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Articles avec #sociologie des institutions tag

Une remarque sur le bourdieusisme

24 Janvier 2024 , Rédigé par CC Publié dans #Sociologie des institutions

Je parcourais tantôt "Homo Academicus" de Bourdieu que j'ai dû lire il y a 20 ans. Je suis tombé sur un passage ridicule où Bourdieu explique que dans les années 1890 comme dans les années 1960 il y avait le camp du Bien (les intellectuels de gauche matérialistes et internationalistes, partisans du travail collectif), et le Mal (les individualistes spiritualistes nationalistes qui croient en la création inspirée). Bourdieu ne le dit pas ainsi mais cela revient à cela.

Bon, je dois beaucoup à ce sociologue qui m'a incité à faire mon doctorat dans son laboratoire, et je crois toujours aux vertus de l'analyse structurale des rapports sociaux et de la mise au jour des inconscients à l'oeuvre (notamment des schèmes de domination). Mais il est aspects grotesques de ses présupposés qu'il faut absolument fuir.

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Encore un mot sur Richard Bentley

30 Janvier 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Médiums, #Sociologie des institutions

Dans mon livre sur les services juridiques de l'Etat (p. 298) j'ai parlé de l'histoire du principe du contradictoire ("audi alteram partem" : il faut écouter le point de vue de l'autre, entendre sa défense) et, encore il y a cinq ans,  je rappelais qu'une mésaventure survenue à Richard Bentley en 1723 fut à l'origine de l'invention en Angleterre de ce principe du contradictoire, transposé par les libéraux en France au XIXe siècle (notamment par les tendances anglomanes du Conseil d'Etat au XIXe siècle, ceux que Leroux appelait "la France carthaginoise". Finalement le principe s'est introduit dans toutes les procédures administratives en France et dans les autres pays européens)

Notons que Bentley fut par ailleurs auteur de "La friponnerie laïque des prétendus esprits-forts d'Angleterre, ou Remarques de Phileleuthere de Leipsick sur le Discours de la liberté de penser" qui fut traduit en français par Armand Boisbeleau de La Chapelle, écrivain protestant français exilé qui avait tout intérêt à faire cause commune avec Bentley. C'est une réaction à la parution sous couvert d'anonymat en 1713 du Discours sur la liberté de penser d’Anthony Collins qui avait mis Londres en ébullition et affaibli le parti Whig au pouvoir en Angleterre. Le livre allait si loin dans l'athéisme qu'il affaiblissait les défenseurs de la liberté en les faisant passer par ses excès pour des bandits anarchistes, et jetait l'opprobre sur le protestantisme capable de devenir un tel nid de vipères.

Collins avait, outre ce discours, fait paraître aussi en 1710 "Priestcraft in perfection" traduit en français par "La friponnerie ecclésiastique portée à son comble", que La Chapelle décrit comme une entreprise "don quichottesque" contre toute forme de cléricalisme auquel il finit par donner une portée totalement antichrétienne.

Parmi les réponses à cette provocation, celle de Bentley, nous dit La Chapelle, fut la plus impérieuse car à la fois elle démontait la lecture historique que Collins faisait des autorités ecclésiastiques et discréditait l'honnêteté intellectuelle de l'auteur (alors, nous dit le traducteur, que les déistes ont tendance à se draper dans la pureté morale).

Vous savez que depuis mon passage par les magnétiseurs, je prête une certaine attention à la question de la sorcellerie (cf mon livre). J'observe que la question n'est pas absente du livre. On se souvient que dans les années 1660 en Angleterre sous la plume notamment de Glanvill dont on a déjà parlé, la question était d'une certaine importance, alors qu'en France Louis XIV allait encore affronter une affaire de sorcellerie, et Colbert ne mettra fin à la condamnation des sorciers qu'en 1682.

Collins, note Bentley, attribuait aux progrès de la liberté de penser un mérite : celui d'avoir fait déchoir en Grande-Bretagne "le pouvoir que l'on attribue au diable dans les possessions, et dans les sortilèges" (p. 78 de la traduction). Le théologien répliquait que c'était faux car les prêtres anglicans estimaient que les sortilèges existaient, et que c'est la loi votée en 1562 à l'initiative de la chambre basse qui avait qualifié d'acte de félonie "l'usage et la pratique des enchantements, de la magie et des sortilèges" de sorte qu'on ne pouvait en imputer le responsabilité aux ecclésiastiques.

