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Universaux, nominalisme, réalisme, conceptualisme

13 Juin 2024 , Rédigé par CC Publié dans #Philosophie, #Histoire des idées

Fin juin 2019, j'ai retrouvé dans mon journal du 2 avril 1991 (j'avais 20 ans) ce texte relatif à une conférence de Sciences-Po-Paris de Grands enjeux du débat politique et social (GEDPES) animée par Séloua Boulbina qui est aujourd'hui directrice du Collège international de Philosophie.

"J'ai ramené ma tête hirsute au cours de GEDPES, sans motivation. Je dormis pendant une heure entrecoupée par quelques bavardages avec mon voisin. Malgré le peu d'intérêt que je portais à son cours sur la technique (duquel le nom de Heidegger fut absent), Mme Boulbina, charitable, me permit de me mettre en valeur in extremis et sans frais, en me demandant innocemment : "Colera. Est-ce que vous avez déjà entendu parler du nominalisme ? est-ce que ça vous dit quelque chose ?" J'ai pu réciter trois phrases synthétiques sur la question avant de me rendormir.

"Balaise" a dit mon voisin. J'imaginais les jeunes filles de l'assistance sciencepotarde se disant : "Quelle tête ce M. Colera ! Avec quelle aisance et quel air détaché il disserte sur des sujets hermétiques, lui qui n'est qu'un Sciences-Po comme nous, paré qui plus est des apparences vertueuses de la modestie et de la banalité. Quel esprit étonnant ! Comme je ne suis rien devant lui !"

Et cette idée me séduisait."

Ce morceau d'anthologie de la bêtise et de la vanité de l'âge tendre (qui cependant n'était pas dépourvu d'une petite dose de second degré) m'a bien fait rire quand je l'ai relu. J'avais donc une certaine aisance, semble-t-il, à l'époque, sur les sujets de philosophie du langage, domaine dans lequel j'avais décroché un premier accessit national au concours général des lycées en 1988 (il n'y avait pas eu de second prix à l'époque derrière le premier).

De fil en aiguille récemment, je suis à nouveau tombé sur la problématique du nominalisme, et, du coup, j'ai décidé de vous offrir un petit voyage dans ce monde en me fondant sur un séminaire du collège de France d'Alain de Libera et Irène Rosier-Catach de 2018-2019, intitulé "Philosophie du langage et théologie au Moyen-Age".

Je me bornerai ici à en reprendre les éléments principaux.

Au Moyen-Age, il y a plusieurs sujets parlants : l'homme, Dieu, les anges. Victor Cousin en 1840, premier éditeur d'Abélard, voyait dans la querelle du réalisme (tenu par Guillaume de Champeaux) et du nominalisme (tenu par Roscelin de Compiègne) était centrale au Moyen-Age, querelle à laquelle Abélard avait ajouté le conceptualisme. Chaque option répond à la question que sont les universaux : des noms, des choses, des concepts ?

Cette querelle procède d'une réduction de la philosophie antique à une seule question dans l'Isagogè de Porphyre de Tyr, introduction aux catégories d'Aristote traduites par Boèce. Pour mémoire dans l'Organon d'Aristote on a d'abord le traité des Catégories, puis le Peri Hermeneias (De l'Interprétatio).

Ogden et Richard (1923) tracent un triangle sémantique symbol-thought of reference-referent, qui renvoie à onomata (nom), noemata (pensée), onta (étant) chez les commentateurs d'Aristote.

Pour les néoplatoniciens notamment Simplicius, (au VIe s)  les catégories sont "dans le langage qui procède de l'âme humaine les mots simples qui signifient les réalités simples ou genre suprême par la médiation des notions simples qui sont dans l'âme".

Ces mots simples sont les premiers dans l'histoire, Philippe Hoffmann en 1987 a montré que les commentateurs décèlent deux étapes d'institution des mots : celle des catégories (traité par le Des Catégories,), puis celle des noms et verbes (traité par Peri Hermeneias).

Le questionnaire de Porphyre pose trois questions

- les genres et espèces existent-ils ou sont-ils des concepts ?

- s'ils existent sont-ils des corps ou des incorporels ?

- s'ils sont incorporels sont-ils séparés ou existent-ils dans les sensibles et en rapport avec eux (et circa ea constantia) ?

Cousin y voyait la poursuite de l'opposition entre idéalisme platonicien et théorie aristotélicienne des formes immanentes.

Joseph Marie De Gérando (1772-1842), dans un mémoire primé par l'Institut en 1799, ajoutera Zénon le stoïcien à ce triangle. S'il y a chez Platon une existence des genres et des espèces avant la chose (ante rem), sur un mode surnaturel, et chez Aristote une existence physique de ceux-ci, unis aux individus (dans la chose donc, in rem) mais détachables par l'esprit, Zénon, lui, pose leur existence dans l'esprit qui les conçoit (après la chose, par comparaison, post rem). On retrouve là la trilogie néo-platonicienne d'Ammonius avant le multiple, après le multiple, dans le multiple. Cela  a été repris par les chrétiens syriaques, puis par Avicenne.

Gérando a reçu cela par Brucker (1696-1770), qui avait vu que métaphysique, physique et logique, recoupe le ante rem, in rem, post rem.

Ammonius dans son commentaire de l'Isagogè dira que si l'on suppose un anneau représentant Achille qui marque plusieurs pains de cire. L'observateur qui trouve les pains, constate que l'empreinte est identique et remonte à un anneau antérieur aux multiples, tandis que la marque est bien dans les multiples, et celle qui est dans la faculté discursive de celui qui l'a imprimée est postérieure au multiple.

Sergius de Reshaina dans les années 500 utilisera la même tripartition mais pour dire que les espèces et genres se partageant en trois : ceux qui sont simples et premiers auprès de Dieu, ceux qui sont dans la matière ou ceux qui sont intellectuels. Une espèce est auprès du Créateur et imprimée dans le monde. Et l'observateur l'imprime ensuite dans sa mémoire.

Avicenne dans le sillage d'Ammonius (le avant, dans, après, qui sera repris par Albert le Grand) remarque qu'il y a un intelligible que l'on conçoit d'abord avant qu'il ne soit dans les choses, comme l’œuvre d'un artisan, et celui qu'on trouve d'abord dans les choses sensibles avant d'être formé dans l'intellect. Avicenne en viendra  à penser l'émanation de l'Un à travers les créatures angéliques et les êtres sensibles, puis le travail conceptuel de réunification.

Il y a une sigillation qui va de la pensée de Dieu avec les entités qui lui correspondent vers la capacité d'abstraction de l'homme.

Le fil d'Ariane du questionnaire de Porphyre permet de comprendre ce qui s'est passé au XIIe siècle. A ce moment là, Abélard y ajoute une quatrième question : "si les genres et espèces existent en rapport avec les sensibles, sont-ils nécessairement aussi longtemps qu'ils sont genres et espèces une chose  subordonnée à eux par nomination. Ou si l'on préfère si les choses nommées sont anéanties l'universel peut-il consister seulement dans la signification de l'intellection, comme la rose s'il n'y a aucune rose ?"

Le compendium des examens de Paris de 1240 porte sur les universaux de Porphyre. (1h16). Cela se retrouvera chez Martin de Dacie, Pierre d'Auvergne, Raoul le Breton, Guillaume Russell (qui coupera des idées divines et prendra les entités comme entités physiques comme le soleil ou métaphysique comme les concepts) etc développeront aussi ces problématiques.

Irène Rosier-Catach de l'EPHE développe le "linguistic turn" du XIIe siècle. Guillaume de Champeaux (1070-1121) maître d'Abélard. Au XIe siècle, on reçoit Aristote à travers les commentaires de Boèce.

Le premier grand commentaire de Porphyre(P3) à partir de Boèce ne doit rien à Anselme de Cantorbury malgré les ressemblances qu'on reconstitue a posteriori. C'est une logique "in voce" qui apparaît contre la logique "in re" de Boèce. Ayant récupéré tous les textes via Boèce, on va les lire ligne par ligne, ce que ne fait pas Boèce, et cela donne lieu à des interrogations autour du fait que les mots n'ont pas d'article en latin.

