Un beau texte d'Adrien Péladan contre le magnétisme
Un beau texte du journaliste monarchiste A. Péladan (1815-1890), paru dans la "France littéraire, artistique, scientifique" (qu'il dirigeait) du 21 septembre 1862, sous le titre "Ouranos-Hadès. La mort par le magnétisme" :
"Revenant il y a quelques jours, de notre promenade habituelle, nous rencontrâmes une voiture qui excitait l'émoi de la foule. Un des spectateurs nous mit au fait : La fille d'une marchande d'herbes de la rue Sala avait été conduite à une séance privée de spiritisme. Effrayée par les voix qu'elle y avait entendues, elle était devenue folle. Il fallait plusieurs hommes pour la tenir. On la conduisait à l'Antiquaille, immense établissement de fous de Lyon. Nous continuâmes notre chemin, l'âme attristée, et en nous disant intérieurement : les journaux de Lyon racontent jusqu'aux nouvelles les moins édifiantes, mais ils ne diront rien de ce grave incident. Cela s'est pleinement réalisé.
Ce phénomène nous décida à aller chez un ami qui sait beaucoup sur ces matières. Il nous fit à son tour une grave communication : "J'ai appris , nous dit-il, d'un savant médecin , que depuis la propagation du spiritisme en France , les cas de folie ont augmenté dans une proportion incroyable : il y a quelques années, le nombre en était en moyenne de 12 000 par an , maintenant cette moyenne est de 60 000. " Ce fait en vaut-il la peine , et pour ne pas sortir en quelque sorte des archives de l'académie de médecine ou de l'académie des sciences, en est-il moins significatif ?
Doutez ensuite des dangers du spiritisme ! Doutez de la sorcellerie qui marche partout à plein ciel, sans que la loi semble s'en préoccuper ! Ne savons-nous pas qu'il y a des tireuses de cartes dans chacun de nos quartiers ? que ces aventurières ont de fréquentes visites à 75 centimes la séance ? On nous a même assuré que des hommes considérables s'adressaient a ces devineresses. Nous avons, du reste,vu, de nos yeux vu, sur les champs de foire ou de vogue des environs de Lyon, dans Lyon même, certain individu, ayant à ses ordres une somnambule , et donnant des consultations magnétiques à trente centimes par personne. Quelles aberrations ! quelle fausse sécurité que celle d'une société qui s'endort ainsi sur un volcan !
Nous l'avouons, nous sommes loin d'écrire tout ce que nous savons à l'endroit du diabolisme. contemporain. Nous ne voulons pas causer de trop grands étonnements, alors surtout qu'il se rencontre tant de sots incrédules. Graduellement nous arriverons aux questions que nous taisons pour le moment, et si l'on veut ne pas être trop épouvanté d'un mot à l'effet duquel on ne croit plus, le sabbat, nous vous annoncerons pour bientôt les preuves historiques de ce rendez-vous de l'enfer , où les sorciers de nos jours se rendent comme ceux d'autrefois. Dans cet examen basé sur des faits, nous aurions à mettre à leur place les Henri Martin, les Renan et consorts, grands crieurs contre-les bûchers du moyen-âge, comme si la société d'alors n'avait pas aussi le droit de se défendre des meurtriers; comme si les âges qui ont inscrit les dates de 1793 et les journées dé juin, valaient mieux que les siècles où le crime d'état ou de lèze-majesté divine conduisait quelques coupables à la peine de mort.
Chacune de ces relations aura son tour , comme aussi nous publierons prochainement des incidences singulières sur le spiritisme à Lyon. Après avoir aujourd'hui montré que le magnétisme cause la folie et en multiplie démesurément les cas, établissons qu'il procure la mort subite.
Nous laisserons sur ce point la parole aux magnétiseurs eux mêmes : La pratique du magnétisme, dit le docteur Billot, est « une mer orageuse ! un océan semé d'écueils (1); une voie pratiquée à travers d'immenses précipices (2); celui qui s'y confie sans un guide expérimenté et sûr , y tombe d'abîme en abime (3), et rien_n'est plus difficile que de s'en tirer sain et sauf (4). » Combien doit donc trembler « le pilote imprudent qui , sans boussole et sans guide, » oserait se hasarder dans « ces dangereux parages ! une perle inévitable serait le 'prix de sa témérité (5). » Le docteur a vu un cas de somnambulisme qu'il déclare avoir été une véritable possession (6); il pense que « le fil d'Ariane serait bien nécessaire à ceux qui se sont engagés - dans les méandres « de ce dédale ténébreux, pour ne point devenir la proie et être dévoré de l'infernal minotaure (7).
