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Articles avec #histoire des idees tag

Un beau texte d'Adrien Péladan contre le magnétisme

30 Septembre 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Médiums, #Christianisme, #Histoire des idées, #Histoire secrète

Un beau texte du journaliste monarchiste A. Péladan (1815-1890), paru dans la "France littéraire, artistique, scientifique" (qu'il dirigeait) du 21 septembre 1862, sous le titre "Ouranos-Hadès. La mort par le magnétisme" :

"Revenant il y a quelques jours, de notre promenade habituelle, nous rencontrâmes une voiture qui excitait l'émoi de la foule. Un des spectateurs nous mit au fait : La fille d'une marchande d'herbes de la rue Sala avait été conduite à une séance privée de spiritisme. Effrayée par les voix qu'elle y avait entendues, elle était devenue folle. Il fallait plusieurs hommes pour la tenir. On la conduisait à l'Antiquaille, immense établissement de fous de Lyon. Nous continuâmes notre chemin, l'âme attristée, et en nous disant intérieurement : les journaux de Lyon racontent jusqu'aux nouvelles les moins édifiantes, mais ils ne diront rien de ce grave incident. Cela s'est pleinement réalisé.

Ce phénomène nous décida à aller chez un ami qui sait beaucoup sur ces matières. Il nous fit à son tour une grave communication : "J'ai appris , nous dit-il, d'un savant médecin , que depuis la propagation du spiritisme en France , les cas de folie ont augmenté dans une proportion incroyable : il y a quelques années, le nombre en était en moyenne de 12 000 par an , maintenant cette moyenne est de 60 000. " Ce fait en vaut-il la peine , et pour ne pas sortir en quelque sorte des archives de l'académie de médecine ou de l'académie des sciences, en est-il moins significatif ?

Doutez ensuite des dangers du spiritisme ! Doutez de la sorcellerie qui marche partout à plein ciel, sans que la loi semble s'en préoccuper ! Ne savons-nous pas qu'il y a des tireuses de cartes dans chacun de nos quartiers ? que ces aventurières ont de fréquentes visites à 75 centimes la séance ? On nous a même assuré que des hommes considérables s'adressaient a ces devineresses. Nous avons, du reste,vu, de nos yeux vu, sur les champs de foire ou de vogue des environs de Lyon, dans Lyon même, certain individu, ayant à ses ordres une somnambule , et donnant des consultations magnétiques à trente centimes par personne. Quelles aberrations ! quelle fausse sécurité que celle d'une société qui s'endort ainsi sur un volcan !

Nous l'avouons, nous sommes loin d'écrire tout ce que nous savons à l'endroit du diabolisme. contemporain. Nous ne voulons pas causer de trop grands étonnements, alors surtout qu'il se rencontre tant de sots incrédules. Graduellement nous arriverons aux questions que nous taisons pour le moment, et si l'on veut ne pas être trop épouvanté d'un mot à l'effet duquel on ne croit plus, le sabbat, nous vous annoncerons pour bientôt les preuves historiques de ce rendez-vous de l'enfer , où les sorciers de nos jours se rendent comme ceux d'autrefois. Dans cet examen basé sur des faits, nous aurions à mettre à leur place les Henri Martin, les Renan et consorts, grands crieurs contre-les bûchers du moyen-âge, comme si la société d'alors n'avait pas aussi le droit de se défendre des meurtriers; comme si les âges qui ont inscrit les dates de 1793 et les journées dé juin, valaient mieux que les siècles où le crime d'état ou de lèze-majesté divine conduisait quelques coupables à la peine de mort.

Chacune de ces relations aura son tour , comme aussi nous publierons prochainement des incidences singulières sur le spiritisme à Lyon. Après avoir aujourd'hui montré que le magnétisme cause la folie et en multiplie démesurément les cas, établissons qu'il procure la mort subite.

Nous laisserons sur ce point la parole aux magnétiseurs eux mêmes : La pratique du magnétisme, dit le docteur Billot, est « une mer orageuse ! un océan semé d'écueils (1); une voie pratiquée à travers d'immenses précipices (2); celui qui s'y confie sans un guide expérimenté et sûr , y tombe d'abîme en abime (3), et rien_n'est plus difficile que de s'en  tirer sain et sauf (4). » Combien doit donc trembler « le pilote imprudent qui , sans boussole et sans guide, » oserait se hasarder dans « ces dangereux parages ! une perle inévitable serait le 'prix de sa témérité (5). » Le docteur a vu un cas de somnambulisme qu'il déclare avoir été une véritable possession (6); il pense que « le fil d'Ariane serait bien nécessaire à ceux qui se sont engagés - dans les méandres « de ce dédale ténébreux, pour ne point devenir la proie et être dévoré de l'infernal minotaure (7).

Le magnétisme spirituel, aujourd'hui spirite, paraît à un autre magnétiseur « la base des possessions et des communications avec les esprits. » Il le juge illicite et dangereux, et blâme « l'imprudence « qui , en cherchant à franchir « l'abîme qui nous sépare du monde spirituel, » ne peut avoir d'autre résultat que de nous rendre « le jouet d'une puissance dont le joug nous deviendrait d'autant plus dur que nous aurions plus d'impatience à le porter : la mort ou la folie en serait inévitable conséquence. » (D. Chardel, Psychologie physiologique, chap. 20, page 300).

L'abbé Frère observe qu'on a remarqué « que de jeunes femmes sont mortes peu de temps après qu'elles eurent servi de sujet à des magnétiseurs; et nous savons qu'une demoiselle de dix-neuf ans, après neuf mois d'exercices, a vomi le sang et a été réduite à une santé délabrée (5). »

Que de jeunes enfants-, innocentes victimes de coupables expériences , ne se sont pas réveillés du sommeil infernal. Que d'assassinats dont on n'a -rien dit !!! Ce qui suit va achever de le prouver : « Des personnes qui doutaient en même temps de la religion et du magnétisme., de ces incrédules qui sont prêts à toutes les superstitions et à tous les fanatismes, avaient décidé à prix d'argent une pauvre fille a subir leurs expériences.. C'était une nature impressionnable et nerveuse, fatiguée d'ailleurs par les excès d'une vie plus qu'irrégulière, et déjà dégoûtée de l'existence. On l'endort ; on lui commande de voir ; elle pleure et se débat. On lui parle de Dieu , elle tremble de tous ses membres. — Non , dit-elle, non il me fait peur , je ne veux pas le regarder. — Regardez-le, je le veux. Elle ouvre alors les yeux ; ses prunelles se dilatent ; elle est effrayante. — Que voyez-vous ? — Je ne saurais le dire. Oh ! de grâce, de grâce, réveillez-moi !

— Non, regardez et dites ce que vous voyez.

— Je vois une nuit noire dans laquelle tourbillonnent des étincelles de toutes couleurs autour de deux grands yeux qui roulent toujours. De ces yeux sortent des rayons qui se roulent en vrilles et qui remplissent tout l'espace. Oh ! cela me fait mal ! éveillez-moi 1 — Non, regardez.

Où voulez-vous que je regarde encore ?

— Regardez dans le paradis, — Non, je ne puis pas y monter; la grande nuit me repousse et je retombe toujours.

— Eh bien ! regardez "dans l'enfer. Ici la somnambule s'agite convulsivement. — Non ! non ! crie-t-elle en sanglottant, je ne veux pas : j'aurais le vertige : je tomberais. Oh ! retenez-moi ! retenez-moi !

— Non, descendez. — Où voulez-vous que je descende ? — Dans l'enfer. — Mais c'est horrible ! non, non; je ne veux pas y allez. — allez-y. — Grâce ! — Allez-y. Je le veux. Les traits de la somnambule deviennent terribles à voir ; ses cheveux se dressent sur sa tête; ses yeux tout grand ouverts ne montrent que le blanc ; sa poitrine se soulève et laisse échapper une sorte de râle. — Allez, je le veux, répète le magnétiseur.

— J'y suis, dit entre ses dents la malheureuse en retombant épuisée. Puis elle ne répond plus; sa tête inerte penche sur son épaule; ses bras pendent le long de son corps. On s'approche d'elle ; on la touche. On veut trop tard la réveiller , le crime était fait; la femme était morte et les auteurs de cette expérience sacrilège durent à l'incrédulité publique, en matière de magnétisme , de ne pas être poursuivis. L'autorité eut à constater un décès, et la mort fut attribuée à la rupture d'un anévrisme. Le corps ne portait d'ailleurs aucune trace de violence : on le fil enterrer -, et tout fut dit. » (La clef des Grands Mystères).

