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Articles avec #histoire des idees tag

Madame Bruyère et la lactation

4 Avril 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Histoire secrète

L'allaitement de Jésus par la Sainte Vierge dans un tableau de Rubens ("L'adoration des Bergers") m'a rappelé la lactation de Saint Bernard dont je vous avais parlé en 2015 et qui m'étonne depuis que je l'ai vue dans les années 1990 représentée par Cano au musée du Prado à Madrid.

Comme j'évoquais par mail le sujet avec un ami le weekend dernier, celui-ci me faisait remarquer qu'au XIXe siècle l'abbé Albert Houtin (1867-1926) avait écrit sur le rapport très particulier que l'abbesse de Solesme Mme Bruyère (1845-1909) avait à ce sujet.

Voici ce que l'abbé écrivait très précisément dans une édition augmentée de 1830 de la biographie de cette mystique (p. 38-39) :

" De bonne heure, elle avait considéré les formations des âmes comme des « maternités ». Cette image, s'emparant de plus en plus de sa pensée, prit tous les développements dont elle était susceptible. L'Abbesse portait ses fils dans on sein ; elle les mettait au jour, les gratifiait d'un nouveau prénom, les allaitait, les élevait spirituellement. Elle aimait à recevoir leurs confidences, même celles que les enfants ne font pas ordinairement. Dom Guéranger, qui se flattait de l'avoir dirigée dès son enfance en dehors de « la pruderie moderne », aurait pu se vanter d'avoir réussi.

La mère comblait ses enfants de douceurs spirituelles. Chaque année, par exemple, pendant la nuit de Noël, elle recevait dans ses bras l'Enfant-Dieu. Après l'avoir allaité, elle le déposait dans les bras de ses filles les plus privilégiées, et celles-ci aussi lui donnaient le sein. Elle le déposait ensuite tour à tour dans les bras de ses fils. Et ceux-ci, qui n'en avaient rien vu, apprenaient de leur Mère, au parloir ou dans une tendre missive, que la chose était arrivées."

Le père Houtin en note de bas de page rapproche ce phénomène d'allaitement virginal de ce qu'écrivait le curé Olier, fondateur des Sulpiciens, de sa mère mystique Marie Rousseau : « Cette âme, toutes les fois quasi, au moins assez souvent, lorsque Dieu opère par moi au prochain, elle se sent tirée des mamelles, comme si c'était un petit enfant qui tirât du lait de sa mère. Elle se sent le sein enflé et son lait se répandre en moi qu'il lui semble que je dégorge après sur les personnes à qui je parle. » Et le point concernant les autres religieuses qui donnaient aussi le sein, renvoie à une note de bas de page qui cite la troisième partie du mémoire du mémoire au Saint-Office de dom Sauton, moine et médecin de l'abbesse, qui précise : « ses filles étaient encore plus privilégiées. Quelques-unes d'entre elles, et j'en pourrais citer, recevaient de Madame le divin poupon et devaient aussi lui donner le sein. Elles décrivaient aussi aux frères intimes les chastes émotions de cet allaitement virginal. »

Puis l'abbé Houtin renvoie à la p. 122 de son livre, qui est un extrait du mémoire dudit dom Sauton, que l'abbesse avait pris sous aile et qu'elle avait rebaptisé Tiburce, où on lit : Sa "maternité virginale n'était pas un vain mot ; la mère nourrissait son fils de sa propre substance, elle le nourrissait de son lait virginal. Et comment ? Ah ! dans ce monde des réalités surnaturelles, toute distance disparaît, les obstacles matériels s'évanouissent; qu'importait cette grille placée par la nature entre la mère et son fils ; la mère n'en presserait pas moins son enfant sur son cœur, prélude du suave commerce dans lequel ce petit être répond à l'appel de sa mère, et puise à son sein un lait non moins virginal que mystérieux. Honni soit qui mal y pense ! Qui donc verra d'un œil mauvais l'enfant se jouer sur le sein de sa mère ? Qui donc prétendra lui ravir ses caresses? Est-il rien de plus pur que ces tressaillements maternels ? Dieu l'a voulu ainsi; ne crains rien, petit Tiburce. Tu connaîtras un jour les sublimes prérogatives auxquelles tu participes en ce moment. Ces entrailles qui t'ont porté d'une manière surnaturelle, n'ont-elles point abrité le Sauveur durant neuf mois? Ce sein que tu presses entre tes lèvres, n'a-t-il point allaité le divin Enfant de la Crèche? Sans doute la faiblesse de ton âge ne te permet point encore de connaître ces merveilles, d'en goûter les harmonies surnaturelles ; peut-être un jour seras-tu digne de les apprendre ? Alors tu comprendras l'éminente sainteté de celle que tu nommes « ta mère Cécile ».

Tiburce buvait à longs traits ce perfide breuvage ; il grandissait sur les genoux de sa mère, et son origine n'avait rien de la terre. Son nom lui disait assez qu'il devait vivre en compagnie des anges".

La mère Cécile Bruyère était gratifiée de toutes sortes de dons mystiques, notamment celui d'avoir des apparitions de Jésus et de la Sainte Vierge. Un jour (p. 137) celle-ci, après l'avoir "embrassée comme une soeur" lui permit de revivre toutes les étapes de sa jeunesse, de ses "chastes noces" (avec l'Esprit Saint), puis de sa maternité avec tous les aspects ambigus du rapport à Jésus qui était à la fois fils et époux de la Sainte Vierge...

Vint la nuit de Noël : « Mère-Vierge, a écrit la mystique, dans mon humilité, je n'osais présenter au divin poupon ce que l'enfant demande à sa mère. Mais l'enfant était aussi l'Époux », il en avait toute la force, « et l'amour de l'Époux triompha par ses caresses de mes chastes résistances ».

Quelle pâmoison d'amour ! lorsque les lèvres de l'Époux attiraient la substance de ma vie et que je me sentais ainsi passer dans mon bien-aimé ! » « Ce ne sont pas des figures ou des visions de l'âme, mais des phénomènes réels et réellement vécus pour l'être physique et pour l'être moral. Chacun de mes fils m'a été donné par la continuation de ce mystère. Il en est, hélas ! qui me griffent au sein si cruellement que le lait qu'ils y prennent est tout teinté de sang.»

Dom Sauton dans la critique théologique (p. 206) de cette vision et des pratiques d'allaitement qu'elle a ensuite autorisée y décèle une trace satanique dans le fait premièrement qu'elle a donné l'occasion à l'abbesse de faire la promotion de ses dons, ce qui n'est pas saint ; ensuite que cela la conduisait à aller au delà des convenances ; enfin que cela ne permettait pas de dégager la mystique de la "servitude des sens".

L'auteur en concluait (p. 207) que "ce surnaturel n'est pas divin". L'analyse ensuite des conflits qu'entraîna le comportement de la mystique corrobore le diagnostic.

Dans le livre du père Houtin on lira aussi avec intérêt l'analyse psychiatrique de Mme Bruyère, (p. 313 et suiv) et du problème qu'il y eut de la part de dom Sauton d'accepter d'être allaité au sein de cette religieuse, alors qu'il avait plus de trente ans (p. 335)...

On n'est peut-être pas loin dans cette affaire du cas des nonnes possédées de Louviers...

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Pourquoi l'être humain n'est pas retourné sur la Lune

25 Mars 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées

Nécessairement, lorsque l'on s'intéresse aux débats sur des réalités non reconnues sur le plan académique comme je l'ai fait dans mon livre sur les Nephilim ou, auparavant, dans celui sur le complotisme,

Il y a quinze jours, l'ancienne pilote automobile Danica Patrick interviewait sur sa chaîne You Tube le docteur en traumatologie et ufologue Steven Greer  auteur de Unacknowledged sur les raisons pour lesquelles l'homme n'est pas retourné sur la Lune depuis 1969.