A propos de la loi sur les sorcières, La Chapelle se réfère à John Stype, et cite ce passage en note de bas de page : "La raison qui fit porter ce Projet, vint du grand nombre d'Enchanteurs, de Sorciers & de gens qui invoquent le malin Esprit, qui s'accréditèrent dès les premiers momens de l'Avénement de la Reine à la Couronne, & peut-être auparavant. Ces gens-là se mêlaient des Affaires de l'Etat, & se servaient de Sortilèges, & de la Magie noire, pour ôter le Royaume à cette Princesse (Elizabeth Ie). On remarquait d'ailleurs qu'il régnait beaucoup de Maladies extraordinaires, qu'il y avait beaucoup „ de gens qui perdaient la parole, ou l'usage des sens, qui tombaient en langueur, ou dont la chair pourrissait ; ce que l'on crut avec raison, „ être les effets des Conjurations & des Enchantemens. Aussi est-ce ce que l'on dit dans le préambule de l'Acte" (Strype Annales t 1, ch 2 p. 61).

En réponse à Bentley, Collins allait d'ailleurs reconnaître que le clergé anglican n'était pas responsable des excès de la lutte contre la sorcellerie, notamment dans le procès d'Hertford de 1712 (dernière condamnation de sorcière en Angleterre).

Bentley poursuit son propos sur la sorcellerie en estimant qu'avant la Renaissance et la Réforme c'est une faiblesse générale de l'esprit humain et non une "friponnerie ecclésiastique" qui faisait imputer au diable beaucoup de problèmes aux causes naturelles : "les délires, les convulsions, les envies de manger" etc.  Seules les "lumières de la philosophie et de la médecine" ont eu le mérite de régler le problème, il revient donc "aux Boyles, et aux Newtons, aux Sydenhams, et aux Ratcliffs". "Lorsque ce peuple vit que des ordonnances de médecins guérissaient des maux qu'il imputait au Sortilège, il n'en fallut pas davantage pour le guérir lui-même de ses préjugés". Bentley salue d'ailleurs le travail contre la superstition de pasteurs comme le hollandais Balthazar Becker (1634-1698) et l'archevêque d'York Samuel Harsnet (1561-1631).

La Chapelle précise ceci  en note de bas de page à propos de Harsnett : "En 1586 , un jeune homme nommé Darrel s'érigea en Exorciste, & fit imprimer des Relations de quelques-unes de ses prouesses. La prétendue guérison d'un garçon de 14 ans faite à Barton en 1596, fit un grand bruit. A cette occasion Harsnet, qui n'était encore que Chapelain de l'Evêque Bancroft, écrivit un Ouvrage, intitulé, Découverte des Pratiques frauduleuses du Ministre".

Bentley était donc un théologien aux tendances rationalistes (à la différence de ce qu'allait être un Wesley par exemple), tout en étant très opposé au déisme.

Pour ma part, en tout cas, je compte appliquer le principe "audi alteram partem" dans un billet que j'écrirai dans quelques semaines sur le Suaire de Turin.

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Le Grand Orient de France devant le Conseil d'Etat (avril 1863)

27 Novembre 2018 , Rédigé par CC Publié dans #Sociologie des institutions, #Pythagore-Isis, #Christianisme

En mars 1901, la Revue des Deux Mondes publiait un article , repris dans la revue Etudes et documents du Conseil d'Etat de 1984 (p. 339-350) : les souvenirs d'Eugène Marbeau (1825-1909), qui, en tant que maître des requêtes au Conseil d'Etat, avait été rapporteur, en avril 1863, du projet d'attribution du statut d'association d'utilité publique, devant l'assemblée générale du Conseil. Cet organe à l'époque - Marbeau le souligne lui-même - était plus religieux, de par ses composantes catholiques et protestantes, qu'il n'allait l'être sous la Troisième République.

Le projet fut finalement retiré, et je ne souhaite pas développer à la suite de quelles péripéties, mais je relève juste dans le souvenir de Marbeau (qui n'était pas franc-maçon et précise qui parmi ses interlocuteurs au Conseil d'Etat l'étaient) un passage qui fait écho aux accusations actuelles des conspirationnistes (la "truth community" ainsi qu'ils se dénomment eux-mêmes sur Internet) adressent à la franc-maçonnerie dans sa tendance "Grand Orient de France" (il me semble que l'accusation est moins marquée contre le rite écossais) - au stade de l'examen du projet devant la section de l'Intérieur, Marbeau avait déclaré (cf p. 343 de l'article), parmi les objections qu'il avait à lui adresser :

"[L'Association maçonnique] proclame son respect pour tous les cultes, mais derrière ce mot elle laisse apparaître l'indifférence et même le dédain pour toutes les religions positives. Elle prescrit le travail et elle interdit l'oisiveté volontaire. Mais elle garde le silence sur la propriété. L'admet-elle ? Ne prétend-elle pas condamner celle qui n'est pas le fruit direct du travail ? Cette conséquence n'est pas formellement écrite dans ses statuts, mais il est facile de l'en faire découler, et il semble que déjà quelques Loges, non désavouées par le Grand Orient, condamnent ouvertement l'hérédité, voire même la propriété."