Ce fait si écrasant pour les apologistes du magnétisme, n'ayant pu être nié ou mis de côté par eux, a reçu diverses interprétations. L'auteur du Magnétisme devant les corps savants, la cour de Rome et les théologiens, (livre si insensé d'un bout à l'autre,) dit « que ce ne serait en tous cas, qu'un impie du magnétisme. » Le possédé Michel Finiras faisait mieux, il trouvait le moyen d'en tirer la louange du magnétisme.

Que de faits semblables ne pourrions-nous pas encore signaler ?

Nous apprenons, sur l'autorité du docteur Chapel, dans son Traité théorique et pratique du magnétisme animal, que trois magnétiseurs s'étant réunis, une certaine nuit près d'une somnambule très-lucide, dans le dessein de s'éclairer de ses vives lumières sur les terribles mystères de l'autre monde, « la pressèrent de chercher à voir ce qui se passait dans l'enfer » ; et que la somnambule, qui avait de prime abord refusé de s'employer à de pareilles recherches , cédant enfin à leurs instances, « avait à peine commencé ses explorations, qu'elle fut prise de convulsions telles, qu'elle mourut avant qu'on pût parvenir à les calmer. » (2e partie, à la fin de la VIe leçon).

Des hommes graves nous ont rapporté que dans les environs de Lyon, un docteur qui voulait traiter les malades d'après les consultations magnétiques , avait engagé pour sujet un jeune homme nommé Raphaël. Ce jeune homme avait des sentiments religieux, mais était dans le doute sur la culpabilité de ces pratiques dictées par Satan. S'étant donc laissé magnétiser, le docteur insensé , voulant peut-être mettre à profit les idées religieuses de Raphaël , lui enjoignit d'aller voir le paradis. Le jeune homme ne se réveilla point !....

Quelques personnes eurent la simplicité de croire qu'il était resté dans le ciel ; il serait aussi impie qu'absurde de le penser; car qui peut se flatter, à moins d'être martyr, de passer en mourant dans le sein de Dieu, sans aucun séjour dans le purgatoire ?

Vous verrez qu'il sera bientôt indispensable d'édicter une loi contre la sorcellerie. La chose presse plus qu'on ne le pense en général."
 

(1) Recherches psychologiques 1 lettre 4 et aussi lettre -12.

(2) Ibidem. Introduction.

(3) Ibid., let. 4.

(4) Ibid., introduction.

(5) Introduction.

(6) Lettre 17


(7) Recherches psychologiques. lntroduction.

(8) Examen du magn. animal, IIe partie, hap 2.

 

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Ptolémée et le colosse de Sinope

25 Septembre 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire secrète, #Histoire des idées, #Pythagore-Isis

Tout le monde connaît l'anecdote de Carl Gustav Jung voyant en rêve un mandala sans en connaître l'existence dans la vie éveillée. Plutarque dans son traité sur Isis et Osiris (Moralia, Traité 23§28) raconte une histoire semblable à propos de Ptolémée (368-283), général d'Alexandre, premier souverain de la dynastie lagide en Egypte  : "Ptolémée Sôter vit en rêve le colosse de Pluton qui se trouvait à Sinope, sans savoir ni avoir jamais vu auparavant à quoi il ressemblait, et la statue lui donna l'ordre de la faire transporter au plus vite à Alexandrie. Le roi ignorait et se voyait bien en peine de découvrir où elle se trouvait. Mais comme il racontait sa vision à ses amis, il se trouva un homme du nom de Sosibios qui avait beaucoup voyagé et qui déclara avoir vu à Sinope un colosse semblable à celui du rêve. Ptolémée envoya alors Sotélès et Denys qui, au prix de longs et pénibles efforts, et non sans le recours de la providence divine, parvinrent à dérober et à emporter la statue. A son arrivée en Egypte, elle fut examinée, et l'exégète Timothée ainsi que Manéthon de Sébennytos conclurent, en se fondant sur le Cerbère et le serpent qui y étaient figurés, qu'il s'agissait d'une statue de Pluton, et persuadèrent Ptolémée qu'elle ne représentait aucun autre dieu que Sarapis : c'est à Alexandrie, après son transfert, qu'elle reçut le nom qu'on donne en Egypte à Pluton, 'Saraîs'. Bien entendu, on utilise pour confirmer cette identification la phrase du physicien Héraclite : 'Hadès et Dionysos, qu'on célèbre par le délire et les fêtes du pressoir ne font qu'un' ".

Apportons ici quelques précisions. L'anecdote se passe sous Ptolémée Ier "sauveur" (sôter) qui a plus de 60 ans. Sinope du Pont est sur les bords de la Mer Noire au nord de la Turquie actuelle. On retrouve ici Manéthon, prêtre égyptien, et Timothée, un membre athénienne de la famille des Eumolpides, qui était l'une des familles de prêtres d'Eleusis qui dirigeaient les mystères sacrés, deux personnages importants dont je vous avais déjà parlé il y a sept ans à propos de l'instauration du culte isiaque dans l'ensemble du bassin méditerranéen.

Le professeur Christian Froidefond, professeur émérite à l'université de Provence, en 2004, soulignait qu'une tradition exégétique prétend que l'anecdote de Plutarque (que l'on retrouve aussi chez Tacite) serait apocryphe et attribuerait l'origine de Sérapis à la religion autochtone de Memphis, mais il ne voit pas bien pourquoi Ptolémée, du coup, en aurait fait un dieu gréco-égyptien. Il souligne que les colons rhodiens d'Argos avaient déjà identifié Apis à Epaphos et Isis à Io, de sorte qu'il y a une composante dorienne forte dans Serapis. Plutarque est enclin à voir dans les divinités égyptiennes des démons, et, défend une identification Hadès-Sarapis (Osiris mort) et Osiris-Dionysos. Il est à noter qu'à Sinope, le colosse de Zeus-Hadès barbu et chevelu était flanqué de Proserpine (ce qui facilita l'identification d'Isis à Perséphone). Tacite (Histoires 4§84) ajoute que la statue fut identifiée par Timothée qui consulta le collège des mystères d'Eleusis qu'il avait installé à Alexandrie (c'est dans un second temps que le voyageur Sosibios confirmera le fait, et que Ptolémée, versatile, dut avoir un rappel menaçant des dieux pour se décider à envoyer Denys et Sotélès auprès du roi pontique Scydrothemis (301-280). Ceux-ci surmontèrent une tempête avec l'aide d'un dauphin, et le miracle les persuade d'aller consulter l'oracle de Delphes sur leur chemin. L'oracle dit "de rapporter la statue de son frère, mais de laisser celle de sa soeur" (celle de Proserpine, dont ils ne prirent sur instruction d'Apollon qu'une empreinte). Scydrothemis selon Tacite alléché par les présents de Ptolémée mais intimidé par le peuple qui tient à sa statue atermoie pendant trois ans, et un dieu lui apparaît en songe le menaçant de châtiment. Le peuple résiste, des fléaux se déchaînent, et la statue se déplace d'elle-même jusqu'au bateau égyptien. Le Cerbère tricéphale entouré du serpent est une image fréquemment associée à Serapis/Sarapis.

Eustathe de Thessalonique, moine byzantin du XIIe siècle, a perpétué le récit de cette aventure synopique dans la lignée semble-t-il de l'écrivain byzantin du VIe siècle Etienne de Byzance. Jacob Krall, dans Tacitus Und Der Orient: Sachlicher Commentar Zu Den Orientalischen Stellen in Den Schriften Des Tacitus (1880) estime que ce Zeus-Hadès de Sinope peut être une transposition du Zeus babylonien. Une rationalisation a posteriori fait penser que Ptolémée aurait trouvé à Sinope un moyen d'helléniser le culte de Asar-Api à Memphis, et sa fille Arsinoé, épouse de Lysimaque, qui avait une principauté à la frontière de Synope du Pont aurait été à l'origine de l'idée. Auguste Bouché-Leclercq (1842-1923) dans son La politique religieuse de Ptolémée Sôter et le culte de Sérapis (1902) écarte l'idée parfois avancée par des historiens antiques que Synope ait pu être un site près de Memphis.

La disqualification de l'anecdote de Plutarque eut pour origine l'archéologue français Jean-Antoine Letronne (1787-1848) qui fit autorité dans notre pays tout au long du XIXe siècle. Mais l'historiographie allemande (Julius Kaerst, Otto Gruppe, E. Petersen) a défendu son historicité (ou du moins l'historicité de l' "importation" du culte de Sérapis de Synope).

On note que le rêve de Jung a servi à la construction de sa religion psychanalytique qui a ensuite intégré pour partie celle du Nouvel Age. Le rêve de Ptolémée servit à créer la religion méditerranéenne (hellénistique) de Sérapis et Isis.

