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La possession de Louviers - histoire d'un couvent adamite

20 Septembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Nudité-Pudeur en Europe, #Histoire secrète, #Christianisme

Un livre intitulé "La Piété affligée", imprimé à Rouen en 1651 , raconte d'un façon très détaillée une affaire de possession au couvent franciscain Saint-Louis de Louviers. L’auteur, le révérend père Esprit de Bosroger, provincial des RR. PP. capucins de la province de Normandie, prouve, dans 450 pages in-octavo, par de nombreuses citations des Ecritures, par des procès-verbaux rédigés par Péricard, évêque d’Evreux, par de Montechal, archevêque de Toulouse, par des chanoines de Paris, par des docteurs en théologie, la possibilité et la véracité du fait de la possession des religieuses de Saint-Louis. Le procès-verbal de l'archevêque de Toulouse, du 10 septembre 1640,  se termine par : « Enfin, nous aurions tous » jugé, d’un commun avis, en nos consciences, que lesdites filles sont les unes et les autres vraiment possédées et maléficiées. Fait à Louviers, ce jeudi, etc., etc. » Le curé du Mesnil-Jourdain, nommé Picard, et un vicaire de l’église de Louviers, nommé Boullé, furent accusés d'être les auteurs de ces maléfices. Alors l’un d’eux était mort, c’était Picard. L’évêque d’Evreux ordonna que son cadavre fût exhumé de l’église Saint-Louis et jeté dans un puits connu sous le nom de Puits Cornier. Une religieuse déclara « qu’étant possédée, elle fut beaucoup soulagée depuis l'exhumation. » Le cardinal Mazarin lui-même adressa une lettre de congratulation à l’évêque d’Evreux. « Monsieur, M. l’archevêque de Toulouse nous a fait une si avantageuse relation de votre conduite en l’affaire des religieuses de Louviers, qu’elle a beaucoup augmenté l’opinion que nous avions du soin et du zèle que vous apportez à faire les fonctions de votre charge. Pour moi, qui fais profession d’honorer le mérite, et qui ne lui ai jamais refusé mon témoignage, vous devez croire que je ne manquerai point de faire valoir le vôtre auprès de sa majesté, et de rechercher les occasions qui me donneront lieu de vous faire paraître, que vous estimant beaucoup il est impossible que je ne sois passionnément, monsieur, Votre affectionné serviteur , Le cardinal Mazarin. Paris, le 21 septembre 1643. » (Le fripon Mazarin protégea les fripons" allait dire Michelet - Oeuvre T. 38 p. 578)

La famille du curé Picard attaqua devant les tribunaux l’évêque d’Evreux. Une religieuse, nommée Madeleine Bavent, joua un grand rôle important dans l’instruction judiciaire qui eut lieu devant Routier, lieutenant criminel du Pont-de-l’Arche. "Ses déclarations sont le produit de l’imagination la plus déréglée et la plus bizarre, écrira en 1834 M. Philippe, qui se présente comme un membre de plusieurs sociétés savantes de l'Eure, sans doute inspiré par Floquet. Au récit de profanations de toute espèce, vint se mêler celui de scènes ridicules et grotesques. De bons bourgeois de Louviers furent entendus comme témoins : les uns avaient été au sabbat, les autres avaient refusé d’y aller. Un homme de bien, suivant le style de l’enquête, aperçut un grand et vilain personnage noir, qui s’entretenait avec Picard et Boullé, et qui disparut comme une vapeur au moment où il mettait le pied dans la chambre..." Le dénouement de tout cela fut une sentence de mort. Le 21 août 1647, le parlement de Rouen déclara Picard et Boullé sorciers et magiciens, condamna Boullé à être brûlé vif sur la place du marché de Rouen (ce qui fut exécuté ), et ordonna que le corps de Picard fût livré au bourreau pour être placé sur le bûcher, et que leurs cendres fussent jetées au vent. Le provincial des capucins Esprit de Bosroger (ou Boscroger), qui rapporte cet arrêt, appelle les conseiller au parlement de Rouen : les dieux de la province.

