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Sur la magnétisation de l'eau
Le Dr Alexandre Baréty (1844-1918) un jour magnétisa, sans qu'on s'en aperçut, de l'eau dans un vase et ordonna ensuite à une jeune fille d'y tremper la main. Elle le fit et s'endormit. Il sortit alors la main de la jeune fille, et souffla sur l'eau ; puis il fit remettre la main dans l'eau, sur quoi la jeune fille se réveilla en sursaut. S'il prenait de l'eau ordinaire, qu'elle croyait cependant être magnétisée, le sommeil ne venait pas. S'il laissait tomber une goutte d'eau magnétisée sur sa langue; celle-ci se raidissait. S'il lui jetait un peu d'eau au visage, elle s'endormait aussi.
La lévitation selon Alphonse Primot
Une analyse intéressante d'Alphonse Primot (chef de service au ministère des finances à la retraite, natif de Poligny dans le Jura en 1846, et positiviste repenti converti au catholicisme *) en 1914 qui, après avoir cité les lévitations du curé d'Ars, des possédées de Louviers, et des médiums, écrit :
"Ainsi que je l'ai fait remarquer supra, n°328, si les lévitations du corps humain ne se produisaient que dans l'extase, telle que je l'ai définie, avec son caractère essentiellement religieux, et n'apparaissaient ainsi que comme une conséquence de cette puissante attirance que le monde divin parait exercer sur l'extatique, on pourrait être, dans une certaine mesure, fondé à admettre que cette attirance et l'intense désir d'union avec Dieu, qu'elle suppose, sont la cause déterminante du phénomène qu'on vient d'étudier.
Même dans ce cas, d'ailleurs, et en supposant cette interprétation fondée, il resterait encore à savoir comment cette influence divine s'exerce, quelle force physique elle met en jeu dans l'organisme do l'extatique pour le soulever dans les airs et l'attirer, au mépris des lois connues de la pesanteur, vers les régions supérieures où, dans sa pensée, il place l'objet de son désir divin. Car Dieu, ou les puissances spirituelles qui s'associent à son œuvre, doivent en général, pour agir (c'est la conviction de beaucoup de théologiens), suivre les voies de la nature, et ils ne s'en départissent par une action véritablement miraculeuse, dans le sens strict du mot, que très exceptionnellement et lorsque les voies normales leur font défaut ou sont impuissantes à accomplir leur volonté.
Dès lors, l'intervention divine dans les lévitations fùt-elle démontrée, ne dispenserait pas de chercher en dehors d'elle la cause et le processus physiologique de ce phénomène. A plus forte raison est-il nécessaire de tenter cette recherche pour les lévitations d'un autre ordre que celle de l'extase et dans lesquelles le caractère divin fait complètement défaut.
339. — Après les explications fournies supra (nos 217 et s.) sur l'extériorisation psychique en général et, spécialement, sur l'extériorisation d'une force motrice et organisatrice dans l'hypnose et dans le médiumnisme, il semble bien que c'est précisément cette force — à laquelle sont dus, comme on l'a vu, tous les phénomènes plus ou moins extraordinaires (mouvements des tables, déplacements d'objets sans contact, écriture automatique, écriture directe, apports, phénomènes lumineux, matérialisations, etc.) observés dans les séances de médiumnisme — qui, en s'extériorisant, produit, sous certaines conditions physiologiques difficiles, sana doute, à réaliser, la lévitation du corps humain d'où elle se dégage, aussi bien d'ailleurs les lévitations de l'extase proprement dite que celles du somnambulisme, de l'hystérie et du médiumnisme.
Cette force, William Crookes a pu la mesurer au moyen d'appareils d'une grande précision, et lui a donné, faute de mieux, le nom de force psychique. — Voir la description de ces expériences dans les ouvrages déjà cités : 1° de l'expérimentateur lui-même, Recherches sur les phénomènes du spiritualisme, pp. 22 à 27 et 55 à 72; 2° et de M. de Rochas, l'Extériorisation de la motricité, pp. 475 à 487 de la 4e édition.
Le grand savant autrichien, Reichenbach, dont j'ai, résumé les travaux sous mon chapitre IV (V'. supra, nos 84 et s.), en a fait une étude des plus approfondies et lui a donné le nom de force odique qui, aujourd'hui, semble avoir prévalu.
Et c'est enfin cette force qui joue le rôle capital, essentiel, dans la savante et lumineuse hypothèse au moyen de laquelle l'auteur du Traité de la Magie, l,e partie : la Physique magique 1, le grand psychologue allemand, Carl du Prel, a précisé les causes et analysé le processus physiologique du phénomène de la lévitation.
Je ne saurais me dispenser de donner à mes lecteurs un aperçu de cette étude magistrale, qui occupe les pages 159 à 205 du volume précité; on peut ainsi la résumer :
340. — Le mot pesanteur exprime un rapport entre deux corps, et non la propriété de l'un d'eux. Dire qu'une pierre est pesante, c'est constater l'action exercée sur la pierre par la terre, et non pas énoncer \\\w cause, une propriété résidant en elle.
