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Articles avec #histoire des idees tag

Ptolémée et le colosse de Sinope

25 Septembre 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire secrète, #Histoire des idées, #Pythagore-Isis

Tout le monde connaît l'anecdote de Carl Gustav Jung voyant en rêve un mandala sans en connaître l'existence dans la vie éveillée. Plutarque dans son traité sur Isis et Osiris (Moralia, Traité 23§28) raconte une histoire semblable à propos de Ptolémée (368-283), général d'Alexandre, premier souverain de la dynastie lagide en Egypte  : "Ptolémée Sôter vit en rêve le colosse de Pluton qui se trouvait à Sinope, sans savoir ni avoir jamais vu auparavant à quoi il ressemblait, et la statue lui donna l'ordre de la faire transporter au plus vite à Alexandrie. Le roi ignorait et se voyait bien en peine de découvrir où elle se trouvait. Mais comme il racontait sa vision à ses amis, il se trouva un homme du nom de Sosibios qui avait beaucoup voyagé et qui déclara avoir vu à Sinope un colosse semblable à celui du rêve. Ptolémée envoya alors Sotélès et Denys qui, au prix de longs et pénibles efforts, et non sans le recours de la providence divine, parvinrent à dérober et à emporter la statue. A son arrivée en Egypte, elle fut examinée, et l'exégète Timothée ainsi que Manéthon de Sébennytos conclurent, en se fondant sur le Cerbère et le serpent qui y étaient figurés, qu'il s'agissait d'une statue de Pluton, et persuadèrent Ptolémée qu'elle ne représentait aucun autre dieu que Sarapis : c'est à Alexandrie, après son transfert, qu'elle reçut le nom qu'on donne en Egypte à Pluton, 'Saraîs'. Bien entendu, on utilise pour confirmer cette identification la phrase du physicien Héraclite : 'Hadès et Dionysos, qu'on célèbre par le délire et les fêtes du pressoir ne font qu'un' ".

Apportons ici quelques précisions. L'anecdote se passe sous Ptolémée Ier "sauveur" (sôter) qui a plus de 60 ans. Sinope du Pont est sur les bords de la Mer Noire au nord de la Turquie actuelle. On retrouve ici Manéthon, prêtre égyptien, et Timothée, un membre athénienne de la famille des Eumolpides, qui était l'une des familles de prêtres d'Eleusis qui dirigeaient les mystères sacrés, deux personnages importants dont je vous avais déjà parlé il y a sept ans à propos de l'instauration du culte isiaque dans l'ensemble du bassin méditerranéen.

Le professeur Christian Froidefond, professeur émérite à l'université de Provence, en 2004, soulignait qu'une tradition exégétique prétend que l'anecdote de Plutarque (que l'on retrouve aussi chez Tacite) serait apocryphe et attribuerait l'origine de Sérapis à la religion autochtone de Memphis, mais il ne voit pas bien pourquoi Ptolémée, du coup, en aurait fait un dieu gréco-égyptien. Il souligne que les colons rhodiens d'Argos avaient déjà identifié Apis à Epaphos et Isis à Io, de sorte qu'il y a une composante dorienne forte dans Serapis. Plutarque est enclin à voir dans les divinités égyptiennes des démons, et, défend une identification Hadès-Sarapis (Osiris mort) et Osiris-Dionysos. Il est à noter qu'à Sinope, le colosse de Zeus-Hadès barbu et chevelu était flanqué de Proserpine (ce qui facilita l'identification d'Isis à Perséphone). Tacite (Histoires 4§84) ajoute que la statue fut identifiée par Timothée qui consulta le collège des mystères d'Eleusis qu'il avait installé à Alexandrie (c'est dans un second temps que le voyageur Sosibios confirmera le fait, et que Ptolémée, versatile, dut avoir un rappel menaçant des dieux pour se décider à envoyer Denys et Sotélès auprès du roi pontique Scydrothemis (301-280). Ceux-ci surmontèrent une tempête avec l'aide d'un dauphin, et le miracle les persuade d'aller consulter l'oracle de Delphes sur leur chemin. L'oracle dit "de rapporter la statue de son frère, mais de laisser celle de sa soeur" (celle de Proserpine, dont ils ne prirent sur instruction d'Apollon qu'une empreinte). Scydrothemis selon Tacite alléché par les présents de Ptolémée mais intimidé par le peuple qui tient à sa statue atermoie pendant trois ans, et un dieu lui apparaît en songe le menaçant de châtiment. Le peuple résiste, des fléaux se déchaînent, et la statue se déplace d'elle-même jusqu'au bateau égyptien. Le Cerbère tricéphale entouré du serpent est une image fréquemment associée à Serapis/Sarapis.

