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Pageau, Buck, Horn et Putnam, Petit, De Witt, lectures diverses...
J'écoutais hier cette vidéo de l'orthodoxe américain Johnathan Pageau. L'exposé qu'il y fait est à double tranchant car en montrant combien l'orthodoxie cultive les mêmes symboles que l'occultisme (le double serpent, le "as above so below" etc) il cautionne tout à fait les théories des évangéliques (comme celle dont j'examine l'eschatologie dans mon dernier livre) selon lesquelles les Eglises catholique et orthodoxe sont de héritières de Babylone...
Et pourtant on peut se demander si des spiritualités sans symboles ne sont pas appauvrissantes et vouées à la stérilité. Je dialogue dans ma tête en ce moment avec le livre du catholique Roger Buck "Cor Jesu Sacratissum" dans lequel il fait l'éloge de l'ésotérisme chrétien de l'ex-anthroposophe Valentin Tomberg. Buck est un ancien gourou new-age de Cambridge. Les Méditations sur les 22 arcanes majeurs du Tarot l'ont sorti de son paganisme. Certains chrétiens diraient qu'ils ne l'en ont pas sorti complètement, mais après tout on peut en dire autant de chrétiens non hermétistes mais charismatiques mais charismatiques comme Jean-Luc Trachsel dont j'ai découvert d'existence le mois dernier. Le baptiste dispensationnaliste californien Gene Kim dans ses cours n'hésite pas à dire que les charismes étaient réservés aux apôtres et au peuple juif et que, puisque l'Eglise après l'accomplissement de la révélation biblique ne doit marcher que par la foi et par la Parole, les charismes sont forcément du diable. Allez savoir...
J'ai un peu laissé cette problématique de côté pour l'instant. De même qu'après mon échange avec un mien cousin sur les extra-terrestres pendant les vacances, j'ai aussi mis entre parenthèse la problématique de l'ufologie. J'avais pourtant bien avancé en août ma lecture d'Exo-Vaticana dans lequel Horn et Putnam se penchent sur le positionnement théologique du Vatican et sur l'observatoire international du mont Graham (Arizona) et son grand télescope binoculaire (LBT) équipé d'un système Lucifer. J'en suis resté à leur interview de Redfern qui reprenait les propos qu'il a recueillis en 2007 auprès de Ray Boeche, prêtre anglican ancien directeur du Mutual UFO Network, sur un groupe de hauts fonctionnaires qui souscrivent à l’idée que les Ovnis sont démoniaques, le "Collin Elite". Je trouve que la piste crowleysienne sur les Ovnis reste quand même très sérieuse, même si on ne peut jamais affirmer que tous les phénomènes d'enlèvement, de mutilation du bétail etc soient démoniaques.
J'en saurai plus quand j'aurai lu le bouquin de Jean-Pierre Petit sur les armes secrètes américaines et les Ovnis. Le rapport des services secrets aux Ovnis a l'air aussi étrange que celui qu'ils entretiennent à l'occultisme. Je ne sais pas ce que valent les thèses de Petit sur la matière noire, ni les rêves qu'il eus sur l'égyptologie mais il me semble injuste que la communauté scientifique refuse de débattre avec lui. Il existe une pétition ici à signer pour défendre le débat contradictoire autour de ses thèses. En tout cas il a le mérite de suivre de près ces phénomènes assez insaisissables qui de toute évidence embarrassent les pouvoirs en place.
Il faut être très prudent sur ces sujets. Et les grands savants ne sont pas forcément plus éclairés que les autres. En 2015, feu le polytechnicien Francis de Witt rappelait dans une interview que les grands inventeurs de la physique quantique - Bohr, Heisenberg, Schrodinger - ont tous fini dans le mysticisme asiatique. Dans cette interview il a aussi le mérite de pointer les rapports entre l'âme et l'affect, ce qui aide aussi à comprendre pourquoi les phénomènes paranormaux ont lieu dans les moments de crise psychologique (voir mon livre sur les médiums). Tomberg dit aussi la même chose dans sa défense de l'hermétisme chrétien quand il appelle à dépasser l'intellect par exemple dans l'hésychasme ou la récitation du rosaire. Le plus difficile est d'arriver à le faire sans s'égarer...
La défense de la dévotion au Sacré Coeur par Roger Buck
Kim Buck née d'un père méthodiste et d'une mère anglicane mais athées et qui d'ailleurs divorcèrent. Elle a mené une adolescence "rock'n roll et progressiste (ses amis étaient proches de Nick Cave, et Socialist Workers), a rencontré son mari Roger Buck à King's College (Cambridge) qui l'a initiée au New Age dans le cadre du Cambridge Centre. Son mari s'étant converti elle commence à découvrir les églises catholiques qu'elle trouve plus douces que les églises anglicanes. Puis en Suisse (en 1998) elle séjourne à l'abbaye d'Einsiedeln, où elle assiste à une messe. Ayant choisi de camper près du village de Brunnen dans son esprit païen parce qu'elle ne comprenait toujours pas le catholicisme de son mari, elle découvrit une petite chapelle, y tenta une méditation chamanique mais fut touchée mystiquement : elle pleura une demi-heure de plénitude et de repentance pour sa vie déréglée. Elle fut attirée par l'image de Jésus exposant son coeur. Cela l'initia à la dévotion au coeur de Jésus. Ainsi le Seigneur l'a amenée vers l'Eglise de Rome et la vie sacramentelle. Elle assiste à la messe (en latin) chaque jour, avec communion et confession fréquente. Elle s'est rendue 22 fois à Paray-le-Monial depuis 2006 (la chapelle où Jésus est apparue à Ste Marguerite-Marie Alacoque) qui a changé sa vie (voir épisode 4 des vidéos de son mari). En 2002 elle s'est mise à prier chaque jour le rosaire.
