Le Graal en Espagne avant Chrétien de Troyes ?
Ce n'est pas la première fois qu'on s'intéresse au Graal sur ce blog, sous l'angle de Marie-Madeleine, des Templiers, ou de Joseph D'Arimathie.
Je voudrais ici revenir sur ces origines du Graal, mais cette fois d'un point de vue espagnol, à travers l'interview ci-dessous de la médiéviste léonaise Margarita Torres qui nous parle ici (minute 19) d'une relique très connue en Espagne : le calice de l'infante de León Urraca de Zamora (1033-1101). Cet objet se trouve au musée de la collégiale de San Isidoro de León depuis le XIe siècle. Je précise à titre liminaire qu'outre son engagement politique à droite, l'historienne est aussi favorable aux Templiers (plus loin dans son interview elle dit beaucoup de bien de Jacques de Molay), ce qui peut faire signe vers des engagements maçonniques. Ses travaux sont en tout cas ont inspiré notamment le film américaine Onyx, les rois du Graal de Jim Caviezel (2018).
Voici comment l'historienne essaie de démontrer qu'il s'agirait du Graal. Fille de Ferdinand Ier, doña Urraca fut une héroïne de guerre qui affronta sur le champ de bataille le roi de Castille, le Cid Campeadeor (qui inspira Corneille) etc. A son époque un objet venant d'Egypte qui est une moitié de l'actuel calice (qui est en deux partie) arrive en Espagne. C'est une coupe romaine abimée (il en manque un morceau). Deux parchemins de l'époque où le Leon fait partie de la Castille ont été retrouvés à l'université d'Al-Ahzar (min 26). Les manuscrits racontent qu'à l'époque du calife fatimide Al-Mustansir (qui régna de 1035 à 1094, il avait autorité sur Jérusalem) il y eut une famine telle que de milliers de chevaux de combat il n'en resta que trois, dont le calife mangea les deux derniers.
Par charité l'empereur de Byzance lui envoya du blé. Le sultan de Dénia (près de Valence), Ali ibn Mujahid ad-Danii qui l'a également aidé (dit le premier parchemin) vers 1055 demande en retour la coupe dans laquelle Jésus a bu avec ses disciples qui se conserve à Quds (Jérusalem). Ad-Danii a précisé qu'il voulait en faire don à Ferdinand Ier de Leon et que les Chrétiens de Jérusalem n'ont accepté de le remettre au calife qu'à condition qu'il soit transporté par des mains chrétiennes. Le second parchemin, document administratif, porte un ordre de Saladin pour récupérer le fragment de la coupe qui a été enlevé par le gouverneur d'Egypte au moment du transport de celle-ci vers l'Ouest car il sivait que la coupe avait un pouvoir curatif et il voulait soigner sa fille.
Si l'on enlève les décorations ajoutées par Urraca, le calice est une coupe d'onyx, sur laquelle on voit l'impact du choc causé par le gouverneur d'Egypte pour enlever le fragment.
Au dessus de cette coupe se fixe une autre coupe en or qui a été ajoutée pour que les gens n'utilisent pas directement pour la messe une coupe où Jésus-Christ a bu mais une coupe au dessus à laquelle elle a transmis ses bénédictions (minute 34).
Ce "calix domini" est-il authentiquement celui de Jésus ? Les premiers textes sur ce calice à Jérusalem remontent au IVe siècle (le bréviaire A). Auparavant la clandestinité du christianisme ne permettait pas de noter ce genre de chose officiellement. Il y a aussi un texte d'Adomnan de l'abbaye écossaise d'Iona sur le témoignage d'Arculfe (VIIe siècle) sur ce qu'il a vu en Terre Sainte, relaté ensuite dans De Locis Sanctis qui décrit le calice comme étant d'onyx. Un document de Charlemagne aussi mentionne la présence de ce calice dans la Saint-Sépulcre dans une chapelle où deux prêtres le surveillent.
A San Isidoro de León au dessus des tombeaux des rois qui ont voulu être enterreés près du calice, se trouve une reproduction de la Cène,
Tous les apôtres y ont leur coupe personnelle en métal.
Jésus a nécessairement eu une coupe en métal ou en pierre parce que les prescriptions juives pour la Pâque interdisaient les coupes en bois ou en céramique.
Jésus sur la fresque n'a pas de coupe. Sa coupe c'est ce personnage qui l'a en main : Marcial de Limoges, l'homme qui selon la légende servit Jésus.
