La question des interventions des sociologues dans le débat public
Une sociologue de l'art comme Nathalie Heinich est-elle fondée à se prononcer sur le droit au mariage des couples homosexuels ? Voilà la question que pose un autre sociologue de l'art Alain Quemin, dans les colonnes du Monde, avec un article qui commence ainsi :
"Un(e) sociologue est-il ou est-elle qualifié(e) pour intervenir publiquement sur des questions d'actualité en mettant en avant son titre et la légitimité de son institution - dans le cas de Nathalie Heinich, le CNRS - quel que soit le sujet traité ? Nathalie Heinich n'est-elle pas essentiellement sociologue de l'art et cette position lui donne-t-elle une légitimité pour intervenir sur le thème de l'ouverture du mariage aux personnes homosexuelles et / ou de l'adoption qui pourrait leur être reconnue ?"
Nous sommes ici aux antipodes de ce que fut le statut du philosophe dans les années 1950-60 spécialiste de rien et de ce fait autorisé à s'exprimer sur tout. L'excès de crédit qu'on accordait "a priori" à toute prise de parole d'un intellectuel à ce moment-là était critiquable, mais on peut aussi s'interroger sur l'excès inverse que peut représenter l'hyper-spécialisation du champ académique. Ne peut-on pas supposer que Mme Heinich, bien qu'elle ne cite pas les travaux des sociologues de la famille (il est toujours difficile de citer des références dans des articles destinés au grand public), les a quand même lus ? Peut-on être un bon sociologue de l'art sans bien connaître l'évolution de la famille, et un bon sociologue de la famille sans être un bon connaisseur des représentations artistiques d'une époque donnée et de leur réception dans la société ?
Retour sur "L'impératrice Yang Kwei Fei"
En 1999, je suis allé voir à Paris l'Impératrice Yang Kwei Fei. J'avais alors écrit pour un forum philosophique que j'organisais un texte qui est resté longtemps sur le net (car repris sur un site asiatique) mais en a disparu il y a 4 ou 5 ans. Je reproduis ci-dessous ce texte.Une spécialiste du Japon avait bien voulu ajouter un ou deux mots à ce sujet que je recopie à la suite (car par chance tout cela est resté sur mes différents disques durs. Ils ont le mérite d'éclairer le contexte nippon de l'adaptation du récit historique devenu légende (mieux que ne le fait le supplément du DVD incroyablement pauvre à cet égard). Ayant retrouvé des allusions à Yang Kei Fei / Yang Gueifei dans des classiques chinois que je parcours en ce moment, je viens de revisionner le film en DVD. J'ajoute à la suite de ces deux textes des observations qui actualisent un peu mon point de vue.
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Mon texte de 1999 :
"Questions anthropologiques autour de Mizogushi « L’impératrice Yang Kwei Fei »"
Je suis allé voir ce soir un film de Mizogushi « L’impératrice Yang Kwei Fei » (en anglais : « Princess Yang Kwei Fei » - la transformation du titre d’impératrice en princess est peut-être révélatrice en soi d’une différence culturelle entre les anglo-saxons et nous, du moins à la date de sortie du film, mais laissons cette première question de côté).
C’est un film de 1955 (l’historicité de l’œuvre d’art ne doit jamais être sousestimée).
Je ne sais pas grand’chose de ce film - vous avez donc tout à m’apprendre – ni de Mizoguschi (toute suggestion de site web où l'on en parle est bienvenue).
Le scénario est assez simple. Cela se passe à la cour de l’empereur de Chine au VIII ème siècle. C’est l’histoire d’une jeune souillon qui, du fait des intrigues de sa famille, devient l’épouse d’un empereur romantique (l’adjectif est maladroit car trop occidental, mais tant pis). La souillon console son mari d’empereur de la perte de sa précédente femme, mais périra parce que sa famille malhonnête, promue à des postes « ministériels » par le roi du Ciel, oppresse le pays.
Voilà en gros de quoi il s’agit.
Autant le dire, ce film n’est pas très facile à regarder. On est souvent mal à l’aise, sans qu’on sache si le malaise est dû au fait que ce film ressemble par certains côtés aux films américains des années 1950, ou si c’est son côté japonais qui le rend un peu inaccessible. Et en même temps, on est également séduit par cela même qui nous dérange, ainsi que par l’esthétique générale – le choix des décors, des musiques etc -. Cela demande un petit effort, une petite ascèse, mais cela permet aussi de sortir de soi-même, des canons esthétiques que notre culture – en France, en 1999 – nous a inculqués, et du rapport aux choses et aux êtres corrolaire à cette esthétique.
