Contre les excès de la théorie des genres et du constructivisme
Contre les ayatollahs de la théorie des genres et du constructivisme qui se sentent pousser des ailes en ce moment, il faut quand même rappeler que si les représentations sociales (avec leur part d'arbitraire) influencent les comportements humains (qui pourrait le nier ?), la part d'héritage naturel a aussi son importance. Souvenez-vous des pages du neuro-psychologue Steven Pinker, dans Comment fonctionne l'esprit, publié aux USA en 1997 et en France en 2000, reproduites ci-dessous, contre les excès de ce qu'il appelait le "Modèle standard des sciences sociales", lequel imposait une séparation radicale entre nature et culture et portait dans ses présupposés le constructivisme qui fonde les dogmes de la théorie des genres. Il accusait ce modèle de vouloir museler le travail des biologistes et des chercheurs dissidents en sciences humaines (psychologues ou sociologues). Or Steven Pinker, disciple de Chomky, est tout le contraire d'un esprit obtus et conservateur. Il entendait par là mettre en garde contre la négation dogmatique des influences génétiques sur les comportements. Le débat sur la question a beaucoup avancé dans les milieux scientifiques dans les années 2000, notamment pour une unification possible des sciences naturelles et des sciences humaines. Mais à l'égard des idéologues dans l'espace public, la mise en garde reste tout à fait d'actualité...
Le platonisme de Marsile Ficin
Dans mon ouvrage sur la nudité (je pourrais parler d'autres livres que j'ai écrits, mais celui-ci est populaire et évoque de nombreuses problématiques, alors pourquoi ne pas continuer là-dessus ?), je mentionne, à propos de la "nudité-affirmation", l'importance du néo-platonisme du XVe siècle, en m'appuyant sur François Jullien.
Mais on assume toujours trop facilement comme une évidence que la Renaissance italienne (par exemple Léornard de Vinci) fut néo-platonicienne, et il est toujours bon de se plonger dans le détail des choses. Je recommande à ce sujet la lecture du grand classique d'André Chastel de 1954 "Marsile Ficin et l'art", qui présente l'histoire de l'Académie néo-platonicienne de Careggi à Florence et de son fondateur. Bien sûr il est toujours facile de rattacher le mouvement des idées à de grands phénomènes sociaux, comme le platonisme italien à la migration des érudits byzantins à l'approche de la chute de leur ville, mais ce qu'il advint réellement dépend de l'histoire des individus qui laisse toujours une part aux aleas. Celle de Marsile Ficin conduisit à la création d'un aimable groupe de pensée retiré dans un magnifique jardin de Florence, où les gens devinrent des maniaques de Platon, au point de se référer tout le temps à lui, et de fêter systématiquement les anniversaires (conventionnels) de sa naissance, le 7 novembre (comme dans l'Antiquité les épicuriens fêtaient aussi celui de leur maître dans leur jardins). Ce faisant, et en s'inspirant des maîtres du platonisme tardif (Plotin, Porphyre etc), remaniés aux goûts italiens de l'époque, ils inventèrent un platonisme nouveau, plus ouvert aux arts, à la création, qui allait se diffuser largement dans l'intelligentsia artistique italienne.
J'avoue que j'ai beaucoup aimé ce platonisme délicat de Marsile Ficin que je ne connaissais guère. Moins pour sa volonté de "purifier l'âme" pour la faire accéder au monde des essences éternelles, que pour sa relative ouverture aussi au monde "d'en bas" en quelque sorte, et à sa volonté de saisir à travers la création, l'inspiration du génie créateur de l'artiste qui reproduit celle du Démiurge ou de Dieu, la profonde unité de l'univers, à laquelle initient l'alchimie, le jeu des analogies (dont on parlait précédemment sur ce blog à propos de la magie égyptienne), l'étude de la poésie antique, la réconciliation du christianisme et du paganisme, l'intérêt pour les hiéroglyphes égyptiens et l'astrologie des Mèdes etc...
Ce sentiment de l'unité de l'univers pensé à travers une métaphysique de la lumière, et de la similitude (classique depuis Aristote) entre le microcosme humain et le macrocosme universel ou terrestre (avec des images amusantes comme l'idée que l'herbe ce sont les poils de la Terre !) est certes purement imaginaire, mais c'est une source d'optimisme créatif et de sérénité, d'autant qu'il se construit à équidistance et au dessus de la débauche comme de la recherche du pouvoir social (la réussite professionnelle, l'engagement politique etc), avec une forte valorisation de la contemplation, des rêves nocturnes (ce qui me paraît très important et qui disparaît aujourd'hui de nos horizons à mesure que s'efface la psychanalyse) etc.
C'est parce qu'il y a eu Marsile Ficin à Florence, et sa façon très spécifique d'ouvrir le platonisme à l'art, attirant à lui une bonne partie de ce que Florence (mais aussi ensuite par capillarité le reste de l'Italie) comptait de théoriciens de la création, de grands peintres et de sculpteurs, que nous avons eu ensuite les Vénus de Botticelli (avant la conversion de Botticelli et d'ailleur d'une partie des disciples de Ficin à l'obscurantisme de Savonarole) ou la Joconde de Vinci, les Vénus de Botticelli étant, rappelons le au passage, des allégories de la connaissance pure platonicienne réunissant idéal artistique et élévation de la matière à une forme mathématique. Bien sûr la doctrine philosophique n'est jamais reçue dans sa pureté, elle connaît des mutations dans le langage philosophes (par exemple quand Pic de la Mirandole reformule l'héritage de Ficin) ou dans le langage mondain (quand la recherche de la Vénus céleste et de la connaissance pure se cristallise sur la vénération de femmes réelles). Mais la caution philosophique de la théorie initiale fonctionne toujours comme un point d'appui de légitimation du geste artistique, qui oriente ses partis pris (par exemple les thèmes qu'il choisit d'illustrer) et détermine sa place dans l'ordre social, l'artiste pouvant devenir, grâce au néo-platonisme de l'Académie de Careggi, un médiateur de la puissance divine, et un recréateur de l'unité du monde à l'instar du philosophe, ce qui n'est tout de même pas rien !
Interviewé par Le Figaro en ligne sur un calendrier d'Emmaüs Pau-Lescar
J'ai été interviewé ce matin à propos d'un calendrier de nus élaboré par Emmaüs Pau-Lescar. Bien que je sois natif du Béarn, ce n'est pas par un journal local mais par Le Figaro en ligne que je suis interrogé. Mes réponses sont ici.
Je précise juste un petit détail. Je n'ai pas dit : "Il n'y a rien d'étonnant à cette démarche, la nudité brute, simple, originelle est au contraire intéressante." Ca, c'est une reformulation de mon propos a posteriori par l'intervieweuse. Bien évidemment en tant que sociologue, je garde une neutralité à l'égard de mon objet d'étude. Je n'irai donc pas faire l'apologie d'un comportement, comme la monstration de la nudité, pas plus que je n'irai le dénigrer. Je le décris et l'analyse, voilà tout.