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"Pourquoi je suis chrétienne" de Ghislaine de Montangon

22 Mars 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Médiums, #Notes de lecture

Chaque année, les idées et les croyances s’incarnent, prennent sens dans les peines et joies d’êtres de chair et de sang auxquelles elles viennent donner sens aux yeux de ceux qui les subissent. En cette année 2017, le témoignage de Ghislaine de Montangon vient apporter de l’eau au moulin d’un courant qui a connu une dynamique certaine depuis les années 1960, un courant qui n’a pas de nom officiel mais que l’on pourrait décrire comme une forme de christianisme hérétique, orientalisant, qui tente d’établir des ponts avec les sagesses bouddhistes, hindouistes, voire avec le chamanisme.

Ce courant de pensée a ses grandes figures décédées dont deux qui ont joué un rôle essentiel dans le parcours de l’auteure : Yvonne Trubert, initiatrice du groupe ''Invitation à la Vie'', femme inspirée, à moitié médium qui, pour reprendre les mots de Ghislaine de Montangon, apportait «trois clés : la prière du chapelet, des soins énergétiques, des pas dansés au rythme de sons chantés collectivement», et Arnaud Desjardins, disciple chrétien du maître hindou Swami Prajnanpad et fondateur de plusieurs ashram en France.

Ghislaine de Montaugon montre comment ces deux maîtres, ainsi que des auteurs plus récents découverts au fil de ses nombreuses lectures, l’ont aidée notamment à vivre et dépasser l’épreuve centrale de sa vie : l’accident de voiture de sa fille de 26 ans, en 2001, qui, à la suite de son traumatisme crânien, mène une vie végétative, laissant à la charge de leur grand-mère deux jeunes enfants.

Le livre, qui témoigne d’une recherche persévérante de la vérité et des moyens de garder encore des raisons d’exister quand, comme elle le dit elle-même, le danger de la dépression guète chaque journée, permettra aux lecteurs curieux de spiritualité de découvrir ou retrouver les grandes lignes d’un christianisme «dissident» qui prétend s’affranchir de toute notion de culpabilité, pour rejoindre une vision non-dualiste (celle, par exemple, du gourou indien Deepak Chopra mobilisé dès la première page du livre) qui cherche à s’affranchir de l’égo (et notamment du «cerveau gauche» qui raisonne trop) pour fusionner mystiquement avec l’énergie divine.

En donnant tous les arguments qui plaident pour ce courant de pensée, l’auteure, évidemment, en dévoile aussi les faiblesses que ne manqueraient certainement pas de relever les tenants d’un monothéisme plus «classique» (qu’il soit d’ailleurs juif, chrétien ou musulman). Le premier est peut-être l’absence de souci de rigueur dans la recherche des sources qu’on avance. Ainsi Mme de Montangon se borne-t-elle le plus souvent à citer les auteurs récents de sa mouvance sans chercher à les confronter à des sources plus anciennes et encore moins à celles qui les contredisent. Cela mène à des erreurs factuelles très visibles, comme lorsqu’elle appelle Jérusalem «cité de l’âme» (p.16) alors que c’est ''de la paix'' au sens de complétude et l’étymologie communément admise ; ou encore lorsqu’elle affirme à tort que Flavius Josèphe cite l’existence de Jésus (p.164), en se gardant bien d’ailleurs préciser à quel endroit… D’une manière générale, le judaïsme est très absent du livre : notamment de la page sur la Genèse (p.161), à part pour décréter sans démonstration que l’idée de faute originelle «n’est pas conforme au texte hébraïque original» sans autre autorité que celle de l’ancienne infirmière anesthésiste, théologienne orthodoxe (et jungienne…) Annick de Souzenelle (et tant pis pour les 3000 ans d’exégèse juive qui ont soutenu le contraire). On comprend bien pourquoi d’ailleurs : s’interroger sur ses principes et sa tradition réduirait à néant l’effort de poser l’évangile apocryphe de Thomas comme source légitime de compréhension du christianisme. Et penser un Jésus juif (et un judéo-christianisme qui est l’origine historique réelle du catholicisme) interdirait de séparer l’enseignement évangélique des notions de morale, de jugement, et de toute l’eschatologie (l’attente de la fin du monde, et de la rédemption finale) dont il est solidaire. Il est plus simple de tout mettre sur le dos de l’ignorance ou de la malhonnêteté des évêques du Concile de Nicée…

