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Articles avec #ishtar tag

Retour à Aphrodite Ourania

7 Avril 2024 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète, #Ishtar, #Spiritualités de l'amour

En 2017, j'avais écrit sur l'Aphrodite céleste ici. Cela m'avait valu à l'époque de recevoir un message d'un certain Benjamin Bories qui voulait écrire sur la nudité - Dieu seul sait ce que ce garçon est devenu depuis lors. J'ai éprouvé aujourd'hui le besoin de retourner à la question de cette Aphrodite Ourania parce que j'ai de plus en plus conscience que la vérité, comme Aphrodite, est une perle dans un écrin, qui ne se donne pas à tout le monde (ou, comme le dit le christianisme qui à la Renaissance s'entremêlait avec le platonisme sur l'image d'Aphrodite, c'est la pierre de touche que tout le monde laisse au rebus). C'est pourquoi ce blog - qui au demeurant, comme mes livres, ne livre qu'une petite part des vérités que j'entrevois - n'intéresse personne, tandis que tout le monde se rue sur les vidéos de types qui, devant leurs micros, ne touchent qu'à la plus vulgaire écume des choses - l'Aphrodite Pandemos.

Pour méditer un peu sur l'Aphrodite céleste, j'ai regardé cette vidéo de l'universitaire britannique David Braund d'il y a neuf ans. Elle nous fait faire un détour par la Crimée grecque et la péninsule de Taman (le Royaume du Bosphore, à Bolshaya Bliznitsa), mais après tout pourquoi pas, cela convient à l'homme des marges que je suis.

Les archéologues, sur la base d'Hérodote, ont parfois assimilé l'Aphrodite Ourania à la déesse chamanique scythe Argimpasa (que Yulia Ustinova a aussi rapprochée d'Astarte) Aphrodite Ourania est la déesse tutélaire du sancturaire Apaturum. Attardons nous un instant sur ce nom. Apatouros en grec veut dire trompeur. C'est un épithète d'Aphrodite à cet endroit car, assaillie par les géants, la déesse, selon Strabon, les trompa un par un en les envoyant à Héraklès qui les tua et les enterra. L'auteur d'un livre sur les Nephilim que je suis ne peut que s'intéresser à ce détail, d'autant que je sais que l'Abkhazie voisine (qui borde aussi la Mer Noire) a également une histoire forte avec les Géants. Braund rattache l'histoire au passé sismique de la région comme la Sicile (les cadavres des géants sous la terre causeraient les tremblements de terre), but that's another story for another day. Qu'Aphrodite céleste soit aussi l'Aphrodite trompeuse pour les brutes qui veulent se l'approprier trop facilement doit nous alerter !

Braund insiste sur l'intérêt qu'il y a à rattacher l'Aphrodite Ourania aux paysages qui entourent ses sanctuaires. C'est une tendance en vogue dans l'archéologie contemporaine : rattacher les cultes aux lieux, aux pratiques (on est de ce point de vue assez éloigné de la Renaissance italienne dont parlait mon billet de 2017. A ce stade on est en présence d'une déesse beaucoup moins "ésotérique" et associée aux recherches individuelles qu'à l'époque de Pic de la Mirandole. Il semble d'après Braund que dans le Royaume du Bosphore elle soit plus associée à un amour familial généralisé, un peu comme la Vénus de Pompéi décrite par jadis Paul Veyne.

En 1997 Maria Alexandrescu Vianu avait distingué l'Aphrodite Ourania-Astarte de Atargatis-Cybèle déesse nord-syrienne à Olbia, d'ailleurs appelée Aphrodite Syrienne. L'épiclèse Ourania pour l'Aphrodite Apatouros ne serait pas antérieure au IVe siècle - et la légende de l'Aphrodite trompeuse reprise par Strabon ne serait pas antérieure à cette époque là.

A Panticapée (aujourd'hui Ketrch) il y avait (d'après ce qu'on en savait en 1997) 3 inscriptions du IVe siècle à une Aphrodite sans épiclèse, et deux des années 200 av JC (une stèle et une base de statue) à Aphrodite Ourania Apatouria. Sur le relief de la stèle dédiée à Ourania, la déesse est représentée assiste sur un cygne envol, tenant un sceptre dans la main gauche. A sa gauche se trouve un Eros qui, si l'on en juge par l'aile restée dans sa main, portait un oiseau. L'Aphrodite sur le cygne est très répandue sur les vases de Kertch.

L'interpraetatio d'une déesse scythe ou orientale comme Aphrodite Ourania n'est pas spécifique au Bosphore.  " Pour les Grecs classiques, Aphrodite était d’abord Ourania parce que fille d’Ouranos, écrit Vinciane Pirenne-Delforge du Collège de France. Ce n’était cependant pas la seule signification de l’épiclèse car c’est précisément en tant qu’Ourania qu’Aphrodite était qualifiée comme déesse venue d’ailleurs. Toutes les déesses étrangères auxquelles Hérodote s’attachera à donner une interpretatio graeca et qui adopteront le nom d’Aphrodite ne le feront jamais sans l’épithète Ourania : que ce soit la Mylitta des Perses, l’Astarté des Phéniciens ou l’Alilat des Arabes, chacune sera pensée en grec en tant qu’Aphrodite Ourania. De la même manière, Aphrodite Ourania est le nom grec adopté par des étrangers installant le culte de leur Grande déesse d’origine dans des cités grecques : les marchands de Kition de Chypre installent au Pirée, à la fin du ive siècle, un culte d’Aphrodite qu’une de leur compatriote honorera dans une inscription sous le nom d’Ourania. À Délos, les exemples ne manquent pas non plus de ce type d’interpretatio graeca (...) L’ambiguïté de l’adjectif, à la fois référence à la paternité du Ciel (tradition grecque) et à une origine orientale présumée, est bien présente dans les informations fournies par Pausanias à propos du sanctuaire d’Ourania à Athènes : Égée aurait fondé le culte (tradition « indigène »), mais c’est tout autant à Ascalon qu’il trouverait son origine première. C’est donc autour de cette épithète que se concentre le plus clairement l’ambiguïté de la personnalité d’Aphrodite telle qu’elle était déjà apparue en tant que « chypriote », Cypris. Ourania est la déesse d’ici et d’ailleurs, reine d’un ciel physique où elle règne au présent, mais qu’elle traversa jadis pour rejoindre la Grèce depuis une patrie dont l’identité exacte tend à se dissoudre. L’iconographie, quand elle offre l’image de la déesse chevauchant une monture dans un ciel étoile, parfois au-dessus des vagues de la mer201, condense ces deux conceptions de l’épithète."

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"Constance de Rabastens, mystique de Dieu ou de Gaston Fébus ?"

14 Août 2016 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète, #Médiums, #Notes de lecture, #Ishtar

"Constance de Rabastens, mystique de Dieu ou de Gaston Fébus ?"

Il y a près d'un an je vous ai parlé de la visionnaire Jacqueline-Aimée Brohon (1731-1178) voir le billet ici que j'ai transformé ensuite en article pour la revue "Connaissance de l’Eure" n° 178 (4e trimestre 2015). Changeons de siècle, et intéressons nous à une autre visionnaire fascinante : Constance de Rabastens, et à son approche du chevalier Gaston Phébus (1331-1391). Je me suis demandé si cette visionnaire pouvait nous aider à saisir la signification occulte, ésotérique, de cette époque-là (et l'on a vu avec mon précédent billet sur le général Butt Naked combien cette dimension de l'histoire était incontournable, aujourd'hui comme au Moyen-Age).

Comme l'indique l'historienne Régine Pernoud dans sa préface au livre de référence à son sujet est paru en 1984 aux éditions Privat (Toulouse), Constance de Rabastens (née en 1340 ?) fut la visionnaire par excellence sur Gaston Phébus, comme un siècle plus tôt Sainte Douceline de Digne (1214-1274) le fut sur Charles d'Anjou (frère de Saint Louis et roi de Naples, le père du découvreur des reliques de Ste Baume). L'historienne les qualifie de "mystères" et les compare toutes deux à la voyante Sainte Hildegarde de Bingen (déclarée docteur de l'Eglise par Benoît XVI en 2012) dont le Livre des œuvres divines ne fut traduit en français par Bernard Gorceix que deux ans avant la publication du livre sur Constance de Rabastens (on notera d'ailleurs que Régine Pernoud se demande si Constance ne mérite pas le titre de sainte, un débat qui valut aussi pour d'autres visionnaires comme l'espagnole Marie d'Agreda au XVIIe siècle et l'allemande Anne-Catherine Emmerich au XIXe et qui, en effet, mérite de rester ouvert).

