Sainte Marguerite de Cortone
Je m'intéresse en ce moment à Sainte Marguerite de Cortone, une mystique italienne autrement plus "hardcore" que ce qu'en dit le père séraphique de Tijuana dans la vidéo ci-dessous. Je commence par la biographie écrite par le père capucin angevin Léopold de Chérancé à la fin du 19e siècle et qui est l'équivalent pour la sainte du travail effectué au même moment par Huysmans sur Ste Lydwine (une mise en ordre chronologique des récits de son confesseur). En plein scientisme triomphant, le P. de Chérancé, qui ne cachait pas ses idées réactionnaires, ne rejette rien de l'hagiographie médiévale, pas même les scènes des attaques du démon contre la sainte en lançant aux sceptiques en gros "les scientifiques ont dû en rabattre devant les tables tournantes et le troisième oeil des médiums, donc je suis fondé à y croire".
Le livre baigne dans la suave spiritualité franciscaine du 13e siècle qu'on trouvait déjà un demi-siècle plus tôt dans la vie d'Elisabeth de Hongrie de Montalembert. Les analogies avec Marie-Madeleine (et la Sainte Baume provençale souvent citée, mais il est vrai que les Angevins lui sont historiquement liés) sont évidemment légion. Pourtant Marguerite ne fut pas prostituée (il y a pourtant songé) mais juste en union libre avec un gentilhomme toscan (mais cette union, qu'elle fût romantique ou forcée, portait en elle une confiance idiote dans les biens de ce monde, et un sens orgueilleux de la révolte individuelle que Dieu ne pouvait manquer de sanctionner selon la loi de sa justice). Point aveugle du livre : il ignore le fils illégitime né de cette idylle. Est-ce délibéré ?
L'ascétisme pénitent radical de cette belle femme après la mort de son amant interroge notre époque. La plupart des chrétiens eux-mêmes aujourd'hui n'y adhèreraient point, de même qu'à sa fascination pour les plaies de Jésus (qui a son pendant chez St Antoine de Padoue, et St Bonaventure et qui annonce la mystique du Sacré-Coeur du 17e s). Tout cela ressemble à un message crypté dont on voudrait avoir le code, non pas intellectuellement mais sensoriellement. Peut-être parmi les plus récentes mystiques Marthe Robin et Thérèse Neumann l'ont-elles eu ?
La remise en perspective historique de la vie et de l'oeuvre de la sainte est remarquable (au regard de l'écartèlement de l'Italie, des Croisades, des crises de l'Ordre des frères mineurs), et le ton est toujours parfaitement fidèle à l'esprit catholique classique (à la différence des commentateurs actuels). C'est donc très instructif, et il est dommage que la fiche Wikipedia ne reprenne presque rien des informations qu'on trouve dans ce livre. Mauriac a passé les derniers mois de l'Occupation à travailler sur Ste Marguerite de Cortone. Je serais curieux de savoir ce qu'il en a dit...
"Les sociétés secrètes érotiques" de Gisèle Laurent
Un livre étrange d'une auteure dont Internet ne dit rien (on sait juste que Christophe Bourseiller l'a citée dans "Les forcenés du désir" en 2000). Publié en 1961 aux éditions Éditions De La Pensée Moderne, en 1961 en Algérie. En voici un résumé.