Son mari anglais qui a grandi aux Etats-Unis Roger Buck le 18 septembre 1997 (il avait près de 34 ans) eut une expérience mystique alors qu'il était responsable avec Kim d'un centre de formation New Age (Findhorn) à Cambridge. où il expérimentait la paix luciférienne (qu'il tirait de ses méditations, explique-t-il, le rendait distant à l'égard de tout le monde). Ce soir-là, il parlait avec sa compagne de son refus de s'engager dans le mariage avec elle. Il s'est alors levé en disant "j'ai l'impression d'être dans un nouveau monde". Il n'avait pas de vision mais une sensation de nouveauté radicale. A 22 h 57, il écrivit dans son journal "tonight with Kim I felt something that I have never felt before, I felt something that if I were ready to feel it, it would give me, so it felt, all I want so that by being filled by this, I would thirst no more. It felt as though the lack of this has been the source of all the longing and difficulties ans the fulfillment of this that I didn' know existed would be the end of all neurosis". Il sentait qu'il devait s'engager pour cette chose mystérieuse en lui qui pouvait le nourrir. Le lendemain il a demandé sa compagne en mariage ce qui était pour lui une façon de s'engager dans le monde. Fin octobre il allait écrire qu'il était un chrétien. Déjà fin août il avait trouvé un livre sur le catholicisme dans une librairie et avait ressenti le besoin de l'acheter. Par ailleurs un ami lui avait transmis le livre de Tomberg sur les arcanes du tarot. Ce livre n'a rien à voir avec la lecture des tarots, dit-il. Le livre de Tomberg l'aura aidé à devenir catholique dit-il.
Cotton Mather et le "Léviathan français"
On a déjà parlé sur ce blog du livre du pasteur Cotton Mather The Wonders of the invisible world / Les merveilles du monde invisible publié en 1693 en défense des procès de Salem. J'y trouve cette analyse intéressante à propos du roi de France (p. 35) :
"En ce qui concerne le nuage français qui plane sur l'Angleterre, bien qu'il ressemble à des averses de sang sur notre nation, où le sang du Jésus béni a été trop maltraité comme une chose non sainte ; je crois que le Seigneur malgré tout va bientôt le dissiper. Et ma croyance est fondée sur un fondement qui la soutient. Si ce Léviathan français surdimensionné devait accomplir quelque chose comme la conquête de l'Angleterre qu'y aurait-il pour l'empêcher de réaliser l'empire universel occidental ? Mais les visions du monde occidental dans les vues de Daniel et de Jean, nous assurent, que quel que soit le Monarque qui, tant que la papauté perdure, essaie d'avaler les dix rois qui ont reçu leur pouvoir à la chute de l'empire occidental, il doit échouer dans cette tentative. L'épitaphe du Phaeton français est écrit dans la parole sûre de la Prophétie !" (*)
On est alors quelques années seulement après les dragonades contre les Huguenots (auxquelles Mather fait aussi référence ailleurs dans son essai). Le régime de Louis XIV incarne alors aux yeux d'un protestant anglais ce qu'il y a de plus détestable. On voit à travers ce passage combien le projet versaillais d'imposer à Londres une monarchie catholique francophile (en réalité inféodée à la France) est pris très au sérieux. L'hypothèse de la disparition même de la souveraineté anglaise est envisagée et le royaume catholique français devient ainsi susceptible d'accéder à un imperium mondial, universel (on se souvient que deux siècles plus tard le groupe maçonnique de la Table Ronde proposera le même rôle à l'Empire britannique). Cet Etat est un Léviathan - un monstre aquatique diabolique - à même de faire pleuvoir une pluie de sang sur l'Angleterre en punition de ses péchés. Mais ce sera, assure Mather, un Phaeton (le fils du Soleil qui brûla son char dans la mythologie grecque). Les visions de la fin des temps du prophète Daniel et de l'Apocalypse de Jean démontrent que le Monarque qui tente d'absorber les dix rois qui ont prospéré sur les décombres de l'Empire romain d'Occident est voué à l'échec.
Voilà une application intéressante des prophéties bibliques à la situation politique d'une époque, comme il y en a encore aujourd'hui beaucoup dans l'univers protestant anglo-saxon.
Le pronostic de Mather sur la "dissipation du nuage français" allait se réaliser définitivement plus de cent ans plus tard à Waterloo...
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(*) As for the French Cloud which hangs over England, tho’ it be like to Rain Showers of Blood upon a Nation, where the Blood of the Blessed Jesus, has been too much treated, as anUnholy Thing; yet I believe, God will shortly scatter it: and my Belief is grounded upon a Bottom, that will bear it. If that overgrown French Leviathan, should accomplish any thing like a Conquest of England, what could there be to hinder him from the Universal Empire of the West? But the Visions of the Western World, in the Views both of Daniel and of John, do assure us, that whatever Monarch, shall while the Papacy continues, go to swallow up the Ten Kings which received Their Power upon the Fall of the Western Empire, he must miscarry in the Attempt. The French Phaetons Epitaph seems written in that, Sure Word of Prophecy !