Le magnétisme spirituel, aujourd'hui spirite, paraît à un autre magnétiseur « la base des possessions et des communications avec les esprits. » Il le juge illicite et dangereux, et blâme « l'imprudence « qui , en cherchant à franchir « l'abîme qui nous sépare du monde spirituel, » ne peut avoir d'autre résultat que de nous rendre « le jouet d'une puissance dont le joug nous deviendrait d'autant plus dur que nous aurions plus d'impatience à le porter : la mort ou la folie en serait inévitable conséquence. » (D. Chardel, Psychologie physiologique, chap. 20, page 300).
L'abbé Frère observe qu'on a remarqué « que de jeunes femmes sont mortes peu de temps après qu'elles eurent servi de sujet à des magnétiseurs; et nous savons qu'une demoiselle de dix-neuf ans, après neuf mois d'exercices, a vomi le sang et a été réduite à une santé délabrée (5). »
Que de jeunes enfants-, innocentes victimes de coupables expériences , ne se sont pas réveillés du sommeil infernal. Que d'assassinats dont on n'a -rien dit !!! Ce qui suit va achever de le prouver : « Des personnes qui doutaient en même temps de la religion et du magnétisme., de ces incrédules qui sont prêts à toutes les superstitions et à tous les fanatismes, avaient décidé à prix d'argent une pauvre fille a subir leurs expériences.. C'était une nature impressionnable et nerveuse, fatiguée d'ailleurs par les excès d'une vie plus qu'irrégulière, et déjà dégoûtée de l'existence. On l'endort ; on lui commande de voir ; elle pleure et se débat. On lui parle de Dieu , elle tremble de tous ses membres. — Non , dit-elle, non il me fait peur , je ne veux pas le regarder. — Regardez-le, je le veux. Elle ouvre alors les yeux ; ses prunelles se dilatent ; elle est effrayante. — Que voyez-vous ? — Je ne saurais le dire. Oh ! de grâce, de grâce, réveillez-moi !
— Non, regardez et dites ce que vous voyez.
— Je vois une nuit noire dans laquelle tourbillonnent des étincelles de toutes couleurs autour de deux grands yeux qui roulent toujours. De ces yeux sortent des rayons qui se roulent en vrilles et qui remplissent tout l'espace. Oh ! cela me fait mal ! éveillez-moi 1 — Non, regardez.
Où voulez-vous que je regarde encore ?
— Regardez dans le paradis, — Non, je ne puis pas y monter; la grande nuit me repousse et je retombe toujours.
— Eh bien ! regardez "dans l'enfer. Ici la somnambule s'agite convulsivement. — Non ! non ! crie-t-elle en sanglottant, je ne veux pas : j'aurais le vertige : je tomberais. Oh ! retenez-moi ! retenez-moi !
— Non, descendez. — Où voulez-vous que je descende ? — Dans l'enfer. — Mais c'est horrible ! non, non; je ne veux pas y allez. — allez-y. — Grâce ! — Allez-y. Je le veux. Les traits de la somnambule deviennent terribles à voir ; ses cheveux se dressent sur sa tête; ses yeux tout grand ouverts ne montrent que le blanc ; sa poitrine se soulève et laisse échapper une sorte de râle. — Allez, je le veux, répète le magnétiseur.
— J'y suis, dit entre ses dents la malheureuse en retombant épuisée. Puis elle ne répond plus; sa tête inerte penche sur son épaule; ses bras pendent le long de son corps. On s'approche d'elle ; on la touche. On veut trop tard la réveiller , le crime était fait; la femme était morte et les auteurs de cette expérience sacrilège durent à l'incrédulité publique, en matière de magnétisme , de ne pas être poursuivis. L'autorité eut à constater un décès, et la mort fut attribuée à la rupture d'un anévrisme. Le corps ne portait d'ailleurs aucune trace de violence : on le fil enterrer -, et tout fut dit. » (La clef des Grands Mystères).
