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La mort de Nicias et la Lune

24 Décembre 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire secrète, #Philosophie, #Pythagore-Isis

Je ne sais si je vous ai déjà parlé du livre de Plutarque sur le visage de la Lune. Ce soir inaugurant une nuit de pleine lune, je me permets d'y faire allusion même si c'est un livre compliqué que je ne suis pas qualifié pour commenter plus avant. Je note que dans ses Vies parallèles, Plutarque, qui compare le romain Crassus à l'athénien Nicias, attribue la défaite et la mort de ce dernier, en 413 av. JC à une mauvaise interprétation des signes divins, et plus précisément d'un signe lunaire.

Lors de sa bataille finale contre les armées de Syracuse, nous dit Plutarque, Nicias a commis deux erreurs. La première est d'avoir pris une éclipse de lune (le 27 août 413) pour un signe néfaste. Cette erreur fut due à l'absence de son devin Stilbidès, mort peu de temps auparavant, qui, d'ordinaire, le délivrait de ses craintes superstitieuses. S'appuyant sur Philochore, Plutarque estime que le signe était au contraire favorable puisque "l'obscurité est nécessaire aux actions accomplies dans la crainte".

La seconde erreur de Nicias fut d'avoir attendu la lunaison suivante pour passer à l'action (c'est à dire fuir de Sicile tant qu'il était encore temps). D'une part il oublia "qu'en général les gens ne tenaient compte des signes donnés par le soleil et la lune que pendant trois jours", d'autre part il ne vit pas que la lune s'était "purifiée tout de suite, une fois sortie de la zone d'ombre projetée par la terre". De sorte que Nicias, homme pieux mais trop pusillanime, fut attaquée par les soldats de Syracuse qui remportèrent la victoire et exhibèrent dans un sanctuaire le bouclier de Nicias jusqu'à l'époque de Plutarque.

La double erreur sur l'éclipse lunaire fut la cause métaphysique (liée à un défaut moral de manque d'audace) qui plongea le général athénien dans la défaite alors qu'il avait été jusque là militairement et politiquement avisé (il avait modéré l'impérialisme athénien comme le rappelle la fiche Wikipedia).

Le passage est aussi l'occasion de rappeler qu'à cette époque ceux qu'il appelle les "physiciens" comme Anaxagore ou Protagoras, les "bavards célestes" comme on les appelait (et comme les prêtres notamment les nommaient sans doute), étaient mal vus à Athènes où l'on comprenait les éclipses solaires mais pas celles de la lune. Les gens tenaient absolument à voir dans les différents aspects des astres des signes de la volonté des dieux, qui ne pouvait être réduite à des lois prévisibles. Car cela donnait l'impression que l'on voulait par ces lois enchaîner les plans divins. C'est seulement à partir de Platon que l'étude empirique des astres fut jugée respectable, parce que Platon était très prestigieux du fait de son charisme personnel et parce que son système philosophique, nous dit Plutarque, "subordonnait les nécessités physiques à des principes divins et souverains". On pourrait dire subordonnait "en dernière analyse", puisqu'à la fois il estimait que les phénomènes astronomiques suivaient des lois, et que ces lois obéissaient aux principes divins, ce qui ôtait à leur étude le soupçon d'impiété (et c'est grâce à cela sans doute que Pythéas de Marseille - ville intellectuellement influencée par Athènes -, quelques décennies après la mort de Platon, put avec son bagage pythagoricien s'embarquer pour le pôle nord afin de mesurer l'étendue de la terre, et étudier les marées).

La mort de Nicias est ainsi l'occasion d'une triple réflexion sur l'interprétation des signes lunaires, la bonnes mesure à accorder à la piété religieuse, et l'équilibre complexe entre le respect de la liberté des décrets divins et l'utilité de l'étude rationnelle "confiante" des phénomènes physiques dont procèdent ces décrets. Ces questions n'avaient rien de gratuit puisque l'avenir politique et militaire des cités sur le champ de bataille en dépendait.