Celui-ci s'appuie sur le témoignage de l'ancien technicien photo de l'US Air Force Karl Wolfe, qui a affirmé avoir vu des photos secrètes de la NASA d'une structure extraterrestre à la surface de la lune, décédé d'un accident de vélo en 2018. A la base AF de Langley il avait déjà vu en 1968 des téléchargements de l'orbite lunaire et de la cartographie de la Lune. Sur certaines de ces images se trouvaient d'anciennes structures et des plus récentes, à la limite de la face obscure. Même le cratère à côté duquel Neil Armstrong a atterri aurait comporté de telles structures. Celui-ci aurait confié à ses proches que lui et sa famille seraient tués s'ils en témoignaient. Il ne s'agissait pas seulement de structures extraterrestres mais aussi d'installations humaines.

En 1954 les Américains ont maîtrisé le contrôle de la gravité, les systèmes électromagnétiques. Au Club national de la presse à la base AF de Norton en 1988 un témoin a raconté comment trois de ces structures humaines antigravitationnelles (en fait des soucoupes volantes) qu'il a vues dans des hangars et qui avaient pu naviguer dans le système solaire déjà à la fin des années 50 étaient en possession des USA. Les programmes de navigation avaient été développés à partir des années 1920 à partir de l'effet Biefeld-Brown. John Warner IV, fils d'un sénateur républicain et cousin de Christopher Mellon qui orchestre les "révélations" du Pentagone et de Biden sur les extraterrestres en ce moment, interviewé par Greer lui a confié que son grand père maternel, le milliardaire Paul Mellon, ami de Marshall et de Patton, a été chargé de récupérer une aéronef circulaire allemande (voyez les expériences du groupe Vril) trouvée en Tchécoslovaquie avant même l'opération Paperclip (le Pentagone a ensuite démenti cela comme étant un canular).

Greer pense que les extraterrestres ont interdit à l'homme d'aller dans l'espace tant que cela s'inscrivait dans une logique de guerre entre humains (la guerre froide).

Personnellement, je ne suis pas convaincu par cette théorie plus que par une autre, mais il est vrai que les explications officielles sur le non-retour sur la Lune sont très moyennement convaincantes. Notons que le journaliste espagnol Juan José Benitez sur la base du témoignage de Richard Hoagland affirme aussi que les Américains cherchaient des ruines (mais lui pousse plus loin l'imagination en racontant que les hommes ont bombardé à l'arme nucléaire les ruines extraterrestres de sorte que l' "atmosphère" lunaire ou son sol seraient contaminés, ce qui, pour être démontré nécessiterait de prouver que l'humanité dispose de la technologie adéquate). Une autre thèse veut que les Américains ne soient en réalité jamais allés sur la Lune.

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Le Lévitikon de Fabré-Palaprat et le johannisme

23 Mars 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Histoire secrète, #Christianisme

On a commencé à évoquer il y a quelques jours le fondateur d'Eglise "johannique" Bernard-Raymond Fabré-Palaprat. Le Journal des débats politiques et littéraires du 10 janvier 1907 évoque en ces termes l'histoire des documents sur lesquels il fondait son Eglise (une charte de l'Ordre des Templiers et un "Levitikon"). "Au moment de mourir, Jacques de Molay avait laissé à un chevalier de Jérusalem, nommé Larmenius, la charte de son Ordre. Cette charte s'était perdue par le malheur des temps; mais en 1804 elle avait été retrouvée dans une boîte de bouquiniste par Philippe Ledru, fils du prestidigitateur Comus et père de Ledru-Rollin qui, en inventant le suffrage universel, devait rendre un nouvel essor à l'art de la prestidigitation".

Voici ce que Fabré-Palaprat lui-même disait du Lévitikon qu'il présentait comme datant du XIIe siècle :

"Ce manuscrit est en grec, sur parchemin ( grandes feuilles), en lettres d'or, et porte la date de 1154. Il est une copie ou apographe d'un manuscrit du cinquième siècle, conservé par nos frères d'Orient, et semblable à celui d'Occident, sauf les passages relatifs à l'Ordre des Templiers, incorporé dans l'Eglise primitive des son institution en 1118 ; et quelques notes et passages extraits du commentaire traditionnel de la doctrine religieuse, dont la Cour Apostolique a ordonné l'insertion dans toutes les traductions du codex lévitique.

Les Évangiles sont ceux qu'à écrits l'Apôtre Jean, auxquels on a ajouté, en regard, l'Evangile du même Apôtre, selon la Vulgate.

La Table d'Or contient la liste ou série chronologique , jusqu'en l'année 1154, des Souverains Pontifes et Patriarches, dont le dernier (ou le soixante-quatorzième) était le cinquième Grand-Maître du Temple.

Le Statut fondamental du gouvernement de l'Eglise, le Rituel cérémoniaire et les vingt-un articles de la profession de foi ou abrégé du Lévitikon, sont extraits d'un ancien manuscrit, contenant divers décrets de la Cour Apostolique , lesquels décrets ont été, dans les derniers temps, réunis en un seul code par ordre de la même Cour.

Pour éviter aux critiques, des répétitions inutiles, et aux fidèles des réponses à des argumens sans valeur, nous prévenons que les manuscrits dont il s'agit, et autres conservés dans les archives de l'Église, ont été examinés avec une attention scrupuleuse par un grand nombre d'hommes capables de les juger, entre autres par le savant et illustre Grégoire, ancien évêque de Blois, qui, dans son Histoire des Sectes religieuses, tome 2, page 4°7 et suivantes, édition de 1828, déclare partager le sentiment d'hellénistes distingués et versés, en outre, dans la paléographie, sur l'ancienneté du manuscrit, qui contient le Lévïtikon, les Évangiles et la Table d'Or, manuscrit qu'il dit être du treizième siècle, lorsque d'autres prétendent qu'il est antérieur (1 - la note dément cela en relevant que le texte mentionne   Souverain Pontife Bertrand do Blancfort, élu et sacré en cette même année 1154)."

Après une polémique  sur les objections théologiques de Grégoire, Fabré-Palaprat ajoute, sur la datation que Grégoire "pense, d'après ses propres investigations et celles d'un savant helléniste, professeur de la faculté de théologie de Copenhague, M. Hohlenberg, qui a lu notre manuscrit et l'a étudié avec soin ; il pense, dis-je, que ce livre est au moins du treizième siècle, et qu'il appartient à la famille de ceux de la recension byzantine ; mais que, d'après quelques idiotismes qu'on y remarque , et l'omission assez fréquente de l'article ô , il est probable que ce manuscrit a passé par des mains latines."

Sur le Net (ici, c'est un site catholique) on peut lire que la version racontée par le Journal des débats a été démentie par Pierre Adet (1763-1834), ambassadeur de France aux États-Unis et membre de l'Ordre du Temple, qui reçut les documents auprès du conseiller du roi et régent de l'Ordre Claude-Mathieu Radix-de-Chevillon du précédent Grand Maître Louis-Hercule Timoléon personnellement, et non dans un meuble acheté par Ledru.

Une autre version veut que le Danois Munster aurait découvert dans la bibliothèque du prince Corsini à Rome, la règle manuscrite de l'Ordre. Puis dans un meuble à double fond, on découvrit la Charte dite de Jean-Marc Larmenius, meuble que détenait un Anglais, cette Charte portait la signature des grands Maîtres qui se succédèrent jusqu'en 1804. Elle fut soumise à beaucoup d'expertises, papier, encre, écriture, signatures, et, finalement, deux camps apparurent : un camp de scientifiques et d'historiens affirmant qu'il s'agissait d'une supercherie grossière, et un autre camp acceptant cette charte comme véritable. Jean-Marc Larménius serait une totale invention de Fabré-Palaprat ou de Ledru selon Daniel Tant, employé des Archives municipales de Reims (article de 2008). Selon celui-ci Fabré-Palaprat aurait acheté le Lévitikon pour 25 francs à un bouquiniste.