Le point important est que la forme et la couleur de la coupe, et la ligne noire qui se trouve aussi sur la coupe de Dona Urraca telle qu'on peut la voir quand on la démonte aujourd'hui. Donc l'auteur de la fresque a vu le calice.
Ferdinand II au XIIe siècle allait faire dévier le chemin du pèlerinage de St Jacques de Compostelle pour qu'il passe par la Collégiale de Saint Isidore. Il avait pour beau frère Philippe de Flandres qui avait pour chambellan Chrétien de Troyes, auteur du roman du Graal...
L'historien français Patrick Henriet qui fut le premier à remettre en question, dans un article publié en France, la théorie selon laquelle le calice de Doña Urraca était le Saint Graal, et accusant Margarita Torres et son collègue José Miguel Ortega de mélanger science et roman.
Alejandro García Sanjuán, professeur d'histoire médiévale à l'Université de Huelva, dans sa critique du livre Les Rois du Graal , dénonce la confusion entre fiction et savoir dont il souffre, révélant un manque de clarté dans la découverte des parchemins du Caire, dans le contenu et la traduction des documents eux-mêmes et dans une datation vague, ce qui le rend sceptique à ce sujet. Il décrit le livre comme une « œuvre commerciale conçue de manière stratégique ».
Ces démentis universitaires seraient à examiner mais à ce stade on ne peut pas partir du principe que ceux-ci sont plus pertinents que la thèse de M. Torres.
L'alchimie en Bohème
En 2019, on pouvait lire dans la revue Talanta (journal international de chimie analytique pure et appliquée), que Gleb Zilberstein et le chimiste Pier Giorgio Righetti, ont découvert des quantités très importantes de métaux – notamment d’or, d’argent, de mercure et de plomb – dans les pages d’un manuscrit de Kepler relatif à la lune, catalogué sous le nom d’« Hipparque » aux archives de l’Académie des sciences de Russie. L'astronome danois au nez d'or (qui avait perdu son nez dans un duel pour défendre Pythagore) Tycho Brahe, décédé en 1601, l’avait fait venir à la cour de Rodolphe II en 1600, un an avant sa mort et l’aurai instruit dans cet art dans son laboratoire sur l’île de Ven. Lorsque le corps de Tycho Brahe a été exhumé en 2010, l’analyse d’échantillons de poils a révélé qu’ils contenaient des quantités d’or « jusqu’à 100 fois supérieures à celles d’une personne normale aujourd’hui » . Son observatoire était situé dans la ville de Benátky nad Jizerou ( Venise sur l'Iser, ex Benatek) près de Prague avant qu'en 1600 Rodolphe II ne l'oblige à s'installer au belvédère du chateau de Prague.
Le fait ne devrait surprendre personne : Prague était la capitale européenne de l'alchimie. On dit qu'à l'époque elle comptait 200 alchimistes.
Au même moment le roi de Pologne Sigismond III (1566-1632) avait pour alchimiste Michał Sędziwój (Michael Sendivogius) qui était en lien avec Edward Kelley l'alchimiste de Rodolphe II. Il fit d'ailleurs des allers-retours Cracovie-Prague en partie pour des missions de renseignement.
En 1604 Sendivogius reçut de l'écossais Alexandre Sethon qu'il avait aidé à fuir les geôles de l'électeur de Saxe Christian II Wettin (comme Kelley avait été prisonnier de Rodolphe II) et obtint de lui une once de pierre philosophale qui lui permit de réaliser une belle transformation devant Sigismond III. "Je pourrais, écrit-il dans son traité "Cosmopolite" traduit en français, rapporter plusieurs auteurs renommés pour témoins incontestables de la certitude de cette Science. Mais les choses que vous voyons sensiblement et dont nous sommes convaincus par notre propre expérience, n'ont pas besoin d'autres preuves. Il n'y a pas longtemps, et j' en parle comme savant, que plusieurs personnes de grande et petite condition , ont vu cette Diane toute nue." Selon la revue Eon qui le republia en 1925 ce traité avait Alexandre Sethon comme auteur véritable. Voir le portrait de Séthon ici.
La même année 1604 paraissaient à Prague les douze traités de Seindivogius "sur la pierre du Saga" qui allaient nourrir le courant rosicrucien (en 1616 quelques écrits rosicrusiens étaient vendus à Prague pour 16 000 thalers, et en 1641 en Bohème deux rose-croix qui avaient fait connaître leurs richesses sont mis à la torture jusqu'à en mourir pour arracher leurs secrets).