On connaît les positions de Guillaume de Champeaux notamment à travers les commentaires de ses disciples et adversaires. Abélard l'a forcé à revenir sur sa position sur les universaux, c'est ce qu'il dit dans l'Histoire de mes malheurs. Gosvin (cf contribution de Grandeux dans ce livre) à son tour allait affronter Abélard et raconter comment sa victoire publique avait discrédité Abélard, comme Abélard le fit avec G. de Champeaux.

La 4e question se comprend dans la dispute d'Abélard avec son maître.  Guillaume (dans son commentaire du grammairien Priscien de Césarée) place dans les choses de formes diverses une substance identique. En posant la question des intellections vides et du fait que Platon et Socrate pourraient n'être que des accidents de la substance homme qui ouvre la voie au nominalisme, Abélard combat le réalisme sur le terrain où il s'était développé, celui de la signification du nom commun. Puisqu'il y a des choses universelles, il faut expliquer leur intellection par les noms communs.

Les thèses ontologiques dérivent des thèses sémantiques. Cela implique aussi une réflexion sur la qualité (chez Boèce "album"/blanc n'est qu'une qualité, mais est-ce un nom ou un adjectif ?). Toutes les choses sont discrètes et donc elles ne peuvent avoir que des noms propres.

La 4ème question crée une théorie des intellections : un nom à référence vide risque de créer une intellection vide. Dans le triangle de Boèce mots (voces)/concepts/ choses, le concept peut ne pas ressembler à la chose : il y a une visée (attentio), ce qui renvoie à St Augustin. On peut viser la chose autrement qu'elle n'est.  Une chose singulière peut être visée comme universelle, ou des choses inexistantes.

Sans la récupération de la grammaire de l'Antiquité tardive et des débats potentiels qui la soustendaient par Guillaume de Champeaux, la révolution abélardienne n'aurait pas été possible. Ils ont récupéré tout une héritage de questions traitées par Boèce qui a dormi pendant 500 ans.

Abélard arrive aux opérateurs logiques comme actes de l'esprit indépendants de l'esprit. Cette notion d'acte n'était pas chez Boèce. Tout cela fut pensé en lien avec la grammaire et la question de la uox : comment une même voix peut être produite par moi et arriver la même dans vos oreilles ? est-ce la même ? On aura la même chose avec les universaux comme communs. Idem la question du temps et du nombre.

Dans la première disputatio des Tusculanes Cicéron faisait dialoguer A et C sur les enfers (y a-t-il des gens aux enfers ou pas ? où purge t on son malheur ? si on n'est plus peut-on être malheureux ?).

C enferme A, dans un problème qui renvoie à la référence vide.  Une des propositions de la fin rejoint "je voudrais ne pas mourir mais être mort ne m'est rien". La Conclusion pourrait être reformulée "La mort est la fin des réalités terribles" (quod finis terribilium est mors), thèse condamnée à Paris en 1277 par Etienne Tempier.

Cicéron ne se posait pas la question, mais il ouvrait sans le savoir celle de la référence vide. Son origine au Moyen-Age fut dans la question l'humanité du Christ "in triduo mortis". Soit trois propositions : l'homme est un animal, aucun homme n'existe. César est homme, César est mort. Christ durant les trois jours du tombeau fut homme.

Roger Bacon (1212-1292) s'en est pris au franciscain Richard Rufus de Cornouailles (Richardus Cornubiensis), dans un bilan critique de toutes les discussions sémantiques du XIIIe siècle sur la prédication sur les classes vides. L'ignorance obstinée de principes sémantiques conduit non seulement à l'ignorance mais aussi à l'hérésie. Erreur quand on soutient que César mort est un homme, ou qu'un homme mort est un animal. Hérésie quand on maintient avec Richard de Cornouailles lecteur de Pierre Lombard, que Jésus est resté homme pendant les trois jours. Richard dit Bacon, était célèbre parmi les foules imbéciles, mais tenu pour fou parmi les sages et réprouvé à Paris. Il avait lu les sentences en 1250, puis pendant 40 ans il a tenu la foule dans sa démence.

Selon Bacon, un nom ne peut s'appliquer univoquement à ce qui est à ce qui n'est pas. Un son vocal peut perdre la signification dont l'a doté sa première imposition. Le locuteur redonne ou retire son adhésion à un sens chaque fois qu'il ouvre la bouche.

Sa propre doctrine a été condamnée. Tout homme est nécessairement animal, est une sophismata."Beaucoup de parisiens suivent les sophismata plutôt que la philosophie / multi parisienses non philosophiam, sed sophismata sun secuti" disait Albert le Grand.

Le 18 mars 1277 l'évêque de Cantorbury interdisait l'enseignement à Oxford qui disait qu'il ne pouvait y avoir de vérité nécessaire sans constance du sujet. C'est l'acte I de la séparation entre les théories analytiques et continentales.

Le système parisien des nations permettait qu'il y ait à Paris aussi des positions de type anglais. Les livres circulent, les personnes aussi, entre l'Angleterre et la France. La Magna Carta est promue à Paris alors qu'un tiers des maîtres sont anglais. La constantia subjecti signifie la permanence du sujet : comment la proposition faite sur un sujet peut avoir une vérité réelle si ce sujet n'existe pas ? la vérité est-elle conditionnelle ? Bacon toute sa vie s'est battu pour la thèse condamnée en 1277. Le plus érudit des modernes, Leibniz en fait un moment de sa réflexion sur le fondement des vérités éternelles.

Il écrivait dans ses Nouveaux Essais : "Les scolastiques ont fort disputé de constantia subjecti, comme ils l’appelaient, c’est-à-dire comment la proposition faite sur un sujet peut avoir une vérité réelle si ce sujet n’existe point : c’est que la vérité n’est que conditionnelle, et dit qu’en cas que le sujet existe jamais, on le trouvera tel. Mais on demandera encore en quoi est fondée cette connexion, puisqu’il y a de la réalité là-dedans qui ne trompe pas. La réponse sera qu’elle est dans la liaison des idées. Mais on demandera , en répliquant, où seraient ces idées si aucun esprit n’existait, et que deviendrait alors le fondement réel de cette certitude des vérités éternelles. Cela nous mène enfin au dernier fondement des vérités, savoir, à cet esprit suprême et universel qui ne peut manquer d’exister, dont l’entendement, à dire vrai, est la région des vérités éternelles , comme saint Augustin l’a reconnu et l’exprime d’une manière assez vive ; et afin qu’on ne pense pas qu’il n’est point nécessaire d’y recourir, il faut considérer que ces vérités nécessaires contiennent la raison déterminante et le principe régulatif des existences mêmes, et, en un mot, les lois de l’univers. Ainsi ces vérités nécessaires étant antérieures aux existences des êtres contingents, il faut bien qu’elles soient fondées dans l’existence d’une substance nécessaire".

La problématique de la référence vide au XIVe siècle change de propositions litigieuses "chimaera est chimaera" "deum esse est deus" "mundum fore". Chimère ne désigne rien, c'est une notion vide qui n'autorise aucune prédication de forme, dira Ockham. La proposition "le monde serait" a-t-elle pu exister avant que le monde ne fut.

Je ne vais pas plus loin dans mon résumé de la conférence ci-dessous sur les problèmes que se posèrent les philosophes du langage de 1100 à 1300. Je vous laisse regarder ce qu'après 2h38 Mme Rosier-Catach dit sur le langage des anges, et les questions que Gilles de Rome (1247-1316) sur les anges qui font société et qui ne sont donc pas de simples envoyés comme le dicte le dogme, questions qui font réfléchir au thème de l'ouverture à l'autrui. Assurément il y a là un puits de questionnements dans lequel on pourrait passer beaucoup de temps.