Avant Hiver-Bérenguer, Constance de Rabastens n'était pas inconnue de l'historiographie. Noël Valois (185-1915), dans La France et le grand schisme d'Occident. 1896 T. 2 écrit (p. 327) "Le puissant Gaston Phoebus passait pour urbaniste (partisan du pape Urbain) : une voyante albigeoise, Constance de Rabastens, le désignait même comme le sauveur appelé à restaurer l'autorité du pape italien". P. 368 il développe à propos de cette Constance : "Trois ans durant (1384-1386), cette femme se figura entendre des voix célestes prononcer la condamnation du pape et des cardinaux d'Avignon ou annoncer le triomphe définitif du pape de Rome, celui qu'elle appelait « l'homme juste. » Elle crut apercevoir en enfer trois cardinaux, et parmi eux Pierre de Barrière, dit le cardinal d'Autun : c'était celui que les démons persécutaient le plus. Clément VII lui apparut tantôt sous les traits d'un lépreux qui communiquait sa lèpre aux gens de son entourage, tantôt sous ceux d'un navigateur qui s'abîmait dans les flots avec le vaisseau sur lequel il venait de s'embarquer, ou bien encore environné de fumée et de ténèbres, tandis qu'au dessus de sa tête un ange brandissait une épée nue sanguinolente. Le comte de Foix Gaston Phoebus jouait dans ces visions le rôle d'un sauveur appelé à rétablir l'autorité d'Urbain, comme aussi à prendre sur Charles VI un ascendant heureux. Par contre, il n'était pas d'anathème que la voyante ne lançât contre les Armagnacs, traîtres au roi et vendus au démon. Telles sont les prétendues révélations que Constance ne se lassait pas de communiquer à son fils, religieux du couvent de la Daurade, à son confesseur, voire même à l'inquisiteur de Toulouse. Sans se faire illusion sur les suites probables de sa témérité, elle allait bravement au-devant de l'épreuve, se croyant appelée à restaurer la foi. Longtemps elle paraît avoir vécu en paix, jouissant même dans la contrée d'une certaine considération. Mais un mot d'un témoin de ses hallucinations nous renseigne sur son sort : certains détails, dit-il, furent donnés par son fils, quant ella fo encarcerada. Rien ne permet, d'ailleurs, d'évaluer la durée de l'emprisonnement qui, s'il ne termina pas, interrompit du moins la mission de la voyante urbaniste de Rabastens". Valois dit tenir cela d'Amédée Pagès (1865-1952) qui, lorsque le premier écrit son livre sur le schisme, s'apprête dit-il en note de bas de page à publier "un curieux mémoire en langue catalane" à son sujet. Pagès le lui a fait lire (il s'agit du texte publié dans les Annales du Midi 8, 1896, p. 241-27 sur lequel Hiver-Bérenguier allait travailler). Le moins que l'on puisse dire à la lecture de ces lignes est que Valois n'a pas une très haute opinion de la visionnaire (ce qui explique peut-être qu'Hiver-Bérenguier n'y fît pas référence en 1984).

L'histoire du livre d'Hiver-Bérenguier de 1984 mérite un petit développement à titre préalable, car, comme c'est souvent le cas des grandes découvertes, Constance de Rabastens n'a été redécouverte que du fait du "hasard" (qui n'existe pas), et non dans le cadre de programmes de recherches universitaires bien établis. Dans son édition du 6 janvier 1980 (deux ans après la diffusion de la série à succès "Gaston Fébus ou le Lion des Pyrénées" sur Antenne 2), le journal Le Monde publie une longue étude de l'historien de l'université de Rouen André Vauchez intitulée "Les sœurs de Jeanne", résumé de sa conférence d'octobre 1979 au colloque d'histoire médiévale d'Orléans (c'était du temps où Le Monde, d'un plus haut niveau qu'aujourd'hui, diffusait des résumés de conférences universitaires), qui cite des visionnaires : Jeanne-Marie de Maillé, Marie Robine (Marie de Gascogne) et Constance de Rabastens du Tarn. Jean-Pierre Hiver-Bérenguier, docteur en chirurgie dentaire (mais oui !), enseignant à l'université Paris VII mais originaire de ce village se rend compte qu'il n'a jamais entendu parler de cette mystique et écrit au professeur Vauchez pour lui proposer de défricher le sujet. Vauchez lui transmet sa source : les Annales du Midi de la fin du XIXe sècle où se trouvait le transcrit en catalan des Révélations de Constance de Rabastens. Pendant deux ans, avec le soutien de Vauchez, de Régine Pernoud, de Dom Grammont, père de l'abbaye Notre-Dame du Bec Hellouin, et du médiéviste Philippe Wolff, Jean-Pierre Hiver-Bérenguier avale "plus d'une centaine de livres" et pond en deux ans ce livre que la préfacière couvre d'éloges. Voilà une histoire peu commune pour un livre, mais celle de la visionnaire l'est encore moins.

Le dimanche 29 juin 1386, fête de la Saint-Paul, en l'église Notre Dame à la messe de l'aurore dans la chapelle Saint Jean, la très pieuse dame Constance, 45 ans, s'est remise à prophétiser, ce qu'elle fait déjà depuis cinq ans. Au début il y avait les visions la nuit, puis à n'importe quel moment de la journée et surtout quand elle prie aux offices de l'église ou du couvent des Cordeliers. Elle prophétisait sur les papes d'Avignon et de Rome, sur les malheurs du jeune roi de France en guerre contre les Anglais. Elle annonce la fin du monde, la victoire des Sarrasins disciples de l'Antéchrist, mais aussi une victoire de Gaston Phébus, comte de Foix et vicomte de Béarn, qui ramènera la paix. Au moment de la lecture de la deuxième Epître à Timothée "fais œuvre de prédicateur..." Constance entre en transe, les yeux fixés sur le Christ en Majesté sur la voûte, le corps raide insensible et répète "Des signes, oui, des signes..." et puis : "Le soleil... la lune... les étoiles sur toutes les terres !" (p. 17).

Le soir même son confesseur Raimond de Sabanac consigna ce qu'elle dit avoir vu, au paragraphe 55 des Révélations (sur 63). Tout le livre des Révélations est ainsi composé. En l'occurrence, lors de cette extase elle entendra Jésus lui dire que le vrai pape de Rome est le soleil, la lune les cardinaux qui ne veulent pas recevoir sa lumière du soleil, les étoiles les théologiens qui se taisent, les princes sont la Terre, Constance est sa flêche, le soleil s'imposera. Hiver-Bérenguier en s'appuyant sur un livre de Salembier de 1902 sur le grand schisme rapprochera (p. 95) cette vision de celle de Pierre d'Ailly, disciple de Joachim de Flore, qui, en s'aidant de l'astrologie, prédit dès 1414 la Révolution de 1789. D'Ailly en 1385 aurait annoncé l'Anté-Christ en ces termes : "Il y aura des signes dans le ciel, dans le soleil, la lune et les étoiles. Le soleil, ce sont les prélats ; la lune, ce sont les princes : le rayon de leur justice s'obscurcit ; les étoiles ce sont leurs membres inférieurs : la grâce disparaît en eux tous." (Sermo III, De advetu domini).

Clémence a des visions importantes sur les partisans de Clément VII pape d'Avignon et leur mort. Le 6 novembre 1384, alors qu'elle pense à la cruelle reine Jeanne Ière de Sicile assassinée en 1382, la Voix lui dit que "la mesure avec laquelle la reine avait mesuré a servi de mesure pour elle-même". La visionnaire annonça même en 1384 à un seigneur venu la consulter la mort de Louis d'Anjou, roi de Naples qui, après qu'il eut manqué le trône de France, avait mené une expédition militaire contre Rome à la demande de Clément VII : "Tu diras que mort est celui qui portait le signe de la Bête, c'est à dire le duc d'Anjou." Elle lui révèlera aussi en mars 1384 la trahison du comte d'Armagnac à l'égard du roi de France Charles VI, qui n'allait être connue que deux mois plus tard. La Voix lui parle aussi de Ninive alors qu'elle n'en a jamais entendu parler.