Ce fait si écrasant pour les apologistes du magnétisme, n'ayant pu être nié ou mis de côté par eux, a reçu diverses interprétations. L'auteur du Magnétisme devant les corps savants, la cour de Rome et les théologiens, (livre si insensé d'un bout à l'autre,) dit « que ce ne serait en tous cas, qu'un impie du magnétisme. » Le possédé Michel Finiras faisait mieux, il trouvait le moyen d'en tirer la louange du magnétisme.
Que de faits semblables ne pourrions-nous pas encore signaler ?
Nous apprenons, sur l'autorité du docteur Chapel, dans son Traité théorique et pratique du magnétisme animal, que trois magnétiseurs s'étant réunis, une certaine nuit près d'une somnambule très-lucide, dans le dessein de s'éclairer de ses vives lumières sur les terribles mystères de l'autre monde, « la pressèrent de chercher à voir ce qui se passait dans l'enfer » ; et que la somnambule, qui avait de prime abord refusé de s'employer à de pareilles recherches , cédant enfin à leurs instances, « avait à peine commencé ses explorations, qu'elle fut prise de convulsions telles, qu'elle mourut avant qu'on pût parvenir à les calmer. » (2e partie, à la fin de la VIe leçon).
Des hommes graves nous ont rapporté que dans les environs de Lyon, un docteur qui voulait traiter les malades d'après les consultations magnétiques , avait engagé pour sujet un jeune homme nommé Raphaël. Ce jeune homme avait des sentiments religieux, mais était dans le doute sur la culpabilité de ces pratiques dictées par Satan. S'étant donc laissé magnétiser, le docteur insensé , voulant peut-être mettre à profit les idées religieuses de Raphaël , lui enjoignit d'aller voir le paradis. Le jeune homme ne se réveilla point !....
Quelques personnes eurent la simplicité de croire qu'il était resté dans le ciel ; il serait aussi impie qu'absurde de le penser; car qui peut se flatter, à moins d'être martyr, de passer en mourant dans le sein de Dieu, sans aucun séjour dans le purgatoire ?
Vous verrez qu'il sera bientôt indispensable d'édicter une loi contre la sorcellerie. La chose presse plus qu'on ne le pense en général."
(1) Recherches psychologiques 1 lettre 4 et aussi lettre -12.
(2) Ibidem. Introduction.
(3) Ibid., let. 4.
(4) Ibid., introduction.
(5) Introduction.
(6) Lettre 17
(7) Recherches psychologiques. lntroduction.
(8) Examen du magn. animal, IIe partie, hap 2.
Ptolémée et le colosse de Sinope
Tout le monde connaît l'anecdote de Carl Gustav Jung voyant en rêve un mandala sans en connaître l'existence dans la vie éveillée. Plutarque dans son traité sur Isis et Osiris (Moralia, Traité 23§28) raconte une histoire semblable à propos de Ptolémée (368-283), général d'Alexandre, premier souverain de la dynastie lagide en Egypte : "Ptolémée Sôter vit en rêve le colosse de Pluton qui se trouvait à Sinope, sans savoir ni avoir jamais vu auparavant à quoi il ressemblait, et la statue lui donna l'ordre de la faire transporter au plus vite à Alexandrie. Le roi ignorait et se voyait bien en peine de découvrir où elle se trouvait. Mais comme il racontait sa vision à ses amis, il se trouva un homme du nom de Sosibios qui avait beaucoup voyagé et qui déclara avoir vu à Sinope un colosse semblable à celui du rêve. Ptolémée envoya alors Sotélès et Denys qui, au prix de longs et pénibles efforts, et non sans le recours de la providence divine, parvinrent à dérober et à emporter la statue. A son arrivée en Egypte, elle fut examinée, et l'exégète Timothée ainsi que Manéthon de Sébennytos conclurent, en se fondant sur le Cerbère et le serpent qui y étaient figurés, qu'il s'agissait d'une statue de Pluton, et persuadèrent Ptolémée qu'elle ne représentait aucun autre dieu que Sarapis : c'est à Alexandrie, après son transfert, qu'elle reçut le nom qu'on donne en Egypte à Pluton, 'Saraîs'. Bien entendu, on utilise pour confirmer cette identification la phrase du physicien Héraclite : 'Hadès et Dionysos, qu'on célèbre par le délire et les fêtes du pressoir ne font qu'un' ".