Toutes ces affaires mêlent souvent vérités et mensonges et l'on ne sait jamais qui dit le vrai, de celui qui affirme ou de celui qui dément...

L'histoire de cette Eglise johannique selon Fabré-Palaprat, repose sur la transmission "des pouvoirs apostoliques-patriarcaux" au croisé Hugues de Payen (je renvoie à mon livre "Le complotisme protestant" à son sujet) par le 60ème patriarche Théoclet. Toutes ces généalogies font penser à la supercherie du Prieuré de Sion, mais ne sont-elles que cela ?

Notons que la Gazette des Armes en 1990 reprenait encore à son compte ce genre de récit.

Dans le Dictionnaire des Sciences Médicales T. 52 p. 260 et suiv., édité par Panckoucke, Pinel et Bricheteau ont examiné le cas Fabré-Palaprat sous le titre « Spasme avec lésion des facultés intellectuelles », mais on a le droit de douter de leur compétence quand on voit qu'ils classent aussi dans cette catégorie floue Saint Antoine, Saint Siméon Stylite, Sainte Marie-Alacoque, Cagliostro etc...

Ils écrivent d'une façon très détaillée :

"M. Fabre-Palaprat, médecin de Paris, aussi recommandable par ses talens que pour sa philanthropie, est âgé de quarante-six ans ; né sous un climat chaud, il a été dès sa jeunesse doué d'une imagination exaltée et d'un caractère méditatif, ne paraissant se complaire que dans la solitude, livré au travail et à la médication. Il avait parfois des accès de somnambulisme, et il assure avoir composé, dans un de ces accès, une pièce de vers latins qu'il se reconnaissait incapable de faire dans état de veille. A dix-huit ans, il fut délivré de cette fâcheuse incommodité, par un réveil en sursaut dans le temps même qu'il se livrait à une de ses excursions nocturnes (l'un de nous a été également somnambule dans sa jeunesse et une pareille aventure l'a délivré de cette maladie).

A peu près dans le même temps, le malade fut atteint d'une fièvre intermittente quarte, qui dura une année entière, et dont il fut guéri brusquement par un remède secret qu'il suppose être de l'arséniate de potasse.

A peine cette fièvre avait-elle cessé, qu'il se manifesta une autre maladie périodique c'étaient de vives douleurs dans la poitrine, accompagnées d'anxiété, de mouvemens spasmodiques, avec une teinte jaune de la peau, un dérangement dans les fonctions digestives, etc. Ces accident survenaient à des intervalles éloignés à la suite du travail et de la méditation ils allaient toujours en croissant l'espace de huit ou dix jours, puis décroissaient successivement. Pendant plusieurs années qu'il fut affecté de ces spasmes de la poitrine, M. Fabré consulta à Montpellier, où il étudiait la médecine, plusieurs médecins distingués ( Fouquet Petiot, Dumas, etc. ), qui le crurent menacé de phthisie pulmonaire et lui prescrivirent des moyens appropriés cet état, etc. Il vint ensuite habiter Paris l'état de sa santé n'offrit rien de remarquable dans les premiers temps de son séjour en cette ville, si ce n'est des vomissemens de sang, qui étaient constamment causés par l'usage du beurre; effet singulier, dans la production duquel cependant l'influence de l'imagination n'avait aucune part, puisque le malade ayant un jour consenti à dîner chez un ami à condition qu'il ne mangerait rien au beurre ( condition qui ne fut point tenue ), il vomit une grande quantité de sang à l'issue du diner.

Vers trente-six ans, la maladie prit un autre caractère; les accès s'annonçaient par une grande irascibilité, une humeur fâcheuse dont les meilleurs amis du malade ont quelquefois éprouvé les effets; puis il survenait des vertiges, des spasmes dans tous les muscles soumis à la volonté, qui l'obligeaient à se jeter dans un fauteuil ou sur un canapé souvent il poussait un cri aigu, qui était suivi d'une roideur cataleptique de 3 quelques secondes seulement: bientôt après succédait une sorte de ravissement extatique avec une sensation de volupté indicible que l'on peut comparer, suivant luit aux jouissances de l'amour, mais qui est infiniment au-dessus. Les organes génitaux ne participaient d'ailleurs en rien à cet état d'exaltation, bien que le malade fût en général continent et vit rarement de femmes dans la crainte de se trouver mal, ce qui lui est arrivé quelquefois. Pendant la durée de l'extase, qui était communément de cinq à six minutes, M. Fabré ne perdait pas connaissance continuait de. converser mais ses discours avaient quelque chose de solennel de romanesque et de poétique. L'extase dissipée ou plutôt diminuée, l'accès se prolongeait jusqu'au huitième et dixième jour pendant lesquels le malade ne prenait aucun aliment ni boisson; il vaquait néanmoins à ses affaires, mais dans sa conversation on apercevait facilement que son imagination avait une teinte romanesque et que sa manière d'être était puissamment modifiée par un état d'exaltation et de contentement qui ne sont pas ordinaires dans la vie humaine. La durée du sommeil ne dépassait pas deux heures, et le reste de la nuit se passait dans une sorte de rêverie contemplative dont le vague berçait agréablement le malade.

Les accès de spasme extatique, tels que nous venons de les décrire, se sont d'abord manifestés tous les six mois ou environ, puis tous les quatre mois, ensuite de trois eu trois et de deux en deux mois, enfin tous les vingt-huit jours assez régulièrement à mesure que ces accès se rapprochaient et devenaient en même temps plus courts, l'extase était accompagnée de jouissances plus ineffables et cet état avait alors tant d'attraits pour le malade, qu'il s'y abandonnait involontairement malgré la conviction qu'il avait de pouvoir lutter avec avantage contre son développement. Un affaissement et une prostration très considérables des forces avec des sueurs abondantes, qui parfois avaient l'odeur du sperme, annonçaient, pour l'ordinaire la fin de l'accès et un prompt retour à l'état naturel.

Au mois de mars 1818 d'après les instances de sa famille et de ses amis justement effrayés de la fréquence toujours croissante des retours de cette affection spasmodique, M. Fabré essaya de la combattre au moyen des pilules narcotiques de Méglin (composées de valériane d'oxyde de zinc et d'extrait de jusquiame, un grain de chaque) qu il porta successivement jusqu'à douze l'effet en fut assez marqué puisque l'accès, dont le retour devait être prochain fut retardé d'environ deux mois; mais comme si le mal n'eut été que comprimé pendant quelque temps, il reparut avec plus de violence, et pour ainsi dire sous une autre forme; car, à compter de cette époque, les accès ne furent que de courte durée, et se montrèrent quatre jours de suite les 13 14 15 et 16 mai. Le 14 l'extase voluptueuse se reproduisit jusqu'à six fois, ce qui fit au malade l'effet d'une violente courbature on remarqua, pour la première fois qu'il perdait connaissance pendant quelques secondes; on continua l'usage des pilules de Méglin que l' ou porta jusqu'à dix-huit à cette dose, la vue se trouva considérablement affaiblie, ainsi que la sécrétion urinaire.

Le 10 juin on observa tous les avant coureurs d'un accès qui cependant n'eut pas lieu. Le 8 août, à la suite d'une attaque légère M. Fabré joignit aux pilules de Méglin un demi-gros de valériane en poudre, et ensuite un gros avec quantité égale de quinquina. Ces médicamens fuient administrés ensemble pendant quelque temps, puis suspendus et repris; il ne se manifesta d'accès qu'en novembre, époque à laquelle on reprit l'usage de la valériane, du quinquina et des pilules de Méglin suspendu depuis quelques jours, et on continua d'administrer ces médicamens le reste de l'année 1818.