L'homme qui fit cesser les procès pour sorcellerie en Allemagne
Il s'agit de Frédéric Spee (1591-1635), jésuite d'un couvent de Cologne (siège de l'Inquisition) fréquemment appelé à conduire des condamnés au bûcher (cf Cours d'histoire des Etats européens) - Extrait de La Revue judiciaire du Midi de 1867 - Aperçus historiques et critiques sur la vie et les travaux de Jean Bodin, sur sa domonomanie des sorciers et sur les procès pour sorcellerie au XVIe et au XVIIe siècle suite et fin de Victor Molinier, professeur de droit criminel à la Faculté de Toulouse p. 32-33 :
"En Allemagne, un livre qui produisit une sensation profonde , et qui contribua beaucoup à calmer cette ardeur des juges pour ces poursuites (contre les sorciers).
Ce livre ne fut pas l'œuvre d'un philosophe libre penseur : il fut fait par un jésuite, et il n'en eut que plus d'autorité. Il y avait alors dans l'Allemagne un bon prêtre que les populations, au sein desquelles il vivait, chérissaient, parce qu'il leur était sympathique, et parce qu'il s'efforçait de soulager les misères. Ce prêtre philanthrope appartenait à une noble famille, et avait pris, en entrant en religion, le nom de Frédéric Spée. Il avait, en exerçant son ministère, eu l'occasion d'assister dans leurs derniers moments un grand nombre de prétendues sorcières, car le crime de sorcellerie donnait lieu à des poursuites très-nombreuses en Allemagne, tant dans les pays catholiques que dans les pays protestants. Ces malheureuses femmes lui parlaient, à lui, avec sincérité, et parvenaient à le convaincre de leur innocence. « J'affirme, » dit-il, sous serment, n'avoir pas accompagné au bûcher une seule de ces femmes, dont je pus attester prudemment qu'elle fût coupable : autant m'en ont déclaré deux théologiens très-consciencieux, et pourtant j'ai employé tous mes soins à reconnaître la vérité (2).» Spée, ainsi ému par le spectacle des boucheries judiciaires dont il était le témoin, prit la plume pour exprimer avec un noble courage ses convictions. Il n'entreprit pas de contester ouvertement la possibilité de la magie; sa position ne lui permettait pas d'aller jusque-là. Il se borna à démontrer que les jugements qu'on rendait n'étaient basés que sur des faussetés, ,et que le mode de procédure qu'on employait était à la fois barbare et vicieux. « Qu'on me donne, disait-il dans » son livre, le pouvoir illimité qu'ont les juges, de jeter les gens en prison , de les appliquer à » la torture, de n'avoir aucun égard à leurs moyens de justification et de répandre des rumeurs » pour ensuite en tirer profit, et je me fais fort de convaincre de sorcellerie nos juges d'Allemagne. » Cette voix, qui était celle du bon sens, fut écoutée. Leibnitz rapporte dans ses Essais de Théodicée, où il donne à Spée de justes éloges, que l'évêque de Mayence, le duc de Brunswick et la plupart de princes allemands, auxquels son livre parvint, firent cesser, dans leurs États, les poursuites pour crime de magie"
Vient de paraître "Le Complotisme protestant contemporain" de Christophe Colera
Chez l'Harmattan. Un livre qui parle de la lecture que fait l'eschatologie (l'étude de la fin des temps) protestante des Mérovingien, des Templiers, et des Illuminati.
Vous pouvez le commander à l'éditeur ici.
Fénelon et les visions de Mme Guyon
J'ai fait allusion en mars dernier au quiétisme dans un billet à propos d'un prédicateur protestant provençal. Le quiétisme est une doctrine mystique consistant en un itinéraire spirituel de « cheminement vers Dieu » caractérisée par une grande passivité spirituelle vis-à-vis de Dieu. Née en Espagne, elle fut relancée par Mme Guyon, laquelle fut condamnée par Bossuet (évêque de Meaux et aumônier à la cour de Versailles) et le pape tandis qu'il était reproché (à partir de 1695) à son ami Fénelon (évêque de Cambrai et précepteur des fils du roi) de ne pas condamner assez fermement le quiétisme. Celui de Mme Guyon avait pour particularité de défendre que tout un chacun, et non pas des natures élues, pouvait par l'oraison du coeur (par la méditation chrétienne ou par la lecture) entrer en union avec Dieu (ce qui n'est pas très éloigné des croyances du yoga, et des sagesses orientales, mais on voit bien quel potentiel luciférien cela recèle).
Comme le résumait l'écrivain Paul Janet au XIXe siècle, dans la méthode de Mme Guyon pour atteindre Dieu : "Il faut que les chrétiens apprennent cette vérité fondamentale que le royaume de Dieu est au dedans de nous. Qu'ils disent leur Pater en pensant que Dieu est au dedans d'eux. Après avoir prononcé ce mot de Père, qu'ils demeurent quelques moments en silence avec beaucoup de respect. Ils ne doivent point se surcharger d'une quantité excessive de Pater et de prières vocales. C'est là le premier degré de l'oraison; le second est l'oraison de simplicité Ou de repos. Aussitôt qu'on a senti un petit goût de la présence de Dieu, il faut en demeurer là sans passer outre; il faut souffler doucement le feu et, lorsqu'il est allumé, cesser de souffler. Il faut y porter un amour pur et sans intérêt. Il ne faut pas se tourmenter des sécheresses. On croit marquer mieux son amour en cherchant Dieu avec sa tête et à force d'actions. Non; il faut qu'avec une patience amoureuse, un regard abaissé et humilié, un silence respectueux, nous attendions le retour du bien-aimé. C'est ici que commence l'abandon ou donation de soi-même à Dieu. Il faut renoncer à toutes les inclinations particulières, quelque bonnes qu'elles paraissent pour se mettre dans l'indifférence, soit pour l'âme, soit pour le corps, soit pour les biens temporels et éternels."