Eustathe de Thessalonique, moine byzantin du XIIe siècle, a perpétué le récit de cette aventure synopique dans la lignée semble-t-il de l'écrivain byzantin du VIe siècle Etienne de Byzance. Jacob Krall, dans Tacitus Und Der Orient: Sachlicher Commentar Zu Den Orientalischen Stellen in Den Schriften Des Tacitus (1880) estime que ce Zeus-Hadès de Sinope peut être une transposition du Zeus babylonien. Une rationalisation a posteriori fait penser que Ptolémée aurait trouvé à Sinope un moyen d'helléniser le culte de Asar-Api à Memphis, et sa fille Arsinoé, épouse de Lysimaque, qui avait une principauté à la frontière de Synope du Pont aurait été à l'origine de l'idée. Auguste Bouché-Leclercq (1842-1923) dans son La politique religieuse de Ptolémée Sôter et le culte de Sérapis (1902) écarte l'idée parfois avancée par des historiens antiques que Synope ait pu être un site près de Memphis.

La disqualification de l'anecdote de Plutarque eut pour origine l'archéologue français Jean-Antoine Letronne (1787-1848) qui fit autorité dans notre pays tout au long du XIXe siècle. Mais l'historiographie allemande (Julius Kaerst, Otto Gruppe, E. Petersen) a défendu son historicité (ou du moins l'historicité de l' "importation" du culte de Sérapis de Synope).

On note que le rêve de Jung a servi à la construction de sa religion psychanalytique qui a ensuite intégré pour partie celle du Nouvel Age. Le rêve de Ptolémée servit à créer la religion méditerranéenne (hellénistique) de Sérapis et Isis.

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La dictature de Sylla (82-81 av JC)

6 Septembre 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Otium cum dignitate, #Histoire des idées

Je regardais hier sur You Tube ce sympathique film en langue anglaise "Julius Caesar" (d'Uli Edel, 2002). Il n'est pas d'un réalisme historique irréprochable. Pour ne parler que de son début, il montre à tort un Caton d'Utique siégeant au Sénat pendant la dictature de Sylla, alors que le futur héros des Républicains stoïciens n'était alors en fait qu'un adolescent, un Pompée qui exfiltre César chez Nicodème (ce qui est faux), et assiste à la mort du dictateur (ce qui est aussi inexact). La question de la captivité du futur père de Césarion chez les pirates dissimule ou, disons, embellit la façon dont il les achète. Mais on peut choisir d'être indulgent avec ces licences romanesques, saluer certains clins d'oeil érudits à Plutarque (par exemple la citation sur le soleil levant et le soleil couchant) et même apprécier cette mise en scène comme, vers la fin du film, celle qui montre la présentation par César et Cléopâtre de leur fils sur le forum romain...