L'auteure détaille sur la base d'un témoignage autochtone et de celui d'Evola les rituels sexuels des Khlystis dont Raspoutine fut un initié errant (stranniki), les rituels de Raspoutine décrits par Vera Alexandrovna Choukovskaïa dans ses Mémoires, leur transposition en 1936-37 rue de Vavin à Paris par la comtesse de Naglowska disciple du staretz Tsarkoïe-Selo (c'est sans doute une erreur de plume de l'auteure car c'est là le nom de la résidence des tsars) ointe par les mariavites polonais(*) (la Messe d'Or, la "pendaison sacrée" aux origines sibériennes qui toutefois n'aurait été réellement mise en oeuvre que par Gustav Meyrinck à Prague), les rituels du groupe Kymris du belge Clément de Saint-Marcq au 27 rue Bleue, ceux du frère Michael à Sèvres disciple du Bogomile naturiste bulgare Peter Deunov (de l'ermitage d'Izgrev) (**). Puis elle fait un flash back sur le XVIIIe siècle : les messes noires de Lauzun, la tentative de conception d'un homoncule par Casanova avec la marquise d'Urfé (Mémoires T. VI ch VII), les messes noires de convulsionnaires ou "béguins" sur la tombe du diacre janséniste Pâris au cimetière St Médard jusqu'aux années 1850. Les orgies de la secte des Ansarieh près de Lattaquié en Syrie dans les années 1920, les rituels shivaïtes de Kanda-Swany décrits par Louis Jacolliot à la fin de 19e s, l'hiérodulie des sanctuaires de Kamashka et Shiroba dans l'enclave de Goa, le tantrisme "de la main gauche" des yogi, l'initiation des mao-mao via la sorcellerie sexuelle au Kenya dans les années 50, les pratiques sexuelles rosicruciennes du 17e siècle révélées dans "Le comte de Gabalis" par Nicolas Montfaucon de Villars. L'excision, la ganza africaine, le vaudou et le macumba sont aussi abordés dans le livre.
Gisèle Laurent cite aussi l'Eulis Brotherhood fondée par le "mage mulâtre" Paschal Beverley Randolph, ami d'Alexandre Dumas, formé dans les hauts grades de la Hermetic Botherhood of Luxor et auteur d'une "Magia sexualis" en 1872, trois ans avant sa mort violente et mystérieuse. Elle termine son livre sur les sorcières de Salem et le sabbat des sorcières vu par Margaret Murray comme un simple culte de la fécondité et ses survivances sur l'île de Man et dans les Highlands (pour elle, ces cérémonies s'accompagneraient de pratiques plus choquantes que ce qu'en dit Gardner).
Le livre est assez superficiel. On dirait un petit reportage pour épicer l'imagination du lectorat bourgeois de l'époque. Mais c'est sans doute une photographie exacte des "topoi", des points incontournables des références habituelles dans les années 1960 sur le mysticisme sexuel.
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(*) Les mariavites,condamnés par le Vatican en 1904 mais soutenus par l'occupant russe, étaient une secte quiétiste vouée à la mortification, dirigée par la visionnaire Falicia (Félicité) Kozlowska, tertiaire franciscaine à Plozk, violente à l'égard des prêtres catholiques mais tolérante envers les autres religions dans les écoles qu'ils administraient. Ils communiaient avec des petits papiers à l'effigie de Marie et prônaient la chasteté comme les manichéens. Ils ordonnaient des femmes, et, après la mort de Felicia Kozlowska en 1921, ils vénérèrent sa présence réelle dans l'hostie. L'archevêque Jean Kowalski qui avait pris l'ascendant sur la visionnaire de son vivant et, après sa mort, imposa le mariage mystique entre religieux arrangé par les chefs, et, au profit des hauts dignitaires, une polygamie, transformant le monastère de Plozk en harem personnel. Cela leur valut de rompre avec les vieux catholiques en 1924 après une rencontre entre Kennick et Kowalski à Berne. Les effectifs de la secte fondirent de quelques centaines de milliers avant guerre à moins de cent mille, et Kowalski fut condamné pour atteinte aux bonnes moeurs sur des mineures en 1928 (il ne purgea que 2 ans et 8 mois puis fut amnistié).
(**) Voir le reportage que lui consacre Paris-Soir en 1943.