C'était une version édulcorée de ce que l'espagnol Molinos, fondateur du premier quiétisme, avait prôné : l'abandon de toute réflexion, de toute oeuvre et de toute recherche du salut dans la réception passive de la volonté de Dieu, au point qu'on peut laisser son corps au démon sans que l'âme puisse en être atteinte.
Je lisais tantôt justement la réponse de Fénelon à Bossuet sur ce sujet ("Réponse de M. l'archevêque de Cambray [Fénelon] à l'écrit de M. l'évêque de Meaux, intitulé : "Relation sur le quiétisme" "). Il y explique longuement que Mme de Guyon avait toujours déployé une spiritualité irréprochable, au point que Bossuet lui-même n'avait cessé de lui administrer les sacrements après avoir obtenu sa rétractation sur certains points, et que par contre il n'avait jamais connu le fond véritable des visions de cette mystique.
"Madame Guyon, écrit-il, m'avoit dit plusieurs fois qu'elle avoit de temps en temps certaines impressIons mommentanées , qui lui paraissoient dans le moment même des communications extraordinaires de Dieu, & dont il ne lui restoit aucune trace le moment d'après , mais qui lui paraissaient alors au contraire comme des songes. Elle ajoutoit qu'elle ne savoit si c'étoit ou imagination , ou illusion , ou , vérité, qu'elle n'en faisoit aucun cas , que suivant la régie du bienheureux Jean de la Croix elle demeuroit dans la voie obscure de la pure foi , ne s'arrêtant jamais volontairement à aucune de ces choses , qu'elle croyoit que Dieu permettoit qu'on y fut trompé, dès qu'on s'y arrêtoit, & qu'elle n'en avoit jamais parlé ni écrit que pour obéir à son Directeur. La bonne opinion que j'avois de sa sincerité me fit croire qu'elle me parloit sincerement , & je crûs qu'elle pouvoit être tres fidelle à la grâce au mi.lieu même d'une illusion involontaire , à laquelle elle m'assuroit qu'elle n'adheroit point. Loin d'être curieux sur le détail de ces choses, je crûs que le meilleur pour elle étoit de les laisser tomber , sans y faire aucune attention. "
Il compare les visions de Mme Guyon à celles que Satan procura à Ste Catherine de Boulogne pendant trois ans en se déguisant en Jésus et en Marie, selon le catéchisme du P. Burin, ce à quoi ledit catéchisme prônait pour remède l'obéissance à la Sainte Eglise, qui est exactement le parti que Mme Guyon disait avoir pris.
Fénelon témoigne qu'en 1696 il lui fut reproché de n'avoir pas déclaré que Mme Guyon "était ou folle ou méchante puisqu'elle se croyait la pierre angulaire, la femme de l'Apocalypse & l'Epouse au dessus de la mère de Jésus-Christ, & qu'elle croyait former une petite Eglise", et qu'il avait alors répondu que Mme Guyon avait dû mal d'exprimer ou être mal comprise. En réalité ce genre d'extravagance figurait bien dans les manuscrits de la visionnaire, mais Fénelon n'avait pas pris la peine de les lire, et il retournait l'accusation à nouveau contre Bossuet en demandant pourquoi lui qui les avait lus avait continué à donner les sacrements à la mystique.
Selon Fénelon, c'est lui est qui est visé par la polémique et non Mme Guyon : "Une femme ignorante & sans credit par elle meme ne pouvoit faire serieusement peur à personne. Il n'y avoit qu'à la faire taire & qu'à l'obliger de se retirer dans quelque solitude éloignée où elle ne se mêlât point de diriger. Il n'y avoit qu'à supprimer ses livres , & tout étoit fini. C'étoit l'expedient que j'avois d'abord proposé ; mais on le regarda comme un tour artificieux pour sauver cette femme, & pour éviter qu'on ne découvrit le fonds de sa pretendue secte. J'étois déjà suspect & je le fus encore d'avantage : après avoir proposé cet avis. Madame Guyon n'êtoit rien toute seule. Mais c'étoit moi que M. de Meaux (Bossuet) craignoit. "
Fénelon dit s'être reporté aux ascètes anciens - St Clément d'Alexandrie, St Grégoire de Nazianze - et plus récents comme Jan Van Ruysbroeck, Harphius, Jean Tauler, Ste Thérèse d'Avila, St Jean de la Croix, Balthazar Alvarez, St François de ales ou Madame de Chantal pour montrer qu'il y a souvent des bizarreries dans les visions des mystiques sans que cela en fasse forcément des hérétiques aux yeux de l'Eglise.
Pour Fénelon, le fond du problème est la méfiance de Bossuet à l'égard de la recherche de la béatitude en général qui, du coup, le met en porte à faux aussi avec l'enseignement de St Paul, et de beaucoup d'autres saints. Et d'ailleurs Bossuet lui-même reconnaît dans la controverse que c'est le point décisif.
Concernant la réception passive de la béatitude, Fénelon précise qu'on a exagéré sa position : "Quoi que j'eusse nommé les actes faits dans l'état passif des actes inspirés, je declarois que je n'entendois par cette inspiration que celle de la grâce gratifiante qui est plus forte dans les ames parfaites & passives que dans les imparfaites & actives."
