A propos du documentaire : Des médecines parallèles aux pires dérives
En tant qu'auteur d'un livre sur les médiums, je continue de suivre le discours des médias sur les médecines parallèles. Ceux-ci ne m'invitent jamais (à part une interview dans Madame Figaro il y a trois ans), mais je ne m'en plains pas, le petit chemin que mon livre se fraie dans les milieux universitaires me suffisant.
Je regardais avant hier ce documentaire d' "Investigations parallèles", une chaîne You Tube qui compte plus de 2 millions d'abonnés (le documentaire lui même a été vu 157 000 fois en un an). Il s'intitule "Des médecines parallèles aux pires dérives"
Le discours que tient ce documentaire est le suivant : il existe de mauvais guérisseurs, qui vous empêchent de recourir à la médecine scientifique, des sectaires qui vous coupent de votre famille et vous laissent crever de votre cancer en vous soutirant le plus d'argent possible, et puis, peut-être, des guérisseurs plus utiles, comme les rebouteux et les magnétiseurs, qui ont des dons hérités de père en fils et de mère en fille, dans les campagnes notamment.
Ceux qui ont lu mon livre sur les médiums savent que j'ai eu un vécu dans ce milieu intense et qui est allé très loin en 2014-2015. L'analyse que j'en ai fait après beaucoup de lectures et d'interviews est quelque peu différente. Je vais essayer de la synthétiser ici.
Tout d'abord, dans cette affaire tous les mots sont piégés : qu'est-ce que le magnétisme ? que signifie guérir ? qu'est-ce qu'une maladie ? etc
Essayons de reprendre les choses à la base. Toute souffrance, même légère, peut être le symptôme d'un début de maladie, qu'il s'agisse d'une souffrance morale ou d'une souffrance physique. Il y a un continuum entre la légère brûlure d'estomac et l'ulcère, par exemple. Et toute personne à ce stade a un pouvoir de guérison sur autrui. Le physicien Yves Rocard avait montré que beaucoup de gens ont de la magnétite dans les mains, donc beaucoup de gens sont potentiellement magnétiseurs, ce qui ne signifie pas pour autant que, si ces personnes dont les mains magnétisent essaient de guérir autrui elles obtiendront des résultats (et d'ailleurs il y a des sortes de fluides très différents qui passent par les mains des magnétiseurs : des chauds, des froids etc). Cela ne marchera pas sur tous les types et sur tous les degrés de pathologie. Cela peut marcher une fois et ne plus jamais marcher etc.
Si l'on comptabilise toutes les personnes qui ont du magnétisme dans les mains, cela fait beaucoup de guérisseurs potentiels. Mais il faut élargir le propos. En réalité vous pouvez guérir aussi, aux stades premiers des symptômes, par la parole. En faisant plaisir à un de vos proches ou à un inconnu dans la rue, par un sourire, une parole particulièrement libératrice et pertinente etc. Comme me l'avait dit une entité en 2014 dans une canalisation par la voix d'un médium : "tes livres guérissent les gens". J'avais trouvé cela un peu exagéré, mais si l'on parle des touts premiers symptômes de la maladie, un texte, une parole, un regard même peuvent guérir en donnant des forces à autrui pour combattre des embryons de dégénérescence ou des pathologies. En ce sens il y a des milliards d'actes de guérison tous les jours dont nous n'avons pas conscience (et je ne parle même pas des prières, et actes tournés vers le monde invisible, immanent ou transcendant, qui eux aussi modifient des équilibres subtils - il faudrait ici évoquer les travaux de Sheldrake sur les champs morphiques).
Quelle est la valeur de ces guérisons ? faut-ils (comme l'a décidé le conseil scientifique du sanctuaire de Lourdes) qu'elles soient définitives dans la durée pour être valorisées (je repense à cette évangélique qui guérit par ses prières une tendinite que j'avais depuis 4 ans, mais cela ne dura qu'un quart d'heure, et la tendinite, 3 ans après sa prière, est toujours là) ? Faut-il qu'il y ait intervention de phénomènes inexplicables par les lois naturelles comme la reconstitution "miraculeuse" de tissus ? etc.
Ce qui est absolument certains, c'est que, parmi les milliards de gens qui peuvent réaliser des micro-guérisons chaque jours, il en est qui en réalisent de plus spectaculaires et beaucoup. Quelle est l'origine de ce don ? Est-ce une décision souveraine du Créateur de ce monde ? Les positivistes aiment imaginer qu'il y a quelque hérédité là dedans. Ils le mettent en avant concernant notamment les guérisseurs/rebouteux. A supposer que ce soit vrai, cela ne fait que déplacer la question dans le temps : comment l'ancêtre, si cela vient de lui, a-t-il pu recevoir le don au début ?
Je l'ai dit dans mon livre : parfois le don a des origines très singulières - par exemple une expérience de mort imminente. Et beaucoup quand on les travaille un peu avouent que c'est une présence, un être invisible qui s'est manifesté en leur conférant cela. D'autres fois on entrevoit quelque chose de très suspect, dans pouvoir vraiment dire de quoi il s'agit, comme cette magnétiseuse de l'agglomération paloise qui m'avait avoué qu'elle avait contracté son "pouvoir" en fréquentant des familles tziganes quand elle était petite, milieu où la pratique de la sorcellerie est tout à fait monnaie courante.