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Milarepa et les démons

16 Mars 2024 , Rédigé par CC Publié dans #Philosophie, #Christianisme

Voici un récit du lama Kalou Rinpoché (1905-1989) extrait de La voie du Bouddha, Points Sagesse, 2010, p. 225-26, cité par ce blog, qui m'intéresse du point de vue de la dialectique ascèse/démons (je préciserai en quoi à la fin de ce billet), à propos de Milarepa (1052-1135 - un contemporain de Guillaume le Conquérant et d'Anselme de Cantorbery).

"Alors que Milarepa était en retraite, un jour, en rentrant dans sa grotte, il se trouva face à une horde de démons terrifiants avec des yeux grands comme des soucoupes. Ils exhibèrent leurs pouvoirs faisant trembler le sol et déployant toutes sortes de manifestations terrifiantes. Milarepa essaya différents moyens pour les chasser : il adressa des prières à son lama Marpa, médita sur la divinité protectrice, menaça les démons, et tenta toutes sortes de stratagèmes. Ils se moquèrent de lui : "A en croire son attitude, il semble qu'il ait perdu son équanimité et que nous l'ayons troublé".

Alors Milarepa se dit : "Marpa Lodrakpa m'a enseigné que toutes les apparences sont projections de l'esprit, et que la nature de celui-ci est vide et lucide ; considérer ces démons comme extérieurs et vouloir les expulser est illusion".

Réalisant alors que la nature de l'esprit ne pouvait être affectée par ces manifestations, et qu'elle demeurerait inchangée même devant une myriade des démons les plus terribles, il comprit les démons comme l'expression des fixations et des pensées dualistes de son esprit. Alors, dépassant ses peurs, il accepta la présence des démons, et fit naître envers eux une compassion authentique.

Il se dit :"Si ces démons veulent mon corps, je les leur offre ; la vie est transitoire, il est bon que je puisse aujourd'hui faire ainsi une offrande bénéfique". Cette attitude de profonde compassion et de compréhension de la vacuité apaisa les démons et finalement leur chef s'adressa à Milarepa : "Croyant que tu avais peur de nous, nous pensions pouvoir te nuire ; mais si la pensée des démons n'apparaît jamais dans ton esprit, tu n'as nulle crainte à avoir". Puis ils disparurent."

A mon humble avis il faut garder à l'esprit que cette histoire ne nie pas l'existence des démons (aucune civilisation avant le XVIe siècle ne les a niés, à l'époque de quelques individus rationalistes grecs et indiens).

Les démons existent dans un extériorité semblable à celle des objets qui nous entourent (il ne s'agit pas de les psychologiser). Mais de même que du point de vue bouddhiste les objets matériels sont la projection de notre soi, et de nos erreurs, de même les démons. L'ascèse est donc susceptible de les faire de disparaître mais de même qu'en vertu d'une logique "quantique", pour parler comme feu-le père Brune, elle peut éloigner des objets ou des gens de notre chemin.

On sent cependant qu'il y a quelque imprécision dans ce récit qui ne permet pas de comprendre clairement quelle peur des démons il faut enlever de l'esprit. Ce n'est certainement pas au sens des rationalistes l'idée de simplement "ne pas y croire", sans quoi alors le bouddhisme fait le jeu des démons (cf Baudelaire et l'intérêt des démons à ne pas les prendre en compte). C'est peut-être davantage ne pas craindre au sens de la Bienheureuse Marie des Vallées (qui était convaincue que les démons étaient liés), avec en plus une dimension spécifique d'effacement du Moi.

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Le néo-platonisme kabbaliste anglais à l'époque de Leibniz

12 Février 2024 , Rédigé par CC Publié dans #Philosophie, #Christianisme, #Histoire des idées, #Histoire secrète, #Alchimie

Revenons d'un mot sur les interlocuteurs kabbalistes et néo-platoniciens de Leibniz. Celui-ci dans ses Nouveaux Essais sur l'entendement humain évoque rapidement "ceux qui ont logé vie et perception en toutes choses comme Cardan, Campanella, et mieux qu'eux feu Mme la comtesse de Connaway platonicienne, et notre ami feu M. François Mercure van Helmont (quoique d'ailleurs hérissé de paradoxes inintelligibles) avec son ami feu M. Henri Morus" pour leur opposer "comment les lois de la nature ( dont une bonne partie était ignorée avant ce système) ont leur origine des principes supérieurs à la matière, en quoi les auteurs spiritualisants que je viens de nommer avaient manqué avec leurs archées" pour conclure que les animaux ont une âme immortelle (ce qui fait échapper aux craintes de la métempsychose

Jérôme Cardan (1501-1576), de Pavie, médecin, mathématicien et philosophe, dont les doctrines sont un mélange d'illuminisme et de matérialisme.

Campanella (1568-1639) était dominicain. Adversaire d'Aristote, auteur d'une célèbre utopie communiste réfugié en France.

"Van Helmont (François Mercure) (1618-1699), fils de J.-B. van Helmont, célèbre alchimiste. Comme son père, il admettait des archées, espèces d'âmes vitales pénétrant le corps entier et y accomplissant les fonctions de nutrition, de digestion, etc." (écrira un annotateur du XIXe siècle)

Henri Morus (ou More) (16141687), théologien et philosophe de l'école de Cudworth, mais avec un mélange de mysticisme. Il croyait aussi aux archées.

En notre siècle Tristan Dagron, directeur de recherche au CNRS, dans Toland et Leibniz (2009), apporte un éclairage intéressant sur le rapport de Leibniz à la Kabbale, en rappelant que, si Leibniz réfutait sa dette à l'égard de la kabbale (et à la manière dont autour d'elle se pose la question de la divisibilité de la substance), le philosophe irlandais John Toland (1670-1722), lui, l'y ramenait, et que ce n'était pas complètement infondé car Leibniz lui-même "face à ses interlocuteurs anglais, se réfère très fréquemment au platonisme anglais, et surtout aux Principia philosophiae antiquissimae et recentissimae d’Anne Conway qui propose un système largement inspiré des traductions de Knorr".

En 1677-1678 a lieu la publication des traductions latines par Christian Knorr von Rosenroth de textes issus de la tradition juive, d’extraits du Zohar et des plus récents développements de la Cabale de l’école d’Isaac Louria.

En 1662 Henry More (Henri Morus) avait publié les Conjectura Cabbalistica dans laquelle il cherchait à montrer à partir de la Kabbale (conçue comme étant la tradition mosaïque) comment la leçon du mécanisme cartésien ne saurait entrer en contradiction avec le platonisme qui pose la nécessité d’un plus haut principe, l’esprit pour « dresser un rempart exotérique ou une fortification extérieure autour de la théologie ». De cette kabbale il prétendait faire une lecture rationnelle, sans inspiration surnaturelle. Elle est pour lui convergente avec la tradition philosophique héritée d'Egypte via Pythagore et Platon, notamment sur la numérologie. L'une et l'autre sont pour More des piliers solides de la modernité qui d'ailleurs avaient anticipé sur l'héliocentrisme et le mécanisme.

En découvrant la traduction du Zohar et de Louria par Knorr von Rosenroth, More tombe sur  un immanentisme qui fait de Dieu « l’essence de toutes choses » et nie par conséquent la possibilité de la création, au risque de faire de Dieu et des anges des êtres matériels. Pour s'y opposer, il propose un exposé de l’arbre séfirotique qui écarte le modèle émanatiste. Seules les trois premières Sefiroth signifient des déterminations immanentes au divin, la trinité chrétienne et platonicienne : Kether, ou la Couronne est ainsi le « symbole de l’unité » qui correspond à la "première hypostase de la triade platonicienne". Hochmah, ou la Sagesse est interprétée comme le nous, la sophia ou le logos, correspondant à la « seconde hypostase de la trinité chrétienne », mais aussi de la « triade platonicienne ».Binah, ou la Prudence, et en tant qu’elle est constituée par la relation entre les deux premières hypostases, désigne « l’ardeur pure, immuable et infinie de l’amour divin, née de la perception de la perfection divine »  : il s’agit ainsi de la psyché platonicienne, à laquelle répond l’Esprit saint des chrétiens. Les sept Sefiroth suivantes correspondent, elles, à des « émanations » en tant qu’elle se rapportent essentiellement aux réalités créées.

