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Articles avec #shivaisme yoga tantrisme tag

Quand un roi kouchan se dit fils de Dieu

27 Janvier 2024 , Rédigé par CC Publié dans #Shivaïsme yoga tantrisme

Un cours de Frantz Grenet au Collège de France sur les temples à l'époque du roi kouchan de Bactriane Vima Kadphisès (110-127), m'orientent vers un article de Harry Falk de 2015, qui explique que les rois kouchans, comme ceux d'Egypte et de Mésopotamie (puis d"Iran) se perçoivent comme des incarnations du divin, et non comme des intercesseurs comme ils le sont en Inde. Kujula Kadphises, qui régnait au temps de Caligula et de Néron, copie les pièces de César-Auguste et se fait appeler devaputra "fils de dieu/ou des dieux", et ce après sa conquête du Cachemire, un titre que reprendra son descendant Kanichka au IIe siècle.

A l'origine le terme s'applique à la fratrie des Pandava héros du Mahabharata indien. A Rome, le titre "divi filius", fils de dieu, a été adopté par Auguste après la divinisation de Jules César par le Sénat en 42 av JC. Dans l'Ancien Testament hébraïque, les fils de Dieu Beni Elohim sont des anges supérieurs, une terminologie inspirée des conseils royaux mésopotamiens selon Heiser.   

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Un roi khmer qui finit par préférer Vishnu à Shiva

20 Juin 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Shivaïsme yoga tantrisme, #Histoire des idées

Contrairement à ce que laissent entendre le New Age, et diverses autres formes de "néo-orientalisme" contemporaines, l'hindouïsme n'est pas forcément une religion aussi "inclusive" qu'il y paraît, et elle a même connu des luttes intestines virulentes dont témoigne par exemple l'histoire du Cambodge.

Dans un article de 2021 rendant compte de leur travail Dominic Goodall et Chhunteng Hun sur une stèle découverte en 2019 dans le nord-ouest de ce pays, en présentent le contenu qui se réfère au règne de Jayaverman III, un roi khmer du IXe siècle qui après avoir évincé de le bouddhisme de son royaume pour le devenir adepte Shiva/Śiva, se convertit au culte de Vishnu/Viṣṇu après que son chapelain shivaïte Kulacandra ait vu sa langue éclater et soit mort sur le champ dans un débat dans un temple de cette divinité (après sa mort on l'appela Viṣṇuloka).

Il y avait déjà dans le corpus théologique un support à la rivalité entre les deux divinités. Selon un ancien mythe, Viṣṇu a pris la forme de Narasiṁha pour débarrasser le monde du redoutable démon Hiraṇyakaśipu, que personne d'autre ne pouvait vaincre. Mais les récits Śaiva de ce mythe le modifient pour glorifier Śiva à la place. Car ils ajoutent que Narasiṁha s'est ensuite déchaîné, et Śiva prit la forme d'un oiseau doré avec un corps de lion à quatre pattes tournées vers le bas et quatre vers le haut. D'autres mythes autour de divinités subalternes de l'un et l'autre dieu vont aussi dans le sens d'une compétition entre les deux cultes.

Chidambaram (Tamil Nadu), au XIIe siècle le roi Vikrama Chola (1118-1135) fit jeter à la mer la statue de Vishnu. La façon dont sont représentés les trônes des divinités - par exemple en représentant un avatar de Vishnu au pied d'un trône de Shiva, révèle aussi cette rivalité, rivalité qu'à l'inverse en certains lieux ou certaines époques on chercha à pacifier - par exemple en sculptant une statue dont la moitié droite représente Shiva et la gauche Vishnu, ou par le culte de Harihara.

La stèle de 85 com de haut examinée par Dominic Goodall et Chhunteng Hun est légèrement postérieure à 877. Elle raconte l'histoire de l'infortuné chapelain Kulacandra terrassé par Vishnu

La face B de la stèle raconte aussi une étrange histoire. Le roi maria deux filles de sa soeur, Vaiṣṇavī et Nārāyaṇī, à deux brahmanes appelés Keśava et Atharvaveda. A ces deux hommes, installés à Kusumāstrapura, il confia le culte de la statue de Viṣṇu. Un jour, l'épouse du roi était entrée dans dans le temple de Viṣṇu alors qu'elle avait ses règles. Du sang coula alors de ses seins, elle maigrit affreusement. Le roi la voua alors au dieu avec en plus des dotations spécifiques au temple, puis, quand la colère de Vishnu fut apaisée, il la maria à un prêtre de cette divinité.

A propos des menstruations dans la religion hindouïste, les commentateurs expliquent que "étant rituellement impure à cause de ses règles, la reine aurait bien sûr dû éviter d'entrer dans le temple. L'impureté causée par les menstruations est un sujet important dans le courant dominant Dharmaśāstra, mais il est peut-être moins facile de trouver des prescriptions sur son rapport avec les pratiques de dévotion théiste. Un texte qui parle de ce sujet, mais dans un contexte Śaiva, est le Prāyaścittasamuccaya, un recueil d'injonctions relatives aux rites d'expiation et de réparation compilé par l'écrivain sud-indien du XIIe siècle Trilocanaśiva. Parmi ses nombreuses autres restrictions imposées aux femmes menstruées, le texte précise qu'une femme ne peut accomplir qu'un culte mental (et non un culte externe) tant qu'elle est impure (versets 531-536), et son impureté est considérée comme ayant un puissant pouvoir polluant."

Cela m'a fait penser à une anecdote ancienne d'un Grec qui avait eu une flatulence dans un temple d'Artémis et avait été pour cela durement puni par la déesse.

Voilà en tout cas l'histoire d'un roi qui avait dû arbitrer entre deux tendances de l'hindouïsme, et qui avait été si marqué par les événements surnaturels qui l'attachaient à Vishnu qu'il avait jugé utile de les graver dans une stèle... Pourquoi Vishnu dut-il prendre l'ascendant sur Shiva dans son royaume au IXe siècle ? Qu'est ce que cela impliqua pour les habitants et pour l'équilibre du monde asiatique à ce moment-là ? L'article ne le dit pas, et ne peut sans doute pas le déduire de la stèle...

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Le débat sur Jésus-Christ en Inde

7 Mai 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Histoire secrète, #Spiritualités de l'amour, #Shivaïsme yoga tantrisme

Il existe un courant d'étude historiques qui prend au sérieux certains récits indiens selon lesquels Jésus de Nazareth aurait fini ses jours en Inde et aurait sa tombe au Cachemire.

On peut, pour se familiariser avec cette thématique regarder la vidéo ci-dessous (en anglais) d'Edward T. Martin, auteur de "King of travelers Jesus' lost years in India" - sa conférence de 2016 au Maharishi Dome of the Age of Enlightenment d'Austin au Texas, dans laquelle l'histoire de son cheminement sur cette question.

Ses sources : Edgar Cayce (1877-1945), un visionnaire sur l'Atlantide que j'ai déjà cité à propos de l'architecture secrète, et un medium qui a fait une regression akachique pour lui, The Aquarian Gospel of Jesus the Christ (1908) de Levi H. Dowling sur la présence de Jésus temple de Jagannath et chez le prince Ravanna souverain d'Orissa.

On peut aussi regarder le documentaire (traduit) de l'anthropologue aventurier Jeff Salz (1953-2021) "Jésus in the Himalayas" de 2000 diffusé aux Etats-Unis par Discovery Channel, puis peu de temps après par la 5,qui rend compte de sa tentative pour retrouver les manuscrits au monastère de Hémis - mais on lui a expliqué qu'il ne pourrait accéder à la bibliothèque que lorsque le chef du monastère serait de retour ce qui pourrait prendre plusieurs années...

Tous les documentaires anglo-saxon font bizarrement l'impasse sur le fait que la thèse de la mort de Jésus en Inde provient à l'origine d'une secte musulmane indienne du XIXe siècle.

Ils ne disent pas non plus qu'elle a été promue en Occident par la très sulfureuse Société de théosophie, une diffusion à laquelle les Français (et singulièrement des bourgeoises françaises) ont aussi pris leur part.

Ainsi la journaliste Marianne Monestier (1908-1981), dans Femmes d'hier et de demain, d'ici et d'ailleurs rend hommage à Léa Lafugie, "premier et seul peintre ayant rapporté du Tibet une collection de toiles et d'études", dont la première relation de voyage au Tibet (son voyage de 1924) fut préfacée par Alexandra David-Neel. Elle évoque son entretien avec elle dans son appartement du XVIe arrondissement. Léa Lafugie lui explique que dans Tibet Terre des Bouddhas vivants elle a déjà précisé qu'au monastère de Hémis se trouvent les preuves du séjour du "Bouddha Issa" en Inde, au Népal, au Tibet. Ses amis théosophes, dit-elle, qu'elle avait connus lors d'un précédent passage à Adyar, pensaient qu'elle parviendrait à photographier ces preuves. "C'est à Adyar qu'Annie Besant, pour laquelle Bernard Shaw conserva toujours un sentiment de tendresse, ajoute Lafugie, mourut le 20 septembre 1933" et fut incinérée. Elle vante son féminisme, son malthusianisme, et sa fondation en Inde d'une bibliothèque contenant des manuscrits anciens uniques des Upanishads notamment.

