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"L'Histoire du Monde" sur France 5

26 Novembre 2012 , Rédigé par CC Publié dans #Otium cum dignitate

dialogue-sur-les-aleasComme vous le savez, je me suis amusé il y a deux ans à publier quelques réflexions sur l'histoire du monde, sous le titre "Dialogue sur les aléas de l'histoire".

 

Je regardais récemment une partie du documentaire consacré par la BBC à l'histoire du monde précisément et diffusé sur France 5, plus précisément la partie consacrée à la période allant de - 300 à + 700 que l'on peut encore voir ici. Ce documentaire qui n'est pas dépourvu de qualités reflète évidemment les préoccupations de notre époque : les thèmes écologiques, un intérêt appuyé pour le rôle des femmes, une volonté de couvrir toutes les zones du globe tout en se gardant de les présenter sous un angle synchronique - afin de permettre une mise en valeur de l'apport de chacune de ces zones sans comparer leurs niveaux de développement respectifs à chaque moment relaté.

 

Ce genre d'émission a du bon, bien qu'on puisse en contester certains partis pris. Je regrette cependant qu'il puisse encore s'y trouver des erreurs factuelles. Pour n'aborder que la civilisation que je connais le mieux (la civilisation romaine), il n'est pas normal par exemple qu'on prétende dans ce documentaire que César et Cléopâtre se considéraient comme des dieux vivants, quand on sait que la question n'a cessé de faire débat dans l'histoire en ce qui concerne César (il est peu probable que le "divin Jules" se soit pris pour un dieu, on l'a assassiné parce qu'on le soupçonnait de le croire, mais c'est un fait contestable, et notons que même au sommet de l'absolutisme du principat dans les décennies qui suivirent les empereurs n'étaient divinisés qu'après leur mort). Quand le documentaire choisit d'évoquer le martyre de Perpétue (qu'il s'obstine à appeler Perpetua sous une forme latine comme c'est la tradition en Angleterre, mais la tradition française est de franciser, c'est pourquoi on dit César et non Caesar), il y a aussi matière à s'interroger, Je vous rappelle le récit du martyre de cette sainte que j'évoque dans mon livre sur la nudité : « Elle fut enlevée, lancée en l'air (par un ours) et retomba sur le dos. Dans la chute, sa tunique fut largement fendue, elle la rapprocha afin de se couvrir les jambes, plus attentive à la pudeur qu'à la douleur » (cf le Recueil de pièces authentiques) et je vous laisse vérifier par vous mêmes dans le documentaire (dans les 20 dernières minutes) si c'est bien ainsi qu'il présente les choses ! (je serais curieux de savoir d'ailleurs ce qui autorise les auteurs de cette production à retenir la version qu'ils présentent - par exemple le fait de faire comparaître Perpétue dans l'arène dans une très peu vraisemblable robe d'aristocrate plutôt qu'en tunique - plutôt que celle-ci sachant de toute façon que tous les écrits hérités du IIIe siècle ont été largement recomposés et chargés de légendes).

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"Ethnoroman" de Tobie Nathan

14 Novembre 2012 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées

ethnoroman.jpgOn trouvera en cliquant ici mon compte-rendu du livre de Tobie Nathan "Ethnoroman" pour Parutions.com.

Le ventre des ethnopsychiatres

L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de l’Institut d’Etudes politiques de Paris, actuellement chercheur associé au laboratoire Cultures et Sociétés en Europe (Université de Strasbourg), Christophe Colera est l'auteur, entre autre, de La Nudité, pratiques et significations (Editions du Cygne) et Individualité et subjectivité chez Nietzsche (L’Harmattan).

Gide aurait dit qu’il vaut mieux faire raconter une histoire par un homme en colère. Pour raconter une époque, ou des milieux qui concoururent à en forger le style, rien ne vaut le témoignage d’un esprit non seulement brillant mais aussi et surtout foncièrement honnête (et les deux vont ensemble car il n’y a pas d’intelligence sans probité). « En voici un ! » pourrait-on s’exclamer, lanterne à la main comme Diogène : Tobie Nathan, ecce homo.

Le voilà donc le témoin utile, indispensable, pour vous faire comprendre les années 60 : la municipalité communiste de Gennevilliers, les ados en quête de sensations sexuelles qui se passionnent pour la psychanalyse, cette révolution qui leur tombe dessus en 1968 (Tobie Nathan a juste vingt ans et la traverse comme Fabrice à Waterloo) et en fait des bombes à retardement.