La conversion de Justin Bieber
Justin Bieber abandonne sa carrière pour Jésus-Christ : conversion sincère ou volonté d'infiltrer le christianisme avec de l'occultisme ? Un prédicateur canadien qui se fait appeler "The Vigilant Christian" livre à ce sujet un avis argumenté. Il rappelle que selon lui Bieber par ses pratiques occultistes se rattacherait aux Illuminati (le courant révolutionnaire luciférien des Illuminés de Bavière qui aurait irrigué la franc-maçonnerie, notamment en Angleterre au XIXe siècle avant de conquérir les élites artistiques et intellectuelles de notre époque pour préparer le venue de l'Antéchrist). Il rappelle (minute 3'09) que le pasteur qui l'a converti par le biais de Selena Gomez, Carl Lentz de l'Eglise pentecôtiste d'Hillsong church (à New York) a rencontré le rappeur Jay-Z (le mari de Beyonce), réputé être lui aussi un Illuminati, à cause notamment du symbolisme du clip de son tube "No church in the Wild". Carl Lentz, qui a déclaré qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un rapport à Dieu pour être chrétien, s'est affiché en mai 2016 sur Instagram avec Oprah Winfrey, adepte de l'occultisme New Age néo-païen. Bieber portait en mars 2016 lors d'un concert à Vancouver un t-shirt portant la mention "Bigger than Satan" et le portrait de Marilyn Manson alors qu'il s'était déjà converti. C'est une référence à une déclaration de John Lennon en 1968 "Les Beatles sont plus grands que Jésus", et il avait déjà fait référence à Lennon dans "No Pressure". D'autres signes du chanteur antérieurs et postérieurs à sa conversion allaient dans le même sens (dans une autre vidéo d'un évangélique sur You Tube il est expliqué que le tatouage de la croix sur son torse a un sens pré-chrétien, et son tatouage de Jésus n'aurait pour but comme les professions de foi de Beyonce que de détourner les chrétiens de leur foi, l'oeil sur son bras gauche serait celui d'Horus, le G sur son bras droit serait un symbole maçonique comme première lettre de Géométrie, mais aussi "God" pour la divinisation de l'humain, son X sur le bras gauche en forme de khi qui représenterait la transformation et Osiris, ainsi que la chouette de la sagesse aussi associée à Moloch - voir notre billet sur le Bohemian Grove - les ailes derrière son cou représentent les anges déchus).
L'église Hillsong a été fondée à Sydney (Australie) en 1983 par le pasteur néo-zélandais Brian Houston (minute 5'50). C'est une église libérale qui admet la pop music dans sa liturgie et estime que chrétiens et musulmans adorent le même Dieu (ce que lui reproche "The Vigilant Christian"). Une église de cette mouvance avait marié Kim Kardashian et Kanye West en Floride en 2014.
"The Vigilant Christian" reproche à Justin Bieber de s'être vêtu en Lucifer comme le roi de Tyr dans Ezechiel 28:13. Selon lui il tombera sous le coup de la prophétie de 2 Thessaloniciens 2-3 et 1 Jean 2:19 (minute 7.50). -- hélas détruite en 2018 "Justin Bieber CANCELS Tour for JESUS --- Justin Bieber has canceled his Purpose Tour because of a "Spiritual Awakening" because of the influence of Pastor Carl Lentz and Hillsong NY Church. Be on guard and vigilant! I have been warning against this Trojan Horse deception for a long time now. Justin Bieber Illuminati Fake Christian Puppet EXPOSED Playlist https://www.youtube.com/playlist?list=PLTHDvEc6d7JH4e7hUWc4x5xzHjoQMeOzA Selena Gomez.
Description (optionnelle)"
PS : Voyez aussi cette vidéo "MILEY CYRUS " SATAN IS A NICE GUY!!" JUSTIN BIEBER"JESUS IS MY SAVIOR!! DUALITY WORLD!" (postée en octobre 2017) de Mary 40 qui, dans son style très macédonien, connaît beaucoup de choses sur l'industrie du disque.
Anne Dufourmentelle
Il y a quelques années, j'écrivais pour Parutions.com une recension du livre "La femme et le sacrifice" d'Anne Dufourmentelle. Le weekend dernier on apprenait que l'auteure était décédée à Ramatuelle... en sacrifiant sa vie pour sauver deux enfants de la noyade...
Catharisme et gnose dans le spiritisme des années 1880
G. Mondain Revue Foi et Vie 16 avril 1911 p. 242:
" Mme Philippe de Néry nous raconte la scène qui eut lieu dans l'automne de 1889 chez Lady Caithness, duchesse de Pomar, où, dans le plus profond mystère d'une salle tendue de noir, on évoqua les Evêques du Paraclet, et où on entendit Guilharbert de Castres, l'un des évêques cathares du temps de la persécution des Albigeois, conférer à l'un des auditeurs présents (J. Doinel, archiviste d'Orléans) la dignité de patriarche, avec le nom de Valentin, et ordonner de faire revivre les trois sacrements gnostiques : le Consolamentum, ou baptême par l'imposition des mains ; la Fraction du pain, par laquelle on devait communier avec le corps astral de Jésus ; et l'Appareillamentum, ou confession générale des péchés. On devait aussi rétablir la hiérarchie et les six degrés de l'initiation fixés par le premier Valentin.
