Gaston IV le Croisé et Mifaget en Béarn
Je profite de mon séjour à Mifaget en Béarn, dans le quartier du Verger, pour me renseigner sur la saga de Gaston IV le Croisé, Vicomte de Béarn, qui fut coordinateur des armées chrétiennes lors de la prise de Jérusalem (ce qui lui a valu de devenir le héros d'un opéra de Verdi), puis qui mena une première Reconquista héroïque aux côtés d'Alfonse Ier d'Aragon qui le conduisit jusqu'aux portes de Grenade... Une "superstar de son temps" comme on dit... Mifaget est une commanderie qu'il a créée, comme celle de Lacommande, à quelques années d'intervalle. Dans les écoles depuis des décennies on ne nous enseigne plus ce qu'étaient les commanderies, mais, pour faire simple, disons que c'étaient des complexes économiques organisés autour d'un monastère de moines-soldats destinés à protéger les pèlerins - ici il s'agissait des pèlerins de Saint Jacques de Compostelle, au milieu d'une grande forêt de hêtres (un faget) particulièrement dangereuse.
Puisque les chiens en liberté des petits bourgeois du village empêchent le jogging et même les promenades sereines, je suis aussi allé me recueillir au dernier vestige de la commanderie : l'église Saint Michel qui comporte encore quelques chapiteaux de l'époque romane et une crypte. Les pèlerins remplissent un livre d'or qui félicite la paroisse de laisser l'église ouverte.
Gaston IV (mort en 1131) aurait été (je suis prudent car le site qui l'affirme semble reconstituer l'histoire à l'image de Pierre Plantard jadis avec son Prieuré de Sion) le premier Grand Maître de l’Ordre équestre du Saint Sauveur du Mont réal (OESSM), ex ordre du Chêne fondé par les rois de Navarre. J'ai évoqué dans mon ouvrage sur le complotisme protestant les spéculations qui existent sur les activités occultes des libérateurs de Jérusalem. J'y trouve un écho dans ce texte du "chevalier Vicomte Mourey de Marboz" qui invite à enquêter sur le compagnonnage propre à l'OESSM et sur le savoir secret qu'il a développé parallèlement à celui des Templiers. Mifaget n'en porte pas la trace en surface. Je ne pense pas non plus qu'il y en ait dans son sous-sol, mais allez donc savoir...
Un mot sur le père Bernard Vignot
Hier j'ai eu à connaître incidemment d'une "église parallèle" de guérison qui se trouve dans ma ville. J'ai pensé interroger à ce sujet M. Bernard Vignot, ancien recteur pour la France des vieux-catholiques d’Utrecht, et chanoine de la cathédrale anglicane de Paris, auteur du livre "Le phénomène des Églises parallèles". Je viens d'apprendre son décès, à l'âge de 83 ans, le 12 septembre 2019 après lui avoir envoyé un courriel qui m'est revenu. Ne pouvant donc poursuivre le dialogue avec lui, je publie ici le mail qu'il m'avait adressé, le 10 décembre 2018, à propos de mon livre "Les médiums", paru chez L'Harmattan en 2017. Je suis largement en désaccord avec son approche qui est liée à l'orientation moderniste de l'Eglise qu'il servait, et qui fait selon moi, la part trop belle aux sciences humaines au détriment de la spiritualité, mais, comme il y parle d'un "prêtre-guérisseur" (le "père Mathieu" - pseudonyme) que j'évoque dans le livre, je me suis dit que son point de vue pouvait intéresser certains de mes lecteurs. En outre, même si j'étais en désaccord avec beaucoup de ses rationalisations, je dois préciser que sa distance critique et son recul historique par rapport au phénomène des églises crypto-catholiques me fut à certains égards utile ne serait-ce que comme stimulant de mon sens de l'investigation. Et donc voici ce qu'il m'écrivait :
"Je comprends votre souhait de connaître mon avis…C’est un grand honneur que vous me faites. En suis-je capable ? On va essayer.