Apportons ici quelques précisions. L'anecdote se passe sous Ptolémée Ier "sauveur" (sôter) qui a plus de 60 ans. Sinope du Pont est sur les bords de la Mer Noire au nord de la Turquie actuelle. On retrouve ici Manéthon, prêtre égyptien, et Timothée, un membre athénienne de la famille des Eumolpides, qui était l'une des familles de prêtres d'Eleusis qui dirigeaient les mystères sacrés, deux personnages importants dont je vous avais déjà parlé il y a sept ans à propos de l'instauration du culte isiaque dans l'ensemble du bassin méditerranéen.
Le professeur Christian Froidefond, professeur émérite à l'université de Provence, en 2004, soulignait qu'une tradition exégétique prétend que l'anecdote de Plutarque (que l'on retrouve aussi chez Tacite) serait apocryphe et attribuerait l'origine de Sérapis à la religion autochtone de Memphis, mais il ne voit pas bien pourquoi Ptolémée, du coup, en aurait fait un dieu gréco-égyptien. Il souligne que les colons rhodiens d'Argos avaient déjà identifié Apis à Epaphos et Isis à Io, de sorte qu'il y a une composante dorienne forte dans Serapis. Plutarque est enclin à voir dans les divinités égyptiennes des démons, et, défend une identification Hadès-Sarapis (Osiris mort) et Osiris-Dionysos. Il est à noter qu'à Sinope, le colosse de Zeus-Hadès barbu et chevelu était flanqué de Proserpine (ce qui facilita l'identification d'Isis à Perséphone). Tacite (Histoires 4§84) ajoute que la statue fut identifiée par Timothée qui consulta le collège des mystères d'Eleusis qu'il avait installé à Alexandrie (c'est dans un second temps que le voyageur Sosibios confirmera le fait, et que Ptolémée, versatile, dut avoir un rappel menaçant des dieux pour se décider à envoyer Denys et Sotélès auprès du roi pontique Scydrothemis (301-280). Ceux-ci surmontèrent une tempête avec l'aide d'un dauphin, et le miracle les persuade d'aller consulter l'oracle de Delphes sur leur chemin. L'oracle dit "de rapporter la statue de son frère, mais de laisser celle de sa soeur" (celle de Proserpine, dont ils ne prirent sur instruction d'Apollon qu'une empreinte). Scydrothemis selon Tacite alléché par les présents de Ptolémée mais intimidé par le peuple qui tient à sa statue atermoie pendant trois ans, et un dieu lui apparaît en songe le menaçant de châtiment. Le peuple résiste, des fléaux se déchaînent, et la statue se déplace d'elle-même jusqu'au bateau égyptien. Le Cerbère tricéphale entouré du serpent est une image fréquemment associée à Serapis/Sarapis.
Eustathe de Thessalonique, moine byzantin du XIIe siècle, a perpétué le récit de cette aventure synopique dans la lignée semble-t-il de l'écrivain byzantin du VIe siècle Etienne de Byzance. Jacob Krall, dans Tacitus Und Der Orient: Sachlicher Commentar Zu Den Orientalischen Stellen in Den Schriften Des Tacitus (1880) estime que ce Zeus-Hadès de Sinope peut être une transposition du Zeus babylonien. Une rationalisation a posteriori fait penser que Ptolémée aurait trouvé à Sinope un moyen d'helléniser le culte de Asar-Api à Memphis, et sa fille Arsinoé, épouse de Lysimaque, qui avait une principauté à la frontière de Synope du Pont aurait été à l'origine de l'idée. Auguste Bouché-Leclercq (1842-1923) dans son La politique religieuse de Ptolémée Sôter et le culte de Sérapis (1902) écarte l'idée parfois avancée par des historiens antiques que Synope ait pu être un site près de Memphis.
La disqualification de l'anecdote de Plutarque eut pour origine l'archéologue français Jean-Antoine Letronne (1787-1848) qui fit autorité dans notre pays tout au long du XIXe siècle. Mais l'historiographie allemande (Julius Kaerst, Otto Gruppe, E. Petersen) a défendu son historicité (ou du moins l'historicité de l' "importation" du culte de Sérapis de Synope).
On note que le rêve de Jung a servi à la construction de sa religion psychanalytique qui a ensuite intégré pour partie celle du Nouvel Age. Le rêve de Ptolémée servit à créer la religion méditerranéenne (hellénistique) de Sérapis et Isis.