Mme Philippe de Néry nous dit aussi avoir assisté à la réception de six néophytes, qu'on amena devant le patriarche, les yeux bandés et tes mains liées d'une corde, emblèmes de l'aveuglement et de l'ignorance que l'initiation va dissiper. Le patriarche, après avoir délié le bandeau et la corde, donna un aperçu de la doctrine gnostique qu'on dirait résumée de l'Histoire des Dogmes de Bonifas. Il parla du Démiurge, dieu inférieur auteur du monde ; de la tentative malheureuse de la Sophia, le douzième éon de Valentin, d'escalader le ciel. "Une chute profonde a été la conséquence de son audace. Désormais liée à la matière, elle erre à travers la multitude des termes en exhalant sa plainte... Mais après la faute, Dieu a eu pitié. L'Eon-Christos, le verbe divin, se fait homme et rend la Sophia repentie à sa céleste origine. Remontée au Plérôme-, indivise en son essence, quoique fragmentée en son action, la Sophia ne cesse de se manifester dans notre monde maudit." "
"Burkini" de JC Kaufmann
Jean Claude Kaufmann n'a qu'un bon livre à son actif "Corps de femmes regards d'hommes" paru en 1995 qu'il a souvent plagié depuis lors.
Au fil des ans, le sociologue a tenté de jouer les théoriciens (par exemple avec son ouvrage "Ego") et du coup le péché d'orgueil l'a saisi. Par ce péché, le dernier livre de Kaufmann est très marqué (par exemple quand il claironne en p. 20 qu'à l'été 2016 les médias se sont bousculés pour l'interviewer sur le burkini et lui demander d' "énoncer le sens du bien et du mal" devant une "société sans repères", mais que lui, esprit supérieur, a refusé de répondre préférant pondre un livre sur le sujet (et quel livre hautement médité dont il a accouché en moins de six mois !). On attribuera sans doute à cette immodestie le côté intellectuellement très superficiel du livre, et aussi ses incroyables approximations factuelles : voyez par exemple en page 29 comment il traite l'incident de Châteauneuf-sur-Charentes "une jeune femme se baigne seins nus" écrit-il alors qu'elle jouait au ping pong (voir mon billet il y a un an), ce qui change toute la problématique contextuelle : un sein qui remue dans une activité sportive n'a rien à voir sur le plan des normes de pudeur avec le sein d'une baigneuse (on se demande comment un sociologue parvient à raisonner sur la base de faits inexacts... quand on fait de la sociologie journalistique, le minimum est de coller au réel...).
Comme toujours le style du sociologue est une resucée de la doxa contemporaine, même pas consciente de ressortir des clichés, étalée au mépris de la neutralité scientifique. Ainsi sans justification il écarte comme trop simpliste (p. 48) la thématique du néo-colonialisme avancée par certains intellectuels anglo-saxons pour expliquer l'hostilité française au burkini. Un coup à gauche contre les anti-impérialistes, un coup à droite contre les sarkozystes (p. 16), histoire de rester dans le camp d'une bien-pensance centriste. Encore un petit clin d'oeil aux clichés consensuels p.50 "Vues de Sydney, les plages étaient devenues assimilables à une sorte de Corée du Nord, soumises à des règles tout aussi incompréhensibles, grotesques et scandaleuses que celles qui prévalent dans le régime de Kim Jong-un" ("incompréhensibles, grotesques et scandaleuses", il faut y aller avec de gros sabots pour le lecteur bourgeois urbain, pour le cas où il n'aurait pas compris que la Corée du Nord est un pays ubuesque comme la grande presse le lui répète à longueur d'année).
L'auteur révèle ses lacunes historiques quand il juge "improbable" l'union entre le laïcisme de centre-gauche d'E. Valls et l'extrême droite (il ignore les connivences entre ces deux tendances dans le colonialisme du XIXe siècle ou au temps de la politique anti-voile du gouverneur général d'Algérie Lacoste en 1956-58) et l'on cherchera en vain des analyses sophistiquées dans son livre. Mais il a au moins le mérite de montrer que le burkini n'est pas un vêtement islamique intégriste, qu'il résulte d'un compromis entre religiosité et désir de vivre les plaisir de la mer. Il résume assez bien la thèse de Khaoula Matri sur le port du voile (p. 143), fournit des statistiques intéressantes sur les rapports des femmes musulmanes au voile (p. 112) et enseigne aux Français un épisode étouffé par les médias australiens en décembre 2005 : les rixes de la plage de Cronulla à l'origine de l'invention du burkini. Ce n'est déjà pas si mal.