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La dictature de Sylla (82-81 av JC)

6 Septembre 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Otium cum dignitate, #Histoire des idées

Je regardais hier sur You Tube ce sympathique film en langue anglaise "Julius Caesar" (d'Uli Edel, 2002). Il n'est pas d'un réalisme historique irréprochable. Pour ne parler que de son début, il montre à tort un Caton d'Utique siégeant au Sénat pendant la dictature de Sylla, alors que le futur héros des Républicains stoïciens n'était alors en fait qu'un adolescent, un Pompée qui exfiltre César chez Nicodème (ce qui est faux), et assiste à la mort du dictateur (ce qui est aussi inexact). La question de la captivité du futur père de Césarion chez les pirates dissimule ou, disons, embellit la façon dont il les achète. Mais on peut choisir d'être indulgent avec ces licences romanesques, saluer certains clins d'oeil érudits à Plutarque (par exemple la citation sur le soleil levant et le soleil couchant) et même apprécier cette mise en scène comme, vers la fin du film, celle qui montre la présentation par César et Cléopâtre de leur fils sur le forum romain...

En regardant les premières scènes du film, je me rappelais les phrases brillantes de Saint-Augustin sur la tyrannie de Sylla dans la Cité de Dieu, livre 3 ch XXVIII et XXIX :

"Sylla, qui vint tirer vengeance de ces cruautés au prix de tant de sang, mit fin à la guerre ; mais comme sa victoire n’avait pas détruit les inimitiés, elle rendit la paix encore plus meurtrière. À toutes les atrocités du premier Marius, son fils Marius le Jeune et Carbon en ajoutèrent de nouvelles. Instruits de l’approche de Sylla et désespérant de remporter la victoire, et même de sauver leurs têtes, ils remplirent Rome de massacres où leurs amis n’étaient pas plus épargnés que leurs adversaires. Ce ne fut pas assez pour eux de décimer la ville ; ils assiégèrent le sénat et tirèrent du palais, comme d’une prison, un grand nombre de sénateurs qu’ils firent égorger en leur présence. Le pontife Mucius Scévola fut tué au pied de l’autel de Vesta, où il s’était réfugié comme dans un asile inviolable, et il s’en fallut de peu qu’il n’éteignît de son sang le feu sacré entretenu par les vestales. Bientôt Sylla entra victorieux à Rome, après avoir fait égorger dans une ferme publique sept mille hommes désarmés et sans défense. Ce n’était plus la guerre qui tuait, c’était la paix ; on ne se battait plus contre ses ennemis, un mot suffisait pour les exterminer. Dans la ville, les partisans de Sylla massacrèrent qui bon leur sembla ; les morts ne se comptaient plus, jusqu’à ce qu’enfin on conseilla à Sylla de laisser vivre quelques citoyens, afin que les vainqueurs eussent à qui commander. Alors s’arrêta cette effroyable liberté du meurtre, et on accueillit avec reconnaissance la table de proscription où étaient portés deux mille noms de sénateurs et de chevaliers. Ce nombre, si attristant qu’il pût être, avait au moins cela de consolant qu’il mettait fin au carnage universel, et on s’affligeait moins de la perte de tant de proscrits qu’on ne se réjouissait de ce que le reste des citoyens n’avait rien à craindre. Mais malgré cette cruelle sécurité, on ne laissa pas de gémir des divers genres de supplices qu’une férocité ingénieuse faisait souffrir à quelques-unes des victimes dévouées à la mort. Il y en eut un que l’on déchira à belles mains, et on vit des hommes plus cruels pour un homme vivant que les bêtes farouches ne le sont pour un cadavre. On arracha les yeux à un autre et on lui coupa tous les membres par morceaux, puis on le laissa vivre ou plutôt mourir lentement au milieu de tortures effroyables. On mit des villes célèbres à l’encan, comme on aurait fait d’une ferme ; il y en eut même une dont on condamna à mort tous les habitants, comme s’il se fût agi d’un seul criminel. Toutes ces horreurs se passèrent en pleine paix, non pour hâter une victoire, mais pour n’en pas perdre le fruit. Il y eut entre la paix et la guerre une lutte de cruauté, et ce fut la paix qui l’emporta ; car la guerre n’attaquait que des gens armés, au lieu que la paix immolait des hommes sans défense. La guerre laissait à l’homme attaqué la faculté de rendre blessure pour blessure ; la paix ne laissait au vaincu, à la place du droit de vivre, que la nécessité de mourir sans résistance.

Quel acte cruel des nations barbares et étrangères peut être comparé à ces victoires de citoyens sur des citoyens, et Rome a-t-elle jamais rien vu de plus funeste, de plus hideux, de plus déplorable ? Y a-t-il à mettre en balance l’ancienne irruption des Gaulois, ou l’invasion récente des Goths, avec ces atrocités inouïes exercées par Marius, par Sylla, par tant d’autres chefs renommés, sur des hommes qui formaient avec eux les membres d’un même corps ? Il est vrai que les Gaulois égorgèrent tout ce qu’ils trouvèrent de sénateurs dans Rome, mais au moins permirent-ils à ceux qui s’étaient sauvés dans le Capitole, et qu’ils pouvaient faire périr par un long siège, de racheter leur vie à prix d’argent. Quant aux Goths, ils épargnèrent un si grand nombre de sénateurs, qu’on ne saurait affirmer s’ils en tuèrent en effet quelques-uns. Mais Sylla, du vivant même de Marius, entra dans le Capitole, qu’avaient respecté les Gaulois, et ce fut de là qu’il dicta en vainqueur ses arrêts de mort et de confiscation, qu’il fit autoriser par un sénatus-consulte. Et quand Marius, qui avait pris la fuite, rentra dans Rome en l’absence de Sylla, plus féroce et plus sanguinaire que jamais, y eut-il rien de sacré qui échappât à sa fureur, puisqu’il n’épargna pas même Mucius Scévola, citoyen, sénateur et pontife, qui embrassait l’autel où on croyait les destins de Rome attachés ? Enfin, cette dernière proscription de Sylla, pour ne point parler d’une infinité d’autres massacres, ne fit-elle point périr plus de sénateurs que les Goths n’en ont pu même dépouiller ? "

Au livre 2 chapitre XXIV , le saint a expliqué ce que cette barbarie devait aux démons, c'est-à-dire à l'esprit des Nephilim, si l'on reprend la terminologie de certains débats théologiques actuels.

Montaigne admirait les Romains du Ier siècle av J.-C., Augustin n'y voyait qu'une République aveuglée par les forces des Ténèbres. Je penche pour l'avis du second. Les quelques restes de la vertu initiale de la Rome républicaine et les quelques éclats de sagesse que lui conférait un peu la philosophie grecque (à l'école de laquelle toute la noblesse latine s'était mise) ne compensent pas l'aveuglement moral dans lequel le paganisme plongeait cette cité. Ni le film d'Uli Edel qui glorifie César, ni la Pharsale de Lucain qui idéalise Pompée dans un goût d'ailleurs très discutable (voyez par exemple le récit "gore" de la bataille de Marseille) ne me persuadent du contraire.

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Arnauld d'Andilly et Jean Climaque

2 Septembre 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Christianisme

Au début du règne de Louis XIV, Pierre Dupuy (1582-1651), conseiller d'Etat depuis 1623, informe son collègue conseiller d'Etat Robert Arnauld d'Andilly (1589-1674) de ce qu'il existe à la bibliothèque du roi trois exemplaires de l'Echelle sainte de Jean Climaque. le premier appartenait à François Ier, les deux autres à Catherine de Médicis. Le premier venait du Levant, l'autre de la bibliothèque de son frère le Grand Duc de Florence. Le troisième manuscrit était le plus ancien. Arnauld d'Andilly lui donne 800 ans "par la beauté de ses caractères". La comparaison des manuscrit laissait voir de nombreuses différences. Jean Climaque avait la renommée d'avoir été très altéré à cause du grand nombre de copies. Puis il apprend que dans la bibliothèque du chancelier (Pierre Séguier ) se trouvent quatre manuscrits, ce qui permet à Arnauld d'Andilly d'affiner sa traduction du grec. Celui-ci utilise aussi les très rares commentaires d'Elie ou Elias archevêque (au VIIIe siècle) de Crète (il s'en trouve un seul à la bibliothèque de Venise que lui a cédée le Cardinal orthodoxe Bessarion vers 1420, et un aussi à la bibliothèque du chancelier du temps d'Arnauld d'Andilly). La traduction de l'Echelle spirituelle par ce dernier sera publiée une première fois en 1654 (Arnauld avait 65 ans), puis une nouvelle fois après sa mort.

