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Autobiographie spirituelle - Simone Weil
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Après "Cette foi est la mienne", je me suis essayé à lire Autobiographie spirituelle de Simone Weil publiée dans la même collection, qui est aussi une simple lettre adressée à un ami dominicain en 1942. Simone Weil est bien sûr le genre de personne qui vous console de vous lever chaque matin avec un sentiment de tristesse profonde. Car sur ce point, avec son sentiment mélancolique, et ses douleurs de tête permanentes, elle vous dit "je suis comme toi". Et elle n'aura pas le mauvais goût elle, de prétendre qu'elle a le "droit" d'en guérir en allant se faire soigner chez un coach ou en faisant de la sophrologie (c'est-à-dire en allant importer des démons dans une médecine alternative quelconque). Et en plus elle aura l'élégance de vous dire qu'elle n'est pas quelqu'un de tourmenté. Et, c'est vrai, je suis bien placé pour le confirmer : être d'un naturel triste n'est pas être d'une naturel tourmenté. C'est très différent.
Tout le monde le dit : Simone Weil était quelqu'un d'une probité intellectuelle remarquable (elle est même de ce point de vue là un OVNI dans le monde des penseurs qui sont rarement doués pour l'honnêteté). C'est d'ailleurs la seule qualité qu'elle daigne s'attribuer. Et donc au nom de cette vertu, elle pense avoir le droit de dire qu'elle ne prie pas, qu'elle ne veut pas être baptisée etc, alors pourtant qu'elle est une mystique de la vérité, qu'elle est chrétienne qu'elle croit totalement au rôle de l'Eglise militante pour le salut du monde, et qu'elle a même reçu la visite personnelle de Jésus-Christ.
On peut se le demander si c'est de l'orgueil. Elle même envisage que son ami puisse le penser. Elle parle à juste titre d'orgueil "luciférien". On ne peut pas sonder les coeurs et les reins, mais on peut penser que peut-être ses positions ne doivent rien à la fierté, elle qui par ailleurs se considérait comme un "déchet", une pièce mal fichue bonne pour le rebut. On peut supposer, la créditer du fait, que simplement ses prises de position à son sujet sont la conséquence logique de la probité. Et d'ailleurs elle ne les a pas publiées dans un livre - seulement écrites dans une lettre privée -, ce qui tend à prouver qu'il n'y a là aucune volonté de se mettre en valeur.
Il y a donc là une singularité, dérangeante, irréductible, qui n'entre ni dans les cases de la sainteté, ni dans celle du démoniaque. A-t-elle sa place dans l'Eglise, dans la communauté chrétienne, comme elle le revendiquait pour elle-même (tout en précisant que pour elle l'Eglise n'est pas une ensemble de membres du Christ comme l'affirmait Saint Paul), mais aussi pour toutes les hérésies qui pratiquaient la charité à commencer par les cathares ?
Question difficile. Tout en reconnaissant la validité du dogme, Weil voulait une place pour tous dans cette Eglise qui se veut catholique, donc universelle. Ce n'est qu'à ce prix qu'elle peut vraiment s'incarner, précisait-elle. On sent qu'il y a quelque chose de vrai là-dedans. Comme on sent que c'est plus dans le Dieu qui chez Maurice Clavel va au devant des impasses existentielles de l'homme, de ses apories sociales, de ses révoltes que se trouve la grandeur du christianisme, plus que dans l'institution qui ordonne et qui juge. Mais en même temps on sent bien que les deux sont nécessaires.
Si Simone Weil a sa place dans l'Eglise, et les cathares aussi, alors il y a plusieurs religions dans le christianisme. Notons d'ailleurs que c'est déjà le cas si l'on s'en tient étroitement au dogme, et beaucoup ne se sont pas privés de voir dans l'Evangile même beaucoup de contradictions, qui font qu'il y a déjà au moins deux ou trois Jésus, deux ou trois christianismes. Faut-il faire du christianisme, comme de l'hindouïsme, un courant dans lequel tout se côtoie, tout est admis pourvu que la charité soit là ?
Peut-être est-ce la direction que prend l'Eglise en ce moment, ce que beaucoup d'ailleurs lui reprochent à l'heure où le pape participe à des cérémonies amérindiennes chamaniques.
Weil affirme que Dieu tient deux discours différents quand il parle en secret à une seule personne et quand il s'adresse à la foule par la Bible, comme nous mêmes le faisons... La remarque est séduisante.
Certains diraient que la philosophe réduit trop Dieu au comportement humain et la religion à ce que l'humain peut en comprendre (c'est presque la religion dans les limites de la simple Raison comme chez Kant), car d'ailleurs Weil ne parle jamais du monde invisible - les anges, les démons... Le reproche pourrait être un peu justifié, bien que celle-ci quand même soit très ouverte au mystère. Mais en même temps, il n'est pas totalement absurde non plus de prêter au Créateur quelques schémas éthiques et logiques qui sont aussi les autres, et en vertu desquels nous sommes créés à son image et pouvons être appelés à être ses fils, sans quoi on aurait à Dieu le même rapport que les Juifs et les Musulmans : celui d'un pur rapport de soumission, sans aucun espace de compréhension ni d'échange affectif possible, car la distance entre Lui et nous serait trop grande...
Devant toutes les questions que nous pose l'idiosyncrasie de Simone Weil, on ne peut, je crois que garder un silence embarrassé et respectueux. Encore une fois elle aura été un OVNI, envoyé par Dieu ou que Dieu aura laissé exister. Peut-être est-ce le cas de tous les mystiques. Et peut-être le serait-ce encore plus si on avait laissé ces mystiques parler sans prendre soin que leurs confesseurs rabotent leur message. S. Weil en tant qu'agrégé de philo dans la France moderne avait au moins toute latitude de dire ce qu'elle voulait. Je ne sais pas pourquoi en terminant ce billet je songe soudain à Antoinette Bourignon, ou à Madame Guyon, autres mystiques hérétiques à la vertu irréprochable, qui n'ont cessé d'intriguer les philosophes. Parler de ces visionnaires est presque impossible. Et les entourer de silence n'est pas leur rendre justice. Que faire de ces étranges météorites tombées d'une façon presque absurde dans le jardin de la spiritualité occidentale pourtant si délicatement taillé et ordonné par les théologiens orthodoxes, catholiques et protestants ?
La vraie mission de Jeanne d'Arc
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On s'est déjà penché sur ce blog sur l'ascendance davidique de la monarchie française, sur les révélations privées autour du grand monarque et l'essence divine de la monarchie française. Il existe une filiation d'intellectuels au XXe siècle qui ont défendu ces idées : Léon de Poncins (1897-1975), Jean Vaquié (1911-1992), Louis-Hubert Rémy (né en 1943).
Je voudrai dire un mot ici d'un livre de ce dernier, co-écrit avec Marie-Christine Rémy (1944-2017), paléographe, "La vraie mission de Sainte Jehanne d'Arc", publié à Marseille en 2012 pour le sixième centenaire de la naissance de la sainte.
Le livre, qui prend le contrepied de l'aveuglement universitaire sur le sujet, est articulé autour d'un événement clé pour comprendre le sens du "phénomène Jeanne d'Arc" : cela s'est passé le 21 juin1429, à l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire (Fleury-sur-Loire). Il est relaté par un ancien inquisiteur de Toulouse, le P. Jean Dupuy, informé par les dominicains de Poitiers, qui le communiquera au pape Martin V, texte que les auteurs du livre ont trouvé dans le Brevarium historiale à la bibliothèque vaticane. Il sera aussi mentionné par Windecke dans son Mémorial et par le duc d'Alençon lors du procès en réhabilitation.
Cet événement s'appelle la triple donation, et Jean Dupuy la raconte ainsi :
Jehanne dit à Charles : «Sire, me promettez-vous de me donner ce que je vous demanderai ?»
Le Roi hésite, puis consent.
«Sire, donnez-moi votre royaume».
Le Roi, stupéfait, hésite de nouveau ; mais, tenu par sa promesse et subjugué par l'ascendant surnaturel de la jeune fille : «Jehanne, lui répondit-il, je vous donne mon royaume». (1 ère donation)
Cela ne suffit pas : la Pucelle exige qu'un acte notarié en soit solennellement dressé et signé par les quatre secrétaires du Roi; après quoi, voyant celui-ci tout interdit et embarrassé de ce qu'il avait fait : «Voici le plus pauvre chevalier de France : il n'a plus rien».
Puis aussitôt après, très grave et s'adressant aux secrétaires : «Écrivez, dit-elle : Jehanne donne le royaume à Jésus-Christ''» (2 éme donation)
Et bientôt après :«Jésus rend le royaume à Charles». (3 ème donation)
Déjà 3 mois plus tôt, le 11 mars, à Chinon, à la sortie de la messe royale, Jeanne avait demandé au dauphin de faire donation de son royaume au roi du ciel. Le 11 mars il n'avait pas répondu. Le 21 juin, il signe.
Cet acte explique que Jeanne ait eu le Christ sur sa bannière et ait tenu cette bannière source de victoires pour plus importante que son épée pourtant découverte miraculeusement. Le livre rend hommage à ce propos au jésuite érudit le RP Jean-Baptiste Ayroles (1828-1921), spécialiste de Jeanne d'Arc, qui, au moment du procès en canonisation, avait une vision claire de l'entreprise de restauration de la Pucelle d'Orléans au service de Jésus-Christ, contre notamment le réductionnisme ridicule d'Anatole France.
C'est un aspect crucial de la saga de Jeanne d'Arc qui effectivement mérite d'être mis en relief.
A part cela, concernant Jeanne, mon fils, devant l'histoire de Shadrak, Méshak et Abed-Nego dans le livre de Daniel chapitre 3, les trois Juifs condamnés à périr par le feu par Nabuchodonosor et sauvés miraculeusement des flammes, me faisait remarquer que la sainte de Domrémy n'avait pas joui de la même grâce. Dans un premier temps je lui ai répondu que la Pucelle avait terminé sa mission, ce qui expliquait qu'elle n'ait pas bénéficié de cette faveur. Mais je sentais bien que mon explication ne tenait pas. Du coup j'ai regardé à nouveau l'excellent film de Robert Bresson fait à partir des actes du procès en sorcellerie (voir la bande annonce ci-dessous). On voit bien que cette crémation pose à juste titre un vrai problème à la sainte car en principe elle prohibe la voie de la résurrection du corps à la fin des temps (voilà pourquoi ceux qui optent aujourd'hui pour la crémation sur la foi d'une concession accordée par le pape dans les années 1960 aux adversaires de l'Eglise feraient mieux d'y réfléchir à deux fois). Les voix d'ailleurs avaient promis à Jeanne de la sauver de ce supplice infâme. Si ces voix venaient de Dieu, elles n'ont pu se dédire. Donc si elle n'a pas été providentiellement soustraite au bûcher, cela doit provenir de sa faute (un peu comme Moïse prohibé d'entrée en Terre Promise, pour avoir frappé deux fois sur le rocher au lieu d'une). Et sa faute, à n'en pas douter, une faute énorme quoique très humaine, tient à son abjuration et à sa soumission à "l'Eglise militante" (terrestre) pour échapper au feu alors qu'elle était déjà titulaire d'une promesse de "l'Eglise triomphante" (céleste). Au passage on voit tous les dangers qu'il peut y avoir à faire preuve d'une trop grande soumission au clergé (devant les enjeux sanitaires et écologiques actuels notamment), et, concernant Jeanne, cela a conduit à la reconnaissance gravissime du fait que ses voix lui venaient de Satan et que tout son combat au service de la France était maléfique ! S'abaisser à un tel reniement est incroyable quand on y songe : combien de résistants (songeons aux communistes pendant la seconde guerre mondiale par exemple) sous les effets d'actes de torture bien pires que la menace du bûcher ne sont pas tombés aussi bas. L'acte est plus odieux encore que le reniement de Saint Pierre qui, lui, avait nié son contact avec Jésus-Christ sans avoir encore agi indépendamment de lui, et donc, sans entraîner dans son reniement, l'ensemble de ses actes et l'ensemble de ses partisans comme le faisait Jeanne. L'étonnante faiblesse psychologique de la jeune fille se retrouve d'ailleurs à d'autres moments du procès (alors qu'à d'autres moments elle fait preuve de beaucoup d'élévation et de courage), par exemple quand elle dit s'être promis de ne pas révéler quel signe fut donné au Dauphin, puis, ensuite elle consent à l'avouer, ou quand elle s'abandonne parfois à des réponses un peu évasives qui peuvent être utilisées contre elle.
Les voix ont reproché à la sainte son parjure, sur lequel elle est finalement revenue pour mourir. Mais la rétractation n'a peut-être pas effacé totalement la faute, ce qui affranchissait Dieu de la promesse de lui épargner le bûcher. Evidemment nul ne sait si à la fin des temps Dieu fera pour Jeanne une exception au principe de non-résurrection des corps brûlés... ni si la faute de la sainte aurait dû être de nature à empêcher sa canonisation (très tardive)... En tout cas les Français, compte tenu de l'immense dette qu'ils ont à son égard, ne peuvent pas juger impartialement de cette affaire - car, comme l'a souligné Louis-Hubert Rémy, ce fut la première fois dans leur histoire, et peut-être la seule depuis Clovis, que Dieu intervint si visiblement, d'une façon si surnaturelle, à travers cette humble fille de Lorraine.
Mahomet, prophète de la paix, selon Juan Cole
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Je recommande aux lecteurs ce livre de l'universitaire américain Juan Cole "Muhammad, prophet of peace amid the clash of empires" publié en 2018 aux édition Nation Books.