Il ajoute p. 36 qu'il existe un sens du livre indépendant de ce que son auteur a mis en lui (la distinction d'Umberto Eco entre intentio auctoris et intentio operis). Là distinction est d'importance, car l'enjeu est de savoir si Mme Guyon était digne d'être physiquement brûlée comme Jeanne d'Arc ou pas (la question est posée en toutes lettres) et si Bossuet ou Fénelon ont méconnu leur office de prélats en ayant une attitude trop ferme ou trop modérée sur cette question. Fénelon estime qu'il a eu raison de continuer à Mme Guyon de bons sentiments indépendamment du caractère odieux de ses textes.
Fénelon n'est pas équivoque dans sa condamnation du livre, mais il semble que Bossuet lui ait fait le reproche d'en soutenir certaines hérésies. Le débat tourne alors moins autour de ce que Mme Guyon écrivait que sur certains thèmes généraux auxquels son propos de rattache. A commencer par la question des savoir s'il faut, par moment, ne point trop rechercher la vertu pour ne pas en tirer d'orgueil en la considérant comme un bien qu'on peut acquérir indépendamment de la grâce divine. C'est une idée que Fénelon défend en se réclamant de St François de Sales et d'Alvarez. De même Fénelon croit qu'il faut aimer Dieu "de pure bienveillance... indépendamment du motif de la béatitude" (la béatitude surnaturelle que Dieu ne nous doit pas). Cela n'implique pas qu'il ait été le "Montan d'une nouvelle Priscille", car l'amour gratuit de Dieu est pour lui propre à tous les saints, et n'implique pas un renoncement au salut comme chez les quiétistes.
Ce fascicule est intéressant parce qu'il montre la monstruosité des expériences qui sous-tendent des doctrines erronées (surtout à une époque où les gens avaient facilement des visions - voyez mon billet sur Jacqueline-Aimée Brohon, et l'écho trois siècles plus tôt chez Constance de Rabastens), monstruosité qui n'interdit pas par elle-même l'accès institutionnel à la sainteté catholique comme le montre ce cas étonnant de Ste Catherine de Bologne convaincue elle-même d'avoir été trompée pendant trois ans par le diable...
L'affaire est intéressante aussi sur le rapport de l'intellectuel au visionnaire, l'impact des visions sur le débat rationnel. C'est un point important qu'on retrouve dans divers milieux spirituels. Beaucoup se demandent évidemment ce qu'il faut "faire" des visions des voyant(e)s dans le milieu New Age, dans le bouddhisme, mais aussi au sein du christianisme : dans le protestantisme que valent les vision du mage Swedenborg, ou celles aujourd'hui d'un Allan Rich ou de Sadhu Sundar Selvaraj ? Quid en milieu catholique de Soeur Catherine Emmerich ou de Marthe Robin ? Par delà la question d' "éprouver les Esprits" comme dit Saint Paul, il y a celle de la place à accorder aux charismes comme les dons de vision, ou les dons de guérison, à côté du débat d'idée proprement dit bordé par la valeur dogmatique des Saintes Ecritures. C'est une problématique qui est aussi très présente chez Gougenot des Mousseaux au XIXe siècle dont j'ai parlé sur ce blog en 2015.
La question de savoir comment appréhender les visionnaire (ou ceux qui ont des inspirations "bizarres"),, jusqu'à quel point il faut dissocier le discours qu'ils produisent de leur personnalité intime est aussi d'actualité.
Fénelon se montre dans cette affaire plus souple de caractère que Bossuet. C'est peut-être plus affaire de psychologie que de doctrine. Voltaire eut l'occasion de souligner plaisamment l'effet de contraste à ce sujet en disant que si Bossuet était "l'aigle de Meaux", Fénelon était "le cygne de Cambrai".
Mme de Maintenon, la favorite de Louis XIV, a estimé que Dieu avait voulu humilier Fénelon qui avait trop confiance en son génie en le soumettant à l'épreuve de la controverse autour de Mme Guyon. Comme le rappelle Janet, la polémique était pourtant partie sur une base assez saine, Fénelon ayant lui-même incité Mme de Guyon à envoyer son manuscrit à Bossuet pour validation. Bossuet connaissait mal les mystiques. Des évêques avaient tenu en 1696 des conférences à Issy, pour poser les principes de l'Eglise sur les sujets controversé, Mme Guyon les avait acceptés et toute la difficulté est venue, selon Janet, de ce que les commissaires s'étaient engagés à publier, chacun de leur côté, un commentaire des articles votés. "C'est de cette promesse que sortirent les deux livres qu'a produits cette controverse : L' Introduction sur les états d'oraison, de Bossuet, et l'Explication des Maximes des Saints, de Fénelon. De là vint le mal. On voulut s'expliquer, et dès lors on ne s'entendit plus".
Le noeud du refus de Fénelon d'approuver l'ouvrage de Bossuet tient au fait qu'il trouvait que Bossuet allait trop loin dans sa proscription de la mysticité (c'est ce qu'on a vu plus haut sur la question de la béatitude).
La retenue plaintive qu'on sent dans le texte de Fénelon n'aura pas atténué le fiel qui finit par se répandre et lui coûta finalement son siège d'archevêque (alors pourtant qu'au départ le pape lui était plus favorable qu'au très gallican Bossuet). Janet pense que Fénelon n'a jamais vraiment été intéressé par le quiétisme et que cela se sent dans le côté terne de son "Explication des Maximes des Saints" qui tranche avec la beauté de ses autres livres et avec le côté coloré des textes de Mme Guyon. Il avait eu le tort de ne pas suffisamment prévenir les égarements imaginaires de son amie mystique, mais il avait eu raison ensuite de vouloir défendre sa thèse selon laquelle on doit aimer Dieu indépendamment de la recherche du salut (d'ailleurs le collège papal sur son compte rendit un jugement mitigé). Mais il avait abordé la question d'un point de vue trop "pur", pas assez pratique...