Je ne sais pas trop si M. Arnauld d'Andilly, janséniste (qui écrivit diverses vie de saints et recueillit précieusement chez lui le coeur du pieux abbé de Saint-Cyran , chef des jansénistes français - un prêtre bayonnais qui avait été disciple de Jansénius à Louvain et mourut d'apoplexie en 1643 -) fut représentatif du Conseil d'Etat (Conseil royal) de son époque, mais je trouve que son travail sur Jean Climaque honore beaucoup l'institution juridique à laquelle il appartenait.

Petitot parle en des termes hostiles d'Arnauld d'Andilly, comme de tous les protecteurs de Port-Royal (rappelant que l'abbesse du lieu était la sœur du conseiller d'Etat) :

Un peu plus loin il écrit encore :

Ses partisans dirent qu'Arnauld mena sur le tard à Port Royal une vie de mortification digne de Jean Climaque bien qu'il y fut célèbre pour ses travaux de jardinage et ses études littéraires. Saint Beuve douta que ces activités fussent si désagréables pour les sens... En tout cas l'on doit à sa retraite à Port Royal à partir de 1644 une version fort élégante de l'Echelle Spirituelle, dans un style de la plus belle époque de notre langue.

 

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Saint Isaac le Syrien

14 Août 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

Dans "Saint Paisios of Mount Athos" de Hiéromoine Isaac, je lis p. 226 que le saint moine Païssios avait œuvré activement de son vivant à réhabiliter Abba Isaac le Syrien (évêque de Ninive au VIIe siècle), faussement accusé par certains selon lui de nestorianisme, dont il appréciait beaucoup les Discours ascétiques. Il avait même, après avoir polémiqué avec un théologien sur ce point, vu apparaître le choeur des saints et, parmi eux, Abba Isaac lui conformer qu'il avait bien toujours été orthodoxe. Cela l'avait conduit à consacrer un jour de sa communauté à ce saint.

Il existe une traduction de ces discours en français de 2011 par l'archimandrite Placide Deseille (1926-2018), accessible sur Internet en version gratuite. Le traducteur y explique que ce saint influença Syméon le Nouveau Théologien au XIème siècle, le mouvement hésychaste au XIVe siècle. Abba Isaac et né dans la région du Beit Qatrayé (au niveau du Qatar actuel) vers 613, c'est à dire dans l'empire zoroastrien des sassanides. Nommé évêque de Ninive en Mésopotamie probablement vers 676 (après la conquête musulmane), il renonça à l'épiscopat au bout de cinq mois préféra rejoindre les ermites de la montagne de Matout dans la région du Beit Houzayé, dans l'actuel Khouzistan, à l'Est de Bassora. La hiérarchie chrétienne à l'époque était officiellement nestorienne mais beaucoup de prêtres et moines ne l'étaient pas, et Saint Isaac, explique Placide Deseille, resta à l'écart des querelles théologiques.

Ses discours furent traduits en grec au IXe siècle par des moines en Palestine. Inutile de les résumer, mieux vaut simplement les télécharger et les lire : ils sont la clé du parcours pour la sainteté, non pas la sainteté de l'intellect mais celle du coeur. Tous les mystiques décrivent à peu près le cheminement de la même manière, et c'est pourquoi personne ne pourra dire au jour du Jugement qu'il ne savait pas : les témoignages étaient tous livrés. Pour Isaac le Syrien la purification du coeur est un stade très supérieur de sainteté aux luttes psychiques ordinaires du chrétien pour accéder à la vertu qui restent au niveau de l'intellect et de la contrainte. A ce niveau de purification toute l'âme est embrasée d'amour, mais cela passe par une ascèse très dure, une crucifixion complète de la chair, et une rupture totale avec le monde.

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Les spirales descendantes de Lamartine

5 Août 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

J'entendais hier Henri Guillemin dans la vidéo de 1959  ci-dessous expliquer en quoi Lamartine lui semblait être un homme "de bonne volonté". C'est peut-être vrai sur le plan moral, mais sur le plan spirituel je suis surtout frappé par le très faible ancrage en Dieu de toutes les élites littéraires de sa génération, lui y compris naturellement. On mesure à travers chacun des grands écrivains romantiques (leur "père" Chateaubriand y compris d'ailleurs) les ravages causés par la déchristianisation révolutionnaire. Dans les années 1930, l’abbé Claudius Grillet avait d'ailleurs montré comment le salon de Charles Nodier, bibliothécaire du roi Charles X où la plupart (Hugo, Vigny, Lamartine) se réunissaient sous la Restauration tous les samedis soir - le salon de l'Arsenal à Paris -, et qui fut une sorte de "rampe de lancement" pour eux, fonctionnait comme une sorte de société secrète avec ses rituels codés, où circulaient des forces spirituelles bien peu recommandables. Je crois qu'ils s'intoxiquaient ainsi de la sorte, ce qui les tirait vers les "cîmes du désespoir"  comme eût dit Cioran, et traînait leurs esprits vers la déréliction sans même qu'ils en aient conscience. L'orgueil intellectuel était pour beaucoup dans cette déchéance. Il est  dommage que Guillemin ne l'ait pas vu, peut-être parce qu'il était lui-même aussi victime de ce travers.

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Les Chrétiens face aux persécutions zoroastriennes

11 Juillet 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

Je travaille en ce moment sur le zoroastrisme, première religion à découvrir le monothéisme, l'existence du diable, la notion de salut individuel après un jugement post mortem, le paradis et l'enfer, la naissance d'un sauveur d'une vierge, un combat eschatologique avec un dragon à la fin des temps, l'avènement d'une nouvelle Terre après le jugement dernier en forme de purification finale. Toutes ces notions importées dans le judaïsme après la prise de Babylone par Cyrus et la mise en ordre du canon hébraïque par Esdras en tant que commis du roi des rois. Le christianisme tel que nous le connaissons n'aurait jamais vu le jour sans le zoroastrisme (pas plus d'ailleurs que le judaïsme pharisien). L'histoire des mages dans l'Evangile de Matthieu lui rend hommage. Les Chrétiens voient d'ailleurs dans le zoroastrisme une des manifestations premières de l'Esprit saint parmi les nations, comme Saint Paul la voyait dans l'annonce du Dieu inconnu aux Athéniens par Epiménide le Crétois.

Il n'empêche qu'un danger pour les Chrétiens en découvrant cette origine pourrait être de chercher de ce côté des sources d'inspirations "alternatives" dans le culte des éléments naturels que propose le zoroastrisme. Un antidote à ce risque est peut-être une méditation sur le récit Le Martyre de Péthion, Adurohrmazd et Anahid , écrit à la fin du Ve siècle ou au début du VIe (un récit qui voyagea beaucoup puisqu'on l'a même retrouvé dans l'oasis de Tourfan à l'Ouest de la Chine). Le livre raconte la conversion de quatre aristocrates zoroastriens (Péthion, Adurohrmazd et Anahid et Yazdin) en Perse sous le règne de Yazdgard II (438-457) - à la même époque en France Sainte Geneviève faisait des miracles sur les bords de la Seine. Ces quatre saints vivaient en ascètes sur une montagne, où ils furent enterrés. Le premier Yazdin mourut de mort naturelle, les autres furent exécutés par les autorités royales et abandonnés sur une montagne.

Richard E. Payne, de l'université de Californie, estime au vu des descriptions qu'il s'agit de la montagne de Bisutun où Darius avait laissé des sculptures et des inscriptions en souvenir de son règne. Dans une contribution à Etudes Syriaques n°13 de 2017, Payne affirme que  "l’auteur (de ce récit)  voulait  remplacer  les  rites  zoroastriens  qui  reliaient  les  communautés humaines, l’environnement naturel et un monde de dieux et de forces divines, par un rituel chrétien complexe, centré sur le culte des martyrs. " Face aux  rituel,  accompli  dans  des  paysages  naturels,  Le Martyre de Péthion, Adurohrmazd et Anahid présente les saints chrétiens comme des arbitres plus efficaces dans les relations des hommes avec leur environnement naturel et avec le cosmos. Les martyrs – contrairement aux prêtres zoroastriens– pouvaient contrôler les forces naturelles  sources  de  vie,  et  surtout  les  sources  d’eau  indispensables  à  l’agriculture de la région, qui dépend des pluies".

Payne, qui préfère ne retenir des échanges christiano-zoroastriens que les aspects les plus pacifiques, comme le veut la mode universitaire de notre époque, ne croit pas en l'authenticité du récit, alors pourtant que le règne de Yazdgard II qui était en guerre contre l'empire byzantin a accompli des persécutions (et il tenta à tout prix de convertir des Chrétiens, notamment en Arménie). Pour ma part, je retiens surtout de cette histoire la notion qu'une invocation des martyrs (ou la litanie des saints) remplace avantageusement des cérémonies champêtres.