Dans le livre de Mme de Montangon, comme dans sa mouvance, la disqualification de la vérité argumentée (qui gardait encore une place, subordonnée à la Révélation, mais tout de même vivace, dans la théologie catholique traditionnelle) permet d’ouvrir la porte à n’importe quelle canalisation médiumnique comme celle de Neale Donald Walsch, dont il n’est même plus requis d’évaluer la pertinence des révélations : «Vraisemblable ou pas, son discours m’avait alors fourni un excellent guide», écrit-elle (p.20). Il n’est plus nécessaire que les propos soient vrais ni même vraisemblables, pourvu qu’ils plaisent. La vérité n’a plus sa place, puisque le jugement est exclu. Il faut réhabiliter les traditions chamaniques au nom du «Aimez vous les uns les autres» (p.162). Les démons n’existent pas. Dieu, perçu comme une source énergétique ainsi que le font souvent les médiums (et qui n’est donc pas transcendant à sa création), se donne «en vérité» (sans stratagème ni illusion possible) comme connaissance et force d’amour inconditionnel dans la «nudité totale», l’abandon de soi (qui doit être plus qu’un lâcher prise car sinon les pensées tristes pourraient affleurer dans cette ivresse - p.105, sans aller tout de même jusqu'à l’anomie libertaire soixante-huitarde jugée trop «nivellatrice» - p.145).

Toute négativité doit être évacuée, même constructive (p.105), tout ce qui est problématique - et donc de ce fait en réalité source d’intelligence - est révoqué comme inutile. Il faut se laisser hypnotiser, à coup de yoga, de transes, de méditation et de prières individuelles ou de groupe qui ont «le pouvoir de déclencher une force énergétique importante, ressentie ou non d’ailleurs par les participants» (p.85), comme dans le New Age, par les ressources positives du présent, renoncer aux sacrifices de la fourmi pour faire l’éloge de la cigale (p.119), envisager la vie comme un «jeu de l’oie sur le chemin du bonheur» (p.27) où les souffrances sont des occasions de mieux se connaître soi-même (et non de réparer des fautes ou de gagner une vie éternelle meilleure puisque la perspective de l’au-delà de la mort est annulée par l’ici et maintenant), c'est-à-dire du Soi, dans lequel l’âme s’anéantit comme, au fond, elle anéantit autrui.

Le témoignage rend compte agréablement, et même souvent avec beaucoup d’émotion, de la manière dont l’auteure a assis son existence sur ce credo-là. Mais il omet hélas d’expliquer comment un monde avancerait dans son ensemble sur de telles bases eudémoniques, autant que de rendre justice aux arguments de la tradition dualiste auxquels il s’oppose. L’aveuglement est au bout des intentions bienveillantes, et le livre peut être au fond lu, à un niveau philosophique, comme une nouvelle illustration des dangers d’une trop grande hâte à évacuer le négatif de la foi comme de la pensée.

La  recension est aussi ici.
 

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"Conjuncting Astrology and Lettrism, Islam and Judaism"

16 Mars 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Médiums, #Histoire des idées, #Pythagore-Isis

Je lisais récemment un article intitulé "Conjuncting Astrology and Lettrism, Islam and Judaism" du Dr Matthew Melvin-Koushki, professeur assistant, spécialiste des sciences occultes du premier Islam à l'université de Caroline du Sud, article conclusif de trois autres articles, et paru en janvier dernier dans la revue Magic, Ritual, and Witchcraft de janvier dernier qui commence par une intéressante charge contre l' "occultophobie", notamment celle qu'il décèle dans un livre récent de Stephen P. Blake, Astronomy and Astrology in the Islamic World (Edinburgh University Press 2016).

Il explique comment du 10e au 17e siècle, dans les classifications persanes, les sciences occultes (astrologie, lettrisme et géomancie) ont été déplacées de la sphère des sciences naturelles à celle des sciences mathématiques pour renforcer leur légitimité.

Selon lui la sanctification, la désesotérisation, puis la mathématisation-néopythagorianisation de l'occultisme en général et lettrisme en particulier dans l'Egypte des Mamelouks et l'Iran tilmouride et sous le règne des Aq Qoyunlu du treizième au quinzième siècle constitue le contexte  immédiat et sociopolitique immédiat de la célèbre mathématisation de l'astronomie par les Membres de l'Observatoire de Samarkand au XVe siècle et de la résurgence de la philosophie néoplatonicienne, deux processus qu'il faut tenir ensemble. La Kabballah juive qui lui est contemporaine donne une cohérence épitémologique, car l'occultisme islamique et juif formaient un mysticisme unique dérivée de l'héritage néo-platonicien grec (voir à ce sujet Moshe Idel). Il faut aborder ensemble ces deux courants et leur façon de marier Kabbalah et lettrisme sans approche positiviste ni religioniste ou eurocentrisme estime le Dr Melvin-Koushki. Quant à l'astrologie, Abu Mashar Balkhı (Grande introduction à l'Astrologie - K. al-Mudkhal al-Kabı¯r ila¯ Ilm Ah.ka¯mal-Nuju¯m), protégé du philosophe Al-Kindi (IXe siècle) reformula l'astrologie hellénique dans des termes strictement aristotéliciens, au sein des sciences naturelles (Liana Saif, “Homocentric Science in a Heliocentric Universe,” in Nicholas
Campion and Dorian Gieseler Greenbam, eds., Astrology in Time and Place: Cross-
Cultural Questions in the History of Astrology (Newcastle upon Tyne: Cambridge Scholars,
2015), 159–72).

