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Le chapeau de Liane de Pougy

18 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Otium cum dignitate

Lu dans Gil Blas du 3 mai 1910 à propos d'un personnage qu'on a découvert il y a peu.

Le petit "béquin" et le petit prince de Mme LIANE DE POUGY devant le juge de paix de Saint Germain

C'est un petit, tout petit chapeau, un tout petit « béguin », mais il est déjà grand dans l'histoire.

Simple tulipe en paille noire à la corolle épointée et bordée d'un ruban de dentelle blanche, il occupe depuis de longs jours l'attention du monde.

Mme Liane de Pougy le portait le lundi de Pâques dans les rues de St-Germain, où elle villégiature souvent, et le petit chapeau eut le. malheur de déplaire à un groupe d'autochtones: Deux femmes s'en moquèrent, et leurs maris eurent Ia faiblesse de les approuver. Alors le petit prince Ghika, chevalier servant de dame Liane, rappela les rieurs au respect que l'on doit à tout petit chapeau lorsqu'une jolie femme le porte.

En guise de réponse, l'un des maris, irascible le gifla. Puis, comme, les oreilles rouges, le petit prince levait le bras dans un geste de parade, le mari exaspéré, lui lança un vigoureux coup de poing sur les mâchoires et enfin, de plus en plus convaincu qu'il combattait pour la logique et la morale, étendit le bras une deuxième fois et te prince chancela. Entre temps, tel un guerrier grec pour s'exciter au courage, M. Martet, car c'était lui, invectivait le prince, La princesse Liane et jusqu'à leur compagne de promenade et amie, Mme d'Arvilly !

Attroupement La police accourt. Tout Je monde va au commissariat Le prince Ghika et Mme Liane de Pougy déposent une plainte, et Le petit chapeau, victime muette mais séduisante, vient demander justice.

* *

Le juge de paix de Saint-Germain, il y a quinze jours, s'offrit déjà à le venger. Mais les avocats qui le défendent voulurent des assignations en règle et rendez-vous fut pris alors pour hier après-midi.

a Tout le monde y fut exact. La rue, d'ordinaire si paisible, où se trouve l'entrée du prétoire, avait pris un aspect d'émeute. Les indigènes y criaient et sifflaient. Toutes les fenêtres encadraient trois, quatre, cinq curieux penchés vers la chaussée, prêts à tomber s'il le fallait. Le service d'ordre était débordé, c'était émouvant et splendide. Enfin, une automobile apparut. Sur le siège, près du mécanicien, un carton blanc : c'était le petit chapeau 1 On le descendit avec précaution. Mme de Pougy le suivit, accompagné du prince Ghika, de Mme d'Arvilly et de deux membres du barreau parisien, Me Bonzon et Périnne.

On s'empila dans l'étroite salle et les débats commencèrent.

* *

Le premier, le prince fut invité à refaire le récit de l'agression. Il s'avança pâle, livide. Sur un front d'ivoire les ondulations noires de ses longs cheveux rejetés en arrière lui donnaient un visage de fillette, de fillette bien ennuyée de se trouver là. Le souvenir de ces scènes violences l'affecte encore.

Après lui, Mme Liane de Pougy parla :

- Et puis M. Martet m'a donné des noms d'oiseau.

— Quel oiseau ? questionne, imposant, le juge de paix, M. Quesnel, transformé en président de tribunal de simple police.

— Un oiseau avec de grandes pattes,

— Une grue ?

— Oui, avoue Mme de Pougy, dans un souffle.

— Très bien, très bien, et après ?

Après ? mais, M. Martet a proféré dans la rue à l'adresse de la plaignante des injures graves et Ie prince a été victime de coups et violences ayant causé des blessures assez sérieuses.

 Les témoins l'affirment. Mme Journet, pâtissière devant le magasin de qui se passait la scène, sa jeune employée, de simples passants, tout le monde a vu la colère terrible de M. Martet -

Aussi, son avocat, Me Morel, n'essaie-t-il pas de discuter les faits, mais, pour donner à son client au moins l'attitude du courage, il cherche à représenter le prince Ghika, si petit, si pâle, si frêle, comme un matador dangereux. Et deux témoins cités par Me Morel viennent raconter une histoire vieille d'un an !

— Oui,, un jour sur la terrasse de Saint-Germain, le fox-terrier d'un officier de cuirassiers, au lieu de courir le museau aux fers du pur sang que montait son maître, alla faire un crochet sur le gazon et mordre, au passage, la levrette de Mme de Pougy. Le prince Ghika, toujours généreux, alla au secours de la petite chienne et, croyant ; les témoins propriétaires du fox, proféra à leur : égard des menaces de mort.