Jacqueline Kelen et la spiritualité hérétique solitaire
Je parcourais tout à l'heure "Sois comme un roi de ton coeur" de Jacqueline Kelen. J'essaie de m'intéresser à cet auteur ("cette autrice") parce que je veux toujours plus comprendre ce qui m'est arrivé en 2015 avec Ste Marie Madeleine (voyez mon livre sur les médiums), or elle a beaucoup écrit sur cette figure du christianisme. Mais j'avoue ne pas être à l'aise du tout dans la pensée de cette ex-productrice de France Culture. Elle a une âme profondément platonicienne (par nature très étrangère au monde, de sorte que la "sortie du monde" ne lui demande aucun effort), et visiblement très éclectique, et pour tout dire, hérétique. Elle aime tout : Victor Hugo, Fellini, Lewis Carroll... On peut me reprocher d'être très dogmatique, et j'essaie de lutter contre cette tendance, notamment par l'humilité et le silence. Mais quand des gens qui prétendent "témoigner de leur spiritualité" ouvrent grandes les portes du n'importe quoi, je peine à retenir mes mots. En page 75, elle cite Madame Guyon apparemment sans se soucier des aberrations dans lesquelles tomba cette mystique, qui alla jusqu'à se prendre pour la Femme de l'Apocalypse, ce qui attira tant de problèmes à Fénelon qui l'avait défendue (voyez notre billet ici). Quand on est solitaire mais entourée de micros prêts à faire la promotion de vos livres comme l'est cette Mme Kelen, on n'a peut-être pas peur d'entraîner avec soi des âmes vers des terrains marécageux. Mais je ne suis pas sûr que cette désinvolture décrochera quelque indulgence finale au jour du Jugement. "Ses nombreux péchés lui sont pardonnés, parce qu’elle a beaucoup aimé". A notre époque où l'amour est devenu l'alibi de toutes les complaisances et de toutes les trahisons, je doute que les âmes soient jugées à cette aune. Les lecteurs de Mme Kelen devraient prendre le temps d'y songer.
La dictature de Sylla (82-81 av JC)
Je regardais hier sur You Tube ce sympathique film en langue anglaise "Julius Caesar" (d'Uli Edel, 2002). Il n'est pas d'un réalisme historique irréprochable. Pour ne parler que de son début, il montre à tort un Caton d'Utique siégeant au Sénat pendant la dictature de Sylla, alors que le futur héros des Républicains stoïciens n'était alors en fait qu'un adolescent, un Pompée qui exfiltre César chez Nicodème (ce qui est faux), et assiste à la mort du dictateur (ce qui est aussi inexact). La question de la captivité du futur père de Césarion chez les pirates dissimule ou, disons, embellit la façon dont il les achète. Mais on peut choisir d'être indulgent avec ces licences romanesques, saluer certains clins d'oeil érudits à Plutarque (par exemple la citation sur le soleil levant et le soleil couchant) et même apprécier cette mise en scène comme, vers la fin du film, celle qui montre la présentation par César et Cléopâtre de leur fils sur le forum romain...