Par exemple Al Kindi fait l'éloge du sacrifice animal comme acte magique efficace parce que l'interruption du rayon cosmique de la vie animale a nécessairement un impact à distance sur un objet donné en vertu de la correspondance ciel-terre, et Abu Mashar Balkhı dira de même de la convergence des rayons cosmiques et du rayon du mage dans le talisman, ce qui est une façon de réconcilier l'émanationisme platonicien et la doctrine de la cause aristotélicienne. Et c'est d'ailleurs par ces théories magiques que l'aristitélisme fut introduit, au début, en Europe au 12e s (voir Abu Mashar and Latin Aristotelianism in the Twelfth Century: The Recovery of Aristotle’s Natural Philosophy through Arabic Astrology (Beirut: American University of Beirut Press, 1962). Roger Bacon en fut un adepte. Plotin avait rejeté la causalité astrale, mais à la suite de Abu Mashar Balkhı les chrétiens Adelard de Bath (+ 1152), Hermann de Carinthie (+ 1160), Hugh de St. Victor (d. 1141), Thierry de Chartres (+ 1150), Bernard Silvestris (+. 1178), Guillaume de  Conches (+. ca. 1154), et Daniel de Morley (+. ca. 1210) allaient suivre cette voie. Le Secretum secretorum de Philippe de Tripoli et le Picatrix (trauction espagnole du "But du sage" (Gha¯yat al-Hakı¯m) de Maslama al-Qurt.ubı¯aussi. La caution aristotélicienne d'Avicenne qui était pro-astrologie mais anti-occultiste y contribua.

Puis l'astrologie aristotélicienne d'Abu Ma'sharian fut pythagorianisée dans une forme de lettrisme mathématique sacré.

C'est un domaine peu connu en Occident. L'eurocentrisme et le rationalisme nous font manquer des courants essentiels de l'histoire de la pensée humaine.

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Arnaud-Aaron Upinsky et le Suaire de Turin

14 Mars 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète

A la différence du pape, l'essayiste Arnaud-Aaron Upinsky n'est pas infaillible (par exemple quand il accuse la reine d'Angleterre de fausser Jean 1:5, alors que c'est la version française qui se trompe - voir ici). Mais il a le mérite, comme le Dr Ricardo Castañón Gomez spécialiste des effusions de sang des hosties (voir mon billet ici) de tenir ensemble la foi et la démarche empirico-critique de la science, de sorte que la première est toujours susceptible de sortir renforcée de l'épreuve du test de la seconde, même s'il est vrai que l'on peut toujours supposer, d'un point de vue religieux, qu'une ruse démoniaque est à l'origine du "miracle" scientifiquement contesté, ou, d'un point de vue athée, que la science "à l'avenir" expliquera l'aberration qui la laisse sans voix aujourd'hui.

Prenons malgré tout au sérieux, et avec honnêteté, les éléments factuels et les démonstrations rationnelles que les croyants mobilisent au service de leur conviction. Même les athées ou les agnostiques devraient faire de même sous peine qu'on puisse les accuser de s'en remettre à des actes de foi aussi arbitraires que ceux qu'ils critiquent.

Arnaud-Aaron Upinsky (AAU), mathématicien informaticien, ancien titulaire d'une chaire d'épistémologie dans une école de communication, et accessoirement descendant (selon ses dires) d'Olivier Voutier, découvreur de la Vénus de Milo, s'est spécialisé depuis plusieurs décennies dans la défense de l'authenticité du suaire de Turin (le linceul encore visible de nos jours qui aurait enveloppé le cadavre de Jésus de Nazareth) et de son caractère de preuve de la résurrection de Jésus-Christ (une résurrection qui, du reste, à la supposer vraie, ne suffirait pas à démontrer qu'il est le fils de Dieu rédempteur, puisque par exemple le Toldoth Jeschu prêtait au rabbi Jeschu qu'il identifie à Jésus des dons de magie acquis en Egypte qui pourraient fort bien lui avoir permis de réaliser une prouesse post mortem). Par delà ses vidéos sur le Net, je me suis reporté à un de ses anciens livres publié en mars 1998 chez Fayard qu'on ne trouve plus que dans les bibliothèques "L'énigme du linceul, La prophétie de l'an 2000", livre qui rend compte à la fois de la méthode d'authentification du linceul que prône à AAU, des éléments factuels qui corroborent l'authenticité, et des difficultés à faire entendre cela à l'Eglise et à l'opinion publique mondiale entre 1989 et 1998.