L'accusation ainsi formulée très officiellement par un rapporteur du Conseil d'Etat sous le Second Empire, paraît anticiper sur ces auteurs américains qui aujourd'hui expliquent que les héritiers des Illuminés de Bavière dans leur pays ont tiré leur pays subrepticement vers un socialisme mondialiste athée à partir de la création de la Réserve fédérale dans les années 1910.

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L'Etat comme religion : le cas du principe du contradictoire

9 Octobre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Sociologie des institutions

Un extrait de ma thèse "L'émergence et les conséquences de la spécialisation juridique dans le champ bureaucratique : le cas des administrations centrales de l'État " soutenue en 2006 (et que j'ai publiée en la réduisant sous le titre "Les services juridiques des administrations centrales" que je relisais tantôt. Ma petite étude sur le principe du contradictoire illustrait l'idée que l'Etat comme construction symbolique emprunte beaucoup de ses outils de légitimation au domaine religieux :

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- Les origines théologiques du principe du contradictoire et sa promotion par les corporations de juristes

 

L’idée qu’un ambassadeur, ou tout agent public puisse avoir accès à la consultation de son dossier administratif avant qu’une « mesure prise en considération de sa personne » (nomination, mutation, diminution individuelle de salaire etc, en dehors du cadre disciplinaire)[1] ne le frappe s’inscrit dans une tradition jurisprudentielle que l’on nomme l’application du principe du contradictoire[2] : il implique que l’Etat ne puisse prendre une mesure avant d’avoir entendu le point de vue de la personne qui sera concernée par cette décision.

 

Les manuels de droit français accessibles aux juristes d’administration comme le Chapus qui en retracent la généalogie s’arrêtent généralement au début du XX ème siècle. Mais son origine est bien plus ancienne.

 

Il a été forgé par les Britanniques sous le nom d’un adage latin : audi alteram partem - écoute l’autre partie.

 

Les ouvrages de droit anglais s’accordent pour estimer que sa première affirmation par une juridiction remonte à 1723[3] à l’occasion du procès de Richard Bentley contre l’université de Cambridge.

 

Richard Bentley, professeur célèbre de l’université de Cambridge vendait les titres de doctorats à ses étudiants pour quatre livres. L’université quand elle le découvrit déposséda l’intéressé de ses titres d’enseignant et Bentley entama un procès contre l’université.

 

A l’occasion de ce procès, un des juges aurait motivé le jugement en expliquant que même lorsqu’il décida de chasser Adam du Paradis terrestre, Dieu prit la peine d’entendre le point de vue du premier homme avant de mettre en œuvre sa sanction.

 

Ce détail montre assez l’univers théologique dans lequel le principe est posé.

 

Il a aussi son importance pour la compréhension de l’image de l’Etat ou de la puissance publique qu’à l’origine il engage. Il s’agissait à l’époque de légitimer l’analogie entre Dieu et l’Etat. Et, pour que l’Etat ressemble davantage à Dieu, il fallait qu’il entende les destinataires de ses décisions comme Dieu lui-même le faisait.

 

Le jugement fut rendu 33 années après la publication du Traité du Gouvernement civil de John Locke. Mais il n’est pas à proprement parler d’inspiration libérale car il ne cherche pas à faire prévaloir des droits individuels subjectifs. Sa philosophie s’inscrit encore dans le cadre d’une idéologie chrétienne médiévale – on pense ici aux thèses de Le Goff pour qui le Moyen Age dura jusqu’au XIX ème siècle – où l’Etat délégataire de la potestas divine, doit se livrer à une imitatio de son mandataire céleste.