Les clichés en prennent un coup : non les activistes de mai 68 n’étaient pas tous des bourgeois du Quartier latin à la manière des Héritiers de Pierre Bourdieu, non la religion juive n’implique pas une foi aveugle en Dieu, et, oui, pour les maladies psychiques mieux vaut parfois une bonne séance d’exorcisme qu’une psychanalyse (dans la bouche d’un freudien « repenti », ou partiellement repenti, la remarque a sa valeur).
 

Le livre avance dans toutes les directions, d’un siècle l’autre, en avant et à reculons, on passe de l’évocation d’une guérisseuse de la Réunion dans les années 1980 aux ancêtres de Nathan dans l’Egypte du XIXe siècle, de la description de la brutalité du nassérisme en 1956 à celle des milieux psychiatriques à Paris dans les années 1970. Ces allers-retours de la mémoire ne sont jamais gratuits, et donnent un sens non seulement personnel, mais aussi collectif au vécu de l’auteur. Car l’individu est miroir du groupe (et même souvent de la tribu, quand il n'en est pas même le simple ventriloque) et réciproquement. Du maoïsme, Tobie Nathan avoue avoir gardé la conviction que ce sont les peuples qui pensent, plus que les êtres isolés. Ce sont les peuples qui inventent les mots, les gestes, les idées. Et de cette conviction est née son ethnopsychiatrie à lui, la discipline à laquelle l’auteur aura consacré sa vie.

Quiconque s’intéresse à l’histoire des idées trouvera dans ce livre des récits absolument captivants sur la manière dont cette théorie (mais aussi cette pratique clinique) tenta d’accommoder le freudisme (un freudisme d’ailleurs considéré avec beaucoup de scepticisme l’âge venant, et face aux excès dogmatiques du lacanisme) à la diversité des cultures, sur cette personnalité improbable que fut son fondateur Georges Devereux dont Tobie Nathan décrit avec beaucoup de nuances les prises de position et les comportements, offrant au passage un tableau saisissant de la relation ô combien complexe qui peut se nouer entre le maître et le disciple.

A côté du témoignage historique, l’ouvrage est aussi une déclaration d’amour : à ses amis, à sa famille, à ses ancêtres, dont de riches portraits nous sont offerts. L’amour comme la haine ne sont pas toujours justes (par exemple quand l’auteur prête à sa mère les traits de George Sand, que les fidèles d’Aurore Dupin ne reconnaîtront sans doute pas dans ce tableau, ou quand il attribue peut-être un peu trop rapidement à son instituteur de CM2 des penchants antisémites là où il s’agit peut-être tout simplement – quoique fort violemment – du banal assimilationnisme du vieil enseignement républicain, dont les cultures régionales firent aussi les frais). Qu’importe ! Chez un psychologue honnête les cris du cœur sont indissociables des partis pris théoriques.

A travers le témoignage de Tobie Nathan, on comprend mieux quels chemins le freudisme, le marxisme, le sionisme, l’appartenance républicaine à la France, toutes ces représentations, et les pratiques concrètes qui en dérivaient ont pu emprunter dans le dernier quart du XXe siècle, compte tenu des héritages qui se projetaient sur elles. On comprend aussi pourquoi la psychologie s’est faite « ethnologique », quoi que l’on pense de ce projet, qui vise au fond à ramener les dieux sur terre.

Christophe Colera

 

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Les recherches de Mme Pasche Guignard sur la nudité et le divin

1 Novembre 2012 , Rédigé par CC Publié dans #Généralités Nudité et Pudeur

krishna_steals_gopis_clothes.jpgRécemment j'ai dit un mot sur ce blog des travaux de Mme Magali de Haro Sanchez sur les papyrus iatromagiques égyptiens. Toujours soucieux de maintenir ce blog en lien avec les recherches universitaires récentes, je voudrais dire un mot de la thèse de Mme Florence Pasche Guignard intitulée "De quelques  représentations de figures féminines en transaction avec des dieux : Exercice d’exploration thématique différentielle en histoire comparée des religions", thèse de doctorat sous la direction de Maya Burger et Dominique Jaillard, soutenue le 18 septembre 2012 à la Faculté des Lettres de l'Université de Lausanne.

 

Je ne parlerai ici que du deuxième axe "Le retrait au corps" de la partie III intitulée "Exploration", car il recoupe en partie certains aspects de mon livre "La nudité pratiques et significations". L'historienne des religions, après avoir décrit comment, dans le rapport aux dieux, le corps féminin peut être équipé d'attributs ornementaux, conjugaux ou érotiques, il existe aussi une corporéité féminine marquée par le retrait de certains signes distinctifs, retrait qu'elle concçoit sous deux catégories, celle de la nudité et celle du dépouillement.