Mahomet, explique Cole, était orphelin de père qui mourut de retour d'un voyage de commerce à Gaza quand la mère Amina était enceinte vers 567. La mère elle-même mourut juste après avoir déposé l'enfant de 6 ans à la Mecque chez son grand père Abd al-Muttaleb de la tribu des Hashim (les gestionnaires de la Kaaba). Lui-même était conservateur du puits sacré de Zamzam et fournissait de l'eau aux pèlerins. Etant parmi les moins "gradés" du clan, Mahomet dut garder les moutons et était souvent humilié par ses collègues. Au bout de 2 ans l'aïeul mourut et Mahomet fut confié à son oncle paternel Abu Talib.
A 25 ans (dans les années 590) il se met au service de Khadidja, riche veuve qui contrôle la moitié des caravanes, et se distingue en menant à bien une escorte de caravane jusqu'à l'empire romain au nord. Mahomet va jusqu'à Wadi Ramm au sud de la Transjordanie peuplée de chrétiens. Mais il reste des populations païennes. Ioannes Moskhos parle d'un jeune chrétien kidnappé par des idolâtres arabes qui veulent le sacrifier. En 579 une enquête de Tiberios II montre que l'aristocratie païenne de Baalbek (Heliopolis) opprime les chrétiens pauvres, et à Edesse on vénère Zeus dans les maisons. Les sanctuaires de la déesse Allat sont des havres de protection car c'est la déesse de la paix. La paix entre la Perse et Byzance profite au commerce dans les Etats arabes autour de Bosra.
Impressionnée par les succès économiques de Mahomet, Khadidja décide de l'épouser vers 592 et sera sa seule épouse jusqu'à sa mort en 620. Ensuite il épousera la veuve Aïcha bint Zam'a qui sera une source majeure de sa biographie. Elle explique qu'après avoir épousé Khadidja, il était devenu solitaire et pratiquait des adorations nocturnes à la grotte d'Hira. C'était une coutume locale de s'exiler au désert de temps en temps et faire des dons aux pauvres (Juan Cole renvoie à deux historiens sur ce point). Mahomet s'y adonnait un mois par an et semblait attendre un signe. Il allait être comblé en messages angéliques, décorporation (sourate de l'Etoile).
Dès lors Mahomet va développer une prédication pacifique dans la péninsule arabique en alliance avec l'Empire byzantin (p. 65 du livre de Cole), dont il avait besoin pour maintenir son commerce contre les agressions des Sassanides qui assiègent Jérusalem en 614 (la sourate sur Rome en porte la preuve). Il n'usera de la force que pour défendre sa communauté quand les païens de la Mecque (alliés aux Perses) intrigueront contre lui.
La thèse de Cole est qu'ainsi c'est surtout la force spirituelle de la prédication de Mahomet et son message de paix qui permettent l'unification de la péninsule arabique, et qu'elle eut aussi du succès auprès des populations arabes de Transjordanie, ce qui facilita ensuite la pénétration de l'Islam (qui ne s'appelait pas encore Islam) en Palestine. Cette religion pacifique, relativement tolérante à l'égard des chrétiens, des juifs, des zoroastriens et même des païens (certains versets reconnaissent des voies de salut à chacun), devenait une alternative attractive à l'affrontement incessant entre Byzantins et Iraniens.
La violence (la théorie de la guerre juste, la punition du péché d'adultère par la lapidation etc) n'aurait été introduite dans le Coran qu'après la mort du prophète par les tribus bédouines, avec notamment cette idée que les versets de paix auraient été abrogés (tandis que les Chrétiens byzantins allaient ensuite rétrospectivement nourrir le mythe d'une conquête armée par les disciples de Mahomet). Cole trace d'ailleurs une analogie intéressante avec la religion sikh en Inde fondée par le gourou Nanak vers 1539, dont les successeurs auraient inclus a posteriori dans la doctrine une dimension guerrière empruntée à l'ethos des tribus pastorales, dimension absente du message spirituel initial.
Cette recherche de Juan Cole mérite sans doute qu'on lui accorde quelque attention...
Recension du livre "Le Secret de Mélanie falsifié"
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Recension initialement destinée à être publiée sur le site Parutions.com auquel j'ai occasionnellement collaboré jadis et donc adaptée à son lectorat, mais je viens d'apprendre que ce site est désormais archivé et suspendu. Je la publie donc ici.
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Paul-Etienne Pierrecourt, Le Secret de Mélanie falsifié
Editions Pierrecourtoises 2022 / 19 € / 254 pages
ISBN : 978-2-9581145-9-6
FORMAT : 21 X 15 cm
Au XIXe siècle, l’opinion publique catholique française s’est passionnée pour les secrets livrés par une apparition de 1846, celle de Notre Dame de La Salette, dans l’Isère, à deux jeunes bergers, Mélanie Calvat et Maximin Giraud. Les milieux catholiques en attente d’une restauration des Bourbons y étaient particulièrement sensibles car dans les révélations de la Sainte Vierge, il était question, disait-on, du futur Grand Monarque, ce qui émut au premier chef le comte de Chambord, prétendant au trône. Si d’autres secrets, ceux de Notre-Dame de Fatima, ont quelque peu éclipsé au XXe siècle ceux de La Salette, ceux-ci rencontrent un regain d’intérêt aujourd’hui dans les cercles traditionalistes, en ces temps où les tribulations de la mondialisation réveillent les anticipations apocalyptiques et où le Pape accueille au Vatican des idoles pré-colombiennes. Notre Dame sur les contreforts des Alpes n’a-t-elle pas en effet annoncé que Rome ne serait bientôt ni plus ni moins que le siège de l’Antéchrist ?
Dans un petit livre d’enquête récemment publié, l’écrivain musicien Paul-Etienne Pierrecourt entreprend d’écrire une nouvelle page de la saga de ce secret, à la manière de Sherlock Holmes, en s’appuyant sur un constat troublant : si en 2002 chez Fayard le père Michel Corteville (qui avait consacré sa thèse de doctorat au sujet) et l’abbé René Laurentin s’étaient fait l’écho de la découverte en octobre 1999 de la soi-disant toute première rédaction du secret confié par la Saint Vierge aux deux bergers (une lettre remise au Pape Pie IX en 1851), des éléments peuvent laisser sérieusement croire que ce document serait un faux. Selon la voyante Mélanie, en effet, il comportait la date d’un événement prophétisé, alors que le papier de 1999 n’en porte pas ; il mentionnait aussi un reproche au clergé absent du nouveau manuscrit ; toujours selon des souvenirs rapportés par Mélanie et d’autres témoins d’il y a plus d’un siècle le secret tenait en trois grandes pages, celui de 1999 n’en fait que deux petites etc. Il s’agirait donc d’un faux.
A qui profite le crime ? se demande alors Pierrecourt avant de pointer du doigt le cardinal Ratzinger futur Benoît XVI, alors préfet de la Congrégation de la doctrine de la foi (ex-Saint Office) dont il dénonce pêle-mêle le modernisme à l’époque du concile de Vatican II, et une supposée allégeance au culte du dieu païen Pan (dont nous avions nous-même dans notre livre Le Complotisme protestant contemporain rappelé l’importance dans l’occultisme classique et dans la pop-culture crowleysienne anglo-saxonne des années 1960-70), allégeance manifestée selon l’auteur par une image sur sa mitre d’intronisation, et qui renvoie à une possible prise de pouvoir des francs-maçons (voire de leur volet le plus sataniques, version Illuminati…) à la tête de l’Eglise moderne (une thèse très répandue de nos jours, voir par exemple Infiltration du youtubeur catholique texan Taylor Marshall, aux éditions Crisis), ce qui vérifierait après-coup la prédiction de Notre Dame de La Salette sur le siège de l’Antéchrist.
Sans être nécessairement d’accord avec toutes les thèses qui sous-tendent le regard de l’auteur sur le sujet qu’il aborde (notamment en ce qui concerne le rôle du judaïsme dans l’avènement de l’Antéchrist, qui part d’une lecture contestable du livre de l’Apocalypse et fait l’impasse de la spécificité de la tribu de Dan dans l’économie de la dictature de l’Impie), on reconnaîtra à ce travail de recherche beaucoup d’érudition et de précision dans l’argumentaire, ainsi qu’une indépendance d’esprit salutaire qui ne peut manquer de ranimer les discussions aujourd’hui à tort censurées sur la véritable nature de l’Eglise catholique contemporaine et sa capacité à garder les âmes de ses fidèles dans les enseignements du Christ.
Jacqueline Kelen et la spiritualité hérétique solitaire
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Je parcourais tout à l'heure "Sois comme un roi de ton coeur" de Jacqueline Kelen. J'essaie de m'intéresser à cet auteur ("cette autrice") parce que je veux toujours plus comprendre ce qui m'est arrivé en 2015 avec Ste Marie Madeleine (voyez mon livre sur les médiums), or elle a beaucoup écrit sur cette figure du christianisme. Mais j'avoue ne pas être à l'aise du tout dans la pensée de cette ex-productrice de France Culture. Elle a une âme profondément platonicienne (par nature très étrangère au monde, de sorte que la "sortie du monde" ne lui demande aucun effort), et visiblement très éclectique, et pour tout dire, hérétique. Elle aime tout : Victor Hugo, Fellini, Lewis Carroll... On peut me reprocher d'être très dogmatique, et j'essaie de lutter contre cette tendance, notamment par l'humilité et le silence. Mais quand des gens qui prétendent "témoigner de leur spiritualité" ouvrent grandes les portes du n'importe quoi, je peine à retenir mes mots. En page 75, elle cite Madame Guyon apparemment sans se soucier des aberrations dans lesquelles tomba cette mystique, qui alla jusqu'à se prendre pour la Femme de l'Apocalypse, ce qui attira tant de problèmes à Fénelon qui l'avait défendue (voyez notre billet ici). Quand on est solitaire mais entourée de micros prêts à faire la promotion de vos livres comme l'est cette Mme Kelen, on n'a peut-être pas peur d'entraîner avec soi des âmes vers des terrains marécageux. Mais je ne suis pas sûr que cette désinvolture décrochera quelque indulgence finale au jour du Jugement. "Ses nombreux péchés lui sont pardonnés, parce qu’elle a beaucoup aimé". A notre époque où l'amour est devenu l'alibi de toutes les complaisances et de toutes les trahisons, je doute que les âmes soient jugées à cette aune. Les lecteurs de Mme Kelen devraient prendre le temps d'y songer.
"Birthright" de Timothy Alberino
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Timothy Alberino est un personnage étrange. Autodidacte, il a quitté son Ohio natal pour explorer la jungle amazonienne. A son retour, il a écrit l'ouvrage que l'on va présenter cerné d'augures négatifs (maladie, décès de son père etc), qui pourraient laisser penser à d'autres chrétiens que son entreprise n'était pas vraiment validée par Dieu, mais telle ne semble pas être la lecture qu'il a faite de son vécu personnel puisqu'il a persévéré (nous verrons à la fin s'il semble avoir eu raison ou pas).
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J'ai choisi de parler de ce livre, publié en octobre 2020 : "Birthright, The coming posthuman apocalypse and the usurpation of Adam's dominion on planet earth" (Droit de naissance, l'apocalypse posthumaine qui vient et l'usurpation de la domination d'Adam sur la planète Terre) parce qu'il prolonge ma réflexion sur les Nephilim (publiée l'an dernier chez L'Harmattan) à partir de prémices assez voisines, entre angéologie et démonologie.
Le point de départ est celui-ci : l'être humain n'est pas la seule créature dans l'univers. Il est la cerise sur le gâteau de la création divine, mais le gâteau n'a pas été créé pour la cerise. Le monde a été créé par et pour Jésus, fils du Père, qui est l'alpha et l'omega (Apoc 22:13).
Avant l'apparition de l'homme il y avait des créatures célestes que l'on appelle des étoiles du matin (Job 38:4-7), ou encore Fils de Dieu (Daniel 3:25, Gen 5:1-4), par affiliation au Christ.
Christ, main droite de Dieu, dans l'Ancien Testament est un homme de guerre (Exode 14, Ps 24:8, Isaie 42:13). Dans Matt 11:12 il dit que le Royaume a subi la violence. L'expression Yahweh Tsebaoth (seigneur des armées) revient 240 fois dans l'Ancien Testament.
Ses anges existent, mangent et boivent (avec Abraham et Lot, mais aussi au ciel avec la manne Ps 78:23-25) comme Jésus dans le Royaume (Matt 8:11), mais apparaissent peu aux hommes par crainte d'être adorés (Apoc 19-10). Angelos/Mal'ak signifie seulement messager, c'est une fonction qui peut s'appliquer à divers êtres, y compris des hommes (point souvent souligné en exégèse biblique notamment par M. Heiser que j'ai beaucoup utilisé dans mon livre sur les Nephilim). Les êtres célestes sont fils de Dieu en ce qu'ils ne sont pas nés de la chair. Les hommes sont appelés à devenir fils de Dieu par la résurrection (Luc 20:34-36).
Dans la parabole de l'enfant prodigue, le "héros" est l'humanité qui dilapide l'héritage et se soumet à Satan (le gardien des porcs). Le frère ainé de ce fils dans la parabole, c'est une étoile du matin. Pour lui, ces étoiles du matin sont une sorte de "race ainée" ("the elders" chez Tolkien), une civilisation "extraterrestre" capable de composer des chants (selon le livre de Job) qui nous a précédés. Il reprend l'analyse de Heiser sur le fait que le "nous de majesté" dans "faisons l'homme à notre image" ne peut pas "techniquement" désigner la Trinité mais un Dieu qui parle à son conseil de dieux (conseil dont parlent Michael Heiser et Gerald McDermott sur la base des psaumes 86, 96, 135 etc)
Les découvertes scientifiques du XXe siècle, nous dit Alberino, sur le vide des atomes, la physique quantique, le temps, montrent que du monde nous ne percevons qu'une ombre, comme dans la caverne de Platon. Il est lui-même partisan de la théorie du Big Bang. Mais pour lui, avant l'humanité, il y a eu des guerres de Dieu contre certains êtres supérieurs rebelles dont portent la trace la thématique de la guerre contre Edom (le dragon rouge), Meroz, qui est dans le judaïsme une planète en Juges 5:23 et Rahab (Job 26:11).