Ce rapport entre la terre et la pierre, qui crée la pesanteur, est modifiable. Evidemment, on ne peut supprimer la terre, et, par conséquent, aucun corps ne peut être soustrait à son attraction. Mais « peut-être sa force d'attraction pourrait-elle être annulée par la mise en jeu de forces capables de transformer, sous des conditions données, la gravitation en lévitation »- De ces forces, il en existe certainement: par exemple,, celle que l'on constate dans le magnétisme minéral, et qui explique l'action exercée par l'aimant sur d'autres corps en un sens contraire à la loi de gravitation. Or, dès l'instant qu'une exception à cette loi est constatée, d'autres apparaissent comme possibles. Par exemple, si l'on admet, et de sérieuses considérations nous y autorisent, que la gravitation est identique à l'attraction électrique, il suffirait de supposer un changement dans la nature (positive ou négative) de l'électricité d'un corps, pour que la terre le repousse, au lieu de l'attirer, et que la gravitation se transforme pour lui en lévitation .
Aujourd'hui, on en est encore, dans la science, A nier le phénomène de la lévitation, parce qu'on le déclare impossible, comme étant contraire à la loi de gravitation. Mais il suffit de supposer un instant que la gravitation rentre dans les lois fondamentales de l'électricité, pour que la lévitation devienne aussitôt une des possibilités les plus nettes et que, par conséquent, l'objection disparaisse. Dès lors, en présence de faits établissant nettement la réalité du phénomène, comme ceux qui viennent d'être mis sous les yeux du lecteur, il semble permis et à propos, plutôt que de les nier, d'en rechercher la cause dans la mise en jeu des lois de polarisation du magnétisme animal, si bien étudiées par Reichenbach, et dont les multiples applications paraissent démontrer l'existence d'une force, la force odique, capable, sous diverses influences qui la renforcent ou l'extériorisent, telles que les passes magnétiques, les suggestions et auto-suggestions, et certaines dispositions physiologiques du sujet, de seconder ou de neutraliser, dans l'organisme humain, les effets de la loi de gravitation."
--- *il décéda en 1920.
Emmanuel Besson qui l'a connu personnellement dans la revue Le Domaine du 1er avril 1932 reliait sa conversion (vers 1891) à l'entrée du défilé de Montcy dans la forêt des Ardennes près d'un lieu dans lequel certains ont cru identifier les ruines d'un temple de Vénus-Cythérée. Primot s'y promenait chaque jour avec sa femme.
Primot raconte ainsi l'histoire dans son livre :
"Un jour, au cours d'une de nos promenades habituelles dans les environs de Mézières, nous rencontrâmes une dame de cette localité avec laquelle ma femme était entrée en relations et qu'elle me présenta. La conversation s'engagea et je fus surpris de lui entendre émettre des idées élevées sur la destinée de l'homme et sur son immortalité. Elle avait sur ces mystérieux problèmes des solutions précises, très indépendantes de celles que fournit la foi religieuse, bien qu'elle fût pratiquante, et qui dénotaient en elle une conviction profonde et inébranlable. Je lui demandai d'où elle tenait ces certitudes; elle me répondit qu'ayant perdu un enfant tout jeune, elle avait eu la preuve réelle et sensible de sa survivance ; elle me parla de médiums, et, sur ma demande, m'expliqua qu'on entendait par là certaines personnes douées d'aptitudes spéciales qui leur permettent de servir d'intermédiaires entre les vivants et les morts et qui assurent ainsi, dans des circonstances et sous des conditions déterminées, la communication du monde visible avec l'invisible.
J'avoue que j'eus peine à dissimuler un sourire sceptique, tant ce langage était nouveau pour moi. Elle s'en aperçut et me dit qu'elle ne pouvait en quelques instants de conversation, mettre en évidence les éléments de sa conviction et les preuves sur lesquelles elle s'appuyait; mais elle m'offrit du me prêter quelques ouvrages qu'elle avait en sa possession et qui, s'ils ne parvenaient pas à me faire partager sa foi, ne manqueraient pas de m'intéresser et de m'ouvrir des aperçus nouveaux sur un monde dont je paraissais ne pas soupçonner l'existence.
J'acceptai son offre et je lus les quelques volumes qu'elle m'envoya. Cette lecture et quelques timides expériences que, sur ces entrefaites, je tentai dans l'intimité d'un groupe d'amis, et qui donnèrent dos résultats suffisants pour que mon incrédulité fût ébranlée, éveillèrent en moi le désir de pénétrer plus avant dans ce domaine mystérieux qui jusque-là m'était resté complètement fermé."
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Personnellement je ne suis pas sûr qu'éclairer une réalité obscure (la lévitation) par un concept obscur (la "force odique") soit très utile. Mais je relève l'argument pour justifier qu'on applique une grille d'analyse scientifique à une réalité religieuse : Dieu utilise autant qu'il le peut les lois naturelles... donc on est légitimé par la théologie même à explorer selon la méthode des sciences naturelles, le plus loin possible, les phénomènes apparemment surnaturels...
Pour le reste je conseille la lecture de ce livre qui montre combien au moment où Freud et Jung creusaient la notion de "subconscient" la notion de "subconscience" était déjà très largement explorée en France parmi les psychologues qui s'intéressaient au paranormal, qu'ils tentaient de ramener à l'action d'énergies psychiques.