En regardant les premières scènes du film, je me rappelais les phrases brillantes de Saint-Augustin sur la tyrannie de Sylla dans la Cité de Dieu, livre 3 ch XXVIII et XXIX :
"Sylla, qui vint tirer vengeance de ces cruautés au prix de tant de sang, mit fin à la guerre ; mais comme sa victoire n’avait pas détruit les inimitiés, elle rendit la paix encore plus meurtrière. À toutes les atrocités du premier Marius, son fils Marius le Jeune et Carbon en ajoutèrent de nouvelles. Instruits de l’approche de Sylla et désespérant de remporter la victoire, et même de sauver leurs têtes, ils remplirent Rome de massacres où leurs amis n’étaient pas plus épargnés que leurs adversaires. Ce ne fut pas assez pour eux de décimer la ville ; ils assiégèrent le sénat et tirèrent du palais, comme d’une prison, un grand nombre de sénateurs qu’ils firent égorger en leur présence. Le pontife Mucius Scévola fut tué au pied de l’autel de Vesta, où il s’était réfugié comme dans un asile inviolable, et il s’en fallut de peu qu’il n’éteignît de son sang le feu sacré entretenu par les vestales. Bientôt Sylla entra victorieux à Rome, après avoir fait égorger dans une ferme publique sept mille hommes désarmés et sans défense. Ce n’était plus la guerre qui tuait, c’était la paix ; on ne se battait plus contre ses ennemis, un mot suffisait pour les exterminer. Dans la ville, les partisans de Sylla massacrèrent qui bon leur sembla ; les morts ne se comptaient plus, jusqu’à ce qu’enfin on conseilla à Sylla de laisser vivre quelques citoyens, afin que les vainqueurs eussent à qui commander. Alors s’arrêta cette effroyable liberté du meurtre, et on accueillit avec reconnaissance la table de proscription où étaient portés deux mille noms de sénateurs et de chevaliers. Ce nombre, si attristant qu’il pût être, avait au moins cela de consolant qu’il mettait fin au carnage universel, et on s’affligeait moins de la perte de tant de proscrits qu’on ne se réjouissait de ce que le reste des citoyens n’avait rien à craindre. Mais malgré cette cruelle sécurité, on ne laissa pas de gémir des divers genres de supplices qu’une férocité ingénieuse faisait souffrir à quelques-unes des victimes dévouées à la mort. Il y en eut un que l’on déchira à belles mains, et on vit des hommes plus cruels pour un homme vivant que les bêtes farouches ne le sont pour un cadavre. On arracha les yeux à un autre et on lui coupa tous les membres par morceaux, puis on le laissa vivre ou plutôt mourir lentement au milieu de tortures effroyables. On mit des villes célèbres à l’encan, comme on aurait fait d’une ferme ; il y en eut même une dont on condamna à mort tous les habitants, comme s’il se fût agi d’un seul criminel. Toutes ces horreurs se passèrent en pleine paix, non pour hâter une victoire, mais pour n’en pas perdre le fruit. Il y eut entre la paix et la guerre une lutte de cruauté, et ce fut la paix qui l’emporta ; car la guerre n’attaquait que des gens armés, au lieu que la paix immolait des hommes sans défense. La guerre laissait à l’homme attaqué la faculté de rendre blessure pour blessure ; la paix ne laissait au vaincu, à la place du droit de vivre, que la nécessité de mourir sans résistance.
Quel acte cruel des nations barbares et étrangères peut être comparé à ces victoires de citoyens sur des citoyens, et Rome a-t-elle jamais rien vu de plus funeste, de plus hideux, de plus déplorable ? Y a-t-il à mettre en balance l’ancienne irruption des Gaulois, ou l’invasion récente des Goths, avec ces atrocités inouïes exercées par Marius, par Sylla, par tant d’autres chefs renommés, sur des hommes qui formaient avec eux les membres d’un même corps ? Il est vrai que les Gaulois égorgèrent tout ce qu’ils trouvèrent de sénateurs dans Rome, mais au moins permirent-ils à ceux qui s’étaient sauvés dans le Capitole, et qu’ils pouvaient faire périr par un long siège, de racheter leur vie à prix d’argent. Quant aux Goths, ils épargnèrent un si grand nombre de sénateurs, qu’on ne saurait affirmer s’ils en tuèrent en effet quelques-uns. Mais Sylla, du vivant même de Marius, entra dans le Capitole, qu’avaient respecté les Gaulois, et ce fut de là qu’il dicta en vainqueur ses arrêts de mort et de confiscation, qu’il fit autoriser par un sénatus-consulte. Et quand Marius, qui avait pris la fuite, rentra dans Rome en l’absence de Sylla, plus féroce et plus sanguinaire que jamais, y eut-il rien de sacré qui échappât à sa fureur, puisqu’il n’épargna pas même Mucius Scévola, citoyen, sénateur et pontife, qui embrassait l’autel où on croyait les destins de Rome attachés ? Enfin, cette dernière proscription de Sylla, pour ne point parler d’une infinité d’autres massacres, ne fit-elle point périr plus de sénateurs que les Goths n’en ont pu même dépouiller ? "
Au livre 2 chapitre XXIV , le saint a expliqué ce que cette barbarie devait aux démons, c'est-à-dire à l'esprit des Nephilim, si l'on reprend la terminologie de certains débats théologiques actuels.