En regardant les premières scènes du film, je me rappelais les phrases brillantes de Saint-Augustin sur la tyrannie de Sylla dans la Cité de Dieu, livre 3 ch XXVIII et XXIX :

"Sylla, qui vint tirer vengeance de ces cruautés au prix de tant de sang, mit fin à la guerre ; mais comme sa victoire n’avait pas détruit les inimitiés, elle rendit la paix encore plus meurtrière. À toutes les atrocités du premier Marius, son fils Marius le Jeune et Carbon en ajoutèrent de nouvelles. Instruits de l’approche de Sylla et désespérant de remporter la victoire, et même de sauver leurs têtes, ils remplirent Rome de massacres où leurs amis n’étaient pas plus épargnés que leurs adversaires. Ce ne fut pas assez pour eux de décimer la ville ; ils assiégèrent le sénat et tirèrent du palais, comme d’une prison, un grand nombre de sénateurs qu’ils firent égorger en leur présence. Le pontife Mucius Scévola fut tué au pied de l’autel de Vesta, où il s’était réfugié comme dans un asile inviolable, et il s’en fallut de peu qu’il n’éteignît de son sang le feu sacré entretenu par les vestales. Bientôt Sylla entra victorieux à Rome, après avoir fait égorger dans une ferme publique sept mille hommes désarmés et sans défense. Ce n’était plus la guerre qui tuait, c’était la paix ; on ne se battait plus contre ses ennemis, un mot suffisait pour les exterminer. Dans la ville, les partisans de Sylla massacrèrent qui bon leur sembla ; les morts ne se comptaient plus, jusqu’à ce qu’enfin on conseilla à Sylla de laisser vivre quelques citoyens, afin que les vainqueurs eussent à qui commander. Alors s’arrêta cette effroyable liberté du meurtre, et on accueillit avec reconnaissance la table de proscription où étaient portés deux mille noms de sénateurs et de chevaliers. Ce nombre, si attristant qu’il pût être, avait au moins cela de consolant qu’il mettait fin au carnage universel, et on s’affligeait moins de la perte de tant de proscrits qu’on ne se réjouissait de ce que le reste des citoyens n’avait rien à craindre. Mais malgré cette cruelle sécurité, on ne laissa pas de gémir des divers genres de supplices qu’une férocité ingénieuse faisait souffrir à quelques-unes des victimes dévouées à la mort. Il y en eut un que l’on déchira à belles mains, et on vit des hommes plus cruels pour un homme vivant que les bêtes farouches ne le sont pour un cadavre. On arracha les yeux à un autre et on lui coupa tous les membres par morceaux, puis on le laissa vivre ou plutôt mourir lentement au milieu de tortures effroyables. On mit des villes célèbres à l’encan, comme on aurait fait d’une ferme ; il y en eut même une dont on condamna à mort tous les habitants, comme s’il se fût agi d’un seul criminel. Toutes ces horreurs se passèrent en pleine paix, non pour hâter une victoire, mais pour n’en pas perdre le fruit. Il y eut entre la paix et la guerre une lutte de cruauté, et ce fut la paix qui l’emporta ; car la guerre n’attaquait que des gens armés, au lieu que la paix immolait des hommes sans défense. La guerre laissait à l’homme attaqué la faculté de rendre blessure pour blessure ; la paix ne laissait au vaincu, à la place du droit de vivre, que la nécessité de mourir sans résistance.

Quel acte cruel des nations barbares et étrangères peut être comparé à ces victoires de citoyens sur des citoyens, et Rome a-t-elle jamais rien vu de plus funeste, de plus hideux, de plus déplorable ? Y a-t-il à mettre en balance l’ancienne irruption des Gaulois, ou l’invasion récente des Goths, avec ces atrocités inouïes exercées par Marius, par Sylla, par tant d’autres chefs renommés, sur des hommes qui formaient avec eux les membres d’un même corps ? Il est vrai que les Gaulois égorgèrent tout ce qu’ils trouvèrent de sénateurs dans Rome, mais au moins permirent-ils à ceux qui s’étaient sauvés dans le Capitole, et qu’ils pouvaient faire périr par un long siège, de racheter leur vie à prix d’argent. Quant aux Goths, ils épargnèrent un si grand nombre de sénateurs, qu’on ne saurait affirmer s’ils en tuèrent en effet quelques-uns. Mais Sylla, du vivant même de Marius, entra dans le Capitole, qu’avaient respecté les Gaulois, et ce fut de là qu’il dicta en vainqueur ses arrêts de mort et de confiscation, qu’il fit autoriser par un sénatus-consulte. Et quand Marius, qui avait pris la fuite, rentra dans Rome en l’absence de Sylla, plus féroce et plus sanguinaire que jamais, y eut-il rien de sacré qui échappât à sa fureur, puisqu’il n’épargna pas même Mucius Scévola, citoyen, sénateur et pontife, qui embrassait l’autel où on croyait les destins de Rome attachés ? Enfin, cette dernière proscription de Sylla, pour ne point parler d’une infinité d’autres massacres, ne fit-elle point périr plus de sénateurs que les Goths n’en ont pu même dépouiller ? "