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La vie de Sainte Elisabeth de Hongrie par le comte de Montalembert

18 Décembre 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

La vie de Sainte Elisabeth de Hongrie par le comte de Montalembert

Les hasards de la vie (mais il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous) me poussent à m'intéresser aux franciscains. Je suis un peu choqué par ce qui me paraît être, dans les Fioretti, la marque d'un masochisme excessif, mais je trouve aussi dans l'imagerie du feu qui entoure le séraphin qui s'adresse à St François juste avant sa stigmatisation des éléments qui me parlent. Et puis je ne peux pas oublier non plus que Christophe Colomb lui aussi faisait partie du tiers-ordre franciscain, et moi qui aime tant depuis longtemps la Hongrie, j'ai été amené à m'intéresser il y a peu à une autre tertiaire illustre qui a une belle église à Paris inaugurée par une de mes vieilles connaissances, le cardinal de Retz au XVIIe siècle, Sainte Elisabeth de Hongrie - 1207-1231 - (Elisabeth est le nom d'une de mes deux grand-mères refermons la parenthèse).

En 1836, le comte de Montalembert, le catholique libéral défenseur des peuples opprimés, qui n'avait alors que 26 ans mais était déjà pair de France, lui consacra une biographie à la mémoire de sa soeur, morte à quinze ans, et qui elle aussi portait ce prénom. Il ouvre son récit sur l'évocation de sa visite à Marbourg, le jour de la fête de la sainte, où il avait trouvé la basilique largement profanée par les protestants, abandonnée alors même qu'elle avait été le lieu d'immenses pèlerinage. La tristesse de l'abandon de la sainte l'avait poussé à enquêter sur elle. Après une vaine tentative pour se rendre à Presbourg sa ville natale de Hongrie (aujourd'hui Bratislava en Slovaquie), il s'était rendu à son château de Wartbourg, à Creuzburg où elle fut mère, au monastère de Reinhartsbrunn où elle entra à 20 ans tandis que son mari partait pour les Croisades où il allait mourir, à Marbourg où elle-même mourut à 24 ans (un peu comme Isabelle Sandy, dont je lisais il y a trois jour le roman sur Nicolas Flamel en pleine bombardement de Pais en 1914 se rendait sur les lieux de la vie du célèbre alchimiste).

Cette seule évocation des lieux de vie de la sainte nous fait apercevoir son itinéraire, un itinéraire de météorite, celui d'une éternelle jeune fille comme les saintes martyres du bas empire romain, ou Sainte Bernadette Soubirous).

Montalembert souligne combien Elisabeth de Hongrie est la fille d'un XIIIe siècle apogée spirituel du christianisme. Pourtant observe-t-il, le XIIe siècle avait mal fini et "l'écho de la voix de saint Bernard" avait fini par se perdre, après la prise de Jérusalem par Saladin, l'assassinat de Thomas Becket, la captivité de Richard Coeur-de-Lion, les violences de Philippe-Auguste contre sa femme, les cruautés de l'empereur Henri VI en Sicile, les progrès des hérésies vaudoise et albigeoise, le relâchement des religieux. Mais en 1198 le sacre du beau pape Innocent III, l'homme qui faillit effacer le schisme avec l'Orient et répara mille injustices de l'Espagne à la Scandinavie, annonce un renouveau qui allait notamment s'incarner dans la croisade des enfants de rois de 1212 où ils périrent tous, la prise de Constantinople, las Navas de Tolosa, la magna carta anglaise, la chute des Hohenstaufen, la sainte bataille de Bouvines, la prédication de St Dominique et de St François. En 1277, 417 couvents dominicains, les franciscains sont des milliers. St Louis fut un pénitent du tiers ordre. Clara Sciffi, Ste Claire, ordonnée par St François fonde les clarisses. Elisabeth de Hongrie sera la première princesse franciscaine, mais sa cousine Agnès de Bohème et Isabelle de France, soeur de St Louis, et les deux filles de Ferdinand de Castille et la soeur du roi du Portugal, et des membres de la famille de Ste Elisabeth - sa belle soeur reine de Galicie, sa nièce duchesse de Pologne, deviendront clarisses et sa petite fille devenue reine du Portugal sera du tiers ordre. Tout cela devait beaucoup à Marie. Les dominicains ont institué le rosaire et les franciscains le dogme de l'immaculée conception. Elle inspira la fondation du Carmel, des servites dont un saint instaura la dévotion aux sept douleurs de la Vierge, et l'ordre de ND de la Merci. Des ordres naissent partout et des saints, avec des apparitions et des miracles. Ce christianisme dominait la sphère politique et intellectuelle. Les cathédrales allaient exprimer cela. Et le culte marial de la poésie mystique française et allemande allait déboucher sur le culte de la femme terrestre chez Dante.