A vrai dire je ne sais pas – et ce serait peut-être ma première question vraiment importante – ce qu’il y a de japonais, de chinois, et d’américain dans ce film. (Et, si l’on voulait affiner la question, il faudrait se demander aussi ce qu'il y a du XX ème siècle et des siècles passés dans ce film, tant il est vrai que tous les films historiques, regards rétrospectifs, en disent toujours plus sur leur propre époque que sur l’époque qu’ils traitent).
Essayons quelques remarques à ce sujet :
I) ce qu’il peut y voir d’occidental
J’observe que le rythme du film n’est pas celui auquel nous habituent d’autres films japonais comme ceux de Kurozawa ou Ozu. Ce rythme très particulier qu’on attribue, peut-être à tort ( et là les spécialiste du Japon pourraient nous éclairer ) à la culture zen japonaise. On pourrait donc en déduire que le rythme est américain, hollywoodien même à quelques nuances près (sauf si l’on me démontre que la culture japonaise n’est pas incompatible avec ce rythme).
Ce serait donc un premier élément à prendre en compte.
Un autre élément est la thématique. La souillon devenue reine est une thématique d’apparence très américano-européenne (cf Cendrillon). Mais peut-être est-ce aussi un thème universel (après tout l’anthropologie nous révèle des universaux de fantasmes et de comportements que nous n’aurions pas soupçonnaés) ou en tout cas commun à l’Orient et l’Occident.
Très occidentale, aussi, en apparence, la façon de traiter cette problématique, et, plus généralement, la façon d’évoquer la condition de la femme et la place de l’amour telle qu’elle transparaît dans les dialogues. Peut-être les structures mentales de Mizoguschi sont-elles complètement déterminées par le romantisme véhiculé par le cinéma et la littérature populaire venus d’Occident pendant la première moitié de ce siècle ? Pour le savoir il faudrait qu’on me dise précisément quelle fut la formation intellectuelle et affective de Mizoguschi (ce que furent sa famille, son université, ses lectures et ses voyages etc).
Les réponses à cette question nous permettraient d’avoir un regard plus intelligent sur l’occidentalisation du Japon et, même d’en tirer des conclusions pour l’occidentalisation des autres cultures mondiales (mon hypothèse est que, probablement, tous les cinéastes de tous les pays sont aujourd’hui des hommes très occidentalisés, qui relisent leur culture nationale à travers nos lunettes, de sorte que, souvent, en croyant découvrir leur monde, ce n’est que le nôtre que nous voyons)
- question subsidiaire : j’ai vu sur Internet que le film avait reçu une excellente critique à l’Ouest et une très mauvaise au Japon. Est-ce parce qu’il était trop occidental ?
II) ce qu’il y a de japonais
Une fois vu tout ce qu’il y a d’occidental dans ce film, on peut s’attacher à ce qu’il y a de japonais.
C’était ce qu’il me semblait intéressant de voir : la Chine impériale à travers les yeux d’un Japonais. Peut-être est-ce comme quand Pasolini filme la Grèce archaïque (si nous admettons que l’Italie est à la Grèce ce que le Japon est à la Chine, analogie contestable comme toutes les analogies).
Même si on ne connaît pas le Japonais, tout un chacun sait en quoi il diffère du chinois, et, sans doute, pour un Chinois, voir sa cour impériale parlant japonais doit faire le même effet que pour un Français de voir Napoléon parler anglais.
Les japonais ont-ils cependant un regard plus juste sur la Chine que ne peut l’avoir un Occidental – en ce en fonction du substrat culturel commun ?
Une impératrice ayant les mots et les verbes d’une japonaise est-elle malgré tout plus vraisemblable dans le rôle que si ç’avait été une actrice américaine maquillée, ou même une Chinoise de Manhattan ?
Mizoguschi a-t-il étudié de près l’histoire de l’empereur qu’il nous présente (et d’ailleurs le film se veut-il historique ?) ?
Comment un cinéaste japonais quand il veut mettre en scène la cour impériale de Chine fait-il bouger et parler ses acteurs ? qui le conseille (un Chinois, un japonais, un historien ?) ? Il lui faut inspirer des règles de comportement à ses acteurs. Où va-t-il les puiser ? dans les livres d’histoire ? dans des canons posés par d’autres films que le cinéaste a visualisé ? lesquels ?
Il y a derrière ces questions anodines toute une problématique des conditions concrètes de la production artistique et de sa similitude par rapport au réel (problématique posée par la philosophie classique, notamment par Aristote, mais qu’il faut reformuler concernant le cinéma).
III) ce qu’il y a de Chinois et les questions que cela soulève
Une fois qu’on aura répondu à toutes ces questions – et les réponses ne seront toujours qu’incomplètes, provisoires et perfectibles - on pourra se demander ce qu’il y a de chinois dans ce film, ou plus précisément, ce qu’il y a du VIII ème siècle chinois dans ce film.
