outre-Mer), le commandant Savani reprend les propos de ses  prédécesseurs aux affaires politiques et administratives cochinchinoises, Lalaurette et Vilmont, qui mentionnent que « les ouvrages de Flammarion, Allan Kardec, Léon Denis et du colonel Olcott sont introduits en Indochine, lus, traduits et publiés ». Parallèlement se développe la Société Théosophique d'Helena Blavatsky se développait dans la région comme ailleurs et favorisait la réhabilitation d'un certain patrimoine culturel oriental. En Inde par exemple elle ouvre des écoles de pāli et de sanskrit, traduit et publie d’anciens textes indiens, forme des exégètes locaux, rédige un catéchisme bouddhiste, crée un Comité général des affaires bouddhiques, instaure la fête de Wesak (j'en avais parlé dans mon livre sur les médiums). Le colonel Olcott, théosophe américain, invente "l’étendard aux cinq couleurs brandi encore aujourd’hui par toutes les communautés affiliées au bouddhisme".

Au Vietnam à partir de 1923, un mouvement de rénovation du bouddhisme se développe qui s’applique à ce que la pagode devienne un lieu de culte et de réunion, redéfinit les pratiques individuelles et le lien d’appartenance communautaire par l’élaboration d’une communauté religieuse homogène et unifiée qui laisse de plus en plus de place au rôle des femmes et des associations d’entraide internationale.

Dans les années 1920 Phạm Ngọc Đa (de son nom de plume Bạch Liên), directeur de collège dans la ville reculée de Châu Đốc, frontalière d’avec le Cambodge intègre la Société théosophique (ST) de France tandis que Georges Raymonde, employé à la Compagnie franco-asiatique des pétroles crée la branche théosophique dite « branche de Cochinchine », puis s'en retourne assez vite en France. Cette église théosophique va donner des conférences sur le bouddhisme. Elle recrute dans la petite et moyenne bourgeoisie coloniale (pharmaciens, professeurs etc.) français et indigènes.

En 1929, les théosophes cochinchinois reçoivent la visite de Mgr Charles Webster Leadbeater (1854-1934) qui passait pour "le plus grand voyant du monde. Il développa en particulier un système extraordinaire d’arbre généalogique des réincarnations des membres les plus connus de la ST, s’étendant sur des milliers d’années." Il donnera son nom à une branche de la ST à Saïgon.

Les théosophes sud-vietnamiens pâtiront de la répression de la franc-maçonnerie par le régime de Vichy qui identifie la ST à la FM (en réalité les deux sont souvent liées mais pas identiques), puis allaient renaitre de leurs cendres dans les années 1950 et même avoir des membres dans la haute administration du Sud-Vietnam, jusqu'à sa dissolution par le régime communiste en 1975.

A l'Ouest de la Cochinchine, région où vivent beaucoup d'ermites, en 1849 un paysan du delta du Mékong Đoàn Minh Huyên a atteint l'illumination et prend le titre de Phật Thầy Tây An, il annonce la venue d'un "roi éclairé". Au même moment en Inde A. Besant et l’ex-pasteur C.W. Leadbeater, voient en la personne d’un jeune indien, Jiddu Krishnamurti (1895-1986), fils de brahmane, un nouveau Messie. Ses textes sont traduits en Cochinchine. Dans une écriture vietnamiennes latinisée (et non plus des caractères chinois) les théosophes cochinchinois comme Phạm Ngọc Đa (ou Bạch Liên) réinterprètent à la lumière de la théosophie d’anciennes notions bouddhiques (Luân hồi ou Roue de la réincarnation, Quả báo ou Rétribution ou loi du karma, etc.), tout en introduisant les idées messianiques et le syncrétisme du récit initiatique de Krishnamurti. "De nouvelles méthodes d’apprentissage laïques de la méditation contemplative (tham thiền), écrit Jérémy Jammes, sont rendues accessibles lors de ces canaux de communication, réorganisant les rapports de maître à disciple qui prévalaient jusqu’alors sur ce thème. De même, les écrits théosophiques choisiront nettement le ton didactique et moralisateur, agissant parfois sur la peur des Enfers, pour enseigner « Le Chemin qui conduit aux maîtres de la sagesse »". Le rapport corps-esprit est indianisé et prend des couleurs scientifiques ("taux vibratoire", "corps éthérique" "corps astral" etc). "Le merveilleux scientifique constitue ainsi, ajoute-t-il, une composante cruciale de la ST, faisant de la science à partir de sujets mystiques ou religieux."

Elle procède aussi à une "laïcisation de la méditation" : "Jusque-là, une telle pratique ascétique était traditionnellement définie comme une affaire hasardeuse, dans laquelle le novice a constamment besoin d’être supervisé par un professeur expérimenté, gage de sérieux progrès et de sécurité, et ceci sur plus d’un an. À cette méditation « traditionnellement » transmise de façon informelle, d’un bonze à un autre, la large diffusion de la pratique de la méditation dans des traductions théosophiques a provoqué un énorme changement (... )Une fois les cours de méditation donnés (quotidiennement, de façon hebdomadaire ou lors de stages), dans des centres théosophiques ou chez les particuliers, les méditants repartent chez eux et pratiquent seuls, cherchant à « entrer en contemplation »".