Michelet s'est penché en1862 (28 ans après M. Philippe) sur cette sombre affaire dans "La Sorcière" (ch VIII). Reprenant le livre du prêtre oratorien Charles Desmarets (1602-1675) qui l'avait confessée en 1647 à la conciergerie du Palais de Rouen, il y fait le portrait du personnage central de Madeleine Bavent, née en 1607 (ou 1602 ?) à Rouen (son père tenait une boutique de grossiers rue Ecuyère). Orpheline de ses deux parents à neuf ans, apprentie couturière à douze, chez "dame Anne" (qui en avait six autres). Elle fabriquait des vêtements pour les religieux. Son confesseur est un franciscain, frère Bontemps. Il a déjà trois jeunes filles sous son aile qu'il dit pouvoir mener au sabbat et marier au diable Dagon sous la forme d'un jeune homme (avec le secours d'un peu de belladone et autres breuvages, souligne Michelet). Madeleine, qui a quatorze ans, sera la quatrième. Elle est dévôte de Saint-François.

Notons que Madeleine n'a pas le souvenir de ces choses. dans sa confession elle dit que si elle a avoué avoir participé à ces sabbats, c'est uniquement parce que c'est ce qui se disait d'elle au couvent... Elle précise même que son confesseur d'alors, le père Feuillant, a démenti le fait, et reconnait n'avoir gardé aucun souvenir physique de ce Bontemps (sa couleur de cheveux, de peau etc). Elle en appelle au témoignage des voisins de Dame Anne pour démontrer sa bonne moralité de l'époque. Pour elle, les soeurs l'ont chargée pour en faire l'autrice des sortilèges (puisqu'elle était censée être déjà sorcière), alors que le couvent était déjà infesté à son entrée. A preuve, dit-elle, Charlotte Pigeon entrée avant Madeleine ("il y a 28 ans"), puis une seconde fois pour huit jours seulement à 21 ans et qui y fut aussi possédée les deux fois. Pourquoi Michelet fait-il l'impasse sur le démenti de la religieuse ?

Peut-être parce que le démenti n'est pas très crédible. Une notice biographique en préface parue en 1878 rappelle qu'elle a avoué devant ses juges sa débauche avec Bontemps.

Justement, vient de se créer à Louviers un couvent fondé, d'après Dibon (Essai historique sur Louviers) par la veuve d'un procureur pendu en 1622 pour escroquerie. Son directeur est le curé David, homme à la démarche grave selon Boscroger et à la barbe négligée, qui a une bonne réputation à Paris (il est confesseur des dames de la paroisse de Saint Jean-en-Grève, près de l'actuel Hôtel de Ville de Paris) Michelet le considère comme un illuminé,moliniste avant Molinos... David a publié un livre contre les couvents corrompus : "Le fouet des paillards" nous dit Michelet. En fait il confond (et ce n'est pas la seule ineptie que Michelet écrit. Ce livre a pour auteur Mathurin Le Picard, cet ouvrage accessible sur Google Book qui figurait au registre de vente à l'Hôtel Drouot de 1881 a été publié en 1623 et non avant l'entrée de Madeleine au cloître comme le prétend Michelet. Madeleine précise que David qui fut son confesseur leur faisait lire "Le livre de la Volonté de Dieu". Cet ouvrage avait été publié par William Fitch (1562-1610), plus connu sous son nom de capucin, Benoît de Canfield ou encore Benoît l’Anglais. Ce livre circulait dans les monastère sous forme de cahiers recopiés. Benoît allait le publier qu'en 1608. Le titre indiquait la visée de l’auteur de proposer un chemin spirituel menant à la perfection de la vie chrétienne par l’observance d’une règle unique et simple : faire la volonté de Dieu. Les deux premières parties, en effet, donnaient un enseignement sur la vie active et contemplative qui voulait mener l’âme progressivement, par degrés, jusqu’à la perfection de la vie chrétienne. Saint François de Sales les faisait lire aux visitandines de Grenoble. Saint Vincent de Paul aussi allait les faire lire dans sa congrégation. Mais la troisième partie laissait penser que la perfection de l’union avec Dieu résiderait davantage dans l’expérience extatique et que dans l’humble accomplissement de la volonté du Créateur.