Lafugie s'était rendue à Hemis (ou Himis) à l'instigation de ses "amis théosophes", elle fut reçue par celui qu'elle appelle selon Monestier le Kouchoq (dans ses livres Lafugie écrit Skouchok) qui ne lui a laissé qu'apercevoir les fameux manuscrits sur le Bouddha Issa car "la bibliothèque que l'on était en train d'édifier, en partie pour pouvoir les installer et les classer, ne serait pas achevée avant au moins une année" et quand elle y retourna l'année suivante le Kouchoq était mort... Voilà une "malchance" qui rappelle celle de Jeff Salz.

Il y avait eu aussi une tentative espagnole pour remettre la main sur ces manuscrits.  L'ufologue espagnol (catalan) Andreas Faber Kaiser (1944-1994),  directeur du magazine Mundo Desconocido et présentateur populaire de Catalunya Radio dans Jesús vivió y murió en Cachemira ¿La tumba de Jesús en Srinagar? publié en 1976 et traduit en anglais en 1977, rendait compte de son expédition en Inde en 1975 avec sa femme, Mercedes Castellanos. Il a affirmé y avoir rencontré "le descendant direct du Christ", qui serait issu du mariage de Jésus avec une Marie, qui n'était pas la Madeleine de Dan Brown et son Da Vinci Code. Très vite en 1980 l'évangélique Juan Barceló Roldán avait combattu cette thèse, dans un livre intitulé "Jesús y la estafa de Cachemira", comme le rappelait encore récemment sur l'émission évangélique de TVE Buenas Noticias en mars 2016, au micro du pasteur José Pablo Sanchez l' "historien écrivain" Mario Escobar. José Luis Parise en 2014  dans "La Historia Oculta de Cristo" aurait fourni d'autres éléments sur le sujet, mais je n'y ai pas eu accès.

En France, dans la Revue de l'Institut catholique de Paris du 1er avril 1992, l'abbé Michel Delahoutre, ancien titulaire du cours des religions indiennes à l'Institut Catholique de Paris, dans l'article intitulé "La Vie inconnue de Jésus-Christ par Nicolas Notovitch" faisait le point sur la prétention de l'explorateur russe d'avoir retrouvé un à Himis un manuscrit "La vie de saint Issa, le Meilleur des Fils des Homme" qu'il aurait fait traduire par son interprète et publier en 1894,  en tout quatorze chapitres, soit 244 versets, 33 pages. On y trouve, expliquait Delahoutre, un résumé de l'Histoire Sainte d'Israël à partir de l'esclavage d'Égypte (chap. II et III) puis l'histoire d'Issa (chap. IV), son voyage en Inde (chap. V à VIII), son retour en Israël et son ministère jusqu'à sa mort (chap. IX à XIV).

Delahoutre cite la réaction de Max Müller professeur à Oxford qui dans la revue The Nineteenth Century d'octobre 1894 jugea tout de suite que Notovitch avait été victime d'une mystification de lamas farceurs, car, à supposer que le texte, comme le prétendait le russe, ait pu provenir via la traduction en pâli de récits de marchands juifs comment auraient-ils pu identifier le crucifié au jeune Issa qui était venu étudier le sanskrit en Inde, et pourquoi son nom aurait-il été conservé en arabe, alors que celui de Pilate venait de l'hébreu ? Qui plus est comme in connaissait tous les écrits bouddhistes, cette vie d'Issa aurait dû figurer dans les catalogues du Talmud, ce qui n'était pas le cas. 

En avril 1896, l'anglais J. Archibald Douglas dans la même revue accusa Notovitch d'affabulation, notamment quand lui-même prétendait avoir vu une panthère dans le défilé du Sind alors que les habitants du lieu ont affirmé qu'il ne s'y en trouvait pas. L'année précédent Douglas avait interrogé l'abbé du monastère d'Himis qui avait affirmé n'y avoir jamais vu Notovitch.

Une dizaine d'années après la sortie du texte de Notovitch le prophète musulman Mirza Ghulam Ahmad (1835-1908) publiait Jésus en Inde (Masīh Hindustān Meiń), un traité paru dans une revue historique puis sous forme de livre. Il y avançait que Jésus a survécu crucifixion , a quitté la Judée et a migré vers l'est afin de poursuivre sa mission auprès des « tribus perdues d'Israël », voyageant à travers la Perse et l'Afghanistan et finissant par mourir d'une mort naturelle et honorable au Cachemire à un âge avancé (alors que Notovitch n'avait parlé que de sa venue pendant l'adolescence).

Le pasteur José de Segovia avance encore des précisions au sujet des thèses sur la mort de Jésus en Inde : un document du XVIIe siècle de Khwaja Hassan Malik, Tarikh-i-Kashmir, aurait une inscription disant que Yuz Asaf est entré au Cachemire en 78 après JC, mais comme c'est souvent le cas, aucun critique n'a encore réussi à le consulter. La tombe du Cachemire, près de Srinagar, possède un monument en pierre appelé le Trône de Salomon, avec quatre inscriptions. Les deux derniers sont les plus intéressants, mais ils ont été endommagés après la conquête par les Sikhs en 1819. Un historien musulman cachemirien les aurait traduits en persan en 1413, déclarant que :

A cette époque, Yuz Asaf s'est proclamé prophète. L'an cinquante-quatre.

Cela pourrait être une année du règne de Godapatta, mais les défenseurs de cette théorie ne s'entendent pas sur la date à laquelle se situerait cette date. Selon l'Allemand Kersten, ce serait 107, mais selon le professeur Hassanin, 78. La dernière ligne dirait : Il est Jésus, prophète des Enfants d'Israël

D'autres, comme Eduard Meier, pensent que la tombe se trouve sur une colline à la périphérie de la ville. Pour ce faire, il se base sur les informations qu'il a reçues alors qu'il était soi-disant contacté par des extraterrestres. Meier a édité un document en 1978, qu'il aurait découverts en 63 après JC, appelé le Talmud de Jmmanuel. Il prétend l'avoir traduit en allemand depuis l'araméen en 1974, mais comme cela arrive souvent dans ces cas, il est maintenant détruit. Dans celui-ci, Jmmanuel, ou Jésus, tombe dans une transe profonde sur la croix, grâce à une technique de méditation que l'hindouisme et le bouddhisme appellent samadhi, semblable à une décorporation. Bien que Jésus soit transpercé par la lance de Longinus, Josep d'Arimathie découvre qu'il n'est pas mort. Il l'enveloppe dans un tissu et l'enlève de la tombe, où des amis hindous l'aident à le ramènent à la vie avec des médicaments et des herbes.

La base de toutes ces théories est l'idée que la mort sur la croix survenait généralement après plusieurs jours, tandis que Jésus serait descendu, sans avoir les jambes cassées, relativement tôt, le jour même de sa crucifixion (cf Flavius Josèphe à propos de trois prisonniers juifs crucifiés mais restés vivants que Titus autorisent à décrocher de leurs croix et qui survivent). Ainsi, après seulement quelques heures sur la croix, pour des auteurs comme Siegfried Obermeier, "Jésus était dans le coma", ce que pourrait recouper dans une certaine mesure le suaire de Turin.

Les documents utilisés par Ahmad ont été examinés par l'indianiste allemand Günter Grönbold dans Jesus in Indien. Das Ende einer Legende (Munich, 1985), Grönbold concluant qu'Ahmad avait mal identifié le matériel des textes de Barlaam et Josaphat concernant une version christianisée de la vie de Siddhartha Gautama , et non de Jésus. Un autre érudit allemand Norbert Klatt dans Lebte Jesus in Indien? (1988) a examiné les mêmes textes de sources musulmane et chrétienne et serait arrivé aux mêmes conclusions que Grönbold.

L'ufologue australien Paul Anthony Wallis, auteur de Scars of Eden, pour sa part a proposé en 2022 sur YouTube un ensemble de quatre vidéos qui font le point sur la thèse de la présence de Jésus en Inde et essaie de revenir sur le scepticisme des chrétiens. Par exemple il estime que les recherches de Swami Abhedananda (1866-1939) disciple de Ramakrishna Paramahansa dans les années 1920 ont relancé l'hypothèse de Notovitch parce que le même document lui a effectivement été montré, et il l'aurait traduit en bengali. Le théosophe russe Roerish, la suissesse Elisabeth Caspari et Maude Gasque y auraient eu accès aussi (mais je n'ai rien trouvé là dessus sur le Net), ce qu'affirmait aussi la gouroue New Age Elizabeth Wulf (1939-2009) dans "Les années perdues de Jésus". Je ne trouve pas pour l'instant sur le Net de réfutation de ces derniers éléments, beaucoup avançant seulement les éléments de 1894 et 1896 pour disqualifier le travail de Notovitch.

J'avoue qu'à ce stade les éléments sur le séjour de Jésus en Inde me paraissent assez incertains. On voit bien que l'hypothèse sert une certaine tendance contemporaine dans le New Age à faire du christianisme une annexe de l'hindouïsme ou du bouddhisme (ce qu'on retrouve aussi dans la transformation de Lourdes en lieu saint de l'hindouïsme par les Tamouls en France - voir L'Autre Lourdes), ce qui est facile en transformant Jésus ou Marie en avatars ou en réincarnations de héros asiatiques. Pour autant, elle ne l'implique pas totalement : on peut défendre que Jésus ait pu s'inspirer un peu de sagesses orientales sans pour autant que son message perdre de son originalité directement de reçue de l'Esprit saint, tout comme Saint Paul a pu s'inspirer du stoïcisme et Saint Augustin du platonisme ou Saint Thomas d'Aquin de l'aristotélisme, l'Esprit agissant par ailleurs dans chacune de ces pensées non-chrétiennes "à sa manière".