D’abord j’ai voulu lire soigneusement votre livre. C’était nouveau pour moi. Je connais bien sûr le sujet mais la manière dont vous décrivez est nouvelle pour moi. Il est difficile de tirer le vrai du faux, car dans ce monde, il y a beaucoup de « faux semblants » et de tromperies. C’est pourquoi les médiums relèvent parfois de la supercherie. Vous allez penser tout de suite que je rejoins les gens incrédules qui portent peu d’intérêt à cette vision des choses, ce n’est pas exact. Je suis prudent voilà tout et j’ai une bonne expérience derrière moi. Tout être humain cherche au-delà de sa vie à retrouver la vérité… Alors on voit parfois les doctrines les plus farfelues surgir un peu partout. Chacun essaie de donner un sens à sa vie… La médiumnité n’est pas plus mauvaise que d’autres expériences. Après tout Victor Hugo et Camille Flammarion faisaient tourne des tables ! C’est très respectable mais c’est tout.
Vous savez que je suis chrétien et que ma foi s’enracine à la fois dans l’expérience et dans l’étude. Vous désirez savoir, et je ne demande à personne de suivre mon expérience. Chaque expérience est unique. Vous voulez savoir quels furent mes rapports avec "le père Mathieu". C’est certainement un brave homme. J’ai été quelquefois dans sa chapelle. Rien de bien transcendant. Il fait du culte, un culte populaire qui convient aux gens simples qui gravitent autour de lui. Lorsqu’il rencontre des gens tels que vous, il adapte son discours et il est possible qu’il essaie de trouver des idées qui correspondent aux vôtres. J’ai passé une grande partie de ma vie à étudier ces "petites Eglises" (qui n’ont d’ailleurs rien à voir avec les vieux-catholiques – cela fait plus sérieux de s’affubler de ce titre). C’est d’un point de vue sociologique que j’ai toujours vu ces groupes.. ;
Voilà une faible participation à votre travail. Bien sûr on peut se rencontrer pour mieux en parler".
Les enthéogènes
On parle beaucoup depuis quelque temps de l'ayahuasca qui est un enthéogène, c'est à dire une substance (illégale en France, mais d'usage courant en Amazonie) qui provoque des états modifiés de conscience de nature à mettre en contact avec des entités de l'au-delà, dont les effets ont été étudiés de façon expérimentale dans les années 1990 par le psychiatre Rick Strassman et qui a même sa propre église, fortement soutenue par une des membres du clan Bronfman qui, en Amérique du Nord, s'est par ailleurs distingué par son rôle au service de la secte sexuel NXIVM.
Le dossier des entheogènes est très fourni. Pour l'heure je n'en traiterai qu'un aspect qui est un livre d'anthropologie écrit en anglais que j'avais lu en version espagnole du temps où je vivais à Madrid, en 1994 : "Persephone's Quest: Entheogens and the Origins of Religion", de Robert Gordon Wasson, Carl A.P. Ruck, Stella A. Kramrisch.
R. Gordon Wasson journaliste du Herald Tribune s'est consacré à partir de 1927 avec son épouse russe le docteur Valentina Pavlovna à l'étude du rôle des champignons dans la culture. Il étudia à partir des années 1950 les enthéogènes de la région d'Oaxaca au Mexique, puis en 1963 avec Roger Heim, directeur du Muséum d'Histoire naturelle de Paris ceux du peuple kuma en Nouvelle Guinée, et en 1968 le putka en Inde (le soma des indo-européens).
Il a identifié avec l'indianiste Stella Kramrisch, le soma indo-européen bu par les brahmanes comme provenant de l'amanite tue-mouche (amanita muscaria). Puis il a estimé que l'utilisation du claviceps purpurea (ergo du seigle) avec du paspalum distichum (paspale distique) a pu jouer un rôle dans les mystère d'Eleusis en Grèce. En août 1953 il put vérifier l’acuité des prévisions que donnaient les enthéogènes auprès d'un chamane mexicain.