En introduction au livre, AAU rappelle que le 11 avril 1997 le suaire a réchappé dans des conditions mystérieuses à l'incendie qui a ravagé la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin à la fin d'un dîner de gala donné en l'honneur du secrétaire général des Nations Unies de l'époque, au palais royal de Turin, comme il l'avait fait dans la nuit du 3 au 4 décembre 1532 quand deux franciscains du couvent de Ste Marie l'Egyptienne le sauvèrent des flammes.

L'incident n'est pas sans rappeler cet autre "miracle" inexpliqué par la science que fut la conservation de l'étrange portrait de Notre Dame de Guadalupe sur une tunique, qui survécut aussi à bien des avanies.

Puis il récapitule la chronologie du débat sur l'authentification dont l'étape clé fut le 8 septembre 1989 le séminaire au centre Chaillot Galliera dont l'objectif était de tester la validité de la datation au carbone 14 qui venait de conclure que le linceul avait été fabriqué au Moyen-Age. Comme il travaillait sur les systèmes expert en liaison avec IBM, le conseil scientifique de ce symposium lui avait demandé demandé une synthèse épistémologique de l'ensemble de la recherche sur le linceul (p. 25). Peu intéressé par les reliques jusque là, il fut d'abord frappé par le caractère irreproductibilité de la pièce, qui plaide selon lui de façon imparable pour son authenticité.

AAU n'a cessé de le marteler depuis lors : on ne peut trouver un vrai faussaire avec une vraie motivation et une vraie technique. Le linceul anonyme très difficile à réaliser et rempli de détails invisibles à l'oeil nu (comme le portrait de ND de Guadalupe) ne répond pas à ces critères. Par ailleurs la datation au C14 est scientifiquement fausse.

Cette démonstration valut à AAU un grand succès, mais ne fut pas reprise dans la conclusion du colloque qui resta évasive.

La datation au C14 entreprise sans souci interdisciplinaire (alors que toutes les disciplines depuis 1898 s'orientaient de plus en plus vers une reconnaissance d'authenticité - cf p. 36) avait été entourée selon AAU de beaucoup de théâtralisation, avec des informations livrées au compte goutte. Le 28 septembre 1988, l'archevêque de Turin avait déclaré que selon les chercheurs de l'université d'Arizona, d'Oxford et de l'école polytechnique de Zurich coordonnés par le Pr Tite du British Museum "l'intervalle de date calibré assignée au tissu du suaire avec un taux de 95 % se situe entre 1260 et 1390, et insistait sur le fait que ce taux valait certitude. Les représentants d'Oxford et du British Museum allaient en rajouter dans ce registre dans les médias, mais le rapport dans la revue Nature fu 16.2.89 ne comportait pas de détail des opérations effectuées sur les 150 mg d'échantillon, ni le taux de C14 obtenu, et les échantillons de contrôle (des tissus venant de tombes) n'avaient pas été anonymisés ce qui leur ôtait leur valeur probatoire.

La méthode de datation au C14 qui a valu le prix Nobel à Libby son inventeur en 1960 est de plus en plus contestée. Les postulats de base comme la constance du C14 dans le temps et l'espace et la fixité sur 5 700 ans son contestés. Des disparités énormes de datation ont été constatées sur le site de Jarmo (5 300 ans d'écart), sur des coquilles d'escargots projetées à 24 000 av JC alors qu'elles étaient contemporaines et un cor de viking de 500 a été projeté en 2006...

Ici les trois laboratoires sur le même objet avaient trouvé des résultats si différents qu'il n'y avait que 5 % de chances ("niveau de signification") que ce fût le même objet. Si la mesure était valide, l'intervalle de confiance avait 95 % de chance d'être celui annoncé, mais il n'y avait que 5 % de chances que la mesure le soit...

John H. Heller dans "Enquête sur le St Suaire" (1985) avait montré que dans le débat organisé par le Shroud of Turin Research Project (STURP) aux USA en 1978 juste avant une ostension, AD Adler avait eu beau montrer contre son compatriote McCrone que la trace rouge était du vrai sang, les savants avaient montré leur incapacité à faire le lien entre les réponses aux questions partielles portées sur la nature des composantes de l'énigme et la question du grand public sur l'authenticité.