Comme le note Paul Wallis l'hypothèse de Notovitch d'une visite de Jésus en Inde pendant son adolescence est moins dangereuse pour le christianisme que celle avancée par Mirza Ghulam Ahmad selon laquelle Jésus n'a pas été crucifié et aurait son tombeau près de Srinagar. Mais à vrai dire, je pense qu'à un certain niveau spirituel il est un peu absurde de fonctionner de façon exclusive. Si pour un individu ordinaire il est possible de se dédoubler (bilocation), le fils de Dieu ne peut-il pas de démultiplier en ressuscitant des morts et montant  u ciel en Palestine et en finissant ses jours ailleurs dans d'autres pays ?

Sachant bien sûr que de toute façon pour nous Chrétiens cette "part de Jésus" ou ce "double" réel ou démoniaque de Jésus qui serait allé mourir en Inde n'est de toute façon d'aucun intérêt puisqu'elle n'est porteuse d'aucun message éthique ni d'aucun horizon eschatologique.

Pour en rester à l'adolescence de Jésus, un point important tourne autour des ressources documentaires du monastère d'Himis. Et c'est un peu comme avec l'affaire des Géants : peut-on indéfiniment soutenir que la preuve de leur existence se trouve quelque part mais qu'elle est délibérément soustraite à la vue du commun des mortels ? Si le texte traduit par Notovitch existe, pourquoi est-ce qu'un chercheur honnête ne pourrait pas aller le filmer à Hemis et le soumettre à un examen collégial de ses pairs ? Tant que personne ne peut photographier ou filmer devant témoin ce genre de pièce, le soupçon d'imposture ne peut que perdurer.

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Jean Staune, Eugène Aroux, mes sujets de recherche actuellement

12 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Shivaïsme yoga tantrisme, #Spiritualités de l'amour, #Histoire secrète, #Pythagore-Isis

Un lecteur au pseudo néphilimesque attirait mon attention hier sur l'essayiste qui se prétend chrétien Jean Staune, dont je découvre d'ailleurs qu'il était invité par un cercle d'économistes et d'hommes d'affaire dans ma ville natale cette semaine (le 9 novembre), ce qui signifie que, comme Lenoir, il est un peu un auxiliaire de la spiritualité dominante contemporaine.

A vrai dire, plus je réfléchis aux prises de position de ce penseur moins je leur trouve d'intérêt. C'est en premier lieu un apôtre de la religion primordiale (il pense du bien de Guénon), qui, tout en défendant l'importance d'un christ "cosmique" comme le faisait jadis le père Brune, estime plus ou moins (je dis plus ou moins parce que son propos là-dessus varie d'une minute à l'autre) qu'avant Jésus était Osiris, et que ça ou Krishna (ou peut-être Shiva) c'est au fond un peu toujours la même chose, même s'il se trouve que pour les Occidentaux il faut que ce soit Jésus. Ce n'est pas très étonnant, vu la filiation dont il se réclame. Il explique que son propre père l'a initié à certains textes confidentiels de l'ésotérisme chrétien, il place dans son panthéon le Padre Pio (comme le font beaucoup d'occultistes) et surtout l'étrange Maître Philippe de Lyon (une lectrice de ce blog, qui a peut-être payé le prix fort d'avoir connu de très près le milieu qui se réclamait de ce médium, aurait beaucoup de choses à dire là-dessus), en habillant le tout de physique quantique et de références (sans grand discernement) aux expériences de mort imminente. Cette façon de défendre la Foi, tout en la noyant intellectuellement dans un océan de relativisme hindouïste ne me paraît pas précisément constituer le bon moyen d'accomplir le projet messianique (d'ailleurs l'eschatologie est totalement absente de son propos, avec Staune il n'y a plus d'Histoire, vu que de toute façon, dans la physique quantique il n'y a plus de temps : son panthéisme qui paradoxalement veut nous retirer du monde, bloque en réalité le devenir...). De toute façon, par principe je n'aime pas les gens (les gnostiques lucifériens) de cette trempe qui nous invitent à vouloir "devenir des dieux" en sortant de la "Matrice" et qui omettent de poser à titre de préliminaire que nous ne pouvons le faire qu'en devenant Serviteurs du Très Haut, c'est-à-dire sans égo.

Je pense que son attachement au livre Le retour du phénix de Marthe de Chambrun Ruspoli dont Roland Tefnin a bien démonté le contenu dans la revue L'Antiquité Classique de 1985 suffit à situer le niveau de sérieux du travail de Staune.

Je crois que je ne reconnais à son fil de recherche qu'un mérite : celui de poser la question de savoir ce qu'est l'Eglise johannique dont parle l'Evangile de Jean en son chapitre 21, question qui en a travaillé tant d'autres par le passé (je pense ici à Léonard de Vinci avec son célèbre tableau de la Cène, et aux églises "parallèles" guérisseuses ou non). Si elle existe, de toute façon, vu l'ambiance antéchristique actuelle, cette Eglise ne peut pas être du côté des auteurs de livres à succès, ni des conférenciers promus par YouTube. Le Royaume est comme la graine de sénevé, il grandit dans l'ombre et l'humilité (Matth 13:31).

Personnellement, je préfère en ce moment m'intéresser à un tout autre auteur, très clandestin celui-là et impeccablement fidèle à l'Eglise de Pierre, humble essayiste méthodique et scrupuleux des années 1850, le normand Eugène Aroux. Denis de Rougemont dans L'Amour et l'Occident ne le cite que pour l'associer au Sar Péladan, ce qui est un grand tort. Je crois que ses hypothèses sur les cathares et l'amour courtois, même si elles simplifient un peu trop la problématique de l'amour platonicien, sont extrêmement utiles pour comprendre le poids de l'hérésie dans la culture européenne depuis Joachim de Flore, surtout son poids occulte. Oui, il faut se plonger dans les travaux d'Aroux. Ceux-ci d'ailleurs ne sont pas étrangers au sujet de l'adamisme dans le couvent franciscain de Louviers que j'évoquais dans ce blog il y a deux mois, et cela conduit à réfléchir aux fruits douteux du séraphin d'Assise, particulièrement en la branche actuelle de son arbre : l'Eglise "synodale" que le pape tente d'imposer. On y reviendra. 

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Quand L'Humanité faisait l'éloge d'Arthur Avalon et de la déesse-mère

18 Mai 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Alchimie, #Shivaïsme yoga tantrisme, #Médiums, #Spiritualités de l'amour, #Histoire des idées, #Histoire secrète

J'ai déjà rappelé ici que le socialisme révolutionnaire de Pierre Leroux et des saint-simoniens était très attaché à la figure de la déesse-mère. On oublie aussi souvent qu'un grand alchimiste, Jollivet-Castellot, fut un des fondateurs du Parti communiste français (et l'on sait le lien entre l'alchimie et la Terre-mère, Gaïa). On est là dans la tradition maçonnique (et médiumnique) du Nord-Pas-de-Calais (cf Facon).

On ne devrait donc peut-être pas être si surpris que cela de lire dans le célèbre journal communiste français L'Humanité du 3 février 1924, sous la plume de Maurice Parijanine (Maurice Donzel), journal pourtant en théorie principalement inspiré par le matérialisme dialectique de Marx, un éloge d'un poème d'Arthur Avalon dédié à la "Mère des Védas" et "Reine des Serpents". "Le culte de la mère, observe Parijine est très ancien, il appartenait déjà a la civilisation méditerranéenne la plus reculée" pour que ses lecteurs ne réduisent pas cela à une bizarrerie indienne. Puis il ajoute à l'intention des admirateurs de Lénine : "Nous avons encore beaucoup à apprendre de l'Asie. Certains révolutionnaires russes ont dit de leur pays qu'il est une Eurasie, une alliance foncière des deux continents. Il y a du vrai là dedans ; et, si nous persistons dans notre décadence occidentale, il se pourrait bien que le foyer de la civilisation dérivât lentement à l'opposé du soleil, vers les sources primitives des générations. Des poètes s'écrient l'Europe n'est plus. L'Asie seule contient l'avenir dans ses vallées sécrètes. Pour nous, engagés dans une lutte quotidienne, ces prévisions à lointaine portée ne semblent avoir qu'un intérêt relatif. Cependant, nous pouvons déjà compléter notre culture, rendre notre pensée largement humaine par l'observation des Orientaux. Des spécialistes nous ouvrent le trésor de leurs antiquités. Des écrivains d'envergure mondiale, tels que Romain Rolland et Rabindranath Tagore nous révèlent la conscience d'une Asie toute moderne. Entre les deux extrémités des temps connus, nous discernerons des traditions fécondes et notre désir d'Universalité spirituelle pourra s'assouvir". On est là encore assez proche de l'indophilie de Pierre Leroux, et pas très loin de sa religion de l'humanité, antichambre de la religion unique mondiale qui se met en place sous nos yeux.

Arthur Avalon (Sir John George Woodroffe), dans la Puissance du Serpent (The Serpent Power), fut le premier à mettre à la sauce occidentale de la Théosophie les chakras et la kundalini comme réalités énergétiques tangibles qu'il avait expérimentées dans le tantrisme indien.