Elisabeth venue de la Hongrie inconnue, grandit à la cour de Thuringe. Epouse exemplaire elle voit son mari céder à l'appel des Croisades et se tourne vers Dieu. A la mort de son mari, elle est jetée à la rue avec ses enfants à 20 ans, mais refuse de se remarier, reste avec les pauvres et épouse le Christ. Elle meurt en chantant un cantique.

L'oeuvre biographique de Montalembert vise surtout à contribuer à la restauration du christianisme. "Tous ont le droit d'entrer dans la famille de Jésus-Christ,quand ils font un excellent usage de leur Rédempteur et de leur père, et du lait de la sacrée Vierge, leur mère ; oui, de ce sang adorable qui encourage les martyrs, qui enchante leurs douleurs... et de ce lait virginal qui adoucit nos amertumes en apaisant la colère de Dieu" (vie de Ste Elisabeth par le RP Apollinaire, 1660, p. 41) . Inverser la volonté des savants modernes de remplacer la Vierge par Vénus (la fleur "soulier de la Vierge" devient Cypripedium Calceolus). "Un jour viendra où l'humanité demandera à sortit du désert qu'on lui a fait" (CXIII)

Sa longue préface à la vie de la sainte sert à cela. Et l'on est surpris d'y trouver tant de profondeur, de piété et d'intelligence. On y trouve aussi une forme de christianisme germanophile qui se fera plus rare après 1870 en France.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6106035h p. LI

Pour ce qui concerne la postérité d'Elisabeth de Hongrie (de Thuringe), j'ai appris il y a peu avec étonnement que dans la basilique Saint François de Majorque la tombe de Raymond Lulle, moine alchimiste et martyr décédé en 1315, est ornée d’une statue grandeur nature de Sainte Elizabeth de Hongrie (dite encore de Thuringe) portant dans un pan de son manteau une couronne de roses d’or.

Brantôme (1537-1614) fait commencer son hommage à Elisabeth de France (1545-1568) en disant qu'il ne s'en était pas vu d'aussi vertueuse depuis Sainte Elisabeth de Hongrie et que toutes les Elisabeths semblent prédestinées à la vertu.

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Jacqueline-Aimée Brohon, l’autre mystère de Gisors, par Christophe Colera

15 Décembre 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire secrète, #Histoire des idées

Mon article "Jacqueline Aimée Brohon, l'autre mystère de Gisors" vient d'être publié dans la revue "Connaissance de l’Eure" n° 178 (4e trimestre 2015) qui peut être commandé ici.

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"La danseuse nue et la dame à la Licorne" de Mme R. Gaston-Charles