Encore un mot sur Richard Bentley
Dans mon livre sur les services juridiques de l'Etat (p. 298) j'ai parlé de l'histoire du principe du contradictoire ("audi alteram partem" : il faut écouter le point de vue de l'autre, entendre sa défense) et, encore il y a cinq ans, je rappelais qu'une mésaventure survenue à Richard Bentley en 1723 fut à l'origine de l'invention en Angleterre de ce principe du contradictoire, transposé par les libéraux en France au XIXe siècle (notamment par les tendances anglomanes du Conseil d'Etat au XIXe siècle, ceux que Leroux appelait "la France carthaginoise". Finalement le principe s'est introduit dans toutes les procédures administratives en France et dans les autres pays européens)
Notons que Bentley fut par ailleurs auteur de "La friponnerie laïque des prétendus esprits-forts d'Angleterre, ou Remarques de Phileleuthere de Leipsick sur le Discours de la liberté de penser" qui fut traduit en français par Armand Boisbeleau de La Chapelle, écrivain protestant français exilé qui avait tout intérêt à faire cause commune avec Bentley. C'est une réaction à la parution sous couvert d'anonymat en 1713 du Discours sur la liberté de penser d’Anthony Collins qui avait mis Londres en ébullition et affaibli le parti Whig au pouvoir en Angleterre. Le livre allait si loin dans l'athéisme qu'il affaiblissait les défenseurs de la liberté en les faisant passer par ses excès pour des bandits anarchistes, et jetait l'opprobre sur le protestantisme capable de devenir un tel nid de vipères.
Collins avait, outre ce discours, fait paraître aussi en 1710 "Priestcraft in perfection" traduit en français par "La friponnerie ecclésiastique portée à son comble", que La Chapelle décrit comme une entreprise "don quichottesque" contre toute forme de cléricalisme auquel il finit par donner une portée totalement antichrétienne.
Parmi les réponses à cette provocation, celle de Bentley, nous dit La Chapelle, fut la plus impérieuse car à la fois elle démontait la lecture historique que Collins faisait des autorités ecclésiastiques et discréditait l'honnêteté intellectuelle de l'auteur (alors, nous dit le traducteur, que les déistes ont tendance à se draper dans la pureté morale).
Vous savez que depuis mon passage par les magnétiseurs, je prête une certaine attention à la question de la sorcellerie (cf mon livre). J'observe que la question n'est pas absente du livre. On se souvient que dans les années 1660 en Angleterre sous la plume notamment de Glanvill dont on a déjà parlé, la question était d'une certaine importance, alors qu'en France Louis XIV allait encore affronter une affaire de sorcellerie, et Colbert ne mettra fin à la condamnation des sorciers qu'en 1682.
Collins, note Bentley, attribuait aux progrès de la liberté de penser un mérite : celui d'avoir fait déchoir en Grande-Bretagne "le pouvoir que l'on attribue au diable dans les possessions, et dans les sortilèges" (p. 78 de la traduction). Le théologien répliquait que c'était faux car les prêtres anglicans estimaient que les sortilèges existaient, et que c'est la loi votée en 1562 à l'initiative de la chambre basse qui avait qualifié d'acte de félonie "l'usage et la pratique des enchantements, de la magie et des sortilèges" de sorte qu'on ne pouvait en imputer le responsabilité aux ecclésiastiques.
A propos de la loi sur les sorcières, La Chapelle se réfère à John Stype, et cite ce passage en note de bas de page : "La raison qui fit porter ce Projet, vint du grand nombre d'Enchanteurs, de Sorciers & de gens qui invoquent le malin Esprit, qui s'accréditèrent dès les premiers momens de l'Avénement de la Reine à la Couronne, & peut-être auparavant. Ces gens-là se mêlaient des Affaires de l'Etat, & se servaient de Sortilèges, & de la Magie noire, pour ôter le Royaume à cette Princesse (Elizabeth Ie). On remarquait d'ailleurs qu'il régnait beaucoup de Maladies extraordinaires, qu'il y avait beaucoup „ de gens qui perdaient la parole, ou l'usage des sens, qui tombaient en langueur, ou dont la chair pourrissait ; ce que l'on crut avec raison, „ être les effets des Conjurations & des Enchantemens. Aussi est-ce ce que l'on dit dans le préambule de l'Acte" (Strype Annales t 1, ch 2 p. 61).
En réponse à Bentley, Collins allait d'ailleurs reconnaître que le clergé anglican n'était pas responsable des excès de la lutte contre la sorcellerie, notamment dans le procès d'Hertford de 1712 (dernière condamnation de sorcière en Angleterre).
Bentley poursuit son propos sur la sorcellerie en estimant qu'avant la Renaissance et la Réforme c'est une faiblesse générale de l'esprit humain et non une "friponnerie ecclésiastique" qui faisait imputer au diable beaucoup de problèmes aux causes naturelles : "les délires, les convulsions, les envies de manger" etc. Seules les "lumières de la philosophie et de la médecine" ont eu le mérite de régler le problème, il revient donc "aux Boyles, et aux Newtons, aux Sydenhams, et aux Ratcliffs". "Lorsque ce peuple vit que des ordonnances de médecins guérissaient des maux qu'il imputait au Sortilège, il n'en fallut pas davantage pour le guérir lui-même de ses préjugés". Bentley salue d'ailleurs le travail contre la superstition de pasteurs comme le hollandais Balthazar Becker (1634-1698) et l'archevêque d'York Samuel Harsnet (1561-1631).
