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Phrénologie et magnétisme au XIXe siècle
Une parascience célèbre dans les années 1830-1840 fut la phrénologie, étude des caractères humains à partir de la forme du crâne. Toute la mouvance républicaine et socialiste s'y intéressa. Pierre Leroux écrivit à son sujet, George Sand avait à Nohant un crâne avec lequel elle pratiquait (ce qui faisait fuir son jardinier rempli d'épouvante), et l'on a vu que le sulfureux Mapah, fils de modiste, avait aussi fait ses premières armes dans la phrénologie.
Le socialiste Théophile Thoré, critique d'art, ami de Leroux, allait aussi se distinguer dans ce domaine, ainsi que dans la magnétisme. Né en 1807, il avait été initié dans ses jeunes années (les années 1830) à cet "art" par l'anatomiste Pierre Marie Alexandre Dumoutier (1797-1871), disciple de Gall et de Spurzheim.
Les prouesses de Dumoutier en disent long sur le caractère "magique" de sa science. En 1832, le Bulletin Phrénologique, recopiant un article du National, raconte comment, commis par le doyen de la Faculté de médecine, sur une scène de crime au 81 rue de Vaugirard à Paris, Dumoutier, en présence du procureur du roi et des deux prévenus, erassemble les débris d'un squelette. Puis, les ayant examinés, ainsi que le crâne, il dit qu'il s'agit d'une femme."L'étal des sutures lui fit, penser, dit le journal, que cette femme devait être déjà avancée en âge. Il ajouta qu'il devait y avoir plusieurs années qu'elle était inhumée. On peut imaginer facilement l'intérêt que présentait cet examen à ceux qui étaient informés de ce qui le motivait. La physionomie des prévenus témoignait qu'ils n'y étaient pas indifférens, d'autant plus que les observations du savant anatomiste tendaient à confirmer une accablante identité. Mais leur surprise et celle des spectateurs fut au comble, quand M. Dumoutier, continuant ses remarques, commença à parler de là personne dont il tenait la tête, et assura qu'elle devait être avare, disposée aux emportemens, ajoutant d'autres détails, qui tousse trouvèrent parfaitement d'accord avec ce qu'on connaissait de l'humeur de la veuve Houet." Le journal ajoute avec pertinence "Deux siècles plus tôt, ainsi que le fit observer M. le procureur du roi, que semblable divination eût conduit son auteur droit à un bûcher. Et cependant, M. Dumoutier n'est pas un magicien, mais tout simplement un élève distingué de Gall et Spurzheim."
Evidemment la supercherie en l'espèce tient précisément au fait que Dumoutier avait quelque chose du sorcier, puisqu'il pratiquait aussi le magnétisme en compagnie de son disciple Thoré ("nous nous occupons ensemble de phrénologie et de magnétisme" écrivait ce dernier à sa mère le 20 juillet 1833). Il était donc aussi médium, mais cela, on ne pouvait le savoir qu'en lisant la correspondance de Thoré. La presse "pseudo-scientifique" autour de la phrénologie se gardait bien de le dire, et peut-être ne le savait même pas.
Tournefort sur les ascètes de Crête
Pour les gens qui s'intéressent à l'hésychasme et à l'histoire de la chrétienté orthodoxe, il existe un ouvrage en deux tomes très intéressant, un récit de voyage du botaniste Joseph Python de Tournefort (1656-1708) examiné à titre posthume par l'académie des sciences de Paris en 1709 , qui s'intitule "Relation d'un voyage du Levant fait par ordre du Roy". C'est un travail très minutieux qui détaille notamment la situation du clergé sous la férule ottomane en Crête, et les divers aspects de la liturgie dans cette île (pour ne rien dire de son témoignage sur les pays plus lointains).
Dans le sillage de ce que j'ai déjà dit sur les ascètes, je relève ce passage amusant : p. 127 "La vie des Ascétiques ou Hermites, est la plus dure de toutes, ce sont des Caloyers reclus, qui se retirent volontairement dans les rochers les plus affreux : ils ne mangent qu'une fois le jour, excepté les jours des Fêtes : à peine leur nourriture suffit-elle pour les empêcher de mourir : les Pacômes et les Macaires n'ont pas vécu plus austèrement : je ne crois pas que sans une vocation bien particulière, il soit permis à des hommes de mettre leur vie à une telle épreuve ; Dieu veut sans doute que nous la conservions autant que cela dépend de nous, et ces bonnes gens se font mourir à plaisir ; d'un autre côté, ces grandes austérités, jointes à une retraite perpétuelle, leur font bien souvent tourner la cervelle. La plupart des Ascétiques donnent dans des rêveries pitoyables, et bien éloignées de la véritable connaissance de nos devoirs ; peu à peu leur cervelle devient un moule à visions : au reste ces pauvres Hermites ne mendient point ; les Moines leur fournissent de temps en temps un peu de biscuit, lequel joint à quelques herbes champêtres, fait tout le soutien de leur vie."