Sous réserve de tout ce qu’on aura dit plus haut, des occidentalisme, des niponismes, et des conventions artistiques – très manifestes, on les perçoit intuitivement – je pense qu’on pourra accorder malgré tout à Mizoguschi qu’il y a « quelque chose de vraiment Chine impériale dans ce film » (un quelque chose qu’on devra détailler par la suite).
Probablement cette vie impériale dans la Cité interdite – qui m’a fait penser à un autre film « Epouses et Concubines » (Raise the red lantern) dont la valeur de vérité historique elle aussi est très problématique.
Très chinoise aussi – d’après ce qu’on peut connaître sommairement de l’histoire de la Chine – cette situation où la famille de l’épouse de l’empereur accapare les postes de commandement.
Ces deux traits mériteraient qu’on s’y attarde car il sont à la fois très chinois et très susceptibles d’être pensés à travers des lois anthropologiques universelles.
Sur la vie de cour dans la Cité interdite, j’ai trouvé très fort – quoique dans un style vraiment très conventionnel – la façon dont Mizoguschi a mis en scène le contraste entre les mœurs extrèmement policées de cette cour et la spontanéité rabelaisienne de la fête populaire à l’extérieur lorsque l’impératrice entraîne son époux dans la rue pour le Nouvel An chinois. On retrouve là, je pense, un trait caractéristique de toutes les sociétés impériales ultra-hiérarchisées (l’empire romain, la France de Louis XIV présentaient les mêmes cractéristiques, et cela se retrouve encore quoique de façon un peu atténué dans nos sociétés – cf Bourdieu). La société de cour semble à la fois caractérisée par une très forte concentration des ressources matérielles et intellectuelles (le capital va vers la capitale) et un très fort raffinement des mœurs, c’est à dire des règles psychiques de comportements à l’égard de soi-même (rapport à son propre corps) et à l’égard d’autrui (respect des titres des préséances). Mizoguschi semble à son aise pour traiter ce sujet, et l’évolution du comportement de Yang Kwei Fei entre le moment où elle est souillon et son accession au titre d’impératrice est très révélatrice des différences de lois (lois psychologiques et sociologiques) applicables suivant le rang.
Cette problématique du rapport à la loi dans la société de cour est traitée aussi quand les gardes se révoltent contre l’impératrice : l’abolition des règles de comportement et la violence qu’elle génère met en lumière, par effet de contraste, la rigueur que la loi pouvait avoir auparavant. Quand les corps ne sont plus soumis aux règles de la cour (les courbettes, la retenue dans les gestes etc), ils deviennent meurtriers.
J’observe au passage que les lois de comportement ont la réputation d’être généralement plus strictes en Asie (notamment au Japon) qu’en Europe, y compris à l’époque actuelle. Les attitudes et les paroles y sont moins relâchées. C’est d’ailleurs ce qui fait le charme de l’Orient aux yeux des Européens (en vertu de la règle qui veut qu’on désire toujours ce qu’on ne peut avoir et qui fait que les Orientaux, eux, au contraire, pour peu qu’ils se défassent de leur fierté nationale, en viennent à envier notre laisser-aller). Fin de la digression.
Seconde digression, sous forme de question : quel est le rapport (apparemment nécessaire) entre la concentration du capital et l’accentuation des règles au sommet des hiérarchies sociales ? (je suppose que des réponses ont été données en sociologie mais ce n’est pas clair dans mon esprit)
Second point « très chinois » à observer (intéressant du point de vue de la philoosophie politique), comme je le disais plus haut, la position de l’empereur par rapport à son épouse et à la famille de celle-ci. Comme je l’ai dit, l’histoire fourmille d’exemples semblables à celui du fim, donc je tiens ce point pour véridique. On mesure en regardant ce film à la fois la force et la faiblesse de la posture monarchique dans les sociétés anciennes.
Le monarque est tout puissant, il inspire ce qu’il veut sans même avoir besoin du recours à la force physique de son armée. Cela tient tout d’abord au fait que, comme le disait un jour un sociologue au Collège de France, « le roi tire sa force symbolique de ce qu’il faut qu’il y en ait un » (les structures psychologiques des gens autour attendent qu’il y ait un roi, qui exerce son métier de roi – comme on le voit avec le ministre qui détourne l’empereur des activités musicales auxquelles il s‘adonne).