La Chapelle précise ceci en note de bas de page à propos de Harsnett : "En 1586 , un jeune homme nommé Darrel s'érigea en Exorciste, & fit imprimer des Relations de quelques-unes de ses prouesses. La prétendue guérison d'un garçon de 14 ans faite à Barton en 1596, fit un grand bruit. A cette occasion Harsnet, qui n'était encore que Chapelain de l'Evêque Bancroft, écrivit un Ouvrage, intitulé, Découverte des Pratiques frauduleuses du Ministre".
Bentley était donc un théologien aux tendances rationalistes (à la différence de ce qu'allait être un Wesley par exemple), tout en étant très opposé au déisme.
Pour ma part, en tout cas, je compte appliquer le principe "audi alteram partem" dans un billet que j'écrirai dans quelques semaines sur le Suaire de Turin.
Morand sur le Journal de Claudel
Puisque je citais il y a peu le Journal de Claudel, voici ce que Morand en disait en avril 1969, dans son propre journal :
Bourdieu disait que Bakhounine avait la vérité sur Marx et réciproquement. Morand livre-t-il là une part de vérité sur Claudel ? Ailleurs dans ce journal il dit que ce dernier n'aimait personne, qu'il était profondément anti-démocrate ce qui aurait pu lui valoir des problèmes dans sa carrière de diplomate à la fin des années 1910 sans la protection de Berthelot (Morand diplomate à la même époque était bien placé pour le savoir, et il avait fréquenté Claudel d'assez près).
On est loin des paroles cordiales de Claudel sur Romain Roland et des amabilités que celui-ci lui rendait. Là les roses, avec Morand les épines. Mais Morand est toujours âpre avec tout le monde, et toujours mauvaise langue comme les diplomates aiment l'être.
Le thème du Temple de Salomon dans l'Angleterre du XVIIe siècle
Je lis Frances A. Yates et MK Shuchard sur l'Angleterre du milieu du XVIIe siècle. Dans Rosicrucians, Yates explique le penchant des puritains anglais pour la kabbale. Après la défaite de Cromwell, la royauté s'appuya sur la Royal Society, fondée en 1662, qui comptait une composante maçonnique centrale consacrée à l'étude des sciences et à la magie. Elle défendait l'idée d'une harmonie sociale copiée sur la nature. Pour elle Dieu devient une sorte de monarque constitutionnel. Dès 1662, selon Marsha Keith Schuchard, Samuel Butler dénonça l'utilisation de la science juive par la Royal Society. L'astrologue néoplatonicien John Heydon qui avait l'oreille du roi pensait pouvoir reconstruire le Saint des Saints du temple de Salomon par la méditation sur les noms de Dieu. Le philosophe Kenelm Digby pensait que cette pensée sur le temple protègerait de l'athéisme naissant par exemple chez Hobbes. Et Christopher Wren construisait Saint Paul en lien avec le rabbin Jacob Judah Leon qui avait construit une maquette du Temple de Salomon modèle de la synagogue d'Amsterdam. Mais la publication de la Philosophia Naturalis, Principia Mathematica de Newton en 1687 discrédita la numérologie kabbaliste et bannissait les esprits de l'univers au profit d'une gravité magique. La kabbale n'allait plus se retrouver que dans la franc-maçonnerie, arme des whigs britanniques pour la dé-catholicisation de la France et du reste de l'Europe.
Pour mémoire Yates explique par ailleurs dans Science et Tradition herméneutique (et ce n'est pas sans importance pour notre problématique à la Simone Weil sur l'action de l'Esprit saint avant l'Incarnation) que la foi en la magie (qui à la Renaissance avait libéré une confiance en l'action humaine sur le monde) s'était nourrie de l'illusion de Marsile Ficin selon laquelle les Hermetica avaient eu la prémonition de l'Incarnation, alors qu'Isaac Casaubon en 1614 allait détruire cette croyance. Mais la dette à l'égard de la magie est restée tenace. Newton, rappelle Yates (p. 67), "en découvrant la loi de la gravitation et le système du monde qui lui est associé, croyait redécouvrir une vérité ancienne, déjà connue de Pythagore et cachée dans le mythe d'Apollon et de sa lyre à sept cordes". Newton passait plus de temps à étudier l'alchimie (à travers le rosicrucien Michael Maier) que les mathématiques, tout en appliquant à la première des règles de calcul rigoureuses. Et, il passa beaucoup de temps à travailler sur les proportions du Temple de Salomon, dont on disait à la Renaissance qu'il permettait de comprendre le plan divin de l'univers.
Shuchard a aussi un peu plus développé cette thématique du Temple de Salomon dans l'Angleterre du XVIIe siècle dans un article de 2019, intitulé Jacobite Jews and Faux Jacobite Jews: Some Masonic Puzzles.
En décembre 1583, le protestant Jacques VI, Stuart roi d'Ecosse, nomma William Schaw, un catholique et politique modéré, maître des travaux royaux, et s'attela avec lui aux affaires architecturales, politiques et diplomatiques. Jacques et Schaw étudiaient la poésie de Guillaume de Salluste, sieur du Bartas , un protestant français, qui a inclus des thèmes salomoniens et des termes techniques de la maçonnerie opérative dans son œuvre importante pour le mysticisme architectural, Les Semaines. Du Bartas avait travaillé en étroite collaboration avec des maçons, auprès desquels il a appris les traditions salomoniennes du Compagnonnage français. Il avait instillé dans sa poésie une profusion de détails sur le métier de tailleur de pierre et la formation d'architecte.