Jollivet-Castellot et Rozier
Un extrait intéressant (p. 217) de "Destin ou les fils d'Hermès" roman dans lequel l'alchimiste Jollivet-Castellot (que nous citions dans un précédent billet ) se dépeint lui-même sous les traits de "Lambert". Ce passage évoque le Dr Rozier (aussi cité précédemment ) lors de leur rencontre à l'Hôtel de Savoie, rue de Savoie (qui était toute entière un repaire de voyants, astrologues et kabbalistes) au bureau de l'initiation de l'Ordre martiniste que Papus voulait redresser contre "l'anarchie morale et politique" qui l'avait surclassé après 1789 à travers l'illuminisme et la franc-maçonnerie.
"Papus qui précédait Gaston dans l'escalier, frappa trois coups légers à la petite porte que Sédir ouvrit aussitôt. En smoking noir, il fumait une longue pipe de terre blanche dont il tirait de lentes bouffées.
Il serra la main aux arrivants et conduisit, en boitillant, le comte dans une chambre garnie de bouquins et de registres, qui servait de bureau de rédaction, et où se trouvaient déjà réunis quelques messieurs en redingote, auxquels il le présenta. On lui nomma Sisera, Oswald Wirth, l'ami et le secrétaire de Guaita, le Docteur Rozier, Marius Decrespe.
Le Docteur Rozier l'entretint de médecine occulte et spagyrique, de cures étonnantes par des procédés magiques et théurgiques. Il racontait des choses extraordinaires et merveilleuses avec du bon sens, une assurance naïve. Mais il était fort bien documenté et Lambert obtint de lui des indications qu'il se promit d'utiliser, sans pour cela croire à l'intervention des fées, des lutins, des saints et des saintes que le Docteur Rozier évoquait et invoquait pêle-mêle."
La "Sainte Philomène" du Dr Rozier
En 1907, le Dr Fernand Rozier (1839-1922), médecin, élève d'Eliphas Lévy, publiait "Les Puissances invisibles, les dieux, les anges,les saints, les égrégores, Sainte Philomène" aux éditions Chaumont. Rozier est un homme de sciences très complet puisque, outre ses compétences en médecine, il est physicien, et il a été secrétaire de l'astronome Urbain Le Verrier, qui avait découvert la planète Neptune, en 1846. C'est aussi un voyant qui a prédit les inondations de Paris en 1910. Collaborateur de la revue L’Initiation fondée par Papus (1865-1916) il enseignait à la Faculté Libre des Sciences Hermétiques qui appartenait au même groupe.
Après une introduction savante sur les divers plans de réalité, et les diverses forces occultes qui agissent dans l'Invisible, forces qu'il pense à partir d'une théorie élargie de la matière (hylè) qu'il forge en dialogue avec les hindouistes et la kabbale, toute la première partie de l'ouvrage synthétise une analyse des traditions hébraïques, païennes et orientales sur les forces invisibles.
A partir de la page 95, il se penche sur le cas de sainte Philomène dont la tombe fut découverte à Rome en 1802 (encore que l'existence de cette sainte prête à controverse et donc l'authenticité de cette sainte aussi). Cette tombe était celle d'une jeune fille de 13 ans dot les reliques furent emportées à Mugnano près de Naples par Don Francesco di Lucia. Un frère de Saint Jean de Dieu qui avait visité Mugnano visita à Lyon une malade riche, atteinte d'une affection au coeur, Mlle Jaricot. Celle-ci, en 1835, se rendit à Mugnano après un court séjour à Rome où le pape Grégoire XVI avait tenté de la dissuader de s'y rendre. Mlle Jaricot avait fait promettre au pape d'autoriser le culte de Ste Philomène si elle guérissait. Elle y fit une neuvaine à la sainte et guérit. En janvier 1837, le culte public fut autorisé. Des reliques de la
sainte furent déposées à St Gervais à Paris par une paroissienne reconnaissante.