Ainsi le pouvoir de l’empereur est désiré par ses sujets, et il ne sera jamais contesté en tant que tel même quand le pays sera à feu et à sang (les boucs émissaires sont toujours les ministres, avantage de la souveraineté encore visible dans notre république où pourtant la souveraineté s’est déplacée). Rappelez vous que la révolution française n’a remis en cause la personne du roi qu’en 1792 (3 ans après la prise de la Bastille) et le principe monarchique en tant que tel, dans la foulée. En Chine, la personne de l’empereur fut souvent remise en cause (coups d’Etat) mais moins souvent que celle des ministres, et le principe monarchique ne fut remis en cause qu’en 1911 sous l’influence de la modernité occidentale.
En même temps, il n’y a pas de pouvoir absolu. Mizoguschi l’exprime bien par exemple quand il fait dire à l’empereur qu’il est soumis aux lois que lui même a édictées, ou encore quand son premier-ministre lui rappelle que le bien de l’Etat est une priorité (exemple même d’une loi non écrite dont l’efficace a toujours été absolue dans les règles d’exercice du pouvoir).
Pas plus qu’aucun homme l’empereur n’est affranchi des lois (lois politiques, et surtout lois socio-psychologiques d’où émanent le politique). L’homme est un animal qui reçoit des règles de comportement qu’il peut partiellement remettre en cause, mais la remise en cause reste toujours bien faible par rapport au corpus immense de lois (implicites ou explicites) qui ordonnent ses faits et gestes ( on pourrait par exemple montrer que même les empereurs prétendument fous et autocrates comme Caligula ou Héliogabale restaient esclaves d’un nombre infini de règles, ce qu’avaient bien vu leurs contemporains philosophes, lesquelles étaient aussi esclaves).
Comme on le voit, ce film soulève des questions d’ordre varié. Je serais déjà très heureux que quelqu’un m’en dise un peu plus sur son auteur, et sur l’authenticité de l’histoire qu’il relate. Toute autre considération annexe est également bienvenue.
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Remarques d'une lectrice à l'époque
Une première remarque sur le titre.
Les titres de films font souvent l'objet de traductions infideles, par exemple le film de Mizoguchi intitule"Rue de la honte" [1956 je crois ] en francais s'intitule en japonais : AKASEN-CHITAI en reference a AKASEN-KUIKI, qui designait "le quartier circonscrit d'un trait rouge" sur les cartes des commissariats de police, c'est a dire le quartier ou les maisons closes, et autres debits de boisson et petits restos, etaient autorises en vertu de la loi sur la prostitution abolie en 1959, en opposition au trait bleu qui cernait sur ces memes cartes le quartier a la peripherie du premier ou ces commerces se pratiquaient sans autorisation. Aire d'activite dont le nom normal est YOSHIWARA et qui regroupaient deux quartiers qui jouxtent les douves du palais : Chuoku et Nihonbashi. En traduisant par 'Rue de la honte' on se cantonne a l'aspect purement moral et on oublie une toute autre dimension presente dans AKA=Rouge/SEN=Trait/ CHI=terrain/ TAI=ceinture.
Les erreurs sur les rangs institutionnels des personnages sont fréquents : on pourrait citer ce classique du cinéma japonais " L'intendant Sansho" dans une adaptation de Suzanne Flon. Il s'intitule en japonais ' Sansho Daihu" [ non il ne s'agit pas du Dahu vosgien!!] de " Sansho = poivre japonais en reference a l'expression : Aussi petits soient ses grains, un seul suffit a emporter la bouche" et " Daifu = l'une des anciennes magistratures chinoises qui dans le Japon feodal designait la noblesse de 4 et 5eme rangs, juste apres la noblesse de cour des '1,2 et 3eme rang'. Par consequent ' Prefet ' ou "Gouverneur'' constituerait peut-etre une traduction plus appropriee dans le langage moderne.
Cela dit, dans le cas du film que vous mentionnez, l'hésitation entre princesse ou impératrice se comprend fort bien .
En japonais le titre se prononce : Yô-kihi, "Hi" a pour sens, l'épouse de l'empereur ?L'impératrice? ou encore l'épouse du prince l'héritier ou simplement la 1ère épouse d'un prince impérial ? Princess ?. "Kihi" [où "Ki" a le sens de " précieux " ] désigne, l'un de rang des dames de la Cour et désigne surtout en particulier la célèbre Yô-kihi. Le caractère chinois pour "Yô" signifie : "Saule". On a donc affaire à la célèbre "Dame Saule", aimée d'un Empereur T'ang. Dans la transcription contemporaine officielle on écrit : Yang Guifei ?(w)Yang Kuifei? [en deux mots de toute façon] .