En France des dictons relient les truffes aux tonnerre qui aide à les faire pousser, de même Pline l'Ancien à propos des tuber (truffes et terfezia), Plutarque dit la même chose de l'hydnon, équivalent du tuber, ainsi qu'Athénée (dans ses Deipnosophistes) de son équivalent thrace, l'oiton. Dans l'est de la France on dit même que les bolets prolifèrent où tombe la foudre. Dans le piémont aujourd'hui, le lactaire sanguin est appelé champignon-tonnerre. Chez les Bédouins (p.107) les banaturrad, "filles du tonerre" qui se ramassent après les orages diluviens pourraient être les Helianthemum lippii (terfezia). On a là donc l'idée que le champignon peut faire système avec le tonnerre, et je vous renvoie là dessus au très intéressant cours de Gene Kim du 15 janvier dernier (en anglais) sur l'électricité dans la Bible : ici sur You Tube.
Je ne développerai pas les autres aspects intéressants de cet ouvrage collectif et me contenterai pour l'instant de terminer sur cette observation : une des nombreuses preuves du fait que ces enthéogènes ne sont pas de simples hallucinogènes mais bien des entheogènes qui font rencontrer des entités clairvoyantes se trouve en p. 37 de la version espagnole du livre. Le samedi 15 août 1953 au soir, à Huautla de Jimenez village de l'État de Oaxaca au Mexique, Wasson se trouve en présence de l'anthropologue Roberto Weitlaner à discuter avec le boucher borgne-chamane Aurelio Carreras. Carreras a fourni des champignons enthéogènes. Soudain, Weitlaner demande au chamane s'il veut bien l'aider. Le chamane hésite puis leur donne rendez-vous à 9 heures. Pendant la nuit il mange lentement les champignons sans incantation, puis parle (en mazatèque) dès que les champignons "parlent" en lui. Wasson et son épouse disent qu'ils veulent avoir des nouvelles de leur fils Pierre, 18 ans, qui n'est pas entré en contact avec eux depuis plusieurs jours. Le chamane Carreras leur demande où il se trouve. Ils répondent qu'il est près de Boston. Au début le chamane a du mal à le localiser car c'est pour lui une ville grande et étrange. Au bout d'un moment il dit : Peter est vivant mais "ils" essaient de l'envoyer à la guerre. Après une heure de silence il dit que Peter est chez lui à New York, que ses pensées sont avec ses parents jusqu'aux larmes. Vers 1h45 le chamane annonce à Wasson qu'un de ses parents sera gravement malade pendant l'année.
A leur retour les Wasson trouvent dans leur appartement à New York les restes d'une fête dont Peter put confirmer qu'il l'avait bien organisée là le 15 août au soir (alors que les Wasson le croyaient encore à Boston), ce que les factures des repas confirmaient. Ils n'avaient pas trop cru le chamane qui avait parlé d'un appel à la guerre car le jeune à 17 ans avait déjà fait son service militaire dans la garde nationale ce qui devait l'exempter de tout autre enrôlement. Mais, le 3 octobre, l'ethnologue recevait, à Genève, un télégramme de son fils lui annonçant qu'il s'engageait pour trois ans dans l'armée suite à une crise affective (une histoire de coeur) qui avait culminé quand ses parents avaient été au Mexique (ces pensées jusqu'aux larmes vues par le chamane) mais dont il ne leur avait rien dit. Enfin, en janvier 1954 un cousin de Wasson (qui n'avait qu'une famille très réduite car la génération précédente était morte), mourut d'une crise cardiaque alors qu'il était en pleine forme. Wasson y a vu la preuve que lorsque les champignons avaient "parlé", ils avaient fait bien autre chose que simplement provoquer une hallucination ou révéler une invention de la psyché du chamane.
Je précise que, de mon point de vue, ces entités, comme celles qui parlent aux voyants dans les taros (j'en ai parlé dans mon livre sur les médiums), ne connaissent pas l'avenir mais embrigadent dans des pactes ceux qui ne prennent pas de distances à l'égard de ce qu'ils annoncent. Mais cette anecdote, avec ses éléments de vérification externe, montre bien en tout cas que des entités s'exprimaient là, et non pas la psyché d'Aurelio Carreras.