C'était l'unique règle au couvent de Louviers, nous dit-on. ("On sait alors que, 'derrière' les accusations d'endiablement, c'est bien à la spiritualité camfeldienne que l'on s'attaque" allait écrire Daniel Vidal dans Jean de Labadie, 1610-1674: passion mystique et esprit de Réforme p. 28)

La notice biographique de 1878 ajoute comme ouvrages "La Perle évangélique" (ouvrage christocentrique écrit par une béguine flamande un siècle plus tôt, imprégné de pré-quiétisme, qui avait été notamment central dans la spiritualité de Berulle), "Le Thrésor caché dans le Champ" (peut-être "Le livre des tesmoignages du thrésor caché au champ" paru en 1575 ?), la "Théologie germanique" (réédité par Paquier en 1928 sous le titre "Le livre de la Vie Parfaite). A priori rien de réellement sulfureux.

Mais David était adamite : il croyait à la pureté de l'humanité, et prônait la nudité en public, dit Michelet. Madeleine rapporte ainsi sa théorie (p. 9) : " Il disait qu'il fallait faire mourir le péché par le péché, pour rentrer en innocence, et ressembler à nos premiers parents, qui étaient sans aucune honte de leur nudité devant leur première coulpe".

Esprit de Bosroger présentera ainsi sa doctrine : il enseignait "que le péché n'était pas au corps, ni aux actions corporelles, mais au discernement de la prudence humaine, et que celui qui discernait, était maudit, et damné selon les apôtres, que la pudeur des filles était une erreur ; qui ne sait, disait ce vilain, que la nudité est l'apanage de la vraie innocence, il faut donc mortifier la honte, et la crainte naturelle sans aucune exception : car pour peu qu'on ne voie point péché, il n'y en aura pas, parce que l'esprit intimement uni à Dieu de pèche jamais" (p. 52). Il prétendra pour sa part que seulement 3 ou 4 nonnes suivront ses préceptes, et il assure qu'à la mort de David l'évêque d'Evreux se rendit sur place et remit les esprits des nonnes en ordre. Selon lui le discours adamite n'avait pas donné lieu à des réalisations et il serait resté sans lendemain si le tandem Picard-Bavent n'avait répandu des charmes ensuite dans le couvent.

"Dociles à ses leçons, écrit au contraire  Michelet qui se fonde sur ma confession de Madeleine, les religieuses du cloître de Louviers, pour dompter et humilier les novices, les rompre à l'obéissance, exigeaient (en été sans doute) que ces jeunes Èves revinssent à l'état de la mère commune. On les exerçait ainsi dans certains jardins réservés et à la chapelle même. "

Magdelaine Bavent, qui qualifie cela d' "ordures et de saletés" est plus précise : "Les religieuses passaient pour les plus saintes, parfaites et vertueuses, qui se dépouillaient toutes nues et dansaient en cet état, y paraissaient au choeur et allaient au jardin".

Elle ajoute "ce n'est pas tout", consciente d'aller crescendo dans l'horreur. "On nous accoutumait à nous toucher les unes les autres impudiquement, et ce que je n'ose dire, à commettre les plus horribles et infâmes péchés contre la nature, que mon confesseur m'a dit avoir été remarqués par Saint Paul en son Epitre aux Romains pour avoir été les plus excessifs désordres sous le règne du prince de  l'enfer parmi les païens". "J'y ai vu même abuser de l'image du crucifié", ajoute-t-elle. Elle parle aussi d'une circoncision sur une "figure ce me semble de pâte, que quelques unes prirent après pour en faire ce qu'elles voulurent". Elle cite aussi les hosties consommées après être restées quelques jours dans le fumier.