Si certains exagèrent la portée de leurs pouvoirs ou leur côté surnaturel, d'autres au contraire le dissimulent pour ne pas effrayer leur clientèle rationaliste, préférant dire que tout est purement naturel et sera un jour sans doute expliqué par la science. Mais qu'il y ait quelque chose de réellement surnaturel qui accompagne le pouvoir magnétique est souvent incontestable, comme dans le cas du premier médium que j'ai fréquenté qui pouvait dire avec précision quand mon grand père maternel était décédé, en se faisant le porte-parole, disait-il, des "esprits".
A l'aune de ces paramètres étranges qui touchent au monde invisible et au paranormal, il est assez difficile de trancher entre le bon et le mauvais guérisseur. Contrairement à ce qui est dit dans ce documentaire, il n'y a pas d'un côté l'escroc manipulateur et de l'autre le brave paysan qui veut aider de bon cœur son prochain. Le guérisseur altruiste peut se muer en escroc sans s'en rendre compte (en surestimant ses pouvoirs, en faisant trop confiance à sa petite voix intérieure sans se demander si elle vient vraiment de Dieu), le paysan bien intentionné peut être la dupe de forces qui le dépassent. Il n'y a pas de règle de discernement générale, on sent rapidement que tout dépend du positionnement du patient lui-même, son aptitude à s'inscrire dans un système de foi à la fois avisé et positif, sans verser lui-même dans l'orgueil. Bref, cela devient rapidement très complexe, et fait intervenir aussi le rapport aux révélations religieuses multi-millénaires (les religions monothéistes) que, n'en déplaise aux médias, on ne peut pas écarter comme ça d'un revers de main en faisant "comme si" elles n'avaient jamais rien dit de pertinent sur le sujet. Ces révélations nous font notamment nous interroger sur l'opportunité de confier notre santé à un être de chair et de sang, en faisant comme si ce n'était pas à notre créateur dans décider. Bref, cela nous fait entrer rapidement dans des interrogations philosophiques et spirituelles sur le sens général de l'existence individuelle, dont la problématique de la guérison n'est qu'un aspect, peut-être à la limite secondaire. Le bon alignement avec le Créateur (ou si l'on veut ses forces cosmiques), devient ainsi plus important que le bien-être (ou la guérison), lequel vient par surcroît quand la bonne direction est trouvée, et les mains du guérisseur deviennent alors peut-être inutiles, de même qu'éventuellement ses prières rituelles auxquelles tout un chacun peut trouver des substituts bien plus efficaces par une bonne connexion à la transcendance.
Encore un mot sur Richard Bentley
Dans mon livre sur les services juridiques de l'Etat (p. 298) j'ai parlé de l'histoire du principe du contradictoire ("audi alteram partem" : il faut écouter le point de vue de l'autre, entendre sa défense) et, encore il y a cinq ans, je rappelais qu'une mésaventure survenue à Richard Bentley en 1723 fut à l'origine de l'invention en Angleterre de ce principe du contradictoire, transposé par les libéraux en France au XIXe siècle (notamment par les tendances anglomanes du Conseil d'Etat au XIXe siècle, ceux que Leroux appelait "la France carthaginoise". Finalement le principe s'est introduit dans toutes les procédures administratives en France et dans les autres pays européens)
Notons que Bentley fut par ailleurs auteur de "La friponnerie laïque des prétendus esprits-forts d'Angleterre, ou Remarques de Phileleuthere de Leipsick sur le Discours de la liberté de penser" qui fut traduit en français par Armand Boisbeleau de La Chapelle, écrivain protestant français exilé qui avait tout intérêt à faire cause commune avec Bentley. C'est une réaction à la parution sous couvert d'anonymat en 1713 du Discours sur la liberté de penser d’Anthony Collins qui avait mis Londres en ébullition et affaibli le parti Whig au pouvoir en Angleterre. Le livre allait si loin dans l'athéisme qu'il affaiblissait les défenseurs de la liberté en les faisant passer par ses excès pour des bandits anarchistes, et jetait l'opprobre sur le protestantisme capable de devenir un tel nid de vipères.
Collins avait, outre ce discours, fait paraître aussi en 1710 "Priestcraft in perfection" traduit en français par "La friponnerie ecclésiastique portée à son comble", que La Chapelle décrit comme une entreprise "don quichottesque" contre toute forme de cléricalisme auquel il finit par donner une portée totalement antichrétienne.
Parmi les réponses à cette provocation, celle de Bentley, nous dit La Chapelle, fut la plus impérieuse car à la fois elle démontait la lecture historique que Collins faisait des autorités ecclésiastiques et discréditait l'honnêteté intellectuelle de l'auteur (alors, nous dit le traducteur, que les déistes ont tendance à se draper dans la pureté morale).