 

A partir de là, le principe audi alteram partem fut appliqué à toutes les décisions de l’Etat impliquant des personnes en Grande-Bretagne, et devint structurant non seulement du champ bureaucratique britannique mais aussi du fonctionnement de son champ juridictionnel en métropole et dans les colonies. Sa traduction française – le « contradictoire » – se retrouve déjà dans une jurisprudence du Conseil d’Etat de 1808 mais connut surtout une impulsion à partir de 1944 (arrêt Dame Veuve Trompier-Gravier CE 5 mai 1944 pour les particuliers, arrêt Nègre CE 27 juin 1949 pour l’application aux agents publics[4]). Mais il semble que le Conseil en ait alors fait application dans le même esprit que la Cour britannique au XVIII ème siècle : renforcer les mesures de la puissance publique.

 

Le mouvement pour la défense des droits des administrés dans les années 1970 (qu’on a décrit plus haut) a contribué à l’infléchir dans un sens plus favorable aux individus et c’est dans ce sens qu’il est codifié dans le décret du 28 novembre 1983[5] adopté par le gouvernement socialiste.

 

Parallèlement s’est révélée décisive dans la généralisation du principe, l’élaboration de la convention européenne des droits de l’homme, dans les années 1948-1950 – dont il serait utile de faire une histoire sociale[6] -, à l’initiative d’intellectuels et de juristes de la mouvance chrétien-démocrate (Salvador de Madariaga, Denis de Rougemont, Pierre-Henri Teitgen, Paul Bastid, Henri Rolin, Charles Chaumont, Constantin Eustathiades, Willem Riphagen). Son article 6 prévoyant que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial. Même s’il ne s’applique en principe qu’au domaine juridictionnel, l’interprétation qu’en ont fait les juges de la Cour européenne, a contribué à la définition du contenu concret des droits des individus à se défendre et à faire entendre leur point de vue[7]. Et l’article 41-2 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que la Cour de justice des communautés est censée appliquer prévoit explicitement l’application du droit à être entendu aux relations avec l’administration[8].

 

Aujourd’hui, le principe du contradictoire est loué par les théoriciens du droit comme facteur d’émergence d’un Etat « postmoderne » dont le droit est centré sur la subjectivité des individus[9]. Il s’intègre dans un système de procédures qui pacifieraient l’espace social en faisant passer les conflits par des filtres rationnels[10].

 

Niklas Luhmann[11] notamment expose comment l’application d’un système procédural comme la mise en œuvre du principe du contradictoire prend en quelque sorte les individus et leur conflit au piège d’une rhétorique et de processus contrôlés par les spécialistes du droit.

 

La procédure opère une restructuration des attentes[12] dans un environnement complexe. C’est un processus d’apprentissage qui fait entrer
 les acteurs dans un rôle qui leur offre la chance de se doter d’une nouvelle personnalité et d’un nouveau passé. Dans cet espace de jeu,
 la complexité est réduite, mais les chances de gain et de perte restent ouvertes, de sorte que l’agent s’y laisse prendre 
– sans que cela accapare complètement pour autant ses autres rôles sociaux[13].
 

C’est ce jeu de rôle qui, selon Luhmann, garantirait l’efficace des procédures, et non pas la persuasion rationnelle, ni même les effets de violence symbolique[14]. Les acteurs sociaux sont suffisamment sceptiques à l’égard de la rhétorique des juristes et de leurs effets de manche : ce qui les contraint à accepter les décisions issues des processus juridiques, c’est précisément et uniquement le fait qu’ils ont accepté de jouer le jeu à un moment donné, et qu’ils ne peuvent plus qu’être isolés et stigmatisés comme mauvais joueurs s’ils contestent l’issue du jeu ouvert qu’ils ont accepté de jouer dans la procédure[15].

 

- L’effet de cléricalisation des pratiques bureaucratiques

 

Une procédure comme le principe du contradictoire ne fait pas que « piéger » - selon la conception fonctionnaliste de Luhmann - l’individu en faisant rentrer ses attentes dans une rationalité juridique. Elle transforme aussi l’administration, sa culture, et les caractéristiques de ses décisions.

 

Sur le plan matériel, elle requiert la mobilisation des scribes et des juristes. Un directeur des ressources humaines qui, sur ordre du ministre et du Président de la République, rappelle un ambassadeur à Paris, ou, de sa propre initiative, décide d’affecter une secrétaire en Russie plutôt qu’au Chili, se contentait, jusqu’à une époque récente, d’émettre un télégramme enjoignant à l’intéressé de changer de fonctions, des exécutants officialisant ensuite la décision sous forme d’arrêtés aux formes invariables.

 

Le principe du contradictoire aujourd’hui impose qu’une lettre soit adressée dans un premier temps à l’agent, l’informant de l’intention du ministère de modifier son affectation et du droit de l’intéressé à consulter son dossier administratif ainsi qu’à produire des observations écrites ou verbales avec l’assistance éventuelle d’un conseiller de son choix.