 L’unique substance est l’esprit (« Quicquid vero est, spiritum esse », § 5). Cet esprit est « incréé, éternel, intellectuel, sensible, vital, se mouvant par soi-même et existant nécessairement par soi » (§ 6). Cet esprit est alors « l’essence divine » elle-même (§ 7), qui seule « peut exister par soi » (§ 8). Par conséquent, si tout est engendré de cette essence divine, de la division actuelle que l’on découvre dans les choses s’ensuit la divisibilité de l’essence divine elle-même. De l’essence divine se déduisent donc une infinité de « particules singulières » qui peuvent s’étendre et avoir de l’extension (§ 10), mais aussi se contracter ou se comprimer (§ 11). La contraction de ces particules constitue « le monde dit matériel ». Or puisque l’esprit est la substance unique, ce monde sera composé « d’esprits divisés ou de particules de l’essence divine contractées ou comprimées en monade ou points physiques »

Cet état de contraction correspond au « sommeil » de ces particules divines, et leur expansion, à « l’état de veille » (§ 13), suivant une terminologie que More emprunte aux textes traduits par Knorr. Il existe en outre différents états de veille, qui correspondent aux différentes facultés ou fonctions de l’âme (l’état végétatif, sensitif ou rationnel), et dans ces états de veille, s’étendant en orbes de dimension et de vertu presque infinies, les particules divines ou les esprits particuliers peuvent fabriquer ce monde et ses parties.  De l’unité substantielle de toutes choses, note Dagron, s’ensuit que les espèces peuvent se convertir les unes dans les autres, et que l’esprit qui était de la poussière de marbre peut se transformer en plante, puis de plante en bête, de bête en homme, d’homme en ange et d’ange en un Dieu créateur d’une nouvelle terre et d’un nouveau ciel (§ 15). Autrement dit, l’essence divine actuellement divisée en esprits sera tout entière dans chaque partie, qui, du fait de sa puissance et de sa faculté d’extension, pourra devenir elle-même une divinité créatrice, réellement distincte et séparée des autres (§ 16). La doctrine de l’unité de la substance conduit ainsi à poser une pluralité réelle de dieux. Conséquence absurde à laquelle échappe la doctrine de la création ex nihilo.

On est là dans des discussions typiquement internes au platonisme sur les conséquences de la théorie des émanations de l'être.

A partir de 1671, le cercle de Lady Conway (celle que Leibniz appelle par erreur Connaway) s'ouvre aux Quakers sous l'influence de François Mercure Van Helmont.

La Kabbala denudata, à la suite de la Confutatio de More, comprend un bref Dialogue apologétique entre le Compilator (Knorr) et un « Cabaliste cathéchumène » (vraisemblablement Van Helmont). Le cabaliste y critique alors  la définition « formelle » de la création comme production ex nihilo. Dieu est cause du monde comme le soleil de ses rayons. Toutes les Sefiroth sont ici conçues comme des relatifs ou des « genres » métaphysiques qui expriment la relation du créateur avec l’ordre du créé.

Dans la seconde moitié des années 1670 Anne Conway écrira les Principia philosophiae antiquissimae et recentissimae que Van Hermont publiera à titre posthume en 1690 qui spécule sur la rétractation de Dieu dans le mouvement de création dans laquelle prend place le Messie (ou l'Adam Kadmon), première créature émanée de l'infini, comme Verbe. La médiation du Christ présent en toutes choses est immanente est une doctrine solidaire de la théologie quaker (un point très important à mon avis pour comprendre le Christ cosmique du New Age).

Si les créatures émanent de leur principe, avançait Henry More, elles seront de même nature ou substance que leur créateur et il s’ensuivra que l’essence divine elle-même sera divisible et identique aux réalités corporelles ainsi produites, de sorte que l’on aurait un Dieu « transformé en argile et en pierre ». Mais s'il y a la médiation du Verbe comme idée de Dieu, répond Van Hermont, il peut se diviser sans atteindre l'unité de Dieu. Ann Conway renvoie à Actes 17:29, la source de l'humanité en Christ primogenitus fonde la fraternité humaine et la philanthropie quaker. Tous sont fils de ce premier né de Dieu. Les natures créées peuvent « dégénérer » de cet état de perfection originel, dans lequel toutes sont d’une même espèce. C’est cette possibilité qui fait la différence entre l’esprit médiateur, l’idée de Dieu, et la multiplicité des esprits engendrés par elle et nous pouvons cependant revenir à la filiation première après la déchéance par voir d'adoption en ressemblant au Christ. Le modèle est le Parménide platonicien, au moins tel que Ficin l’expose dans son commentaire, que la comtesse de Connway récupère à travers le travail de platonisation de la kabbale de Louria opérée par Abraham Cohen Herrera.

Je ne développerai pas ici les implications de ces problèmes sur la question de la divisibilité ultime de la matière (problème auquel Kant mettra un point final). Mon propos était seulement de montrer cette face cachée (ésotérique et théologique) de la philosophie européenne du XVIIe siècle que la philosophie de nos cours de Terminale ont eu trop tendance à faire passer à la trappe.

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Quand Leibniz voulait que la France conquière l'Egypte

9 Février 2024 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire secrète, #Spiritualités de l'amour, #Alchimie, #Histoire des idées, #Philosophie

De Leibniz on retient les monades - j'étudiais ça à 17 ans quand je préparais le concours général de philo -, à la rigueur le "pli" en souvenir de Deleuze. Et puis on découvre d'autres aspects étonnants du personnage. Par exemple en 1907 Baruzi - qui n'avait que 26 ans et n'était pas encore professeur au collège de France - s'est intéressé au fait que "Leibniz fut hanté par l'Orient. Constamment il fut soucieux de l'atteindre, de le pénétrer, et comme d'y transporter l'Europe. Le projet de conquête de l'Egypte, les plans proposés à Pierre le Grand, les encouragements donnés aux missions des Jésuites, formulent diversement un rêve identique".

L'idée de la conquête de l'Egypte lui serait venue par hasard d'après son propre récit. Il avait 21 ans, mais était déjà entré à l'université (à Leipzig) sept ans plus tôt ! Secrétaire de la confrérie des Rose-Croix, il rencontre un diplomate alchimiste, Johann-Christian von Boineburg à Nuremberg en 1667, conseiller de l'électeur de Mayence, et se rend en Bavière. Il rêve alors à l'unité du Saint Empire (à laquelle, note Baruzi, Sully ministre d'Henri IV exhortait aussi en tant que Français au nom du souvenir de Charlemagne contre les Habsbourg), et ne voit l'unité de l'Europe ne se réaliser que par le colonialisme (à l'Angleterre l'Amérique du Nord, à l'Espagne celle du Sud, à la Hollande l'Inde, à la Suède et la Pologne la Sibérie et la Crimée, à la France l'Afrique et l'Egypte) .

Il fera ensuite de la conquête de l'Egypte un projet germanique, mais toujours dans l'idée de réaliser un empire chrétiens sur toute la Terre. Il s'agit ainsi de toucher l'empire turc au coeur et d'ouvrir une route vers la Chine (grande terre de découvertes passionnantes pour Leibniz jusque dans les années 1700), ce qui devait assurer un primat naturel à la France sur les autres puissances d'Europe, le but final étant, précise Baruzi, l'unification de l'humanité dans la religion chrétienne. Et le but est de vaincre en la Turquie une puissance qui n'aime pas l'homme et fait régner la peur, et voir dans Louis XIV et dans l'Egypte des monades de l'amour chrétien unificateur, pour que la vie terrestre reflète la vie céleste.