En 1587, Jacques invita Du Bartas en Écosse, où ils se traduisirent mutuellement et échangèrent des idées sur Dieu l'architecte. Quand Du Bartas fut rentré en France, il loua Jacques comme l'incarnation du grand rois juif ("le Scott'sh, ou plutôt le David hébreu"). L'identification de Jacques comme Salomon culmina en 1594, avec le baptême de son fils Henry et la reconstruction de la chapelle royale de Stirling sur le modèle du Temple de Jérusalem, avec l'aide des maçons opératifs, une cérémonie qui fut cependant très critiquée par les Presbytériens. Il transporta ensuite ce savoir maçonnique à la cour de Londres.
En 1631, son fils et successeur Charles, lui aussi maçon, accéda à la demande des maçons de Perth de financer la reconstruction du grand pont à onze arches sur la rivière Tay, qui avait été détruite par une inondation dix ans plus tôt. En prévision de la visite prévue du roi à Perth pour voir le projet de pont, le poète Henry Adamson composait un long poème sur le thème de l'architecture qui liait la construction à la réconciliation espérée entre l'Ecosse et l'Angleterre. Il y révélait également le lien croissant entre la franc-maçonnerie écossaise et le rosicrucianisme. Son architecte Inigo Jones (qui a d'ailleurs écrit sur Stonehenge, il faudra que je regarde cela à l'occasion) s'inspirait de la kabbale et de l'architecture jésuite de l'Escorial à Madrid.
Face à Cromwell, Cromwell, Charles s'assura le soutien des Juifs d'Amsterdam par l'intermédiaire de sa femme française versée dans l'ésotérisme qui était par ailleurs une fille de Marie de Médicis. En lisant cet article on comprend que le rabbin Judah Leon avait construit sa maquette pour contrer les thèses du jésuite espagnol Juan Baptista Villalpando, dont l'interprétation anachronique "sur-spiritualisait" le temple en le retirant de l'histoire juive. Après la décapitation de Charles,son fils Charles II exilé en France travaillait avec le réseau maçonnique écossais de Moray pour obtenir le soutien et le financement juifs pour sa restauration à "Jérusalem", ainsi qu'il appelait la Grande-Bretagne. Si Cromwell acceptait la banque juive à Londres, il gardait un agenda de conversion des Juifs que ceux-ci n'acceptaient pas, et ils lui préféraient donc les Stuarts. Après sa restauration, Jacques II fut tolérant envers les Juifs. Il obtint le soutien des partisans de Sabbatai Levi en 1665. La tolérance fut maintenue par son frère Charles II, converti au catholicisme, mais provisoirement abrogée par les protestants orangistes sous Guillaume III, ce qui allait aboutir à des luttes de factions dans la franc-maçonnerie britannique.
Il s'agit là d'un aspect peu connu de l'histoire européenne, à penser aussi avec ce que j'ai écrit il y a presque un an sur l'architecture secrète, néphilimesque, ou non, que j'avais découverte en 2014 à la Sainte-Baume, et plus récemment sur Louis Charpentier et sur Raoul Vergez. On retombe aussi sur certains thèmes de Barbara Aho (cf mon livre) concernant les savoirs architecturaux des jésuites qui seraient peut-être à creuser.
Sainte Thècle : de la Cilicie à Tarragone
J'ai déjà parlé sur ce blog de l'arrière-grand-père de ma grand-mère paternelle, Pedro Aguilar (1819-1881), franciscain de l'ordre tertiaire. Sa propre grand-mère Tecla Cañizar était décédée à Valjunquera (province de Teruel, dans le Bas-Aragon, à la limite de la Catalogne), en 1844, quand il avait 25 ans. Elle s'appelait donc Thècle, comme la compagne légendaire de Saint Paul, dont personnellement j'ai découvert l'existence dans les années 1990 en lisant "Le Renoncement à la Chair" de P. Brown. J'ai été surpris en l'apprenant car ce prénom était peu usité en France à la même époque. C'est un prénom qui fait miroiter l'Aragon avec la chrétienté d'Orient.
En lisant ce texte de Valentina Calzolari, de l'université de Genève, spécialiste de l'Arménie, The Legend of St Thecla in the Armenian Tradition from Asia Minor to Tarragona through Armenia on apprend comment la spiritualité autour de Thècle s'est nourrie d'un aller-retour avec la culture arménienne. L'article raconte en effet comment Les Actes de Paul et Thècle, qui narrent la vie de la première femme martyr chrétienne, texte syriaque du IIe siècle, ont été traduits en Arménie au début du Ve siècle (l'Arménie était chrétienne depuis le début du IVe siècle). Fauste de Byzance au Ve siècle, dans son Histoire de l'Arménie, fit de Sainte Thècle la gardienne de l'orthodoxie chrétienne face à l'arianisme (une hérésie de l'Arménie, inféodée à l'Empire romain) n'adopta jamais. Selon lui, en 378, quand l'empereur romain arien Flavius Valens (qui succéda à Julien l'Apostat et à Jovien) meurt, ce n'est pas entre les mains des Goths à la bataille d'Andrinople, mais tué par St Théodore et St Serge, sur ordre d'une assemblée de martyrs à l'initiative de Ste Thècle, ce dont un sophiste fut témoin en vision dans le sanctuaire de la sainte. Ste Thècle est ainsi érigée en protectrice du Crédo de Nicée.