 

Cette procédure implique qu’on définisse des motifs à la décision pour que l’agent puisse les contester, motifs de droit et de fait que les gestionnaires sont rarement capables de formuler – sauf à retenir une motivation stéréotypée mal perçue par les juges – et le font généralement en concertation avec les rédacteurs du service juridique. A supposer que l’agent veuille consulter son dossier et produise ses observations, il faut organiser cette consultation, lui délivrer un procès verbal de réception, en veillant à ce qu’aucune des étapes du processus ne puisse donner lieu à contestation devant le juge.

 

Sur le plan symbolique, dans la logique du « audi alteram partem » l’administration doit admettre que ces procédures donnent 
lieu à de mini-procès dans son propre espace, se tenir prête à accueillir éventuellement en son sein des avocats qui viendront assister l’agent, accepter que
 l’entretien avec le directeur des ressources humaines, qui était autrefois une grâce accordée dans un esprit paternaliste à l’agent 
sur le point d’être affecté, devienne un face-à-face serré, obligatoire, derrière lequel peut toujours se profiler un procès. 
 

[1] Catherine Ribot, Les mesures prises en considération de la personne dans le contentieux de la Fonction publique, Revue du Droit public et de la Science politique en France et à l’étranger, 1-1996, p. 143-186.

[2] Hocine Zeghbib, Principe du contradictoire et procédure administrative non contentieuse, Revue du Droit public et de la Science politique en France et à l’étranger, 2-1998, p. 467-503.

 

[3] Voir par exemple l’allocution de John Kendall à la Construction Law Association de King’s College – John Kendall, Formality and due process in ADR, The Sweet and Maxwell fifth KCCLA annual lecture 21 novembre 2002 - http://www.kccla.org.uk/annual-lecture-2003.html

[4] Sur la base de l’article de la loi du 22 avril 1905, qui prévoit l’existence d’un dossier administratif, et la possibilité de l’agent de le consulter et de produire des observations après l’avoir consulté.

[5] Hocine Zeghbib, Principe du contradictoire et procédure administrative non contentieuse, op. cit.

[6] A la lumière notamment des travaux d’Antonin Cohen sur les déclarations des droits construites comme préfigurations d’une constitution européenne fédérale : Antonin Cohen, Anatomie d’une utopie juridique. Eléments pour une sociologie du fédéralisme européen : la Constitution, Sur la portée sociale du droit, Liora Israël, Guillaume Sacriste, Antoine Vauchez, Laurent Willemez, Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie (CURAPP) Paris, PUF, 2005.

[7] Voir par exemple les commentaires des arrêts du Conseil d’Etat Mme R et Société Polytech Silimed Europe du 29 juillet 2002 à l’AJDA du 9 décembre 2002 p. 1394 et suiv.

[8] Karine Michelet, La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la procédure administrative non contentieuse, AJDA 14 octobre 2002, p. 949-955.

[9] Jacques Chevallier, Vers un droit postmoderne ? Les transformations de la régulation juridique, Revue du Droit public et de la Science politique en France et à l’étranger, 3-1998, p. 660-690.

[10] Jean-François Burgelin, Jean-Marie Coulon et Marie-Anne Frison-Roche, L'office de la procédure, Mélanges Drai p.252

[11] Niklas Luhmann, La légitimation par la procédure - traduit par Lukas K.Sosoe et Stéphane Bouchard - ed Cerf/Presses universitaires de Laval 2001.

[12] Luhmann, op.cit. p. 28.

[13] Comme le note Luhmann, un homme ne se discrédite pas dans son rôle de mari aux yeux de son épouse s’il perd un procès concernant le montant de son loyer (p.41).

[14] Luhmann rejette violemment l’héritage durkheimien et freudien. Pour lui l’efficace du droit ne tient pas à des effets de rituel ou d’affect – sans quoi les sentences finales seraient plus individualisées et différenciées en fonction des publics destinataires.

[15] On notera toutefois que Luhmann s’opposait au développement des procédures contradictoires dans le champ bureaucratique et proposait que seuls les tribunaux y soient soumis (ibid p.205) au nom de l’argument très contestable selon lequel le champ bureaucratique est entièrement soumis aux exigences des gouvernants (politiques).

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NB : "audi alteram partem" était inscrit en lettres d'or dans la grande salle du Guildhall (hôtel de ville) de Londres

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La chirurgie esthétique attribut de l'émancipation féminine ?