Mizogushi a voulu retracer l'histoire de la célèbre Dame Saule. Il s'agit d'un personnage historique qui a vécu à l'époque des Tang de 719 à 756. Elle fut l'épouse de l'empereur " Objet d'une réflexion approfondie ", prononcé GENSON en japonais. C'est à dire aussi " Cérémonial religieux au sens mystérieux et profond". Nanti d' un nom aussi
remarquable, cet empereur n'en a pas moins jeté son dévolu sur la 1ère épouse du prince impérial dont il a fait une courtisane pour l'élever ensuite au rang de "Kihi" [japonais] ou " Guifei "[chinois]. Dame Saule était une remarquable danseuse et une musicienne accomplie, comme elle était aussi très intelligente elle concentra sur sa personne les sentiments amoureux de l'empereur T'ang ci-dessus désigné.
Elle fut exécutée par la suite, lors de la guerre civile menée par le général Anrokuzan [Transcription japonaise = Montagne paisible bénie des dieux ] un sang mêlé mongol, dont le véritable nom de famille "Kô" [Transcription japonaise] n'est pas moins ironique que le surnom puisque sa graphie a pour sens :" Le tendre". Le tendre avait commencé par gagner la confiance de l'empereur T'ang Etiquette, et il en profita pour fomenter les troubles qui ont abouti à laguerre civile de 755. Il se proclama lui même empereur sous le nom de " Grande hirondelle" dans la célèbre ville qui servit de modèle lors de la fondation de la ville japonaise de Kyôto et dont la partie Est de cette dernière a porté un temps le nom. Il périt assassiné par son fils, qu'il avait eu d'une favorite, et ses sbires en 757.
' Dame Saule et la littérature ' Le premier a avoir chanté la légende de Dame Saule fut le poète chinois " Blanc Optimiste " dans " Les chants de la vendetta ", qui ont beaucoup influencé les Lettres japonaises, [ Au point même d'en faire le rôle principal d' un drame Nô]. Dans ces odes, dont la transcription en japonais est Chôgon-ka, L'empereur Etiquette, ramolli par son amour pour Dame Saule, devient un Empereur fainéant sur le plan politique, ce qui donne l'occasion au demi-mongol Montagne paisible bénie des dieux de fomenter la guerre civile au cours de laquelle périt Dame Saule. Les Odes chantent la douleur inconsolable de l'empereur ayant perdu sa dame.
Les japonais en ont fait un drame Nô en trois actes, reprit par chacune des écoles de Nô et dont la création est due à KONBARU Zenchiku [1405 ~?], gendre du célèbre Zéami et qui fonda le style de Nô dit KONBARU-RYÛ [ École du printemps d'or] à l'époque Muromachi [1336~1573] . Il suivit l'enseignement de Zéami en centrant ses créations sur Le Yamato [ mot par lequel le Japon se désigne lui meme, et aussi, région autour de Kyôto, ] dans un style comparativement beaucoup plus sobre, dépouillé et empreint d'un profond mystère que Onami [1398?1467, réputé pour la splendeur et la magnificence de ses drames]. Ses trois principales créations sont : 'UGETSU' " La nuit du 15 Août " [ selon le calendrier lunaire], ? qui est le titre d'un autre film de Mizoguchi, si je ne me trompe pas, ainsi que d'un livre de l'époque d'Edo oeuvre d' UEDA Akinari[ 1734?1809], traduit sous le titre, je cite de mémoire, : "Contes de la lune après la pluie",?? "Bashô", qu'on ne présente plus et " TAMAKAZURA = Liane de jade ". On lui doit également des ouvrages théoriques.
Mizoguchi n'est donc pas allé chercher son inspiration ailleurs que dans ses classiques et ses contemporains ne peuvent pas avoir le regard, inculte à l'égard d'un tel contexte, de l'occident sur cette oeuvre.
Pour égayer mon texte – comme on le fait dans les contriburtions des forums japonais – voici quelques éléments iconographiques.
Yo-Hiki identifiée à la déesse Kannon (the Goddess of Mercy, equivalent du sanscrit : Avalokites'Tvara) – une œuvre de 1997 - "La nouvelle YO-HIKI", Oeuvre de 1991 Yo-Hiki en ex-voto
Vous pouvez aussi jeter un oeil sur les illustrations du scénario et en particulier les décorations en forme de fleurs de Yô-kihi sur http://www4.justnet.ne.jp
Notez qu’il existe même au Japon des nefles Yo-kihi, c'est comme si on avait des "mirabelles Jeanne d'Arc", vous connaissez la bonne Lorraine!
Dame Saule a également donné son nom a une espèce de cerisier à fleurs doubles dont la corolle fait environ 5cm de diamètre, dont le coeur de la fleur est d'une couleur pâle bordée d'un liseré plus foncé. On est loin de votre souillon!!!