Quand Louis XIV attaquera le Luxembourg et l'Alsace plutôt que les Turcs, Leibniz, admirateur de Frédéric Von Spee en qui il voyait un "confesseur des sorciers" va reporter à partir de 1872 ses espoirs sur les Jésuites qu'il a probablement rencontrés à Paris par l'entremise de Père La Chaise. Il voit en eux une arme contre le cartésianisme qui par ses abstractions coupe l'homme de la créativité et de Dieu. Il les idéalisera eux-aussi comme vecteurs d'un amour universel (du fait de leur tolérance envers le paganisme). C'est là un projet adossé à son amour des langues illustré aussi par sa tentative de réunir toutes les versions du Pater Noster dans les langues vulgaires du monde entier pour définir à son tour une prière universelle qu'il exposa d'ailleurs aux jansénistes.

Je crois qu'on est en présence ici du projet typique d'unification religieuse du monde qu'on allait aussi retrouver ensuite dans la franc-maçonnerie. Et cela va avec le côté alchimiste qui est une science ésotérique très inspirée par les théories de l'amour universel.

"Leibniz s'est occupé d'alchimie dès sa jeunesse, notait l'abbé Piat en 1915 ; et plus tard, il n'a jamais cessé de consacrer à ce genre d'études une partie de son temps.

L'alchimie lui a toujours apparu comme une mine infiniment féconde. Il appartient aux alchimistes de « pénétrer jusqu'à la nature intime des choses- ». « Grâce à leur [double] procédé d'analyse et de synthèse, ils produisent déjà un certain nombre de corps nouveaux. » Ces succès ne sont que l'humble commencement d'une suite illimitée de victoires. La nature est un grand art; et cet art, l'alchimie finira peu à peu par le découvrir tout entier. Dans le « four » de quelque « Dédale » ou de quelque « Vulcain », s'élaboreront un jour les mêmes pierres que nos outils arrachent maintenant des ténèbres du sol. Il est vrai que les alchimistes ont encore une langue mystérieuse. Mais rien ne semble plus naturel; c'est presque toujours dans une demi-clarté que l'esprit humain fait ses découvertes les plus fécondes : la pleine lumière ne se produit quo dans la suite et par degrés, comme celle du soleil levant. C'est surtout de la chimie que dépend le progrès des sciences de la nature, et parce qu'elle représente une application directe de la combinatoire. Du même coup, c'est de la chimie que relèvent au premier chef les connaissances métaphysiques. « On ne saurait rien dire de si splendide sur l'excellence de cet art, que je n'applaudisse de tout coeur"'.

Leibniz avait d'ailleurs intégré les rose-croix pour comprendre mieux cet art qui n'était pas encore séparé clairement de la chimie.

"La « théorie du mouvement concret », explique encore l'abbé Piat, est elle-même chargée de termes, de formules et de notions qui lui viennent tout droit des alchimistes; et l'on voit, à la lecture, qu'il tient à rester d'accord avec ces vieux pionniers du savoir, qu'il n'y tient guère moins qu'à marcher en compagnie de Descartes, de Hobbes ou de Bayle. On retrouve le même langage et la même préoccupation dans la lettre qu'il adresse au duc Jean Frédéric le 21 mai 1671 : ces quelques pages sont également bondées d'alchimismes, et à ce point qu'on ne laisse pas d'en avoir une certaine surprise.

Leibniz suit avec une attention toute particulière les élucubrations de Franz Mercure van Helmont, l'auteur du Seder olam. Il les recueille, les commente, les critique, les rejette ou les intègre à sa pensée : les notes do ce genre comprennent plus de quarante folios inédits. L'entrevue de Leibniz et de van Helmont, qui eut lieu dans le courant de mars 1690 en présence de la duchesse Sophie nous a laissé un échantillon de ce libéral et sympathique examen que le philosophe faisait subir à l'alchimiste".

Le kabbaliste Van Helmont était un quaker, qui se vêtissait d'un drap brun. On l'aurait plutôt pris pour un artisan que pour un baron. Leibniz écrira à Placius qu'il n'aimait pas son kabbalisme un peu obscur (et ses thèses sur l'identité de Jésus et Adam, sur les deux filles d'Adam et Eve) et Emile Thouverez, prof à la faculté de Toulouse dira en 1910 que la notion de monade de Leibniz vint davantage de Giordano Bruno que de Van Hemont.

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Un dernier mot sur Diana Pasulka

3 Février 2024 , Rédigé par CC Publié dans #Philosophie, #Christianisme, #Médiums, #Histoire secrète

Pasulka est de père irlandais catholique et de mère juive laïque, puis s'est beaucoup intéressée à l'histoire catholique. Alors qu'elle venait de publier "Heaven can wait". Elle s'apprêtait à écrire un nouveau livre sur un des premiers évêques américains dont les expériences ressemblent à des abductions (ce que lui fit remarquer un ami) ce qui la conduisit à assister à une conférence sur les rencontres ufologiques comme celles étudiées par John Mack qui lui montrèrent que c'était comparable aux expériences de St François D'Assise ou Thérèse d'Avila. Thérèse quand elle a vu un ange a vu un être très lumineux de 1 mètre. Elle a pensé que cela pouvait être un chérubin. Le Bernin qui représente l'apparition la montre avec un dard. Or John Mack a montré que des gens étaient examinés avec un dard. Le texte :

"Dieu voulut que je visse à ma gauche un ange sous une forme corporelle. Il n’était pas grand, mais petit et beau à ravir : son visage ardent indiquait qu’il appartenait à l’ordre de la hiérarchie céleste où les anges semblent brûler. On les appelle, je crois, des séraphins, car, quand les anges m’apparaissent dans le ciel, je vois qu’il y a entre eux des différences, mais je ne sais les exprimer par des paroles. Il avait à la main un long javelot d’or, et un peu de feu sur sa pointe. Il m’en perça soudain le cœur jusqu’au fond et il me semblait qu’en le retirant il emportait mes entrailles. Puis il me laissa tout embrasée de l’amour de Dieu. La douleur était si vive qu’elle m’arrachait des gémissements mais elle était accompagnée de tant de suavité que je n’aurais pas voulu qu’on m’enlevât cette souffrance ; car cette suavité n’était autre que Dieu même."

Pasulka dit avoir trouvé d'autres cas semblables dans les archives du Vatican.

Mais dans "From Purgatory to the UFO Phenomenon: The Catholic Supernatural Goes Galactic" elle cite seulement un cas trouvé dans le livre de Mack :

"Environ quatre cents ans après que Teresa ait raconté son expérience, Edward Carlos a rapporté une rencontre avec des êtres de lumière lumineux. Au cours d'une série de séances d'hypnose avec le psychiatre John Mack, Carlos s'est rappelé d'une rencontre d'enfance avec un être qui le flottait dans sa chambre. Il décrit l'être comme"une forme d'ange jaune amorphe" qui a produit une  créature blanche que Carlos décrit comme petit.  Comme l'être lumineux rencontré par Teresa, Carlos décrit cette créature comme étant brillante, ou étant de "lumière fondue." Il existe également un instrument de pénétration, et au lieu d'appeler cet instrument une fléchette comme décrit dans Teresa. Selon le récit de Carlos, cela s'appelle une baguette ou une tige avec du feu à l'extrémité. De plus, Carlos décrit un état d'extase similaire, un état d'inquiétude mêlé de joie, en association avec la rencontre. Carlos La description de l'instrument de sondage est plus détaillée que celle de Teresa  et pourtant est également remarquablement similaire dans la mesure où il est pointu et l'être l'insère dans Carlos le corps. Il note que dans plusieurs rencontres, c'est une baguette ; dans d'autres, il fonctionne comme une aiguille " [il]t envoie une lumière laser dans le corps, mais cela ressemble à une aiguille parce que ça fait mal, et cela ressemble à une aiguille» (Mack 2007, 6905– 6908). Au cours de ce processus, il ressent la lumière parcourir son corps et il pense qu'elle a un effet curatif. Il le décrit" comme des faisceaux laser entrant dans mon corps à travers la plante des pieds et des mains, et éventuellement à travers les côtés du bas du torse, rayonnant dans tout le corps, s'étendant et changeant de couleur à mesure que la lumière grandissait pour s'adapter à tout l'intérieur du corps, le guérissant ainsi.» (Mack 2007, 6691). Les similitudes entre Carlos et Thérèse' Les expériences sont frappantes. Chacun rencontre un petit être brillant qui les pénètre avec un instrument tranchant. Teresa décrit l'instrument comme une lance avec une pointe enflammée, et dans Carlos' Dans la description, c'est une baguette qui tire des lasers. Les instruments pénètrent dans leurs organes internes et produisent une expérience à la fois douloureuse et agréable. Carlos croit que la lumière le guérit, tandis que Teresa note que l'état d'esprit produit par l'expérience dure plusieurs jours après. Teresa et ses éditeurs ultérieurs tentent d'interpréter sa rencontre dans un cadre théologique qui obscurcit la nature incarnée de l'être lumineux, exposant ainsi un tension entre son expérience enregistrée et son cadre culturel interprétatif. Il s’avère que cette tension est très apparente chez Carlos"