Quand les clercs de notaire, domiciliés dans le vertueux Saint-Germain, ont terminé leurs dépositions, le président fait placer entre eux le prince sanguinaire. Il apparaît doux, timide et grêle : comme devait être la levrette en face du fox-terrier,et les témoins ont l'air de bulls trapus et querelleurs. La cause est entendue.

*

Le président va juger quand Me Bonzon et Me Perinne, les avocats du prince Ghika el de Mme dé Pougy, le prient de se déclarer incompétent !

Comment ! lui qui avec tant de bonne humeur, d'esprit et de parfaite courtoisie a dirigé tes débats, il n'aura pas la joie de prononcer le jugement définitif ? Le coup est dur. L'excellent magistrat va s'enfermer dans la pièce voisine pour réfléchir. Il est six heures.

Des groupes sympathiques et animés se forment.

Les habitants de Saint-Germain qui, au cours des débats, ont souvent, par la voix des témoins ou les murmures dont ils soulignaient certaines dépositions, réclamé la qualité de « provinciaux », entourent le brave M. Martet, défenseur des modes assagies et de la morale des foyers réguliers aux joies chastes.

Ceux qui sont sensibles à la beauté, au charme et à la grâce s'empressent auprès de Mme Liane de Pougy.

Souriante et alanguie, un peu fatiguée peut-être par les émotions de cette journée, elle a besoin de s'épancher.

Elle glisse aux confidences :

— Certainement, elle va se marier, elle épousera le prince.

— A Saint-Ferdinand des Ternes, dans un mois, à une heure du matin,précise aimablement Mme d'Arvilly. La robe est déjà commandée l

— N'est-ce pas prince ?

Mais le prince est de plus en plus pâle. Ce procès le préoccupe. Ses parents, là-bas, en Roumanie, J'apprendront ; ils lui couperont tes vivres.

- Pauvre petit. Comment va-t-il faire ?

- Liane a cent mille francs de rente, explique Mme d'Arvilly.

Sur cette phrase (un quiproquo et non urne réponse), le pauvre président rentre. Il est résigné.

Il regarde cette belle salle qu'il ne retrouvera pas, les agents qui con-tiennent la foule, les jolies femmes, les modistes accourues de Paris, il regarde Mme Liane de Pougy, il regarde le petit chapeau, et enfin, d'une voix navrée, consomme le sacrifice : il se déclare incompétent !

Le petit chapeau va partir pour Versailles, la ville du grand roi, pour plaider en correctionnelle.

Je me suis procuré son "Mes Cahiers bleus". Le 17 décembre 1919, Liane de Pougy raconte les comment cela s'est passé. Le lundi de Pâques vers 4 heures, ayant fait le tour des Antiquaires avec son mari et une femme qu'elle appelle La Gigolette, elle s'en va prendre un chocolat chez Jousset, 18 rue au Pain.  

"Je portains un petit chapeau noir garni de grosse dentelle blanche, très simple, à la mode d'aujourd'hui, mais cela se passait en 1910, époque des derniers tromblons, des larges bords, etc. Nius croisons eux grosses bourgeoises empanachées d'autruche qui me désignent, éclatent de rire et disent à haute voix : "Oh, ce chapeau ! - C'est Liane de Pougy, une grue de Paris." Grue désignait les prostituées mondaines à l'époque.

Le prince Georges les dévisage et leur dit : "On devrait se regarder dans la glace avant de se moquer des autres !". Les deux maris suivaient, le "père Martet lui assène un coup de poing dans le menton. Georges qui a deux "salières ravissantes de la Compagnie des Indes" dans une main et "deux jolies miniatures Directoire" dans l'autre ne peut se défendre. On appelle un agent. Un procès verbal est dressé au poste. Le père Martet habitué à boire était éméché.

Liane de Pougy ne mentionne pas la procédure à Versailles mais insiste sur le fait que cet incident dont une presse malveillante s'accapara eut le mérite de hâter son mariage. "Au fond cette Liane tant décriée, vilipendée, prise à partie, avait en elle tout ce qu'il fallait pour faire une bonne épouse, mérite que je veux d'ailleurs partager avec mon petit compagnon si calomnié également".

Contrairement à ce qu'en disaient Jean Dutourd et son préfacier dominicain, je pense que la plus grande partie du journal de Mme de Pougy est bon pour le bûcher des vanités - le récit de ses dîners avec Cocteau, ses savantes démonstrations, contre Ramon Gomez de Serna, sur la sensibilité des seins des femmes etc. Rien de très édifiant dans tout cela.

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