Au livre 2 chapitre XXIV , le saint a expliqué ce que cette barbarie devait aux démons, c'est-à-dire à l'esprit des Nephilim, si l'on reprend la terminologie de certains débats théologiques actuels.

Montaigne admirait les Romains du Ier siècle av J.-C., Augustin n'y voyait qu'une République aveuglée par les forces des Ténèbres. Je penche pour l'avis du second. Les quelques restes de la vertu initiale de la Rome républicaine et les quelques éclats de sagesse que lui conférait un peu la philosophie grecque (à l'école de laquelle toute la noblesse latine s'était mise) ne compensent pas l'aveuglement moral dans lequel le paganisme plongeait cette cité. Ni le film d'Uli Edel qui glorifie César, ni la Pharsale de Lucain qui idéalise Pompée dans un goût d'ailleurs très discutable (voyez par exemple le récit "gore" de la bataille de Marseille) ne me persuadent du contraire.

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Arnauld d'Andilly et Jean Climaque

2 Septembre 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Christianisme

Au début du règne de Louis XIV, Pierre Dupuy (1582-1651), conseiller d'Etat depuis 1623, informe son collègue conseiller d'Etat Robert Arnauld d'Andilly (1589-1674) de ce qu'il existe à la bibliothèque du roi trois exemplaires de l'Echelle sainte de Jean Climaque. le premier appartenait à François Ier, les deux autres à Catherine de Médicis. Le premier venait du Levant, l'autre de la bibliothèque de son frère le Grand Duc de Florence. Le troisième manuscrit était le plus ancien. Arnauld d'Andilly lui donne 800 ans "par la beauté de ses caractères". La comparaison des manuscrit laissait voir de nombreuses différences. Jean Climaque avait la renommée d'avoir été très altéré à cause du grand nombre de copies. Puis il apprend que dans la bibliothèque du chancelier (Pierre Séguier ) se trouvent quatre manuscrits, ce qui permet à Arnauld d'Andilly d'affiner sa traduction du grec. Celui-ci utilise aussi les très rares commentaires d'Elie ou Elias archevêque (au VIIIe siècle) de Crète (il s'en trouve un seul à la bibliothèque de Venise que lui a cédée le Cardinal orthodoxe Bessarion vers 1420, et un aussi à la bibliothèque du chancelier du temps d'Arnauld d'Andilly). La traduction de l'Echelle spirituelle par ce dernier sera publiée une première fois en 1654 (Arnauld avait 65 ans), puis une nouvelle fois après sa mort.

Je ne sais pas trop si M. Arnauld d'Andilly, janséniste (qui écrivit diverses vie de saints et recueillit précieusement chez lui le coeur du pieux abbé de Saint-Cyran , chef des jansénistes français - un prêtre bayonnais qui avait été disciple de Jansénius à Louvain et mourut d'apoplexie en 1643 -) fut représentatif du Conseil d'Etat (Conseil royal) de son époque, mais je trouve que son travail sur Jean Climaque honore beaucoup l'institution juridique à laquelle il appartenait.

Petitot parle en des termes hostiles d'Arnauld d'Andilly, comme de tous les protecteurs de Port-Royal (rappelant que l'abbesse du lieu était la sœur du conseiller d'Etat) :

Un peu plus loin il écrit encore :

Ses partisans dirent qu'Arnauld mena sur le tard à Port Royal une vie de mortification digne de Jean Climaque bien qu'il y fut célèbre pour ses travaux de jardinage et ses études littéraires. Saint Beuve douta que ces activités fussent si désagréables pour les sens... En tout cas l'on doit à sa retraite à Port Royal à partir de 1644 une version fort élégante de l'Echelle Spirituelle, dans un style de la plus belle époque de notre langue.