En 1833, la Mère Maria Luisa de Jésus, une religieuse napolitaine eut la révélation que la sainte était une princesse grecque vierge que Dioclétien aurait voulu séduire et martyrisa par dépit, vision dans la plus pure tradition de la Légende dorée. A partir de 1906, une étude plus soignée des plaques sur le tombeau révéla un montage. On pensa que Ste Philomène avait été une invention, comme St Expedit, soldat de la légion thébaine, avait été une invention des dominicains pour contrer le St Antoine de Padoue des franciscains. Le pape commença à faire enlever les statues des églises (et la sainte, dont la fête était célébrée le 11 août allait être officiellement radiée du calendrier canonique en 1961).
Le Dr Rozier milite pour la défense du culte de Ste Philomène. Lui-même descendait d'une grand-mère et d'une mère médiums qui avaient des visions. Sa mère, nous dit-il, avait prédit l'époque de sa mort (vieux fantasme des voyants, très en vogue aussi dans l'occultisme du XVIIe siècle) et le lieu où elle serait enterrée plusieurs années à l'avance. et ce don fut transmis à sa propre fille comme il l'a raconté dans l'Echo du Merveilleux. Proche de Dieu toute sa vie, Rozier voyait parfois une jeune personne fort belle qui le prenait par le main en lui souriant. "Quelquefois elle s'asseyait auprès de moi, me prenait sur ses genoux, me berçait" ajoute-t-il même p. 107. Ce n'est que vers 1895 qu'il a su que cette entité était Ste Philomène. Selon lui cette sainte lui a permis de guérir ses malades et a aidé ses élèves.
Selon Rozier, le 13 avril 1900, Ste Philomène s'est déclarée patronne des Occultistes chrétiens et a fondé une Fraternité invisible. Sur ses ordres, il a fait une conférence aux sociétés savantes le 25 mai suivant. La Fraternité vise à constituer la partie humaine d'un Egrégore dont Ste Philomène est l'âme. Rozier présente l'opération comme de la haute magie blanche et suppose un abandon complet à la volonté de la sainte. Il précise toutefois (p. 112) que cela "n'exclut pas Dieu, Jésus et la sainte Vierge", car prier Ste Philomène pour lui dire "accordez moi quelque chose" veut dire "utilisez une partie des pouvoirs que Dieu ne cesse de vous donner pour me faire avoir telle chose". Il faut seulement ne pas chercher à garantir sa demande auprès de Ste Philomène par des demandes adressées à d'autres saints ou par des talismans. Rozier explique ensuite que la vie est une lutte, et la souffrance est l'obstacle à vaincre. Des entités ont été envoyées pour instruire les païens après la chute, des entités qui ont du se faire barbares pour parler aux brutes que les humains étaient devenus. Puis il y eut d'autres entités plus élevées, jusqu'à ce qu'on arrive à l'envoi du Christ qui est le véritable libérateur. Le message de Jésus a été abimé par "l'égréqore épiscopo-impérial" catholique romain oppressif.
Dieu a ensuite envoyé la Vierge Marie qui est en mission permanente parmi nous jusqu'à la fin des temps. Elle nous dirige dans l'invisible et prendra soin de nous après la mort. Dieu a aussi envoyé des prophètes. Ste Philomène, elle, est venue nous révéler la cause cachée des choses (p. 129). Depuis 1895 elle a plein pouvoir pour protéger la France et la libérer de l'ultramontisme qui ment sur les apparitions de la Vierge.
Elle a sans doute existé, selon Rozier, au début du IVe siècle. Et, si elle n'a jamais existé physiquement, elle existe au moins comme entité (p. 141) à la tête d'un groupe de puissances célestes.L'argument qui plaide le plus pour son existence physique est que Dieu veut surtout donner puissance aux humains pour agir sur le monde ici-bas, plutôt qu'aux puissances célestes (p. 142).