Après ces guerres, Dieu (qui se méfie de certains de ses anges selon le livre de Job) en son conseil décide de créer une race nouvelle (l'humanité) à laquelle il va confier son image (son sceau) - pour Alberino l'image ne peut être une ressemblance qui s'illustrerait par exemple dans une créativité ou une sensibilité de l'humanité, car les "étoiles du matin" elles aussi sont créatrices au point de composer des chants, et sensibles au point d'être attirées par les filles des hommes en Genèse 6:1-4. L'humanité est créée à un niveau à peine inférieur aux anges (ps 8:3-8) qu'elle est appelée à juger un jour (1 cor 6:3).
Il y a eu, nous dit Alberino (p. 80), un vaste débat sur la question de savoir si Satan dirigeait le monde. Mais le fait est que depuis la chute d'Adam les pays du monde ont toujours été gouvernés par des hommes, bons ou mauvais, ce qui prouve que c'est bien la descendance d'Adam qui garde la juridiction sur le monde depuis lors. Satan ne peut gouverner que par l'intermédiaire d'hommes mauvais (notamment lorsque ceux-ci se laissent inspirer par l'idolâtrie, les rituels d'invocation des anges déchus, la voyance), mais Dieu peut toujours intervenir pour mettre un terme à leur despotisme.
Alberino, même s'il pense que l'univers a plusieurs millions d'années, ne croit pas à la théorie de l'évolution. Partout, nous dit-il, le temps est source de corruption des êtres et de chaos (théorie de l'entropie). Il n'a pas pu produire ce génome humain ultracomplexe dont le séquençage représenterait 3 gigabytes sur un ordinateur (p. 106). Si l'on suit Paul selon lequel seul Dieu (et pas les anges, ni aucune autre créature vivante) a une immortalité intrinsèque (1 Tim 6:15-16) et dans Genèse 3:22 "Empêchons (Adam) maintenant d'avancer sa main, de prendre de l'arbre de vie, d'en manger, et de vivre éternellement" après qu'il eut goûté du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Cela signifie que l'homme n'avait pas l'éternité en lui, mais était éternel par une cause extérieure, comme la consommation du fruit de l'arbre de vie au jardin d'Eden qui la lui donnait.
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La version de la Bible de Darby ajoute qu'il ne prenne "aussi" de l'arbre de vie, ce qui est aussi le cas en anglais dans la King James Version. Comme Dieu s'adresse à son conseil d'êtres spirituels supérieures (de Fils de Dieu) lorsqu'il dit cela, cela signifie que l'humain "aussi" comme les anges, puisait son éternité à l'arbre de vie. Et il est possible les anges déchus rebelles, aient eux aussi perdu l'accès à l'arbre de vie et à l'éternité car dans le Psaume 82:6 il est écrit : "J'avais dit: Vous êtes des dieux, Vous êtes tous des fils du Très-Haut. Cependant vous mourrez comme des hommes, Vous tomberez comme un prince quelconque". En plaçant ses chérubins à l'épée flamboyante devant le jardin d'Eden Dieu n'en interdit pas seulement l'accès aux hommes, mais aussi aux anges rebelles... Ce qui pourrait expliquer que Dieu annonce au serpent qu'il rampera sur la terre pour se nourrir de poussière et le fait que les anges déchus aient toujours besoin de sacrifices sanglants dont ils se nourrissent.
Peut-être peut-on laisser de côté l'hypothèse assez gratuite (car peu étayée bibliquement) d'Alberino selon laquelle il faudrait prendre à l'envers le darwinisme en estimant que l'espèce dégénère et ne progresse pas (idée d'autant plus stupide qu'aucun darwinien aujourd'hui ne prétend que l'espèce progresse puisque la sélection naturelle ne fonctionne plus depuis l'invention de l'agriculture, même stupidité chez Alberino quand il s'essaie à disserter sur l'entropie).
Plus intéressant pour nous est son chapitre 7 ("The Golden Age") et les suivants, qui prolonge très directement mon livre sur les Nephilim. Il y a eu un Age d'Or, rapportent les sources païennes (du mythe de Prométhée à celui de l'Atlantide par exemple, en passant par Mme Blavatsky). Genèse 6:1-4 nous donne le regard hébraïque brièvement et "avec nonchalance" sur cet Age d'Or... Mais heureusement, nous dit Alberino, l'écossais James Bruce d'avoir ramené d'Abyssinie en 1773 le livre d'Hénoch, authentifié ensuite par les manuscrits de la Mer morte. Pour Alberino, ce livre est d'autant plus vrai qu'il annonce Jésus et le décrit comme "Fils de l'Homme". Alberino souscrit entièrement à l'authenticité du Livre d'Hénoch qui, d'après lui, a été écarté à tort du corpus canonique à l'époque de Tertullien, pour une mauvaise raison : parce que les Juifs eux-mêmes l'avaient déclaré hérétique du fait de ses "fausses généalogies" qui conduisent à l'avènement de Jésus...
Alberino a lu Heiser (dont il cite "Unseen Realm" sur d'autres points) mais alors qu'Heiser n'adhère qu'à certains passage du livre d'Hénoch, l'auteur de Birthright lui va au delà de cette nuance. En outre, son argument en faveur d'Hénoch est assez léger (alors qu'il aurait pu en trouver de meilleurs du côté de l'épître de Jude et de celle de Pierre). Pour lui, c'est une chance que ce livre puisse être maintenant à la portée des Internautes, ce qui empêche que le débat sur Genèse 6:1-4 (sur les Nephilim) soit limité aux cercles de théologiens savants comme ce fut le cas pendant des siècles. Et, comme je l'ai fait dans mon livre, il examine toutes les conséquences de l'assertion selon laquelle des anges rebelles ont pu coucher avec des femmes humaines et avoir une descendance avec elles.
Pour lui, puisqu'ils ont décidé de les épouser, il s'agissait d'une stratégie pour usurper le pouvoir humain sur la Terre avec une descendance (les Géants) qui était à la fois angélique et humaine. Le fait que selon Hénoch ces Géants aient pratiqué la zoophilie participe aussi de cette stratégie de même que le don des arts occultes aux femmes. Il s'agissait de constituer cette civilisation rivale de celle de l'humanité, et qui se ferait vénérer par elle - cette civilisation de Géants qui a construit les sanctuaires mégalithiques.
"Hénoch" veut dire "initié", nous dit Alberino. Pendant que les Fils de de Dieu (Gardiens) initiaient les fils de Cain avec leurs arts occultes pervers, Hénoch formait la descendance de Seth. "Toutes les branches de l'occultisme qui ont émergé dans l'histoire ont leurs racines dans les prêtres du dragon issus de Cain, qui adirent 'Lucifer' et ont été initiés aux secrets par les Gardiens" (p. 155), tandis que l'Evangile se rattache à Hénoch qui a marché avec Dieu et fut initié à la révélation du Christ "qui devait être la lumière des Gentils" (1 Hénoch 48:4-7). Hénoch explique comment l'ange Uriel charge Noé de construire l'arche parce qu'il va nettoyer la Terre de la civilisation des Nephilim, tandis que Raphael ligotera Azazel le chef des Gardiens (dont le nom revient dans Lévitique 16:6-10). Il peut paraître contradictoire, remarque Alberino que dans Hénoch Dieu demande à Raphael de soigner la peste qui a envahi la Terre alors qu'il s'apprête à noyer celle-ci sous le Déluge, mais sans doute s'agit-il d'une maladie à la fois spirituelle et physique qui attaquait l'ADN humain et, pour cette raison, barrait tout accès à la Rédemption pour l'humanité.
Puis Alberino développe le point que j'ai aussi exposé dans mon livre sur le fait que Noé est supposé lui être génétiquement pur (exempt de la corruption de l'ADN par les Nephilim), ce qui peut se déduire du vocabulaire qu'emploie le livre de la Genèse lui-même. Si Noé était "parfait dans sa génération" (dans sa généalogie), il fallait à ses fils des épouses génétiquement capables aussi d'assurer une descendance non corrompue, et c'est pourquoi Raphael fut chargé de nettoyer la peste génétique...
Pendant que Noé construit son arche, Gabriel pousse les Nephilim à s'entretuer, tandis que Michael qui a attaché Semjaza le force à contempler ces guerres. Hénoch mentionne que les Gardiens n'obtiennent pas le pardon de Dieu (c'est Hénoch lui-même qui transmit leur demande au Ciel, mais ils furent voués au Tartare) et le droit de leur descendance à avoir une longue vie. Alberino estime que cela explique qu'ensuite les Nephilim ne soient pas seulement condamnés à mourir mais aussi que leurs âmes soient vouées à errer sur la Terre (c'est là un point assez difficile qui nourrit beaucoup de spéculations ces derniers temps, il faudra y revenir). Le fait que l'esprit des Nephilim leur a survécu et a continué ensuite à hanter la Terre et attaquer les femmes humaines et leur descendance parce qu'ils sont issus d'elles figure en toutes lettres dans 1 Hénoch 15:8 et 1 Hénoch 16:1. "Ils ne prennent pas de nourriture et cependant ont faime et soif et causent des offenses" dit le patriarche. C'est ce type d'esprit, sous la forme d'un démon (daimon en grec) qui parle dans l'Evangile en Matth 8:29 et en Marc 1:23.
Le Déluge n'est pas intervenu avant la mort du fils d'Hénoch, Mathusalem, à 969 ans, alors que les Gardiens étaient descendus sur le mont Hermon à l'époque de Jared, 1 000 après la fermeture du jardin d'Eden, cela ferait 1 300 ans de civilisation des Nephilim, d' "Age d'Or" selon les païens, âge sombre du point de vue des Juifs. Le déni de l'existence du Déluge (qui au XVIIIe siècle faisait encore consensus chez les scientifiques) remonte au livre de Charles Lyell "Principles of Geology" paru en 1830 dont les créationnistes Whitcomb et Morris en 1951 dans "Genesis Flood" ont mis en lumière les présupposés. Darwin n'aurait pas été possible sans l'anti-catastrophisme de Lyell.
Malgré le Déluge, l'Atlantide aurait conservé une partie du savoir des Nephilim. Le franc-maçon Manly P. Hall rappelle que le Critias de Platon, présente l'île comme régie par les dix jumeaux fils de Poseidon, d'autres sources parlent de sept îles. Dans Apoc 13:1, la Bête sort de l'eau avec sept têtes et 10 cornes, un diadème par corne. L'ange en Apocalypse 17 dit que la bête fut et n'est pas et reviendra de l'abime. Par ailleurs (p. 176), il y a cette armée de sauterelles annoncée en Apoc 9:11 qui sortira de l'abime avec la Bête et qui est personnifiée par Apollyon (le "destructeur", c'est la traduction d'Abaddon en hébreu, le nom du dieu du puits sans fond) jeu de mot avec Apollon (apollyo = détruire en grec). Apollon est un dieu des sauterelles (Parnopion) depuis qu'il les a chassées de l'Attique, dit Pausanias.
Les sauterelles sortent en Apoc 9:11. J'ai rappelé dans mon livre qu'au vu d'Amos 7:1 et de Proverbes 30:27 feu- Cris Putnam avait estimé que les sauterelles étaient une allégorie des Immortels (tout en parlant aussi de sauterelles transgéniques).
Paul dans 2 Thess 2:1-4 explique que Jésus viendra après que le Fils de la Destruction et sa rebellion (mot traduit à tort par apostasie). La bête, c'est l'Antéchrist et sa coalition de rois, et Apollon, fils de Satan, hérite du trône, et les deux cohortes, terrestre et céleste, seront également punies (Isaie 24:21-22). Il y aura une unité politique mondiale du type de celle que Rome avait mise en place au temps de Jésus (une nouvelle manifestation de Rome - Daniel 2:41) dans laquelle les nations confédérées derrière l'Antéchrist, en pleine connaissance de cause, offriront leur trône à Satan (le dragon) en la personne d'Apollon dans le cadre d'un culte solaire, et ce sera là la grande rébellion de l'humanité contre Dieu.
Le livre de Daniel annonce une nouvelle union des démons avec les hommes (Daniel 2:43) dans l'expression selon laquelle "ils s'uniront avec la semence des hommes", comme au temps de Genèse 6:1-4 et dans les Eclogues IV, Virgile annonce le règne d'Apollon : c'est là qu'apparaît la phrase novus ordo seclorum, nouvel ordre mondial, slogan illuminati qui figure eu verso du sceau des Etats-Unis d'Amérique (Alberino emprunte ceci à Zenith 2016, de Thomas Horn, un auteur que l'on a déjà cité dans ce blog de même que son acolyte Putnam). La Sybille y dit clairement que les dieux et les héros (ceux de Genèse 6:1-4) au moment de ce Nouvel âge d'Or auront à nouveau leur place parmi les hommes.
L'image du cercueil d'Osiris flottant sur le Nil jusqu'à Byblos en Phénicie (les Phéniciens sont d'ascendance cananéenne précise Alberino, ce qui n'est pas sans lien avec les Nephilim comme on l'a vu dans notre livre) est aussi pour les occultistes, comme l'Atlantide, une image du savoir premier des Nephilim et de l'Age d'Or qui survit au Déluge. La Phénicie est le pays du roi Hiram de Tyr (Hiram Abiff) qui fournira les cèdres, le métal et le bois pour le temple du roi David, ce qui lui vaudra la vénération des francs-maçons. L'Oeuvre maçonnique autour du cercueil d'Hiram sur lequel ils mettent une branche d'acacia est en fait liée au cercueil d'Osiris qui se retrouva dans un acacia en Phénicie. Alberino revient ensuite sur toute l'architecture théurgique maçonnique dont j'ai parlé dans mon livre sur le complotisme protestant avec les obélisques phallus d'Osiris et les dômes matrice d'Isis, tandis qu'Horus leur progéniture est explicitement identifiée par Hérodote à Apollon.