Au commencement de l'année 1819 le malade éprouva un accès de spasme extatique à la suite d une affection morale; il reprit alors l'usage de la valériane associée au quinquina, qu'il porta jusqu'à trois gros, toujours concurremment avec les pilules de Méglin, administrées d'une manière croissante et décroissante depuis une pilule jusqu'à dix-huit et vice versa. Pendant les huit mois qui suivirent, M. Fabré eut assez fréquemment de très-petites attaques, ou bien simplement observa chez lui quelques signes avant-coureurs qui n'avaient aucune suite. Il continua en général de faire usage des mêmes médicamens. L'objet du délire extatique, quand il survenait était toujours le même, c'est dire un sentiment indicible de bonheur et de ravissement auquel Je malade s'abandonnait avec délice aux approches de l'accès, bien qu'il fût persuadé que sa santé dut en recevoir une mauvaise influence; disposition que l'on peut comparer à celle-de ces individus faibles et irritables, très enclins aux plaisirs de l'amour, qui savent bien que la jouissance les use et les consume, mais ne la recherchent pas moins et s'y abandonnent avec une sorte d'instinct destructeur.

A la fin de l'année 1819, la maladie ne se montra plus que faiblement et sous un aspect différent l'état spasmodique, au lieu d'être suivi d'extase voluptueuse, n’offrait plus qu'un état plus ou moins prolongé d'anxiété et d'irascibilité, avec de violentes palpitations, de l'oppression, et quelquefois une abondante hémorragie du nez. La maladie, que l'on ne cessa pas de combattre par intervalles avec les moyens indiqués plus haut, continua à se manifester sous cette forme nouvelle jusqu'au mois d'avril 1820 La durée totale de chaque accès était alors de douze heures au plus; et l'on ne pouvait méconnaître combien le temps, d'un côté, et de l'autre une médication active et savamment combinée avaient changé la nature du mal et affaibli ses effets.

A la fin d'avril, l'affection se reproduisit sous la forme primitive avec extase et jouissance intuitive. Le 8 mai, pendant la nuit, M. Fabré éprouva un fort accès avec convulsion, roideur tétanique, perte de connaissance. Cet état dura quarante minutes et fut suivi d'extase voluptueuse, de courbature et d'accablement. Quelques autres accès qui survinrent ensuite, quoique beaucoup moins forts, tirent craindre au malade que l'affection spasmodique ne reparût avec son intensité première, et l'engagea à revenir à l'usage des médicamens ci-dessus mentionnés qu'il avait abandonnés, La valériane et le quinquina, associés ensemble, furent administrés de nouveau jusqu'à la dose de trois gros chaque, et les pilules de Méglin portées concurremment jusqu'à dix-neuf, d'où l'on revient en décroissant jusqu'à la dose la plus faible.

Depuis cette époque, M. Fabré n'a, de temps à autre, que de l'oppression de l'anxiété, et quelques autres accidens nui composent ce qu'il appelle des soupçons d'attaque il se porte en général beaucoup mieux que par le passé et supporte bien les fatigues qu'exigent les soins de sa profession."

Voici ce qu'Eliphas Lévy, ami des mages Ganneau et Delaage (dont j'ai parlé dans mon livre sur Lacordaire), disait, quant à lui, de la tradition "johannique" revendiquée par Fabré-Palaprat au chapitre 35 de son Histoire de la Magie :

"La pensée secrète d’Hugues de Payens, en fondant son ordre, n’avait pas été précisément de servir l’ambition des patriarches de Constantinople. Il existait à cette époque en Orient une secte de chrétiens johannites, qui se prétendaient seuls initiés aux vrais mystères de la religion du Sauveur. Ils prétendaient connaître l’histoire réelle de Jésus-Christ, et, adoptant en partie les traditions juives et les récits du Talmud, ils prétendaient que les faits racontés dans les Évangiles ne sont que des allégories dont saint Jean donne la clef en disant, « qu’on pourrait remplir le monde des livres qu’on écrirait sur les paroles et les actes de Jésus-Christ ; » paroles qui, suivant eux, ne seraient qu’une ridicule exagération, s’il ne s’agissait, en effet, d’une allégorie et d’une légende qu’on peut varier et prolonger à l’infini.

Pour ce qui est des faits historiques et réels, voici ce que les johannites racontaient :

Une jeune fille de Nazareth, nommée Miryam, fiancée à un jeune homme de sa tribu, nommé Jochanan, fut surprise par un certain Pandira, ou Panther, qui abusa d’elle par la force après s’être introduit dans sa chambre sous les habits et sous le nom de son fiancé.

Jochanan, connaissant son malheur, la quitta sans la compromettre, puisqu’en effet, elle était innocente, et la jeune fille accoucha d’un fils qui fut nommé Josuah ou Jésus.

Cet enfant fut adopté par un rabbin du nom de Joseph qui l’emmena avec lui en Égypte ; là, il fut initié aux sciences secrètes, et les prêtres d’Osiris, reconnaissant en lui la véritable incarnation d’Horus promise depuis longtemps aux adeptes, le consacrèrent souverain pontife de la religion universelle.

Josuah et Joseph revinrent en Judée où la science et la vertu du jeune homme ne tardèrent pas à exciter l’envie et la haine des prêtres ; qui lui reprochèrent un jour publiquement l’illégitimité de sa naissance. Josuah, qui aimait et vénérait sa mère, interrogea son maître et apprit toute l’histoire du crime de Pandira et des malheurs de Mirjam. Son premier mouvement fut de la renier publiquement en lui disant au milieu d’un festin de noces : « Femme qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Mais ensuite pensant qu’une pauvre femme ne doit pas être punie d’avoir souffert ce qu’elle ne pouvait empêcher, il s’écria : « Ma mère n’a point péché, elle n’a point perdu son innocence ; elle est vierge, et cependant elle est mère ; qu’un double honneur lui soit rendu ! Quant à moi, je n’ai point de père sur la terre. Je suis le fils de Dieu et de l’humanité ! »

Nous ne pousserons pas plus loin cette fiction affligeante pour des cœurs chrétiens ; qu’il nous suffise de dire que les johannites allaient jusqu’à faire saint Jean l’Évangéliste responsable de cette prétendue tradition, et qu’ils attribuaient à cet apôtre la fondation de leur Église secrète.

Les grands pontifes de cette secte prenaient le titre de Christ et prétendaient se succéder depuis saint Jean par une transmission de pouvoirs non interrompue.

Celui qui se parait, à l’époque de la fondation de l’ordre du temple, de ces privilèges imaginaires se nommait Théoclet ; il connut Hugues de Payens, il l’initia aux mystères et aux espérances de sa prétendue Église ; il le séduisit par des idées de souverain sacerdoce et de suprême royauté, il le désigna enfin pour son successeur.

Ainsi l’ordre des chevaliers du temple fut entaché dès son origine de schisme et de conspiration contre les rois.

Ces tendances furent enveloppées d’un profond mystère et l’ordre faisait profession extérieure de la plus parfaite orthodoxie. Les chefs seulement savaient où ils voulaient aller ; le reste les suivait sans défiance.

Acquérir de l’influence et des richesses, puis intriguer, et au besoin combattre pour établir le dogme johannite, tels étaient le but et les moyens proposés aux frères initiés. « Voyez, leur disait-on, la papauté et les monarchies rivales se marchander aujourd’hui, s’acheter, se corrompre, et demain peut-être s’entre-détruire. Tout cela sera l’héritage du temple ; le monde nous demandera bientôt des souverains et des pontifes. Nous ferons l’équilibre de l’univers, et nous serons les arbitres des maîtres du monde.