Parmi les citations intéressantes : "On n'est pas occultiste parce qu'on professe telle doctrine ; les occultistes sont tout simplement ceux qui étudient l'Invisible et qui tiraient compte des choses cachées, soit pour leur conception du monde, soit pour leur conduite. Aussi, comme vous devez vous y attendre, il y a plusieurs écoles d'Occultistes." (p. 146)
Il semble qu'au temps de Rozier les polémiques sur Ste Philomène ont été fort vives : "Quelqu'un a dit qu'il était très dangereux de prier sainte Philomène, écrit-il p. 149. Elle est une puissance de l'Invisible, pas très bonne, pas très forte, mais pouvant cependant procurer quelques avantages ; seulement, elle les fait payer très cher. Quant à lui, il a fait la sottise de s'adresser à elle autrefois, mais il n'a eu de paix qu'après qu'il a eu cessé de s'adresser à elle". On ne saura pas de qui il s'agissait.
Rozier raconte comment au contraire cette personne "avait été jadis sous la domination de mauvais esprits" et comment il l'a exorcisé au nom de Philomène. Il en a retiré de nombreux profits dans sa vie affective et professionnelle. Mais un thaumaturge néfaste placé sur on chemin a réveillé en lui l'orgueil et la soif de pouvoir et les mauvais esprits son revenus en lui
."Lorsqu'une grande puissance céleste se manifeste, l'Adversaire se dresse devant elle, d'autant plus féroce et d'autant plus formidable que cette puissance céleste est elle-même plus formidable. Si vous vous mettez sous la protection de sainte Philomène, vous irritez l'Adversaire contre vous, mais ses coups ne vous atteignent pas. Vous êtes à l'abri à cause de la protection qui vous couvre comme d'un bouclier". Mais, si vous abandonnez sainte Philomène, elle ne vous retire pas sa protection, mais c'est vous qui vous éloignez de cette protection, et l'Adversaire peut taper sur vous à loisir, et il n'y manque pas; la vengeance lui est douce".
Très attaché au christianisme, Rozier critique le penchant orientalisant de la théosophie pour la fusion dans le Nirvana. Mais il reconnaît son aide intellectuelle comme précieuse, comme celle des spirites. Il affirme qu'il a été informé par Ste Philomène de l'importance de la magie comme cause des choses et dénonce sans la nommer une école aux ramifications planétaires qui abuse de cette magie. Quant aux sorciers, Rozier estime que ce n'étaient que des associations de malfaiteurs même pas dignes d'intérêt.
Rozier avoue vouloir constituer un égrégore autour de Ste Philomèn. C'est un mot auquel il donne un sens plus précis qu'Eliphas Lévy. Eugène Nus, rappelle-t-il, expliquait le spiritisme devant des assemblée par une sorte de mutualisation des fluides des participants sous forme d'égrégores (p. 165). Les égrégores collectifs purement humains peuvent intégrer par erreur des esprits négatifs qui les font échouer, d'où l'intérêt de s'adjoindre un esprit, explique Rozier. Il arrive même que ce soient les Esprits qui veuillent susciter un égrégore (égrégore descendant) pour une durée donnée.
La mission de Philomène a pris fin dans les années 1900 puisqu'elle a sauvé la France et écrasé l'égrégore épiscopo-impérial. La religion y gagnera car il n'y a pas de religion sans liberté.
Il est intéressant de comparer cette vision que Rozier a de Ste Philomène avec celle du curé d'Ars qui était aussi disciple de cette sainte (voir le film ci dessous) et a beaucoup contribué à sa popularité ("le grand argument en faveur du culte de Sainte Philomène, c'est le Curé d'Ars" s'était exclamé le pape Pie X en juin 1907). Pour Rozier ce curé était un saint homme (p. 137) mais il a menti sur les révélations mariales et les manipulations ecclésiastiques à leur sujet :
"Vous vous rappelez dans quelles circonstances le curé d'Ars a menti : Dans un but de réclame, on lui avait amené le jeune Maximin de la Salette. Vianney, qui voyait assez souvent les pensées des autres, regarde Maximin et lui dit qu'il est un petit menteur. Maximin se trouble, balbutie et avoue qu'il n'a jamais vu la sainte Vierge. Depuis ce temps, Vianney disait partout que la Salette n'était qu'une imposture ; il le prêchait même en chaire. Son évêque lui dépêcha un grand vicaire, lui écrivit, pour le persuader qu'il vaudrait mieux, pour les intérêts de l'Eglise, ne pas parler comme il le faisait. Vianney répondit à l'évêque par une lettre dont je n'ai plus le texte sous les yeux, mais dont le sens était que, au contraire, l'Eglise n'avait qu'à gagner en repoussant les fourberies, etc., etc. Il reçut alors l'ordre de soutenir la Salette. Depuis ce temps, le curé d'Ars évitait d'en parler ; mais, quand ou l'interrogeait, il répondait : Il faut croire à la Salette.