Comme le dit Janet, il faut avoir beaucoup de théologie pour savoir qui avait vraiment raison dans cette controverse. En tout cas le style de ce débat fait réfléchir. Il manifeste à la fois un côté très affectif parfaitement assumé - l'un et l'autre dans leurs échanges n'ont pas hésité à décrire leurs sentiments au vu et au su de tous, comme si cela cautionnait leur sincérité - et en même temps une sorte d'obligation de douceur et de bienveillance qui fait que chacun doit afficher ses bonnes intentions à l'égard de l'autre, et de l'avenir de la communauté chrétienne (l'Eglise, le royaume de France), et montrer en toute humilité que c'est l'autre qui verse dans l'excès et l'injustice sans jamais se laisser aller soi même à l'invective. Il s'agit là d'un impératif lié au catholicisme qui donne à la controverse une tonalité très différente du côté hargneux des débats intellectuels à partir du siècle des Lumières et jusqu'à nos jours. Il est vrai que les prélats étaient très proches, évoluant dans les mêmes cercles de pouvoir, dans les mêmes lieux, auprès des mêmes personnes, et partageant une culture commune. Cette proximité rend le niveau d'argumentation d'autant plus intéressant : ce n'est pas un dialogue de sourds, mais l'équivalent d'un dialogue intérieur qu'un chrétien pourrait avoir avec lui-même. Sur la forme on sent quand même une tension permanente entre le devoir d'humilité et de douceur qu'impose le christianisme et la "libido dominandi" qui résulte de l'habitus intellectuel de prouver qu'on est dans le vrai, d'autant que l'enjeu en termes de statut social est énorme.
A titre personnel j'en retire plutôt l'impression que la notion de "débat intellectuel chrétien" est une contradiction dans les termes. Pourtant elle était imposée aux protagonistes (Bossuet et Fénelon) par les autorités épiscopales elles-mêmes puisque leur débat a été porté jusque devant le pape. L'Eglise a besoin des débats pour clarifier ses idées, et pourtant ces débats sont totalement destructeurs. La même chose se constate dans le giron protestant - je pense au constat du catholique anglais Hilaire Belloc au début du Xe siècle sur l'émiettement des églises protestantes sur les questions dogmatiques qui lui faisait pronostiquer la fin prochaine de ce courant... Le christianisme a besoin du "logos" pour ne pas sombrer dans les égarements charismatiques, celui de l'intellect, mais pas de l'intellectualisme...
La portée eschatologique du Wesak des théosophes
Dans mon livre sur les médiums je m'étais demandé d'où venait la popularité en Occident de la lune de Wesak. En fait, l'origine est à chercher du côté de la Théosophie. Voyez ce qu'en disait dans la revue Astrosophie de mai 1936 (une revue basée à Nice), p. 216, Florence Yoder Wilson (une occultiste spécialiste de la broderie et du costume, on reviendra un jour sur le rapport entre vêtement, mode et sorcellerie).
"Le mot Wesak est le nom d'un des mois du calendrier Bouddhiste, et c'est à la pleine lune de ce mois — selon la Tradition — que le Bouddha donne sa bénédiction à Ses disciples et Ses serviteurs sur Terre. Depuis trois ans, un mouvement occidental a travaillé (1) pour rendre spécialement importants la bénédiction de Wesak". La note de bas de page renvoie au Lucis Trust basé au 26 rue Beauséjour à Lausanne, il s'agit de l'ex Lucifer Trust d'Alice Bailey, disciple d'H. Blavatsky, qui est encore actif au sein de l'ONU aujourd'hui.
Wilson expliquait que la vallée de Wesak était près de Shigatse au Tibet, dominée par l'Everest et que des milliers de pèlerins s'y rendaient en rang serré pour la pleine lune de mai-juin pour méditer et voir l'apparition de l'ombre de Bouddha.
L'occultiste François Brousse (1913-1995) a évoqué dans une conférence à Paris le 24 juin 1987 celle du 7 mai 1939 qui s'était tenue au niveau international pour éviter la seconde guerre mondiale (cf le livre "François Brousse, enlumineur des mondes" eds Danicel Productions de Jean-Pierre Wenger de 2005). Selon lui, elle aurait contribué à ce qu'il y ait une "drôle de guerre" (une guerre larvée) pendant quelques mois, et n'est pas pour rien dans la capitulation allemande le 7 mai 1945 à Reims. Brousse a affirmé que cette fête "est en réalité doublée d'un rassemblement d'initiés maîtrisant le dédoublement", elle est "la grande nuit divine qui célèbre l'anniversaire" de Bouddha.
Dans les années 2000, un partisan du Wesak sur Internet expliquait plus en détail l'inspiration de Bailey autour de cette fête :
"À l’époque où elle militait encore dans les rangs de l’Église anglicane en tant qu’évangéliste et où le Bouddhisme n’était encore considéré par l’immense majorité des Occidentaux que comme un culte païen et idolâtre, la grande Alice Bailey révéla un jour à son entourage qu’à deux reprises, à sept ans d’intervalle, elle avait participé en rêve à une étrange cérémonie. Les événements enregistrés dans sa mémoire étaient si nets et si précis et les détails chaque fois tellement identiques qu’il lui était impossible de ne voir dans la répétition de ces deux rêves qu’une simple réminiscence de son imaginaire.