Une version plus complète de l'histoire de Pethion-Adurhormizd-Anahid, explique Ani Honarchiansaky de l'université de Californie dans un mémoire de 2018, se retrouve dans les Actes des Martyrs perses. Dans le Vark’ew  Vkayanut’iwnk’  srboc’  hatentir k‘alealk‘  i  carentrac (Vie et passion des saints) arménien, il est précisé que le mage Mihryar, avait deux fils, Yazdin et Dadgushnasp. Alors que Yazdin était sur le point de recevoir son éducation zoroastrienne ancestrale (mogwtiun hayrenadur), il refusa d'obtempérer et se rendit plutôt dans une église d'une ville voisine où il demanda le baptême divin. Les membres de l'église qui connaissaient son père refusèrent de le baptiser, alors il se rendit dans une autre région, près d'une ville appelée Soulq, dans un monastère appelé Beth Sahde, et là il fut baptisé par un évêque nommé John. Il y reçut son éducation dans les Saintes Écritures et les Psaumes et était un fervent adepte du  jeûne et des prières. Après ces événements, il retourna dans sa ville natale et convertit son frère et son neveu Pethion, qu'il prit comme disciple. Des années plus tard, Yazdin mourut et Pethion guérit une jeune femme zoroastrienne qui ensuite se convertit au christianisme, ainsi que son père, un haut fonctionnaire mazdéen. Tous deux furent martyrisés et le cycle se termine par le martyre de Péthion. La version syriaque contient plus de détails sur la façon dont le père de Yazdin, Mihryar, a découvert la conversion de son fils, l'a sévèrement battu et l'a renvoyé à l'école zoroastrienne, dont Yazdin s'est de nouveau échappé. Après la mort de Mihryar, selon la version arménienne, Yazdin a revêtu son neveu Pethion d'un habit religieux, c'est-à-dire qu'il a fait de lui un moine. Ensemble, ils ont guéri de nombreux croyants du zoroastrisme. Après la mort de Yazdin, Pethion a emménagé dans la cellule de son professeur, s'est consacré à la vie ascétique et a suivi sa pratique de guérison. Le texte raconte ensuite leur martyre et l'accusation du grand mage contre Péthion, qui lui dit « Tu enseignes contre notre doctrine » et l'accuse d'être le chef des Nazaréens, un sorcier. Péthion soutient que son savoir est une connaissance divine, un guide et un chemin de vie. A plusieurs reprises Péthion est protégé de diverses tortures infligées par le mage, qui le fait tomber dans la rivière enchaîné , le fait passer par le feu et le jeter du haut d'une falaise, Péthion est finalement décapité.

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Encore un mot sur Doreen Virtue, et la question des énergies naturelles

26 Juin 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Pythagore-Isis, #Christianisme, #Médiums, #Histoire des idées

Beaucoup de gens viennent sur ce blog pour lire mon billet de 2018 sur la conversion de Doreen Virtue au christianisme. On comprend que cette conversion continue à susciter des réflexions chez les disciples zélés du New Age, notamment ceux qui ont comme elle des dons de médiumnité. Cette conversion est une belle histoire de renoncement, et même, devrait-on dire, de renoncements à répétition car, en épousant une forme de protestantisme toujours plus scripturaire, sur une base luthérienne, Doreen Virtue en est même venue à désavouer la vision de Jésus qui l'avait poussée à se convertir, au motif que Jésus, qui est au Ciel ne peut plus apparaître sur Terre sauf en tant que démon déguisé, ce qui est tout de même, me semble-t-il pousser un peu loin l'orthodoxie biblique (même si personnellement je ne suis pas très fan des visions et n'encouragerais pas mes lecteurs à cultiver le penchant pour les apparitions).

Pour ma part, si je trouve légitime la critique par cette prédicatrice américaine du "développement personnel"  (trop marqué par le luciférisme), ou du yoga (trop marqué par l'idiosyncrasie hindouiste, même dans ses versions occidentalisées), je suis plus sceptique sur son rejet de tout le potentiel énergétique humain et naturel: le fluide qui passe par les mains de certains, la lithothérapie etc. Il est dangereux de verser dans le luciférisme, la fantasme d'une émancipation humaine sans connexion à la transcendance du créateur, mais ne l'est-il pas tout autant de trop "rogner" ses talents naturels comme le fait la prédicatrice ?

J'écoutais hier soir une "YouTubeuse" comme on dit, E** d'E**e, sectatrice d'Isis, fille d'un radiesthésiste. Ses premières vidéos ne différaient en rien de celles de beaucoup d'autres magnétiseurs proposent : initiation au ressenti des énergies dans les mains, à la manière dont on peut faire passer l'énergie d'une main à l'autre, y compris en la faisant transiter par le plexus solaire. Il n'y avait là rien d'inquiétant, du moins en apparence. L'affaire se gâte ensuite quand la médium part dans des discours anti-chrétiens que j'ai moi-même bien connus chez les médiums que j'ai rencontrés, puis explique que notre destin est de nous réincarner indéfiniment, qu'il n'y a pas de mal à tenter d'acquérir des connaissances auprès d'entités invisibles, pourvu que cela n'aille point jusqu'aux pactes de sang... Surtout il ne faut pas, estime-t-elle, se sentir dépendant(e) d'un Dieu créateur, les religions sont mensongères etc. Bref on tombe alors dans le luciférisme le plus "décomplexé"... Inutile de trouver ensuite de ce côté là la moindre incitation à la charité, au sacrifice, ni la moindre philosophie de l'histoire susceptible de nous faire comprendre, par exemple, les parfums antéchristiques de l'époque actuelle (même si on peut lui reconnaître - sur Twitter - une salutaire méfiance à l'égard de l'establishment médical)...

La dame explique qu'elle a passé six années à refuser ses dons de magnétiseuse, et qu'elle en avait payé un prix élevé car cela l'avait coupée de tous ses amis... On peut se demander si c'est vraiment un mal d'être coupé de tout le monde. Les saints chrétiens n'ont-ils pas enduré des épreuves bien plus difficiles en terme d'isolement, d'humiliation etc ? Elle a finalement cédé aux injonctions de ces forces (sans doute héritées de  son père) qui l'ont poussée sur la voie de la magie. Etait-ce aussi inéluctable qu'elle le prétend ? Peut-être l'était-ce parce qu'elle n'avait aucun antécédent chrétien dans sa famille, ni des personnes susceptibles d'invoquer pour elle le "nom au dessus de tous les noms" qui l'eût libérée des stoicheia.

On comprend que Doreen Virtue ait voulu éviter cette pente dangereuse qui enchaîne l'âme à des entités très suspectes "déguisées en anges de lumière"... Après, il faut seulement se demander comment doser la chose... Est-ce que mettre un seul doigt dans le magnétisme et les "énergies subtiles", de nos jours, c'est nécessairement prendre le chemin de l'isiacisme ?

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Le projet "The Giant 2021"

22 Juin 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Publications et commentaires, #Christianisme, #Alchimie

Comme je l'expliquais dans mon livre "Néphilim, une lecture biblique de l'histoire des Géants " (L'Harmattan 2020) beaucoup redoutent que notre époque soit comme celle de Noé et que reviennent les Nephilim de la Bible.

Il semble que certains se fassent forts en ce moment de cautionner leurs craintes. Ainsi, la société irlandaise "The Giant Company" vient de lancer le projet "global" d'installer 21 statues de 35 mètres de haut dans 21 grandes villes du monde.  Chaque statue sera incrustée de millions de pixels LED adressables, ce qui lui permettra de prendre instantanément la forme de célébrités (Einstein, John Lennon, Beyoncé, Batman etc). 

Les bras et la tête du géant peuvent se déplacer dans diverses positions et les images des hommes et des femmes qui apparaissant sur la statue peuvent parler ou chanter. Les gens pourront aussi monter sur leurs épaules pour contempler la ville.

Projet attractif, instructif aux yeux de certains, ou participant à un conditionnement funeste pour d'autres. A vous d'en juger.

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Des nouvelles de mes travaux

10 Juin 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Publications et commentaires, #Christianisme, #Sainte-Baume, #Histoire des idées, #Philosophie

Il semble que cette année, je ne publierai pas de livre. Après avoir écrit 150 pages sur la vue du RP Lacordaire, j'ai finalement suspendu ce travail en mai. J'avais pourtant à travers cette recherche abordé des sujets importants, sur les origines du catholicisme social, les question qu'il posait sur le droit de révolte, le rapport à la modernité, aux libertés publiques à la question sociale. C'était un bon support de réflexion sur le rapport de notre pays à son Eglise, la manière dont il gérait l'héritage révolutionnaire et celui de Napoléon. La façon dont Lacordaire avait approché la question, sa propre relation à toutes sortes de sujets épineux comme le clivage gauche-droite, la réhabilitation du Moyen-Age (à travers ses essais sur le Saint Siège, sur Saint Dominique), la philosophie grecque, les hérésies du romantisme, et même le magnétisme étaient source de nombreux enseignements. Qui plus est cela permettait de croiser des personnalités très intéressantes comme Sainte-Beuve, le vicomte de Melun, Mme Swetchine, ou Ozanam, qui avaient eux aussi leur façon bien particulière de prendre position sur tous ces sujets et qui l'exprimaient dans le joli style de leur époque. Ces gens qui se sont influencés les uns les autres, parfois soutenus mutuellement, parfois critiqués, ont contribué chacun à leur manière à enfanter un nouveau regard sur le passé et le présent de la religion, à lui définir une nouvelle place.