18 Septembre 2014 , Rédigé par CC Publié dans #Sociologie des institutions

On s'interroge dans les sciences humaines sur la question de savoir si la féminité n'est qu'une construction socio-culturelle (et vous savez que telle n'est pas ma position). On se demande aussi, dans le contexte actuel, si le développement de la chirurgie esthétique contribue à l'émancipation des femmes, ou les aliène.Les deux questions sont liées. Si la féminité psychique dépend de son substrat biologique (et donc de son capital génétique), la méthode de la psychologie évolutionniste à la recherche des invariants comportementaux est légitime pour mettre au jour certaines composantes de ce capital (même si un gène ne fonctionne jamais indépendamment d'un certain dispostif de décodage, et dans un environnement naturel et social donné). Or ces sciences mettent en lien la féminité avec les stratégies de séduction (et donc un travail sur l'apparence) qui n'est pas entièrement le produit de conventions patriarcales. Le rapport de la féminité à la chirurgie esthétique n'est donc pas entièrement le fruit d'une aliénation historique (patriarcale, capitaliste etc.).

 

J'apprenais récemment une anecdote intéressante sur le rapport de la féminité à la chirurgie esthétique dans ce que le sociologie bourdieusienne appellerait les classes dominantes, une anecdote, et plus qu'une anecdote en réalité puisqu'elle concerne les milieux créateurs du droit, et donc la production les normes les plus officielles qui régissent notre société.

 

Le 5 février dernier, la cour de cassation française a pris une décision sur un arrêt de la cour d'appel de Paris de 2012, relatif gynecà Mme Elise X, jeune femme décédée accidentellement au bloc opératoire à quelques minutes d'une liposuccion. La cour de cassation a jugé que la famille de la victime pouvait être indemnisée par l'Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) au titre de la solidarité nationale, bien que l'opération ait relevé de la chirurgie esthétique, tout comme s'il s'était agi d'une opération indispensable à la santé physique de l'intéressée.

 

Une jurisprudence du Conseil d'Etat sur la circoncision du 3 novembre 1997 (n°153686) pouvait en quelque sorte "préparer le terrain" à cette évolution (la circoncision n'étant pas elle non plus indispensable à la santé). Pour autant celle-ci n'allait pas de soi, et la cour pouvait hésité sur la nécessité d'aligner ou pas la chirurgie esthétique sur les autres formes de chirurgie. L'issue des débats n'a peut-être pas été complètement indépendante de la question du sexe. Selon une source interne à la juridiction, les magistrates femmes (nombreuses au sein de la chambre civile) auraient été heurtées par un argument de l'avocat de l'ONIAM qui aurait dit à la barre, à l'audience publique que les femmes qui ont un problème avec leur apparence feraient mieux de "consulter un psychologue". Certains auraient  estimé dans l'autre sens qu'il n'était pas plus absurde de mettre la charge de la solidarité nationale les besoins d'amélioration de l'image de soi éprouvées par certaines femmes que la chirurgie plastique d'un champion de Formule 1 accidenté comme Michaël Schumacher. La remarque maladroite de l'avocat de l'ONIAM aurait ainsi involontairement cristallisé une sorte de cohésion féminine derrière un "droit au recours à la chirurgie esthétique", et un refus de pathologiser ce recours.

 

Voilà peut-être une belle victoire pour la chirurgie esthétique et les valeurs qu'elle porte, ainsi reconnues par les plus hautes instances judiciaires, mais aussi peut-être une illustration de certaines hypothèses de la psychologie évolutionniste sur une sorte de penchant "spontané de la féminité pour la recherche de l'attractivité physique, penchant auquel ne sont pas uniquement sensibles les bimbos...

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Mes propos sur les pères en colère dans Le Figaro aujourd'hui

24 Juillet 2013 , Rédigé par CC Publié dans #Sociologie des institutions

Avant hier une journaliste du Figaro a bien voulu m'interroger sur les revendications actuelles des pères. L'article qui reprend mon propos ("Les pères en colère se mobilisent pour la rentrée") est dans la version papier du journal aujourd'hui et sur le Net ici.

 

Mon propos ayant été un peu coupé pour des raisons de format, je vous livre ici l'intégralité du "topo" que j'avais rédigé un peu en urgence par mail en réponse au coup de fil de lundi, et qui restitue la logique globale de mon propos.