J'allais oublier un element important. Au Japon, les saules sont le lieu de predilection des fantomes. Hors notre Dame Saule, de part bien des points de vue [ question de la ressemblance, cote Eurydice etc...] est une Dame des Saules. Le fantome est l'un des personnages principaux de la litterature japonaise que ce soit dans le theatre No ou les contes et c'est la une dimension qu'il ne faut pas negliger, surtout chez Mizoguchi. En tant qu'heroine d'un drame No, nous avons donc obligatoirement affaire a une Dame des Saules. Il me parait significatif egalement qu'apres avoir mis en scene une Dame des Saules en 1955, Mizoguchi nous gratifie de son envers : Une mere de famille qui se prostitue dans ' Le quartier cerne d'un trait rouge ' en 1956. Le drame Nô ' Dame Saule ', s'inspire quant à lui des Odes de Blanc Optimiste.
Un maître de la Voie, doué de pouvoirs supérieurs, reçoit de l'Empereur Etiquette, l'ordre d'aller chercher le refuge de l' âme de Dame Saule, [ là on n'est plus dans Cendrillon mais dans Orphée], et découvre qu'elle se trouve dans le Pavillon de la Vérité Suprême au pays de la Vie éternelle. Dame Saule lui donnant une épingle à cheveux en jade, au titre de la forme de son corps, lui révèle le contenu du serment échangé avec L'empereur à l'occasion de leur nuit de noces, nuit de Tanabata [7 juilllet, seule époque dans l'année où Altaïr rencontre La fileuse ], et danse pour lui sur la musique de "la magicienne à la robe de plumes", belle comme l'Arc en Ciel. Oeuvre qui est un classique chinois, attribué à l'Empereur Etiquette lequel l'aurait composée après avoir appris la musique auprès d'un être céleste.
PS : Remarque finale : Lorsque les japonais comparent OZU, MIZOGUCHI et KUROZAWA en termes climatiques, il disent qu' Ozu annonce du beau temps, Mizoguchi, un temps nuageux et Kurosawa du vent et de la pluie.
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Remarques actuelles
Je ne trouve plus très intéressantes les questions que je me posais en 1999 sur ce qu'il y a de typiquement japonais ou chinois dans ce film. Il est simplement heureux que cela ait donné prétexte à cette lectrice d'expliquer l'importance de la légende de la "Dame Saule" au Japon, encore que bizarrement je ne trouve sur Internet aucune mention de la Dame des Saules (ou de la Dame Saule) sur Internet (à se demander si la lectrice ne se trompait pas...). De même les interrogations sur les hiérarchies sociales, la centralisation du pouvoir politique etc ne me fascinent plus.
Le film attire davantage mon attention par le parti pris philosophique de Mizoguchi de valoriser le sens esthétique de l'Empereur. En en faisant un passionné de la beauté, il en fait un héros de l'envergure d'Apollonis de Tyane dont on parlait hier, et la métamorphose de l'intriguante Yang Kwei-Fei en héroïne sacrificielle "pure" est aussi un choix cinématographique pour faire du film un oeuvre d'édification qui "tire" l'humanité vers le haut.
Je m'intéresse aujourd'hui davantage au personnage de Yang-Kwei-Fei comme figure consacrée (stéréotypée et figée) de la beauté féminine (un peu comme la Vierge Marie est une figure iconisée de la maternité). Je trouve intéressant qu'au Japon on repère trois beautés féminines idéales : Cléopâtre pour l'Occident (et c'est vrai qu'en voyant le film on ne pouvait s'empêcher de penser à Cléopâtre, dans l'ordre des belles souveraines qui précipitent la fin des empires), Yang Kwei Fei pour la Chine et Ono No Komachi pour le Japon (la poétesse auteur de wakas du Xe siècle). Il faudrait se demander pourquoi cette "classification géographique" et pourquoi dans l'univers taoïste, des questions que nous reprendrons peut-être plus tard. Elle est citée deux fois dans le seul Jéou-P'ou-T'ouan.
Je crois qu'il faudrait explorer davantage le souvenir de ses bains entretenu à Huaqing et la permanence de cette imagerie dans la littérature chinoise, qui, je crois, a des équivalents dans la littérature égyptienne antique et persane (dans une logique de société de cour palatiales où les bains ont une signification poliique et religieuse très différente des sociétés plus égalitaires). Voir le "Sublime lac" du Chant de l'Eternel regret de Bai Juyi (IXe siècle) et l'allusion "Lotus émergeant de l'onde" dans le Chi po zhi zhuan p. 52 (XVIIe siècle).
"Vie d'Apollonios de Tyane" de Philostrate
Je lis en ce moment la Vie d'Apollonios de Tyane, écrite par Philostrate vers 210 (mais Apollonios, lui, vécut à l'époque de Tibère et de Caligula).