Même l'histoire de la restauration des Dominicains à la Sainte-Baume et son avis sur Marie-Madeleine avaient son intérêt au regard notamment de mon propre itinéraire sur le sujet que je raconte dans mon livre sur les médiums.

Mais finalement j'ai eu l'impression que ce travail était une impasse. Je ne saurais trop dire pourquoi. Même l'échange par courriel avec une étrange guide touristique de Saint-Maximin qui se disait admiratrice de Lacordaire m'a convaincu que mon travail, comme les précédents, ne trouverait de toute façon pas le public qui lui correspondait (les gens fonctionnent avec des schémas mentaux qui ne sont pas les miens, donc tout ce que j'essaie de leur dire tombe dans un puits d'incompréhension).

Par ailleurs diverses personnes ont pris contact avec moi avec qui j'ai été conduit à réexplorer les sujets à la mode du rapport de la physique quantique au monde invisible, la prétention qu'ont beaucoup, sous l'influence des mysticismes orientaux (comme avant eux Schopenhauer, Nietzsche et Heidegger) à abroger la différence sujet-objet, réalité-représentation etc, à substituer a "méditation" inspirée au travail laborieux, autant de dérives qui ne sont pas du tout ma tasse de thé. Mais je ne crois pas avoir trop convaincu mes interlocuteurs soumis au Zeitgeist du moment.

Comme je ne suis pas obligé de publier quoi que ce soit, j'ai la chance de pouvoir préférer le silence plutôt que d'exposer des problématiques décalées par rapport à celles formatées les médias et l'ingénierie sociale de notre époque, je crois que, à part quelques billets sur ce petit blog, cette année 2021 sera finalement surtout, de mon côté, une année de silence.

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A propos de Cioran

4 Juin 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Philosophie, #Christianisme, #Histoire des idées

Un correspondant m'écrit à propos de Cioran : "Dans ses veines coulait le sang des Bogomiles (des hérétiques gnostiques). Les Roumains ont subi l’influence de la latinité comme celle du monde  slavophile. Il suffit de  ne voir que son attrait pour Dostoïevski .Bog signifie Dieu dans les langues slaves. Cioran détestait Sartre qu’il rencontrait souvent au café de Flore durant la guerre où Sartre écrivait « l’être et le néant » Avec Sartre nous rencontrons vraiment le « nihilisme » C’est un gauchissement de la phénoménologie selon la pensée de Edmund Husserl.  Cioran, dont le père était prêtre orthodoxe, prétendait avoir écrit le livre religieux de Roumanie avec des « larmes et des saints »... Il mettait ses amis en « recherche spirituelle » avec les personnes aptes à répondre à leur interrogation métaphysique. Pour vous donner un exemple, il amena son ami George Balan tourmenté religieusement (il fut un temps anthroposophe) à la rencontre de (l'existentialiste chrétien) Gabriel Marcel. A l’issue de l’entretien, Balan alla jusqu’à baiser les mains de Gabriel Marcel. Cioran est ambigu, pratique l’humour de dérision comme système de défense contre la douleur du monde Dans la lecture du livre de Tobie (ou Tobit), j’ai entendu cette semaine à la messe mercredi 2 juin : « ne détourne pas de moi ta face Seigneur car pour moi mieux vaut mourir que connaître tant d’adversités à longueur de vie ».  Cela m’a fait penser à Baudelaire dans « Semper eadem » : « vivre est un mal c’est un secret de tous connu ». Pour en revenir à Cioran, son frère Aurel, aujourd’hui décédé, parlait d’une sensibilité mystique. Et disait : « il est tout à fait absurde de coller l’étiquette d’athée sur le dos de mon frère ». Cioran parle par exemple  de Jacob Boehme dans sa correspondance avec Samuel Beckett.

Ma carrière professionnelle fut si incroyablement désastreuse que j'ai trouvé mon réconfort dans la lecture de Cioran. J’assistai aux obsèques de ce dernier en juin 1995 à l’Eglise roumaine des Saints Archanges où se trouvait le gratin littéraire de l’époque : François Nourricier, Gabriel Matzneff, Jean d’Ormesson, Jean Edern Hallier et bien d'autres Sans doute, je vous écris cela car j’ai l’esprit un peu noir moi-même. Cioran a cette citation : « l’histoire est l’histoire du mal ». C’est très juste."

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Les prophéties de Saint Païssios l'Athonite

29 Avril 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète, #Histoire des idées

Il y a quelque temps j'ai consacré deux ou trois billets aux prophéties sur Donald Trump, dont beaucoup ne se sont pas réalisées, ce qui a jeté un certain discrédit sur certaines formes de christianisme charismatique. C'est que les prophéties ont un statut ambigu au regard même de la Bible. Dans 1 Thessaloniciens 5:20-21 il est écrit : "Ne méprisez pas les prophéties. Mais examinez toutes choses; retenez ce qui est bon", ce qui est un appel au discernement. Il arrive souvent que l'on repère plutôt des veines prophétiques, comme celles qui concernent le Grand monarque, qui peuvent entrer en contradiction avec d'autres, voire comporter des contradictions intrinsèques.

En ces temps de Covid, les prophéties sur les pandémies ont eu du succès dans toutes les religions. Par exemple la il y a peu la naturopathe New Age Irène Grosjean a attiré l'attention sur une prophétie de 1919 du chef amérindien Pte-San-Hunka, Joseph White Bull - Bison Blanc - (1849-1947), neveu de Taureau Assis concernant l'isolement des êtres, la manipulation des cerveaux et ce qui pourrait faire penser au transhumanisme et à une possible union des résistances.

Dans la mouvance chrétienne orthodoxe des chaînes américaines YouTube ces derniers temps se réfèrent à une prophétie qui vient tout droit du Mont Athos en Grèce. Cette prophétie qui anticipe sur la vaccination obligatoire après une pandémie se trouve sur ce site https://christianos777com.wpcomstaging.com/2020/04/17/άγιος-παΐσιος-♦-η-αρρώστιαπανδημία-ο/

"Maintenant, une maladie est réapparue, pour laquelle ils ont trouvé un vaccin qui sera obligatoire et, pour ce faire, ils vont le marquer du sceau... Plus tard, quiconque ne sera pas tamponné avec le numéro 666 ne pourra ni vendre, ni acheter, ni emprunter, ni être nommé, etc." "Le calcul me dit que l'Antéchrist avec ce système voulait attraper le monde entier et, quiconque n'est pas dans ce système, ne pourra pas travailler, ou autre. "Il sera imposé avec un système économique qui contrôlera l'économie mondiale, et seuls ceux qui auront accepté le sceau, le numéro 666, pourront faire du commerce." "Mais qu'arrivera-t-il aux gens qui seront marqués du sceau ?" "Ceux qui ne sont pas scellés feront mieux que les autres, parce que le Christ aidera ceux qui ne sont pas marqués du sceau." «Les événements nous attendent, mais ils ne dureront pas longtemps. "Autant que l'orthodoxie a été éliminée par le communisme, d'autres choses seront éliminées maintenant." 

On notera aussi (voir vidéo ci dessous) que de son vivant Saint Païssios condamnait aussi l'usage de la carte de crédit comme une préfiguration de la marque de la Bête.

Ancien charpentier Saint Païssios l'Athonite est né Arsenios Eznepidis en juillet 1924, à Farasa en Cappadoce (Turquie actuelle). Il est s'est installé sur le mont Athos pour y devenir moine en 1949, à 25 ans, juste après sa démobilisation militaire (à l'issue de la Guerre civile). Il fit aussi un séjour au Sinaï dans les années 1960, et est signalé sur You Tube pour avoir eu une très belle vision intérieure de Jésus Christ. Décédé en juillet 1994, il a été canonisé le 13 janvier 2015.