On renverra à la p. 192 du livre (mais aussi à notre livre sur le complotisme protestant) pour le détail de la manière dont la franc-maçonnerie luciférienne et son annexe théosophique (avec le Lucifer Trust d'Alice Bailey) ont mis au jour aux XIXe et XXe siècle le projet jusque là caché des sociétés secrètes de préparer une nouvelle union des dieux des anciens temps (les Fils de Dieu/Gardiens de Genèse 6:1-4) et des humains pour restaurer l'Age d'Or contre Dieu.
Je passerai rapidement sur le chapitre 10 consacré à le religion unique mondiale (le rôle de Nietzsche et d'Aleister Crowley dans son émergence). Le 11 sur les extra-terrestres est étonnant car à la différence de beaucoup de chrétiens "bibliques", Alberino ne pense pas qu'ils soient des démons. Il pense par exemple que les "gris" viennent d'autres dimensions et que les gouvernements négocient avec eux... Il les croit même responsables de l'essor du spiritisme au XIXe siècle du fait que le thème des soucoupes volantes est apparu à ce moment-là.
Les témoignages des enlevés nous dit-il sont très convergents y compris sur la couleur et le matériau des soucoupes. Alberino nous dit avoir échangé lui-même avec des Aymara et des Quechua dans les Andes. Ils décrivent des extraterrestres nordiques ou pléiadiens, blonds aux yeux bleus de 2 mètres. D'après lui, les deux hommes en Genèse 19 que Lot croise avant la chute de Sodome pourraient correspondre à la description car Lot les reconnaît comme des anges, ce qui prouve qu'ils n'avaient pas le type sémitique des gens de la région. Et d'ailleurs c'est sans doute pourquoi, dit Alberino, les Sodomites veulent coucher avec eux quand ils sont chez Lot.
Bill Cooper dans Behold a Pale Horse affirme que sous Eisenhower, des Nordiques ont prévenu le gouvernement américain de la présence de Gris au niveau de l'Equateur et que le gouvernement a refusé de renoncer à l'arme nucléaire en échange de leur aide.
Selon Dr David Jacobs, de Temple University, sur la base des témoignages de gens abductés, les Gris, affiliés au "insectalines" veulent créer des hybrides pour se mêler à l'humanité. Alberino demande p. 256 : sont-ils aux ordres du Dragon (de Satan) ? sont-ils seulement alliés à lui ? Ou poursuivent-ils leurs propres objectifs sur un mode autonome ? Dans cette dernière hypothèse, le Dragon pourrait simplement utiliser leur menace pour unifier les humains sous la coupe d'Apollon.
Le 26 juin 2000, Clinton célébrait publiquement la première cartographie complète du génome humain. La voie de l'eugénisme est ouverte (cf Thomas Horn). En choisissant la voie du transhumanisme, l'humanité est en train de céder au diable l'héritage qu'elle tenait d'Adam, car elle va cesser d'être elle-même pour devenir partiellement voire largement robotisée. La loi de "l'impératif technologique" fera que la société ne pourra pas s'opposer aux innovations transhumanistes. Le transhumanisme est un sas vers le posthumanisme.
A deux étapes de la Bible, remarque Alberino, la lignée légitime aux yeux de Dieu a failli être usurpée : avec Ismael et avec Esaü. Esaü par son tempérament excessif et son hypertricose (Gen 27:11) est peut être le fruit d'une manipulation :génétique (p. 281). Et maintenant le Dragon demande à l'humanité issue de Jacob et de la lignée messianique qui passe par le Christ de vendre son droit de royauté pour un bol de lentilles comme Esaü l'a fait. L'ange Michel est celui qui retient (le katachon de 2 Thess 2:5-12) à la tete de ses armées. Avec la venue d'Apollon-Apollyon comme faux sauveur et homme de perdition (par exemple pour nous sauver des Gris), l'humanité renoncera à ses droits sur le monde acquis par l'image de Dieu (le sceau de Dieu) puisqu'elle ne sera même plus humaine, et adoptera la marque de la Bête. C'est en ce sens qu'il faut entendre Matth 24:22 "Et si ces jours là n'eussent été abrégés, nulle chair n'eut été sauvée; mais, à cause des élus, ces jours là seront abrégés." Si aucune chair n'est sauvée, c'est parce qu'il n'y a plus aucune chair vraiment humaine. L'étrange prophétie biblique selon laquelle certains chercheront désespérément à mourir (Apoc 9:6) mais ne le pourront pas pourrait bien se réaliser dans la fait que les gens seront si dotés de dispositifs d'autoréparation avec leur personnalité téléchargée sur des ordinateurs dans des corps synthétiques que la mort ne sera plus pour eux qu'un luxe hors d'atteinte (p. 289). Apollon chef de cette armée et figure du roi rebelle de Daniel 8:25 sera le nouvel Antiochos Epiphane. Mais Dieu rira de cette rebellion (Psaume 2:4-9), l'Agneau ouvrira le manuscrit (Apoc 5) et engagera la guerre finale (Apoc 19:11)
Il obtiendra la victoire (Apoc 11, 1 Hénoch 62), grâce au sacrifice de Jésus il y a 2000 ans. Là dessus s'achève le livre d'Alberino.
A la différence de Michael Heiser sur lequel je me suis beaucoup appuyé dans mon livre sur les Nephilim et qui est très diplômé en recherche biblique (il en a tiré une grande rigueur intellectuelle), Tim Alberino est plus approximatif. Cela se vérifie aisément sur de petits détails, par exemple quand il écrit p. 84 qu'Antipater (le père d'Hérode) a finalement été nommé par Jules César procurateur de Judée ("Antipater would eventually be appointed procurator of Judea by Julius Caesar) alors qu'il ne fut que gouverneur de Galilée et que c'est son frère ainé qui dirigea Jérusalem. Il y a donc des chances qu'il se trompe sur certaines de ses approches scientifiques quand il se fonde sur des articles parus dans la presse, mais si cela va avec le côté "autodidacte" du personnage, n'invalide pas forcément l'ensemble de sa perspective. Plus gênante est l'adoption qu'il fait de l'ensemble du corpus d'Hénoch, mais au fond il ne l'utilise que pour autant qu'elle corrobore la Bible canonique, donc c'est aussi grosso modo sans influence sur sa vision d'ensemble. Quant à sa croyance aux "Gris" et l'hypothèse de l'existence des "nordiques" pour les contrebalancer, elle ne change pas grand chose à l'approche prophétique globale, si ce n'est de lui donner une portée plus "intergalactique" et "interdimensionnelle". L'idée sur cet aspect là est quand même que les extraterrestres servent les mensonges d'Apollon, donc l'approche de d'Alberino ne va pas dans le sens d'une "ufolâtrie".
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On peut dire que son exploitation du sujet du transhumanisme et du thème d'Apollon, qu'il n'est pas le seul à déployer (j'en avais un peu parlé dans mon livre, et le youtubeur EnterTheStars sur sa chaine depuis des années, sans Alberino, a déjà bien creusé le sujet aussi), est assez cohérente pour donner une image plus concrète de ce que pourrait être le système de l'Antéchrist dans les années à venir. Certains commencent à citer explicitement ; c'est le cas en ce moment sur Celeste Solum qui a par exemple remarqué le nom du Programme Apollon pour la Biodéfense (Apollo Program for Biodefense), document qui a été publié en janvier 2021 par la Commission bipartisane de biodéfense, un think tank américain qui prône le développement de vaccins de thérapie multi-pathogène (qui permettra d'introduire plusieurs composantes nouvelles dans les vaccins), avec des tests systématiques quotidiens, et une information permanente des organes médicaux et des compagnies nationales sur l'état de santé. L'inspiration "apollinienne" est donc bien d'actualité dans les cercles dirigeants.
Miracles eucharistiques : Un cardiologue rend visite à Jésus
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Nous nous sommes déjà penchés sur les découvertes que les moyens scientifiques les plus récents permettent de faire sur les "miracles eucharistiques" à travers le monde. J'avais cité les travaux du Dr Ricardo Castañón Gomez, chercheur en neurosciences et ceux de Pietro Pescetelli, chirurgien intermédiaire, spécialiste en cardiologie et médecine interne, directeur émérite des unités opératoires de gériatrie et de soins de longue durée de l'hôpital d'Agnone. Ces gens montrent que plus on avance dans les découvertes scientifiques, plus les miracles eucharistiques, spécialement celui des maculations d'hosties par du sang humain (il existe d'autres miracles eucharistiques comme des phénomènes de lévitation surnaturelle d'hosties - comme à la messe du Lourdes du 7 novembre 1999 à l'assemblée épiscopale, mais le label de "miracle" est contesté sur cet événement, ou l'histoire survenue en 1959 au couvent de ND des Grâces de San Giovanni Rotondo que raconte le frère Alessio Parente dans "Mandami il tuo angelo custode, Padre Pio" (voir min 8'03 de cette vidéo).
Je vous conseille aussi la lecture du livre "Un cardiologo visita Gesu" de Franco Serafini, livre qui, malheureusement, n'a pas été traduit en français. Il passe en revue les miracles eucharistiques de Lanciano (VIIIe siècle, mais consigné en 1631), de Buenos Aires (1992), de Tixtla (2006), Sokolka (2008), Legnica (2013), le suaire de Turin et celui d'Oviedo, la tunique d'Argenteuil (tous avec du sang de groupe AB). Il fait aussi le point sur les découvertes d'ADN sur ces reliques et les hosties.
Antoinette Bourignon et l'hermaphroditisme d'Adam
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L'idée qu'Adam ait été à l'origine un androgyne (Genèse 1:27) et qu'Eve soit née d'une séparation de sa personnalité et de ses sexes est ancienne. On la trouve déjà chez Philon d'Alexandrie (-20/+45) et la rabbine Horvilleur dans "En tenue d'Eve" accorde du crédit à cette lecture de la Bible en se fondant sur la traduction du mot Tzela comme côté et non côte.
Voltaire connaissait cette tradition que, dans son Dictionnaire philosophique (article Adam), il attribue aux rabbins. et il attribue aussi la défense de cette idée à Mme Bourignon (1616-1680) : "La pieuse Mme Bourignon était sûre qu'Adam avait été hermaphrodite, comme les premiers hommes du divin Platon". (Il aurait pu ajouter qu'une secte sous le pape Innocent III l'avait affirmé aussi ainsi que Jakob Boehme).
Effectivement on lit dans « La Vie continuée de Mademoiselle Bourignon » :
« Adam, le premier homme, dont le corps était pur et plus transparent que le cristal, tout léger et volant pour ainsi dire ; dans lequel et au travers duquel on voyait des vaisseaux et des ruisseaux de lumière qui pénétraient de dedans en dehors par tous ses pores, des vaisseaux qui roulaient en eux des liquides de toutes sortes ; très vives et toutes diaphanes, non seulement d’eau, de lait, mais de feu, d’air et d’autres…
« Il était de stature plus grande que les hommes d’à présent ; les cheveux courts, annelés, tirant sur le noir, la lèvre de dessus couverte d’un petit poil ; et, au lieu des parties bestiales que l’on ne nomme pas, il était fait comme seront établis nos corps dans la vie éternelle, et que je ne sais si je dois dire : il avait dans cette région la structure d’un nez, de même forme que celui du visage ; et c’était là une source d’odeurs et de parfums admirables. De là devaient aussi sortir les hommes dont il avait tous les principes en soi, car il avait dans son ventre un vaisseau où naissaient de petits œufs et un autre vaisseau plein de liqueur qui rendait ces œufs féconds… Et cet œuf, rendu fécond, sortait quelque temps après par ce canal hors de l’homme, en forme d’œuf et venait peu après à éclore en homme parfait ».
Le Monde illustré du 18 mai 1935 présentait ainsi Mme Bourignon :
"Antoinette Bourignon, vers 1640 est une lilloise illuminée, qui s'imagine n'être plus une femme tout en n'étant pas un homme. Antoinette devient une sorte d'idole villageoise, encensée par la comtesse, les paysans et le jeune curé Clergeot, que les jurassiens ont emmené avec eux. Le hasard fait que Clergeot n'est point aussi très bien fixé sur sa véritable nature. Antoinette Bourignon et la comtesse se le disputent. Antoinette emmène l'Eliacin à Lille où (déguisées en femmes), ils ou" elles dirigent un orphelinat, lequel «orphelinat se peuple bientôt d'enfants, ce qui donne à penser que Clergeot a choisi entre ses deux possibilités. Chassés de Lille, chassés de Flandre, Antoinette et ses paysans se réfugient en Hollande. "
Ce que ne dit pas le résumé c'est que son orphelinat de filles fut frappé d'un cas de possessions collectives, ce que nous apprend Reinach. Un mémoire de le Société des sciences de l'agriculture et des arts de Lille de 1853 a un avis plus nuancé sur la question, tout comme sur l'ensemble du personnage de Mlle Bourignon.
Celle-ci voulait en elle-même incarner le premier Adam hermaphrodite. C'est un de ses aspects les plus pittoresques.
Voltaire avait entendu parler de cette visionnaire par le Dictionnaire de Bayle. Le critique d'art Louis de Fourcaud l'avait appréciée, au même titre que Mme Guyon.
J'aime bien à son propos cette anecdote relevée par Bayle qu'elle avait eu en 1666 une vision de Bruxelles en feu, qui la persuada de quitter la ville (alors que la capitale belge n'allait être bombardée qu'en 1695). Et encore cette remarque de l'encyclopédie catholique disant qu'elle " était d'une difformité et d'une laideur tellement repoussante, qu'à sa naissance une assemblée de famille discuta si elle ne devait être étouffée. Antoinette s'exila du monde, vécut dans la solitude où elle se livra avec passion à la lecture, séduisante pour elle, des livres mystiques." Dans un livre d'histoire du Dr Bouquet il est question de son bec de lièvre qui aurait disparu avec l'âge. Etait-elle vraiment si laide que cela ?