Je crois que ce texte est important pour diverses raisons. Tout d'abord parce qu'il s'agit d'une vie de philosophe très semblable à la vie du Christ racontée par les Evangiles (et selon Grimal sans emprunt à celles-ci), qui d'ailleurs commence par la visitation (selon le terme consacré dans le langage religieux) d'un dieu à la mère du philosophe-prophète avant sa naissance.
Ensuite c'est intéressant parce que c'est la vie d'un philosophe pythagoricien : cette école étant quand même un peu le parent pauvre de la philosophie rationaliste nous en connaissons bien peu de choses. Il est très utile, je trouve (par delà la part d'invention fantaisiste que comprend nécessairement ce genre de récit) de trouver la philosophie de Pythagore incarnée dans un homme comme cet Apollonios, enfant de la bourgeoisie de Cappadoce, qui en respecta beaucoup de préceptes tout en en aménageant d'autres (sur le célibat par exemple).
Je crois que le pythagorisme est une doctrine féconde pour notre rapport contemporain à l'environnement, dans la mesure où elle prône le respect absolu de toute vie sur terre (et pour cette raison s'accompagne de prescriptions alimentaires et vestimentaires complexes). Il y a notamment dans le récite de Philostrate un moment extraordinaire où Apollonios accuse des propriétaires d'Asie Mineure d'avoir accaparé le blé produit par la "Terre mère" appartenant à tous, que les peuples andins contemporains, assoiffés aussi bien de respect de la nature que de justice sociale sous l'égide de la Pachamama ne renieraient certainement pas.
Je trouve très forte notamment la valorisation du silence chez ce philosophe, qui resta cinq ans au milieu des siens sans parler.
Enfin le récit est instructif parce qu'il rend compte d'un voyage d'Apollonios de Cappadoce jusqu'en Inde, et, de ce fait, s'intéresse aux spiritualités des peuples croisés sur le chemin : l'aptitude des Arabes à comprendre le langage des oiseaux (Apollonios lui-même comprend toutes les langues, comme les Apôtres), celle des Mèdes à lire dans les astres etc.
A propos des spiritualités orientales, j'apprends que dans un quartier d'Antioche que l'on appelait Daphné, on vénérait un laurier qu'on prenait pour l'héroïne du mythe changée en cette plante par Apollon (bien que le mythe situât la scène en Arcadie). Le sanctuaire y était d'ailleurs rempli de "gros beaufs" (dirait-on de nos jours) qui y allaient juste pour bavasser et prendre le frais sous les hauts cyprès (comme d'ailleurs dans la ville natale de Saint Paul, Tarse, où il était impossible de faire de la philosophie selon Apollonios car les gens ne s'y intéressaient qu'à la rigolade au bord de l'eau et à la qualité de leurs vêtements).
Le commentateur du livre note que le sanctuaire du laurier Daphné à Antioche participe d'un culte vivant rendu dans tout le Proche Orient à tous les arbres (et dont on a l'écho dans l'Arbre de Vie de la Génèse hébraïque). Ce culte de l'arbre proche-oriental est quelque chose que je connais mal hormis de vagues souvenirs de Mircea Eliade sur les arbres comme Axis mundi (mais je ne crois pas qu'il examinât la spécificité proche-orientale du phénomène).
Je ne suis encore qu'au début du récit, mais je trouve qu'il synthétise déjà beaucoup de choses sur la "spiritualité philosophique" de l'Orient romain du début de notre ère, sous un angle à la fois peu connu, et qui peut répondre à ds aspirations importantes de notre époque. A suivre...
A propos de la nudité d'Andromède
"Andromède (en grec ancien Ἀνδρομέδα / Androméda) est une princesse éthiopienne. Fille du roi Céphée, elle est victime de l'orgueil de sa mère Cassiopée. Exposée nue sur un rocher pour y être dévorée par un monstre marin, elle est sauvée de justesse par Persée dont elle deviendra l'épouse" nous dit Wikipedia.
Le mythe a nourri une iconographie abondante à travers les siècles au point qu'on peut y voir une image paradigme de la "nudité humiliation" en version féminine.
Et cependant, Andromède (dont le thème est obsédant dans un roman comme les Ethiopiques) n'a pas nécessairement été toujours nue. Dans le roman "Leucippé et Clitophon" d'Achille Tatius dont les érudits vantent souvent la précision des témoignages, on nous décrit deux tableaux placés derrière le temple de Zeus (en fait un Zeus très "local", jeune et portant une grenade) dans la ville grecque de Péluse en Egypte (là où le grand Pompée fut décapité) : un tableau d'un certain Evanthès représentant Prométhée et un autre Andromède (l'un et l'autre enchaînés, peut-être des symboles de la condition humaine). Dans le second tableau, c'est Persée, le libérateur d'Andromède, qui est nu, et Andromède, elle, porte une blanche "tunique descendant à ses pieds" (Pléiade p. 923) d'un tissu léger "non pas comme cellui que l'on fait avec la toison des brebis mais semblable à ces flocons ailés que les femmes de l'Inde ramassent sur les arbres pour les filer" (du coton selon Pierre Grimal).