Les templiers avaient deux doctrines, une cachée et réservée aux maîtres, c’était celle du johannisme ; l’autre publique, c’était la doctrine catholique-romaine. Ils trompaient ainsi les adversaires qu’ils aspiraient à supplanter, Le johannisme des adeptes était la kabbale des gnostiques, dégénérée bientôt en un panthéisme mystique poussé jusqu’à l’idolâtrie de la nature et la haine de tout dogme révélé. Pour mieux réussir et se faire des partisans, ils caressaient les regrets des cultes déchus et les espérances des cultes nouveaux, en promettant à tous la liberté de conscience et une nouvelle orthodoxie qui serait la synthèse de toutes les croyances persécutées.

Ils en vinrent ainsi jusqu’à reconnaître le symbolisme panthéistique des grands maîtres en magie noire, et, pour mieux se détacher de l’obéissance à la religion qui d’avance les condamnait, ils rendirent les honneurs divins à l’idole monstrueuse du Baphomet, comme jadis les tribus dissidentes avaient adoré les veaux d’or de Dan et de Béthel.

Des monuments récemment découverts, et des documents précieux qui remontent au XIIIe siècle, prouvent d’une manière plus que suffisante tout ce que nous venons d’avancer. D’autres preuves encore sont cachées dans les annales et sous les symboles de la maçonnerie occulte. »

Mais Eliphas Lévy est-il crédible vu les cercles assez "étranges" auxquels il se rattachait ?

L'exégèse du Lévitikon que fournit Fabré en tout cas dit seulement (p. 62) que Jésus a été élevé dans le collège de prêtres d'Alexandrie. Il n'est pas certain que l'introduction de cette hypothèse atténue par elle-même le fait que Jésus serait vraiment fils de Dieu, recevant ses dons du Père. Simplement il est vrai que le détour par une technique magique (à laquelle fait un peu référence Meheust aussi dans son "Jésus guérisseur") "associe" en quelque sorte un peu plus le paganisme à l'apport de l'Incarnation, paganisme saisi comme dépositaire d'une certaine sagesse divine.

D'ailleurs Fabré s'en tient à une position minimaliste concernant les attributs du Christ. Au vu des ambiguïtés des Evangiles sur son statut divin, et même sur la question de savoir s'il est le Messie, les membres de l'Eglise johannique s'en remettent à la volonté de Dieu pour éclairer chacun là dessus et admettent toutes les opinions (p. 74-75).

En revanche ce qui est carrément hérétique dans le propos de Fabré c'est sa compréhension de l'Esprit saint comme simple intelligence du Père (ce qui est très en déçà des vertus que lui attribue Saint Paul par exemple). Est-ce une inflexion intellectualiste personnelle que Fabré apporterait à l'héritage johannique ?

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Un précurseur des églises parallèles : Bernard-Raymond Fabré-Palaprat

23 Mars 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Histoire secrète, #Médiums

Depuis quelques années, je m'intéresse aux Eglises parallèles (cf Luz : Le Soufre et l'encens) et à leur prétention à poursuivre une tradition "johannique" à côté de l'Eglise de Pierre. Le phénomène est bien documenté pour le XXe siècle (et était même évoqué sur les plateaux de télévision jadis).

Je trouve un écho à cela aussi dans la presse du XIXe siècle à propos d'un fondateur d'une Eglise dissidente nationale qui se nommait Ferdinand Châtel. Le Figaro du 5 mai 1837, nous raconte qu'il lui fallait un évêque susceptible de le nommer lui-même évêque (cela fonctionne encore de la même façon de nos jours, cela permet ensuite à l'hérétique de nommer à son tour des prêtres) et qu'il alla, pour ce faire, trouver un certain Fabré-Palaprat, après avoir été ordonné prêtre par un ancien évêque constitutionnel (républicain) d'Autun.

Voici le récit : "Ce personnage, nommé l'abbé Poulard, ancien évêque d'Autun (Autun a eu du malheur en fait d'évêques) fit entrer les aspirans dans son arrière-boutique, et, sans plus de façon, leur confia tous les sacremens qu'ils voulurent moyennant quelques menus achats faits dans son établissement. (...). Que fit M. Châtel ? Il s'en alla trouver M. Fabré-Palaprat, pédicure, grand-maître des Templiers; il feignit de vouloir entrer dans son ordre (voyez la malice), et demanda à M.Palaprat de le sacrer évêque selon le rite de saint Jean; le grand maître, dit la biographie, tomba dans le piège, et l'abbé Châtel fut sacré évêque par le successeur in partibus de Jacques Molay. "

La référence au "rite de Saint Jean" m'a intrigué. En lisant la fiche Wikipédia sur Fabré-Palaprat (décédé à Pau en 1838, à l'hôtel d'Esperbaque, rue royale), on découvre qu'en effet ce docteur en médecine podologue, né dans le Tarn, franc-maçon néo-templier, était fondateur d'une sorte d'Eglise johannique (quoique cela ressemblât plutôt à un ordre maçonnique).

On lit dans son Lévitikon (p. 63) :

Ce Lévitikon est une réécriture de l'Evangile de Jean qui fait de Jésus un grand maître ésotérique initié en Egypte comme Moïse.

Entre les nombreuses curiosités qui entouraient ce fondateur de secte, il y avait le fait qu'il arborait la croix de cuivre qui avait été dérobée en 1831 à la dépouille mortuaire du célèbre prêtre révolutionnaire l'abbé Grégoire. Il administrait aussi des traitements de malades par électro-puncture (sic), ce qu'il présentait à ses pairs scientifiques tout en s'en vantant au service de ses ambitions religieuses (n'oublions pas qu'on est à une époque où l'on expérimente beaucoup sur les fluides, notamment le magnétisme, souvent d'ailleurs à tort et à travers - voyez mon billet sur la phrénologie -, avec des fantasmes confus de réconciliation entre spiritualité et science, dans la veine saint-simonienne notamment). On dit encore qu'il s'était fait peindre en costume de pape avec une tiare. Il nomma Châtel primat des Gaules. Son groupe, comme ensuite l'Eglise de Châtel, sur le plan politique fut très bonapartiste, ce qui cependant ne l'empêcha pas de désigner un amiral anglais qui avait combattu Napoléon, Sidney Smith, comme son successeur.

Si Châtel est présenté comme précurseur de Joseph-René Vilatte évêque de l'Eglise vieille-catholique dont je parle dans mon livre sur les médiums, on peut a fortiori en dire autant de Fabré-Palaprat. On voit ainsi que l'inspiration johannique est pour le coup très liée à l'héritage maçonnique. Mais on a le sentiment que cela a un peu ressurgi ex-nihilo à la faveur d'une soi-disant redécouverte de manuscrits de l'Ordre des Templiers dans les années 1790.

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Les femmes disciples de Jésus

21 Mars 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Sainte-Baume, #down.under

 

Hier la chaîne Histoire rediffusait le documentaire de 2018 déjà diffusé le 9 août 2021 : " Les femmes disciples de Jésus" (2018) d’Anna Cox avec les historiennes Helen Bond et Joan Taylor (cf ci-dessous en anglais).

 Helen Bond est historienne spécialisée dans les origines du christianisme et chef de la Divinity School à l’Université d’Édimbourg et sa collègue Joan Taylor enseigne au King’s College.