A aucun moment la dame n'envisage la problématique des œuvres des démons qui singent celles de Dieu, thème pourtant classique dans le catholicisme.

Voilà, n'en dirai pas plus sur cette personne qui est en ce moment largement surévaluée par le milieu d'Internet et de You Tube, d'une part parce qu'elle bénéficie du féminisme ambiant (quelqu'un sur You Tube a dit qu'elle avait le mérite d'être la première femme à s'intéresser à la discipline ufologique dominée par les hommes etc), d'autre part parce que, comme beaucoup d'Américains, elle ne connaît pas ses propres limites (la façon dont elle parle de Nietzsche ou de Kant par exemple ferait mourir de rire n'importe quel hypokhâgneux de ma génération). Je garderai simplement dans un coin de ma tête son propos sur Ste Thérèse d'Avila, au cas où cela serait susceptible de me mettre sur des pistes plus intéressantes au gré de mes lectures.

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Deux visages

27 Janvier 2024 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète, #Pythagore-Isis, #Philosophie

J'ai déjà fait plusieurs fois sur ce blog l'éloge d'Ariel Cohen Alloro. Je pense qu'il est un peu fou et que délibérément son flot verbal qui mêle anglais de débutant et hébreu est destiné à égarer les gens, en outre il manie un peu trop le paradoxe et la réhabilitation du Mal, mais il y a au moins 10 % de précieuses vérités à retirer de son discours (par exemple, comme je l'ai déjà souligné, à propos de Nathanael, du serpent et des douze apôtres).

J'aime bien aussi ses récentes réflexions (vidéo ci-dessous) sur le double visage de tout un chacun, qui renvoie en hébreu au pluriel panim. Il en tire une conclusion intéressante sur le verset Matthieu 5.39 "Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre" (même s'il faut se méfier des interprétations ésotériques de l'évangile, qui la tirent trop vers le savoir - et donc l'orgueil - au détriment de l'éthique et de l'humilité). Cela m'a rappelé cette représentation romaine de Sappho (une héroïne pythagoricienne) qui combine deux visages, comme la Joconde de Léonard de Vinci.

 

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Un champ morphogénétique commun à Henri Bergson et William James

7 Septembre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Philosophie, #Histoire des idées

Il m'est arrivé de souligner la possibilité que des concordances temporelles révèlent l'existence d'un champ morphogénétique commun et j'avais cité à l'appui de cette hypothèse les intuitions concomitantes de Lacordaire et de Leroux sur la résurrection de Lazare.

J'en découvre une autre. Dans son livre sur Péguy, Romain Rolland relève (p. 38) les "curieuses similitudes" entre le psychologue américain William James et Bergson, avec sa notion de "stream of thought" (flot de pensée), dans ses Principles of Psychology de 1891, deux ans après l'Essai sur les données immédiates de la conscience en France au point qu'on a cru à tort qu'il pouvait y avoir une influence de Bergson sur James. L'humeur est alors à aller "aux choses mêmes" et à contester l'intellectualisme, le déterminisme rationaliste,la réduction du temps à une variable dans dans la mécanique newtonienne (sans verser pour autant dans la pure religiosité car, nous dit Rolland, Bergson qui venait des mathématiques aspirait à un déterminisme élargi qui intègrerait tout le savoir scientifique. Rolland crée un parallèle avec la découverte de la mécanique quantique, puis p. 46 avec la révolution de l'électricité (dans les années 1870) après celle de la machine à vapeur (notez que dans un débat Sangnier-Guesde de 1905, ce dernier décrit le prolétariat comme les enfants de la machine à vapeur).

Comme on ne peut postuler une causalité directe entre l'évolution des techniques et la pensée (la causalité est indirecte), il faut postuler la possibilité d'une Weltanschauung, dont les racines à la fois biologiques et spirituelles (les deux se tiennent) pourraient bien être dans des champs morphogénétiques.

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La géométrie spectrale selon Nalini Anantharaman

13 Août 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Philosophie, #Pythagore-Isis

En 2008, je me suis aventuré sur le terrain des mathématiques en parcourant pour Parutions.com un livre de Penrose. J'y étais revenu six ans plus tard à l'occasion de mes incursions dans le pythagorisme.

Saisissons l'occasion de la leçon inaugurale de Nalini Anantharaman (née en 1976, docteure depuis 2000) pour son accession à la chaire de Géométrie spectrale (une théorie qui s'intéresse au lien entre la géométrie d'un objet et ses fréquences de vibration) au Collège de France en octobre 2022 pour remettre un orteil dans ce sujet.

Le premier à avoir employé le mot spectre en sciences est Newton, dans une lettre à la Royal Society de 1672. il raconte qu'ayant fait passer la lumière du soleil à travers deux prismes il a vu le spectre coloré et s'est étonné de sa forme allongée. Il en a conclu que la lumière blanche mélangeait diverses couleurs qui peuvent se séparer parce que diffractées. Au XIXe siècle on découvert que le spectre des couleurs présente de fines discontinuités (raies de Fraunhofer), et si on chauffe certains éléments chimiques la lumière émise a spectre ne contenant que de fines raies de couleur (cf les raies jaunes du sodium- cf à droite). Chaque élément chimique a son propre spectre.

Cela a incité à explorer l'infiniment petit sans outil d'observation. Le caractère discontinu (discret) de ces spectres surprend, comment nait-il dans un monde continu ? En mathématiques un ensemble discret peut être indexé par des nombres entiers (positifs ou nuls sans décimales ni fraction). Un ensemble continu n'est pas dénombrable car il y en a autant que de nombres réels (nombres qui peuvent être représentés par une partie entière et une liste finie ou infinie de décimales). Planck, Einstein et Bohr ont essayé d'incorporer le discret dans des modèles mathématiques en postulant que certaines quantités physiques doivent être des nombres entiers. Planck dans un article de 1900 a fait apparaître que ce côté discret, granulaire doit être dans la nature des choses. La mécanique des quantas (grains d'énergie indivisibles, comme le photon par exemple) est née. Bohr introduit le quantum dans la description de l'atome : si l'électron autour de l'atome d'hydrogène est imaginé comme une planète autour du noyau, le moment cinétique doit être un nombre entier. C'est la règle de quantification de Bohr, et effectivement les énergies correspondant aux différentes trajectoires possibles rendent exactement compte du spectre discret de l'hydrogène.

Ainsi il fut rendu compte du spectre du premier atome de la table des éléments. Mais il y en a plus de cent et il faut trouver la règle de quantification pour chacun d'entre eux. Max Born à partir des travaux de Poincaré en mécanique céleste travaille sur le mouvement des 3 corps de l'atome d'hélium (le second corps de la table). Mais en 1923 il avoue son échec dans un article. Mais deux ans plus tard son élève à Göttingen Heisenberg transforme son échec en succès et même en révolution.