On observe qu'Apollodore dans sa Bibliothèque ne parle pas de sa nudité :
" Persée arriva en Éthiopie, où régnait Céphée, et il découvrit qu'Andromède, la fille du roi, avait été exposée pour devenir la proie d'un monstre marin. Car Cassiopée, l'épouse de Céphée, avait osé défier les Néréides dans un concours de beauté, en se vantant d'être plus belle qu'elles toutes. Les Néréides s'étaient offensées, et Poséidon se mit en colère : il envoya une inondation pour dévaster tout le territoire, et aussi un monstre marin. Ammon avait alors donné sa réponse : la seule façon de faire cesser ce fléau était de livrer Andromède, la fille de Cassiopée, en pâture au monstre. Céphée, sous la pression de ses sujets Éthiopiens, obéit : il enchaîna la jeune fille à un rocher. "
Pas de mention non plus de la nudité d'Andromède dans les Métamorphoses d'Ovide :
"There Jupiter Ammon had unjustly ordered the innocent Andromeda to pay the penalty for her mother Cassiopeia’s words.
As soon as Perseus, great-grandson of Abas, saw her fastened by her arms to the hard rock, he would have thought she was a marble statue, except that a light breeze stirred her hair, and warm tears ran from her eyes. He took fire without knowing it and was stunned, and seized by the vision of the form he saw, he almost forgot to flicker his wings in the air. As soon as he had touched down, he said ‘O, you do not deserve these chains, but those that link ardent lovers together. Tell me your name, I wish to know it, and the name of your country, and why you are wearing these fetters. At first she was silent: a virgin, she did not dare to address a man, and she would have hidden her face modestly with her hands, if they had not been fastened behind her. She used her eyes instead, and they filled with welling tears. At his repeated insistence, so as not to seem to be acknowledging a fault of her own, she told him her name and the name of her country, and what faith her mother had had in her own beauty.
Before she had finished speaking, all the waves resounded, and a monster menaced them, rising from the deep sea, and covered the wide waters with its breadth. The girl cried out: her grieving father and mother were together nearby, both wretched, but the mother more justifiably so. They bring no help with them, only weeping and lamentations to suit the moment, and cling to her fettered body. Then the stranger speaks ‘There will be plenty of time left for tears, but only a brief hour is given us to work. If I asked for this girl as Perseus, son of Jupiter and that Danaë, imprisoned in the brazen tower, whom Jupiter filled with his rich golden shower; Perseus conqueror of the Gorgon with snakes for hair, he who dared to fly, driven through the air, on soaring wings, then surely I should be preferred to all other suitors as a son-in-law. If the gods favour me, I will try to add further merit to these great gifts. I will make a bargain. Rescued by my courage, she must be mine.’ Her parents accept the contract (who would hesitate?) and, entreating him, promise a kingdom, as well, for a dowry."
Sur le vase corinthien du musée de Berlin (d'époque classique), c'est Persée qui est nu, et Andromède habillée
Dans la peinture d'époque romaine le tableau "Persée et Andromède" (à droite) de la villa d'Agrippa Postumus à Boscotrecase (musée de New York) montre un vêtement léger semblable à celui que décrit Achille Tatius. Il y a juste un début de dénudation dans la "Délivrance d'Andromède par Persée" de la maison des Dioscures à Pompéi (Naples) ce qui coïncide aussi avec des début de nus partiels pour les femmes (comme dans une fresque du sacrifice d'Iphigénie).
Mon hypothèse est qu'à partir de Praxitèle l'ouverture orientale de l'art grec (les déesses mères nues) a ouvert la voie à une nudité féminine conventionnelle. Mais c'est sous les cieux italiens de la Renaissance (dans les jeux de la société de cour et à la faveur de l'essor du néo-platonisme) que celle-ci a pleinement trouvé droit de cité dans l'art.
Chose amusante, la mise à l'écran de l'exposition d'Andromède en 1981 dans le film "Le choc des Titans" a abandonné la nudité de l'héroïne (cf la vidéo ici et ci-dessous). Un illustrateur de livres pour enfants (éditions anglo-américaines) explique que l'éditeur, pour un de ses dessins, lui a demandé récemment de couvrir Andromède d'assez de cheveux de sorte que sa poitrine ne soit pas visible.