Dans les années 1980-90, il avait frappé ses auditeurs par ses prophéties politiques alors qu'il disait ne pas dire les journaux. Oikonomou Alexandros, vice-amiral d'Athènes a témoigné (voir ici) avoir rencontré en mars 1994, le frère Païssios au monastère de Souroti. "J'ai été ému, se souvient-il, lorsqu'il m'a pris la main, et malgré la gravité de son état, il m'a dit ce qui suit: Vous ne devriez pas être triste et effrayé pour la Turquie. La Turquie va se désintégrer et, en fait, elle se désintégrera d'elle-même par les alliés. En Bosnie, elle deviendra un État musulman (il n'y en avait pas à l'époque), mais cela se  retourné contre eux, car en conséquence un État kurde apparaîtra plus tard au cœur même de la Turquie ¨. L'Ancien, parce qu'il me voyait troublé d'entendre ces choses, me dit à nouveau: «Comme vous le savez, je ne lis pas les journaux, mais j'apprends ceux-ci d'ailleurs…» Témoignages de pèlerins Ancien Païssios Agioreitis 1924-1994, 2e édition, page: 412

C'était l'époque de la guerre de Yougoslavie. A ce sujet, le saint orthodoxe disait : c'est un produit du Vatican, ce sont les «bénédictions» du Pape, du «grand chrétien». Tout cela est déterminé par le sionisme international, le marché boursier international appelé Amérique. L'Amérique n'existe pas. Les sionistes sont l'Amérique, donc après avoir reçu les messages sataniques, ils les transmettent au Vatican, qui les transforme en plans et appelle ensuite l'Islam à les mettre en œuvre. C'est ainsi que fonctionnent les conceptions sataniques aujourd'hui. Ils ont réussi et capturé nos dirigeants. Notre seul espoir est en Dieu. Vous aussi, vous devriez vivre une vie chrétienne, car je vous le dis de manière responsable - et vous le verrez -. Ce qui brûle actuellement dans les Balkans continuera. Ce sera le point de départ par lequel Dieu, à sa manière, libérera les chrétiens et les ramènera à leur ligne. Et Byzance reviendra. Et savez-vous pourquoi? Parce que les peuples européens seront réunis. Qui les guidera? Personne ne le sait. Seulement nous gardons la foi orthodoxe. Témoignages de pèlerins Ancien Païssios le Mont Athos 1924-1994 , volume 1, page 66

Pour mémoire à l'époque on expliquait comment des agences comme Ruder Finn dans la destruction de l'image des Serbes auprès de l'opinion publique juive américaine (voir l'enquête du journaliste français Jacques Merlino).

Le Frère Païssios était convaincu d'une victoire à terme des puissances orthodoxes : un agrandissement de la Grèce à l'Epire à la Macédoine, la récupération de Byzance et même de la Cappadoce. "Y aura-t-il une guerre mondiale? L'OTAN frappera-t-elle les Polonais, les Tchécoslovaques et les Biélorusses et les Allemands avec les Russes? », lui demandait-on. Il répondit: «Tout le monde quittera les Russes et partira avec les Juifs d'Amérique. Les Russes les brûleront » (Prophéties et enseignements du moine Païssios, Page: 443)

Sur la récupération de Constantinople et de l'Asie Mineure, se référant à la la prophétie de Saint Cosmas d'Etolie (1714-1779) : les Russes - la race blonde - redonneraient la ville aux Grecs. Dès le début des années 1980, Saint Païssios évoquait la fin de l'URSS qui n'avait que 70 ans de vie pour elle (Témoignages de pèlerins Ancien Païssios du Mont Athos 1924-1994 , volume 1, page 140).

Les prophéties de Saint Païssios avaient aussi attiré l'attention au moment du Brexit, car 20 ans plus tôt , de son vivant, le moine avait déclaré que l'Union européenne serait détruite par les Britanniques et les Américains, «car ils sont une seule nation et travaillent ensemble. "Ils disent : que se passe-t-il ici? Hitler lève-t-il encore la tête? Et c'est comme ça qu'ils vont le dissoudre ." »

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Madame Swetchine selon Sainte Beuve

16 Avril 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Christianisme

Je le disais il y a quelques jours : je travaille sur la vie de Lacordaire. J'en suis à l'année 1832, ce qui me conduit tout naturellement à croiser le nom de Mme Swetchine, qui devint à ce moment là sa confidente. Bien qu'ayant lu, comme tous les quinquagénaires français de notre époque, dans ma jeunesse Hugo, Balzac et Musset, j'avoue que trente ans au contact de la barbarie de notre époque m'ont rendu si étranger au XIXe siècle que je le trouve maintenant aussi exotique dans son style et dans ses émotions qu'une tribu de papou à l'autre bout du monde. Voilà pourquoi je dois procéder avec prudence dans ma façon de l'aborder. Mais j'ai heureusement la liberté de pouvoir m'y prendre comme je veux, en empruntant n'importe quel truchement, n'importe quelle porte d'entrée : personne ne me lit, mais personne ne me fait non plus grief de rien. Donc agissons comme bon nous semble.

Le commerce avec Lacordaire m'autorise donc à faire un détour par le salon de Mme Swetchine qui se trouvait rue Saint Dominique (et non rue de Bellechasse comme le prétend sa fiche Wikipedia, il est étonnant qu'il y ait tant de petites erreurs dans cette soi-disant encyclopédie de référence), au numéro 71 dont vous voyez la photo ici à gauche. Comment visiter ce salon ? Avant d'en faire le tour, je préfère m'intéresser à celle qui l'organisait. Et pourquoi, pour ce faire, ne pas commencer par le point de vue sur elle de celui qui est réputé avoir porté le regard le plus méchant à son sujet ? D'après l'éditeur de ses oeuvres, le comte de Falloux, le plus incisif sur son compte fut le célèbre critique Sainte-Beuve (ce qui n'est pas la première fois). J'ouvre donc ses Nouveaux Lundis sur Gallica.

Il y a eu une mode pour Mme Swetchine, précise Sainte-Beuve, lancée en 1860 par les éditeurs Vaton (rue du Bac) et Didier (quai des Augustins). Avant d'en dire ce qu'il en pense, il sacrifie au rituel biographique. Mme Swetchine avait, nous dit-il grandi en Russie dans le goût de la culture française et le commerce du célèbre aristocrate exilé Joseph de Maistre et de ses idées. Sous son influence elle quitta "la communion grecque que nous appelons schismatique". Cette conversion la poussa à 34 ans à s'installer à Paris, en 1816.

Sainte-Beuve la décrit ainsi "elle n'avait pas de beauté : petite, les yeux légèrement discordants, la pointe du nez kalmouke, mais avec cela une, physionomie qui exprimait la force de la vie et la pénétration de l'intelligence. Son mari, de vingt-cinq ans plus âgé, le général Swetchine, vivait à côté d'elle, complètement étranger à sa sphère d'activité. Elle n'avait jamais eu d'enfant. Son esprit vif, aiguisé, subtil, sa fermeté et son élévation de caractère, un certain art suivi de serrer les liens et de rattacher sans cesse les relations de société à des convictions et à des espérances d'un ordre supérieur, créèrent son ascendant sur tout ce qui l'entourait et l'approchait : son influence peu à peu s'organisa. Cela dura quarante ans."

Le critique précise que son salon se distinguait des autres en Europe par son orientation très "théologique" catholique, et il ajoute qu'ayant commencé à le fréquenter en 1831 il n'aurait pas cru qu'il serait aussi célèbre qu'il devint.

J'avoue que j'apprécie beaucoup chez Sainte-Beuve le côté tranchant de ses vues, même si comme Saint Simon sous Louis XIV il manque de charité. Quand il s'interroge sur la vie amoureuse de Mme Swetchine, il répudie la version officielle du comte de Falloux qui a  "l'élégance vague, celle du beau monde et des salons", il révèle une clé profonde de sa conversion : "Mme Swetchine a eu un orage de jeunesse : elle avait inspiré une grande passion au comte de Strogonof, un des hommes les plus aimables de la Russie, et elle l'avait ressentie elle-même." Son mariage avec le général Swetchine était un mariage forcé. Falloux le dissimula, comme il cacha les plagiats de Mme Swetchine dans ses oeuvres.

Les lettres de Mme Swetchine éditées par Falloux, nous dit Sainte-Beuve, révèlent une âme ardente. Il compare son caractère à celui de sa correspondante grecque demoiselle d'honneur du tzar, Mlle Roxandre. Pour lui Mme Swetchine a quelque chose de moins policé, de plus sauvage, qu'il rattache aux steppes barbares.