Parallèlement à cette histoire de la théosophie vietnamienne, il y a celle du caodaïsme, qui s’est en partie nourrie de la première, au moins de la relecture qu'elle faisait du bouddhisme. Tout commence dans les années 1920 quand le fonctionnaire colonial Ngô Văn Chiêu (1878–1932) qui a été formé au spiritisme par  un maître taoïste, canalise l'esprit de l'empereur Jade, grand maître du taoïsme - un phénomène qui s'inscrit dans un arrière-plan de pratiques spirites développées par des sociétés secrètes chinoises Minh au Vietnam depuis 300 ans à partir de techniques d'écriture automatique (voyez dans la Revue caodaïste de septembre 1930 le récit sur la conversion d'un entrepreneur qui à l'invitation d'un membre d'une secte Minh-Ly assiste à la manifestation d'un esprit qui lui révèle sa mission caodaïste). Jérémy Jammes revient dans Exploring Caodai Networks and Practices in France, paru en 2023 rappelle qu'en 1927, un jeune employé des douanes coloniales cochinchinois, Phạm Công Tắc est muté à Phnom Penh au Cambodge. On se méfie de lui car un an plus tôt il a été nommé chef des médiums spirites du clergé caodaïste, presque tout dans cette religion reposant sur l'invocation (sur ce côté très simplifié de cette religion, voyez cet article de l'Echo annamite du 8 mars 1929). L'esprit de Victor Hugo lui est apparu pour protéger la Mission étrangère du caodaïsme, et allait continuer à "parler" à la secte jusqu'aux années 50. Et il n'est pas le seul. Tac a aussi canalisé Jésus, Jeanne D'Arc, La Fontaine, Aristide Briand etc.

Le spirite Gabriel Gobron  (1895-1941) fut appointé par un employé du musée de Phom Penh et bras droit de Tac Trần Quang Vinh comme porte parole du caodaïsme en France. En 1986 un temple caodaïste à été instauré à Alfortville puis à Vitry-sur-Seine.

Selon Jérémy Jammes il doit exister une diaspora de 15 000 ou 20 000 caodaïstes, dont quelques centaines en France, des descendants de boat people. Il brosse le portrait de la spirite Diệu Thê (1913–2000) fondatrice du temple d'Alfortville, entraînée dans le caodaïsme par ses parents à Saïgon dès le plus jeune âge, et qui, à Paris, reçut instruction de l' "esprit" d'une femme qu'elle avait connue à Strasbourg pour fonder ce temple. Elle chercha un lieu pendant des années et fut aussi encouragée par le politicien nationaliste caodaïste réfugié aux USA Đỗ Vạn Lý (1910–2008) qui rendit visite à la communauté à Paris. Jammes décrit ainsi les temples : "Le temple de Vitry a été fondé par par une commerçante, Nam, qui est une visionnaire.  l'intérieur de la maison de Vitry recréait l'atmosphère d'un temple dans chaque salle, au décor abondant, une statuaire éclairée électroniquement au rez-de-chaussée et au premier étage, nombreux rideaux colorés, etc. Tandis que a statuaire d'Alfortville se veut minimale et limitée aux principales divinités du panthéon, une caractéristique remarquable de ce temple de Vitry était l'abondance d'icônes, provenant non seulement du panthéon Caodai mais aussi du religion populaire bouddhiste et vietnamienne"

La fondatrice du temple d'Alfortville avait en 1989 ramené du Vietnam un cơ bút, instrument de communication spirite comme le oui-ja mais en forme d'une corbeille à bec, qu'elle avait obtenu d'une autre médium là bas, dans un temple de Tay Ninh, mais que les adeptes s'accordent à ne pas utiliser car les conditions de pureté ne sont pas réunies. Le temple de Vitry lui utilise cet instrument.

Au Vietnam même il y aurait encore entre un et sept millions d'adeptes au Vietnam qui seraient attirés par les oracles sur cơ bút (voir le récit d'une séance par Germain Ross dans l'Ere nouvelle du 23 mars 1929). La branche de Ben Tre (ville de 140 000 habitants) fait exception. Elle a été fondée par un homme dont le fils fut communiste, ce qui a  contribué à ce qu'elle ne soit pas trop persécutée. Mais surtout la bienveillance du régime à son regard est qu'elle a renoncé au cơ bút, le maître de cette branche régionale, Nguyen Ngoc Tuong ayant inventé sa propre technique de méditation pour sortir seul de son corps et entrer en contact avec les "immortels".

Cette religion caodaïste est peu connue, mais je crois qu'il est utile de se pencher sur son cas pour mieux comprendre l'ampleur sociale que peut prendre de nos jours la médiumnité.

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