Il semble que l'épisode renvoie au fait qu'il y avait un sanctuaire d'incubation dédié à Ste Thècle à Séleucie au sud de l'actuelle Turquie, où, selon La vie et les Miracles de Thècle du pseudo-Basile de Séleucie la sainte aurait vaincu le démon d'Athéna.
En 1320, Séleucie en Cilicie est dirigée par une dynastie arménienne car une communauté arménienne s'y était installée fuyant les seldjoukides. C'était un des ports où faisaient halte les marchands catalans sur le chemin de l'Orient. Grâce aux bonnes relations entre le roi arménien Oshin (4 lettres de lui sur la question sont gardées aux Archives générales de la Couronne d'Aragon à Barcelone, copie des authentiques) puis son fils Levon IV et le roi d'Aragon Jacques II, évoquent le transfert des reliques de Sainte-Thècle de Séleucie à Tarragone. Dans une lettre du 4 septembre 1319, Jacques II annonce l'arrivée prochaine en Cilicie de la mission diplomatique aragonaise, qui remettra des dons au roi arménien. Dans la seconde du même jour, il évoque la création récente de la cathédrale de Tarragone et demande pour elle des reliques "le corps de la bienheureuse Thècle ou une partie"... pourvue que c'en soit une assez grande. Le 4 décembre 1320 le roi signale que le bras de la sainte est arrivé à Valence, et précise qu'aucune autre partie de la sainte n'a été trouvée en Cilicie ni ailleurs dans le monde. La quatrième lettre averti le prévôt de Tarragone Raymond d'Avignon de l'intronisation des reliques à la cathédrale de la ville à la Pentecôte de 1321.
Au Ve siècle il n'y avait pas de reliques ou de tombe de Ste Thècle à Séleucie. Le pseudo-Basile dit d'ailleurs qu'elle n'est jamais morte. Comment en est-on venu, demande Valentina Calzolari, à ce bras comme relqiue ? Un manuscrit latin du XIV s. archivé à la cathédrale de Barcelone, De Sancta Tecla Virgine, fait état d'une légende arménienne traduite en latin par un notaire du roi Oshin, Nicolas de Ray. Cette légende tardive raconte que Ste Thècle poursuivie par ses agresseurs fut hébergée dans un rocher que Dieu ouvrit pour la sauver (ce qui correspond aussi à la tradition de Maaloula en Syrie). Puis quand le patriarche de Séleucie voulut une relique, un ange le conduisit dans les montagnes et l'avant bras droit de la sainte avec sa main apparut au milieu de parfums sublimes, et le bras fut placé dans une église grecque construite pour l'occasion.
Il existe à la cathédrale de Tarragone un retable sculpté par Johan Vallfogana entre 1426 et 1436 montrant l'apparition du bras à Séleucie.
L'importance de Sainte Thècle pour Tarragone s'illustre dans cet épisode de la vie de l'archevêque Pedro Clasquier (ou Pere de Clasqueri/Pedro de Clasquerin). Alors que le roi Pierre IV d'Aragon dit le Cérémonieux réclame la propriété de la ville de Tarragone, l'archevêque s'y oppose. Le souverain dépêche des hommes de troupes sous la direction de Don Raimond Alaman. L'archevêque excommunie les usurpateurs puis s'en va prier à la l'église dédiée à la sainte. Puis Sainte Thècle apparaît au roi, le gifle, il en tombe malade et, plein de repentir, restitue alors à l'archevêque sa ville et ses biens avant d'expirer. Pedro Clasqueri, qui fut aussi patriarche d'Antioche, mourut en 1380. Pedro IV décéda le 5 janvier 1387 (source : Histoire générale d'Espagne, traduite de Juan de Ferreras par d'Hermilly, Paris, 1751, t. 5,p. 529). Il semble que l'intervention de la sainte ait été postérieure à la mort de l'archevêque.
Saint Vincent Ferrer fit une allusion à cette gifle (1350-1419) dans une lettre au roi Martin l'humain (qui régna de 1396-1410), et sa mention la plus ancienne est dans la Chronique d'Aragon du cistercien Gauberto Fabricio de Vagad. On notera que dans le récit de Vagad qu'a restitué Eduard Juncosa Bonet de l'Universidad Complutense de Madrid, le roi d'Aragon dit seulement qu'une très belle "donzelle" le gifle et que les clercs autour de lui en déduisent que c'est Ste Thècle. Amadeo-J. Soberanas (en 1965), lui, date précisément l'apparition de la sainte du 29 décembre 1386, quand le roi est déjà malade, et précise qu'elle ne le gifle que parce que lui même a tenté de la blesser.
Même dans cette gifle, on voit encore en arrière-plan le thème de sa main droite. Déjà dabs La Vie et les Miracles de Thècle elle avait giflé en magistrat d'Antioche qui l'offensait.