Sendivogius condamnait l'utilisation de l'or qu'il jugeait être une matière morte comme tous les autres métaux pour la recherche de la pierre philosophale. Lui-même eut assez vite de nombreux ennuis comme Sethon avant lui.
Revenons à Kepler, protestant, fils naturel d'un jésuite et d'une herboriste qui fut poursuivie pour sorcellerie (il la défendit en justice). La journaliste cinéaste Henriette Chardak, fille et petite fille d'inventeurs, racontait en 2004 à Radio Ici et Maintenant comment elle en est venue à travailler sur lui. Un 1er avril, elle était chez un ami musicien pour une musique de film et elle regarda la pleine lune, et découvrit ses lacunes sur les astres. Elle a travaillé sur lui à partir de 1983. Pour elle Kepler est à la fois un génie, un clown, un prophète et un homme bon, bon mari, bon père (ce qui est rare chez les savants).
"Tout est incertain ici, Tycho est un homme avec lequel on ne peut pas vivre sans être sans cesse exposé à de cruelles insultes. La solde est brillante, mais les caisses sont vides, et on ne paie pas. " écrivait-il en 1600 à Prague. Joshua et Ann-Lee Gilder ont accusé Kepler d'avoir empoisonné accidentellement ou volontairement Tycho avec du mercure. Owen Gingrich, professeur émérite d'astronomie à Harvard l'a démenti. Peter Andersen de la fac de Strasbourg pense que le criminel fut Eric Brahe, cousin de Tycho et diplomate suédois au service du Danemark (qui lui disait en public "tu es bâtard comme ton dieu et maître Pythagore"). pour se venger de la relation de Tycho avec sa mère. On dit que la mort de Tycho Brahe inspira l'Hamlet de Shakespeare.
H. Chardak pense que Brahe se méfiait de Kepler parce qu'il avait été toute sa vie spolié (c'est pourquoi sur son lit de mort il suppliait Kepler de ne faire en sorte qu'il n'ait pas vécu en vain).
Tycho Brache faisait des horoscopes pour se détendre. Kepler aussi sans trop y croire. A la veille de son mariage Kepler a fait son horoscope en y projetant sa personnalité. Astrologie et alchimie vont généralement de pair.
Pour ma part je suis très réservé à l'égard de l'un et l'autre art;
Parler en langues, Hélène Bouvier, Bérulle
Voici le témoignage important de l'abbé Pierre Lambert (31.8.1933-21.10.2023), qui fut exorciste de l'évêché de Tours jusqu'au 31 août 2023 peu avant sa mort (l'an dernier) interviewé par Jean Louis Barré dans la maison de Léon Papin Dupont, initiateur (entraîné par une religieuse carmélite Soeur Marie de Saint-Pierre) de la Confrérie de Sainte-Face (dont Ste Thérèse de Lisieux fut membre). Il a été formé par un prêtre l'abbé Louis Hue (1891-1955) aumonier du couvent de la Visitation où était Ste Thérèse très implanté dans le surnaturel : pendant 5 ans il allait le voir une heure par semaine le mercredi.
Cette interview évoque beaucoup de thèmes importants abordés sur mon blog. Le parler en langues (dans les milieux charismatiques) : polyglotte, Pierre Lambert a entendu, il y a longtemps dans le cadre du Renouveau charismatique au moment d'une prière de groupe en sa faveur une petite dame sans études s'est mise à prier en araméen. Il cite aussi le cas d'un employé d'une "agence de logement" qui s'est mis à faire une action de grâce en grec ancien à la chapelle des Franciscains dans la Basilique de la Résurrection (cela confirme au passage que le parler en langues n'est pas forcément n'importe quoi, un jour Michelle d'Astier de la Vigerie dans la mouvance évangélique avait dit qu'alors qu'elle priait en langues sans savoir ce qu'elle même disait une de ses voisines a compris la prière et dit qu'elle priait pour Israël, mais là pour le coup on ignorait à quelle langue cela correspondait - notez que tout le milieu charismatique, y compris le P. Lambert tenaient une position assez sioniste). Je dois dire qu'une expérience d'un membre de ma famille dans le cadre d'un exorcisme il y a quelques années confirme la validité performative d'un certain parler en langues quand il est inspiré d'en haut.