En lisant, vingt années plus tard, une description de la Fête du Wesak, elle réalisa que c’était bien là, dans cette petite vallée tibétaine en forme de bouteille, surmontée au nord par une large roche plate et enchâssée dans un écrin de hautes montagnes, qu’elle s’était rendue, participant par deux fois activement à la cérémonie, mais sans en garder la conscience à l’état de veille, ce qui veut dire qu’elle avait voyagé en état de dédoublement.
Par la suite, il lui fut donné de rencontrer différentes personnes qui avaient fait exactement le même rêve, au cours duquel elles s’étaient elles-mêmes rendu dans la même vallée, y avaient rencontré les mêmes Êtres nimbés de Lumière et y avaient assisté à leur côté au même rituel à la fin duquel le Seigneur Bouddha se manifestait puis se matérialisait avant de transmettre sa bénédiction à tous les participants et bien au-delà, à l’ensemble des habitants de notre planète. On ne pouvait dès lors plus parler de « hasard » ni de « coïncidence ». Il y avait certainement là matière à témoigner de la réalité d’un fait, même si celui-ci s’était produit sur un autre plan de conscience.
Et on connaît la suite… La cérémonie du Wesak est peu à peu devenue l’un des piliers de l’enseignement théosophique et par-delà, une grande Fête reconnue et célébrée par de très nombreux mouvements spirituels sur toute la surface de notre planète. "
Le premier Wesak occidental en public a été organisé à Turin en 1981 par Antonio Amerio, et la tradition se perpétue depuis lors dans cette ville.
Apparemment de nos jours c'est aussi une grande fête au Sri Lanka, comme dans les autres pays bouddhistes. Dans cette île certains bouddhistes locaux tentent même de convaincre les chrétiens d'y participer pour fusionner Bouddha et Jésus comme dans la théosophie. En juin 2016, le cardinal Jean Louis Tauran alors président du conseil pontifical pour le dialogue inter-religieux adressait pour la fête d'Wesak un message du Vatican (le pape venait de se rallier à la Cop21 avec les encouragements de divers grands financiers internationaux) aux bouddhistes du monde entier qui précisait : "Il est urgent que les adeptes de toutes les religions transcendent leurs frontières et s'unissent pour bâtir un ordre social écologiquement responsable fondé sur des valeurs partagées. Dans les pays où bouddhistes et chrétiens vivent et travaillent côte à côte, nous pouvons la durabilité de la planète par le biais de programmes éducatifs communs visant à sensibiliser davantage à l’environnement et à promouvoir des initiatives communes ".
Selon un chrétien qui y aurait assisté, le directeur de la Maison de la Théosophie Bill Lambert dans un séminaire prophétique "Possible and probable events in the future" à Boston du 18 août 1991 (notes retranscrites en français ici) avait annoncé que la combinaison de la fête de Wesak, de la fête de la Bonne volonté et de Pâques permettrait de faire advenir le "nouvel ordre mondial", et admis que le pape catholique serait qualifié pour recevoir les "énergies christiques" de ce Nouvel ordre, ce qui, pour les adeptes d'une lecture littérale de la Bible, associe ces trois fêtes et le pape à la venue de l'Antéchrist. Le Lucis Trust sur cette page insiste en tout cas effectivement sur la combinaison de ces trois fêtes : Pâques (pleine lune du Bélier), la Fête de Wesak (à la pleine lune du Taureau) et la Fête de la Bonne Volonté (à la pleine lune des Gémeaux). Le 15 décembre 1999, lors de la 54ème conférence de l'Assemblée générale des Nations Unies, après avoir examiné l'ordre du jour 174 du programme, celle-ci, à l'initiative du Sri Lanka, a reconnu la journée du Vesak/Wesak et prévu sa célébration annuelle à New York et dans ses bureaux régionaux. L'idée serait venue (mais comment est-elle née ?) du ministre des affaires étrangères srilankais de l'époque, Lakshman Kadirgamar. Celui-ci, avocat "progressiste", né dans une famille tamoule chrétienne selon Wikipedia (il fut assassiné par les Tigres de l'Elan Tamoul en 2005) avait été directeur du Bureau pour l'Asie et le Pacifique à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI/WIPO) qui lui a récemment rendu hommage à Genève. En 2003 il avait été candidat au secrétariat général du Commonwealth. Son initiative est expliquée par son universalisme...
Cette année la Journée de Vesak/Wesak des Nations Unies (ONU) a débuté dans la province de Ha Nam, dans le nord du Vietnam, avec la participation de plus de 1 650 délégués internationaux venus de plus de 100 pays et régions.C'est la troisième fois que la commémoration de Vesak par l'ONU a lieu dans ce pays.
La philosophie grecque du point de vue de l'eschatologie biblique
Je m'interrogeais dans un billet d'hier sur l'intérêt du combat de St Jean de la Croix du point de vue de la science de la fin des temps.
On peut formuler la même question à propos de la philosophie grecque.
Beaucoup d'hérétiques en ce moment comme Jean-Marc Thobois ou Jacques Colant en France (ou les adventistes du 7e jour aux Etats-Unis) se plaisent à retraduire l'Evangile en hébreux (par là je ne veux pas dire que tout l'évangélisme est hérétique, mais celui qui opère cette régression hébraïsante à l'évidence l'est, d'autant qu'elle se place explicitement au service du projet antéchristique de construction du troisième temple). C'est un contre-sens. Si le Nouveau Testament est révélé en grec, cela faisait partie à l'évidence du plan de Dieu. On ne peut pas troquer une langue sacrée pour une autre sans déformer délibérément la nature-même de la révélation (ce qui est évidemment très grave).