On voit ici que le regard d'un Tournefort influencé, disait Fontenelle, par Descartes, n'est pas aussi admiratif de l'hésychasme que celui de Jean Biès dans les années 1970. L'expression "moule à visions" est assez drôle. L'allusion à la "connaissance de nos devoirs" renvoie à l'étrange leitmotiv des saints depuis Isaac le Syrien : l'ascète ne doit pas se mêler de la charité...
La dialectique entre salons chrétiens hypocrites et salons féministes socialisants dans les années 1830
Extrait des mémoires de Marie d'Agoult (Mes souvenirs 1806-1833 par Daniel Stern p. 333-335) :
Le tsar Pierre Le Grand à Notre Dame de Paris
Extrait du Journal des débats du 18 décembre 1848 : "Lorsque le czar Pierre-le-Grand (écoutez! l'anecdote est inconnue, et le mot est glorieux) s'en vint à Paris, au commencement de la régence, son premier soin fut de visiter cette ville, capitale des intelligences, des passions et des libertés à venir. Sire, lui dit le régent, (monsieur le régent mon grand-père, comme disait souvent le roi Louis-Philippe en relevant sa noble tête avec un vif sentiment de triomphe et d'orgueil) Sire, dit M. le régent, plaise à Votre Majesté de venir avec moi; je vous conduirai sur une montagne plus haute que la montagne du haut de laquelle le démon montrait à Notre Seigneur Jésus-Christ tous les royaumes de l'univers. Et en ce temps-là, si Paris eût été bâti, je crois bien que Notre-Seigneur Jésus-Christ eût hésité.
Aussitôt dit, aussitôt fait, le czar Pierre et régent se mettent en route, ils montent au sommet de Notre-Dame, sur l'esplanade de ces tours formidables qui ont vu passer et qui verront passer tant de générations. Chemin faisant, le czar Pierre : - Mon cousin, dit-il au régent, votre front est soucieux, dites-moi pourquoi!
– C'est que, Sire (on s'était arrêté au milieu de l'escalier immense), c'est que j'ai un petit différend avec le Parlement, et il y a de quoi être inquiet, en effet.
En même temps M. le régent expliquait à Pierre 1er que le Parlement était le représentant des volontés populaires. Et quels conseils me donnez vous, Sire? disait le régent. Je ne sais pas, dit l'empereur. `
Le régent et l'empereur montent encore, montent toujours; ils arrivent enfin au sommet de !a plus haute des deux tours, et là, dans un éblouissement indicible, le czar Pierre admire cette grande cité qui t'étend à ses pieds. Combien de lieues? combien de maisons? combien de familles? combien de têtes dans chaque famille ? C'est une merveille, ce Paris, disait le czar; Moscou, comparé à cette magnificence, n'est qu'une bicoque. Ah! si j'avais l'honneur de commander à cet univers, s'écria-t il en se découvrant, je me garderais comme du feu de résister à ses unanimes volontés !
Ceci dit, le czar et le régent reviennent au Palais Royal, et le régent ne songea plus à inquiéter le Parlement de Paris! "
Déchéances littéraires
Je crois qu'il n'y a pas dans l'histoire littéraire de personnage plus odieux que George Sand. Marguerite de Navarre fut seulement vaine, Victor Hugo funèbre même quand il se croit lumineux. Avec George Sand, on gravit une marche encore dans la déchéance spirituelle. Certaines anecdotes de la vie d'Eugène Pelletan le prouvent.
La tête de métal d'Albert le Grand
Taylor Marshall aujourd'hui rappelait qu'on prête à Albert le Grand, dont c'était la fête avant hier, l'invention d'une tête de métal qui parle et répond aux questions qu’on lui pose. L'ancêtre de l'assistant vocal Alexa en quelque sorte... Cela fait penser à la tête mantique d'Orphée (il y a aussi une histoire de tête mantique à la chute de Rome, je ne sais plus chez quel auteur). Décidément on prête beaucoup au fondateur de la scolastique. La semaine dernière une amie me disait que son frère ainé intéressé par des grimoires attribués (à tort) à Albert le Grand, avait eu jadis de très graves problèmes.