Bien sûr Parijanine, s'il est en un sens représentatif d'un certain courant de la gauche révolutionnaire française, ne l'est probablement pas de l'ensemble du mouvement communiste. Traducteur de Trotsky il rejoignait cette dissidence à la fin des années 1920 et en 1929  polémiquait contre l' "écrivain officiel" (et membre de la fraternité des Veilleurs de Schwaller de Lubicz) Henri Barbusse. Son rapport à Avalon est peut-être inspiré de son propre vécu : il s'était en effet imprégné des campagnes russes entre 1917 et 1920 qui ont peut-être gardé à l'époque quelque choses du chamanisme initial, comme le shivaïsme.

Pour autant son goût pour la Terre-mère ne relève pas de l'idiosyncrasie, et d'ailleurs même si cela avait été le cas, le statut de chroniqueur littéraire qu'eut Parijanine à l'Humanité de 1923 à 1928 donnait une portée importante à ses particularités. On voit qu'il rattache le travail d'Avalon à celui de Romain Rolland, célèbre pacifiste socialiste, qui diffusa en Occident la pensée de Rabindranath Tagore et de Gandhi... On peut penser aussi au surréalisme qui avait aussi à l'époque le regard porté vers l'Orient. Tous ces courants convergeaient pour élargir les brèches antichrétiennes ouvertes par Mme Blavatsky et qui allaient trouver un boulevard à leur service dans le New Age. Et cela ressort à nouveau aujourd'hui, à la faveur du succès des thématiques écologistes (elles-mêmes très soutenues au sein de l'ONU par des sectes new age dans les années 1990) aussi bien à travers les "unes" que L'Humanité Dimanche consacre à des sorciers ou que des clins d'oeil à la santeria cubaine d'un Jean Ortiz.

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Hypnose dangereuse

30 Avril 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Médiums, #Christianisme, #Shivaïsme yoga tantrisme

Hier (29 avril) l'ex-médium repentie Doreen Virtue invitait sur sa chaine YouTube une autre ex-médiums "sauvée en Jésus-Christ" Jenn Nizza pour évoquer la question de l'hypnose thérapeutique, un sujet qui suscite autant de polémiques en milieu chrétien que les massages.

Jenn Nizza y explique que tranquilliser l'esprit l'ouvre à des influences spirituelles potentiellement dangereuses (il en va de même pour la méditation) et raconte notamment l'expérience à laquelle fut soumise en 2013 Theresa Caputo, très médiatique médium quinquagénaire (née en 1967) de Long Island (et catholique pratiquante), lorsque le Dr Daniel Amen a scanné son cerveau avec un dispositif de tomographie par émission monophotonique (TEMP, SPECT en anglais), une expérience qui a été ensuite reproduite sur des plateaux de télévision, notamment par le célèbre Dr Ozz. Les scanners ont montré que lorsqu'elle canalise des messages de l'au-delà et du monde invisible, son cerveau est dans le même état de passivité qu'au cours de la méditation ou de l'hypnose. Cela prouve selon Jenn Nizza que l'inactivité du cerveau fait entrer des éléments que nous ne maîtrisons pas, des éléments potentiellement dangereux, ce qui explique que la Bible prône la vigilance et l'éveil permanent dans la prière.

Au passage notons quand même que l'analyse de la voyante Maud Kristen par le spécialiste américain de la parapsychologie Normand Don en 2001 n'avait pas donné les mêmes résultats : fonctionnement en symbiose des deux hémisphères cérébraux, relaxation mais pas d'inactivité (mais avec Kristen c'était un test d' "intuition", de clairvoyance, pas de nécromancie).

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"Mystique et Magie" de Jean-Gaston Bardet

24 Janvier 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Alchimie, #Spiritualités de l'amour, #Sainte-Baume, #Shivaïsme yoga tantrisme, #Anthropologie du corps, #Philosophie, #Histoire des idées

"Ne t'arrête pas de hurler sur le cadavre du genre humain que tu vois s'en aller vers des malheurs si grands que la langue ne peut les décrire" (Ste Catherine de Sienne, Le Livre des dialogues, CVII)

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Un lecteur de ce blog que j'interrogeais il y a peu à propos de la numérologie et des heures miroirs m'a conseillé la lecture de Jean-Gaston Bardet (1907-1989), architecte urbaniste qui étudia avec le docteur Alphonse Gay (un clinicien enseignant à la Faculté catholique) le fonctionnement des mystiques chrétiens mais aussi publia divers ouvrages sur la spiritualité (ce qui lui valut de devenir un conseiller du pape Jean XXIII). Je me suis procuré Mystique et magies, paru chez Trédaniel, 1972 puis réédité deux fois, et me suis décidé à le commenter sur ce site, particulièrement parce que cet ouvrage s'intéresse de très près à la problématique du double spirituel, que j'ai un peu abordée dans mon essai sur les médiums de 2017 et qui a pris une importance certaine dans mon expérience personnelle depuis lors. J'essaierai de présenter ici pas à pas le contenu de ce livre, tout en m'excusant auprès des lecteurs pour mes maladresses, mes approximations, et mon ingénuité, car je suis tout à fait Béotien dans les sujets que je vais exposer ici.

Le livre commence, en introduction, par cette problématique du dédoublement. Il en est de deux sortes, nous dit l'auteur : il y a la sortie du corps naturelle dans l'espace et le temps, auquel on peut parvenir dans des rites initiatiques ou par la consommation d'enthéogènes - ça, cela relève de la magie ; et puis il y a l'extase surnaturelle hors du continuum espace-temps, et cela, ça relève de l'expérience mystique.

D'emblée il annonce qu'il ne pourra pas examiner ces deux aspects de la sortie du corps sans avoir examiné la problématique de l'alphabet hébraïque, parce que "chacun sait, écrit-il p. 20, que la plupart des formules ou pantacles magiques (même si on les donne sous couvert de celtisme) renferment des expressions et des lettres hébraïques".

Qu'il me soit permis d'ouvrir une parenthèse ici. Je me souviens que Maurice Caillet, franc-maçon repenti converti au catholicisme, avait un jour dans une conférence témoigné qu'une femme avait été prise d'un malaise dans le cadre d'un cours lorsque l'orateur avait écrit des lettres hébraïques au tableau, ce dont ce dernier s'était excusé ensuite car il s'agissait effectivement des lettres d'un mot magique. Depuis lors, je suis tout à fait convaincu de la puissance des lettres hébraïques, et cette vidéo dans laquelle le rav Menahem Berros (dont on a déjà croisé le nom sur ce blog) raconte comment il a pu réaliser un exorcisme à partir d'une spéculation sur les lettres hébraïques finira, je pense, de vous en persuader...

Suit dans cette introduction une thèse un peu compliquée sur le fait que l'alphabet hébraïque n'est pas purement consonantique (sans quoi le tétragramme YHWH serait imprononçable), ce dont les Juifs eux-mêmes ont perdu le sens à partir de la codification d'Esdras (au IVe s av JC), avec notamment la perte du fait que dans le tétragramme, le vav porte aussi le "o" qui ouvre la voie à l'incarnation de Dieu. "La signification de l'Ecriture esdraïque étant perdue, deux grands courants se formèrent : le courant talmudique, moraliste et le courant kabbalistique ésotérique et mixturé de gnose alexandrine" (p. 28), le Talmud ayant oublié d'utiliser dans la Torah les lettres anormales et les kabbalistes (pour la gematria) les 5 lettres finales qui s'ajoutent aux 22 lettres. A partir d'une analyse serrée du bras de fer entre Moïse et les magiciens du Pharaon (autour de la question des divines proportions) et des compétences de Joseph et Daniel en matière d'interprétation des rêves, Bardet pose (p. 45) que les "Hébreux n'avaient rien à apprendre des Egyptiens ni des Chaldéens en matière de science divine" (ce qui est effectivement normalement le postulat de tout chrétien attaché à la Bible), ce qui lui permet de révoquer toute la numéralogie pythagoricienne prisée par l'ésotérisme français (Claude de Saint Martin, Papus), que Bardet considère comme fausse ("le pythagorisme est une véritable caricature de la Torah", écrit-il).

A la racine de l'erreur de la magie, nous dit Bardet, il y a l'acte de rébellion d'Eve qui, faisant confiance au serpent, croit qu'elle deviendra "comme Elohim", et, ce faisant, agit aussi sans référer à Adam qui est normalement sa tête (ce qu'a redit Paul dans sa première lettre aux Corinthiens). "C'est l'amorce du matriarcat, nous dit Bardet, période la plus funeste des sociétés humaines. La femme, physiquement plus faible cherchera ses pouvoirs dans le psychique, d'où les 'mille sorcières pour un sorcier' de Michelet" (p. 46).

J'ouvre ici une parenthèse pour noter que Bardet à la différence des Chrétiens d'inspiration hénochienne de nos jours (voir mon dernier livre là-dessus) identifie bien la faute d'Eve comme origine de la magie, et non pas l'union des Fils de Dieu/Veilleurs avec les Filles des hommes (Genèse 6:1-4).