Des éléments intéressants : une crypte supposément dédiée à Sainte Salomé près de Beit Lehi avec un graffiti implorant sa protection ; la fresque (découverte en 1971) du Ve siècle de Cerula dans les catacombes de Naples qui pourrait (sous réserve des éléments techniques de nuance que fournit ce site) représenter une femme évêque susceptible d'avoir officié au IIIe siècle ; l'expression étrange dans Marc 6:7 qui laisse entendre que Jésus a envoyé ses disciples en binômes mixtes (un homme une femme) dans les villes pour pratiquer les exorcismes ; la démonstration sur l'effacement progressif des femmes dans les représentations de la résurrection de Lazare sur les sarcophages au musée du Vatican entre 280 et le IVe siècle.

 

Un quart des sarcophages du National Treasures Storehouse de Beit Shemesh en Israël (datant de l'époque de Jésus) porteraient Marie comme nom (min 6'44). Marie-Madeleine, Marie de la Tour, est retenue comme étant la première des disciples, mais selon les historiennes, Joanna la femme de Chuza intendant d'Hérode (Luc 8:2-3) était probablement celle qui finançait les apôtres. Tous ces éléments sont instructifs et à ajouter à notre dossier sur la Sainte-Baume (et à nos remarques dans notre livre sur Lacordaire sur la réhabilitation de la féminité chrétienne après le saint-simonisme, voire à nos découvertes sur le  traité sur Marie-Madeleine de Demoulins de Rochefort à l'époque de François Ier).

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Knight et Lomas sur le Graal, Joseph d'Arimathie et les Templiers

25 Février 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Histoire secrète

J'ai abordé le Saint Suaire il y a six ans à travers les travaux d'Upinsky, récemment confirmés par une synthèse plus complète de JC Petitfils. Je pensais confronter cela aux affirmations de Christopher Knight et Robert Lomas dans "The Second Messiah: Templars, the Turin Shroud and the Great Secret of Freemasonry" paru 1997, mais le propos de leur livre sur le Suaire  étant surtout axé sur une datation au carbone 14 totalement fausse, c'est à un autre aspect de leur recherche que je vais m'intéresser ici : celui du rapport du Graal à Joseph d'Arimathie et aux Templiers.

J'avais déjà évoqué dans "Le Complotisme protestant" leur thèse sur le fait que les Templiers entretenaient un culte du divin féminin. Le père spirituel de leur ordre, Saint Bernard de Clairvaux, rappellent-ils, a écrit 300 sermons consacrés au Cantique des Cantiques dont le verset 1:5 dit "Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem", ce qui renverrait au culte de la Vierge noire, mais aussi de Marie-Madeleine la "papesse" du tarot (arcane II) et dont l'Evangile de Marie et celui de Philippe (apocryphes) nous disent qu'elle surpassait Pierre en sagesse. Knight et Lomas voient dans le tarot une arme pédagogique secrète des Templiers contre le pape.

Les auteurs de la saga du Graal proches des Templiers sont entrés en scène dans les années 1130. En 1136, 8 ans après la formation des Templiers, le gallois Geoffroy de Monmouth ré-invente le roi Arthur dans "The Matter of Britain" sur un mode très différent du seigneur Arthur cité par Nennius au VIe siècle (p. 105). Il prétendait tenir cette version de son oncle archidiacre d'Oxford dont personne n'a su retrouver la trace. Sa version de la fin d'Arthur blessé grièvement puis transporté à Avalon au delà des mers ouvre sur d'autres traditions. En effet, l'existence du pays idéal à l'Ouest au delà des mers, selon Flavius Josèphe, était enseignée par les Esséniens (et donc, ajoutent Lomas et Knight, par l'Eglise de Jérusalem, ce qui est peut-être une déduction un peu rapide)... Cela se retrouve chez les Mandéens, pour qui ce pays des bonnes âmes est marqué par l'étoile Merica (et c'est ce pays, le pays de "la Merica", que les Templiers allaient rechercher après leur dissolution).

Arthur est le bâtard d'une femme mariée qui n'avait pas fauté car elle était envoûtée. Il rassemble douze chevaliers comme les douze apôtres, il est blessé mais ne meurt pas. Il est le Rex Deus des Nasoréens. Sa bataille finale est celle de la chute de Jérusalem en 70. Selon les confidences de l'historien Tim Wallace-Murphy à Robert Lomas, à l'issue d'une conférence à Londres en 1994 un Français qui se disait descendant d'Hugues de Payen lui aurait expliqué que les partisans de Jacques (p. 78), successeurs de Jésus, qui se faisaient appeler le groupe "Rex deus"auraient placé ses ossements sous le temple de Jérusalem. De Payen et les autres initiateurs de la première croisade seraient des descendants de ces Juifs nazoréens dont le but était de récupérer ces reliques que, de fait, ils cherchèrent pendant neuf ans à Jérusalem.

Payen de Montdidier, un des 9 premiers chevaliers du Temple, est devenu Grand Maître d'Angleterre en 1128, et a construit une commanderie à Oxford sur une terre offerte par la princesse Mathilde. Il n'est pas impossible qu'il ait alors révélé certains savoirs de documents anciens trouvés à Jérusalem à Geoffroy de Monmouth...

Chez ce dernier, il n'y a pas de mention du Graal. Elle n'apparaît que sous la plume de Guillaume de Malmesbury, en 1140... Il fut le premier à affirmer que Joseph d'Arimathie serait arrivé à Glastonbury dans l'Ouest de l'Angleterre en 73 avec le Graal et l'arbre à épines de la couronne du Christ qu'il y planta. Son abbaye se trouvait à 40 km d'une commanderie de Payen de Montdidier. Il y eut des controverses entre Guillaume et Geoffroy, controverses sur lesquelles se sont penchés en détail Lomas et Knight (p. 109).

Mathilde, 26 ans, issue des lignées normande, anglo-saxonne et écossaise, veuve d'Henri V empereur d'Allemagne épousa en secondes noces en 1128 Jeoffroy IV d'Anjou, petit fils du roi de Jérusalem Baudouin II, et fils de Foulque V d'Anjou, sponsor des templiers. Empêchée d'accéder au trône d'Angleterre en 1135, dans sa résistance au nouveau roi, elle avait tout intérêt à attaquer Geoffroy de Monmouth qui pouvait servir l'idéologie de son rival Etienne de Blois...   

Le journaliste Graham Philips a souligné dans The Search of the Grail qu'en faisant de Perceval le descendant de Joseph d'Arimathie, la saga du Graal ouvre une voie particulière de succession apostolique. Dans les romans du Graal c'est à lui que Jésus donne la coupe à la Cène et non à Pierre. Il n'est pas impossible que, parmi les 619 qu'il y avait dans le Temple selon le rouleau de cuivre 3Q15, les templiers auraient pu en utiliser un qu'ils auraient identifié au Graal, selon Lomas et Knight.

Chrétien de Troyes qui fut central dans le conte du Graal disait le tenir du comte des Flandres, lié par sa famille à Payen de Montdidier, et aux fondateurs des Templiers. Après lui des cisterciens allaient normaliser le récit en le christianisant.

Je laisse de côté les considérations sur le Suaire et sur l'hypothèse que le dernier grand maître de l'Ordre des Templiers, Jacques de Molay, aurait été enterré dans ce suaire, hypothèse tirée très abusivement d'une datation au carbone 14 de toute façon fausse, comme cela fut démontré postérieurement.

Restons en à cette étrange théorie du groupe "Deus Rex" qui aurait été à l'origine de la première croisade - une théorie partiellement reprise par Barbara Aho dans sa démonstration que j'ai exposée dans "Le Complotisme protestant".