Dans les années 30 (en 1934 précisément) André Thérive dans le roman "Le Troupeau galeux" essaie de rendre compte de l'épopée de cette cheffe de secte à travers le regard que porte sur elle un prêtre rescapé de l'incendie du village de Saint Claude dans le Jura par les troupes de Richelieu... Mais le roman a le défaut de toutes les approches "savantes" du XXe siècle. Il réduit le surnaturel à la psychologie. Cette Mlle Bourignon aux yeux de Thérive n'est plus qu'une solitaire à la fois géniale et détraquée qui aurait forgé son idéal androgynique après avoir été violée par un capitaine de l'armée, pour dépasser le traumatisme.
Si tel était le cas, elle n'aurait pas séduit autant d'esprits brillants de son époque qui ont tout abandonné pour sa prédication religieuse. Il y a autre chose, mais quoi ? Qui lui souffle ces idées sur Adam qui recoupent si étrangement une certaine mystique juive ? Qui lui dicte les centaines de pages qu'elle écrit ?
J'ai parcouru les témoignages de "Toutes les Oeuvres d'Antoinette Bourignon", un recueil de courriers détaillés de Flamands contemporains d'Antoinette qui certifient qu'elle était la plus honnête des personnes et la plus charitable. Ce sont pour la plupart des protestants qui saturent leurs commentaires de références bibliques pour assurer que rien chez "la Bourignon" ne dépassait de ce cadre et que c'était une vraie sainte. Une sainte ou une possédée ? Probe elle l'était, au point de rester attachée au catholicisme romain en terre réforme, malgré son excommunication : on ne peut pas lui reprocher de chercher à s'adapter à son auditoire, ce qui ne l'empêche pas de fasciner les calvinistes. Son austérité à l'égard de l'argent et des plaisirs de la chair ne fait pas de doute non plus - mais Hilaire Belloc ne disait-il pas que les hérétiques faisaient toujours surenchère de vertu, qu'ils étaient inspirés par le diable pour ce faire ? Dans le cas de Bourignon, on hésite tout de même, un peu comme à propos d'Origène. Comment tant de vertus et tant d'intuitions bibliques pourraient-elles n'avoir comme fin que la perte de la chrétienté ? Alors quoi ? Un christianisme alternatif, ou simplement "autre", qui aurait dû se voir reconnaître une place parmi d'autres options bibliques ? On ne sait. Antoinette Bourignon était convaincue d'être la voix du vrai christianisme, du seul, et pour elle toutes les églises protestantes comme catholiques mouraient d'hypocrisie et de dépravation, c'était la fin des temps, seuls ses disciples seraient sauvés. Orgueil des fondateurs de secte. Sans doute la plus grande preuve du luciférisme de cette dame. Mais faut-il mettre au compte aussi d'une inspiration sulfureuse les dons de discernement qu'elle avait qui lui faisaient voir qu'une femme avait épousé son mari seulement sous l'inspiration d'un démon (ce que ladite femme devait avouer spontanément à son curé en confession peu de temps après) ou repérer qui était son ennemi ou son allié au moindre coup d'oeil ? Avec le même discernement et la même foi elle pouvait prédire à quelqu'un qu'il guérirait bientôt, et à quelle condition ou qu'il mourrait. Cependant point de miracles à son actif comme à celui du Padre Pio. Pas de lévitation, pas de dédoublement, pas de guérisons spectaculaires. A ceux qui le regrettent les témoins répondent "sa personnalité seule, sa douceur, sa patience, son humilité et sa persévérance à elles seules valaient tous les miracles".
Etrange phénomène tout de même. Et ses disciples qui l'accompagnèrent d'une ville à l'autre aux Pays-bas fuyant les persécutions que sont-ils devenus après sa mort ? Croyaient-ils tous en l'idéal androgyne aussi fermement qu'elle même ? Il y aurait un livre à écrire sur eux.
Les visionnaires hérétiques sont toujours embarrassants. Parfois ils avancent des questions nouvelles voire des intuitions sur les textes sacrés qui peuvent stimuler les recherches. Il arrive souvent que des exégètes canoniques aillent regarder les "trouvailles" des hérétiques. Par exemple dans cette conférence à l'Ecole nationale des Chartes de 2015 (minute), l'historien de l'art Yves Christe rappelle que le donatiste Tyconius (IVe siècle) dans ses commentaires de l'Apocalypse était utilisé par les auteurs "orthodoxes", quoiqu'avec réticence : Primase évêque d'Hadrumète au milieu du VIe siècle dit à son propos qu'il l'a utilisé mais qu'il a été "chercher des perles dans du fumier". Bède le Vénérable dit qu'il est allé chercher "des roses parmi les épines". En se penchant sur certaines intuitions d'Antoinette Bourignon, risque-t-on de trouver des perles dans du fumier ?
La fraude mystique de Marthe Robin
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J'ai évoqué il y a peu la connexion bizarre entre Marthe Robin et les Ovnis soulignée par feu l'occultiste Sylvie Simon, et j'ai aussi signalé ailleurs combien la bienveillance de Marthe Robin pour la très athée Simone de Beauvoir, dont témoigne Jean Guitton, était des plus suspectes. Je voudrais aujourd'hui dire un mot du livre La fraude mystique de Marthe Robin écrit par le carme déchaux Conrad de Meeste. Le youtubeur Arnaud Dumouch a essayé en vain selon moi (ce n'est pas mon premier désaccord avec lui) de le discréditer (ici), mais il mérite qu'on s'y intéresse. Car Conrad de Meeste dresse une liste impressionnante des auteurs (pour la plupart des mystiques), que Marthe Robin a purement et simplement plagiés, dans ses livres et dans sa correspondance, en montrant très minutieusement les paragraphes entiers qu'elle a recopiés sans jamais révéler qu'elle les leur volait. Le procédé est d'autant plus choquant de la part de la pieuse paralytique que celle-ci prétend évoquer ses propres sentiments et sa propre expérience, en recopiant en fait les mots des autres, comme un Bernard-l'Hermite. Ici croyez vous que Marthe raconte une de ses descentes aux enfers dans un récits qu'elle a écrit? Hé bien non ! Elle a seulement recopié dans le livre celle de la capucine italienne Véronique Giuliani telle qu'elle l'a trouvée dans son journal. Là pensez-vous qu'elle évoque les élans de son coeur, et ses prières intimes à Dieu ? Non, ce sont des paragraphes recopiés des carnets de la mystique Gemma Galgani... à laquelle Marthe Robin pourtant ne rendra jamais justice puisqu'elle ne cite pas son nom. Et l'imposture se prolonge sur des centaines de pages.
Conrad de Meeste s'est aussi penché sur le mystère de la "secrétaire" de Marthe Robin, puisque celle-ci, paralyse des quatre membres, était censée ne plus pouvoir écrire ni manipuler un livre depuis 1929, secrétaire que personne n'a jamais pu identifier. Par delà les nuances graphologiques, les constantes détaillées par Conrad de Meeste, y compris dans les fautes d'orthographe, persuadent l'auteur que c'est bien Marthe Robin qui a écrit la plupart de ses textes à la main : elle n'était donc pas paralysée des quatre membres ! L'étude des brouillons des lettres ou des annotations du volume des Lettres à une carmélite de Marie-Antoinette Greuser retrouvé au sous-sol du Foyer de Charité de Châteauneuf (plagié par Marthe Robin en 1936) confirment cela.
Le père de Meeste au fil de son enquête découvre ainsi une femme manipulatrices, qui a adopté quatre ou cinq styles d'écriture, manipule le père Finet son protecteur, s'adapte à toutes les situations, une psychologie que l'auteur impute à la naissance illégitime de la sainte,fille d'un commis agricole qui ne l'a jamais reconnue (et elle le savait), et à sa relation difficile à son père "officiel".
Le père Marie-Bernard qui fut l'accompagnateur de Marthe comme tertiaire capucine en 1926-28, intrigué par les largesses de la baronne de Baÿ envers la jeune femme mit à l'épreuve le caractère de la mystique en utilisant des règles classiques que lui recommandèrent des théologiens. Il découvrit son manque d'humilité en la faisant prendre en photo, puis son amour de l'argent. Il écrit d'ailleurs : "Elle réclama d'abord des douceurs... les meilleurs que fabriquait un pâtissier et confiseur de Lyon. On prétendait plus tard qu'elle ne vivait que de l'hostie consacrée. J'ai la preuve évidente du contraire".
Le père de Meeste creuse aussi le volet médical, montre que les médecins choisis par Marthe ont tous des préjugés favorables. Certes Marthe Robin était handicapée : l'hyperesthésie n'est constatée qu'à partir des déclarations de la malade ; la thèse de sa cécité après 1939 est contredite par le fait même que les médecins trouvent aux yeux une apparence normale, ; le sang constaté sur le corps a coulé mais n'est pas en train de couler. Il n'y eut jamais de vérifications cliniques sans cesse reportées. Et les chaussons trouvés au pied du lit à sa mort posent problème... Un des signes de l'imposture : les ongles de Marthe qui s'useraient "spontanément" au contact du chapelet qu'elle arrive quand même à égrainer avec ses doigts... alors qu'on a trouvé des coupe-ongles chez elle à sa mort...
A sa mort le corps de Marthe n'avait pas d'escarres propres aux paralytiques. Le père de Meeste a pu reconstituer le mouvement par lequel la mystique pouvait glisser sur le sol avec les jambes repliées, pour sortir de sa chambre. Pour le père de Meester toute la vie de Marthe Robin après 1929 est donc une supercherie, à part le fait qu'elle était partiellement paralysée. Et la façon dont elle emprunte les mots des autres pour décrire ses transes (sans signaler qu'elle plagie) est la preuve que le coeur même de sa vie spirituelle était faux et tourné vers l'intention d'attirer l'attention des gens, et leur argent...
L'Evangile selon Thomas

J'étais tombé la première fois sur un éloge de l'Evangile de Thomas (apocryphe) quand j'avais lu "Pourquoi je suis chrétienne" de Ghislaine de Montangon dont on a parlé ici. J'ai essayé de creuser un peu le sujet depuis lors, intrigué par trois aspects 1) une tradition syriaque fait de Thomas le jumeau de Jésus 2) certains affirment que cet évangile pourrait être plus proche du message originel de Jésus que les quatre synoptiques 3) le christianisme a manqué de peu de conquérir toute l'Asie avant l'apparition de l'Islam, et St Thomas serait à l'origine de ce mouvement.
J'ai donc parcouru les commentateurs non académiques de cet évangile : Emile Gillabert, Pierre Bourgeois, Yves Haas d'une part, et Pierre Mestdagh, d'autre part. Mais je ne suis pas convaincu. D'abord parce qu'il y a chez ses "disciples" beaucoup de parti pris. Ils tiennent absolument à voir dans ses énoncés une condamnation du messianisme, qui ne s'y trouve pas : l'évangile en question ignore certes l'eschatologie, et, comme celui de Jean, insiste sur la dimension intérieure du "Royaume", mais on ne peut en déduire une hostilité à l'eschatologie. En outre, ils plaquent beaucoup d'orientalisme (la condamnation de l'Ego, du "mental" etc) rendus populaires sous nos latitudes par le New Age, mais d'une façon purement gratuite, là où l'Evangile en question parle seulement de "retour à l'Un".
La partie la moins convaincante est d'ailleurs pour l'instant celle qui tient à en faire un évangile originel. Les auteurs se plaisent à nous expliquer (comme Wikipédia) qu'on l'a découvert à Nag Hammadi en décembre 1945 mais il eut été plus honnête de préciser que des extraits en étaient déjà connus eu XIXe siècle, et surtout que le texte est en copte, car le manuscrit trouvé est du IIIe siècle. Cela laisse la place à toutes les spéculations sur l'écriture da la première version...
Graham Hamer de l'université d'Oxford en 2015 avait fait un point sur le traitement universitaire de la question. Pour lui, si une majorité des historiens étatsuniens en font un évangile premier comparable au "Q" qui aurait inspiré Matthieu et Luc, les Européens resistent à cette hypothèse. Pour Mark Goodacre et Simon Gathercole le texte est bien du IIe siècle car il peut être démontré qu'il utilise les canoniques et n'a pu être écrit sur la base d'une seule transmission orale. Aucun moyen donc d'accéder à un "Jésus originel" à travers ce texte.
Je ne suis pas un inconditionnel des recherches universitaires sur les sujets religieux, loin s'en faut, mais je préfère cela à des spéculations que des gens plaquent sur des textes antiques au sortir d'une séance de yoga ou de méditation. Donc jusqu'à nouvel ordre il semble bien que les chercheurs de vérité n'aient rien à trouver de ce côté là, du moins s'ils attendent une vérité spécifique de "premières paroles de Jésus" qui seraient antérieures à ce qu'en disent les synoptiques.
Les Mille et Une Nuits : une ode à l'Islam
Je lisais hier un passage des Mille et Une Nuits, livre dans lequel je ne m'étais pas replongé depuis plus de vingt ans. J'étais sur ce passage où un prince musulman est prisonnier de mages dans une ville païenne et se fait torturer tandis que son frère, parti à sa recherche, se fait séduire par une femme dans la rue.
Cela vous étonnera mais je trouve que ce récit est le plus grand éloge qui puisse être fait de l'Islam. Les protagonistes n'y sont pourtant pas vertueux : ils suivent leurs passions, et boivent même de l'alcool. Mais ils invoquent sans cesse la grandeur de Dieu et s'en remettent à elle. D'une mésaventure à l'autre (toutes étant plus rocambolesques les unes que les autres) jamais ils ne cessent de mentionner la toute puissance du Dieu unique et se confient à elle.