 

le-fig.jpg"La France et l’Europe se trouvent dans une situation paradoxale où le pouvoir politique et économique revient toujours largement aux hommes, mais le pouvoir symbolique revient de plus en plus à la femme, dont les valeurs de dialogue, d’intelligence etc, sont censées être plus porteuses d’avenir pour l’humanité que la violence habituellement imputée à la virilité et au patriarcat qui a façonné notre culture (violence aujourd'hui prohibée dans toutes les relations sociales, y compris celles des enfants, voir l'interdiction de la fessée et de la gifle). A cela s’ajoute en France une grande valorisation de la maternité dans un pays qui est aujourd’hui le plus fécond de l’union européenne avec l’Irlande.


Cette situation a de nombreuses implications sur l’investissement général des hommes dans les structures institutionnelles  de la société (éducatives – voir le taux d’échec scolaire très important des garçons – familiales – le désengagement croissant de les tâches du couple, dans l'istruction des enfants) notamment dans les couches populaires.


On est ici dans un schéma de stigmatisation et d’intégration psychologique du stigmate : l’homme étant réputé déficient au regard des normes sociales dominante s’identifie au stigmate et  confirme par son comportement les insuffisances qu’on lui impute.


On comprend dans ces circonstances que les juges des affaires familiales, qui sont une profession de plus en plus féminisée, soient enclins à confirmer par leur jugement en droit une appréciation largement dominante dans les valeurs sociales actuelles, et validée bien souvent par le comportement des pères eux-mêmes, une appréciation qui disqualifie le pôle paternel dans l’éducation de l’enfant.


Cependant les pères exclus de l’éducation de leurs enfants sur la base d’un stigmate social, ne peuvent donner aucun contenu positif ou constructif à la disqualification de leur rôle de père. Les manifestations de pères sur des grues ou autres peuvent être lues comme des tentatives de récupérer du pouvoir symbolique en mettant en avant la souffrance et en jouant sur les valeurs traditionnellement féminines de la compassion et de l’empathie (aujourd’hui très porteuses dans l’espace médiatique). Mais d’une façon ironique, ces tentatives d’obtenir une reconnaissance à travers des moyens « féminins » (ou "codés féminins")  se retournent souvent contre ces pères revendicatifs qui ne peuvent, par ce simple acte, faire oublier que bien souvent leur comportement antérieur (et cela s’est vérifié notamment chez l’homme sur la grue) : le comportement d’hommes qui, face à une une société qui faisait planer le soupçon sur leur capacité à transmettre une éducation utile à leur progéniture (transmission solidaire du soin au quotidien), avaient de fait depuis longtemps intégré le regard que celle-ci portait sur eux. A maints égards cette révolte des pères ressemble à une jacquerie du Moyen-Age, un peu aussi comme ce mouvement des Hommen qui singent les Femen. Celui qui se révolte par de mauvais moyens, en utilisant maladroitement les moyens de ceux auxquels il s’oppose ne fait généralement que confirmer son incapacité à affirmer ses propres valeurs sur une base positive. Il semble que les pères ne puissent sortir de l'impasse qu'en inventant et en faisant reconnaitre une nouvelle forme de virilité qui ne soit ni celle du passé, ni la copie de laféminité dominante dans l'espace symbolique. C'est un défi énorme, qui doit aussi s'inspirer d'une réflexion sur la psychologie évolutionniste(contre la théorie du genre)"

 

 

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L'interview la plus stupide que j'aie jamais donnée (6 juillet 1988)

29 Mars 2013 , Rédigé par CC Publié dans #Sociologie des institutions

plan-031.jpgVoilà sans doute l'interview la plus inepte que j'aie jamais donnée, à presque 18 ans (elle a été diffusée le mercredi 6 juillet 1988 sur Radio France Pau-Béarn, future France Bleue en début de matinée). Comment ai-je pu me prêter à cette stupide mise-en-scène ! L'interview était annoncée au début par les mots "Le meilleur élève du département, Christophe Colera" (mes doigts n'ont lancé le magnétophone qu'à partir de "Christophe Colera"). Complètement ridicule ! Et quel ton arrogant je semble avoir, pour proférer tant de bêtises !

 

Peut-être aussi le montage y est-il pour quelque chose. Comme j'étais timide et bafouillais beaucoup, mes phrases ont été découpées dans tous les sens, et la reconstitution doit être encore plus bizarre que le propos initial.