Madeleine a été admise comme novice dans ce couvent juste avant ses 16 ans (en 1619). Elle est tenue en habit séculier dans la clôture six ou sept mois. mais elle n'accepte guère d'être nue parmi ses compagnes. "Elle déplut et fut grondée pour avoir, à la communion, essayé de cacher son sein avec la nappe de l'autel", précise Michelet. Madeleine est plus précise (p. 10). Elle devait communier nue jusqu'à la ceinture, mais refusé. Arrivée à la petite grille, elle essaie de se couvrir de la nappe de la communion, mais Pierre David la fait enlever. Elle veut se couvrir avec ses bras, mais on lui ordonne de joindre ses mains.

La pratique a été corroborée par un certain M. Marcel, bibliophile, cité par la note biographique de 1878, qui, dans l'exemplaire de la l'Histoire de Madgelaine Bavent de Desmarets dont il a fait don à la bibliothèque de Louviers, a ajouté (p. XI) :

Elle ne pouvait même pas se confesser correctement car Pierre David refusait d'entendre comme péché ce dont les soeurs pouvaient avoir envie de s'accuser, et Madeleine n'obtint pas de la maîtresse des novices d'avoir un autre confesseur. Elle se met en marge comme tourière (chargée du parloir).

David allait mourir en 1628, en odeur de sainteté, le lundi de la Semaine sainte qui suivit au retour d'un voyage à Paris. Madeleine ne confesse qu'un péché avec lui : "quelques attouchements lubriques réciproques, une fois principalement"(p. 11)

Madeleine dément avoir soigné "un ulcère vilain entre son siège et ses parties honteuses" dans les derniers jours, comme ses soeurs allaient le rapporter, mais reconnaît que le P. David en partant à Paris lui avait laissé une boite fermée à clé, qu'il lui défendit d'ouvrir mais qu'elle ouvrit néanmoins et dans lequel se trouvait un papier.

A son décès le lundi Saint, ayant désigné Mathurin Picard comme son successeur, il lui donna ce papier et pria Madeleine de se retirer dans sa chambre pour que les deux compères puissent parler d'elle librement. Ce papier cosigné des deux prêtres comportait "des blasphèmes et imprécations horribles" qui allaient être lues lors des cérémonies. Des charmes ont été mis aux quatre coins du papier dont Madeleine ne sait ce qu'il est devenu.

Elle va rester 9 mois au tour, mais à Pâques quand elle se confesse Picard dit que ce qu'elle avoue n'est pas un péché, et commence à lui déclarer sa flamme et à la caresser lubriquement. Les confessions suivantes il met sa main sur son sexe à travers les vêtements. Elle proclame ne l'avoir pas aimé, mais reconnait "je ne puis dire ce qui m'attachait à lui, ni par quel malheureux pouvoir il me retenait" sous-entendant qu'elle était sous le coup d'un sortilège. Elle avoue d'autres caresses intimes même sur l'autel. Picard continua même quand elle tomba malade et était "plus morte que vive" (il allait aussi profiter de sa faiblesse à ce moment là en lui faisant signer sans le lire un pacte qu'il présentait comme un testament) mais proclame qu'il n'y eut pas de coït. Il la força aussi à prendre l'hostie consacrée dans sa main, la briser en en laissant tomber des morceaux, boire le sang du Christ dans le calice.

Un jour dans le jardin, il profite des menstrues de Madeleine, glisse une hostie dessous pour la mêler à ce sang tombé en terre, l'enveloppe,prend le doigt de Madeleine "pour lui aider à mettre le tout dans un trou proche d'un rosier". "Les filles qu'on exorcise ont dit que c'était un charme pour attirer toutes les religieuses dans la lubricité." "Je n'en saurais que dire parce qu'il ne m'en a jamais parlé, dit-elle, ni si l'hostie était consacrée parce qu'il ne m'en a rien appris". Elle reconnaît qu'elle allait être ensuite attirée par ce lieu et y vivre des tentations sales.   Ensuite il se livre encore à des rituels assez bizarres (dont un où il fait lier le sort de son âme à celui de Madeleine, les deux seront sauvées ensemble ou perdues ensemble), et Magdeleine commence à voir le démon qui se présente à elle sous la forme d'un chat de la maison qui lui met les pattes avant sur les épaules et approche son museau de sa bouche pendant une heure essayant de lui retirer l'hostie ("tu verras ce qui t'arrivera" avait dit Picard lors de la communion). Puis il la fait traverser les murs à 11 h du soir pour se retrouver hors du couvent et la fait participer à un sabbat, ce qu'elle fera ensuite plusieurs fois.