En 1384 ou 1385, la Voix qui lui a parlé des Flandres lui dit 20 fois que dans 7 ans le royaume de France "viendra à grand bouleversement, c'est-à-dire abattement" du fait du soutien aux papes d'Avignon et en effet en 1392 le roi sombra dans la folie.

Ses prédictions d'Apocalypse rejoignent celles de St Vincent Ferrier peu de temps après, l'image des ailes qui la libèreront sera aussi donnée à Jeanne d'Arc et se trouve dans l'Apocalypse ch 22 (la Vierge s'envole au désert pour échapper au Dragon).

Gaston Fébus est un personnage central des visions de dame Constance. Né sous le signe du taureau en 1331 (signe de la terre, il a le taureau et la vache sur son blason), il a un côté paysan têtu ombrageux mais aussi vénus en dominante, un côté artiste, séducteur. Il est entouré d'une légende à cause de ses victoires militaires, de sa richesse, et on lui prête un don de devin pour connaître ce qu'il se passe sur ses terres. Il a tué son fils en 1382.

Selon le notaire Michel du Bernis, archiviste de Fébus (dont la version selon Cabié en 1879 serai la plus fiable), le dimanche avant la Madeleine de 1381, à Rabastens Fébus livra bataille à des hommes de son rival duc de Berry, comte d'Armagnac qui venaient de piller le Lauragais et en emprisonna certains, massacra les autres. Cette victoire chevaleresque marque les Rabastinois qui en ont été témoins sous leurs remparts.

On ne sait rien de Constance, sauf qu'elle est veuve, qu'elle a une fille et un fils moine. Elle assistait à tous les offices, un baron bordelais et un seigneur clerc l'ont consultée. Elle a été jugée par l'Inquisition sur un faux témoignage et innocentée.

Son confesseur et secrétaire (comme pour Hildegarde) dont Hiver-Bérenguier dit qu'il pourrait être un homme de Fébus a introduit le livre par une mise en garde contre les visions, comme Gerson 30 ans plus tard. Il les a notées dans le désordre. Il les a écrites de 1384 à 1386, et à propos d'une vision du 4 octobre 1384 dit que Constance en avait depuis plus de deux ans.

Vers 1881 donc (peut-être après la bataille de Rabastens, mais Cabié lui situera l'événement fondateur des visions en 1374, cf Madeleine Jeay) elle voit une montagne de cadavres et une voix lui dit qu'il y aura des cadavres mais que ce qu'elle entendra sera a vérité. Elle pense que cela vient de Jésus. A la mort de son mari peu après, la voix lui annonce qu'elle quittera le monde comme une moniale. Elle se rendra souvent au couvent des cordeliers. Jésus lui apparut une fois comme un homme habillé de satin, une autre comme un seigneur sur son trône, puis nu couvert d'un manteau blanc portant une grande croix à la main et en colère, une autre dans sa vision Jésus dans l'église se détache de sa croix puis, après qu'elle lui ait baisé les mains, frappe des gens avec un bâton et demande qu'on le remette en croix (p. 87). Elle vit aussi la Trinité. Beaucoup de ses visions sont aussi des paraboles : arbre vert, cygnes, brebis remparts, navires qui sont des métaphores de villes, de la papauté etc.

A propos de Fébus, le mardi 9 mais 1384, la Voix lui dit "Alors se dressera la Grue à la tête vermeille, c'est à dire le comte de Foix, qui redressera l'Homme juste, c'est-à-dire le pape de Rome et le replacera sur son Siège. Et de la même façon que vint Vespasien pour détruire Pilate, viendra le comte de Foix pour détruire Armagnac. Alors il dominera le royaume tellement, et il y aura telle grande union entre le Roi de France et le comte de Foix, que le Roi en de nombreuses choses obéira au comte. Et après, le comte prendra le commandement du Saint Passage !" (§26).

Un petit cousin de Fébus en 1445, Gaston IV, nomma son cheval de parade la Grue. Fébus dans un de ses poèmes se décrit comme "prince illustre à la tête couronnée de flammes". Pline parle de la grue symbole de vigilance qui dans l'eau tient dans sa patte une pierre pour qu'elle l'entende tomber si elle s'assoupit. La mère de Constance le lui avait enseigné. Hiver-Bérenguier renvoie aussi au conte persan de Faride Ouddin Attar, sur le voyage initiatique des oiseaux. "La Vache sera à l'ombre de la Fleur". Vache du Béarn, Fleur de Lys de France, le Saint Passage c'est la Croisade. Catherine de Sienne, elle, tenta de pousser un condottiere à la Croisade.

Le thème du dernier monarque avant la fin des temps qui sauvera la France remonte à St Césaire, évêque d'Arles au VIe siècle (révélées en 1524 par Jean de Vatiguero). Merlin le Gallois annonça le schisme, le rôle d'une jeune Lorraine et du grand monarque, ce que révéla Jeoffroy de Monmouth en 1152. Nostradamus le développa aussi. Eric Muraire dans son Histoire et Légende du Grand Monarque (Albin Michel, 1975) le retrouve chez 76 voyants (dont 30 femmes) dont 44 français, jusqu'à Garabandal.

Constance se plaignit que cette prophétie lui incombât (elle fut souvent passive à l'égard des messages qu'elle recevait, n'était pas une mystique souffrante ou stigmatisée comme le furent tat d'autres), mais la Voix (§ 53) lui rappela le rôle de la femme dans la révélation des derniers sceaux de l'Apocalypse. Hiver-Bérenguier note que Fabre d'Olivet dans Histoire Philosophique du genre humain insiste sur le rôle prophétique des femmes du fait de leur sensibilité nerveuse depuis la Protohistoire. Naturellement le fait que beaucoup ne se soient pas réalisées (notamment celle sur l'Apocalypse prochaine) ne compte guère, les prophéties étant le plus souvent conditionnelles.

Pour avoir une approche un peu plus complète de ce que les visions de Constance de Rabastens peuvent nous dire de leur époque, il faudrait peut-être les comparer à celles de sa contemporaine Marie Robine (Marie de Gascogne) qui, elle, défendait Clément VII d'Avignon. Pour savoir si les visions de cette Constance venaient de Dieu ou du diable, il faudrait une analyse aussi limpide que celle d'Augustin Viatte à propos de celles de Jacqueline-Aimée Brohon (qu'il reliait intelligemment aux hérésies de Rousseau et du romantisme)

Hiver-Bérenguier détaille la mystique de Constance de Rabastens, note par exemple l'absence des Saints, notamment de Marie, et le peu d'importance qu'elle accorde au péché (elle estime, comme Fébus dans ses Oraisons, que Dieu ne peut pas condamner sa propre créature). Le dernier point a des relents d'hérésie qui donne une couleur un peu démoniaque aux visions (de même aussi son utilisation de Ninive oubliant que dans Jonas Dieu a pardonné à cette ville d'Assyrie) quoique l'Inquisition ait innocenté la mystique (mais certains sousentendent qu'elle ait pu agir sous la pression de Fébus). Un théologien serait mieux à même que nous d'en juger ...

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Voir aussi

R. CABIÉ, Une mystique? Réflexions sur Constance de Rabastens, in Cahiers de Fanjeaux, 23 (1988), pp. Cahiers de Fanjeaux, 23 (1988),37-55;

R. Cabié, Révélations de Constance de Rabastens. Édition, traduction et commentaire, Barcelone, facultat de theologia de Catalunya-Institut catholique de Toulouse, 1995, p. 40.

H. CHARPENTIER, La fin des temps dans le Livre
des Oraisons de Gaston Fébus et les Révélations de Constance de Rabastens, in Fin des temps et temps
de la fin dans l’univers médiéval, in Cahiers de Senefiance, 33 (1993), pp. 147-62

Renate Blumenfeld-Kosinski, « Constance de Rabastens: politics and visionary experience in the time of the Great Schism », Mystics Quarterly, 25, 1999, p. 147-168.