L'Américain Jason Colavito sur son blog a fait une critique intéressante de cette théorie en soulignant à juste titre qu'elle repose entièrement, au fond, sur le témoignage de ce Français en 1994. Colavito fait remarquer qu'il est un peu court d'estimer, comme le font Lomas et Knight, que ce narratif est plausible du seul fait qu'un Français entre deux âges était peu susceptible de forger un "hoax" (canular) par lui-même. Après tout Pierre Plantard ne l'avait-il pas fait avec son Prieuré de Sion ? Wallace-Murphy a présenté la thèse du "Français" en 2000, puis a récidivé en 2008  dans "Custodians of the Truth", mais cette fois en transformant ce Français en Anglais et en le nommant "Michael Monkton". Il a reconnu avoir lancé cette histoire après avoir lu "The Holy Blood and the Holy Grail", et son contenu variait sur certains points concernant la soi-disant fécondation de Marie par un prêtre du Temple qui figurait dans la première version.

Calavito rappelle aussi à juste titre le rôle de H. Blavatsky dans la diffusion de l'idée que les Templiers pouvaient vénérer une déesse-mère et convoyer une connaissance secrète.  Pour lui, rien dans cette histoire n'est à conserver.

Pour ma part, je me demande tout de même si le volet concernant la succession apostolique de Joseph d'Arimathie vers laquelle pointerait la saga de Perceval, n'est quand même pas une piste à creuser pour en savoir plus sur quelque tradition ésotérique qui aurait pu survivre en France et en Angleterre au bas-Moyen-Age autour de l'héritage de Marie-Madeleine.

En ce qui concerne le Graal en Grande-Bretagne, notons que dans son Histoire de France (tome 3, p. 392 et suiv), en 1833, Henri Martin estimait que le succès de la figure de Joseph d'Arimathie en Angleterre peut être dû à la lecture dans les premières communautés chrétiennes de l'île de l'Evangile de Nicodème, selon lequel Joseph détacha Jésus de la croix et fut ainsi au dessus de Pierre et des autres. "Une légende extraordinaire se construisit sur cette base, explique-t-il. A côté du néo-druidisme ou druidisme mêlé de christianisme, il s'était établi, dans l'église galloise, un christianisme modifié par le druidisme, anti-augustinien, anti-romain. Dans un coin de ce christianisme gallois, à une époque que nous ne saurions déterminer, fut couvée la légende en question. Toute la religion reposait là sur une forme particulière et toute symbolique du mystère eucharistique. Joseph d'Arimathie avait recueilli le sang des plaies du Sauveur dans le vase qui avait servi à la Cène : Jésus lui-même avait confié à perpétuité la garde de ce vase à Joseph et à sa race, et le neveu de Joseph, Allan (Alain, en français), l'avait porté dans l'île de Bretagne. Ce vase avait des propriétés incomparables : il assurait à ceux qui le contemplaient la compagnie du Seigneur Jésus et es joies indicibles du ciel ; il les nourrissait d'un aliment délicieux et intarissable ; il les mettait à couvert de l'injustice et de la violence des hommes. Mais on ne pouvait le contempler sans être en état de grâce. Il disparaissait aux regards des pécheurs, et les initiés à ses mystères devaient être muets devant les profanes."

Pour Martin, les Celtes christianisaient ainsi leur culte du bassin sacré, comme d'Eckstein et de la Villemarque en leur temps avaient aussi souligné que le culte germanique de la force se projetait dans celui de la lance sacrée qui avait percé le coeur de Jésus.

"Les premiers introducteurs des traditions bardiques et du cycle d'Arthur en France, ajoute Martin, Geoffroi de Monmouth, Wace, l'auteur quel qu'il soit, de la Vie de Merlin en vers latins, l'auteur ou les auteurs des fragments de Tristan en vers français, et même Chrestien de Troies, dans le Chevalier au Lion et le Chevalier de la Charette, n'avaient pas dit un mot de cette légende. Elle paraît être arrivée parmi les clercs et les trouvères de la cour de Henri II (1133-1189) quelques années après la rédaction du Brut de Wace". En France la saga arthurienne est totalement tournée vers le Graal et tous les chevaliers de la Table Ronde sont de la race de Joseph d'Arimathie (p. 396).  Perceval est le plus ascétique, Merlin perd sa nature diabolique. Le cycle du Graal devient une arme pour christianiser la chevalerie et la rendre ascétique, mais pas dans une veine romaine puisque c'est toujours sous les auspices de Joseph d'Arimathie et non de Pierre.

Wolfram d'Eschenbach (1170-1220), templier souabe, finalement placera le Graal dans la perspective des templiers, en disant s'inspirer de Guyot de Provins, bénédictin de Cluny hostile à la papauté. Il invente le héros Titurel qui construit en Gaule du Sud un temple pour le Graal, sous la direction du prophète Merlin initié par Joseph d'Arimathie qui se calque sur le temple de Salomon (mais finalement Perceval  récupèrera le Graal et construira le temple pour lui en Inde).

Cette chevalerie du Graal, ascétique, nous dit Martin, voulait remplacer la chevalerie amoureuse, mais elle échoua. L'Eglise romaine qui condamnait le culte de la créature était elle aussi hostile à la chevalerie courtoise, et tente d'en endiguer les excès (notamment avec les tournois), Mais elle est elle-même sous la coupe des femmes mystiques comme Hildegarde ou Julienne de Mont-Cornillon. Et le culte marial ne cesse de prendre de l'importance. Alors l'Eglise choisit donc la voie du culte de Marie (et de son Immaculée conception, à laquelle Bernard de Clairvaux était hostile) plutôt que la religion du Graal de Joseph d'Arimathie que préférait la papauté. Dominicains et franciscains seront les chevaliers de cette voie.

On voit que, à la différence de Knight et Lomas, Henri Martin, lui, n'attribuait pas aux Templiers un "savoir secret" dont ils auraient hérité depuis la chute du second temple par des familles qui l'auraient conservé jusqu'au lancement de la première croisade. La "lignée apostolique" de Joseph d'Arimathie, à supposer même que l'on doive aller jusqu'à employer ce terme, serait plutôt une fiction née du croisement entre l'Evangile de Nicodème et le culte celtique des bassines sacrées. Elle aurait servi à contrer l'amour courtois en christianisant la quête chevaleresque, et n'aurait finalement été "adaptée" à l'imaginaire templier que tardivement, en 1200, sous la plume de Wolfram von Eschenbach, avant d'intégrer la franc-maçonnerie, mais ce ne serait nullement une fabrication templière. On notera aussi que chez Henri Matin Marie-Madeleine ne joue aucun rôle dans cette filiation de Joseph d'Arimathie, pas plus d'ailleurs que la dimension féminine du Graal, qui n'est pas abordée...

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Saint Paul et le stoïcisme

14 Février 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Philosophie, #Christianisme

Carol Korak, enseignante d'un séminaire baptiste de Minneapolis, écrivait il y a 11 ans dans son article "The Influence of Philosophy in Early Christianity" :

"Lorsque Paul écrivait sa lettre aux Romains (vers 55‐58 de notre ère), Sénèque était  conseiller du jeune Néron.


   Thorsteinsson soutient que Paul, tout en proclamant le bien nouvelles, modifie les composants standard de l'éthique stoïcienne du premier siècle pour un plus spécifique application au sein de la communauté chrétienne, et j'offrirai plusieurs de ces exemples.

Premièrement, il fonde cette conclusion sur ce qu'il considère être des allusions claires au la termonoligie stoïcienne standard. Par exemple, l'utilisation par Paul de λογικος, pour définir la bonne façon dont les chrétiens doivent servir Dieu, fait allusion à la façon dont les stoïciens décrivent les relations entre l'homme, comme doté de raison (λογικοι), et Dieu comme λογος.