Ayant épousé la religion avec passion à 19 ans, elle y transposa son ardeur. Du coup, se souvient-il quand il la rencontra en 1831 (il avait 27 ans) "Les premiers mots qu'elle vous disait, et par lesquels elle croyait vous honorer, concernaient votre croyance et l'état de votre âme". Il dit qu'il entendit souvent sa vieille amie, Rowandre devenue comtesse Edling se plaindre de ce qu'elle était devenue plus froide avec les années. du fait de leurs différences religieuses. Selon Sainte-Beuve, il y avait dans le salon de Mme Swetchine une rigidité spirituelle qui ne permettait pas de s'y sentir à l'aise. Dans un salon, selon lui, il faut qu'il puisse y avoir des jeux de l'esprit, donc des petites divergences, pour pouvoir plaire à telle ou telle dame. Il n'appréciait pas être dans une ambiance où la maîtresse des lieux condescendait à vous accueillir, à deux pas de sa petite chapelle où elle avait placé son saint sacrement et où elle allait s'édifier après vous avoir reçu. Ce salon où les dames passaient avant de se rendre au bal "sous l'aile de maris exemplaires, et qui viennent y recevoir comme une absolution provisoire qui, plus tard, opèrera", n'était pour lui qu'un "cercle religieux, une succursale de l'église, un vestibule du paradis, une maison de charité à l'usage des gens du monde", pas un salon français (p. 250).

Tout en reconnaissant qu'il n'est jamais parvenu à l'aimer (p. 253) il y reconnaît "une nature de femme très-rare et très distinguée, qui fait le plus grand honneur au monde aristocratique où elle a vécu"

Si on voulait construire un "champ" des salons littéraires français de l'époque, on pourrait s'inspirer de la comparaison que Sainte-Beuve propose avec le salon de Mme Récamier, que Mme Swetchine avait rencontrée à Rome en 1824. Elle était à l'Abbaye au Bois où les religieuses louaient des appartements, avait cinq ans de plus qu'elle. M. Ballanche était dépêché par le salon de Mme Récamier auprès de celui de Mme Swetchine en début de soirée pour y prendre des nouvelles. Chateaubriand régnait sur le premier salon et de Maistre sur le second. Il y avait plus de coquetterie chez Mme Récamier qui avait été plus jolie que Mme Swetchine. Chez Mme Récamier on "était exposé tout au plus, par politesse et bonne grâce, après quelque matinée délicieuse de lecture, à faire un article sur Chateaubriand ; chez Mme Swetchine, avec de l'assiduité, on pouvait être conduit un jour ou l'autre à un acte de foi et de dévotion ; on courait risque d'être d'un sermon prié ou d'une abjuration, ou de quelque agape mystérieuse à la chapelle" (p. 230)

Le salon de Mme Swetchine connut un renouveau en 1848. Car comme l'a remarqué Bacon "les grands coups de tonnerre en politique ramènent les hommes au pied des autels". Sainte-Beuve loue la hauteur de vue et la justesse que le christianisme lui permirent d'avoir pendant cette révolution. Il les compare à la force de caractère avec laquelle elle fut prête en 1834 à suivre son mari dans un exil intérieur en Sibérie sur ordre du tsar (un ordre qui ne fut pas maintenu). Il regrette cependant son défaut de jugement quand elle approuve l'idée de Lacordaire selon laquelle le bref du pape aux évêques de Pologne peut être comparé par sa modération aux suppliques de Priam pour récupérer le corps d'Hector ou quand elle compare Lamennais à Clorinde.

Sainte-Beuve sans admettre qu'elle puisse être un classique reconnaît à Mme Swetchine une distinction d'écrivain. Son traité sur la vieillesse, "est la gageure chrétienne la plus poussée que j'aie vue contre la nature" écrit-il p. 244 Elle y fait l'éloge de toutes les tares des vieux. Certaines trouvailles sont ingénieuses mais cela va trop loin.

"Ces femmes d'une éducation si parfaite, d'une culture si élaborée, ont beau avoir tout l'esprit possible ; il y a un moment où elles forcent le ton, et la vendeuse d'herbes du marché aux fleurs leur dirait plus sûrement qu'à Théophraste : "Vous n'êtes pas d'ici." Il trouve son propos sur la vieillesse plus juste dans son traité inachevé sur la Résignation où elle distingue la résignation chrétienne du fatalisme musulman et du quiétisme hindou. En introduisant du surnaturel dans cette vertu, elle se fait "fille aînée de M. de Maistre et fille cadette de St Augustin". Pour finir, même s'il redit l'avoir admirée sans l'aimer, il reconnaît en elle "une nature de femme très-rare et très-distinguée, qui fait le plus grand honneur au monde aristocratique où elle a vécu".

En post scriptum, Sainte-Beuve parce que son avis nuancé sur Mme Swetchine lui avait attiré les foudres d'un certain Roger de Sezeval dans la revue catholique "Le Monde" du 20 avril 1862 a ajouté une anecdote triste montrant un Monsieur Swetchine devenu idiot et faisant sonner sa montre tout le temps, et son épouse le lui confisquant "à titre de mortification" de sorte que le vieil homme passait son temps à la rechercher. Falloux a contesté la véracité du fait après contre-enquête auprès du valet. Mais Sainte-Beuve réfute le valet.

Le regard de Sainte-Beuve est un peu distant, mais semble-t-il assez équilibré, je crois que c'est une bonne première approche du personnage, qui permet de cerner son salon catholique, et comprendre son influence pour Lacordaire, qui pourtant n'était pas un homme de salon.

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Lacordaire

6 Avril 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Sainte-Baume

Je travaille sur la vie du P. Henri Lacordaire, un des hommes qui, sous la Monarchie de Juillet et sous la Deuxième République, essayèrent de réconcilier l'Eglise avec l'idée de Liberté et la faire retourner dans les catacombes pour s'y regénérer (comme allait aussi le proposer Pasolini dans les années 1960). Aussi, accessoirement (mais c'est peut-être tout aussi important, voire plus, je ne sais pas encore), le restaurateur de l'Ordre Dominicain en France, notamment au sanctuaire de la Sainte-Baume (à Saint-Maximin)...

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Une recension de mon livre "Les Nephilim"

28 Mars 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Publications et commentaires, #Christianisme, #Histoire secrète, #Histoire des idées

- Mes plus vifs remerciements à Christian Saves, écrivain, politologue, pour cette recension sur le site de l'Institut Jean Lecanuet.

Articles de la revue France Forum

Avec ce nouvel essai, Christophe Colera livre un texte aussi intéressant qu’original, aux frontières de la philosophie, de la sociologie et de la théologie ou, plus exactement, du religieux.

L’auteur est d’ailleurs, tout à la fois, sociologue et philosophe de formation, donc à l’aise dans les deux disciplines. France Forum avait déjà rendu compte, pour ses lecteurs, d’un précédent ouvrage de l’intéressé : Individualité et subjectivité chez Nietzsche (L’Harmattan, 2004). Le présent livre ne s’inscrit pas, à proprement parler, dans une veine qui est celle de la sociologie des religions. C’est plutôt, comme le souligne très bien son sous-titre, une lecture biblique de l’histoire des Géants, c’est-à-dire une tentative d’interprétation, de mise en perspective historique. L’auteur mène à bien ce travail avec beaucoup de conviction et de talent : le résultat est probant.

Si l’existence des Nephilim, êtres surnaturels bibliques et hybrides nés de l’union entre les « Fils de Dieu » et des femmes humaines, a été souvent contestée, aujourd’hui encore des chrétiens prennent leur existence au sérieux. L’essai présente les thèses de ces derniers, leur credo et la manière dont ils projettent cette croyance dans leur lecture du monde actuel. Dans un univers caractérisé par un fort retour du religieux, y compris sous des formes parfois inattendues et surprenantes, le biblique et le divin tendent à revenir au premier rang des réflexions, tout au moins dans certains milieux. Il est vrai que l’homme a horreur (et peur ?) du vide contemporain, ce qui peut contribuer à expliquer son retour vers Dieu, le divin et tout ce qui l’accompagne.

Il y a, très probablement, derrière ce type de posture, une forme de détresse, de désarroi très actuel. L’auteur le suggère d’ailleurs fort habilement et ce n’est pas le moindre de ses mérites. L’autre grande qualité de ce livre vient de ses résonnances bien contemporaines : aujourd’hui, les tenants des thèses apocalyptiques et les adeptes du « complotisme » (comme l’on peut s’en rendre compte au travers de la crise sanitaire mondiale liée à l’épidémie de Covid-19 et à ses avatars) prédisent/promettent, si ce n’est la fin du monde, au moins la fin d’un monde : le nôtre… donc notre propre fin. L’idée d’un châtiment divin pour les péchés commis n’est jamais très loin…

Dans des sociétés qui se déstructurent et perdent graduellement leurs repères, l’heure est à la culpabilité et à l’expiation, pour avoir été trop longtemps oublieuses de Dieu. Ce livre est stimulant car il aide justement à repenser un peu le rapport que chacun peut entretenir à Dieu et au divin, hors des sentiers battus…

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