La photo prise par Secundo Pia montre que c'est par le négatif que l'image du suaire se révèle le mieux (cf "Le Paranormal" d'Henri Bloch). La densité des fibrilles colorées donnait l'image du corps, les distances étaient reproduites et l'empreinte sanguine située à l'endroit précis des 5 plaies dont les trous dans les poignets, ce qui plaide pour une représentation acheiropoietos (sans main de l'homme). Cela la rendait non reproductible, et le cadavre s'est détaché sans déplacer l'empreinte sanguine.

Pour arriver à construire une thèse positive sur le Suaire, AAU part de son existence, des générateurs possibles, et des hypothèses que cela implique.

Arnaud-Aaron Upinsky et le Suaire de Turin

Si le linceul n'est pas reproductible, peu importe sa provenance (et notamment le trou entre l' "image d'Edesse" qui aurait pu être le linceul jusqu'en 944 et l'apparition du linceul à Lircy en 1357 en Champagne. La méthode synthétique d'AAU (cf figure jointe) lui permettait d'aboutir dès 1989 à la démonstration d'une authenticité "par défaut, comme un triangle qui a ses trois côtés identiques est un triangle équilatéral".

Le Sturp avait démontré en 1978 que l'image n'était pas l'oeuvre d'un artiste comme beaucoup l'avaient soutenu depuis le 14e s. La trame est colorée seulement sur une profondeur de 40 microns. Il n'y a pas de pigment allant dans les fibres. L'image est stable à l'eau et au feu comme l'avait déjà montré l'incendie de 1532. il n'y avait pas de coups de pinceaux, c'était un négatif photographique parfait visible seulement à 2 m (p. 114).

La fabrication du linceul applique les techniques du 1e siècle, Le sang est du vrai. Max Frei du laboratoire de police de Zurich y a trouvé du pollen de plantes de Palestine.

L'image était floue à l'oeil nu, aurait pu choquer au Moyen Age vu la nudité du cadavre, montrait une jambe plus courte que l'autre.

Le prestidigitaeur Joe Nickell a tenté de fabriquer une image avec de la myrrhe et de l'aloès tendue sur un bas relief. En vain.Elle était déformée, pas monochrome etc.

L'exposition "Fake, the Art of Deception" du British Museum de mars à septembre 1990 qui comprenait une diapositive grandeur nature du suaire, fut l'occasion pour AAU d'envoyer au directeur du musée le 11 août avec copie à diverses autorités une lettre réfutant l'accusation des exposants. Dans une réponse du 23 le directeur répondait qu'il faisait retirer du catalogue la référence au suaire. Le même mois le Vatican désavouait la datation au C14 de l'année précédente.

Ce désaveu par le British Museum du concept de l'exposition impliquait au moins la reconnaissance de la présence d'un vrai cadavre, qui était la thèse du chirurgien Pierre Barbet. La manière dont l'empreinte s'est faite sur le linceul est si précise que le légiste de Los Angeles Robert Bucklin identifie contusions et perforations et une une enflure qui a occasionné la fermeture partielle de l'oeil droit ainsi qu'une fracture du nez et une contusion au bout du nez signe d'une chute.Selon le Dr Barbet la plaie au côté est celle d'une lancea romaine, au niveau du péricarde plein de viscosité et de l'oreillette droite pleine de sang, d'où le fait que de l'eau et du sang en sortirent. L'effet de décalque du suaire inverse les côtés.

La plaie au front est pré-mortem, celle au coeur est post mortem, conformément au récit de l'Evangile sur le coup de lance.

Le visage exprime une majesté, il s'agit d'un homme de 30-35 ans, de type yéménite archaïque d'1m78/80, 77-80 kg (p. 142). Il a reçu environ 120 coups par devant et par derrière de flagrum infligés par deux hommes. On a placé un objet blessant autour de sa tête. Les pieds sont ensanglantés et terreux, la crucifixion a eu lieu à la romaine.

On considère, nous dit AAU p. 145, que Jésus de Nazareth est né en 7 av JC. Nommé responsable de la politique scientifique du CIELT (Centre International d’Etudes sur le Linceul de Turin), l'auteur fut confronté aux tentatives des religieux de prendre l'ascendant sur les scientifique ce qui arriva en 1994. Néanmoins l'association réunie début 1991 décida de s'investir dans la préparation d'un symposium à Rome qu'AAU prépara et dont le but était l'identification du crucifié et la planification du processus de reconnaissance de l'authenticité pour l'ostension de 1998.

La présence de chercheurs russes Ivanov et Kouznetsov hostiles à la datation du British Museum, lors du symposium de juin 1993 renforça AAU.