 

akkaSur le versant de la nudité (que l'auteur aborde sans avoir lu mon livre et donc sans dialogue possible avec mes propres recherches, il faut le préciser), Mme Pasche Guignard part de la figure d'Akka Mahadevi, qu'elle présente comme "une figure féminine de la bhakti sivaïte de l’Inde du sud au 12e siècle, "souvent représentée nue dans l’iconographie traditionnelle", mais couverte d'une chevelure abondante (comme sainte Agnès sous nos latitudes), qui atténue son érotisme (alors que pourtant la chevelure a parfois une valeur érotique dans d'autres contextes).

 

Elle identifie cinq cas d'utilisation de la nudité devant les dieux : (1) la mise à disposition du corps féminin pour le dieu (en tant que corps de  la  bien-aimée) ;  (2) un choix ascétique souvent associé à une marque de liberté  par  rapport aux contraintes et aux attentes de la société ; (3) une violence contre le corps féminin dans le but de porter une atteinte à l’honneur ;  (4) une prescription rituelle ; (5) une manifestation de folie temporaire imposée comme châtiment par une divinité.

 

Le cas de Akka Mahadevi pouvant entrer dans le rubrique (2). Le cas des filles de Protée qui errent nues à la suite d'une décision d'Aphrodite dans les Histoires Variées d'Elien relèverait du (5), mais Mme Pasche-Guignard s'en tient au corpus indien.

 

Elle retient

- donc pour la catégorie (3)  le déshabillage de Draupadi dans le Mahabharat (repris dans dans le Padavali attribué à
Mirabai) quand Duryodhana vainqueurs à une partie de dés demande aux époux de Draupadi de la dévêtirà la cour du roi Dritharastra avant d'être sauvée par Krishna

- pour la (4) le « vol des vêtements » (cir haran) des gopis (dans le Bhagavata Purana) par Krishna que j'ai voqué dans "La Nudité".

- et pour le (1) le pad du Padavali.

 

A partir d'une étude du déshabillage de Draupadi et du "vol de vêtements" de gopis, F. Pasche-Guignard rappelle que la nudité féminine, danger pour l'honneur de la famille de la femme et pour l'intégrité psychologique de l'homme qui la désire d'un point de vue patriarcal, est aussi une punition pour la femme (je renvoie ici à mes propres développements sur la nudité-humiliation dans mon livre précité).

 

On trouve dans son travail d'intéressantes mises en rapport de la nudité avec les lieux de son déploiement : par exemple sur la légitimité de la nudité (ce que j'appelle pour ma part la nudité-don) dans la chambre de la belle famille (avec au passage des remarques utiles sur la difficulté de traduire le vers "Je suis assise, parée et maquillée, dans la maison du Bien-Aimé et maintenant je n’ai même plus de brassière").

 

DSCN5912Il y a dans le travail de F. Pasche-Guignard une remise en contexte de la nudité féminine à l'égard de la problématique générale du dépouillement (et donc de l'abandon des marques sociales et du luxe). Elle note que la poétesse Mirabai du XVIe siècle (auteur des Padavali) renonce au luxe (pensons au dernier livre pour le "grand public" de P. Morand sur les religions et le luxe) sans renoncer au vêtement et les nonnes jaïns ne se dénudent pas (à la différence de certains renonçants masculins). Akka Mahadevi reste l'exception plus que la norme. Dans les rites de transition (que j'ai pour ma part rattachés aux travaux de Goffman) l'abandon des parures ou l'abandon complet des vêtements joue un rôle comparable. Dans une excursion hors du corpus indien l'historienne renvoie au dépouillement de Cassandre (dont on peut noter aussi que dans l'iconographie grecque il va jusqu'à la dénudation partielle, et même une dénudation des plus violentes selon les canons de représentation de la Grèce classique).

 

Les questions que pose F. Pasche-Guignard sur la place de la dénudation dans les religions, ainsi que leur mise en contexte (par exemple le lien avec l'eau, la double mise en danger de l'eau et de la nudité, pensons aussi au baptême) peuvent donner lieu à beaucoup de prolongements à partir de l'étude de corpus culturels hétérogènes et éclairer le rapport anthropologique de l'humain à ses vêtements. Je pense aussi comme le suggère l'auteur lui-même que cela devrait être pensé avec la problématique de la nudité des dieux et des déesses (il faudrait reprendre à nouveaux frais les intuitions de Georges Devereux là-dessus en les libérant de leur gangue psychanalytique). Je tombe par hasard en ce moment sur des remarques intéressantes de Tobie Nathan (dans son autobiographie dont nous ferons bientôt la recension) sur le rapport érotique des peuples sémitiques au divin (notamment à travers la hiérodulie). C'est aussi une dimension religieuse de la nudité qu'il faut tenir ensemble avec les analyses de Mme Pasche-Guignard. Nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir.

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