M. Jeay, « Marie Robine et Constance de Rabastens : humbles femmes du peuple, guides de princes et de papes», Le petit peuple dans l’Occident médiéval, éd. P. Boglioni et C.Gauvard, Paris, Presses de l’Université de la Sorbonne, 2002, p. 579-594.

Madeleine Jeay, La transmission du savoir théologique, Le cas des femmes mystiques illettrées, CRMH p. 223-241

Celle-ci travaille surtout sur la comparaison entre les visions de Constance et le discours ou les images théologiques dans lesquelles elle baignait, ses interactions avec son entourage, une approche en vogue dans les sciences humaines actuelles mais qui ne m'intéresse guère, exemple :

"Le troisième canal par lequel les fidèles ont eu accès à ce savoir, comme nous l’a indiqué l’exemple de Constance de Rabastens, est celui de l’image, en conjonction avec les pratiques dévotionnelles et liturgiques, par l’intermédiaire du livre et de la lecture ou bien des programmes iconographiques des églises. Ses révélations illustrent clairement le lien étroit entre le contenu de ses visions et celui des chapitres du Livre des Révélations dont on lui fait la lecture. On sait la part qu’occupe l’illustration dans les apocalypses pour accompagner le texte, notamment celles en français, ce qui en faisait de remarquables outils pédagogiques.

Parallèlement aux scènes de l’Apocalypse, Constance a été marquée par les peintures qui recouvraient l’église Notre-Dame du Bourg, en particulier par celle qui figurait dans la chapelle Saint-Martin. L’apparition qu’elle reçoit aux environs de 1374, d’un arbre chargé de fruits surmonté d’un nuage où siègent vingt-quatre vieillards, combine les chapitres 2 et 22 de l’Apocalypse avec la peinture de l’Arbre de Vie de la chapelle. Le lignum vitae et l’image de l’arbre évoquent saint Bonaventure et l’ouvrage par lequel il a diffusé sa doctrine théologique, où elle lui sert d’outil pédagogique pour favoriser la compréhension et la mémorisation."

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La nudité punie d'Ohola et Oholiba dans Ezechiel 23

23 Juin 2016 , Rédigé par CC Publié dans #Nudité-Pudeur au P.O. et au Maghreb, #Ishtar

Certains considèrent le livre d'Ezéchiel comme une parole prophétique, d'autres comme une "rencontre rapprochée" avec des extraterrestres selon l'expression de John Lash, à cause de cette vision.

Observons le chapitre 23. L'ensemble "nudité", "nu" "nue" revient 5 fois ce qui est plutôt rare dans la Bible. Il ne s'agit pas d'une nudité asexuée, ni d'une nudité "cool" comme celle des cyclonudistas de Brighton et Bruxelles des semaines dernières.

C'est celle d' Ohola et Oholiba (Ohola signifie « sa tente » et Oholiba « ma tente est en elle »), figures allégoriques de la Samarie et de Jérusalem. St Jérôme et Bossuet les citèrent dans leurs sermons. Montesquieu disait de ce texte qu'il prouvait que la Bible ne peut pas être laissée entre toutes les mains.

Voltaire allait plus loin et résumait ainsi l'histoire dans Son Dictionnaire philosophique :

"Oolla a été folle des seigneurs, magistrats, cavaliers ; elle a couché avec des Egyptiens dès sa première jeunesse... Ooliba, sa sœur, a bien plus forniqué encore avec des officiers, des magistrats et des cavaliers bien faits elle a découvert sa turpitude elle a multiplié ses fornications elle a recherché avec emportement les embrassements de ceux qui ont le membre comme un âne, et qui répandent leur semence comme des chevaux" ce qu'il rapproche d'Ezechiel 16.

Proudhon en "ethnicisant" le texte dira dans Césarisme et christianisme (1883, p. 114) que "Simon, comme Osée épousant par ordre de Dieu une prostituée, comme Ézéchiel racontant les fornications d'Oolla et Ooliba, parlait aux Orientaux le langage qu'ils entendaient le mieux". Décidément marqué par ce texte il vait aussi qualifié le peuple de "moderne Ooliba" dans La Révolution sociale démontrée par le coup d'état du 2 décembre (1852, p. 85), Léon Bloy lui dira qu'Oolla c'est l'Eglise.

Un des fils d'Oholiba serait un démon selon le Papyrus magique de Paris.

Une curieuse exégèse en espagnol sur le Net voit dans Ohola les témoins de Jéhovah et Oholiba la nation actuelle d'Israël qui devra supporter d'être entre les mains des gens qu'elle déteste.