J'approuve le philosophe américain E. Michael Jones quand il dit qu'il faut prendre très au sérieux le fait que St Jean présente le Christ comme le Logos de Dieu - Au principe était le Logos/verbe, et le Logos/verbe s'est fait chair - avec toute la charge philosophique que comprend ce terme (le logos est savoir, science et ordre).
L'héritage du geste de la philosophie grecque est explicitement assumé par St Paul dans les Actes des apôtres au moment de sa célèbre comparution devant un Aréopage d'Athènes pétri du souffle socratique (Actes 17:16-34). Le point le plus précis de cette acceptation de l'héritage se repère dans l'éloge que l'apôtre fait du culte rendu par les Athéniens au Dieu inconnu. On lit dans Plutarque et dans Dion Cassius que ce dieu a été introduit à Athènes par le crétois Epiménide, un des sept sages de la tradition hellénique, qui sauva Athènes de la peste à l'instigation de la Pythie de Delphes. Or Paul montre sa connaissance parfaite d'Epiménide dans l'Epitre à Tite où il cite l'aphorisme de ce sage "Tous les Crétois sont des menteurs" en présentant Epiménide comme un prophète (en usant exactement du même mot que pour les prophètes d'Israël). Epiménide est un prophète parce qu'il a annoncé le Dieu inconnu qui, révèle Paul, était en fait le Dieu d'Israël. Le missionnaire protestant Don Richardson a écrit des lignes inspirées à ce sujet.
Paul connaissait les philosophies grecques et l'on ne peut considérer comme un hasard le fait que Dieu ait choisi pour fonder l'Eglise chez les Gentils un Pharisien de la diaspora instruit et très au faite de la culture païenne puisqu'il a grandi dans une ville commerçante, Tarse, où de brillantes écoles philosophiques s'étaient développées.
Comme l'Eglise chrétienne l'a très tôt admis, cela ne pouvait faire prévaloir la philosophie grecque sur la révélation, mais incitait à y voir un avant-goût de cette révélation voire une source d'éclaircissement sur certains points obscurs.
Point toute la philosophie grecque du reste - c'est pourquoi j'ai parlé de son "geste". Il me semble que le stoïcisme a peu à voir avec le christianisme. Son idéal de maîtrise de soi ne lui est pas propre - il traverse peu ou prou toute la philosophie sauf chez les matérialistes, les sensualistes et les cyniques. En revanche sa foi en une sympathie universelle dans la recherche de l'unité naturelle ouvre la porte, comme le bouddhisme, à la communion avec les forces démoniaques. De même l'épicurisme qui, comme l'a montré Renée Koch-Piettre visait à créer aux marges de la société une sorte d'église nourrie du fantasme de la divinisation de soi-même, ce qui est, par essence, luciférien.
A n'en pas douter ce qui dans le geste philosophique annonce le mieux le christianisme c'est le platonisme. St Augustin disait que par Platon il a compris ce qu'était le monde spirituel, beaucoup mieux que par le manichéisme qui avait été sa passion initiale mais qui d'après lui ne permettait pas de saisir ce qu'est l'Esprit. Il est vrai qu'avec sa définition des Idées, le platonisme ouvre la voie à une recherche de la transcendance radicale, articulée à une raison compatible avec l'incarnation du Christ - l'événement de l'incarnation du Verbe vient valider a posteriori, sous certaines conditions (notamment celle de la soumission à ses commandements, et donc celle de l'humilité) la prétention de l'être humain à participer d'une raison divine.
Cela n'ôte rien à la validité de la prophétie d'Esaïe 55:8 "Mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes voies ne sont pas vos voies" (car même en sa rationalité Dieu nous reste au moins en partie complètement inaccessible) mais interdit en tout cas, comme l'a noté E Michael Jones notamment, d'imaginer un Dieu qui n'obéirait pas à ses propres règles (sans en être cependant esclave) et un règne de la volonté qui vouerait le monde au chaos.
Reste la question de l'aristotélisme qui fait descendre la perfection du ciel des idées vers la finalité même des choses. Il y a sans doute des arguments théologiques pour s'en inspirer, mais je me méfie quand même quand on voit, comme le soulignait récemment un auteur, que les prémices de la scolastique musulmane ont jugé utile d'importer l'aristotélisme musulman à cause de ses succès dans des domaines aussi suspects que l'astrologie judiciaire...
En revanche je crois que de la philosophie moderne le christianisme, dans son positionnement devant les temps de la fin, n'a rien à retirer. Descartes est "inutile et incertain" comme disait Pascal. La subjectivisation de la réalité du monde par les empiristes et par Berkeley ou Kant est une hérésie. De même le panthéisme de Spinoza, l'immanentisme de Hegel qui reconnaissait lui-même sa dette à l'égard du médium Jakob Bohme, et toutes les philosophies de la volonté à partir du romantisme allemand et de Schopenhauer qui sont en réalité des formes de nihilisme. L'existentialisme est un luciférisme. Quant à la phénoménologie, quand je lisais il y a peu qu'un prélat avait dit que le pape Jean Paul II croyait en Medjugorje parce qu'il était phénoménologue, je me dis que dans ces conditions il vaut mieux ne jamais avoir lu Husserl...