Quelle eucharistie ?
J'ai déjà abordé ce thème dans un précédent billet, il y a un an, à propos d'Alfred Loisy : l'Evangile est clair sur le fait que ceux qui ne mangeront pas du corps de Jésus Christ n'auront pas accès à la vie éternelle, et rien, dans le dialogue entre les pharisiens et Jésus à ce sujet n'indique que le verbe "manger" soit ici symbolique (Jn 6-53).
Mais comment mange-t-on le corps de Jésus ? Au terme de quel rituel eucharistique ?
Beaucoup de miracles liés à l'eucharistie catholique romaine semblent cautionner celle-ci : ces possédés qui ne supportaient pas la consécration du pain, ceux qui au contraire ne parvenaient à manger que des hosties, et puis Garabandal, communion de l'ange devant des caméras (mais Garabandal est si suspect, comme Medjugorje, vu le profil des voyantes..).
L'excellent Frère Mark Goring, dans sa vidéo "The World #1 Most impressive eucharistic miracles" en met en exergue un très récent, digne des recherches du docteur Ricardo Castañon Gomez dont on a parlé sur ce blog il y a quelques années (sans doute d'ailleurs ce chercheur a-t-il fait partie de l'équipe d'experts qui l'a authentifié). L'histoire est extraite d'un livre publié en 2009 "The Eucharistic Miracles Of The World" hélas maintenant indisponible sur Amazon. A Sokółka en 2008, une hostie tombe, conformément au rituel on la met dans un calice rempli d'eau pour qu'elle s'y dissolve. Au bout d'un certain temps, on la retrouve non seulement intacte, mais encore exhalant une odeur de pain frais, et surtout avec en son sein une tache rouge. On fait expertiser la tache et l'on se rend compte qu'il s'agit d'un tout petit morceau de tissu humain, et plus précisément du tissu humain encore vivant, et, chose plus folle encore, l'analyse scientifique montre qu'il s'agit d'un morceau de cœur, et d'un cœur stressé comme s'il souffrait le martyr...
"Heureux ceux qui croient sans voir" (Jn 20,29 ), et il ne faut pas rechercher les signes, mais ceux qui affectionnent la preuve par le surnaturel seront là comblés : la présence réelle du corps du Christ dans le pain consacré est ici démontrée, et donc, c'est la consécration catholique qui se trouve validée contre toutes les autres (orthodoxes, protestantes, etc) parce que, à ce qu'on sache, on n'a jamais retrouvé du tissu humain vivant d'un cœur souffrant dans une hostie d'une autre confession...
Certes, cela impressionne, questionne, et je n'irai pas, connaissant le sérieux des experts du Vatican comme précisément le docteur Grinon dont j'ai déjà parlé, qui prennent toujours leur temps pour authentifier les miracles, suspecter là l'existence d'une supercherie, et encore moins celle d'une contrefaçon diabolique (car i est toujours très facile d'imputer un miracle au diable).
A titre personnel, j'ai tendance à trouver que ce miracle donne un point fort à l'Eglise catholique, et qu'on aurait tort d'en sousestimer la portée. Mais quelque chose me gène dans ce qu'il authentifie : il prouve que dans l'hostie romaine se trouve le corps souffrant de Jésus-Christ torturé. Or est-ce à cela que nous sommes censés, nous chrétiens, communier ?
Cela me rappelle cette remarque de Barbara Aho dans Mystery Babylon sur le film "La passion de Jésus-Christ" de Mel Gibson : si Gibson était un vrai chrétien il n'insisterait pas sur la passion mais sur la résurrection. Critique profonde des protestants contre l'Eglise romaine. Quand nous mangeons du pain de vie, communions-nous au Christ mourant ou au Christ ressuscité ? Que voulons nous avoir en nous ? Sa divinité à travers son supplice, ou sa divinité à travers son corps relevé des morts, son corps de l'Adam originel restauré, rempli de pouvoirs incroyables et immortel ?