Dans "El Triunfo Milagroso de la Omnipotencia, en la Vida, Martyrios, y Milagros de la Esclarecida Virgen, e Invicta Prothomartyr de las Mugeres, Santa Tecla Escrivele, y le dedica a la misma Santa el Padre Iayme Vilar de la Compañia de Iesus" / Jaime Vilar (1697) p. 162 et suiv on peut lire de longues conjectures sur la mort de Ste Thèce à 90 ans, alors qu'elle serait née en l'an 29. Il affirme que Saint Paul vint évangéliser l'Espagne en 61, ce qui pourrait être 14 ans après la mort de la sainte, si, au contraire, on retient qu'elle fut martyrisée à 18 ans (en 47). Saint Paul aurait lui-même présidé à l'érection de l'église de Tarragone. Il n'hésite pas non plus à parler (p. 173) d'un sépulcre de la sainte à Séleucie sur lequel Saint Grégoire de Nazanze se serait rendu en pèlerinage.
La liste des miracles de sainte Thècle en Aragon-Catalogne que répertorie Jaime Vilar, il y a l'apparition en 1644 à la prieure du couvent de Sainte Thècle de Valence de la sainte en compagnie de la défunte Doña Isabelle de Bourbon, première épouse du roi Philippe IV, toutes deux portant des colombes à la main. Thècle lui annonce que la reine consort a atteint le paradis après trois jours de purgatoire et que le roi gagnera la guerre qui l'oppose au roi de France (qui vient de prendre Lerida). L'archevêque recommanda le silence, jusqu'à ce que Philippe IV effectivement pût reprendre Flix, Monzon et Lerida.
Elle est aussi apparue à un prêtre de son église de Tarragone et à l'évêque pour leur reprocher d'autoriser un laïc à y être enterré (p. 198).
Le mérite de l'échec des opérations françaises contre Tarragone de 1641 et 1644 fut attribué à la sainte. En 1644 elle aurait atténué l'impact des boulets français, même dans sa propre église. Le commerçant Esteban Fontanet, qui avait subi deux sévères tempêtes en deux ans, le portant au bord de la faillite, dans ses allers-retours entre Tarragone et Barcelone, se sauva d'une troisième par l'invocation de Sainte Thècle (p. 232). En 1656 trois musiciens embarqués à Barcelone pour se rendre à la fête de la sainte à Tarragone furent capturés par des maures. Ceux-ci filaient vers la Côte des Barbaresques pour les y maintenir en esclavage mais les musiciens invoquèrent la sainte et la galère royale espagnole qui passait à proximité prit en chasse leur bateau de captivité et les libéra.
En 1652 le bras de la sainte transporté en procession sur les champs mit fin à la sècheresse à Tarragone (p. 237). A Torralba dans la province de Huesca, confrontés à la même sècherese, les habitants décidèrent d'envoyer une procession à l'église Sainte Thècle à Cervera (province de Saragosse) et obtinrent immédiatement la pluie. Le bras de Sainte Thècle à Tarragone rendit la vue à un prêtre aveugle depuis 16 ans (p. 244), ses "reliques" du couvent Sainte Thècle de Valence produisirent aussi des guérisons, un enfant d'Alcogujate (Cuenca en Castille) guérit de ses fractures après une neuvaine de ses parents dédiée à la protomartyre, etc.
Le souvenir de la sainte en Aragon est associé à un mélange de douceur et de rigueur.
Adamisme et théorie des champs morphiques
J'ai déjà évoqué sur ce blog la théorie des champs morphiques de Rupert Sheldrake, qui explique comment, lorsqu'une mésange apprend à décapsuler une bouteille de lait sur le pas du porte en Angleterre, d'autres mésanges ailleurs dans le monde vont se mettre à faire de même alors qu'elles n'ont pas réellement bénéficié d'une transmission ou d'un apprentissage. Cette théorie, qui ne cadre pas avec les cadres rigoureux de la science objectivable, permet d'expliquer pourquoi diverses inventions chez l'être humain apparaissent à divers endroits du Globe au même moment.
On a vu qu'en France dans les années 1620 à 1640 des phénomènes adamites ont été constatés dans un couvent franciscain de Louviers (avec le cordelier Pierre David) puis à Toulouse (avec le jésuite Jean de Labadie) On sait aussi que les quakers firent de même en Angleterre dans les années 1660, mais avant eux, dans ce même pays, il y eut, dans les années 1630-1640, un mouvement adamite que les Eglises chrétiennes n'identifiaient à aucun courant connu. En attestent des opuscules comme The Adamite sermon d'Obadiah Couchman (1641) ou A new sect of religion descryed, called Adamites deriving their religion from our father Adam de Samoth Yarb/ Thomas Bray (1641).
La transmission directe d'un "penchant" pour le nudisme entre des couvents catholiques et l'Angleterre anglicane ou réformée est peu probable. On peut bien sûr soutenir que les uns et les autres ont pu "baigner" dans l'ambiance de la Réforme qui a pu favoriser le Mouvement du Libre Esprit, plaisamment caricaturé d'ailleurs par l'archevêque d'Avignon (voyez Le Fouet des Paillards) - et l'on se souvient d'ailleurs de la protection accordée par Marguerite de Navarre à Poque et Quintin chez qui on voit des préfigurateurs du libertinage). Mais pourquoi est-ce que ce "Mouvement du Libre Esprit" aurait pris spécifiquement la forme de l'adamisme, c'est-à-dire un retour à la nudité qui se veut ordonné au christianisme (et non pas un mouvement pur et simple vers la débauche comme précédemment) la vague idée d'un simple "imprégnation" dans toute l'Europe d'un esprit d'innovation lié à la Réforme ne permet pas d'en rendre compte...