1 La parole de l'Eternel me fut adressée, en ces mots : 2 Fils de l'homme, il y avait deux femmes, Filles d'une même mère. 3 Elles se sont prostituées en Egypte, Elles se sont prostituées dans leur jeunesse; Là leurs mamelles ont été pressées, Là leur sein virginal a été touché. 4 L'aînée s'appelait Ohola, Et sa soeur Oholiba; Elles étaient à moi, Et elles ont enfanté des fils et des filles. Ohola, c'est Samarie; Oholiba, c'est Jérusalem. 5 Ohola me fut infidèle; Elle s'enflamma pour ses amants, Les Assyriens ses voisins, 6 Vêtus d'étoffes teintes en bleu, Gouverneurs et chefs, Tous jeunes et charmants, Cavaliers montés sur des chevaux. 7 Elle s'est prostituée à eux, A toute l'élite des enfants de l'Assyrie; Elle s'est souillée avec tous ceux pour lesquels elle s'était enflammée, Elle s'est souillée avec toutes leurs idoles. 8 Elle n'a pas renoncé à ses prostitutions d'Egypte : Car ils avaient couché avec elle dans sa jeunesse, Ils avaient touché son sein virginal, Et ils avaient répandu sur elle leurs prostitutions. 9 C'est pourquoi je l'ai livrée entre les mains de ses amants, Entre les mains des enfants de l'Assyrie, Pour lesquels elle s'était enflammée. 10 Ils ont découvert sa nudité, Ils ont pris ses fils et ses filles, Ils l'ont fait périr elle-même avec l'épée; Elle a été en renom parmi les femmes, Après les jugements exercés sur elle. 11 Sa soeur Oholiba vit cela, Et fut plus déréglée qu'elle dans sa passion; Ses prostitutions dépassèrent celles de sa soeur. 12 Elle s'enflamma pour les enfants de l'Assyrie, Gouverneurs et chefs, ses voisins, Vêtus magnifiquement, Cavaliers montés sur des chevaux, Tous jeunes et charmants. 13 Je vis qu'elle s'était souillée, Que l'une et l'autre avaient suivi la même voie. 14 Elle alla même plus loin dans ses prostitutions. Elle aperçut contre les murailles des peintures d'hommes, Des images de Chaldéens peints en couleur rouge, 15 Avec des ceintures autour des reins, Avec des turbans de couleurs variées flottant sur la tête, Tous ayant l'apparence de chefs, Et figurant des enfants de Babylone, De la Chaldée, leur patrie; 16 Elle s'enflamma pour eux, au premier regard, Et leur envoya des messagers en Chaldée. 17 Et les enfants de Babylone se rendirent auprès d'elle, Pour partager le lit des amours, Et ils la souillèrent par leurs prostitutions. Elle s'est souillée avec eux, Puis son coeur s'est détaché d'eux. 18 Elle a mis à nu son impudicité, Elle a découvert sa nudité; Et mon coeur s'est détaché d'elle, Comme mon coeur s'était détaché de sa soeur. 19 Elle a multiplié ses prostitutions, En pensant aux jours de sa jeunesse, Lorsqu'elle se prostituait au pays d'Egypte. 20 Elle s'est enflammée pour des impudiques, Dont la chair était comme celle des ânes, Et l'approche comme celle des chevaux. 21 Tu t'es souvenue des crimes de ta jeunesse, Lorsque les Egyptiens pressaient tes mamelles, A cause de ton sein virginal. 22 C'est pourquoi, Oholiba, ainsi parle le Seigneur, l'Eternel : Voici, j'excite contre toi tes amants, Ceux dont ton coeur s'est détaché, Et je les amène de toutes parts contre toi; 23 Les enfants de Babylone et tous les Chaldéens, Nobles, princes et seigneurs, Et tous les enfants de l'Assyrie avec eux, Jeunes et charmants, Tous gouverneurs et chefs, Chefs illustres, Tous montés sur des chevaux. 24 Ils marchent contre toi avec des armes, des chars et des roues, Et une multitude de peuples; Avec le grand bouclier et le petit bouclier, avec les casques, Ils s'avancent de toutes parts contre toi. Je leur remets le jugement, Et ils te jugeront selon leurs lois. 25 Je répands ma colère sur toi, Et ils te traiteront avec fureur. Ils te couperont le nez et les oreilles, Et ce qui reste de toi tombera par l'épée; Ils prendront tes fils et tes filles, Et ce qui reste de toi sera dévoré par le feu. 26 Ils te dépouilleront de tes vêtements, Et ils enlèveront les ornements dont tu te pares. 27 Je mettrai fin à tes crimes Et à tes prostitutions du pays d'Egypte; Tu ne porteras plus tes regards vers eux, Tu ne penseras plus à l'Egypte. 28 Car ainsi parle le Seigneur, l'Eternel : Voici, je te livre entre les mains de ceux que tu hais, Entre les mains de ceux dont ton coeur s'est détaché. 29 Ils te traiteront avec haine; Ils enlèveront toutes tes richesses, Et te laisseront nue, entièrement nue; La honte de tes impudicités sera découverte, De tes crimes et de tes prostitutions. 30 Ces choses t'arriveront, Parce que tu t'es prostituée aux nations, Parce que tu t'es souillée par leurs idoles. 31 Tu as marché dans la voie de ta soeur, Et je mets sa coupe dans ta main. 32 Ainsi parle le Seigneur, l'Eternel : Tu boiras la coupe de ta soeur, Tu la boiras large et profonde; Elle te rendra un objet de risée et de moquerie; Elle contient beaucoup. 33 Tu seras remplie d'ivresse et de douleur; C'est la coupe de désolation et de destruction, La coupe de ta soeur Samarie. 34 Tu la boiras, tu la videras, Tu la briseras en morceaux, Et tu te déchireras le sein. Car j'ai parlé, Dit le Seigneur, l'Eternel. 35 C'est pourquoi ainsi parle le Seigneur, l'Eternel : Parce que tu m'as oublié, Parce que tu m'as rejeté derrière ton dos, Porte donc aussi la peine de tes crimes et de tes prostitutions. 36 L'Eternel me dit : Fils de l'homme, jugeras-tu Ohola et Oholiba ? Déclare-leur leurs abominations ! 37 Elles se sont livrées à l'adultère, et il y a du sang à leurs mains : Elles ont commis adultère avec leurs idoles; Et les enfants qu'elles m'avaient enfantés, Elles les ont fait passer par le feu Pour qu'ils leur servent d'aliment. 38 Voici encore ce qu'elles m'ont fait : Elles ont souillé mon sanctuaire dans le même jour, Et elles ont profané mes sabbats. 39 Elles ont immolé leurs enfants à leurs idoles, Et elles sont allées le même jour dans mon sanctuaire, Pour le profaner. C'est là ce qu'elles ont fait dans ma maison. 40 Et même elles ont fait chercher des hommes venant de loin, Elles leur ont envoyé des messagers, et voici, ils sont venus. Pour eux tu t'es lavée, tu as mis du fard à tes yeux, Tu t'es parée de tes ornements; 41 Tu t'es assise sur un lit magnifique, Devant lequel une table était dressée, Et tu as placé sur cette table mon encens et mon huile. 42 On entendait les cris d'une multitude joyeuse; Et parmi cette foule d'hommes On a fait venir du désert des Sabéens, Qui ont mis des bracelets aux mains des deux soeurs Et de superbes couronnes sur leurs têtes. 43 Je dis alors au sujet de celle qui a vieilli dans l'adultère : Continuera-t-elle maintenant ses prostitutions, et viendra-t-on à elle? 44 Et l'on est venu vers elle comme l'on va chez une prostituée; C'est ainsi qu'on est allé vers Ohola et Oholiba, Ces femmes criminelles. 45 Mais des hommes justes les jugeront, Comme on juge les femmes adultères, Comme on juge celles qui répandent le sang; Car elles sont adultères, et il y a du sang à leurs mains. 46 Car ainsi parle le Seigneur, l'Eternel : Je ferai monter contre elles une multitude, Et je les livrerai à la terreur et au pillage. 47 Cette multitude les lapidera, Et les abattra à coups d'épée; On tuera leurs fils et leurs filles, On brûlera leurs maisons par le feu. 48 Je ferai cesser ainsi le crime dans le pays; Toutes les femmes recevront instruction, Et ne commettront pas de crime comme le vôtre. 49 On fera retomber votre crime sur vous, Et vous porterez les péchés de vos idoles. Et vous saurez que je suis le Seigneur, l'Eternel.

Le texte est déjà cru. Chouraqui dans sa traduction en accentue la violence. Idoles devient "crottes" (conformément à une tradition de philologie hébraïque bien enracinée). Impudicité est remplacé par "putinerie", et là où le traducteur classique parlait de "nudité", c'est le mot "sexe "qui figure. Ainsi en 10 "ils ont découvert son sexe", en 18 "elle découvre son sexe" en 29 "ils t'abandonnent "nudité et sexe", "le sexe de tes puteries est découvert". Ce n'est plus le "reste de toi" qui tombe à l'épée en 25 mais le derrière, et c'est lui aussi qui est dévoré par le feu. Déchirer les seins devient "mutiler les seins" comme au début les "mamelles" "pressées" du début deviennent des "seins" "pelotés". Et le passage délicat (20) qui faisait rire Voltaire sur les ânes et les chevaux est traduit par "elle est plus lubrique que leurs concubins dont la chair est chair d’ânes et l’éjaculation éjaculation de cheval" (ce qui rejoint l'idée de semence abondante qu'évoquait Voltaire). Sur un plan plus spirituel "Mon coeur s'est détaché d'elle" au 17 devient "mon être se disjoint d'elle", ce qui laisse entendre que l'esprit de Dieu n'est plus présent à partir du moment où elle dévoile son sexe.

Je suis bien incapable de dire quelque chose de très original sur ce texte, mais je ferais juste quelques petites remarques. Tout d'abord on baigne là dans la dénonciation des systèmes de prostitution proche-orientaux, notamment du système assyrien autour d'Ishtar, qu'on avait abordé à propos des prophéties de Nahum en octobre dernier. On a l'équivalent aussi avec l'histoire de la phénicienne Jezabel (dont le nom "où est le prince" évoque le cri lancé rituellement dans les cérémonie quand Baal associé à Ishtar-Astarté dans la période où il est sous terre).

Je ne comprends pas pourquoi au niveau du 5 on est visuellement dans les tons bleus (Chouraqui traduit par Indigo). Je suis intrigué par le verset 14 où Oholiba voit une image de Chadéens rouges et s'enflamme en voyant cela. Le rôle des images dans l'initiation sexuelle et métaphysique ne laisse pas d'intriguer. En 2011 dans Raison présente, je m'étais interrogé sur la raison pour laquelle le stoïcien Chrysippe à Athènes enseignait à partir d'un tableau jugé pornographique qui représentait les débats de Zeus et Héra pendant la Guerre de Troie. Pourquoi donc est-ce que Oholiba est stimulée par des Babyloniens en rouge ? On se rappelle qu'Ishtar était coloriée à l'ocre rouge sur la célèbre plaque retrouvée au 19e siècle. Il y a quand même quelque chose de très étrange dans le fait de faire venir de Mésopotamie des hommes qu'on a vus en image sur les murailles d'une ville (laquelle ? Jérusalem ?). Etait-ce une projection miraculeuse démoniaque ? A-t-elle une signification ésotérique ?