L'opposition entre magie et mysticisme se découvre , nous dit Bardet, dans la différence entre le moment où Moïse extrait de l'eau en frappant un rocher de son bâton (Exode 17:5) avec un geste technique qui est celui du sourcier du cas où, dans Nombres 20:7, il est censé faire surgir de l'eau d'une seule parole sur ordre de Dieu (mais il commet ensuite l'erreur de frapper deux fois le rocher de son bâton de peur que cela ne marche pas...).

Venons en maintenant à la question de dédoublement, de la dualité, abordée dans le chapitre II, qui a déjà son principe dans la dualité entre le monde d'en haut et celui d'en bas ("sur la Terre comme au Ciel"). L'humain comprend le rouach (l'esprit, pneuma, la lettre pi, qui vient du he hébraïque), et le nefesh (l'âme vitale, psyché, psi, qui vient du shin hébraïque). Le rouach, pneuma, commande tout. Il est non localisé par essence. Le nefesh-psyché coordonne les plans de vie. "Grâce à elle peuvent s'exprimer instrumentalement les actes intellectuels et libres de notre pneuma...Elle assure, à l'étage végétatif, la continuité nécessaire à la chair. Enfin, elle peut, hors du corps, continuer à assurer la vie. Soit dans le cas des âmes séparées après la mort ; soit dans le cas du dédoublement." (p. 70,

Au passage Bardet condamne Descartes qui coupe l'âme-psyché-nefesh du corps, mais aussi CG Jung qui appelle "âme" (Seele) aussi bien le rouach que le nefesh. On pourrait au passage reprocher à Bardet dans son obsession de tout dédoubler d'oublier au passage qu'il existe aussi dans le judaïsme un troisième élément, la neshama, dont il ne parle jamais.

Attaché à la démarche empirique, justement à cause du dédoublement (qui pour Bardet n'est pas démoniaque mais très ordinaire), il s'intéresse à des cas comme Léo Ferrer, adepte du yoga, ou du réalisateur (qu'il présente comme un peintre) Guy Casaril , auteur dans la collection "Maîtres Spirituels" (Editions du Seuil) de "Rabbi Siméon Bar Yochaï et la Kabbale", qui faisait des sorties du corps par la tête. Il évoque la vision du double dans un brouillard bleuté, transparent, blanc ou blanc violet, l'élévation du double au dessus du charnel. Ce n'est pas une bilocation précise-t-il sauf que ce corps ne peut être touché sans quoi il serait blessé en réintégrant le corps (il rapproche cela du corps de Jésus ressuscité qu'on ne peut toucher en Jean 20:17).

Il ne faut pas que ce soit un dédoublement volontaire comme le font les gourous indiens. Genese 15:10 est mal traduit selon Bardet : c'est Abram lui même qui se divise. A juste titre il critique les expériences de projection dans l'astral des rosicruciens (AMORC) qui peuvent faire perdre la raison (d'ailleurs au 9ème degré de l'AMORC on ne se dédouble qu'à 30 cm). Avec un oeuf de 80 cm qu'ils font tourner les rosicruciens projettent dans cette forme leur double pour y rencontrer des larves astrales.

Puis Bardet évoque les âmes du purgatoire (qui est un état et non un lieu) qui vont rencontrer les vivants comme l'autrichienne Maria Simma. Celle-ci souffrait pour elles et ajoutait que les âmes catholiques souffraient plus mais moins longtemps que les protestantes. Elles ne peuvent rien faire pour elles-mêmes, seules les prières des vivants peuvent les sauver. Ensuite c'est au tour des anges de trouver place dans le livre avec des souvenirs de l'auteur sur son expérience de guerre en 1940 et sa visite au Padre Pio en 1952 à l'invitation de Raoul Villedieu (un ange matérialisé dans un corps le guida comme dans Tobie 12:19). Sur les anges déchus il renvoie à Giovanni Papini - son livre sur les démons dans l'art contemporain (p. 104). On trouvera ensuite dans l'ouvrage de Bardet une critique de la "bêtise" des entités spirites qui rappelle celle (plus inspirée) que fait Guénon, et une analyse expérimentale d'une canalisation de Lola Montès par une certaine Mme Laval de Montauban en 1932 et de celle de Suzon Clairac.

En venant aux exorcismes, JG Bardet estime qu'ils ne doivent être accomplis que par des prêtres irréprochables et que l'Eglise catholique les minimise trop maintenant du fait d'une surévaluation du rôle des démons qu'il y eut auparavant pendant la contre-réforme. Il cite longuement des exorcismes figurant dans un ouvrage de Mgr Léon Cristiani paru en 1959, ce qui est peut être une façon, me semble-t-il, de leur faire un peu trop de publicité. Une petite anecdote "Le brave Père Lamy, curé de La Courneuve, voyait souvent Satan dans un coin de son église et il l'apostrophait : 'va t en sale Bête !'. Alors Marie présente intervenait : 'Souviens toi que c'est un Prince' ". Le Père Lamy a sa fiche Wikipedia aujourd'hui. Je ne suis pas sûr que cette anecdote serve sa cause. Bardet aurait mieux fait de citer Bérule

Au total le chapitre II "La structure humaine" apparaît assez banal et sans grande envergure. Le chapitre suivant sur la magie (que l'auteur situe dans la sphère du paranormal, entre le surnaturel et le naturel, et dans laquelle il voit surtout un facteur de déséquilibre cosmique), est très marqué par la figure de Papus que l'auteur a lu lorsqu'il était lieutenant dans le Génie à Metz. Il insiste sur la nécessité de s'y livrer dans un cercle protecteur (circulus) après avoir été exorcisé selon le rite romain par les quatre éléments, avec sur soi un pantacle et de faire preuve d'ascétisme.

Faisons une mention de ses remarques sur le rapport de la magie à l'eucharistie car c'est un élément important du débat actuel (comme ça l'a toujours été) avec les protestants. Il rapporte l'expérience de Papus qui avait amené un sujet hypnotisé à la messe et avait vu une lumière sortir du coeur de fidèles pour aller entourer le prêtre au moment de la communion. Ce qui recoupe le propos du théosophe Arthur E Powell (que Bardet orthographie par erreur "AF Powel" il y a quelques coquilles de ce genre dans son livre...).... tout en ajoutant : "Mais ce que Powel ne précise pas, c'est qu'il n'y a aucune manifestation dans le cas des pseudo-évêques théosophes". La même expérience a montré aussi une condensation de lumière en provenance des fidèles sur les hosties protestantes (mais pas sur le pasteur), et le voyant orthodoxe a vérifié la même choses sur les hosties orthodoxes lors de la communion. Bardet dit (p. 144) refuser volontairement de rapporter les expériences de voyants catholiques pour qu'il n'y ait pas de soupçon de partialité. Et comme beaucoup de catholiques l'auteur rappelle que l'utilisation des hosties consacrées par les satanistes qui les détournent (c'est encore arrivé récemment au Canada) suffit à en prouver le pouvoir. Bardet évoque aussi des expériences pendulaires sur du pain béni. Selon lui, la force de l'eucharistie aurait dû dispenser Papus et les autres de pratiquer la magie.

"Au lieu de s'adresser à des esprits qui réclameront un lourd paiement différé, l'ami de Dieu - par la prière, par l'oraison, par le secret des pères du désert, s'adresse directement à l'Essence créatrice. Il renoue le contact perdu" et l'attitude apparemment passive du mystique est "la plus haute forme d'action" disait Bergson...

La magie s'est frayé un chemin au Moyen-Age sous couvert d'hébraïsme avec notamment Rachi de Troyes qui tirait profit de l'influence des foires de Champagne (Louis Chochod). Les chrétiens débattaient avec les rabbins, mais une fois découverte la kabbale, le concile de Latran IV impose l'étoile jaune en 1215, Saint Louis fait brûler le Talmud et l'Angleterre expulse les Juifs en 1290. En 1516 Venise crée un ghetto. Mais l'hébraïsme a déjà envahi l'Europe avec l'astrologie et l'alchimie "jusque dans les boucles d'oreille - à l'imitation des Maures et des Tsiganes - que portaient les Compagnons du Devoir".

Plus grave encore aux yeux de Bardet, les hérésies comme le catharisme dont le "consolamentum" provoque des décorporations sataniques calquées sur le Corpus Hermeticus (Jean Guiraud).

Bardet examine ensuite le Graal dont j'ai montré dans mon livre sur Barbara Aho qu'un courant évangélique (entre autres) lui prête une nature luciférienne. Pour Bardet il s'agit du Christ à double nature : shin (vert - Luc 23:31) et waw (rouge).

Selon Bardet, les Compagnons du Devoir détiennent un secret sur le Graal... Je pourrais développer le sujet dans un billet séparé. Mais cela me prendrait trop de temps et d'énergie, donc je préfère traiter la chose en quelques lignes ici même si cela risque de rendre le billet fort long. Disons que divers événements biographiques m'ont sensibilisé aux thématiques de Bardet sur le sujet. Concernant le Graal, j'ai vécu six mois à Troyes en 1994 (salut Valérie Gruyer et Héry Ramilijoana !) ce qui m'a sensibilisé à l'intérêt littéraire (sinon mystique). Et j'ai  connu les compagnons du devoir par le biais de la provençale New Age possédée dont je parle dans mon livre sur les médiums, j'ai même effectué une ascension initiatique de la Sainte Baume avec eux.