Ils auront des enfants ensemble (P.13) dont ne se sait ce qu'ils deviendront. Il la partage dans des sabbats. Je passe les descriptions sur le commerce de Magdeleine avec le diable.

A noter que dans la Revue des Deux Mondes de 1880, Charles Richet ("Les démoniaques d'aujourd'hui et d'autrefois" p. 368) allait prendre le contrepied de Michelet sur Bavent (texte repris 4 ans plus tard dans L'Homme et l'Intelligence, p. 380, où il taxe le travail de Michelet de "légèreté déplorable". Mais son analyse de l'hystérie de la possédée est aussi idiote que les remarques du libertin Cyrano de Bergerac dans le tome 2 de ses Oeuvres sur la "fille d'Evreux" (il la croit d'Evreux parce que Jean Le Breton en 1643 publia à Evreux un mémoire intitulé "Défense de la vérité touchant la possession des religieuses de Louviers").

Après la mort de Picard, une "soeur Anne de la Nativité, sanguine et hystérique, au besoin furieuse et demi-folle, jusqu'à croire ses propres mensonges" est introduite dans le couvent. "Un duel fut organisé comme entre dogues" (p. 571)

Les exorcismes ont commencé le 1er mars 1643. Les démons dirent que le principal charme venait du corps de Picard. Le 14 juin 1643 le démon révéla un charme dans la chambre de Soeur Marie du St Sacrement qui était possédée. Bosroger nomme les autres charmes retrouvés, les endroits et les démons qui les dénoncèrent (p. 103). Le démon prit même la forme d'un humain à Soeur Marie du St Sacrement pendant les investigations de l’évêque et lui fit signer un pacte pour qu'elle ne parle pas.

On inspecta Madeleine. Le chirurgien de la reine, Yvelin, chargé de l'enquête dénombrera sur 52 religieuses 6 possédées, 17 charmées. Elles prophétisent, parlent le grec font des sauts prodigieux devant les habitants (mai spas devant les juges) tandis que Madeleine va croupir dans une cave de la Conciergerie et y devenir folle. Elle allait plusieurs fois essayer de s'y suicider.  Elle mourut en 1653 à l'Hôpital général de Rouen, asile des aliénés.

La condamnation de Bullé au bûcher et la crémation du cadavre de Picard bien conservé aura contribué à l'efficacité des exorcismes. Simonne Gaugain dite la Petite Mère Françoise de la Croix, originaire de l'Orléanais, protégée de David puis de Picard (ils l'avaient nommée mère supérieure alors qu'elle n'était que novice) qui s'était exilée à Paris avec cinq novices en 1643 (ou en 1624 ?) se refit une réputation dans la capitale (elle y fondera l'hôpital de la Place Royale), entra à la cour d'Anne d'Autriche et fit casser par le Conseil d'Etat l'arrêt du parlement de Rouen pour ce qui la concernait en 1647. C'est parce que le Parlement de Normandie voulait la garder comme témoin contre la Mère Françoise que Madeleine Bavent n'avait pas été exécutée.

A titre de curiosité on peut lire le regard laïque du Dr Albert Richard sur la possession de Madeleine Bavent dans "Le Mensonge chez la Femme hystérique" 1902 p. 34). On attribue à Jean Nicolle (1614-1650) peintre de Louviers un tableau intitulé "Un exorcisme" qui pourrait représenter Madeleine Bavent.