Outre les concordances entre les caractéristiques du corps et le récit de la Passion dans l'Evangile, deux points sont à souligner : il n'y a pas eu de putréfaction du corps, ce qui aurait détruit l'image, il n' y a pas eu enlèvement car l'arrachement aurait laissé des traces sur le tissu (p. 166).

Toutefois, selon AAU, à l'instigation du Pr Lejeune un projet de communiqué final du symposium faisait l'impasse sur l'annonce de l'authenticité et le sur le point essentiel relatif au non détachement du corps du tissu pour se focaliser sur la contestation de la datation au carbone 14, puis le bureau du Symposium était dissous et AAU remercié avant la publication des actes.

Néanmoins la communauté scientifique avait avancé dans le sens des évangiles puisque le point du non décollement du cadavre (point 18) avait été validé. C'était admettre la dématérialisation du corps. Les médias (TV, radio, René Laurentin au Figaro) donnèrent un écho, mais le cardinal Lustiger resta en retrait et un théologien dans Le Monde le 3 juillet 1996 parla contre toute vraisemblance scientifique d'un possible frottage de statue ou de bas relief contre le suaire pour produire l'image. Le Saint Siège ne relaya pas les travaux du Symposium. La série Corpus Christi sur Arte en 97 remplie d'avis contradictoire faisait de Jésus un être imaginaire et le linceul y fut ignoré.

AAU rappelle que Jésus avait annoncé (Mt 12, 38-40, Mt16, 3-4 et Lc 11, 30-32). Le linceul est l'empreinte même du "signe de Jonas", son "négatif" scientifique. Conformément à la prophétie sur le cheval blanc de l'Apocalypse (le verbe de Dieu vêtu de son linceul de lin) le dragon aurait été lié pour mille ans par le verbe, puis le chiffre des sciences (le règne des mathématiques) aurait vaincu pour mille ans encore l'an 2000 manquant selon AAU la fin d'un cycle.

Depuis lors Arnaud Upinsky n'a cessé de batailler contre la légèreté avec laquelle la Vatican traite les découvertes scientifiques autour du linceul, par exemple la distraction du pape François lors de sa visite au Suaire le 21 juin 2015.

Voilà donc les éléments (troublants) avec lesquels AAU tente de persuader l'humanité de l'authenticité du linceul et de la véracité de la Résurrection que cette authenticité par elle-même implique compte tenu des particularités de l'objet. Je n'ai pas étudié les arguments adverses pour l'instant, mais il faut reconnaître que l'argumentaire d'AAU est très impressionnant.

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La nudité des jeunes filles dans les lois de Lycurgue

2 Mars 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Anthropologie du corps, #Christianisme, #Nudité-Pudeur en Europe, #Pythagore-Isis, #Philosophie

Dans le 1er livre des Macchabées (Ancien Testament) il est écrit

"I M 12,5. Voici la copie des lettres que Jonathas écrit aux Spartiates:

I M 12,6. Jonathas, grand prêtre, les anciens de la nation, les prêtres et le reste du peuple juif, aux Spartiates, leurs frères, salut.

I M 12,7. Il y a longtemps que des lettres ont été envoyées à Onias, le grand prêtre, par Arius, qui régnait chez vous, car vous êtes nos frères, comme le montre la copie qui est jointe ici.

I M 12,8. Et Onias accueillit avec honneur l'homme qui avait été envoyé, et il reçut les lettres, où il était parlé d'alliance et d'amitié."

Onias I er, fils de Jaddus, et père de Simon le Juste, qui furent aussi grands-prêtres (Sir 50:1, cf. Jos., Ant., XI, 8, fin ; XII, 6) exerça ses fonctions, précisent les historiens, après la conquête de la Judée par Alexandre le Grand. C'est à lui qu'aurait été adressée une lettre d'Arias (ou Arius), roi de Lacédémone sous le règne de Séleucos IV Philopator (187-175 av. J.-C.), lui offrant son alliance, au nom d'une prétendue origine commune des peuples juif et lacédémonien, selon Flavius Josèphe, juste avant la conquête de la Grèce par Rome en 146.

Cette admiration des Juifs à l'époque de Jonathas Macchabée (157-152 av JC) pour Sparte ne pouvait pas englober (à la différence de la République de Platon) une estime pour les lois de Lycurgue.

