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Arnaud-Aaron Upinsky et le Suaire de Turin

14 Mars 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète

A la différence du pape, l'essayiste Arnaud-Aaron Upinsky n'est pas infaillible (par exemple quand il accuse la reine d'Angleterre de fausser Jean 1:5, alors que c'est la version française qui se trompe - voir ici). Mais il a le mérite, comme le Dr Ricardo Castañón Gomez spécialiste des effusions de sang des hosties (voir mon billet ici) de tenir ensemble la foi et la démarche empirico-critique de la science, de sorte que la première est toujours susceptible de sortir renforcée de l'épreuve du test de la seconde, même s'il est vrai que l'on peut toujours supposer, d'un point de vue religieux, qu'une ruse démoniaque est à l'origine du "miracle" scientifiquement contesté, ou, d'un point de vue athée, que la science "à l'avenir" expliquera l'aberration qui la laisse sans voix aujourd'hui.

Prenons malgré tout au sérieux, et avec honnêteté, les éléments factuels et les démonstrations rationnelles que les croyants mobilisent au service de leur conviction. Même les athées ou les agnostiques devraient faire de même sous peine qu'on puisse les accuser de s'en remettre à des actes de foi aussi arbitraires que ceux qu'ils critiquent.

Arnaud-Aaron Upinsky (AAU), mathématicien informaticien, ancien titulaire d'une chaire d'épistémologie dans une école de communication, et accessoirement descendant (selon ses dires) d'Olivier Voutier, découvreur de la Vénus de Milo, s'est spécialisé depuis plusieurs décennies dans la défense de l'authenticité du suaire de Turin (le linceul encore visible de nos jours qui aurait enveloppé le cadavre de Jésus de Nazareth) et de son caractère de preuve de la résurrection de Jésus-Christ (une résurrection qui, du reste, à la supposer vraie, ne suffirait pas à démontrer qu'il est le fils de Dieu rédempteur, puisque par exemple le Toldoth Jeschu prêtait au rabbi Jeschu qu'il identifie à Jésus des dons de magie acquis en Egypte qui pourraient fort bien lui avoir permis de réaliser une prouesse post mortem). Par delà ses vidéos sur le Net, je me suis reporté à un de ses anciens livres publié en mars 1998 chez Fayard qu'on ne trouve plus que dans les bibliothèques "L'énigme du linceul, La prophétie de l'an 2000", livre qui rend compte à la fois de la méthode d'authentification du linceul que prône à AAU, des éléments factuels qui corroborent l'authenticité, et des difficultés à faire entendre cela à l'Eglise et à l'opinion publique mondiale entre 1989 et 1998.

En introduction au livre, AAU rappelle que le 11 avril 1997 le suaire a réchappé dans des conditions mystérieuses à l'incendie qui a ravagé la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin à la fin d'un dîner de gala donné en l'honneur du secrétaire général des Nations Unies de l'époque, au palais royal de Turin, comme il l'avait fait dans la nuit du 3 au 4 décembre 1532 quand deux franciscains du couvent de Ste Marie l'Egyptienne le sauvèrent des flammes.

L'incident n'est pas sans rappeler cet autre "miracle" inexpliqué par la science que fut la conservation de l'étrange portrait de Notre Dame de Guadalupe sur une tunique, qui survécut aussi à bien des avanies.

Puis il récapitule la chronologie du débat sur l'authentification dont l'étape clé fut le 8 septembre 1989 le séminaire au centre Chaillot Galliera dont l'objectif était de tester la validité de la datation au carbone 14 qui venait de conclure que le linceul avait été fabriqué au Moyen-Age. Comme il travaillait sur les systèmes expert en liaison avec IBM, le conseil scientifique de ce symposium lui avait demandé demandé une synthèse épistémologique de l'ensemble de la recherche sur le linceul (p. 25). Peu intéressé par les reliques jusque là, il fut d'abord frappé par le caractère irreproductibilité de la pièce, qui plaide selon lui de façon imparable pour son authenticité.

AAU n'a cessé de le marteler depuis lors : on ne peut trouver un vrai faussaire avec une vraie motivation et une vraie technique. Le linceul anonyme très difficile à réaliser et rempli de détails invisibles à l'oeil nu (comme le portrait de ND de Guadalupe) ne répond pas à ces critères. Par ailleurs la datation au C14 est scientifiquement fausse.

Cette démonstration valut à AAU un grand succès, mais ne fut pas reprise dans la conclusion du colloque qui resta évasive.