1 Décembre 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Nudité-Pudeur en Europe, #Philosophie, #Pythagore-Isis

"La danseuse nue et la dame à la Licorne" de Mme R. Gaston-Charles

Cinq ans avant que Georges Clemenceau n'écrive sa lettre déjà citée sur ce blog sur l'omniprésence de la nudité à Paris, un livre intrigant paraît sous la plume d'une certaine Mme Gaston-Charles, qui est probablement une dame mondaine habituée des ateliers de peintre et des conférences sur l'histoire de l'art. La dame n'a laissé aucune trace dans les dictionnaires littéraires. Même la fiche de la BNF ne peut donner que sa date de naissance (1868) mais pas celle de son décès, et lui attribue (à tort si l'on considère sa remise de prix de 1912 et ce qu'écrit sur elle Jules Bois) un sexe masculin. Peut-être s'agit-il d'un pseudo. Son prénom n'est jamais explicité dans les revues, on le trouve dans Anamorphoses décadentes d'Isabelle Krzywkowski et ‎Sylvie Thorel-Cailleteau - p. 221 : Rachel. Il semble qu'elle ait été aussi peintre (cf Le Figaro du 30 avril 1891). Dans son livre elle ne dit rien d'elle-même et son prénom n'est signalé que par son initiale "R".

Ce roman a pour exergue " "Rien n'est impur en soi ; une chose n'est impure qu'à celui qui a l'impureté en lui" St Paul, Ep. aux Romains XIV". Une exergue qui aurait pu être alchimique. J'ai cru au début que le roman était ésotérique et codé. A la réflexion il ne l'est probablement pas. C'est un roman philosophique sur le Beau, le corps, au début du XXe siècle, les valeurs qu'ils véhiculent. Et les discussions qu'il reflète éclairent les cent ans qui ont suivi.

Voici l'histoire. Mme Gervais de Pélus habite au 4ème étage sans ascenseur d'un immeuble avenue de Villiers à Paris (le roman ne cite même pas Paris..., mais bon...). Le héros Valentin Audifax, bourgeois descendant d'un maître des requêtes d'Henri IV, va y assister à une soirée, mais hésite à monter les escaliers (parcours initiatique), toutefois l'idée d'y retrouver la comédienne Luce de Marcillac (Luce est un prénom lumineux), qu'il a rencontrée l'été précédent près de Tours, le persuade de poursuivre "son ascension", bien que sa passion pour l'actrice soit déclinante.

Arrivé dans l'antichambre, il entend qu'on le complimente sur ses cheveux blonds, tandis que la maîtresse de maison, qu'il croyait "couronnée de cheveux blancs" montrait une mine qui n'était point celle d'une personne qui renonce". En fait elle a les cheveux acajou, le port majestueux. Epouse d'un grand d'Espagne, elle se console du déclin de ses charmes en accueillant chez elle de "jeunes bardes".

Confronté à une forêt de nuques et de dos dénudés le long de sièges dorés, le héros passe au salon réservé aux artistes et y trouve Luce qui lui prescrit de trouver Tiburce Sotter, un "critique lanceur d'étoiles". Audifax feint d'obéir, car la "chair rousse fondante et rosée" de l'actrice l'incite à l'indulgence. Dans l'autre salon il est attiré par la blondeur pâle de la jeune Mme Rosine Eucher, fondatrice de revues qui après avoir été anarchiste féministe, mêlée à des complots, avoir tenté de récupérer l'Alsace-Lorraine au Kaiser, rêve "d'une place entre Jeanne d'Arc et Mme Roland". Leur conversation est interrompu par le début d'un concert - Mme Le Timorey chante dans Samson et Dalila, mais est ridicule dans ce dernier rôle. Les chanteurs se succèdent, Mlle de Marcillac lit des vers. Les chansonniers de la Butte évoquent les trouvères médiévaux aux oreilles du héros. Enfin à la fin des numéros un peintre "au visage d'ânier du Caire", Patrice Heribert, lui présente la femme au dos ambré nu qui l'avait hypnotisé, Miss Jacinthe Nethersoll.