Question grave. Il y a peu j'entendais le cardinal Sarah, que les catholiques conservateurs mettent en avant contre le Pape progressiste, spécialement en ces temps de "synode amazonien" néo-païen. Ce cardinal guinéen, interviewé dans une vidéo, disait que le Dieu que nous vénérons n'est pas un Dieu "tout puissant" mais un Dieu humble, humilié, qui meurt pour nous sur la croix ? Voilà une étrange façon de faire l'impasse sur le Dieu terrifiant de l'Ancien Testament qui est aussi celui de l'Apocalypse de Jean : celui qui fera trembler les montagnes et s'éteindre les astres.
Quelque chose ne va pas dans le dolorisme catholique, et dans la focalisation sur la croix. Nous devons prendre part à la crucifixion de Jésus chaque jour, par notre souffrance, mais aussi à sa victoire sur les Ténèbres. Pourquoi l'eucharistie ne donnerait-elle "que" son cœur mourant ?
Question grave, disais-je, car je vois beaucoup de gens désorientés en ce moment, et qui ne savent sinon à quel saint, du moins à quelle église se vouer. Une dame catholique dangereusement "morte au monde" au point de maltraiter ses relations avec son prochain me disait il y a peu qu'elle suivait le conseil de feu l'évangélique pentecôtiste Derek Prince et communiait toute seule en trempant chez elle un morceau de pain dans un calice "en mémoire du dernier repas du Seigneur". Je doute que cette consécration qui n'est pas légitimée par une succession apostolique (ni celle de Pierre, ni celle d'aucun autre apôtre puisqu'elle se fait en dehors de toute prêtrise), ni même par un partage communautaire (ce qui était tout de même l'esprit de la Cène) aboutisse à quelque présence réelle que ce soit. Mais si le miracle de Sokółka n'atteste que de la présence d'un cœur martyrisé, c'est à peine mieux, ne trouvez-vous pas ?
Mais je n'ignore pas la naïveté de ma question. Il y a à l'arrière plan de cette affaire toute la mystique à mes yeux compliquée (et pour l'instant pas très convaincante, mais bon je chemine...) du sacré coeur, récemment encore explorée par Roger Buck.
Je suis sensible à l'argument de gens comme Mark Goring ou E. Michael Jones selon lequel sans une vie sacramentelle on n'a pas la force spirituelle pour vraiment résister à Satan. La série de compromis passés par les pays protestants avec le prêt à usure, la franc-maçonnerie, la contraception, l'avortement et la pornographie (qui se généralisa à l'Europe par les pays luthériens) et là pour montrer que sans l'eucharistie on peut avoir l'esprit saint (les assemblées évangéliques le prouvent), mais pas l'endurance suffisante pour résister à la sorcellerie qui gouverne le monde.
On peut ne pas aimer les papes, ni certains aspects idolâtres du culte marial, ou de la tradition parfois trop empreinte de philosophie grecque des pères de l'Eglise, et avoir malgré tout sa place dans le monde catholique puisque celui-ci - à la différence des églises protestantes - admet une certaine diversité dogmatique en son sein. Le coeur du coeur du catholicisme romain, par delà la multiplicité de ses tendances, ne tient-il pas dans cet arbre des sacrements dispensés par des prêtres qui ont reçu leur légitimité transgénérationnelle de l'intronisation de Pierre (Matth 16:18) ? N'est-ce pas principalement pour délivrer ces sacrements qu'existe cette Eglise, et notamment pour opérer le miracle eucharistique dont Sokółka fut la manifestation ultime ? Et si on était pragmatique ? Si l'on disait que cette Eglise est là surtout pour nous donner le coeur du Christ vivant, parce que ce coeur ne peut émerger dans le pain dans un geste solitaire du renonçant que décrivait Derek Prince, mais par les mains du prêtre dans la foule des disciples recueillis ? Si l'Eglise romaine ne tirait sa raison d'être que de cela, et si cette raison d'être n'était pas au fond ce qui la place, malgré tous ses défauts, au dessus de tous les autres ? Nous pouvons tout recevoir du Christ par la simple lecture de la Bible, tout sauf la présence de son corps que le prêtre romain lui seul peut nous donner. N'est ce pas ainsi qu'il faut voir les choses sur le chemin du salut ? Et n'est-ce pas pour cela que Rome, de toute façon, même dirigés par des jésuites apostats, restera incontournable ?
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