 

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Saint Isaac le Syrien

14 Août 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

Dans "Saint Paisios of Mount Athos" de Hiéromoine Isaac, je lis p. 226 que le saint moine Païssios avait œuvré activement de son vivant à réhabiliter Abba Isaac le Syrien (évêque de Ninive au VIIe siècle), faussement accusé par certains selon lui de nestorianisme, dont il appréciait beaucoup les Discours ascétiques. Il avait même, après avoir polémiqué avec un théologien sur ce point, vu apparaître le choeur des saints et, parmi eux, Abba Isaac lui conformer qu'il avait bien toujours été orthodoxe. Cela l'avait conduit à consacrer un jour de sa communauté à ce saint.

Il existe une traduction de ces discours en français de 2011 par l'archimandrite Placide Deseille (1926-2018), accessible sur Internet en version gratuite. Le traducteur y explique que ce saint influença Syméon le Nouveau Théologien au XIème siècle, le mouvement hésychaste au XIVe siècle. Abba Isaac et né dans la région du Beit Qatrayé (au niveau du Qatar actuel) vers 613, c'est à dire dans l'empire zoroastrien des sassanides. Nommé évêque de Ninive en Mésopotamie probablement vers 676 (après la conquête musulmane), il renonça à l'épiscopat au bout de cinq mois préféra rejoindre les ermites de la montagne de Matout dans la région du Beit Houzayé, dans l'actuel Khouzistan, à l'Est de Bassora. La hiérarchie chrétienne à l'époque était officiellement nestorienne mais beaucoup de prêtres et moines ne l'étaient pas, et Saint Isaac, explique Placide Deseille, resta à l'écart des querelles théologiques.

Ses discours furent traduits en grec au IXe siècle par des moines en Palestine. Inutile de les résumer, mieux vaut simplement les télécharger et les lire : ils sont la clé du parcours pour la sainteté, non pas la sainteté de l'intellect mais celle du coeur. Tous les mystiques décrivent à peu près le cheminement de la même manière, et c'est pourquoi personne ne pourra dire au jour du Jugement qu'il ne savait pas : les témoignages étaient tous livrés. Pour Isaac le Syrien la purification du coeur est un stade très supérieur de sainteté aux luttes psychiques ordinaires du chrétien pour accéder à la vertu qui restent au niveau de l'intellect et de la contrainte. A ce niveau de purification toute l'âme est embrasée d'amour, mais cela passe par une ascèse très dure, une crucifixion complète de la chair, et une rupture totale avec le monde.

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Les spirales descendantes de Lamartine

5 Août 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

J'entendais hier Henri Guillemin dans la vidéo de 1959  ci-dessous expliquer en quoi Lamartine lui semblait être un homme "de bonne volonté". C'est peut-être vrai sur le plan moral, mais sur le plan spirituel je suis surtout frappé par le très faible ancrage en Dieu de toutes les élites littéraires de sa génération, lui y compris naturellement. On mesure à travers chacun des grands écrivains romantiques (leur "père" Chateaubriand y compris d'ailleurs) les ravages causés par la déchristianisation révolutionnaire. Dans les années 1930, l’abbé Claudius Grillet avait d'ailleurs montré comment le salon de Charles Nodier, bibliothécaire du roi Charles X où la plupart (Hugo, Vigny, Lamartine) se réunissaient sous la Restauration tous les samedis soir - le salon de l'Arsenal à Paris -, et qui fut une sorte de "rampe de lancement" pour eux, fonctionnait comme une sorte de société secrète avec ses rituels codés, où circulaient des forces spirituelles bien peu recommandables. Je crois qu'ils s'intoxiquaient ainsi de la sorte, ce qui les tirait vers les "cîmes du désespoir"  comme eût dit Cioran, et traînait leurs esprits vers la déréliction sans même qu'ils en aient conscience. L'orgueil intellectuel était pour beaucoup dans cette déchéance. Il est  dommage que Guillemin ne l'ait pas vu, peut-être parce qu'il était lui-même aussi victime de ce travers.