Dans un article de 1925, Heisenberg trouve des règles de calcul algébriques reposant sur des principes a priori qui permettent de calculer des spectres, c'est-à-dire les fréquences qui sont la signature de chaque élément. Il utilise sans le savoir l' "algèbre de matrices", connue en mathématiques depuis les années 1850. Le spectre des physiciens c'est la valeur propre en mathématiques. Les couleurs sont des fréquences, 'est-à-dire des nombres exprimés en hertz. On peut les calculer en cherchant les valeurs propres de matrices, ou leurs analogues en dimension infinie, appelés "opérateurs".

John von Neumann (1903-1957) qui a eu de multiples apports à la mécanique quantique, à l'informatique, au projet Manhattan, a rédigé un traité de théorie spectrale mathématique orienté vers la mécanique quantique. Celle-ci devient si mathématisée qu'il devient difficile d'en parler avec un vocabulaire ordinaire. La théorie spectrale explique comment le discret peut naître du continu. Même pour un modèle physique continu les valeurs propres peuvent former un ensemble discret (cf l'oscillateur harmonique - en mécanique quantique son énergie est remplacée par un opérateur dont il faut calculer les valeurs propres, qui sont des nombres entiers, donc le spectre comprend un ensemble discret ; cela ne peut être calculé pour tous les phénomènes ; à noter aussi que la description en une dimension dans la mécanique quantique on doit faire des calculs dans un espace vectoriel de dimension infinie).

L'opérateur de Laplace delta décrit le potentiel gravitationnel. Il calcule la différence entre la valeur d'une fonction en un point et la moyenne de cette fonction sur les points voisins. Il estime la valeur de la grandeur étudiée à vouloir s'équilibrer entre points voisins. Le laplacien est réapparu en 1807 dans les travaux de Joseph Fourier sur l'équation de la chaleur. Il exprime que la chaleur se diffuse dans toutes les directions du chaud vers le froid, tendant à compenser le déséquilibre entre un point et ses voisins, ce qui uniformise la température. Le laplacien est aussi utilisée dans l'équation des ondes (qui généralise l'équation de d'Alembert sur les cordes) ou dans l'équation (non linéaire, l'addition des causes n'aboutit pas à une addition des effets - principe de superposition) de Navier-Stokes sur la viscosité (la non-linéarité explique pourquoi cette théorie appliquée au climat ne permet pas des prédictions fiables), et encore dans le mouvement brownien.

En 1925, Schrödinger après De Broglie introduit une version ondulatoire de la mécanique. La lumière était d'abord considérée comme une onde, puis divisée en petits grains d'énergie (les photons). Pour Schrödinger les électrons sont aussi des ondes, et il veut introduire une équation qui remplacera celle de Newton pour décrire leur évolution. Les précédentes équations étaient déduites de phénomènes physiques appliqués au niveau microscopique, Schrödinger ne raisonne que sur l'équation. Il se demande ce qu'il en attend, comment la construire.

L'équation se présente ainsi :

Il a placé dedans le laplacien (pour qu'elle ressemble à une équation d'onde) ainsi que la constante de Planck (qui représente le grain élémentaire d'énergie - quand elle tend vers 0 on doit retrouver la mécanique newtonienne / approximation semi-classique).

Les prédictions de Eisenberg et de Schrödinger qui sont concurrentes se rejoignent tout en s'éloignant de la physique classique : un atome n'est plus une collection de petites planètes. Pour Schrödinger les électrons sont des ondes, et pour l'école de Copenhague, ils sont mathématiquement représentés par des opérateurs.

Nous n'avons pas d'images visuelles pour la mécanique quantique. La géométrie spectrale permet de satisfaire notre besoin d'intuition.

Nalini Anantharaman s'est beaucoup intéressée au chaos. Einstein en 1917 a étendu le principe de quantification de Bohr à des situations plus générales non pas d'atomes mais de systèmes physiques abstraits. La règle qu'il a énoncée n'a de sens que pour des systèmes très spéciaux dits "complètement intégrables". Un système dynamique est un système dont on étudie l'évolution dans le temps. Pour ceux qui sont "complètement intégrables", l'évolution est calculable et prévisible sur de grandes échelles de temps. Il y a beaucoup de quantité conservée ce qui concerne chaque trajectoire à rester dans une toute petite partie de l'espace et à suivre un mouvement quasi-périodique : par exemple la gravitation d'un corps autour d'un autre (mouvement elliptique périodique képlérien, du moins jusqu'à trois corps). Au delà de trois corps pour la gravitation ça ne marche pas (d'où l'échec des travaux sur l'hélium). en 1917 Einstein pose la question de la prédiction des systèmes pas complètement intégrables, notamment les systèmes ergodiques (dans lesquels la conservation de l'énergie est la seule contrainte qui pèse sur les trajectoires).

La particule visite de façon équitable tout l'espace laissé à sa disposition. La description du spectre quantique associé aux systèmes ergodiques est une des principales questions du domaine appelé "chaos quantique".

En 1955, le physicien Eugene Wigner a proposé l'idée que le spectre du noyau des très grands atomes (pour lesquels le formalisme de Schrödinger ne permet pas de calcul) devrait ressembler à une matrice aléatoire de grande taille. Autrement dit à ce niveau de complexité le physicien renonce à chercher des lois fondamentales, et se contente de modèles pratiques pour le calcul, qui peuvent être aléatoires. On ne va pas calculer le spectre de l'opérateur de Schrödinger, mais seulement celui d'une très grande matrice, avec des coefficients mis au hasard (ce qui marche assez bien statistiquement).

Wigner a confessé son amour pour les mathématiques appliqués aux sciences. L'application de la méthode de Wigner avec des ordinateurs dans les années 1980 se répand, par exemple pour le calcul du spectre de l'opérateur de Laplace dans des domaines du plan euclidien. On fait apparaître des comportements universels où des histogrammes de valeurs propres épousent la courbe théorique de Wigner. Mais il y a aussi des types de billards où cela fonctionne moins bien, surtout les billards non ergodiques.

Beaucoup de physiciens ne trouvent plus utiles d'en démontrer les raisons mathématiques. Mais Nalini Anantharaman voudrait trouver un modèle mathématique qui permette de relier la trajectoire d'un billard ergodique, le spectre du laplacien, et le spectre des matrices aléatoires.

Un système dynamique est chaotique si une variation infinitésimale de la condition initiale est amplifiée de façon rapidement exponentielle.Si on applique cela au système dynamique du billard, le caractère chaotique vient de la courbure du bord. Le billard est dispersif si le bord est courbé vers l'extérieur. Chaque rebond amplifie immédiatement une petite variation de la condition initiale, ce qui conduit à un comportement chaotique. Pour un billard convexe (parois tournées vers l'intérieur), les situations sont plus diverses. Quand c'est une ellipse, il y a des familles de trajectoires qui épousent une courbe intérieure, c'est un système intégrable.

Alexander Schnirelman a été un des premiers à montrer qu'il y a un lien direct entre l'ergodicité du billard et la délocalisation (propension à occuper tout l'espace) du mode propre du laplacien (théorème d'ergodicité quantique). Si le billard est ergodique, alors l'immense majorité des modes propres occupe uniformément l'espace quand on considère les petites longueurs d'ondes.

Pour relier de façon plus forte le caractère chaotique du billard à un comportement désordonné des ondes, l'intuition géométrique classique est d'un faible secours. La mécanique quantique ne s'y prête pas. Chez Feynman, le mouvement d'une particule n'est pas une trajectoire mais une superposition de tous les chemins possibles. Chaque chemin est affecté d'un coefficient de probabilité d'emprunter ce chemin.

Dans la limite semi-classique, les chemins qui satisfont à l'équation de Newton l'emportent sur tous es autres.