Jean-Gaston Bardet mentionne un "dit" (une tradition orale) des Compagnons du Devoir : "Le Saint Graal a été porté par trois tables, une ronde, une carrée et une bicarrée. Toutes les trois ont une même surface et leur Nombre est 21".

Bardet rappelle que les Compagnons sont nés dans la mouvance bénédictine et qu'une partie s'est compromise avec les Templiers : les "Enfants du Père Soubise, de Nogent-sur-Aube ou Nogent-en-Othe, composé exclusivement de charpentiers ("Bons-Drilles" ou "Passants") contre les "Enfants de Maître Jacques", qui ont été interpénétrés avec les Tziganes et les Francs-maçons, se réfèrent à la kabbale et effectuent leur Tour de France en sens inverse de celui des congrégations religieuses (pour mémoire il y a une statue de "Maître Jacques" de Molay, à la Ste Baume).

Le Compagnonnage bénédictin savait que la valeur du Shin est 21 (et non 300 comme dans la Kabbale et le tarot). Le Shin (corps du Christ) qui a la forme d'un vase utilise d'ailleurs les trois formes : ronde (le point sur l'axe), carrée (les têtes des Wawin), rectangulaire (la base). On renverra au livre (p. 162-163) pour la polémique mathématique que Bardet engage avec Raoul Vergez (dit "Béarnais") et Louis Charpentier sur l'exploitation du Shin dans les cathédrales.

Pour Bardet, le sens du Shin présent dans l'architecture de la cathédrale de Chartres (construite entre 1194 et 1220) s'est perdu ensuite dans l'art gothique par la "pénétration gnostique" substituant l'étoile magique au Tétragramme sacré.

Selon lui, la vérité originelle du Graal est dans ce savoir maçonnique bénédictin champenois autour du nombre, de la figure et du poids, que l'hermétisme spéculatif va défigurer en en faisant un objet de voyage alchimique, comme la Toison d'or, tandis que seule la Table ronde est conservée (sans les autres formes), "symbole d'égalité-fraternité", puis on ira même au XIII ème siècle jusqu'à y introduire de la magie celtique (Merlin) et même Alexandre le Grand, symbole du syncrétisme.

Shin est la lettre centrale dans le nom de Jésus au milieu du tétragramme : Y H Sh W H, et 21, sa valeur est la seule lame au tarot non numérotée au fronteau et le Shin y est surnommé "le Fou" à titre blasphématoire (Chochod). Tout homme normal a un shin à l'endroit au vertex et un shin inversé au pied et c'est l'inverse chez les satanistes (on renvoie à la p. 167 du livre pour une approche pendulaire des diverses dispositions de Shin chez des personnalités des années 1970).

Pour rapprocher le travail de Bardet de celui de l'évangélique Barbara Aho auquel j'ai consacré mon avant dernier livre, je dirais qu'ils partagent une même aversion pour le talmudisme, mais une même fidélité à l'hébraïsme originel revivifié par le sacrifice de Jésus-Christ. Cependant Bardet a un regard plus nuancé que la prédicatrice texane sur les Templiers dont il souligne l'utilité initiale. Toutefois il reconnaît des problèmes originels de symbolisme dans cet ordre (la croix renversée sur l'épaule gauche), le danger qu'il y avait à laisser une "armée coloniale" de ce type, même pourvue d'une règle de fer, évoluer "en vase clos", et le placement dans ces ordre, à titre de redressement, disciplinaire, de dignitaires cathares repentis. L'orgueil des Templiers à qui on put faire avaler qu'ils auraient des savoirs orientaux secrets sans en payer le prix, la compromission de Gérard de Ridefort, jusqu'à l'adhésion à la Sourate IV du Coran (Jésus n'est pas mort sur la croix), firent le reste ce qui explique que les Templiers aient ensuite volé à Constantinople en 1207 et caché le St Suaire (preuve de la crucifixion de Jésus) réapparu seulement en 1353 (46 ans après la dissolution de l'Ordre).

Pour Bardet, toutes ces magies prolongées par la rose-croix et la franc-maçonnerie recherchent le dédoublement psychique, le contact avec des entités, la promotion (comme les chrétiens sociaux) d'un Christ humain, dans la lignée de l'arianisme, au cœur même d'une France qui, placée sous le même archange (Michel) qu'Israël, est appelée à sauver le monde (p. 185). Papus avait déjà vu qu'en franc-maçonnerie, "les mystères du dédoublement conscient de l'être humain, ce qu'on a appelé la sortie consciente du corps astral... ont été développés pour constituer les degrés écossais, ajoutés par le Suprême Conseil de Charleston (en Caroline du Sud) vers 1802"... " et ces grades conduisant au dédoublement sont précisément, couronnés... par des grades Templiers" Cette maçonnerie "écossaise" était en fait américaine, et hébraïque avec la fondation du B'nai B'rith en 1843.

Tout cela n'est que supercherie pour Bardet car les dédoublements volontaires (magiques) ne font rencontrer que des "larves astrales". Le psychisme ne sort pas de lui-même (idem dans les exercices ignaciens des jésuites p. 305).

Le vrai dédoublement s'obtient par la voie ascétique (celle de la mortification) et la voie mystique (la mort spirituelle), qui est le renoncement à la volonté personnelle (St Jean de la Croix, Eze 1:12). Là la chair s'aligne sur l'esprit, mais l'esprit a encore à progresser et s'affranchir de ses propres frasques, et il doit continuer à progresser vers les demeures les plus intérieures de son château (Ste Thérèse d'Avila). La grâce de l'entrée dans la 5eme demeure peut advenir au moment le moins attendu par l'extase des Ténèbres comme ce fut le cas pour J de J qui n'était jamais passé par l'étape de l'oraison. Elle arrivait à tout moment à Anne Marie Taïgi (p. 334).

Une petite parenthèse à ce stade : un lecteur de ce blog qui a bien connu Gaston Bardet, me précise : "Gaston Bardet avait  demandé au docteur  Charles Villandre  un crucifix  reproduit d'après les  travaux du Docteur Pierre Barbet au sujet du  Linceul de Turin. Il me semble que ce crucifix était grandeur nature et comportait les détails anatomiques les plus précis révélés par  les photos en négatif de la Sainte relique. Gaston Bardet entendait  battre le cœur de Jésus à l'intérieur de cette très fidèle reproduction . C'est à partir de ce moment qu'il  ajouta  le prénom de" Jean" au sien propre: "Gaston". Dans ses livres, il parle de J de J. Il s'agit de lui-même soit "Jean de la Joie" Il avait en effet reçu les "grâces de jubilation" si bien décrites par Sainte Thérèse d'Avila."

On oublie trop souvent, nous dit Jean-Gaston Bardet p. 336, que l'intelligence puissante de St Thomas d'Aquin s'enracinait dans une propension très forte pour l'oraison. Il pouvait, sur cette base, se provoquer des extases à volonté comme beaucoup d'autres saints selon Richard de Saint Victor. Selon son biographe (Vita Sancti Tomae), Guillaume de Toccoprocureur du couvent des frères Prêcheurs à Bénévent représenté  en bas à gauche du tableau de Zurbaran ici , très sensible à la douleur, il se provoquait des extases en lieu et place de nos anesthésies, lorsqu'un chirurgien devait effectuer sur lui une opération chirurgicale. Bardet précise dans une note de fin de chapitre que lui-même a tenté d'entrer en extase pour une opération mais que cette initiative combinée aux effets de l'anesthésie l'a plongé dans une syncope bleue. Il pense que St Thomas était un homme à la peau fine comme les sélectionnait Swami Vivekananda pour en faire ses disciples.

P. 338 Gaston Bardet s'essaie à des observations médicales sur les effets de l'oraison. Il relève notamment l'apaisement des névroses, des angoisses, lié à un ralentissement de la vie végétative (ce dont, note-t-il, les taoïstes et les "yoguins" abusent). Il étudie aussi les maladies de l'Esprit que peuvent occasionner les extases mais aussi l'effet étrange de la communion spirituelle sur ces maladies comme une bronchite qu'il avait lui-même contractée dans une extase mais qui fut ensuite stabilisée pendant trois semaines au point que son médecin lorsqu'il l'examina pensa qu'elle n'avait que trois jours. Il condamne au passage le mot de "faiblesse" forgé par Ste Hildegarde pour les léthargies extatiques, y voyant les premiers effets funestes d'un humanisme naissant (le bébé qui s'endort contre le sein de sa mère vivrait-il dans la faiblesse ? demande-t-il).

Ces effets de l'oraison lui paraissent diamétralement opposés à ceux des "états hypnoïdes" (pratiqués en sophrologie, chez certains médiums etc) qui "consistent en un clivage de plus en plus accentués du cerveau antérieur (hémisphères cérébraux et cerveau intermédiaire ou diencéphale) et du névraxe : moelle et cerveau postérieur. Ce clivage  entraîne une dissociation de plus en plus grave de l'intelligence et de l'imagination, de la volonté et de la sensibilité, de la mémoire des concepts et de la mémoire des images, une suppression de la sensibilité, puis, progressivement, des cinq sens ainsi que de la motricité". Dans le sujet animal coupé de son cerveau antérieur, l'hypnotiseur peut insérer une image, une suggestion, comme fait le démon dans la tentation qui agit par l'imagination (cela une voyante me l'avait déjà dit...). Joseph Breuer sur cette base introduisait des images inconscientes dans le cerveau animal qu'il pouvait ensuite refaire surgir et manipuler. L'AMORC (le rosicrucisme américain) l'utilise pour plonger les adeptes dans des états qui les font rencontrer des entités.