 

Je verse malgré tout cette interview sur ce blog car elle est une sorte de contribution à l'histoire sociale de l'Education nationale. Elle se situe à un moment où peut-être la radio publique voulait encourager "l'élitisme républicain" comme on disait, et légitimer le système scolaire, avec des relents de remise des prix sous la troisième république. Qui a envoyés ces journalistes à mon domicile ? Le proviseur peut-être ? Je ne l'ai jamais su. Et pourquoi ? Parce que j'étais fils d'ouvrier attendrissant, au fond, avec mon gros accent et mes maladresses terribles ? Parce que j'avais été lauréat du concours général quelques semaines plus tôt (il n'y en avait pas eu depuis longtemps dans notre lycée) ou parce qu'il fallait encourager les filières littéraires ? - j'avais un bac lettres-maths, mais il y avait eu aussi des mentions "très bien" en bac scientifique. Je ne le saurai jamais.

 

 

 

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A propos d'un texte de Mathilde Cohen sur les audiences de reconduite à la frontière.

27 Mars 2012 , Rédigé par CC Publié dans #Sociologie des institutions

servjur-petit.jpgA côté de mes travaux en sociologie du corps, je n'ai jamais cessé naturellement de suivre, même de loin, la sociologie des institutions à laquelle j'avais consacré ma thèse de 2006.

 

Les hasards des recherches sur le Net me font tomber sur un essai en ligne sur Hal-Inria de Mme Mathilde Cohen, "L'épreuve orale. Les magistrats administratifs face aux audiences de reconduite à la frontière". Il semble que ce texte ait été publié dans le numéro 72/2009 de la Revue Internationale de Théorie du Droit et de Sociologie Juridique. D'une façon qui ne saurait surprendre compte tenu de l'évolution récente de la sociologie du droit, Mme Cohen adopte les outils de la théorie de Pierre Bourdieu pour examiner les enjeux des audiences sur les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière sous l'angle d'un rapport de force symbolique entre le sous-champ juridictionnel et l'administration.

 

A vrai dire il est très difficile de se faire une opinion sur ce sujet car il faudrait un descriptif complet des jugements rendus, des affaires examinées, et du profil sociologique des magistrats qui ont statué dans chaque cas, autant de données qui font défaut ce qui, du coup, empêche de saisir réellement où et comment se définissent les rapports de force que l'on peut percevoir intuitivement. Personnellement, dans les juridictions que j'ai connues je n'ai jamais constaté le phénomène décrit par Mme Cohen d'une évaluation de la qualité du travail des magistrats à l'aune de leurs jugements dans ces affaires. Il est vrai que ce sont des affaires où les juges sont très exposés à titre individuel, et dans des situations d'urgence, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle, dans les situations que j'ai connues il n'était pas question pour les chefs de juridiction d'examiner la qualité des décisions rendues (bien que, bien sûr, chacun puisse se faire ensuite une opinion même accidentellement au fil de la consultation des archives, lorsqu'on recherche des précédents). Mme Cohen prend d'ailleurs soin de préciser qu'elle ne sait pas si cette évaluation des décisions rendues existe dans toutes les juridictions. Peut-être a-t-elle existé dans certaines, mais je n'en suis pas certain.

 

Depuis une quinzaine d'années je me suis souvent fait la réflexion que ces audiences qui pèsent beaucoup dans l'opinion publique compte tenu de l'enjeu que représente dans le débat démocratique le contrôle de l'immigration illégale pouvaient constituer un très bon sujet de thèse. Il me semble cependant qu'à côté de l'approche nécessairement ambitieuse que représente l'angle d'attaque de la théorie des champs choisi par Mme Cohen, il y aurait déjà un travail plus modeste, plus facile, et non moins intéressant à mener d'examen, presque ethnographique, de la façon dont s'organisent les audiences, la constitution des acteurs du processus juridictionnel (peut-être d'un point de vue ethnométhodologique), le jeu entre la rationalité juridique et les propriétés affectives du cas d'espèce (jeu favorisé par la nature même des dispositions invocables, notamment sur la vie familiale et privée, et les fluctuations jurisprudentielles auxquelles elles ont donné lieu), la manière dont ce jeu est instrumentalisé par les divers acteurs au procès avec ou sans présence d'avocat. Ce jeu n'est pas réductible au problème de la productivité statistique et des effets d'hétéronomie qu'elle peut induire dans l'office du juge ni à l'inévitable comparaison interjuridictionnelle des taux d'annulation qui n'est qu'un des paramètres de la juridicisation de la situation de l'étranger sur laquelle le magistrat doit statuer.

 

En tout cas il est clair que cet article ouvre des pistes de recherche importantes à la sociologie du droit.

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