N. Anantharaman a été fascinée par un cours de G. Ben Arous concernant la représentation par intégrales de chemins des solutions de l'équation de la chaleur. Elle a essayé de mettre en œuvre un calcul du même type pour l'équation de Schrödinger sur des échelles de temps arbitrairement grandes. Elle a démontré que pour un système chaotique toutes les trajectoires classiques apparaissent avec des coefficients comparables, même sur des temps très longs. Les ondes doivent donc emprunter beaucoup" itinéraires très différents. Elle espérant même démontrer ainsi la  Conjecture d’Unique Ergodicité Quantique qui prédit une délocalisation parfaite des modes propres sur les variétés de courbures négatives. Elle est parvenue à quantifier le caractère désordonné de la propagation des ondes grâce à une quantité appelée l'entropie.

La théorie spectrale ayant pour but de distinguer le spectre discret du spectre continu, et parmi les continus, ceux qui sont absolument continus de ceux qui sont singuliers. Mais dire si un opérateur donné a un spectre continu ou discret reste un problème très difficile. Cf le modèle d'Anderson : qui modélise la transition d'un comportement conducteur vers un comportement isolant dans un métal. Il a été possible de modéliser plus finement les transitions d'un comportement à l'autre.

Si l'on prend un pavage hyperbolique, on n'en connaît pas la nature du spectre, bien qu'il possède une forme de périodicité pour un groupe de transformation totalement explicite (espace non euclidien). Anantharaman , avec Le Masson et Sabri ont mis en évidence la délocalisation des ondes sur certaines familles de graphes finie mais de grande taille. Ils ont appelé cela l'ergodicité quantique pour les graphes en le rattachant au théorème de Schnirelmann, mais d'autres préfèrent le rattacher à la thermalisation des fonctions propres, il faut comprendre la lien entre les deux notions.

Il s'agit uniquement de démontrer des théorèmes. La géométrie spectrale est apparue comme branche des mathématiques à partir du théorème de l'indice (1963) qui pose une égalité entre un invariant topologique et le bas du spectre d'un opérateur elliptique. L'invariant topologique le plus classique est la caractéristique de l'aire Poincaré d'une surface.

Soit une sphère plongée dans l'espace euclidien de dimension 3, avec un axe vertical disons nord-sud.

Si on trace des parallèles (sept courbes de points de même latitude). Tous les parallèles sont des cercles sauf deux parallèles particuliers qui sont des points : le pôle nord et le pôle sud.

Soit une sphère déformée (mais avec la même topologie).

La plupart des tranches sont encore des cercles (certaines deux cercles) avec 4 parallèles sur 9 qui ne sont pas des cercles. En comptant les points critiques en comptant +1 pour un sommet ou pour un puits et - 1 dans le cas d'un col (sur la figure en 8). la somme pondérée donne 2, comme dans l'exemple précédent. Cette somme ne dépend pas de la géométrie mais uniquement de la topologie.

Ce nombre 2 pour la sphère est aussi la caractéristique de l'aire Poincaré définie en découpant la sphère en polygones. Nombre de sommets - nombre d’arêtes + nombre de faces donne toujours 2. En chaque point de la surface je peux calculer la courbure. La courbure X l'aire divisée par 2pi donne toujours 2. Et pour la courbe déformée la moyenne de la courbure fois l'aire divisée par 2pi donne toujours 2 (formule de Gauss Bonnet). La quantité continue de la courbure et de l'aire pour des raisons topologiques ne peut prendre que des valeurs entières. Et cela vaut pour n'importe quelle surface.

Reprenons l'équation de Laplace Delta-phi=0 (bas du spectre). On peut compter la dimension de l'espace des solutions, c'est un nombre entier (pour une variété compacte c'est le nombre de morceaux de la surface). Il vaut 1 pour n'importe quelle surface en un seul morceau.  On peut le chercher dans des formes différentielles de degré 1, 2, 3 etc. A chaque degré j'obtiens un entier qui donne la dimension de l'espace des solutions. En faisant l'addition alternée (+ et -), Le total est la caractéristique de l'aire (2 pour la sphère), ce qui veut dire que la topologie impose une contrainte sur le bas du spectre du laplacien. Le théorème de l'indice (1963) montre que cette relation existe pour tout opérateur pseudo-différentiel elleptique (l'opérateur de Dirac en mécanique quantique relativiste, un opérateur en géométrie complexe etc).

Le livre de Berger-Gauduchon-Mazet de 1971 "Le Spectre d'une variété riemannienne" a marqué à Paris VII une école dont la descendance est impressionnante. Le théorème de l'indice est d'ailleurs essentiel en physique dans la matière topologique (manifestation concrète des contraintes que la topologie exerce sur le spectre). Il y en a eu des illustrations récentes comme sous la plume de Dang-Rivière.

Un des thèmes les plus importants de la géométrie spectrale c'est la question des problèmes inverses : en mesurant le spectre d'un objet ou la manière dont ses ondes se propagent, peut-on deviner la géométrie de l'objet ? comment le reconstruire à partir de mesures spectrales ? En 1992, Gordon, Webb et Wolpert ont montré que deux polygones différents avaient le même spectre. Des familles entières d'objets présentent aussi cette caractéristique. Tous les contrexemples au lien spectre-forme sont des polygones non convexes. Par contre si un objet a le même spectre qu'un disque c'est nécessairement un disque identique. pour une ellipse on ne sait pas sauf si elle est presque circulaire.

Connexe à cette problématique est aussi celle du contrôle des ondes. Peut-on les téléguider d'un état initial vers un état final donné en plaçant des termes sources comme second membres de l'équation de d'Alembert ou de Schrödinger ? La question est : dans quelles zones vaut-il mieux placer ces sources. Soit des ondes se propageant dans deux dimensions dans un disque ; si je me place à l'intérieur du disque, je ne peux pas tout contrôler, certaines ondes m'échappent. Certaines ondes (whispering-gallery modes) se propagent en restant confinées près du bord (cf dans le dôme de la cathédrale). Pour tout contrôler il faut être près du bord et sur une zone qui mesure près de la moitié de la circonférence. Si l'onde se propage selon l'équation de Schrödinger, les ondes sont mieux dispersées que selon l'équation de d'Alembert et donc on peut les contrôler à partir d'une région du bord même très petite, ce qu'N. Anantharaman a démontré il y a quelques années avec Matthieu Léautaud et Fabricio Macia.

Aujourd'hui, dans son échange avec les chercheurs qui travaillent sur les graphes aléatoires, N. Anantharaman cherche à démontrer des théorèmes valables pour 99 % des graphes, avec une ignorance sur les autres. Relâcher l'exigence ainsi permet d'aller plus loin, et notamment de faire de même pour des modèles géométriques plus généraux (des surfaces aléatoires). Cela nécessite de développer de nouvelles techniques de calculs d'intégrales en partant des formules de Maryam Mizakhani (1977-2017), pour évaluer la probabilité que la surface contienne tel ou tel motif géométrique.

Voilà, j'ai voulu tirer profit de cette leçon inaugurale du Collège de France de 2022 pour faire un petit détour par la recherche mathématique actuelle et ses applications à la physique quantique. J'ai essayé de coller au plus près au vocabulaire de Nalini Anantharaman, car, évidemment, n'ayant pas fait de maths au delà du bac, je n'ai pas du tout les moyens de comprendre la plupart des points qu'elle évoque. Mais ce n'est pas parce qu'on ne comprend pas un domaine qu'il faut complètement le négliger. Pour pouvoir développer un point de vue philosophique sur le monde, même très sommaire comme le mien, il faut avoir ne serait-ce qu'une vague idée de ce que les scientifiques en défrichent. Cela fut évident pour les penseurs jusqu'au milieu du XIXe siècle et je crois que cela devrait le redevenir, même sur un mode très approximatif. J'ajouterai que cela me paraît d'autant plus nécessaire qu'il existe un usage très abondant de la notion d' "énergie", de "connaissance quantique" etc. dans le domaine de la spiritualité auquel je m'intéresse (voyez par exemple les travaux du Père Brune auxquels je me référais en 2019). Fournir un petit effort pour entrevoir ce que cela peut signifier chez les chercheurs universitaires  professionnels ne me paraît pas complètement superflu.

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