Notons qu'il a réellement existé une Olga Nethersole, née à Londres en 1867, de mère espagnole qui fit ses débuts au théâtre de Brighton en 1887. Elle joua "Sapho" dans la pièce d'Alphonse Daudet adaptée par Clyde Ficht en Australie et en Amérique où elle fut inculpée pour "violation de la décence publique" avec son partenaire masculin mais fut relaxée. En 1902 L'Art dramatique et musical au XXe siècle p. 244 jugeait à propos de cette jouée en Angleterre que Nethersole était une véritable "fille de brasserie" (ce qui n'avait rien d'élogieux) En 1906 elle jouait encore Carmen aux Etats-Unis. Paul-Emile Chevalier dans le Ménestrel signale qu'elle a fait ses débuts à l'Odéon dans "La seconde madame Tanqueray" à l'Odéon en 1904 et blâme les fautes de goût dans le décor, les jeux de scène, l'utilisation d'un boa, qu'il juge étrangers aux habitudes françaises.

Dans la vraie vie c'est Miss Nethersole qui a joué dans Dalila. La revue "L'art dramatique et musical au XXe siècle" de 1904 ( p. 169) notait "Free dans le rôle d'un bossu qui tue une Dalila de bas étage, des noeuds de laquelle ne peut se détacher son seul ami, a élé admirable à son ordinaire, mais mademoiselle Nethersole dans le rôle de la Dalila a été aussi ridicule que ses toilettes". Les Annales du théâtre et de la musique de 1907 (p. 274) lui reconnaît au Théâtre Sarah-Bernhardt encore dans "La seconde madame Tanqueray" "des qualités très réelles,... des yeux doux et expressifs, la voix claire et bien timbrée, un jeu fin et discret dans les premiers actes, puis très saisissant à la fin de la pièce". Elle joue ensuite Magda, Sapho, Adrienne Lecouvreur, adaptée de la pièce de Scrive et Légouvé, Camille, qui adapte la Dame aux Camélias, et The Spanish Gipsy, adaptation de Carmen de Mérimée. Son jeu dans cette pièce est décrit par "Charles Martel" dans l'Aurore du 12 juin 1907 (le journal de Clemenceau) comme d'un "réalisme à rendre fou les habitués de l'Opéra Comique". "Carmen est une admirable bête de joie, fleurant plus ou moins bon toutes les grossières voluptés. Et dans cette vulgarité même, le type de la gitana prend sa grandeur et sa fatalité. Devant l'effet obtenu je n'ai pas le droit de reprocher certaines exagérations à miss Olga Nethersole, j'aime mieux, admirateur de son talent fougueux, joindre mon bravo aux acclamations". Elle allait pendant l'été se rendre comme tous les ans chez les Rostand à Cambo-les-Bains pour une semaine où le fils d'Edmond Rostand lui donnerait une traduction anglaise de "La Samaritaine" de son père (Miss Nethersole apparemment venait souvent chercher des pièces françaises pour les faire adapter et les mettre en scène elle même en Angleterre et aux Etats-Unis).

Olga Nethersole est l'inventrice du "soulkiss", (Comoedia 18 novembre 1908 p. 2). Le 17 novembre 1908 au théatre de l'Athénée une causerie sur le baiser donnée par Robert Eude sur la Baiser dans le décor du premier acte d'Arsène lupin allait expliquer que le baiser était un "lien mystérieux entre toutes les races", avant que Mlle Isis n'exécute une "danse antique des voiles et du Lotus" et la récitation d'un poème de Redelsperger, "Le Baiser" par Arlette Dorgère accompagnée au piano par Maurice Pesse. Le soulkiss est un baiser très long dont le record 1mn47sec est détenu par l'actrice miss Maud Adams, nous dit le journal.

La brune aux yeux bleus (mais aux membres longs et à la poitrine plate), aux gestes lents et à l'accent anglais a un teint d'Hindoue qu'elle tient de son aïeule fille de maradjah. Elle a passé son enfance aux USA. Dans son "subliminal self" elle a retrouvé les vieux temples mystérieux, celui des Devadassi, "prêtresses de Bouddha".