A propos des questions posées par "Bâtisseurs de l'ancien monde"
RMC Story diffusait le 9 novembre dernier le documentaire en trois parties "Bâtisseurs de l'ancien monde" (BAM), qui avait été diffusé au studio Galande à Paris le 11 septembre 2018.
Du temps où j'étais sous l'influence des médiums en 2014, j'avais commencé à m'intéresser au débat à propos des travaux des travaux de Jacques Grimault et son documentaire "La Révélation des Pyramides" (LRDP - voyez la discussion qu'en fait le blog Taiknologie). J'avais ensuite détaillé les recherches scientifiques complémentaires qui permettaient d'élargir la problématique, tout en la mettant en perspective avec l'approche chrétienne de LA Marzulli (cf mon point là-dessus en novembre 2019). Mon livre sur les Nephilim a repris cela.
Maintenant la perspective est encore élargie par Patrice Pouillard dans ce nouveau documentaire, sur un ton plus humble que LRDP. Le documentaire commence par les moai de 80 tonnes des Rapa Nui, sur l'île de Pâques : comment ont-ils été déplacés ? Pourquoi les "ahu" (plateformes de pierre) n'ont-elles pas toutes été construites avec la précision de l'Ahu Vinapu tourné vers le solstice d'hiver ? La construction fait penser aux Incas. A Cuzco le chamane Mallku Aribalo y développe le thème d'un empire pacifique, dont le documentaire va aussi chercher la preuve dans la ville sans fortification de Caral-Supe (en - 3 000). Le documentaire examine les points communs avec le Machu Picchu, en attirant toutefois l'attention, sur ce dernier site, sur les blocs d'andésite plus anciens qui se rejoignent parfaitement sans ciment. Les formes polygonales y ressemblent à celles de l'île de Pâques, et à celles de la vallée du site de Ghizeh en Egypte (22 ème minute). Sacsayhuaman et Ollantaytambo présentent aussi les mêmes caractéristiques. On ne comprend pas la cohabitation de ce style avec des assemblages de petites pierres moins bien assemblées construites dessus pour réparer les constructions.
Tiahuanaco en Bolivie est censée ne pas dater de la même époque puisque la ville aurait été une capitale eu IXe siècle. Le site n'est qu'une reconstitution. A 1 km de là Puma Punku, site pré-inca aurait été détruit à cause d'un différend entre chamanes. Le géologue Erik Gonthier met en valeur la capacité humaine pour ne pas retomber facilement dans la théorie des "anciens astronautes". Tout est fait avec une lamelle de cuivre, ce que pense aussi Pouillard. Avec un rugosimètre sur un bloc, Gonthier mesure 31, 653 microns d'écart entre le point le plus haut et le point le plus bas de la surface.
A propos de Puma Punku, il y a un dossier intéressant que n'aborde pas le documentaire concernant les monuments en forme de H et le fait qu'il s'agit de géopolymères, donc des roches moulées et non taillées. Cette découverte a été faite par Joseph Davidovits qui avait fait le même constat à Guizeh (sauf qu'en Egypte les géopolymères sont faits à base de calcaire, à Puma Punku c'est de l'andésite). On a parlé sur ce blog de Joseph Davidovits à propos de ses travaux sur le patriarche Joseph.
Notez que le site Archéologie rationnelle en mai 2020 a essayé de "debunker" le passage sur Puma Punku ici. Sur la question de l'ancienneté, il estime que ce n'est pas parce que les gros blocs se situent à la base qu'ils sont plus anciens, et que des cultures incas très différentes ont pu contribuer à l'archéologie des sites observés. Sur le rugosimètre, il précise : "qu’un rugosimètre de par la taille de son diamant peut mesurer la rugosité d’une surface de seulement quelques millimètres et non de toute la surface d’un pan d’un bloc... Or, la planéité ne se mesure pas sur juste quelques millimètres. "
Le site reproche la même erreur à l'ingénieur Christopher Dunn qui a appliqué la même méthode à l'égyptologie, dont j'avais cité les travaux en 2019. La question du biais cognitif que pose l'utilisation du rugosimètre constitue une hypothèque importante qui pèse sur l'ensemble du documentaire...