En minute 10 il parle aussi des défunts qui s'emparent de petits fils pour faire passer des messages. Il confirme en minute ce que le médium Reynald Roussel avait signalé dans une de ses vidéos : le soutien du padre Pio à la voyante Hélène Bouvier. En minute 17 il dit : "Quelqu'un qui m'a aidé (à échanger avec les morts) c'est quelqu’un d'un peu original, c'est Hélène Bouvier, (...) c'est une personne qui avait le soutien inconditionnel du Padre Pio (...) le nombre de personnes qu'elle a conduits vers Dieu qui étaient incroyants, j'ai vu des francs-maçons notoires qu'elle a conduits vers Dieu, c'était un travail énorme". (Mais le Père Auzenet ici il y a deux ans lisait le témoignage d'Hélène Bouvier elle-même dans ses ouvrages qui faisait seulement état d'un regard rempli d'amour vers elle du Padre Pio, sans parole, qui, du coup l'a dissuadée de se confesser auprès de lui - ce qui est un peu étrange).
Il raconte aussi que le 15 décembre 2020 il a été plaqué contre le mur par une quadragénaire possédée, comme le Padre Pio il entrevoit ce que les gens ont à dire en confession, et se réclame de la tradition de l'école française bérullienne (minute 43). Je vous conseille la lecture du Traité des Energumènes de Bérulle ou son résumé ici.
Milarepa et les démons
Voici un récit du lama Kalou Rinpoché (1905-1989) extrait de La voie du Bouddha, Points Sagesse, 2010, p. 225-26, cité par ce blog, qui m'intéresse du point de vue de la dialectique ascèse/démons (je préciserai en quoi à la fin de ce billet), à propos de Milarepa (1052-1135 - un contemporain de Guillaume le Conquérant et d'Anselme de Cantorbery).
"Alors que Milarepa était en retraite, un jour, en rentrant dans sa grotte, il se trouva face à une horde de démons terrifiants avec des yeux grands comme des soucoupes. Ils exhibèrent leurs pouvoirs faisant trembler le sol et déployant toutes sortes de manifestations terrifiantes. Milarepa essaya différents moyens pour les chasser : il adressa des prières à son lama Marpa, médita sur la divinité protectrice, menaça les démons, et tenta toutes sortes de stratagèmes. Ils se moquèrent de lui : "A en croire son attitude, il semble qu'il ait perdu son équanimité et que nous l'ayons troublé".
Alors Milarepa se dit : "Marpa Lodrakpa m'a enseigné que toutes les apparences sont projections de l'esprit, et que la nature de celui-ci est vide et lucide ; considérer ces démons comme extérieurs et vouloir les expulser est illusion".
Réalisant alors que la nature de l'esprit ne pouvait être affectée par ces manifestations, et qu'elle demeurerait inchangée même devant une myriade des démons les plus terribles, il comprit les démons comme l'expression des fixations et des pensées dualistes de son esprit. Alors, dépassant ses peurs, il accepta la présence des démons, et fit naître envers eux une compassion authentique.
Il se dit :"Si ces démons veulent mon corps, je les leur offre ; la vie est transitoire, il est bon que je puisse aujourd'hui faire ainsi une offrande bénéfique". Cette attitude de profonde compassion et de compréhension de la vacuité apaisa les démons et finalement leur chef s'adressa à Milarepa : "Croyant que tu avais peur de nous, nous pensions pouvoir te nuire ; mais si la pensée des démons n'apparaît jamais dans ton esprit, tu n'as nulle crainte à avoir". Puis ils disparurent."
A mon humble avis il faut garder à l'esprit que cette histoire ne nie pas l'existence des démons (aucune civilisation avant le XVIe siècle ne les a niés, à l'époque de quelques individus rationalistes grecs et indiens).
Les démons existent dans un extériorité semblable à celle des objets qui nous entourent (il ne s'agit pas de les psychologiser). Mais de même que du point de vue bouddhiste les objets matériels sont la projection de notre soi, et de nos erreurs, de même les démons. L'ascèse est donc susceptible de les faire de disparaître mais de même qu'en vertu d'une logique "quantique", pour parler comme feu-le père Brune, elle peut éloigner des objets ou des gens de notre chemin.
On sent cependant qu'il y a quelque imprécision dans ce récit qui ne permet pas de comprendre clairement quelle peur des démons il faut enlever de l'esprit. Ce n'est certainement pas au sens des rationalistes l'idée de simplement "ne pas y croire", sans quoi alors le bouddhisme fait le jeu des démons (cf Baudelaire et l'intérêt des démons à ne pas les prendre en compte). C'est peut-être davantage ne pas craindre au sens de la Bienheureuse Marie des Vallées (qui était convaincue que les démons étaient liés), avec en plus une dimension spécifique d'effacement du Moi.