Si l'on admet la théorie des champs morphiques, et l'idée que le sursaut de l'adamisme dans un couvent français peut rejaillir sur des protestants dissidents en Angleterre, alors cela peut avoir de très fortes implications pour la responsabilité individuelle de chacun. Car à la fois cela signifie que les pensées et comportements de chacun d'entre nous sont profondément influencés par des représentations et phénomènes qui sont "dans l'air du temps" (et je crois qu'à la base de notions philosophiques comme Weltanschauung, epistémé, etc il y a de cela) mais aussi que chacune de nos pensées ou chacun de nos comportements, comme la première initiative de la mésange pour percer une capsule de bouteille de lait, peut avoir des résonances ailleurs dans le monde. Un peu comme un signal que l'on envoie dans la matrice culturelle humaine qui enveloppe la planète, et qui trouvera des échos les plus inattendus, sous une forme purement mimétique ou déformée par d'autres influences.
Je crois que le phénomène de renoncement au monde que décrit en ce moment Pascal Bruckner pour la période actuelle dans "Le Sacre des Pantoufles" par exemple participe aussi potentiellement d'un champ morphique, même si celui-ci peut être plus visiblement renforcé par des messages médiatiques planétaires qui n'existaient pas quand l'adamisme bourgeonnait de façon sporadique en Europe. Pour moi le culte de Marie-Madeleine au XIXe siècle qui fait que la même année (1858-59) où le RP Lacordaire écrit sur cette sainte "à qui beaucoup a été pardonné parce qu'elle a beaucoup aimé", le socialiste Pierre Leroux en exil dans La Grève de Samarez écrit à peu près le même chose. Par delà les "petits cailloux" qu'avait semé le saint-simonisme autour de Marie-Madeleine dans les années 1820-1830, il y a peut-être quelque chose qui relève des champs morphiques dans la manière spécifique dont le thème "surgit" à l'esprit de ces personnages très différents au seuil de leur vie.
Le Fouet des Paillards
Quelques pensées intéressantes du P. Mathurin Le Picard Le Fouet des Paillards : p. 7 emprunté à St Thomas d'Aquin : "La luxure est une paillarde et malheureuse mère, qui a engendré ces méchantes filles, savoir l'aveuglement d'esprit, une inconsidération, la haine de Dieu, la précipitation, l'inconstance, l'amour propre, une affection des choses temporelles, et un désespoir éternel". Le Picard réunit christianisme et paganisme dans sa leçon de morale(p. 13) ; "S. Chrysostome avec Plutarqie appelle ce péché de paillardise un précipice". "Le sage fait une description de la femme impudique en ces mots : la femme folle et criarde et pleine de provocation voluptueuse et qui ne sait chose quelconque".
Sur l'empire de la femme sur l'homme (dans ch 17, p. 193) - dans une vision égocentrique de l'amour - : "De même que personne ne se peut haïr, sino qu'il aie perdu l'usage de raison, aussi il ne peut vouloir mal à sa femme. Et de même que pour soi il oublie et laisse son père et sa mère, aussi fait-il pour sa femme. Ne vous étonnez pas de voir qu'une femme suffit pour faire oublier père et mère pour ce qui est chair de la chair du mari et os de ses os. Et l'apôtre a dit (Ephes 5:29) : "nemo enim umquam carnem suam odio habuit sed nutrit et fovet eam" (Car jamais personne n’a haï sa propre chair ; mais il la nourrit et en prend soin )
Je dis que ce fut un artifice digne de la sagesse de Dieu, de faire d'une chair ceux entre lesquels il voulait mettre un amour semblable à celui que chacun se porte à soi-même : ainsi ce même Dieu ne pouvait trouver invention plus grande pour obliger l'âme de l'homme à l'aimer, que de la tirer comme de soi-même, et lui donner son image et ressemblance (...)
Un petit passage amusant à propos des anabaptistes qui pratiquent le communisme sexuel :
Ce Felicianus Capitonus/ Félicien Capiton, patriarche des servites, archevêque d'Avignon, mort en 1577 est auteur d'un Explicationes catholicae Locorum fere omnium veteris ac novi Testamenti, contre les hérétiques.
Une phrase encore (p. 299) "La lascivité est réfrénée lorsque les yeux sont voilés avec le bandeau de la crainte de Dieu accompagnée de la discrétion et prudence".
p. 301 une référence curieuse à St Anselme sur le fait que l'être humain est un point au milieu de la rondeur du Ciel qui ne peut échapper à son regard. Le Ciel devient un panoptikon...
Les conseils pour éviter la luxure (ch 25) : éviter la lascivité des paroles, éviter le vin, les danses (interdites dans la République de Platon p. 322), interdire aux femmes les "habits mondains", éviter l'oisiveté "maîtresse de tous les vices" p. 328).