Cette phrase a été exploitée, et les souteneurs de la Salette ne manquent pas d'imprimer dans tous leurs écrits que le curé d'Ars a dit lui-même qu'il fallait croire à la Salette.
Pauvre homme I Dans ta pensée, il faut voulait dire il est ordonné, j'ai reçu l'ordre ; tu transigeais avec ta conscience ; tu ne voulais pas désobéir à tes supérieurs hiérarchiques, pareî qu'on t'avait enseigné que cette obéissance était la première des vertus, et tu le croyais. Tu aurais cru faire un bien plus gros péché en désobéissant qu'en mentant."
Dans le numéro de la Revue des Sciences ecclésiastiques et la Science catholique décembre 1907, p. 754 et suiv, sous "Glanes spirites", le Chanoine Ferdinand Gombault qui dit avoir conversé avec Rozier quelques années plus tôt l'accuse de croire à la réincarnation (le mot d'ailleurs figure bien en p. 171 du livre de Rozier), et trouve très suspecte cette sainte qui s'est donné pour objectif selon Rozier (et sa révélation de 1900) de renverser la puissance temporelle de l'Eglise et qui se réjouit de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Il "prévient le docteur Rozier qu'un démon-femelle a abusé de sa crédulité... enfantine". Dans la Revue "Foi et vie" p. 241 du 16 avril 1911 G. Mondain expliquera que le Dr Rozier organise le culte de Ste Philomène à Paris "au troisième étage d'une maison de la rue de Buci, sous la forme d'une statue couchée sur un socle de pierre, et assez semblable à ce qu'on peut voir exposé chez les marchands de statuettes et ornements d'églises habitant autour de Saint-Sulpice. Chaque dimanche le docteur Rozier professe une sorte de cours d'occultisme". L'auteur lui préfère le christianisme ésotériste d'Albert Jounet.
L'Eglise catholique d'après Vatican II renonçant à son pouvoir temporel et acceptant la séparation de l'Eglise et de l'Etat aura politiquement donné raison à la Ste Philomène de Rozier, sans toutefois souscrire à sa gnose sur la réincarnation et le rôle des forces invisibles dans l'Histoire.
Depuis la radiation de la sainte du calendrier, l'Eglise romaine n'organise plus de cérémonies publiques en l'honneur de la jeune martyre. Même le site du sanctuaire d'Ars le rappelle, tout en soulignant que les pèlerins peuvent rendre une dévotion privée à la chapelle Sainte Philomène dans la basilique. Il existe encore une église Sainte Philomène à Naujac-sur-Mer (Gironde), une à Comps-sur-Artuby (Var),une à Montcerf-Lytton et à Fortierville au Québec, une au Cannet (Alpes maritimes) gérée par une association privée, une pour les traditionalistes à Toulon, et des chapelles Sainte Philomène à Lyon, à Puget dans le Var, au hameau d'Igniel près de Cambrai dans le Nord, à Montmaur dans les Hautes-Alpes, dans l'église Saint-Jean-Baptiste du Marillais dans le Maine-et-Loire, dans la collégiale Saint-Pierre d'Aire-sur-la-Lys dans le Pas-de-Calais, l'église Saint-Gervais-Saint-Protais, au hameau de Chassagne en Ardèche, au Lycée Professionnel Privé Saint-Joseph de Bourg-en-Bresse etc. A l'étranger on trouve des chapelles Ste Philomène de Puerto Montt ou Valaparaiso au Chili à Sao Bernardo do Campo au Brésil (fondée par des Italiens) en passant Managua au Nicaragua. Il y a une cathédrale Ste Philomène à Mysore en Inde, des églises qui lui sont dédiées aux Etats-Unis à Cincinnati, Pittsburgh, Franklinville etc.
Le livre de Rozier a été republié récemment dans une édition commentée par l'historien de l'occultisme Serge Caillet.