Le Livre d'Esther
1 Juillet 2014 , Rédigé par CC Publié dans #Ishtar
Le livre d'Esther dont je parlais il y a peu fait partie de ces ouvrages de l'Ancien Testament sur lesquels il faut savoir revenir à divers moments de sa vie.
C'est une belle histoire avec des passages très intéressants sur le fonctionnement de l'absolutisme perse, avec les règles de mépris en cascade et de mimétisme qu'il produit (côté mimétisme je pense à la crainte des grands de l'empire quand ils découvrent que la première femme d'Assuerus refuse de voir son mari : nos épouses feront-elles de même ? - notez qu'on n'est pas loin dans ce passage d'une ambiance à la Lysistrata d'Aristophane...)
Le livre pose une question : qu'est-ce que c'est que d'être en contact direct avec le divin ? Qu'est-ce que ça implique ? Il y a un peuple, qui est élu de Dieu (souvenez vous que les péripatéticiens grecs considéraient les Juifs comme un peuple de philosophes, notamment à cause des fortes prescriptions alimentaires, comportementales et éthiques, les unes n'allant pas sans les autres, qu'ils appliquaient), un peuple qui donc n'a pas vocation à être ni dans le mépris en cascade, ni dans le mimétisme, et qui, de ce fait, s'attire des jalousies (et même dans le livre d'Esther une volonté d'extermination). Il doit donc pratiquer sa foi clandestinement comme Esther. Le lien avec Dieu ne lui promet pas une hégémonie, mais une compensation symétrique, un rétablissement dans ses droits selon les règles de la justice (celui qui voudrait pendre sera pendu) et cela à soi seul montre que Dieu "ne laisse pas tomber". Mais pour le reste, le peuple élu ne cherche pas de bien terrestre, car, pour lui, la soumission au pouvoir d'un homme (le Roi des rois, mais on pourrait dire de tout homme et de toute femme), est une soumission au néant (c'est très clairement dit dans le texte), et c'est pourquoi aux fastes de la cour s'opposent en permanence le deuil, les sacs, les cendres (de Mardochée, d'Esther) qui sont autant de renoncement aux fastes.
Esther ne renoue avec sa splendeur que pour sauver son peuple, elle se pare de ses habits de reine pour aller parler à son époux le roi. Et notez qu'elle ne le fait même pas pour son peuple mais pour son Dieu : pour que son Dieu ait encore des "bouches" pour témoigner de lui. Cela aussi est écrit en toutes lettres.
Je voudrais dire aussi un mot des deux prières qui figurent dans ce livre : celle de Mardochée et celle d'Esther. Ce sont des professions de foi, des appels au Tout-Puissant, mais aussi, de ce fait, des incantations magiques, des appropriations de pouvoirs magiques. Esther revêtue des insignes royaux risque la mort en allant implorer le roi sans y avoir été invitée. Les lois du harem le lui interdisent. Elle ne survivra que si elle inspire de la bienveillance au roi et si celui-ci pose son sceptre d'or sur son cou. Devant lui elle défaille de peur. Mais c'est parce qu'elle a invoqué son Dieu qu'au milieu de son trouble celui-ci produit le miracle : il lui fait trouver les mots justes, et attendrit le coeur du roi, préparant ainsi un retournement complet de la situation du peuple juif captif. Le retournement vient de Dieu, comme récompense de la foi, mais il n'a été provoqué que par l'humilité de Mardochée et Esther, leur persévérance dans la résistance à la loi des hommes, leur fidélité à leur divinité, celle avec qui ils ont un contact intime depuis Abraham (le lien d'une promesse paternelle), tout cela s'étant noué dans la parole sacrée de la prière.
Aussi, si je trouve intéressant comme je l'indiquais récemment qu'Arnold Lebeuf repère dans Esther tous les traits d'Ishtar (qu'il retrouvera aussi dans Marie-Madeleine), je crois qu'Esther reste profondément une anti-Ishtar parce qu'elle est une anti-reine. Elle est une "ancilla domini" comme la Vierge Marie, et ne trouve de sens et de pouvoir existentiel que dans ce lien intime avec l'absolu, qui est un lien sans compromis avec le pouvoir politique (ou affectif) terrestre.
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