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Les Chrétiens face aux persécutions zoroastriennes

11 Juillet 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

Je travaille en ce moment sur le zoroastrisme, première religion à découvrir le monothéisme, l'existence du diable, la notion de salut individuel après un jugement post mortem, le paradis et l'enfer, la naissance d'un sauveur d'une vierge, un combat eschatologique avec un dragon à la fin des temps, l'avènement d'une nouvelle Terre après le jugement dernier en forme de purification finale. Toutes ces notions importées dans le judaïsme après la prise de Babylone par Cyrus et la mise en ordre du canon hébraïque par Esdras en tant que commis du roi des rois. Le christianisme tel que nous le connaissons n'aurait jamais vu le jour sans le zoroastrisme (pas plus d'ailleurs que le judaïsme pharisien). L'histoire des mages dans l'Evangile de Matthieu lui rend hommage. Les Chrétiens voient d'ailleurs dans le zoroastrisme une des manifestations premières de l'Esprit saint parmi les nations, comme Saint Paul la voyait dans l'annonce du Dieu inconnu aux Athéniens par Epiménide le Crétois.

Il n'empêche qu'un danger pour les Chrétiens en découvrant cette origine pourrait être de chercher de ce côté des sources d'inspirations "alternatives" dans le culte des éléments naturels que propose le zoroastrisme. Un antidote à ce risque est peut-être une méditation sur le récit Le Martyre de Péthion, Adurohrmazd et Anahid , écrit à la fin du Ve siècle ou au début du VIe (un récit qui voyagea beaucoup puisqu'on l'a même retrouvé dans l'oasis de Tourfan à l'Ouest de la Chine). Le livre raconte la conversion de quatre aristocrates zoroastriens (Péthion, Adurohrmazd et Anahid et Yazdin) en Perse sous le règne de Yazdgard II (438-457) - à la même époque en France Sainte Geneviève faisait des miracles sur les bords de la Seine. Ces quatre saints vivaient en ascètes sur une montagne, où ils furent enterrés. Le premier Yazdin mourut de mort naturelle, les autres furent exécutés par les autorités royales et abandonnés sur une montagne.

Richard E. Payne, de l'université de Californie, estime au vu des descriptions qu'il s'agit de la montagne de Bisutun où Darius avait laissé des sculptures et des inscriptions en souvenir de son règne. Dans une contribution à Etudes Syriaques n°13 de 2017, Payne affirme que  "l’auteur (de ce récit)  voulait  remplacer  les  rites  zoroastriens  qui  reliaient  les  communautés humaines, l’environnement naturel et un monde de dieux et de forces divines, par un rituel chrétien complexe, centré sur le culte des martyrs. " Face aux  rituel,  accompli  dans  des  paysages  naturels,  Le Martyre de Péthion, Adurohrmazd et Anahid présente les saints chrétiens comme des arbitres plus efficaces dans les relations des hommes avec leur environnement naturel et avec le cosmos. Les martyrs – contrairement aux prêtres zoroastriens– pouvaient contrôler les forces naturelles  sources  de  vie,  et  surtout  les  sources  d’eau  indispensables  à  l’agriculture de la région, qui dépend des pluies".

Payne, qui préfère ne retenir des échanges christiano-zoroastriens que les aspects les plus pacifiques, comme le veut la mode universitaire de notre époque, ne croit pas en l'authenticité du récit, alors pourtant que le règne de Yazdgard II qui était en guerre contre l'empire byzantin a accompli des persécutions (et il tenta à tout prix de convertir des Chrétiens, notamment en Arménie). Pour ma part, je retiens surtout de cette histoire la notion qu'une invocation des martyrs (ou la litanie des saints) remplace avantageusement des cérémonies champêtres.