Le débat est assez technique sur la faisabilité à la main des surfaces planes et les conditions de déplacement des blocs. Erik Gonthier soulève le même problème un peu plus loin dans la région du Bihar en Inde (Lomas Rishi, Sudama, Karan Chopar, Visva Zopri, Vapiyaka, Vadathika, Gopika). Il s'y ajoute le problème celui de la brillance et celui de l'évacuation des poussières car les constructions sont dans des grottes. Là encore la question suscite quelques sarcasmes, par exemple sur ce site qui s'exclame "On parle d’un souterrain là, pas d’aller sur la Lune ! C’est complètement con comme questions, les caveaux souterrains ne sont certes pas bien ventilés mais on y respire très bien, personne n’a besoin d’un scaphandre pour s’y balader ! "
"Pourquoi ce besoin de précision ?" poursuit le documentaire.
Au Sérapéum de Saqqarah se pose à nouveau la question du transport des coffres massifs en granite depuis les carrières d'Assouan. Là encore la question suscite des polémiques sur Internet parce que l'évaluation du poids des coffres à boeufs n'est pas sourcée (voir ici).
Les blocs de Puma Punku ont des dimensions ont des valeurs rondes en centimètres (22 cm, 60 cm, 100 cm). Puisque le mètre fut calculé à partir de la circonférence de la Terre le documentaire avance que les Incas devaient avoir des informations à ce sujet.
Phi, le nombre d'or (1,618) se trouve dans les végétaux, les minéraux, les animaux. La coudée royale égyptienne 0,5236 mètres un sixième de pi (que les Egyptiens ne connaissaient pas). Pascal Waringo, maître artisan, explique que le pied fait 32,36 (vingt fois phi). La hauteur de la grande pyramide par les deux côtés de sa base en mètres fait pi, et cette dimension moins celle-ci donne pi fois cent. L'ingénieur Robert Vincent a expliqué dans un de ses livres que la coudée royale médiévale française avait la même valeur que la coudée royale égyptienne.
L'empan fait 20 cm. Le mètres et un 40 millionième de la circonférence de la Terre. Quentin Leplat fait valoir que beaucoup de portes d'églises mesurent 1 mètre, de même que les portes qui font circuler d'une tour à l'autre à Chambord. Dans un des sites ce chercheur explique que Les mesures romaines sont issues d'une connaissance géodésique bien antérieure. Le pied romain existe chez les Ibères entre -5000 et -3000. Pied Romain, coudée de Nippur, Coudée Royale, Yard mégalithique et bien sur le mètre sont des mesures reliées à une époque qui est bien antérieure au plus ancien textes dont nous disposons : on trouvera en commentaire de cette page une contestation de ses assertions par un spécialiste des mesures lui-même contesté ici.
Tout cela fait déboucher sur l'hypothèse de legs de civilisations antédiluviennes qui auraient transmis un savoir supérieur. O nous dit qu'il a existé une période appelée le Dryas récent pendant laquelle il y a eu des changements climatiques importants. La température a chutée de 7°C puis est remontée de 10°C, ce qui a entrainé une montée des océans de l'ordre de 120m.
On retrouve d'ailleurs des vestiges engloutis. Notamment dans l'océan Indien. Le tsunami de 2004 a eu pour effet de découvrir pendant 30 minutes des vestiges proches des côtes.
Un vestige possible du mythique continent de Kumari Kandam dont parle la tradition Tamoule, et souvent souvent associé à la Lémurie (cf le livre Graham Hancock).
Je n'en dis pas plus dans ce billet déjà trop long. Il s'agissait seulement d'exposer ici les pistes de réflexion du documentaire, source de discussions nombreuses. On y reviendra peut-être à l'occasion.
Un récit d'Alexandre Dumas à propos du Mapah
Parmi les personnages dangereux du XIXe siècle français, le mage androgyne Simon Ganneau ou Gannot (1806-1851) surnommé « Le Mapah » était une curiosité majeure du Tout-Paris des années 1840. Eliphas Levi affirme que si l'écrivain Esquiros publia L’Evangile du Peuple en 1840, qui annexait Jésus à la cause du socialisme, et lui valut huit mois d’incarcération à la prison de Sainte Pélagie, ce fut du fait de l’influence intellectuelle ou parapsychique de Ganneau. Il attribue même l'origine de la révolution de 1848 à un pauvre Parisien magnétisé par celui-ci.
Voici une sombre histoire que raconte Alexandre Dumas à son sujet dans ses Mémoires tome 8. J'ai trouvé intéressant le passage sur la manipulation de la nuque. Peut-être le professeur Fourtillan qui connaît bien le fonctionnement de l'encéphale et de la glande pinéale située plus haut dans le cerveau aurait-il des choses à dire à ce sujet. Il est aussi instructif d'apprendre que le Mapah détestait le vol : les âmes perdues n'ont jamais tous les vices à la fois. Ceux qui s'intéressent à l'histoire de la médiumnité, observeront qu'une fois de plus ici le magnétisme dérive de la pratique d'une "para-science" (la phrénologie) comme aujourd'hui de la naturopathie, de l'ostéopathie etc.