La datation au C14 entreprise sans souci interdisciplinaire (alors que toutes les disciplines depuis 1898 s'orientaient de plus en plus vers une reconnaissance d'authenticité - cf p. 36) avait été entourée selon AAU de beaucoup de théâtralisation, avec des informations livrées au compte goutte. Le 28 septembre 1988, l'archevêque de Turin avait déclaré que selon les chercheurs de l'université d'Arizona, d'Oxford et de l'école polytechnique de Zurich coordonnés par le Pr Tite du British Museum "l'intervalle de date calibré assignée au tissu du suaire avec un taux de 95 % se situe entre 1260 et 1390, et insistait sur le fait que ce taux valait certitude. Les représentants d'Oxford et du British Museum allaient en rajouter dans ce registre dans les médias, mais le rapport dans la revue Nature fu 16.2.89 ne comportait pas de détail des opérations effectuées sur les 150 mg d'échantillon, ni le taux de C14 obtenu, et les échantillons de contrôle (des tissus venant de tombes) n'avaient pas été anonymisés ce qui leur ôtait leur valeur probatoire.

La méthode de datation au C14 qui a valu le prix Nobel à Libby son inventeur en 1960 est de plus en plus contestée. Les postulats de base comme la constance du C14 dans le temps et l'espace et la fixité sur 5 700 ans son contestés. Des disparités énormes de datation ont été constatées sur le site de Jarmo (5 300 ans d'écart), sur des coquilles d'escargots projetées à 24 000 av JC alors qu'elles étaient contemporaines et un cor de viking de 500 a été projeté en 2006...

Ici les trois laboratoires sur le même objet avaient trouvé des résultats si différents qu'il n'y avait que 5 % de chances ("niveau de signification") que ce fût le même objet. Si la mesure était valide, l'intervalle de confiance avait 95 % de chance d'être celui annoncé, mais il n'y avait que 5 % de chances que la mesure le soit...

John H. Heller dans "Enquête sur le St Suaire" (1985) avait montré que dans le débat organisé par le Shroud of Turin Research Project (STURP) aux USA en 1978 juste avant une ostension, AD Adler avait eu beau montrer contre son compatriote McCrone que la trace rouge était du vrai sang, les savants avaient montré leur incapacité à faire le lien entre les réponses aux questions partielles portées sur la nature des composantes de l'énigme et la question du grand public sur l'authenticité.

La photo prise par Secundo Pia montre que c'est par le négatif que l'image du suaire se révèle le mieux (cf "Le Paranormal" d'Henri Bloch). La densité des fibrilles colorées donnait l'image du corps, les distances étaient reproduites et l'empreinte sanguine située à l'endroit précis des 5 plaies dont les trous dans les poignets, ce qui plaide pour une représentation acheiropoietos (sans main de l'homme). Cela la rendait non reproductible, et le cadavre s'est détaché sans déplacer l'empreinte sanguine.

Pour arriver à construire une thèse positive sur le Suaire, AAU part de son existence, des générateurs possibles, et des hypothèses que cela implique.

Arnaud-Aaron Upinsky et le Suaire de Turin

Si le linceul n'est pas reproductible, peu importe sa provenance (et notamment le trou entre l' "image d'Edesse" qui aurait pu être le linceul jusqu'en 944 et l'apparition du linceul à Lircy en 1357 en Champagne. La méthode synthétique d'AAU (cf figure jointe) lui permettait d'aboutir dès 1989 à la démonstration d'une authenticité "par défaut, comme un triangle qui a ses trois côtés identiques est un triangle équilatéral".

Le Sturp avait démontré en 1978 que l'image n'était pas l'oeuvre d'un artiste comme beaucoup l'avaient soutenu depuis le 14e s. La trame est colorée seulement sur une profondeur de 40 microns. Il n'y a pas de pigment allant dans les fibres. L'image est stable à l'eau et au feu comme l'avait déjà montré l'incendie de 1532. il n'y avait pas de coups de pinceaux, c'était un négatif photographique parfait visible seulement à 2 m (p. 114).

La fabrication du linceul applique les techniques du 1e siècle, Le sang est du vrai. Max Frei du laboratoire de police de Zurich y a trouvé du pollen de plantes de Palestine.

L'image était floue à l'oeil nu, aurait pu choquer au Moyen Age vu la nudité du cadavre, montrait une jambe plus courte que l'autre.

Le prestidigitaeur Joe Nickell a tenté de fabriquer une image avec de la myrrhe et de l'aloès tendue sur un bas relief. En vain.Elle était déformée, pas monochrome etc.

L'exposition "Fake, the Art of Deception" du British Museum de mars à septembre 1990 qui comprenait une diapositive grandeur nature du suaire, fut l'occasion pour AAU d'envoyer au directeur du musée le 11 août avec copie à diverses autorités une lettre réfutant l'accusation des exposants. Dans une réponse du 23 le directeur répondait qu'il faisait retirer du catalogue la référence au suaire. Le même mois le Vatican désavouait la datation au C14 de l'année précédente.