Après il y a tous les excès : l'anthropophagie sur les enfants (dont on accusait aussi les adamites, dont on a déjà parlé ici), la violation du sabbat, et puis "mon encens et mon huile" (propriétés de Dieu) profanés par leur dépôt sur la couche des prostituées (cela fait penser au commerce des hosties consacrées condamné par l'apparition de Marie devant Yvonne de Malestroit dans les années 1940). On voit qu'on est ici dans la sexualité rituelle, la hiérodulie, ou si l'on veut des messes noires, c'est pourquoi Ohola et Oholiba ont du sang sur les mains, et quand Yahvé insiste sur le fait qu'elles sont "adultères", ce qui pourrait passer pour une banalité, cela doit sans doute s'entendre dans un sens vraiment terrible. On rejoint l'idée du chercheur Gregory Dean Cook que j'avais évoquée dans mon billet sur le système prostitutionnel d'Ishtar que c'est bien l'action de la déesse qui est attaquée à travers la dénonciation de la trahison de Jérusalem, mais dans un sens mystique qui reste encore très mystérieux compris dans le choix même des images.

Et puis il y a ces Sabéens, dont l'Islam fait un "peuple du livre" qui viennent couronner les deux prostituées. Pourquoi ?

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Ishtar dans le Livre de Nahum (Bible)

14 Octobre 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Ishtar, #Christianisme, #Anthropologie du corps, #Histoire des idées, #Histoire secrète

"14 - Voici ce que le Seigneur a décrété contre le roi de Ninive : Nulle descendance ne perpétuera ton nom. De la maison de tes dieux je supprimerai les idoles, qu’elles soient sculptées ou en métal fondu. Je te prépare un tombeau car tu es méprisable. "

Le chercheur indépendant Grégory Dean Cook dans son étude "Nahum’s Use of Ambiguity and Allusion to Prophesy the Destruction of Spiritual Powers" (accessible ici) montre dans son chapitre 5 que les imprécations du prophète Nahum contre Ninive sont d'abord des attaques contre ses dieux pour détruire leurs pouvoirs, aussi bien celui du dieu tutélaire du pouvoir assyrien, Assur, que celui d'Ishtar la déesse de sa capitale, Ninive.

Commençons par citer les passages qui nous intéressent :

2 / 8 : "La Princesse est déportée ; ses servantes sont emmenées, elles gémissent comme des colombes, elles se frappent la poitrine. "

3 / 4-7 :"04 Voilà pour les prostitutions sans nombre de la Prostituée, belle et pleine de charme, maîtresse en sortilèges, prenant des nations dans ses filets par ses prostitutions, et des peuples par ses sortilèges !

05 Maintenant je m’adresse à toi – oracle du Seigneur de l’univers – : je vais relever ta robe jusqu’à ton visage, j’exhiberai ta nudité devant les nations, devant les royaumes ton infamie.

06 Je vais jeter sur toi des choses horribles, te déshonorer, te donner en spectacle.

07 Tous ceux qui te verront s’enfuiront en disant : « Ninive est dévastée ! Qui la plaindra ? » Où donc te trouver des consolateurs ? "

Contre les études féministes qui voyaient dans ces passages de simples imprécations machistes guerrières, Cook remarque que ceux ci n'accusent pas la reine de Ninive de se prostituer mais d'être une sorte de "maquerelle" d'une "opération internationale de trafic humain", et de la plus grande maison close du monde. C'est son pouvoir d'asservir d'autres femmes qui est en cause. L'attaque vise Ishtar mais aussi la reine phénicienne Jezabel qui ayant épousé le roi Achab introduit le culte d'Ishtar-Astarté en Samarie au IXe siècle av JC.

Le verbe "déportée" dans le vers 2/8 est parfois traduit par "dépouillée", ce qui peut faire allusion à la descente d'Ishtar aux Enfers dans la mythologie suméro-assyrienne où elle est rituellement dénudée. Cela fait aussi écho à l'incapacité du roi d'Assyrie à protéger les femmes, mission qui fait partie de son sacerdoce, et qui se révèle dans le fait que les femmes assyriennes ne figurent pas sur les bas reliefs assyriens (elles sont protégées par leurs maisons et leurs maris), tandis que celles des autres peuples le sont parce que leurs mauvais rois ne les ont pas protégés.

Cook remarque que dans le Livre des rois, ce ne sont pas les soldats qui ont dépouillé Jézabel, mais les chiens plus intéressés par sa chair que par ses vêtements ("Quant à Jézabel, les chiens la dévoreront dans le champ de Yizréel ; personne ne l'enterrera" - 2 Rois 9/9). Les verbes pour "renverser" ou "emmener au sacrifice" sont les mêmes pour la reine de Nahum que pour Jézabel dans le second livre des rois.

Ishtar pratiquait la sorcellerie (2 Rois 9/22), ce que rappelle Nahum avec ce passage "la Prostituée, belle et pleine de charme, maîtresse en sortilèges", la "maîtresse" בעלת renvoyant aussi au fait qu'elle est la partenaire de Baal. C'est aussi un terme appliqué à la sorcière d'Endor dans le livre de Samuel.

Cook observe que les vers suivants sur la robe de la reine ou de la déesse de Ninive relevée ne peuvent pas se réduire à une scène de viol en temps de guerre (comme le fait la lecture féministe américaine récente du Livre de Nahum), car on ne comprend pas ensuite pourquoi cela fait fuir les gens.

Quand Yahvé dit "je vais jeter sur toi des choses horribles" le mot hébreu pour "horrible", "abominable" שקצים (sheqets) qui est employé se réfère toujours à des cultes idolâtres.

Par conséquent Yahvé signifie en relevant la robe qu'il va révéler la vraie nature de la déesse, son côté démoniaque, en la désacralisant, et c'est cela qui provoquera la fuite de la population qui prendra conscience du leurre dont elle a été victime. Cook rappelle que, comme Ishtar avec Guilgamesh, l'Assyrie a souvent usé de son pouvoir de séduction autant que de son pouvoir de menace.

"Ishtar’s naked body played a crucial role in her cult, as evidenced by both literature and art", note Dean. Et là, la robe relevée ironiquement est une inversion totale de l'attirance de sa nudité divine (Zainab Bahrani, Women of Babylon: Gender and Representation in Mesopotamia, London: Routledge, 2001, 43). En Assyrie toute représentation d'une femme nue renvoyait à Ishtar (Julian Reade, “The Ishtar Temple at Nineveh,” Iraq 67, no. 1 (March 2005): 347).

Ishtar de Ninive est la Prostituée זונה, et c'est ainsi que les textes mésopotamiens la désignent. "Hiérodule de An, destructrice de la terre étrangère" dit le premier texte sumérien connu dédié à Ishtar. Dean n'hésite pas à comparer l'Assyrie avec le monde actuel du trafic sexuel globalisé.

La charge du prophète Nahum peut être lue comme une condamnation de ce système de prostitution à grande échelle des nations et des cœurs, dans lequel le trafic des femmes servait de monnaie d'achat de la clientèle des rois soumis.

Cette vaste dénonciation du système de prostitution des âmes autour d'Ishtar peut aussi inclure la reine Naqia (vers 715 av JC), femme du roi Sennacherib et belle fille de Sargon II. Elle parvint à cumuler des pouvoirs politiques et religieux, donner le pouvoir à son fils Esarhaddon que les Assyriens finirent par attribuer à des actes de magie de sa part. Il est possible que Nahum ou Yahvé ait pensé à elle comme un agent qui a contribué à l'assise magique de Ninive et d'Ishtar. Dans Nahum 1/8 et 1/11 la prophétie fait un jeu de mots sur Calah, ville assyrienne où Naqia imposa des rites religieux. Cependant si le texte du Livre de Nahum est de 639 av JC il est trop tardif par rapport à la vie de Naqia. Cela supposerait que Naqia soit devenue une sorte d'image générique de la dépravation morale et spirituelle dans la hiérodulie d'Ishtar.

L'article de Gregory Dean incontestablement aide à comprendre l'ampleur du crime auquel les prophètes israélites s'attaquaient quand ils prophétisaient contre Ninive, et spécialement le versant séducteur de ce crime à travers la figure d'Ishtar. Il est en tout point particulièrement convaincant et l'on pourrait même trouver d'autres arguments que ceux de Dean allant aussi dans son sens (par exemple le fait que les servantes chassées "gémissent comme des colombes", oiseau auquel on identifie Ishtar).