Le magnétisme plonge aussi dans un sommeil comme l'hypnose mais sur un mode plus progressif. Bardet en décrit les étapes et témoigne qu'il a pu faire parler en anglais un sujet en état de cataleptie magnétique (p. 350) ce qu'il rapproche des cas de possession décrits par Mgr Saudreau, cité par L. Christiani (et cela est à rapprocher aussi du programme MK Ultra de la CIA). Cela conduit à des états de somnambulisme, perception à distance etc.

Au delà, c'est la dissociation du corps subtil (le "ka" égyptien) chère aux adeptes du yoga, et obtenu électriquement par le colonel de Rochas à l'aide d'une machine Wimhurst. Hector Durville les photographia. Le journaliste anglais adepte du yoga Paul Brunton (Raphael Hurst), a raconté son expérience dans la Grande Pyramide de Khéops de déboublement dans les années 1930, qu'il vécut comme un début de mort, avec une remontée de l'âme vers la poitrine et le cerveau et la sensation de basculer dans l'infini. Bardet explique en note de fin de chapitre que "son dédoublement inopiné provient sans doute des radiations dangereuses qui baignent le tiers inférieur de la Pyramide" (nb : sur les pyramides et l'électricité voir notre billet ici) et observe qu'ensuite Brunton n'aura que des expériences décevantes en Inde. Pour lui, c'est une expérience de psyché (nephesh), pas de pneuma (rouach). La part du nefesh qui sort est un ectoplasme froid, reptilien, sans intelligence, physique et donc affecté par le chaud et le froid (je vous renvoie à mon billet de 2018 dans lequel je relevais cette anecdote racontée dans la revue Smash Hits de 1988 par la chanteuse californienne bouddhiste ex-cocaïnomane Belinda Carlisle, de son contact en 1977 - à 19 ans - à Londres avec un ectoplasme froid).

Bardet revient ensuite sur les bilocations, celles du Padre Pio dont on a beaucoup parlé sur ce blog, celles de Mère Yvonne-Aimée de Jésus (aussi citée sur ce blog) celles du dominicain péruvien Martin de Porres, bilocations liées à une union supérieure avec le Dieu trinitaire. La même méthode d'opposition du mysticisme chrétien à la magie païenne et juive revient dans le chapitre VII sur la kabbale où il invoque l'autorité de St Bonaventure (et même des qaraïtes p. 406) contre Gershom Sholem et les tarologues.

Ceux qui se confrontent couramment au yoga, au New Age, à tous les coachs de "développement personnel" très en vogue en ce moment et de bien être pourront lire avec profit le chapitre VIII. « Approché par la Route de l’Est (identification), avait écrit en août 1948 Teilhard de Chardin dans "Comment je vois", l’Ineffable n’est pas Aimable. Atteint par la Route de l’Ouest (union), Il est dans la direction prolongée de l’Amour. Ce critère très simple permet de distinguer et de séparer comme antithétiques des expressions verbales presque identiques chez un chrétien et un indou » . Le penseur, nous dit JG Bardet, après s'être égaré dans une "synthèse philosophico-scientifique" et une aberration comme le "rôle cosmique de la sexualité" retrouvait ainsi la voie de la Trinité : aucun salut ne vient de l'Orient. La France après l'Allemagne (où la syllabe "oum" servait à conjurer depuis le XVIe siècle) est devenue en 1945 une terre de mission pour le yoga. L'opération nous dit Bardet était coordonnée par les francs-maçons qui savaient que la théosophie n'avait pas suffi à garantir l'importation du culte de la déesse mère sous nos latitudes (il s'appuie à ce sujet sur le livre de Jacques Lantier "L'extraordinaire aventure de la théosophie" paru en 1970). Le celtisme en Bretagne et au Canada n'est qu'un auxiliaire de cette tendance : "ce dernier pue l'hitlérisme sous couvert d'aryanisme", note l'auteur p. 420 qui cite un extrait non daté de la "Revue du Québec Libre" celtisante lequel disait : "Pourquoi parler des camps de concentration dans l'Allemagne national socialiste où, d'ailleurs, aucune chambre à gaz n'a jamais existé ?"...

Pas toujours ordonné dans ses démonstrations (c'est le moins qu'on puisse dire), JG Bardet fait un détour par la vie affective désastreuse des piliers du mouvement théosophiques que furent Helena Blavatsky, Annie Besant et Anne Kingsford. Puis il se confronte à la civilisation indienne : "Ce pays de mathématiciens, d'idéalistes - et non de mystiques, c'est à dire de réalistes - a dévié la notion d'éternité : Eternel Présent" (p. 422), tandis que les Indiens s'interdisaient justement de penser l'éternité en ajoutant des zéros (leur invention) aux années, ce qui entraîna un désespoir collectif devant le réel représenté par la doctrine de la réincarnation des bouddhistes et des jaïnistes.

Le Hatha-Yoga, nous dit Bardet, ne conduit pas à "servir" Dieu "mais à se transmuer en dieu par la violence de son énergie sexuelle, et le Jnana-Yoga n'est qu'un enfermement orgueilleux dans la connaissance de soi. Seul le Bakhti-marga comme recherche de l'unité avec le Bien-aimé trouve grâce à ses yeux. Il évoque au passage un échange qu'il avait eu avec le Swami Siddheswarananda qu'il avait rencontré dans les années 1950 pour lui dire qu'il se trompait sur St Jean de la Croix et qui mourut ensuite "très vite d'un cancer consécutif à ses pratiques" (p. 424).

Pour JG Bardet, le Hatha-Yoga consiste à "transmuer l'énergie due à la respiration et l'énergie sexuelle en énergie dite cérébrale", et il se livre à une analyse de l'énergie de nature électrique (qui est aussi celle des magnétiseurs) dont on constate la circulation avec l'acupuncture chinoise et d'énergies purement spirituelles dont le "gayographe" avec lequel il a travaillé pourraient enregistrer les variations. De ces énergies invisibles l'hindouisme dégage la notion de corps subtil mais qui n'est qu'une partie du corps glorieux chrétien et qui, bien qu'il survive au corps "lourd" après la mort physique, est voué à terme à la dissolution. Le Hatha-Yoga, union du soleil (ha) et de la lune (tha), est un travail sur la Kundalini-Shakti, le Serpente originelle (Alain Daniélou, Yoga, méthode de réintégration, L'Arche, 1951). "Aujourd'hui, le yoga qui nous est transmis n'est pas le yoga initial, le mode d'union de la Révélation primitive, mais le Yoga sexualisé de l'ancien matriarcat, c'est à dire la pire dégradation satanique de la Révélation de la Vierge Marie" (condamnée par le Concile d'Ephèse de 431 qui en la proclamant theotokos rompt toute confusion possible avec la déesse mère). La contraction du périnée (yoni) à la base des postures (asanas) n'est pour JG Bardet qu'une activation d'une vulve en tout un chacun, et un massage des parties sexuelles qui active une énergie laquelle conduit à des vibrations de l'hypophyse analogues à celle que provoquent le chant et la psalmodie - à ce stade on peut émettre une réserve : toute séance de yoga n'implique pas des contractions du périnée.

En bout de chaîne, aux yeux de Bardet, il y a le tantrisme, dernière invention indienne (selon Mircea Eliade, mais ce point est controversé) sous l'influence du taoïsme (je précise que cela est confirmé par Van Gulik). Pour JG Bardet qui s'inspire toujours des travaux de Daniélou qu'on a cités sur ce blog il y a 13 ans, il y aurait là une sorte de revanche du shivaïsme dravidien sur les vedas aryennes : "le sang noir l'a emporté (comme chez les Soufis) pour pousser à l'orgie" (sic). Cham qui s'est moqué de l'ivresse (mystique) authentique de son père, Noé, a bien mérité d'être maudit" (p. 434). Ce passage révèle une connaissance très superficielle du tantrisme, avec des clichés raciaux dignes de Benoist-Méchin, et du style de pensée très années 40 de l'administration vichyssoise. Sans doute le pire passage du livre.

Il y aurait selon Bardet une catalepsie yogique qui accélère le pouls là où les catalepsies de magnétiseurs fonctionneraient plutôt sur des ralentissements du pouls (mais là encore cette remarque ne correspond guère aux pratiques actuelles en Occident pour ce que je peux en savoir).

Pour terminer JG Bardet fait l'éloge de l'hésychasme, au moins dans sa version originelle car selon lui au Mont Athos, en Grèce, il est dénaturé par une volonté de "faire descendre la prière dans le coeur"... Il y a peu, comme je lui parlais de Bardet, un de mes lecteurs m'a adressé le "scan" d'une dédicace du livre de l'indianiste béarnais Jean Biès sur le Mont Athos (Editions Albin Michel) ainsi rédigée : "A Monsieur Gaston Bardet, qui me révéla, entre autres, dans son huitième chapitre de "Je Dors", le secret de la prière perpétuelle, je suis heureux de faire don de ce premier livre mien, - un essai sur nos frères séparés, une description d'un des derniers promontoires dominant encore l'An 2000. Jean Biès. Arros de Nay, 6 novembre 1963".