Une version plus complète de l'histoire de Pethion-Adurhormizd-Anahid, explique Ani Honarchiansaky de l'université de Californie dans un mémoire de 2018, se retrouve dans les Actes des Martyrs perses. Dans le Vark’ew  Vkayanut’iwnk’  srboc’  hatentir k‘alealk‘  i  carentrac (Vie et passion des saints) arménien, il est précisé que le mage Mihryar, avait deux fils, Yazdin et Dadgushnasp. Alors que Yazdin était sur le point de recevoir son éducation zoroastrienne ancestrale (mogwtiun hayrenadur), il refusa d'obtempérer et se rendit plutôt dans une église d'une ville voisine où il demanda le baptême divin. Les membres de l'église qui connaissaient son père refusèrent de le baptiser, alors il se rendit dans une autre région, près d'une ville appelée Soulq, dans un monastère appelé Beth Sahde, et là il fut baptisé par un évêque nommé John. Il y reçut son éducation dans les Saintes Écritures et les Psaumes et était un fervent adepte du  jeûne et des prières. Après ces événements, il retourna dans sa ville natale et convertit son frère et son neveu Pethion, qu'il prit comme disciple. Des années plus tard, Yazdin mourut et Pethion guérit une jeune femme zoroastrienne qui ensuite se convertit au christianisme, ainsi que son père, un haut fonctionnaire mazdéen. Tous deux furent martyrisés et le cycle se termine par le martyre de Péthion. La version syriaque contient plus de détails sur la façon dont le père de Yazdin, Mihryar, a découvert la conversion de son fils, l'a sévèrement battu et l'a renvoyé à l'école zoroastrienne, dont Yazdin s'est de nouveau échappé. Après la mort de Mihryar, selon la version arménienne, Yazdin a revêtu son neveu Pethion d'un habit religieux, c'est-à-dire qu'il a fait de lui un moine. Ensemble, ils ont guéri de nombreux croyants du zoroastrisme. Après la mort de Yazdin, Pethion a emménagé dans la cellule de son professeur, s'est consacré à la vie ascétique et a suivi sa pratique de guérison. Le texte raconte ensuite leur martyre et l'accusation du grand mage contre Péthion, qui lui dit « Tu enseignes contre notre doctrine » et l'accuse d'être le chef des Nazaréens, un sorcier. Péthion soutient que son savoir est une connaissance divine, un guide et un chemin de vie. A plusieurs reprises Péthion est protégé de diverses tortures infligées par le mage, qui le fait tomber dans la rivière enchaîné , le fait passer par le feu et le jeter du haut d'une falaise, Péthion est finalement décapité.

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Encore un mot sur Doreen Virtue, et la question des énergies naturelles

26 Juin 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Pythagore-Isis, #Christianisme, #Médiums, #Histoire des idées

Beaucoup de gens viennent sur ce blog pour lire mon billet de 2018 sur la conversion de Doreen Virtue au christianisme. On comprend que cette conversion continue à susciter des réflexions chez les disciples zélés du New Age, notamment ceux qui ont comme elle des dons de médiumnité. Cette conversion est une belle histoire de renoncement, et même, devrait-on dire, de renoncements à répétition car, en épousant une forme de protestantisme toujours plus scripturaire, sur une base luthérienne, Doreen Virtue en est même venue à désavouer la vision de Jésus qui l'avait poussée à se convertir, au motif que Jésus, qui est au Ciel ne peut plus apparaître sur Terre sauf en tant que démon déguisé, ce qui est tout de même, me semble-t-il pousser un peu loin l'orthodoxie biblique (même si personnellement je ne suis pas très fan des visions et n'encouragerais pas mes lecteurs à cultiver le penchant pour les apparitions).

Pour ma part, si je trouve légitime la critique par cette prédicatrice américaine du "développement personnel"  (trop marqué par le luciférisme), ou du yoga (trop marqué par l'idiosyncrasie hindouiste, même dans ses versions occidentalisées), je suis plus sceptique sur son rejet de tout le potentiel énergétique humain et naturel: le fluide qui passe par les mains de certains, la lithothérapie etc. Il est dangereux de verser dans le luciférisme, la fantasme d'une émancipation humaine sans connexion à la transcendance du créateur, mais ne l'est-il pas tout autant de trop "rogner" ses talents naturels comme le fait la prédicatrice ?