Pour finir, terminons par ce bref rappel sur l'Assyrie.

"Quelque opinion qu’on ait sur la véracité de Justin ou de Trogne-Pompée, car il y a des historiens plus exacts qui les ont convaincus plus d’une fois d’infidélité, toujours est-il qu’on tombe d’accord que Ninus étendit beaucoup l’empire des Assyriens. Et quant à la durée de cet empire, elle excède celle de l’empire romain, puisque les chronologistes comptent douze cent quarante ans depuis la première année du règne de Ninus jusqu’au temps de la domination des Mèdes" écrivait Saint Augustin au chapitre 6 du livre IV de la Cité de Dieu en se fondant sur la chronologie d'Eusèbe. Il y avait donc à cette époque une perception de l'empire assyrien comme ayant battu un record de longévité. Si l'on va du début de l'Assyrie au 20e siècle av JC la fin du royaume en 609, on couvre une période de 1 400 ans, et même la période impériale stricto sensu, 800 ans, est en effet plus longue que la période impériale de Rome.

Aujourd'hui on le reconnait comme étant le premier empire universel de l'Antiquité (voir Frederick Mario Fales, Guerre et paix en Assyrie, Cerf), cet empire ayant commencé son expansion au 14e siècle av JC, et son roi ayant le qualificatif de "roi des quatre régions du monde".

Fales montre comment l'impérialisme assyrien, comme celui de César-Auguste, fonctionnait sur la base d'un ordre divin, celui du dieu Assur, auquel les autres divinités locales étaient inféodées (les statues des dieux des peuples conquis étaient amenées à Ninive pour intégrer la cour céleste d'Assur, comme les rois de ces peuples étaient vassalisés), et qui ordonnait l'action militaire, comme il présidait aux pactes de paix. Son ordre divin juste, qui se traduisait par l'ordre social "civilisé" de la société assyrienne, avait pour serviteur tout puissant mais humble le roi d'Assyrie. L'Assyrie récupérait à son profit tous les acquis civilisationnels et théologiques de Sumer et de la Babylonie. Le roi se rendait rituellement à Ninive, Babylone, Harran (ville du culte lunaire) pour y rendre hommage aux dieux respectifs de ces cités et se concilier leurs pouvoirs.

Les similitudes entre l'Assyrie et l'Empire occidental de notre époque crèvent les yeux, je trouve.

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Assyrie

13 Octobre 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Ishtar

"Quelque opinion qu’on ait sur la véracité de Justin ou de Trogne-Pompée, car il y a des historiens plus exacts qui les ont convaincus plus d’une fois d’infidélité, toujours est-il qu’on tombe d’accord que Ninus étendit beaucoup l’empire des Assyriens. Et quant à la durée de cet empire, elle excède celle de l’empire romain, puisque les chronologistes comptent douze cent quarante ans depuis la première année du règne de Ninus jusqu’au temps de la domination des Mèdes" écrivait Saint Augustin au chapitre 6 du livre IV de la Cité de Dieu en se fondant sur la chronologie d'Eusèbe. Il y avait donc à cette époque une perception de l'empire assyrien comme ayant battu un record de longévité. Si l'on va du début de l'Assyrie au 20e siècle av JC la fin du royaume en 609, on couvre une période de 1 400 ans.

Aujourd'hui on le reconnait comme étant le premier empire universel de l'Antiquité voir (Frederick Mario Fales, Guerre et paix en Assyrie, Cerf), cet empire ayant commencé son expansion au 14e siècle av JC, et son roi ayant le qualificatif de "roi des quatre régions du monde".

Fales montre comment l'impérialisme assyrien, comme celui de César-Auguste, fonctionnait sur la base d'un ordre divin, celui du dieu Assur, auquel les autres divinités locales étaient inféodées, et qui ordonnait l'action militaire, comme il présidait aux pactes de paix. Son ordre divin juste, qui se traduisait par l'ordre social "civilisé" de la société assyrienne, avait pour serviteur tout puissant mais humble le roi d'Assyrie. L'Assyrie récupérait à son profit tous les acquis civilisationnels et théologiques de Sumer et de la Babylonie. Le roi se rendait rituellement à Ninive, Babylone, Harran pour y rendre hommage aux dieux respectifs de ces cités et se concilier leurs pouvoirs.

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Dilmun, le paradis des Sumériens

10 Mars 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Ishtar

gilgamesh.jpgDans  Dilmun and its neighbours, Harriet E. W. Crawford (Cambridge university Press, 1998) démontre en quoi l'identification entre Dilmun et le Bahrein est juste, bien qu'il n'y ait jamais eu de mines de métal au Bahrein, mais il était un entrepôt du cuivre de la péninsule d'Oman (Magan), à laquelle il est souvent associé dans les tablettes cunéiformes d'Akkad, ainsi que Meluhha (la culture de l'Indus). Dilmun est aussi associée à la pêche et aux perles.

 

En 1878, le capitaine Durand décrivit un pied de statue retrouvé dans une mosquée (mais détruit dans le blitz de Londres en 1940) portant une dédicace cunéiforme au dieu Inzak d'Agarum par un certain Rimum. Ce dieu est généralement présenté comme le principal dieu de Dilmun, et le fils du dieu de l'eau mésopotamien Enki.

 

Dès 2 200 av JC une ville de 30 ha existe au Bahrein derrièe des murailles, avec un Etat centralisé - voir le mémoire d'Ashkanani Diss "Interregional Interaction and Dilmun Power in the Bronze Age: A Characterization Study of Ceramics from Bronze Age Sites in Kuwait" University of South Florida in Spring 2014). Vers 2 000 les habitants de Dilmun ont colonisé l'île de Falaka au large du Koweit, qui éclipsa le Bahrein vers 1 500 et peut-être même le domina (cf Pott, 1983). Dans la seconde moitié du deuxième millénaire, elle devient une province de l'empire babylonien, dont les ressources sont exploitées, notamment le lapiz-lazuli.

 

Les textes du deuxième millénaire mésopotamiens décrivent Dilmun comme un paradis d'eau et de végétation. C'est là que Gilgamesh rencontre Ziusudra, survivant du déluge, rendu immortel pour avoir sauvé l'humanité. Cette idéalisation, nous dit Crawford, dans des traditions antérieures à 2800 av JC résulte peut-être d'une perte de contact avec Dilmun avant 3 200. Il ne réapparait que vers 3 000. Certaines thèses étendent Dilmun au delà du Bahrein à toute la côte de la péninsule arabique.

 

Gilgamesh apprend qu'il doit trouver des plantes ou des fleurs qui poussent sur le lit de la mer. Il attache des pierres à ses pieds ce qui évoque la tradition des pêcheurs de perles du Bahrein (cf Robin A. Donkin, " Beyond price - pearls and pearl fishing Origins to the Age of Discoveries, 1998, Publisher: American Philosophical Society p. 48). Les "fleurs d'immortalité" peuvent être des perles. En Sanskrit on les appelle manjari, fragments de bourgeons (cluster of blossoms). Il faut penser aux vertus médicinales des perles. Et les perles des huitres apparaissent là où l'eau salée s'est mélangée aux jets soys marins d'eau douce (superposition de deux eaux qui a donné le nom du Bahrein - bahrani). A moins que ces "fleurs" soient des coraux.

 

Mais Gilgamesh s'endort et un serpent vole ses fleurs d'éternité.

 

Pour Brigitte Lion (dans Représentations du temps dans les religions : Actes du colloque organisé p par le Centre d'Histoire des Religions de l'Université de Liège, dir Vinciane Pirenne-Delforge et Öhnan Tunca, Presses universitaires de Liège 2003), le paradis de Dilmun, figurant au début du mythe d'Enki et Ninhursag serait un monde à venir plus qu'un paradis originel. Elle exclut que ce mythe ait influencé la Genèse car il n'a pas eu d'écho après 1900 av JC (à la différence du Poème babylonien de la Création Enuma Elis, qui lui était lu à chaque fête du nouvel an à l'époque néo-babylonienne). Et d'ailleurs la notion de paradis seraitune invention hellénistique transformant le mot perse "gan" (jardin). Les premiers temps chez les sumériens n'auraient rien d'idylliques

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Le Livre d'Esther

1 Juillet 2014 , Rédigé par CC Publié dans #Ishtar

esther.jpgLe livre d'Esther dont je parlais il y a peu fait partie de ces ouvrages de l'Ancien Testament sur lesquels il faut savoir revenir à divers moments de sa vie.