Selon Plutarque (Vie de Lycurgue) "Lycurgue porta toute l’attention possible à l’éducation des femmes. En tout cas, il fortifia le corps des jeunes filles par des courses, des luttes, le jet de disques et de javelots. (...) Pour leur ôter toute mollesse, toute vie sédentaire, toute habitude efféminée, il habitua les jeunes filles, non moins que les garçons, à défiler nues, et, pour certaines fêtes, à danser et à chanter dans cet état sous les yeux des jeunes gens. (...)Quant à la nudité des jeunes filles, elle n’avait rien de honteux, puisque la modestie y présidait et que le dérèglement n’y était pour rien ; elle donnait, au contraire, l’habitude de la simplicité et le désir ardent d’une santé robuste.(...)Voici ce qui excitait encore au mariage : les processions des jeunes filles, leur déshabillement et leurs combats sous les yeux des jeunes gens, qui, selon le mot de Platon , cédaient à des contraintes, non géométriques, mais érotiques. Lycurgue a même imprimé une note d’infamie aux célibataires. On les écartait du spectacle des gymnopédies [exercices des jeunes filles nues] ; et, l’hiver, les magistrats leur faisaient faire nus le tour de l’agora, en chantant une chanson composée contre eux, où il était dit qu’ils subissaient un juste châtiment, parce qu’ils désobéissaient aux lois."

Aux yeux des Juifs les lois de Lycurgue sur la nudité des jeunes filles auraient été jugées de nature à attirer des démons dans la cité, tout comme d'ailleurs l'installation des cimetières dans les murs de la ville, elle aussi décidée par Lycurgue selon Plutarque.

En 1604, le médecin conseiller du roi Louis Guyon (1527-1617) écrivit dans "Les diverses leçons de Loys Guyon, sieur de La Nauche,... suivans celles de Pierre Messie et du sieur de Vauprivaz" (p. 104 et suiv) :

"Ledit Licurgue en fit une autre,qu' il voulait que les filles allassent aux jeux & danses publiques toutes nues, sauf de petits brodequins de couleur découpés , qu'elles portaient aux jambes, & ce pour plusieurs raisons , que je vais alléguer. La première était, par ce qu'il apercevait plusieurs jeunes hommes être tant amoureux des filles & femmes, qu'ils en perdaient le jugement, & oubliaient tout devoir, si bien qu'ils semblaient plutôt bêtes qui sont en ruth ou en chaleur, qu'hommes raisonnables. Or iceux amoureux, sans doute se trouvaient à telles assemblées,pour voir leurs Déesses toutes nues, & voyants les parties peu honnêtes, & posées non guère loin d'un réceptacle de toutes les puantes immondices du corps humain,s'en devaient dégoûter, & abhorrer-telles .amours,& se devaient remettre en leurs devoirs : & que la chose ne méritait point qu'on se tourmentât tant, perdant le boire, le manger & le repos. L'autre raison était,à fin que les filles n'eussent point de honte des parties desquelles nature les avait pourvuës mais fussent vergogneuses de commettre aucun vice. Car il disait., que les filles & les femmes devaient plus rougir de commettre quelque péché, que de montrer la partie de leur corps, qui leur était nécessaire.

Les femmes & filles de par deça semblent avoir opinion que les hommes désirent qu'elles aient les fesses & les cuisses grosses & rebondies, comme les Catayens, par ce qu'elles s'étudient à persuader cela aux hommes"

S'ensuit une condamnation de l'usage des vêtements par les femmes pour stimuler le désir masculin, puis une interrogation sur la question de savoir si la nudité stimule plus le désir que l'habillement (à partir d'une étude des Catayens dont le nom a d'abord désigné les Chinois puis les Indiens du Canada semble-t-il, puis des Indiennes, africaines et brésiliennes). Il en conclut que la nudité tue le désir ce qui est mauvais pour la procréation,  que la nudité des femmes sous les tropiques est liée à la chaleur et peut se justifier seulement sous leur latitude parce que les femmes y sont bien faites (de sorte, note-t-il, qu'il n'y a pas besoin d'y appliquer la loi de Lycurgue qui prônait l'élimination des bébés mal formés), et s'en remet, pour l'Europe, au précepte évangélique "qui recommande sur toute charité, de donner moyen aux pauvres de se pouvoir vêtir non seulement pour les défendre du chaud, du froid,de la pluie,& des mouches piquantes,mais pour couvrir leurs parties honteuses."

Les lois de Lycurgue (que certains disent inspirées de l'Inde) présentent un côté "meilleur de mondes" : elles renforcent l'Etat en imposant à la fois un équilibre des pouvoirs dans les institutions pour les stabiliser, un dévouement total des citoyens à la préparation à la guerre en cassant toute vie privée de nature à ramollir la psychologie des gens : par exemple les gens mangeaient dans des repas collectifs frugaux, les hommes n'avaient qu'un bref commerce sexuel avec leur femme de nuit, y compris lors de leur nuit de noces (Plutarque note que cela avait pour effet paradoxal d'entretenir fortement le désir et l'amour au sein des couples). La nudité des jeunes filles pour les endurcir tout en poussant les hommes à se marier s'inscrit dans cette logique. Ce côté "expérimentateur sur l'humain" dans le cadre d'un Etat fort qui va jusqu'à l'eugénisme a séduit Platon, et rappelle certains aspects du communisme, mais aussi du capitalisme actuel. Il est logique qu'en bon chrétien, le docteur Louis Guyon, après avoir interrogé la légitimité de ces lois à l'aune de la nudité des populations tropicales (tout comme la découverte des Amérindiens avait aussi conduit, une génération plus tôt Montaigne et ses contemporains à interroger le bien-fondé des moeurs européennes), revienne, au seuil de la Contre-réforme, à la rigueur des principes évangéliques à ce sujet.