Vous savez que depuis mon passage par les magnétiseurs, je prête une certaine attention à la question de la sorcellerie (cf mon livre). J'observe que la question n'est pas absente du livre. On se souvient que dans les années 1660 en Angleterre sous la plume notamment de Glanvill dont on a déjà parlé, la question était d'une certaine importance, alors qu'en France Louis XIV allait encore affronter une affaire de sorcellerie, et Colbert ne mettra fin à la condamnation des sorciers qu'en 1682.
Collins, note Bentley, attribuait aux progrès de la liberté de penser un mérite : celui d'avoir fait déchoir en Grande-Bretagne "le pouvoir que l'on attribue au diable dans les possessions, et dans les sortilèges" (p. 78 de la traduction). Le théologien répliquait que c'était faux car les prêtres anglicans estimaient que les sortilèges existaient, et que c'est la loi votée en 1562 à l'initiative de la chambre basse qui avait qualifié d'acte de félonie "l'usage et la pratique des enchantements, de la magie et des sortilèges" de sorte qu'on ne pouvait en imputer le responsabilité aux ecclésiastiques.
A propos de la loi sur les sorcières, La Chapelle se réfère à John Stype, et cite ce passage en note de bas de page : "La raison qui fit porter ce Projet, vint du grand nombre d'Enchanteurs, de Sorciers & de gens qui invoquent le malin Esprit, qui s'accréditèrent dès les premiers momens de l'Avénement de la Reine à la Couronne, & peut-être auparavant. Ces gens-là se mêlaient des Affaires de l'Etat, & se servaient de Sortilèges, & de la Magie noire, pour ôter le Royaume à cette Princesse (Elizabeth Ie). On remarquait d'ailleurs qu'il régnait beaucoup de Maladies extraordinaires, qu'il y avait beaucoup „ de gens qui perdaient la parole, ou l'usage des sens, qui tombaient en langueur, ou dont la chair pourrissait ; ce que l'on crut avec raison, „ être les effets des Conjurations & des Enchantemens. Aussi est-ce ce que l'on dit dans le préambule de l'Acte" (Strype Annales t 1, ch 2 p. 61).
En réponse à Bentley, Collins allait d'ailleurs reconnaître que le clergé anglican n'était pas responsable des excès de la lutte contre la sorcellerie, notamment dans le procès d'Hertford de 1712 (dernière condamnation de sorcière en Angleterre).
Bentley poursuit son propos sur la sorcellerie en estimant qu'avant la Renaissance et la Réforme c'est une faiblesse générale de l'esprit humain et non une "friponnerie ecclésiastique" qui faisait imputer au diable beaucoup de problèmes aux causes naturelles : "les délires, les convulsions, les envies de manger" etc. Seules les "lumières de la philosophie et de la médecine" ont eu le mérite de régler le problème, il revient donc "aux Boyles, et aux Newtons, aux Sydenhams, et aux Ratcliffs". "Lorsque ce peuple vit que des ordonnances de médecins guérissaient des maux qu'il imputait au Sortilège, il n'en fallut pas davantage pour le guérir lui-même de ses préjugés". Bentley salue d'ailleurs le travail contre la superstition de pasteurs comme le hollandais Balthazar Becker (1634-1698) et l'archevêque d'York Samuel Harsnet (1561-1631).
La Chapelle précise ceci en note de bas de page à propos de Harsnett : "En 1586 , un jeune homme nommé Darrel s'érigea en Exorciste, & fit imprimer des Relations de quelques-unes de ses prouesses. La prétendue guérison d'un garçon de 14 ans faite à Barton en 1596, fit un grand bruit. A cette occasion Harsnet, qui n'était encore que Chapelain de l'Evêque Bancroft, écrivit un Ouvrage, intitulé, Découverte des Pratiques frauduleuses du Ministre".
Bentley était donc un théologien aux tendances rationalistes (à la différence de ce qu'allait être un Wesley par exemple), tout en étant très opposé au déisme.
Pour ma part, en tout cas, je compte appliquer le principe "audi alteram partem" dans un billet que j'écrirai dans quelques semaines sur le Suaire de Turin.
Morand sur le Journal de Claudel
Puisque je citais il y a peu le Journal de Claudel, voici ce que Morand en disait en avril 1969, dans son propre journal :
Bourdieu disait que Bakhounine avait la vérité sur Marx et réciproquement. Morand livre-t-il là une part de vérité sur Claudel ? Ailleurs dans ce journal il dit que ce dernier n'aimait personne, qu'il était profondément anti-démocrate ce qui aurait pu lui valoir des problèmes dans sa carrière de diplomate à la fin des années 1910 sans la protection de Berthelot (Morand diplomate à la même époque était bien placé pour le savoir, et il avait fréquenté Claudel d'assez près).
On est loin des paroles cordiales de Claudel sur Romain Roland et des amabilités que celui-ci lui rendait. Là les roses, avec Morand les épines. Mais Morand est toujours âpre avec tout le monde, et toujours mauvaise langue comme les diplomates aiment l'être.