Montaigne admirait les Romains du Ier siècle av J.-C., Augustin n'y voyait qu'une République aveuglée par les forces des Ténèbres. Je penche pour l'avis du second. Les quelques restes de la vertu initiale de la Rome républicaine et les quelques éclats de sagesse que lui conférait un peu la philosophie grecque (à l'école de laquelle toute la noblesse latine s'était mise) ne compensent pas l'aveuglement moral dans lequel le paganisme plongeait cette cité. Ni le film d'Uli Edel qui glorifie César, ni la Pharsale de Lucain qui idéalise Pompée dans un goût d'ailleurs très discutable (voyez par exemple le récit "gore" de la bataille de Marseille) ne me persuadent du contraire.
Témoignage d'une "thérapeute" anti-chrétienne
On retrouve ici une illustration intéressante d'un phénomène que j'avais évoqué dans mon livre sur les médiums sur l'orientation anti-chrétienne des expériences de mort imminente, et, du coup, sur les forces spirituelles qui sans doute les orientent. Voici Karinne R, "thérapeute" à Bayonne. Le 28 septembre 2019, elle donne une conférence (à Bois Cesbron, près de Nantes, organisée par une association "A fleur d'âmes", juste avant quand même une "canalisation" par une médium...) dans laquelle elle raconte l'agression dont elle a fait l'objet en 2014 au terme de laquelle elle a été laissée pour morte. Le propos est sincère, intéressant, mais parsemé d'attaques insidieuses contre la doctrine chrétienne du type "non notre âme n'est pas jugée quand elle quitte le corps", "il est bon de faire de la méditation","les mandalas sont beaux"...
Si l'on n'écoute que la conférence en elle-même, sans les questions qui suivent, on a l'impression que l'intéressée raconte une expérience spirituelle "autonome", qui n'a été préparée par rien, à ceci près qu'elle précise avoir déjà fait une décorporation à l'âge de 25 ans. Puis, quand on en vient aux questions de la salle, elle apporte cette précision intéressante : la jeune femme qui lui est apparue dans son coma et qui serait la fille qu'elle a avortée le 17 octobre 1994 s'appelle Iris ; comment sait-elle que c'est le prénom de l'enfant avorté ? parce qu'elle a fait une canalisation chez une médium quelques années auparavant et que celle-ci lui a révélé le prénom de l'enfant.
Autrement dit, cette apparition de l'enfant dans son coma est directement reliée à la révélation de la médium. Sans cette séance de médiumnité, l'apparition n'aurait eu aucun sens pour cette femme.
Je me suis souvent demandé pourquoi seulement une minorité de personnes qui subissent des accidents graves vivent des décorporations et plus généralement des expériences de mort imminente. On peut maintenant se demander si ces expériences, comme la réalisation des prédictions des voyant(e)s, ne relèvent pas d'une logique de pacte. Parce que la personne croit, adhère à ce que dit le médium, elle entre dans un pacte avec la ou les entité(s) qui se sont manifestées dans la séance. Et, dès lors, ces forces vont faire advenir dans la vie de cet individu des événements qui scellent ou réactivent périodiquement le pacte comme l'accident qui détermine l'expérience de mort imminente elle-même. On peut même faire l'hypothèse (validée à certains égards par la Bible) que le pacte a été parfois conclu quelques générations auparavant par des ancêtres. L'EMI n'est alors qu'une étape du pacte au cours de laquelle l'Esprit va faire vivre à l'accidenté diverses choses, et parfois même doter son "client", son "co-contractant" de certains dons (certains reviennent des EMI avec des dons de médiumnité). Alors la personne va avoir l'impression d'avoir connu un amour exceptionnel et de revenir sur Terre pour faire du bien aux gens. Mais en réalité, elle revient pour poursuivre l'exécution du pacte, dont un des volets est d'expliquer sous forme de sousentendus aux auditeurs que le christianisme est une sottise, que l'on n'est pas jugé après la mort, et qu'il ne faut pas réformer sa vie, sauf à essayer d'aimer un peu plus les autres.
Ce n'est là qu'une hypothèse, mais ce serait assez logique... D'ailleurs j'observe que les gens qui témoignent de leur EMI, à part l'éloge qu'ils font de l'amour, n'apportent pas un message d'un très haute valeur morale. Il y est beaucoup question de la réalisation de soi, de vanter la vie que l'on a vécu, de sa valeur dans le plan divin etc, mais pas d'appel à donner tout ce que l'on a comme dans la Bible, pas d'appel à l'humilité (d'ailleurs les rescapés des EMI qui deviennent thérapeutes exercent des métiers rémunérés qui ne relèvent pas du tout du don de soi, du sacrifice pour autrui), pas d'inscription dans un plan historique apocalyptique. Les entités invisibles voudraient "chloroformer" spirituellement un maximum de gens avec ce genre de discours qu'elles ne s'y prendraient pas autrement...