Platon, lui, aborde la question de la nudité des filles à propos de la formation des gardiens de la ville dans le livre V de la République, thème dont Kingsley a montré qu'il avait un rapport avec la problématique chamanique pythagoricienne des veilleurs de nuit. Il s'agit de réfléchir à la question de savoir si les femmes doivent participer au combat. Cette question, comme celle de l'eugénisme, est abordée par Platon sous l'angle de l'analogie avec les chiens. L'obstacle principal est celui du ridicule et le philosophe ne l'esquive qu'en soulignant que la nudité des hommes au gymnase avait aussi suscité des railleries dans les générations qui ont immédiatement précédé le siècle d'or athénien, lorsque la Crête et Sparte l'ont adoptée (il y a des nuances entre auteurs grecs pour savoir si cela vint d'abord de Crête, que le néo-pythagoricien Apollonios de Tyane, cet autre grand admirateur de Lycurgue, selon Philostrate nommait la nourrice de Zeus). Juste après, pour les mêmes motifs d'efficacité militaire, Platon justifiera la vie en commun de tous les citoyens sur le modèle des lois de Lycurgue, le fait que les magistrats organisent les mariages entre les gardiens de la cité, et le fait que les guerriers à la retraite puissent s'accoupler avec toutes les femmes sans leur faire d'enfants, tandis que les enfants des guerrières sont pris en charge par des nourrices (alors que les nourrices de Sparte selon Plutarque avaient très bonne réputation). Platon comme Lycurgue ont eu une éducation égyptienne (selon Plutarque, Lycurgue aurait acquis en Egypte des idées sur la spécialisation militaire) mais cela ne semble pas avoir eu d'influence sur le thème de la nudité publique des femmes.

La référence au "ridicule" renvoie à Aristophane qui, dans Lysistrata, représentée à Athènes en 411 av JC, raille la nudité des femmes spartiates au gymnase, comme le pubis ("jardin") imberbe des Béotiennes et le côté prostitué des Corinthiennes.

Rappelons nous la réflexion de Sade dans "Français encore un effort" (dans La Philosophie dans le boudoir ed 1993 chez 10-18 p. 226) : "La pudeur, loin d'être une vertu, ne fut donc qu'un des premiers effets de la corruption, qu'un des premiers moyens de la coquetterie des femmes. Lycurgue et Solon, bien pénétrés que les résultats de l'impudeur tiennent le citoyen dans l'état immoral essentiel aux lois du gouvernement républicain, obligèrent les filles à se montrer nues au théâtre. Rome imita bientôt cet exemple : on dansait nu aux jeux de Flore ; la plus grande partie des mystères païens se célébraient ainsi ; la nudité passa même pour vertu chez certains peuples".

MI Finley dans Problèmes de la guerre en Grèce ancienne (Point Histoire p. 195) voit dans les coutumes spartiates comme les flagellations publiques des détournements politiques de rituels initiatiques et rappelle (p. 196) que "l'énumération de certains rites et institutions suffit à montrer que tout était mis en oeuvre pour que la fidélité se déplace de la famille ou du groupe de parenté vers les différents groupes masculins", d'où par exemple le droit de tout Spartiate adulte à exercer une autorité sur n'importe quel enfant. L'appropriation de la nudité des femmes par l'Etat va dans le même sens.

Les femmes participaient probablement aux gymnopédies (danses guerrières sans vêtements), et aux flagellations rituelles des plus plus jeunes au temple de Diane Orthia (liées à des sacrifices humains ?si la flagellation allait jusqu'à la mort - "On fouettait les enfants spartiates sur l'autel de Diane Orthia, jusqu'à l'effusion du sang, et lorsque les coups se ralentissaient, la prêtresse, tenant en main une petite statue, criait avec colère de frapper plus fort par ordre de la déesse ; ; il arrivait parfois que l'enfant était emporté criblé de blessures ou qu'il expirait sur l'autel" selon Foissac). Leur nudité publique sous les lois de Lycurgue doit aussi se penser sur cet arrière-plan de mort.

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