 

C'est une belle histoire avec des passages très intéressants sur le fonctionnement de l'absolutisme perse, avec les règles de mépris en cascade et de mimétisme qu'il produit (côté mimétisme je pense à la crainte des grands de l'empire quand ils découvrent que la première femme d'Assuerus refuse de voir son mari : nos épouses feront-elles de même ? - notez qu'on n'est pas loin dans ce passage d'une ambiance à la Lysistrata d'Aristophane...)

 

Le livre pose une question : qu'est-ce que c'est que d'être en contact direct avec le divin ? Qu'est-ce que ça implique ? Il y a un peuple, qui est élu de Dieu (souvenez vous que les péripatéticiens grecs considéraient les Juifs comme un peuple de philosophes, notamment à cause des fortes prescriptions alimentaires, comportementales et éthiques, les unes n'allant pas sans les autres, qu'ils appliquaient), un peuple qui donc n'a pas vocation à être ni dans le mépris en cascade, ni dans le mimétisme, et qui, de ce fait, s'attire des jalousies (et même dans le livre d'Esther une volonté d'extermination). Il doit donc pratiquer sa foi clandestinement comme Esther. Le lien avec Dieu ne lui promet pas une hégémonie, mais une compensation symétrique, un rétablissement dans ses droits selon les règles de la justice (celui qui voudrait pendre sera pendu) et cela à soi seul montre que Dieu "ne laisse pas tomber". Mais pour le reste, le peuple élu ne cherche pas de bien terrestre, car, pour lui, la soumission au pouvoir d'un homme (le Roi des rois, mais on pourrait dire de tout homme et de toute femme), est une soumission au néant (c'est très clairement dit dans le texte), et c'est pourquoi aux fastes de la cour s'opposent en permanence le deuil, les sacs, les cendres (de Mardochée, d'Esther) qui sont autant de renoncement aux fastes.

 

Esther ne renoue avec sa splendeur que pour sauver son peuple, elle se pare de ses habits de reine pour aller parler à son époux le roi. Et notez qu'elle ne le fait même pas pour son peuple mais pour son Dieu : pour que son Dieu ait encore des "bouches" pour témoigner de lui. Cela aussi est écrit en toutes lettres.

 

Je voudrais dire aussi un mot des deux prières qui figurent dans ce livre : celle de Mardochée et celle d'Esther. Ce sont des professions de foi, des appels au Tout-Puissant, mais aussi, de ce fait, des incantations magiques, des appropriations de pouvoirs magiques. Esther revêtue des insignes royaux risque la mort en allant implorer le roi sans y avoir été invitée. Les lois du harem le lui interdisent. Elle ne survivra que si elle inspire de la bienveillance au roi et si celui-ci pose son sceptre d'or sur son cou. Devant lui elle défaille de peur. Mais c'est parce qu'elle a invoqué son Dieu qu'au milieu de son trouble celui-ci produit le miracle : il lui fait trouver les mots justes, et attendrit le coeur du roi, préparant ainsi un retournement complet de la situation du peuple juif captif. Le retournement vient de Dieu, comme récompense de la foi, mais il n'a été provoqué que par l'humilité de Mardochée et Esther, leur persévérance dans la résistance à la loi des hommes, leur fidélité à leur divinité, celle avec qui ils ont un contact intime depuis Abraham (le lien d'une promesse paternelle), tout cela s'étant noué dans la parole sacrée de la prière.

 

Aussi, si je trouve intéressant comme je l'indiquais récemment qu'Arnold Lebeuf repère dans Esther tous les traits d'Ishtar (qu'il retrouvera aussi dans Marie-Madeleine), je crois qu'Esther reste profondément une anti-Ishtar parce qu'elle est une anti-reine. Elle est une "ancilla domini" comme la Vierge Marie, et ne trouve de sens et de pouvoir existentiel que dans ce lien intime avec l'absolu, qui est un lien sans compromis avec le pouvoir politique (ou affectif) terrestre.

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Esther-Ishtar

28 Juin 2014 , Rédigé par CC Publié dans #Ishtar

En octobre 1994, lorsque je vivais à Madrid, après avoir vu (les 17 et 18 octobre, deux fois en 36 heures) "Trois couleurs : Rouge" du cinéaste polonais Krysztof Kieslowski, j'ai tenté d'écrire une nouvelle sur Esther, personnage biblique dont l'univers nous plonge dans les cours des rois perses.

 

J'étais dans une sorte de retour à la spiritualité. Je lisais le 5 octobre "Moi, Le Gardien De Mon Frère ?" de Abecassis, je réfléchissais sur l'apport de la pensée juive (Lévinas, Cassirer, Benjamin), après avoir vécu 6 mois dans la ville de Rachi, à Troyes. Le lundi 17 octobre 1994 à 6 h 58 j'écrivais dans mon journal : "Cette nuit j'ai pensé travailler sur un mythe féminin. J'ai pensé à la culture juive et à Judith, croyant qu'elle avait été reine. Mais après mon passage à la FNAC, il me semble que c'est Esther qui 'colle' mieux à l'idéal féminin que je veux mettre en scène (et qui ressemble beaucoup à Irène Jacob dans 'Rouge'). Esther, image de la culture clandestine, en exil parmi les idolâtres, une thèse éminemment métaphysique. Mais je voudrais le traiter sous un angle résolument moderne. Il faut que pendant une bonne partie du roman on ne sache pas si cela se passe aujourd'hui ou dans l'Empire perse : une façon de faire entrer le lecteur lentement, sans à-coup, et à tâtons dans le passé. Une façon aussi de montrer que le temps n'existe pas". Je n'ai écrit qu'une page ou deux de ce roman qui, en novembre 1994 n'était déjà plus qu'un vieux souvenir. A la Fnac de Callao j'avais acheté le Esther de Racine que je n'ai jamais lu.

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Aujourd'hui je tombe sur un très bel article, "Maria Magdalena, the Morning Star" d'Arnold Lebeuf, un anthropologue spécialiste de la paléo-astrologie pour lequel j'ai une admiration sans borne (il enseigne à Cracovie, décidément tout tourne autour de la Pologne) publié dans Vistas in Astronomy, acte d'une conférence de juin-juillet 1994 (toujours 1994...), sous la direction de Peter Beer, Archie E. Roy et Raymond E. White aux éditions Pergamon (p. 591-603). Une partie du chapitre est consacré à Esther, dont le livre est le premier qui comporte le mot "juif" et fut donc le lieu de la naissance de la nation juive, note Lebeuf, en même temps que de la fête de Pourim.

 

lebeuf.jpgLebeuf insiste sur le lien entre Esther et Ishtar la déesse de l'amour (et donc de l'étoile qui suit le soleil au levant), pas seulement par l'étymologie et parce qu'elle se comporte comme l'épouse parfaite du roi des rois. La période de trois jours de deuil qu'elle vit quand elle apprend le projet d'extermination des israélites rappelle la descente aux enfer d'Inanna (la déesse mésopotamienne), et elle parle de maîtriser le lion (le roi Assuerus=Xerxès Ier) comme Ishtar le fit (conjonction de Venus et du Soleil). Esther donc serait Ishtar, la colombe, et l'étoile du matin (dont Lebeuf remarque qu'elle fut très présente à Marseille avec les Phéniciens - site de Phos, inscription de l'abbaye de St Victor - et se prolonge dans Marie-Madeleine dont la fête le 22 juillet correspond à l'entrée du soleil dans la constellation du Lion). Esther comme Marie-Madeleine parfumait les pieds du "lion" (Asuerus = Jésus dans le Nouveau Testament). La lecture mythologique et astrologique enrichit bigrement la thématique...

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