Mais peut-être la pièce la plus intéressante du débat sur les possédées de Louviers est-elle "L'innocence opprimée", opuscule écrit par le successeur de Picard à la paroisse de Mesnil-Jourdain pour défendre ce dernier après sa mort (en tout cas pour rétablir la vérité) et qui a longtemps circulé sous le manteau (voir ici). L'opuscule charge Bosroger en laissant entendre qu'il s'immerge trop dans les tourments de l'exorcisme alors que ses collègues le prient de prendre du recul, David qu'il accuse clairement d'être adamite, et Simonne Gaugain qui a l'air d'être une vraie mystique puisqu'elle peu, selon l'opuscule, léviter à près de deux pieds (plus de 0,5 mètres) au dessus du sol...  Le témoignage du père Dufour, jésuite (les Jésuites allaient défendre Picard au procès devant le Parlement contre les capucins), qui y prêcha 15 fois le carême qui y est cité est intéressant : « Si, dit-il, Picard a été méchant, c’est depuis quatorze ans que j’ai prêché le caresme à Louviers, [p. 151] car en ce temps-là, je le trouvais si homme de bien que je l’avais choisi pour mon confesseur, et j’étais le sien ; et dès lors il est constant qu’il y avait du mal et du désordre dans la maison de ces filles ; car, comme un jour il m’était venu voir, avec un visage assez triste, et que je lui demandais d’où lui venait cette humeur et ce chagrin extraordinaire, il me dit en ces termes : « Je vous avoue, mon Père, que j’ai grand sujet de déplaisir et je ne viens ici que pour tâcher de me consoler avec vous, ou bien vous supplier de vouloir vous condouloir avec moi, car il y a assez longtemps que j’ai le cœur serré, il faut qu’aujourd’hui, je vous le décharge entièrement. C’est, mon père, que je suis tellement occupé à oter à ces filles les damnables maximes des Adamites, qu’elles disent avoir apprises de David, leur autre directeur que je désespère de venir à bout, de moi seul, à moins que monseigneur l’évêque ne s’en veuille mêler lui-même, avec plus de soin, et y apporter toute son autorité. Je sais que vous avez auprès de luy un accès et une connaissance toute particulière, c’est pourquoi, je m’adresse plus librement à vous dans l’espérance que vous lui ferez entendre confidemment le sujet de mes plaintes et de mes peines et la résolution même, où je suis, s’il n’y donne promptement ordre, de tout abandonner ; et puis après je ne réponds plus du désordre et « du scandale qui en peut naître, ne m’étant plus possible d’empêcher comme je l’ai fait jusqu’ici que la chose n’éclate et ne fasse du bruit. » Sur quoi, dit le Père Dufour, après l’avoir un peu remis, je lui promis de voir M. l’Evêque au plus tôt, que je fis, et peu de jours après, étant venu visiter ce monastère pour y extirper les abus, qu’il y trouva tels qu’on les avait rapportés, il se saisit de plus de soixante petits livres qui traitaient de la vue de Dieu et que ces filles lui [p. 152] dirent avoir reçu de la main de David leur autre directeur, lesquels il brula sur le champ. »

Hélas on ne saura pas ce que contenaient ces livres. Et hélas, l'historien qui présente l'opuscule dans le  Bulletin de la société de l’histoire de Normandie 1900-1904 Henri Barbe ne prend pas au sérieux le témoignage de la dernière religieuse du couvent morte en 1834 (celle que citait Marcel plus haut) sur la perpétuation de la tradition adamite dans le couvent.

Par delà l'éthologie de la possession de Madeleine Bavent et de ses consoeurs, il serait intéressant de sonder un peu plus en détail l'adamisme qui gouvernait le couvent à l'époque du P. David. Etait-il "plus bénin" que les possessions ultérieures ? A-t-il été "noirci" à l'excès par la confession de Madeleine Bavent, et les témoignages des autres religieuses, qui y avaient intérêt pour laver leurs fautes ? La rigueur morale imputée au P. David, ses lectures "pré-quiétistes" pourraient-elles signifier qu'il se déployait là une forme de nudité religieuse relativement pure que des complications sataniques ultérieures auraient ensuite salie ? Quid par exemple de cette obligation de jeûne de dix jours avant de pratiquer la communion dans la nudité ? Et comment cela a-t-il pu se perpétuer au couvent Saint-Louis jusqu'en 1845 (!) malgré tout le scandale provoqué par la condamnation au bûcher de Bullé par le Parlement de Normandie en 1647 ?

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