"Sur le boulevard Bonne-Nouvelle, où il demeurait alors, les passants ont pu observer une tête servant d'enseigne, et sur le crâne chauve de laquelle un artiste quelconque avait peint en bleu et en rouge la topographie cérébrale des facultés, des sentiments et des instincts; cette tête cabalistique indiquait qu'on donnait des consultations de phrénologie. Maintenant, il est bon de dire comment Gannot était arrivé à l'apogée de la science des Gall et des Spurzheim. Fils d'un chapelier, il avait remarqué, tout enfant, dans la boutique de son père, les formes si diverses de chapeau en rapport avec les formes si variées de la tête. Il s'était ainsi créé un système phrénologique à lui, qu'il développa plus tard par l'étude superficielle de l'anatomie.
Gannot était médecin, ou, pour mieux dire, officier de santé; ce qu'il avait appris tenait peu de place dans sa mémoire mais, doué d'un tact fin et pénétrant, il analysait avec une espèce de seconde vue les caractères et les têtes qui tombaient sous sa main.
Un jour qu'accablé par une perte d'argent qu'il venait de faire au jeu, ne trouvant plus devant lui que misère et désespoir, il s'abandonnait aux plus sombres résolutions, une femme du monde, belle, jeune riche, descend de voiture, monte son escalier, et frappe à sa porte.
Elle venait demander au devin la bonne aventure de sa tête. Si magnifique créature qu'elle fût, Gannot ne vit ni elle, ni sa beauté, ni son trouble, ni son hésitante rougeur elle s'assit, ôta son chapeau, découvrit d'admirables cheveux blonds, et livra sa tête au phrénologue.
Le docteur mystérieux passa négligemment sa main dans ces ondes d'or.
Son esprit était ailleurs.
Rien pourtant de plus riche que les plans et les contours qui se développaient sous le toucher du maître. Au moment où sa main arrivait à un endroit situé à la base du crâne que le vulgaire appelle la nuque, et que les savants nomment l'organe de l'amativité, soit qu'elle eût vu Gannot des longtemps, soit sympathie magnétique et instantanée, cette femme fondit en larmes, et, jetant ses bras autour du cou du futur Mapah: Ah! s'écria-t-elle, je vous aime!
Ce fut un rayon nouveau dans la vie de cet homme. Jusque-là, Gannot avait connu les femmes; il n'avait pas connu la femme. A une vie de folles débauches, de jeu, d'émotions violentes, à une vie répandue sur l'asphalte du boulevard, sur le parquet des tripots, dattes allées du bois, succéda une vie d'amour solitaire; car, cette belle inconnue, il l'aima jusqu'à la folie, jusqu'à la rage.
Elle était mariée.
Souvent, dans leurs heures de délire, quand venait le moment de se quitter, des pleurs plein les yeux, des sanglots plein la poitrine, ils conspirèrent la mort de l'homme qui était un obstacle à leur enivrante passion; mais ils en restèrent à la pensée du crime. Du moins, elle voulut fuir avec lui: la fuite fut convenue, le jour arrêté; mais, ce jour-là, elle arriva chez Gannot avec un portefeuille garni de billets de banque pris dans le portefeuille de son mari : Gannot eut horreur du vol, et refusa l'argent.
Le lendemain, elle vint sans autre fortune que la robe qu'elle portait sur elle; pas une chaîne d'or à son cou, pas une bague à son doigt.
Ce jour-là, il l'enleva.
La vie de cet homme, compliquée de cet élément nouveau, prit plus que jamais son vol à travers les régions impossibles; c'était une de ces natures qui vont à tous les emportements. Si ce principe de M. Guizot est vrai « On tombe toujours du côté où l'on penche, » le Mapah ne pouvait manquer de tomber un jour ou l'autre il penchait de tous les côtés ! Le jeu et l'amour satisfaisaient admirablement les instincts merveilleux de cette vie excentrique ; les maisons de jeu fermèrent ! la femme qu'il aimait mourut !
C'est alors que le dieu naquit chez lui de l'amant inconsolable et du joueur rentré.
Il fit une maladie pendant laquelle le spectre de cette femme morte le visita toutes les nuits, et lui révéla les dogmes de sa religion nouvelle. En proie à ces hallucinations de l'amour et de la fièvre, Gannot s'écoutait lui-même dans la voix qui lui parlait. Mais iI n'était déjà plus Gannot. Il se transfigurait."