Vous allez trouver que j'ai des idées fixes. Mais je comparais cela au conte païen L'Ane d'Or d'Apulée. Dans ce récit romain le héros aussi endure les pires mésaventures entre les mains d'une "mage" (d'une sorcière) qui l'a transformé en équidé. Mais lui n'a pas de Dieu unique pour le soutenir. Il ne trouve Isis qu'à la fin, et, du coup, subit les outrages sans grandeur.
Le prince musulman, lui, a trouvé son Isis plus forte que la Fortune en la forme du Dieu d'Abraham, et son frère aussi. Et cela favorise toutes leurs audaces. Le frère cède aux charmes d'une fille dans la rue, et pour elle rentre par effraction dans la première maison qui se présente. Certes il s'inquiète, mais la toute puissance de Dieu fonctionne comme une garantie de dernier ressort. L'éthique n'est pas absente, mais elle est secondaire. Et l'homme finira même par couper la tête d'une belle un peu trop impulsive, mais peu importe puisque tout, en dernière analyse, est garanti par Dieu.
C'est un positionnement étonnant par rapport au pouvoir de Fortuna. Le Musulman, à la différence du païen, se sait quelque part au dessus d'elle, même dans ses pires souffrances, par son abandon même à Dieu. Un Chrétien; lui, se serait situé très différemment. Se sachant lui aussi au dessus de la Fortune par le sacrifice de Dieu fait homme, il aurait néanmoins senti qu'il se devait de participer à ce sacrifice dans une surenchère de charité envers tous les êtres situés sur sa route - ce qui bien sûr interdit non seulement de couper la tête d'une femme, mais même de regarder sa beauté. Mission impossible si l'Esprit saint n'est pas de la partie - ou sinon on est dans la pure censure légaliste, la pharisaïsme.
Pas de risque d'hypocrisie chez le héros musulman médiéval pour qui l'abandon total à une Miséricorde, une Puissance, et une Sagesse lointaines qui ne se sont jamais incarnées fait, en soi, par lui-même, office de vertu. Quelque chose qui n'est pas sans évoquer, à certains égards, le quiétisme, dont j'ai souvent posé la problématique sur ce blog. Cela a pour avantage de laisser plus facilement couler le flot de la Fortune et de la Vie dont le sens est confié au jugement de Dieu. Le temps ainsi ne s'arrête pas. Il n'y a pas d'arrêt sur image, pas de fixation morale, ça coule avec fluidité. Et on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve.
Au lendemain de la super-lune éclipsée en sagittaire les astrologues sur Internet recommandent de se garder d'agir et de simplement observer sans trop s'en tenir aux principes du passé. "De tes yeux seulement du regarderas" (Psaume 91). Les lecteurs des Mille et Une Nuits ont pour ce faire une longueur d'avance.
Jacques de Vismes (1745-1819) et les Nephilim

Le thème des Néphilim (que la Septante traduit par "géants") est absolument central si vous voulez comprendre aujourd'hui, d'un point de vue biblique, les origines de l'occultisme (astrologie, voyance, médecines alternatives etc) mais aussi divers autres travers humains mais aussi donner sens à divers passages du Nouveau Testament comme l'institution de Saint Pierre comme "rocher" fondateur de l'Eglise au pied du Mont Hermon ou, dans l'Apocalypse, la libération des sauterelles du fond de l'abîme.
Il est aussi central dans l'ufologie, et vous en trouverez énormément de traces dans les débats sur You Tube (notamment en anglais mais pas seulement), et dans la culture populaire actuelle (jeux vidéos, romans de science fiction etc).
Je l'ai personnellement découvert quand j'écrivais mon livre sur les thèses de Barbara Aho, et j'ai déjà parlé sur ce blog des travaux incessants de L.A. Marzulli pour voir dans les différents mégalithes du monde l'oeuvre des Nephilim. Toute une série de prédicateurs américains chrétiens dont le plus pointu est sans doute Michael Heiser, contribuent aujourd'hui au débat sur la naissance des Nephilim tel qu'il est raconté dans Genèse 6:1-4, débat qui tourne autour de la définition du mot "Fils de Dieu" (Beni'a Elohim) aussi appelés Veilleurs dans le Livre d'Hénoch (simples humains ou anges rebelles ?). Thomas Horn, Michael Lake, Robert Skiba, Josh Peck, Marty Cauley sont aussi des noms qu'il faut citer parmi ceux qui font vivre aujourd'hui ce débat sur la descendance des anges rebelles.
Sur l'aspect spécifiquement archéologique de la question, l'irlandais Patrick Heron (1952-2014), avec son livre The Nephilim and the Pyramid of the Apocalypse (2007) s'est distingué en expliquant que les pyramides ont été construites soit par les Veilleurs, soit par leurs rejetons les Nephilim.
Je dois dire que quelle n'a pas été ma surprise de découvrir à travers mes recherches que ces thèses avaient été anticipées, deux siècles auparavant par l'aristocrate français Anne-Pierre-Jacques Devismes ou, avant la révolution, de Vismes du Valgay (1745-1819). Celui-ci dans Nouvelles recherches sur l’origine et la destination des pyramides publié en 1812 affirmait que ces édifices égyptiens « n’ont pas été construits par les hommes, et qu’elles ne peuvent être que l’ouvrage des êtres spirituels, anges rebelles, nephilim, démons, esprits malins, comme on voudra les appeler ». La démonstration de Devismes d’appuyait sur une lecture de Genèse 6 :1-4, du livre d’Enoch et de l’épître de Pierre en tout point conforme à celle des auteurs américains actuels qu'on vient de citer :
« Ce fut donc dans ces temps, écrivait-il , que les êtres spirituels firent sourdre de la terre, comme l'a pensé Diodore, ces monumens indestructibles qui renferment le dépôt des connaissances humaines , et je prouverai, par l'intérieur de la seule Pyramide dans laquelle les hommes aient pénétré , la justesse et la vérité de mon assertion : je ne doute pas que les autres Pyramides ne contiennent aussi la théorie, les élémens, les formes , les étalons de tous les instrumens relatifs à l'usage et à la pratique de chaque connaissance. Ainsi chaque Pyramide peut être considérée comme un lycée isolé pour l'étude, et la conservation d'une science particulière.
Ce fut encore vers ces temps que les enfans qui étaient provenus du mariage des vaillans avec les filles des hommes, et qui par cette raison participaient à la puissance de leurs pères, tels que Membrod , Og, les Goliath, Osymandué , et tous ceux enfin dont parlent les anciens historiens , tant sacrés que profanes , et dont Hérodote, Pausanias et Pline , disent qu'ils ont vu dans un lieu de l'Egypte , appelé Litris , un grand nombre de squelettes qu'on voyait à découvert, et dont les os qui étaient rangés sur la terre chacun à sa place, tels qu'ils sont dans l'habitude du corps humain , étaient d'une grandeur démesurée.
Ce fut dans ces temps, dis-je, qu'on vit s'élever la tour de Babel, le colosse de Rhodes, cette foule d'obélisques qui couvraient l'Egypte et la Lybie (sic) , toutes ces villes et ces temples si magnifiques que le temps a détruits, parce qu'ils étaient l'ouvrage d'une puissance secondaire de géans, naturels, matériels, tandis que les Pyramides ont été l'ouvrage des néphilim , ou géans d'une substance spirituelle.
Cette première période, depuis la création jusqu'au déluge, a dû être et a été en effet la plus fatale au genre humain, parce que les esprits, malins, jouissant de toute l'étendue de leur puissance, ont dû employer tous les moyens possibles pour tenter, séduire, et pervertir une créature que l'éternel s'était plu à former, et pour l'entraîner dans leur propre chute»
A l’époque Devismes se prévalait d’un traité de l’Egyptien Ibn al-ʿAfīf, Murtaḍá ibn Ḥātim ibn al-Musallam (1154-1237) qui avait été publié en France au XVIIe siècle, sur les savoirs positifs et ésotériques que recelaient les pyramides. Le fait que cet aristocrate musicographe directeur de l’opéra de Paris, qui confessait s’être entretenu en juillet 1785 avec le célèbre occultiste Cagliostro des pouvoirs magiques des pyramides ait à ce point devancé les débats actuels est frappant et confirme aussi que, même en milieu catholique au XVIIIe siècle, les thèses qui voulaient "désenchanter" Genèse 6:1-4 en soutenant soit, dans la lignée de Saint Augustin, que les "Fils de Dieu" n'étaient pas des anges, soit que les nephilim n'étaient pas des géants étaient loin d'être hégémoniques.
"L'erreur des religions païennes" de Firmicus Maternus

Parmi mes dettes à l'égard de Clinton Arnold, je reconnais qu'il m'a fait découvrir à travers ses conférences Julius Firmicus Maternus, auteur romain en 348 de notre ère (entre la mort de Constantin et le règne de Julien l'Apostat) d'un traité intitulé par les Belles Lettres "L'erreur des religions païennes" - Wikipedia préfère Traité de la fausseté des religions profanes (De errore profanarum religionum).
Arnold s'intéressait à Firmicus parce qu'il a d'abord trempé dans l'astrologie avant de se repentir et devenir chrétien. Il avait en effet publié vers 340 un traité d'astrologie, la "Mathésis" ou Livre des Mathématiques qui synthétisait diverses sources anciennes. Robert Turcan (1929-2018), professeur à Lyon III, dans son introduction à l'édition de 2002 aux Belles Lettres estime que l'auteur n'a pas dû être un très bon astrologue car il compilait dans un style verbeux des textes de l'Egypte ptolémaïque un peu daté (mais n'est ce pas un préjugé de ponte académique contemporain pour qui la qualité d'un savoir suppose qu'il se situe à la pointe de la recherche contemporaine ?). Pour lui il s'agirait d'un avocat, probablement devenu chef de bureau de l'administration impériale grâce au futur consul Lollianus Mavortius dans les années 330 (ce qui lui permit d'étudier l'astrologie), décurion local en Sicile, qui a pu accéder au rang sénatorial en fin de vie.
Ses hommages au néo-platonicien Porphyre situaient sa Mathesis dans cette école. Quand il a écrit ce traité, comme les néo-platoniciens de son temps il tenait l'astrologie pour une science noble qui permettait d'adorer les dieux supérieurs, au dessus des rituels magiques populaires. L'astrologie était pour lui une technique d'adoration qui impliquait de la part de celui qui s'y adonnait probité et ascèse (on est loin de l'éthique des voyants actuels).
Turcan estime que, dès lors qu'à la mort de Constantin en 317, ses successeurs ont été des contempteurs plus radicaux du paganisme (notamment contre la magie et la divination) son implication dans l'astrologie, même si elle était très légitimiste à l'égard de l'empereur et très tournée vers les sphères "élevées" de l'hénothéisme, a pu paraître suspecte (raison pour laquelle l'accession de son protecteur Mavortius au consulat a été retardée), sa conversion au christianisme serait un acte bassement intéressé. Firmicus, écrit Turcan (p. 21), "n'avait rien, semble-t-il, d'un homme indépendant, tenace et courageux. Au travers de l'emphase et des redondances affectées, la Mathesis nous révèle un auteur mal assuré de sa position dans le monde et qui cherche un peu trop l'ostentation et le pouvoir" (mais n'est(ce pas à mettre au compte de ses erreurs de jeunesse ?). Ce "rhéteur peureux, impressionnable, soucieux d'appuis puissants" aurait voulu "ménager les susceptibilités de Constant et de Constance II, lorsque la loi de 341 fit éclater contre les païens un bruit d'orage".
Voilà un réquisitoire bien sévère de la part d'un universitaire dont le seul mérite (en fait de courage) aura été de cultiver tranquillement sa carrière, à l'ombre des potentats locaux de l'institution qu'il servait, comme on le fait dans toutes les facultés... Mais bon, il est vrai que dans la même veine le philologue belge Franz Cumont au XIXe siècle le traitait de "pédant borné". Peut-être y a t il derrière ce mépris pour Firmicus Maternus un préjugé anti-chrétien, quand, au contraire, la Bibliographie catholique jugeait le traité sur les religions profanes "pas indigne de figurer à côté des chefs d'oeuvres épistolaires et dogmatiques du grand évêque saint Cyprien".
"De errore" parut entre 343 et 350 et fut imprimé pour la première fois en Allemagne en 1559 à partir d'un manuscrit retrouvé en Westphalie (le seul dont on dispose) par l'historien protestant d'Istrie Flacius Illyricus. Conrad Bursian le retrouva à la bibliothèque vaticane en 1856 et le réédita.
Venons en au contenu du livre. On comprend que beaucoup de commentateurs athées de notre époque n'y voient qu'une polémique stérile de plus contre le paganisme, comme celles qu'ont lancées bien des saints ou des rhéteurs célèbres comme Tertullien.J'y trouve pourtant quelque parenté avec des sujets de réflexion de ce blog, à commencer par le fait que le paganisme soit rattaché aux stoicheia : chaque religion profane est soumise à un élément naturel, nous dit l'auteur. En Egypte on vénère l'eau, les Phrygiens (Galates) adorent la Terre, les Assyriens et une partie des Africains idolâtrent l'air sous le nom de Junon ou de Venus "vierge". Les Perses "et tous les mages" vénèrent le feu.
Et tout cela est tourné vers la mort. On se scarifie pour Osiris dont on cherche le corps déchiqueté alors qu'il existe un tombeau du dieu au corps calciné en Egypte, au lieu de se tourner vers le vrai Sauveur. En Phrygie, on partage le sort d'Attis acculé à l'émasculation (rappelez vous l'allusion de Paul dans la Lettre aux Galates) puis à la mort par Cybèle, et l'on porte son deuil autour de son tombeau. Dans les deux cas Firmicus Maternus dénonce l'identification artificielle de ces deuils au cycle naturel des moissons et de la germination.