Ce désaveu par le British Museum du concept de l'exposition impliquait au moins la reconnaissance de la présence d'un vrai cadavre, qui était la thèse du chirurgien Pierre Barbet. La manière dont l'empreinte s'est faite sur le linceul est si précise que le légiste de Los Angeles Robert Bucklin identifie contusions et perforations et une une enflure qui a occasionné la fermeture partielle de l'oeil droit ainsi qu'une fracture du nez et une contusion au bout du nez signe d'une chute.Selon le Dr Barbet la plaie au côté est celle d'une lancea romaine, au niveau du péricarde plein de viscosité et de l'oreillette droite pleine de sang, d'où le fait que de l'eau et du sang en sortirent. L'effet de décalque du suaire inverse les côtés.

La plaie au front est pré-mortem, celle au coeur est post mortem, conformément au récit de l'Evangile sur le coup de lance.

Le visage exprime une majesté, il s'agit d'un homme de 30-35 ans, de type yéménite archaïque d'1m78/80, 77-80 kg (p. 142). Il a reçu environ 120 coups par devant et par derrière de flagrum infligés par deux hommes. On a placé un objet blessant autour de sa tête. Les pieds sont ensanglantés et terreux, la crucifixion a eu lieu à la romaine.

On considère, nous dit AAU p. 145, que Jésus de Nazareth est né en 7 av JC. Nommé responsable de la politique scientifique du CIELT (Centre International d’Etudes sur le Linceul de Turin), l'auteur fut confronté aux tentatives des religieux de prendre l'ascendant sur les scientifique ce qui arriva en 1994. Néanmoins l'association réunie début 1991 décida de s'investir dans la préparation d'un symposium à Rome qu'AAU prépara et dont le but était l'identification du crucifié et la planification du processus de reconnaissance de l'authenticité pour l'ostension de 1998.

La présence de chercheurs russes Ivanov et Kouznetsov hostiles à la datation du British Museum, lors du symposium de juin 1993 renforça AAU.

Outre les concordances entre les caractéristiques du corps et le récit de la Passion dans l'Evangile, deux points sont à souligner : il n'y a pas eu de putréfaction du corps, ce qui aurait détruit l'image, il n' y a pas eu enlèvement car l'arrachement aurait laissé des traces sur le tissu (p. 166).

Toutefois, selon AAU, à l'instigation du Pr Lejeune un projet de communiqué final du symposium faisait l'impasse sur l'annonce de l'authenticité et le sur le point essentiel relatif au non détachement du corps du tissu pour se focaliser sur la contestation de la datation au carbone 14, puis le bureau du Symposium était dissous et AAU remercié avant la publication des actes.

Néanmoins la communauté scientifique avait avancé dans le sens des évangiles puisque le point du non décollement du cadavre (point 18) avait été validé. C'était admettre la dématérialisation du corps. Les médias (TV, radio, René Laurentin au Figaro) donnèrent un écho, mais le cardinal Lustiger resta en retrait et un théologien dans Le Monde le 3 juillet 1996 parla contre toute vraisemblance scientifique d'un possible frottage de statue ou de bas relief contre le suaire pour produire l'image. Le Saint Siège ne relaya pas les travaux du Symposium. La série Corpus Christi sur Arte en 97 remplie d'avis contradictoire faisait de Jésus un être imaginaire et le linceul y fut ignoré.

AAU rappelle que Jésus avait annoncé (Mt 12, 38-40, Mt16, 3-4 et Lc 11, 30-32). Le linceul est l'empreinte même du "signe de Jonas", son "négatif" scientifique. Conformément à la prophétie sur le cheval blanc de l'Apocalypse (le verbe de Dieu vêtu de son linceul de lin) le dragon aurait été lié pour mille ans par le verbe, puis le chiffre des sciences (le règne des mathématiques) aurait vaincu pour mille ans encore l'an 2000 manquant selon AAU la fin d'un cycle.

Depuis lors Arnaud Upinsky n'a cessé de batailler contre la légèreté avec laquelle la Vatican traite les découvertes scientifiques autour du linceul, par exemple la distraction du pape François lors de sa visite au Suaire le 21 juin 2015.

Voilà donc les éléments (troublants) avec lesquels AAU tente de persuader l'humanité de l'authenticité du linceul et de la véracité de la Résurrection que cette authenticité par elle-même implique compte tenu des particularités de l'objet. Je n'ai pas étudié les arguments adverses pour l'instant, mais il faut reconnaître que l'argumentaire d'AAU est très impressionnant.

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