Deuxièmement, un autre parallèle peut être observé entre Sénèque,
Les idées très similaires d'Épictète et de Paul sur le culte. Pour les trois, adorer convenablement signifie s'efforcer de suivre et d'imiter Dieu, qui définit ce qui est moralement bon. Pour Epictète, c'est être guidé par la « Loi de Zeus »56 ; et pour Sénèque, cela signifiait se consacrer entièrement à un mode de vie et vision du monde :

"L'honneur qui est rendu aux dieux ne réside pas dans les victimes pour le sacrifice, bien qu'elles soient grasses et scintillantes d'or, mais dans le désir droit et saint des adorateurs. Les hommes bons doivent dont plaire aux dieux avec une offrande de farine et de bouillie; le mauvais par contre, n'échappent pas à l'impiété bien qu'ils teignent les autels avec des flots de sang." (Sénèque, "De Beneficiis," 1.6.3)


Dans Romains 12 : 1, Paul enseigne aux chrétiens qu’un culte convenable n’exige plus un sacrifice littéral de leur corps, mais qu'ils doivent vivre leur vie comme une incarnation de la volonté et des voies de Dieu dans le monde.

Troisièmement, il existe une similitude entre l'importance que le stoïcisme accorde à la nécessité de la transformation de l'esprit, comme fondement nécessaire à la vie morale, et l'appel de Paul à la transformation par le renouvellement de l'esprit dans Romains 12:2. 58

Selon Sénèque, « Celui qui a appris et compris ce qu'il doit faire et éviter, n'est pas un homme sage tant que son esprit ne prend pas la forme de ce qu'il a appris. » ("Epistulae Morales," 94.47‐8)


  Autrement dit, pour les deux, Sénèque et Paul, vivre des vies transformées confirme  la transformation intellectuelle. La différence entre les deux est que pour Paul cela commence par une transformation spirituelle, qui débute par le séjour du Saint-Esprit.

Quatrièmement, l'éthique stoïcienne du premier siècle est centrée sur les quatre vertus traditionnelles - la prudence (φρονσις), modération ou maîtrise de soi (σοφρουνη), justice (δικαιοσυνη) et courage (ανδρεια).
 
  Sénèque affirme que le but premier de la philosophie est d'offrir une direction aux gens,
au sein de la société, pour parvenir à une société dans laquelle l'unité et le soin mutuel se répandent.
 
  Selon Runar Thorsteinsson, l'appel de Paul à l'humilité et à la modération (Romains 12:1-6) des membres du corps de Christ, et son accent sur les dons individuels et la fonction donnée par Dieu pour le bénéfice de l'ensemble, coïncide avec l'éthique du stoïcisme du premier siècle.
 
  En plus de cela, la description de Paul du Christ comme le chef de l'église, et le l'Église comme son corps, est analogue à celui utilisé par Sénèque qui décrit Néron, comme le chef de l'empire, et appelle ses citoyens à agir avec humilité, modération et amour envers un
autrui. ( "De Clementia," 1.21.4; 1.11.2; 1.4.3; 1.5.1)


  Sénèque écrit :
"Et si les mains désiraient blesser les pieds, ou les yeux les mains ? Comme tous les membres de
corps sont en harmonie avec un autre parce que c'est à l'avantage de l'ensemble que les membres individuels soient sains et saufs, de sorte que l'humanité devrait épargner l'homme individuel, car tous sont nés pour une vie de camaraderie, et la société ne peut être sauvée que par la protection mutuelle et l'amour de ses parties"


Ces métaphores partagent non seulement un langage et une forme parallèles, mais les principes sous-jacents de ces métaphores sont les mêmes : 1) elles illustrent que le tout dépend de ses parties ; et 2) ils enseignent chacun le principe stoïcien de l'humanité universelle - chaque être humain est sacré.


L'appel de Paul dans Romains 12:14 pour bénir ceux qui vous persécutent, reflète également l'enseignement stoïcien. Cela pose la question de savoir si les enseignements de Paul peuvent ou non avoir leurs racines dans les enseignements de Jésus. Stanley Stowers souligne, cependant, que si Paul savait que Jésus avait un tel enseignement, il n'utilise pourtant pas l'idée que Jésus était un maître d'éthique même si plus tard les enseignements trouvés dans Matthieu et Luc recouperont plus tard ses propres enseignements.65

A la fois Épictète et Musonius plaident contre la vengeance, et dans le cas d'Épictète, il appelle même à la compassion (Epictète, 3.22.54. Musonius Rufus, "Fragment 41.136.").


Cinquièmement, dans Romains 13 : 8‐10, Paul réitère de nombreux commandements donnés à Moïse qui parlent de vivre en communauté, mais soulignent l'importance de l'amour envers
voisin comme accomplissant la loi. Cela coïncide avec l'enseignement moral de Sénèque, qui dit que l'on doit vivre pour son prochain, [comme] si l'on voulait vivre pour soi-même.67

  Mettre les besoins des autres sur le même niveau d'urgence que soi-même contribue également à affirmer le caractère sacré de toute l'humanité.


Enfin, la compréhension stoïcienne des choses indifférentes pourrait expliquer le raisonnement de Paul pour maintenir sa condition ou sa situation dans I Corinthiens 7:17‐20."

Évidemment la similitude entre Paul et les stoïciens de son temps peut trouver trois éléments d'explication non exclusifs entre eux : 1) Paul les avait entendus et lus à Tarse, ville de philosophes, et d'ailleurs c'est pourquoi il va encore dialoguer avec eux à Athènes, 2) il y a une sorte de phénomène de "champ morphogénétique" à la Sheldrake autour de l'apparition de ces idées, 3) c'est l'action simultanée du Saint-Esprit à la fois à Rome chez les philosophes et dans le monde hellénophone où Paul déploie sa prédication.

A rapprocher par exemple du fait que l’année même où la figure de proue du catholicisme libéral le RP Lacordaire installait les dominicains à Saint Maximin et publiait un livre sur Marie-Madeleine qui consacrait une part importante à la résurrection de Lazare son frère, comme paradigme du pouvoir de l’amitié, en 1859, le socialiste Pierre Leroux en exil à Jersey allait méditer dans le tome 2 de la Grève de Samarez (p. 394 et suiv) sur cette résurrection de Lazare (qu’il n’avait fait qu’effleurer dans De l’Humanité en 1840) pour y puiser sa définition des relations entre les deux sexes.

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Un sonnet étrange sur l'Immaculée conception

12 Février 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

Entendu hier sur la chaîne "Sur les Pas du Padre Pio" un récit qui selon le présentateur "donne la chair de poule" à un catholique (mais qui sans doute donnerait la nausée à un protestant) : il est extrait des mémoires du célèbre exorciste romain le P. Gabriel Amorth (1925-2016), et figure aussi sur le site Aletheia.

En 1823, à Ariano Irpino,un jeune homme est possédé. Deux dominicains réalisent l'exorcisme, et forcent le démon, pour l'humilier, à démontrer que Marie est immaculée et de le faire sous forme de sonnet (à rapprocher peut-être de ce que j'écrivais il y a 7 ans sur un exorcisme de 1610 à la Sainte-Baume, je referme la parenthèse). Voici quel en fut le résultat.

« Je suis la vraie Mère d’un Dieu qui est Fils
et je suis fille de Lui, bien que sa Mère.
Il est né de toute éternité, et c’est mon Fils,
Dans le temps je suis née, et pourtant je suis sa Mère.
Il est mon créateur et il est mon Fils
Je suis sa créature et je suis sa Mère.
C’est un prodige Divin que soit mon Fils
un Dieu Éternel, et de m’avoir pour Mère.
L’être est presque commun entre Mère et Fils
parce que l’être, c’est de son Fils que l’eut la Mère,
et l’être de la Mère, l’eut aussi le Fils.
Or si l’être du Fils l’eut la Mère,
Ou bien on dit que fut maculé le Fils
Ou sans tache on dira la Mère »

Je me garderai évidemment de tout commentaire sur ce texte étrange qui fut transmis trente ans plus tard au pape Pie IX qui proclama le dogme de l'Immaculée conception.

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