Dans le culte de l'air, il critique l'idéal d'androgynie (condamné par la Bible) des prêtres qui se maquillent et invoquent des démons avec des voix féminines pour être possédés, des hommes qui se prostituent comme des femmes.
Pour les Perses, Firmicus Maternus raille leur culte de la femme aux trois visages enserrée dans des lacs de monstrueux serpents. Pour Attilio Mastrocinque, dans The Mysteries of Mithra : A different account p. 123, il s'agit d'un des mystères de ce culte en vogue à l'époque dans l'armée romaine. Puis il manque des pages et l'auteur latin ensuite s'en prend à la division de l'âme dans le culte de Mithra.
Dans les cultes de Liber et Libera, on vénère aussi des morts puisqu'on célèbre le meurtre de l'enfant Liber déchiqueté par les sbires de Junon : en souvenir de cela, les Crétois déchirent avec leurs dents un taureau symbolisant le bambin (p. 90). Firmicus Maternus lui trouve un homonyme et équivalent en la personne d'un tyran de Thèbes vaincu par Lycurgue (peut-être une synthèse de l'épopée de Dionysos, Lycurgue roi des Edoniens et Penthée de Thèbes). Le culte de Perséphone aussi, pour l'auteur, n'est qu'une affaire de crimes humains puisque Pluton est un riche paysan qui enlève Proserpine fille de Cérès qui n'est elle-même que la femme d'Henna (une ville de Sicile). "La frivolité des Grecs aime à donner le titre de dieux à ceux qui leur ont rendu quelque service" - si bien que les Crétois adorent le tombeau d'un mort : Jupiter - on sait combien ce fait avéré fascina Nietzsche (p. 95).
L'identification de ces êtres aux astres - Liber au soleil et Proserpine à la lune - est plus absurde encore à ses yeux et ridiculise ceux-ci.
Puis dans un style très rhétorique digne des plaidoiries, l'auteur s'en prend aux traditions locales de renom : Cyniras de Chypre prostituait pour un as sa maîtresse dans le temple de Vénus à Paphos (c'est la version que Clément d'Alexandrie avait répandue dans les années 200 d'un des mythes sur la fondation de Paphos). On fait glisser un serpent le long d'un sein dans le culte phrygien ou thrace de Zeus Sabazios ("le tonnant"). Le culte des corybantes célèbre le meurtre, celui de Jupiter ou d'Apollon l'adultère. Celui de Sérapis, explique Firmicus Maternus, en Egypte, fut à l'origine celui de Joseph de la Bible, intendant du Pharaon, qui avait rendu me pays prospère et que les Egyptiens ont nommé ainsi parce qu'il était descendant de Sara, la femme d'Abraham. Les sacrifices de bétail dans ce culte aujourd'hui nourrissent des démons - l'auteur se réfère alors au passage du Livre des oracles de Porphyre (qu'il qualifie de "defensor sacrorum, hostis dei, ueritatis inimicus, sceleratarum artium magister) qui décrit un "Serapis" qui entre par le corps d'un homme et parle par sa bouche (une canalisation) (p. 106). Au passage Firmicus Maternus relève l'humiliation pour un dieu de pouvoir ainsi parler sur commande.
Les pénates, eux, ont été inventés par ceux qui ne vivent que pour boire et manger, pour déifier la nourriture, contre le commandement de Jésus Christ qui objecte à Satan que l'homme ne vit pas que de pain. Vesta, ce n'est que la déesse du feu domestique, au service duquel on devrait préposer des cuisinier et non des jeunes filles vierges dont on humilie ainsi la virginité (et dont beaucoup se prostituent). Le palladium, statue d'Athèna, est fait des os de Pélops tué par le brigand scythe Abaris qui le vendit aux Troyens. En le vénérant les hommes adorent les os d'un criminel. Si la statue a résisté aux incendies de Troie par les Grecs et de Rome par les Gaulois, elle le doit à l'action des hommes et non à ses pouvoirs magiques. Firmicus Maternus appelle d'ailleurs à la brûler maintenant (Matth 13:40). La tradition retient cinq Minerves. Celle qu'on nomma Pallas fut une femme qui tua son père Titanis (p. 111). Les temples ne sot que des cimetières, estime l'auteur, où l'on ne célèbre que les dépouulles de criminels.
Il exhorte les "très saints empereurs" à les détruire. "Ces pratiques, on doit les supprimer radicalement et les anéantir" et prendre un édit contre elles (amputada sunt haec, penitus atque delenda et seuerissimis edictorum uestrorum legibus corrigenda). Beaucoup tiennent à ces traditions et "aspirent à leur propre ruine avec une ardeur passionnée", "délivrez les, lance-t-il aux empereurs, car ils sont à la mort". C'est pour traiter cette gangrène que les souverains ont reçu la direction de l'Empire." Mieux vaut délivrer ces gens malgré eux que les laisser se perdre volontairement" car "lorsqu'un état pathologique a pris possession de l'organisme humain, le patient réclame pour son malheur ce qui va à l'encontre de sa guérison" (p. 113). Plus loin l'auteur mobilisera l'Ancien Testament pour appeler à détruire les idoles (p. 147-148).
Je passe dans ce compte-rendu les dernières pages du livre qui détaillent encore d'autres usages cultuels, avec les statues, les arbres, etc auxquels Firmicus Maternus oppose des extraits de la Bible, au nom d'une promesse plus haute faite à l'humanité, promesse de vie et d'éternité.
Evidemment un chrétien de nos jours ne peut que donner raison à l'auteur (alors qu'au contraire, bien sûr, tous les rationalistes anti-chrétiens blâment son intolérance et son incompréhension des soi-disant "connaissances anthropologiques" que l'athéisme contemporain a glissé dans nos veines). C'est un tableau très poignant et spirituellement juste que ce rhéteur du Bas Empire nous livre de la morbidité profonde du paganisme antique, et un contrepoint très utile à cette espèce d'idéalisation du monde païen pré-chrétien qu'on trouve sous la plume d'un Paul Veyne ou d'un Jerphagnon. La morbidité de l'époque actuelle, fille du désespoir dans lequel elle vit de n'avoir plus aucun accès possible (ou de croire ne plus avoir d'accès possible) à la Nouvelle Jérusalem, rend hommage à celle d'autrefois en la parant de lumières artificielles. Même si, sans doute ,ses thèses sur l'origine humaine des dieux païens sont historiquement fausses, son analyse de la noirceur des cultes qui leur étaient rendus est juste, et la lecture de Firmicus Maternus est ainsi bien utile pour démystifier les idées fausses que l'enseignement soi-disant laïque a mis dans nos têtes à ce sujet.
La "Lettre aux Ephésiens" et les pouvoirs occultes
On a déjà cité ici Clinton Arnold à propos de la Lettre de Paul aux Galates et des fameuses "stoicheia" dont je parle beaucoup sur ce blog depuis deux mois.
J'ai reçu aujourd'hui la thèse de cet auteur sur la Lettre aux Ephésiens, thèse qu'il a soutenue en 1986 dans une université chrétienne d'Aberdeen, et publiée en 1989 sous le titre "Power and magic, The concept of Power in Ephesians". Un sujet qui concerne, comme on va le voir, les pouvoirs occultes.
Les mots sur ces pouvoirs occultes sont très concentrés dans cette lettre sous divers vocalobles : iskhus, kratos, exousia, dunamis ou energeia (deux termes qui évoquent les forces et énergies, ce qui devrait nous faire craindre un peu les "énergies subtiles" que les yogis, et adeptes des sagesses médecines douces prétendent manipuler impunément). Ces mots sont opposés au pouvoir cosmique du Christ. Arnold essaie de comprendre les préoccupations historiques auxquelles ce propos répondait en son temps.
L'exégèse historique admet que le texte s'adressait à plusieurs églises d'Asie mineure occidentale et non seulement une église spécifique d'Ephèse. Cette ville de 250 000 habitants à l'époque avait été pendant 2 ans et demi un centre de prédication important pour Paul.
Pendant longtemps les historiens se sont demandés si cette lettre n'était pas inspirée par une forme d'hérésie gnostique locale liée au manichéisme iranien (le grand combat des forces du Bien contre celles du Mal). Mais la Gnose est apparue plus tard, d'ailleurs avec un fort contenu juif après la chute du Temple, si bien que cela militerait pour une datation tardive (postérieure à 70) du texte et il est vrai que des manichéens ultérieurement (notamment le manuscrit de Nag Hammadi l'Hypostase des Archontes) ont beaucoup cité Ephésiens 6:12 "Car nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants (/esprits du mal) dans les lieux célestes." Arnold estime qu'il a pu exister des formes de proto-gnosticisme juif qui ont influencé Paul, mais il s'intéresse davantage au contexte de magie qui caractérisait Ephèse et sa région à ce moment-là.
Metzger a insisté sur le fait qu'Ephèse était la ville la plus infestée de sorcellerie de tout l'empire romain. Les "lettres éphésiennes" (ephesia grammata) étaient des formules rituelles magiques (à base de six mots liés à Artémis) citées par Clément d'Alexandrie, Hesychius, mais aussi une tablette crétoise du IVe siècle av JC. Anaxilas le Comique (IVe s av JC) en son poème "Le fabriquant de harpes" cité par Athénée de Naucratis décrit ainsi le philosophe Anaxarchos d'Abdère : "Huilant sa peau avec des onguents jaunes, étalant ses délicates chlamydes, traînant ses pieds dans de fins escarpins, mâchant des oignons, dévorant des morceaux de fromage, gobant des œufs, mangeant des bigorneaux, buvant du vin de Chios, et, c'est le comble, portant sur des pièces d'étoffes cousues les jolies lettres d'Éphèse" - Arnold traduit par "jolis charmes d'Ephèse", puisqu'on utilisait ces mots comme des formules apotropaïque (un combattant à Olympie les avait inscrites sur ses chevilles, et selon Plutarque les mages exorcisaient les possédés en faisant réciter les mots de ces lettres°. On connaît la magie de l'époque à travers des papyrus d'Egypte et le Testament de Salomon. Rappelons qu'en 13 av JC Auguste avait fait brûler 2 000 rouleaux de parchemins à finalité magique selon Suétone.
La peur du royaume des démons était une raison majeure de l'usage de la magie : dans les papyrus égyptiens de ce temps on invoque contre les démons des dieux grecs comme Kronos, Zeus, Aphrodite, égyptiens comme Osiris, Isis, Serapis et même des noms du Dieu des Juifs (p. 18). L'Artemis d'Ephèse (affublée des titres de sauveuse/soteira, seigneur/kuriar, et reine du Cosmos/basileis kosmon) joue aussi un rôle très important dans les protections surnaturelles. Comme Isis dans l'Ane d'Or d'Apulée (qui d'ailleurs l'assimile explicitement à l'Artémis d'Ephèse comme à l'Aphrodite de Paphos), elle a un pouvoir au dessus du destin qui se manifeste par son collier représentant les signes du Zodiaque qu'elle maîtrise (sur une gemme magique trouvée près de Paris elle est représentée avec le soleil et la lune, ce qui en fait une divinité astrale). Les Ephesia Grammata selon Pausanias étaient écrites mais de façon illisible sur les pieds, la ceinture et la couronne de la déesse. Elle est reine du monde souterrain et ses seins avaient aussi une fonction magique, comme souvent les organes sexuels dans l'Antiquité (cf Lichtenecker).
Les Actes apocryphes de Jean identifient clairement Artemis à un démon, et ce n'est pas un hasard si un des rares exorcismes des Actes des Apôtres se passe à Ephèse. On a retrouvé des papyrus chrétiens invoquant la vierge Marie, Sabaoth et Salomon pour "lier le scorpion Artemis".
La vision paulinienne des "pouvoirs" que le Chrétien doit affronter a fait débat. Le vocabulaire (le mot arkhè) emprunte à l'esprit juif de l'époque. Le mot dunamis se réfère aux anges dans l'ancien testament, tout comme kuristès (ennemis) (p. 54).
Les versets "1. 20. Cette puissance, il l'a déployée en Christ quand il l'a ressuscité et l'a fait asseoir à sa droite dans les lieux célestes, 21 au-dessus de toute domination, de toute autorité, de toute puissance, de toute souveraineté et de tout nom qui peut être nommé, non seulement dans le monde présent, mais encore dans le monde à venir." montrent une suprématie sur les noms d'entités invoqués dans les rituels magiques. En écho à Psaume 110 " Yahweh a dit à mon Seigneur: "Assieds-toi à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis l'escabeau de tes pieds."
La référence à la descente de Jésus sous Terre (Ephes 4:9) peut rassurer ceux qui craignent les puissances de l'Hadès. La description de Satan comme "le prince de la puissance de l'air " en 2:2 est commune à l'époque. Les papyrus magiques parlent beaucoup des esprits de l'air. A plusieurs reprises (notamment les prières de l'épître) le pouvoir de Dieu est placé au dessus de celui de ces forces des Ténèbres (p. 72). Arnold analyse en quels termes ce pouvoir est décrit par Paul.
Au total j'ai été un peu déçu par ce livre qui enfonce beaucoup de portes ouvertes, et paraphrase souvent le texte de Paul en ne donnant que quelques éléments sur le contexte culturel des mots choisis. C'est beaucoup moins impressionnant que les trouvailles faites par Kevin von Duuglas-Ittu dans son cocktail sur la "Lettre aux Galates" élaboré sur la base des travaux d'Arnold et de Susan Elliott. L'idée que la soumission au Nomos juif et païen vous asservit aux stoicheia du zodiaque et des éléments naturels était quand même plus contre-intuitive que celle selon laquelle les puissances auxquelles Saint Paul oppose la suprématie du Christ sont (en partie) les sortilèges magiques liés à l'Artémison d'Ephèse.