Arnauld d'Andilly et Jean Climaque
Au début du règne de Louis XIV, Pierre Dupuy (1582-1651), conseiller d'Etat depuis 1623, informe son collègue conseiller d'Etat Robert Arnauld d'Andilly (1589-1674) de ce qu'il existe à la bibliothèque du roi trois exemplaires de l'Echelle sainte de Jean Climaque. le premier appartenait à François Ier, les deux autres à Catherine de Médicis. Le premier venait du Levant, l'autre de la bibliothèque de son frère le Grand Duc de Florence. Le troisième manuscrit était le plus ancien. Arnauld d'Andilly lui donne 800 ans "par la beauté de ses caractères". La comparaison des manuscrit laissait voir de nombreuses différences. Jean Climaque avait la renommée d'avoir été très altéré à cause du grand nombre de copies. Puis il apprend que dans la bibliothèque du chancelier (Pierre Séguier ) se trouvent quatre manuscrits, ce qui permet à Arnauld d'Andilly d'affiner sa traduction du grec. Celui-ci utilise aussi les très rares commentaires d'Elie ou Elias archevêque (au VIIIe siècle) de Crète (il s'en trouve un seul à la bibliothèque de Venise que lui a cédée le Cardinal orthodoxe Bessarion vers 1420, et un aussi à la bibliothèque du chancelier du temps d'Arnauld d'Andilly). La traduction de l'Echelle spirituelle par ce dernier sera publiée une première fois en 1654 (Arnauld avait 65 ans), puis une nouvelle fois après sa mort.
Je ne sais pas trop si M. Arnauld d'Andilly, janséniste (qui écrivit diverses vie de saints et recueillit précieusement chez lui le coeur du pieux abbé de Saint-Cyran , chef des jansénistes français - un prêtre bayonnais qui avait été disciple de Jansénius à Louvain et mourut d'apoplexie en 1643 -) fut représentatif du Conseil d'Etat (Conseil royal) de son époque, mais je trouve que son travail sur Jean Climaque honore beaucoup l'institution juridique à laquelle il appartenait.
Petitot parle en des termes hostiles d'Arnauld d'Andilly, comme de tous les protecteurs de Port-Royal (rappelant que l'abbesse du lieu était la sœur du conseiller d'Etat) :
Un peu plus loin il écrit encore :
Ses partisans dirent qu'Arnauld mena sur le tard à Port Royal une vie de mortification digne de Jean Climaque bien qu'il y fut célèbre pour ses travaux de jardinage et ses études littéraires. Saint Beuve douta que ces activités fussent si désagréables pour les sens... En tout cas l'on doit à sa retraite à Port Royal à partir de 1644 une version fort élégante de l'Echelle Spirituelle, dans un style de la plus belle époque de notre langue.
De l'habileté des pieds
"Un autre souvenir de la jeunesse (de l'abbé de Clieu, curé du Havre en 1669) mérite d'être rapporté pour la rareté et la curiosité du fait. Quand il étudiait la théologie à la Sorbonne , on y mena une jeune fille qui avait subi l'amputation des deux bras, dès l'enfance, et qui cousait et enfilait parfaitement son aiguille avec ses pieds; elle travaillait aussi bien que la meilleure couturière, taillait des plumes, écrivait, peignait, sténographiait et feuilletait librement son livre de prières, et tout cela toujours avec ses pieds. "
Messire de Clieu, les églises et le clergé de la ville du Havre-de-Grâce (1516-1851) / par M. l'abbé J.-B. Lecomte,...p. 9
Une recommandation de Mère Mectilde de Bar
"Prenez bien garde de ne vous rendre pas propriétaire de votre temps et de vos actions. Il faut que vous soyez toujours en état de quitter de bon coeur ce que vous avez résolu de faire, pour faire ce que Dieu vous fera faire dans les événements."
Mère Mectilde de Bar, Une Amitié spirituelle au grand siècle p.138