J'écoutais hier soir une "YouTubeuse" comme on dit, E** d'E**e, sectatrice d'Isis, fille d'un radiesthésiste. Ses premières vidéos ne différaient en rien de celles de beaucoup d'autres magnétiseurs proposent : initiation au ressenti des énergies dans les mains, à la manière dont on peut faire passer l'énergie d'une main à l'autre, y compris en la faisant transiter par le plexus solaire. Il n'y avait là rien d'inquiétant, du moins en apparence. L'affaire se gâte ensuite quand la médium part dans des discours anti-chrétiens que j'ai moi-même bien connus chez les médiums que j'ai rencontrés, puis explique que notre destin est de nous réincarner indéfiniment, qu'il n'y a pas de mal à tenter d'acquérir des connaissances auprès d'entités invisibles, pourvu que cela n'aille point jusqu'aux pactes de sang... Surtout il ne faut pas, estime-t-elle, se sentir dépendant(e) d'un Dieu créateur, les religions sont mensongères etc. Bref on tombe alors dans le luciférisme le plus "décomplexé"... Inutile de trouver ensuite de ce côté là la moindre incitation à la charité, au sacrifice, ni la moindre philosophie de l'histoire susceptible de nous faire comprendre, par exemple, les parfums antéchristiques de l'époque actuelle (même si on peut lui reconnaître - sur Twitter - une salutaire méfiance à l'égard de l'establishment médical)...

La dame explique qu'elle a passé six années à refuser ses dons de magnétiseuse, et qu'elle en avait payé un prix élevé car cela l'avait coupée de tous ses amis... On peut se demander si c'est vraiment un mal d'être coupé de tout le monde. Les saints chrétiens n'ont-ils pas enduré des épreuves bien plus difficiles en terme d'isolement, d'humiliation etc ? Elle a finalement cédé aux injonctions de ces forces (sans doute héritées de  son père) qui l'ont poussée sur la voie de la magie. Etait-ce aussi inéluctable qu'elle le prétend ? Peut-être l'était-ce parce qu'elle n'avait aucun antécédent chrétien dans sa famille, ni des personnes susceptibles d'invoquer pour elle le "nom au dessus de tous les noms" qui l'eût libérée des stoicheia.

On comprend que Doreen Virtue ait voulu éviter cette pente dangereuse qui enchaîne l'âme à des entités très suspectes "déguisées en anges de lumière"... Après, il faut seulement se demander comment doser la chose... Est-ce que mettre un seul doigt dans le magnétisme et les "énergies subtiles", de nos jours, c'est nécessairement prendre le chemin de l'isiacisme ?

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Le projet "The Giant 2021"

22 Juin 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Publications et commentaires, #Christianisme, #Alchimie

Comme je l'expliquais dans mon livre "Néphilim, une lecture biblique de l'histoire des Géants " (L'Harmattan 2020) beaucoup redoutent que notre époque soit comme celle de Noé et que reviennent les Nephilim de la Bible.

Il semble que certains se fassent forts en ce moment de cautionner leurs craintes. Ainsi, la société irlandaise "The Giant Company" vient de lancer le projet "global" d'installer 21 statues de 35 mètres de haut dans 21 grandes villes du monde.  Chaque statue sera incrustée de millions de pixels LED adressables, ce qui lui permettra de prendre instantanément la forme de célébrités (Einstein, John Lennon, Beyoncé, Batman etc). 

Les bras et la tête du géant peuvent se déplacer dans diverses positions et les images des hommes et des femmes qui apparaissant sur la statue peuvent parler ou chanter. Les gens pourront aussi monter sur leurs épaules pour contempler la ville.

Projet attractif, instructif aux yeux de certains, ou participant à un conditionnement funeste pour d'autres. A vous d'en juger.

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