Je retiens cependant deux points importants : 1) le nom de Jésus comme nom au dessus des noms devient quelque chose de très concret quand on comprend l'usage des noms dans la magie ésotérique (notamment dans les Ephesia Grammata) 2) le fameux "tu marcheras sur le lion et sur l'aspic" du Psaume 91 ne désigne pas une marche horizontale mais une ascension : le lion et l'aspic deviennent l'escabeau du chrétien.
"Fulcanelli, Commandeur du Temple" de Roger Facon
Il y a quelques années, je me suis penché sur les alchimistes du début du XXe siècle Jollivet-Castellot (le socialiste), et le célèbre Fulcanelli (que j'ai cité entre autres pour ses travaux sur le verre égyptien à propos des remarques de Jonathan Black sur le christianisme).
Roger Facon (policier à la retraite, né en 1950) qui dit être l'arrière petit fils (par sa grand mère paternelle) d'un proche de Fulcanelli (1839-1953), Léon Patin (1868-1941) a publié en 2017 aux éditions de l'Oeil du Sphynx un ouvrage qui, s'il est véridique, au moins partiellement, peut s'avérer riche en enseignements sur l'histoire de l'occultisme français depuis cent ans : " "Fulcanelli, Commandeur du Temple".
Dans ce livre témoignage, qui emprunte beaucoup à ses archives familiales, l'auteur plonge tout d'abord le lecteur dans ce monde d'alchimistes d'extrême-gauche, qui se déploie de Bruxelles à Montmartre en passant par Douai dans les années 1900. Un groupe d'adeptes du "grand oeuvre" s'était fixé à la fin du XIXe siècle à Bruxelles dans un hôtel particulier où se retrouvaient notamment le célèbre Fulcanelli, Roger Schneider (1866-1932) verrier anarcho-syndicaliste (et adjoint syndical de Delzant qui influencera René Viviani quand il sera ministre du travail), et Léon Patin.
Patin travaillait en lien avec ce groupe avec une médium (sa maîtresse) Alfonsine Thomassin, à la fabrication d'un miroir et d'attaches alchimiques au contact de l'entité "Keish", vizir du pharaon Djéser, également lié à l'Atlantide. Sa materia prima (base de son travail) était de la fulgurite. Patin est maître mineur (porion) à Saint Roch de Monchecourt, près de Douai où vit Jollivet Castelot, fils de diplomate et fondateur de la Société alchimique de France, et d'Aniche, cité du verre et du charbon, fief syndical de Schneider, où ils participent à des séances de spiritisme rue Gibour, sous la houlette du docteur Caffeau et d'Alphonsine Thomassin, dont la soeur Jeanne est aussi médium. Un premier miroir pour communiquer avec l'au-delà voit le jour en juin 1901, un second en juin 1902.
Le docteur Caffeau voit régulièrement Fulcanelli à Paris au restaurant le Chat noir dont le patron a fondé la revue du même nom dont on a déjà parlé à propos de Charles Cros. Schneider et Fulcanelli se voient à Bruxelles.
Jeanne Thomassin a des visions terribles de sang et de destruction à propos d'Aniche dans les années 1900-1910. C'est un avant-goût de la première guerre mondiale. La femme de Jollivet Castellot, Angèle ("Léonie" dans le roman qu'il a écrit) qui fait des décorporations a les mêmes. Thomassin en 1895 a la révélation de l'entité "Le Scribe" (un proche d'Imhotep) que la partie de malheur qui concerne Aniche est liée à la présence d'une momie maléfique qui de son vivant à Memphis faisait de la magie noire et se trouverait enterrée au cimetière d'Aniche.
En 1899, Schneider construit en utilisant la numérologie avec ses camarades une maison du peuple rue de la Pyramide à Aniche. Sa façade avec deux pointes de pignon se termine par deux pyramides inspirées des maisons alchimiques de la Grande Place de Bruxelles. Selon Facon, c'est un contrepoint à l'influence néfaste de la momie du cimetière et, d'ailleurs, la maison du peuple tiendra debout pendant la Grande Guerre.
Toujours selon Facon, Fulcanelli sait que les malheurs de l'Europe sont liés à l'Egypte. Quand, lorsque le Directoire a lancé l'expédition d'Egypte en 1797, les tombeaux de ce pays ont été ouverts, "une masse considérable de 'doubles' de magiciens noirs a fondu sur l'Europe" (p. 25). "Des Ames noires ont quitté les zones astrales appelées, par les religions établies, 'Enfers' pour incorporer une infinité d'enveloppes humaines". Tous les milieux, même les cercles dirigeants, ont été touchés. "Jeanne Thomassin, plongée dans le sommeil magnétique par le docteur Caffeau", a vu des hordes de 'doubles' fondre sur Paris, Lyon, Marseille. Elle a identifié dans les miroirs alchimiques de Patin des "maisons noires" dans le processus d'aimantation des "doubles" où l'on faisait de la magie noire avec les cheveux, les morceaux d'ongles des gens, les chapelles, certaines forêts etc où se fixent les ondes des opérateurs des maisons noires.
Lyon a été attaquée par les hordes, mais elle a aussi une "maison blanche" selon les séances d'Alphonsine Thomassin. Selon Louis Charpentier ("Les Géants et le mystère des origines" paru en 1969). Lyon est en soi une entité ésotérique qui a une face partiellement ésotérique. Carpentier parle de l'influence d'un égrégore d'Osiris qui a peut-être, avance Facon, été à l'origine des "maisons blanches" vues par Alphonsine Thomassin.
Grâce à son préfacier Eugène Canseliet, on sait que Fulcanelli (qu'il a rencontré à Marseille en 1915), affirme Bacon, fréquentait le célèbre Anatole France et Viviani (avant le ralliement de ce dernier au parti de la guerre). Pierre Dujols journaliste marseillais qui tint une grande librairie occultiste rue de Rennes à Paris lui donna des documents pour écrire son "Mystère des cathédrales". Sa femme était médium et originaire d'Hennebont, en Bretagne. Par lui on sait que l'abbé du monastère de ce bourg, qui fut voisin au XIIe siècle, d'une commanderie templière, lui donna une bague templière. Facon se demande quel rôle Dujols et sa femme ont joué dans cette transmission, et si celle-ci n'a pas fait de Fulcanelli un commandeur honoraire d'Hennebont (p. 41).
Le soir de la Pentecôte 1936, jour où le président du conseil Blum faillit être lynché par la foule boulevard Saint Germain, selon la grand mère paternelle de l'auteur, Léon Pantin fut adoubé par Fulcanelli dans la chapelle souterraine de la commanderie du Temple à Paris dans un hôtel particulier du Marais. Sa grand mère le lui apprit pour son vingt deuxième anniversaire mais lui interdit d'en parler avant 2014 pour des raisons numérologiques. L'auteur a alors adhéré au mouvement rosicrucien AMORC (Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix) fondé à Toulouse en 1915 par l'Américain Spencer Lewis et où Jollivet-Castelot fut influent.
Dans l'attente de pouvoir divulguer ses secrets sur les alchimistes du Nord-Pas-de-Calais du début du siècle et sur Fulcanelli, Facon a enquêté avec le rosicrucien de gauche Jean-Marie Parent, fils de cheminot de Malincourt attiré par l'occultisme après la lecture de Pauwells et de Sède, sur le rosicrucien conservateur Raymond Bernard, grand maître de l'AMORC en 1972, et franc-maçon en Italie, qui fut initié d'après un témoignage rosicrucien d'Emmanuel David, par des sorciers au Bénin en 1979 (sous les auspices du dieu-égrégore Seth estime Facon) (p. 47). Il polémiquera notamment avec lui dans les années 1990 sur son rôle dans la création de l'Ordre rénové du Temple (à l'origine de de l'Ordre du temple solaire et de ses massacres qui firent en leur temps la "une" des journaux). Bernard a reçu ordre du nommé "Cardinal Blanc" en Italie de recréer l'ordre du Temple qu'il confiera à un ancien membre de la Gestapo. Facon lui oppose la légitimité de la restauration templière enclenchée par Jean-Marie Parent avec le Cercle d'Héliopolis en 1976 à laquelle il a collaboré. C'est au nom de cet héritage que dans les années 1990 il s'exprime dans les médias contre les fondateurs de l'Ordre du temple solaire et les massacres qu'ils occasionnent.
Facon est convaincu que Fulcanelli a découvert la pierre philosophale en 1930, et que, devenu immortel, avec Saint Germain, il est "un des 144 chevaliers du Temple qu'abrite l'Hexagone" (p. 68). Il a un pied aux Etats-Unis : il aurait proposé, en 1945 ou avant, à l'anarchiste occultiste Marcel Dana (un neveu de la grand mère de l'auteur) de travailler aux Etats-Unis, dans l'Etat de New-York, comme chef du service des expéditions dans une petite verrerie, propriété d'un membre de la belle-famille de Fulcanelli (p. 98). Selon Facon, Fulcanelli est aussi le mystérieux maître alchimiste qu'aurait rencontré Bergier par l'intermédiaire d'André Helbronner (Pauwells en parle dans Le Matin des Magiciens).
Dana, résistant, fut chargé "par Fulcanelli" de réorganiser la maçonnerie égyptienne, et de "traiter" Lydie Bastien la médium maléfique qui joua un rôle dans l'arrestation de Jean Moulin, ainsi que son comparse Alexandre Rouhier patron des éditions Véga et adepte de la magie noire (dans le cercle de Robert Ambelain et Gaston Sauvage).
Fin 1945, affirme Roger Facon sur la base des confidences de sa grand-mère à qui Mana en a parlé, de riches dames occultistes d'Auteuil, sous la direction de Lydie Bastien, ont reçu des attaches maléfiques d'Inde qui circulent dans les parages de l'église Ste Merry (dans le 4e arrondissement de Paris). Ce sont des boîtes de plomb fabriquées des organes de jeunes filles pubères et de petits garçons spécialement consacrés dans des rituels de pleine lune à des endroits choisis de l'Hexagone. Marcel Dana allait mourir d'une maladie mystérieuse peu de temps après avoir découvert leur existence.
A sa mort, le lillois Valentin Bresle ami de Salengro prit la tête du petit réseau de renseignement qu'il avait fondé. Il s'intéressa à l'infiltration des surréalistes par Lydie Bastien par l'intermédiaire de l'ex-séminariste Gengenbach. Bresle compte parmi ses informateurs l'astrologue numérologue du ministère de l'intérieur Roger Wybot qui protégea Lydie Bastien de l'épuration et en fit un agent à sa propre solde sans en informer Bresle selon l'enquête de Parent (p. 123). Wybot l'informa notamment sur les réseaux sionistes parisiens dont il était sympathisant. Il fut le fondateur de la direction de la Surveillance du territoire (DST).
Bresle, selon Parent, faisait de l'invocation d'entités séraphiques. Lydie Bastien, quant à elle, dans les années 60 achète des bars à Paris, et, rosicrucienne, et dit servir des maîtres tibétains de l'Agartha (le royaume souterraine) qui depuis la soi-disant entrée dans l'ère du Verseau veulent secouer les structures du monde. A cette fin, elle séduit les banquiers et les grands de ce monde. Pierre Péan dans "La diabolique de Caluire" a recueilli les confidences de Louise d'Hour, actrice des films de vampires de Jean Rollin, qui chantait au Boucanier, le bar-discothèque que possédait Lydie Bastien à Montparnasse, rue Jules Chaplain, laquelle raconte comment la médium achetait la bienveillance des policiers ripoux de Paris. Selon elle, Lydie Bastien lui aurait demandé de trouver huit personnes "pour constituer un gouvernement cosmique" et aurait été mêlée aussi à une opération de la CIA pour déstabiliser De Gaulle en mai 1968.
Pour finir, Facon revient sur l'Ordre rénové du Temple tandis qu'à la mort de Bresle en 1978 "Fulcanelli" aurait nommé Parent à la tête de la "jurande" qui lui est restée fidèle à Paris (celle qui suit la voie alchimique du verre), et sur une mise en parallèle entre les initiatives positives de René Guénon pour enterrer en Egypte des attaches maléfiques révélées par les "fours à étoiles" (miroirs) de Fulcanelli, tandis que Schwaller de Lubicz installés à Louksor avec sa femme en 1938 s'efforçaient au contraire de les renforcer treize années durant, magie contre magie...
Un esprit rationaliste, ou même divers courants monothéistes anti-alchimiques, mettront en doute la foi de Facon dans l'éternité de Fulcanelli et dans la réalité des dons et des entités qui agissent tout au long de son récit. Les partisans des maîtres occultistes (notamment rosicruciens) que l'auteur attaque dénonceront dans ses "révélations" un tissu de mensonge destiné à seulement mettre en valeur le petit groupe auquel lui-même se rattachait, sans que l'historien puisse faire la part du vrai et du faux (puisque les preuves écrites documentaires sont nécessairement rares). Pour autant, le chercheur en histoire secrète trouvera dans ce livre un éclairage intéressant sur les rivalités dans le monde de l'occulte, avec cette construction originale d'une défense d'un courant opératif, la "voie du verre", de gauche, revendiquant une inspiration spirituelle d'un haut niveau (d'un niveau séraphique) face à ce qu'elle perçoit comme une corruption de l'héritage templier dans des voies théoriques inspirées par le dieu néfaste "Seth", à la recherche du pouvoir, de la guerre, et de l'exploitation du monde.
Nul doute aussi que les affirmations de Facon sur ce qu'il présente comme une version française de l'AMORC qui puiserait ses sources à la magie noire (notamment africaine, avec la connexion politique avec la Françafrique, le Service d'Action Civique etc) gagneraient à être mises en regard avec les recherches d'un Bill Cooper (1943-2001) sur le rosicrucisme américain au XXe siècle (et sa fusion avec les "Illuminati") à l'origine de beaucoup de spéculations en ce moment sur Hollywood, les milieux bancaires, et ceux du renseignement outre-atlantique, au service d'une compréhension plus large des visions complotistes du monde qu'elles peuvent nourrir.