Jésus-Christ disait qu'on reconnaissait un arbre à ses fruits. Jean Biès, guénonien, s'est suicidé en janvier 2014, à l'âge de 81 ans, n'ayant pas supporté le décès de sa femme Rolande, qui était une admiratrice de la très jungienne Marie Louise von Franz... Disons le tout net : je ne suis pas très adepte de l'hésychasme (même si je défends évidemment la prière permanente mais sous d'autres formes), et cette affaire de suicide ne révèle pas une présence spirituelle très positive dans la maison de Jean Biès. Si Jean Biès est le "fruit" de l' "arbre" Gaston Bardet, il y a matière à s'inquiéter.

Un de mes amis orthodoxes me disait il y a quelques années qu'il y a danger à pratiquer la "prière du coeur" sans l'encadrement d'un Staretz. Je le crois volontiers. Gaston Bardet, lui, suggère de se préparer à l'extase mystique par la simple répétition mentale perpétuelle "d'une phrase mariale" (p. 480). "Une paix, purement psycho-somatique, commence à se faire sentir. Quand vient le soir, il ne faut plus rien faire qui puisse empêcher l'invasion de l'Esprit. Pour faciliter cette plongée, il faut se garder de faire oraison à genoux ou dans toute position nécessitant le contrôle de l'équilibre". S'asseoir dans un fauteuil, dans le silence, réciter avec un rythme lent, pendulaire, des litanies. "Ne rien chercher, aucun exercice touchant de près, ou de loin, à l'hésychasme et au yoga" (sans doute vise t il l'hésychasme "dégénéré" qu'il n'avait pas encore bien identifié en 1963 quand Jean Biès lui dédicaçait son livre). Pour finir il décrit les effets de cet abandon, et même les observations qu'il a pu en tirer au "gayographe"...La démarche même de se mettre dans un fauteuil le soir pour se rapprocher de Dieu parce qu'on l'a lu dans le livre de Gaston Bardet ne serait-elle pas en soi contraire au principe même d'abandon à la volonté du Créateur qui exclut par principe toute initiative ou tout "plan" personnels ? Nous terminerons ici la lecture sur cette question.

Voilà, en résumé (un résumé fort long j'en conviens mais je m'en servirai comme d'un aide-mémoire), le contenu du livre que je voulais vous exposer. A l'heure d'émettre une appréciation globale, il est difficile de juger l'expérience et le savoir exposés par Jean-Gaston Bardet. Beaucoup sont prompts à catégoriser "c'est de Dieu" "c'est du diable"... Au niveau théorique, on ne sait ce que vaut son travail sur le "shin" et sur le tétragramme. La volonté de travailler sur une langue réputée venir directement de Dieu, l'hébreu, en la soustrayant aux erreurs de la sorcellerie kabbalistique (et maçonnique) est louable. Je suis bien incapable de dire si elle est réussie (j'espère seulement que la connaissance de la kabbale par l'auteur n'est pas aussi biaisée que celle du tantrisme...). Au niveau pratique, les extases sont réelles. Sont-elles de Dieu ? On ne sait ce qu'il faut déduire du fait que Bardet mente à leur sujet en les imputant à un certain J. de J. alors que c'est lui qui les a vécues. Ce geste, en tout cas, lui, n'est pas de Dieu. De même on peut s'interroger sur l'impact de tout cela sur sa vie, son remariage avec une jeune femme, dont il eut une fille qui aujourd'hui étale ses états d'âme dans les médias du système 666, exactement dans le langage que ceux-ci veulent entendre. On sait que Ste Marguerite de Cortonne avait abandonné son fils en entrant au couvent : Mauriac reconnaissait que c'était l'ombre principale au tableau de sa sainteté. Est-ce que le sort donné à la progéniture est le critère de vérité d'une doctrine ? Question délicate de l'articulation entre théorie et pratique... Il est possible que Bardet ait été encore trop tributaire de Papus et des expérimentateurs de tout poil auxquels il ne faisait que tenter d'opposer un christianisme pur, puisque son christianisme lui-même se faisait expérimental et spéculatif, avec un pendule à la main. Le statut de sa recherche renvoie à celui de la recherche empirique. Y a t il une "science chrétienne" ? Faut-il fuir le travail mi-rationnel mi-inspiré autour du surnaturel ? On sait quel tribut la protestante Doreen Virtue paya au fait d'avoir grandi dans une famille adepte d'un mouvement américain qui se baptisait lui-même "science chrétienne" (elle attribue à cela son errance dans le "New Age"). Mais condamner l'observation expérimentale, n'est ce point également condamner St Thomas d'Aquin et même St Augustin qui lui aussi s'était interrogé sur les fantômes et les bilocations (voir ici) ?

Peut-être Augustin eut-il au moins la sagesse de ne pas consacrer des livres entiers à cela, et, après avoir vaguement soulevé les questions, laisser l'entière réponse à Dieu. Le livre de Bardet a en tout cas le mérite de présenter un état des connaissances assez érudit sur le parapsychisme et le surnaturel à la date du début des années 1970, avec une volonté sincère de ne pas céder aux sirènes de l'orientalisme, de la sorcellerie ou du New Age. A ce titre, il mérite une place dans nos bibliothèques.

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Tantrisme et christianisme

8 Janvier 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Shivaïsme yoga tantrisme, #Christianisme, #Anthropologie du corps

Il y a quelques années, j'étais tombé sur les travaux du théologien catholique John Dupuche sur le tantra chrétien. J'y avais fait allusion en 2019.

L'expérience chez les médiums que j'ai évoquée dans mon livre de 2017, m'ayant convaincu de l'existence des entités invisibles et des démons, je suis maintenant très prudent sur les questions sexuelles, qui sont un terrain d'appropriation privilégié de ces entités. Saint Paul est très clair à ce sujet quand il évoque l'unité de chair avec la prostituée ou l'impudicité, et l'on ne peut pas se prévaloir trop commodément du "tout est pur pour ceux qui sont purs" de Tite 1:15 (comme le firent quelques possédés du genre de Frithjof Schuon)... Mais c'est vrai qu'il reste des interrogations : pourquoi le Christ, que le chrétien doit imiter, se laisse-t-il caresser le pied par une prostituée ? et pourquoi dit-il que les prostituées (qui d'après la logique de Paul ne devraient pas avoir leur place dans le Royaume) seront-elles selon lui sauvées avec les publicain plus vite que les prêtres ? Y a t il là un propos purement rhétorique.

Mes derniers travaux sur la nudité et le sacré m'ont fait repérer des ponts inattendus entre le rapport des premiers franciscains à la dénudation et sont pendant chez les mystiques néo-shivaïtes féminines indiennes comme Akka Mahadevi ou Lalla Yogiswari... Est-ce que le pont serait concevable aussi dans la sexualité à travers le tantrisme ?

Je ne pense pas que John Dupuche aille aussi loin. Pour lui, c'est plus le travail sur le souffle et le détachement du tantrisme qui l'intéresse. Pas la sexualité, donc pas le tantrisme "de la main gauche", comme on l'a parfois appelé... J'ai un peu échangé naguère avec une tantrika qui avait pratiqué ce dernier intensément dans des ashram. Mais je n'en ai pas retiré l'impression qu'elle en avait obtenu des "énergies" vraiment supérieures et pures, bien au contraire.

Au total, sur la question de la sexualité, je suis convaincu que tout ce qui relève de l'image (le fantasme, les images érotiques) est mauvais, donc tout ce qui est onanisme, et a fortiori échange avec les succubes dans le sommeil aussi. C'est une économie de jeux de miroirs et de sorcellerie. Et tout ce qui est dans la logique de la "décharge" hormonale aussi (et qui est pourtant valorisé par notre époque), car cela relève de l'addiction comme une drogue destructrice. A peine l'a-t-on fait que quelques heures plus tard il faut recommencer.

Y a t il un troisième aspect, quelque chose de plus puissant, de plus pur, dans un érotisme retenu entre deux partenaires particulièrement initiés à cet "art" ? Je ne sais (n'ayant pas conduit l'expérience avec des partenaires qui auraient une visée mystique).

La question de fond me semble être celle-ci : si le corps est appelé à être le temple de l'Esprit saint, comment peut-on y parvenir ? La répression des instincts sexuels est souvent nécessaire, faute de mieux, mais ce n'est pas une fin en soi. Car puisque le corps ne se limite pas à la chair (condamnée par le christianisme), la sexualité n'est peut-être non plus purement charnelle et tournée vers la mort (et je ne parle pas ici seulement de sexualité dans le cadre conjugal).

Dans son dernier livre paru en 2020, J. Dupuche met en valeur cette citation de Tertullien "La Chair est le gond du salut", caro salutis cardo est. Beaucoup de gens se méfient avec raison de l'aspect luciférien de l'ouverture des chakras (et de la méditation ou du yoga qui conduisent). Si une illumination est possible à travers eux, il me semble que ce doit être dans une visée de total désintéressement. Dupuche fidèle à l'héritage du catholique Sir John Woodroffe (1865-1936), juge à la cour suprême de Calcutta étudie dans son dernier livre les chakras à travers le Ṣaṭ Cakra Nirūpaṇa. L'introduction de son livre qui veut éviter le pélagianisme autant que le gnosticisme, paraît assez prometteuse. Je vous en dirai plus quand j'aurai lu l'ouvrage en entier.

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