Luce de Marcillac, elle est une "vierge moderne", dévouée à l'art, qui est pour elle un Apollon Sôter, Alexikakos, qui la sauve de la servitude du mariage. A son temple rebâti s'y pressent aussi bien "des filles galantes ", "d'adroites marchandes" que des vestales convaincues. Luce tient de tout cela. Petite bourgeoise (Antoinette Chevrion de son vrai nom) déçue par une perspective de mariage triste avec un marchand de Provins, rêvant elle-même de l'or des Amériques, elle hésite à prendre pour amant Audifax qui connaît peu le monde du théâtre, n'aime pas le cabotinage et ne peut pas lui être très utile. Lui même, éduqué à l'ancienne par un père vieil humaniste professeur de droit, hésitait à prendre Luce comme maîtresse d'un jour.

Audifax va tenter de la revoir chez madame de Gervais lors d'une soirée où elle récite seule des vers, mais il n'a sollicité l'invitation que pour revoir mademoiselle Nethersoll.

A cette soirée il retrouve le peintre Héribert qui, en usant de l'argument artistique et en jouant de sa vanité d'être reconnue par un esthète, après avoir convaincu son mari d'acheter ses tableaux n'est pas loin de convaincre la jeune Odette de Fondmaur de ce que sa poitrine mériterait d'être montrée à tout le monde.

Celui-ci "se promettait de suivre, en alchimiste curieux, en artiste déliquescent, les progrès du ver qu'il introduirait dans le fruit", quitte à la rendre un jour "hystérique et éthéromane" (p. 63), telle une "colombe de sacrifice" (mais déjà Mme de Fondmaur avait déjà "un certain air sournois de pensionnaire émancipée" qui allait lui faire mériter cette punition . A la fin du récital, le peintre persuade mademoiselle Nethersoll de se donner en spectacle chez lui.

Trois jours plus tard dans l'atelier d'Héribert, rue Clément-Marot, Audifax croise Odette de Fondmaur, petite provinciale bretonne dévote, mariée à 17 ans, devenue à Paris le jouet du peintre qui devenait l'équivalent de ses anciens catéchistes. Après le départ d'Audifax, Héribert lui propose de poser nue, mais, travaillée par le souvenir de la provinciale chrétienne du passé, cette "nouvelle Eve" tentée se souvient des sixième et neuvième commandements. Tentant de la persuader qu'on peut montrer ses seins aussi aisément que son visage. Audifax vante Phryné, inspiratrice de l'art grec, et Pauline Borghèse immortalisée par Canova. Partagée entre l'orgueil d'être élue par le peintre et la peur, elle s'enivre au charme des mots, et dégrafe son corsage, puis, comme le soleil vient baigner la pièce (signe divin), elle se ravise et songe qu'elle même ne s'est jamais regardée nue dans un miroir. Héribert parvient finalement à ses fins en l'entraînant dans une partie plus sombre de la pièce.

Audifax va encore faire des rencontres de dévôts de l'art qui dissimulent leurs travers dans cette religion. Héribert organise des fêtes à Pan et Adonis. La rousse Luce de Montillac parvient à attirer l'attention de Sotter, tandis qu'Odette de Fondmaur reste le jouet d'Héribert. Sa pudeur une fois de plus violentée chez Ermont, elle est secourue par Audifax. Celui-ci voit Miss Nethersoll danser une danse sacrée indienne connue des seules prêtresses. "Elle ne porte que deux plaques d'orfèvrerie moulant les seins et, retenue aux reins, une gaze d'argent mat lamée de raies brillantes." Les yeux se fixent sur la nudité de son ventre. Hiératique au début, elle cédait peu à peu à l'ivresse et arrachait ses voiles. A la fin Héribert la couvrait d'un manteau de soie myrte semée de roses. Audifax fasciné est jaloux du regard des autres posés sur la danseuse. Il se souvient qu'une petite Jacinthe lui avait jeté des fleurs à Cannes et qu'il avait vu s'exhiber nuitamment nue devant un vieil homme dans une crique.

Après qu'il eût conquis la confiance de Miss Nethersoll au bout de quelques jours celle-ci lui explique qu'elle veut "sculpter son idéal avec son corps" (p. 135) puisqu' "en art représentatif tout a été dit", elle veut "inspirer tous les esprits". Audifax y voit la trace des philosophies de Ruskin et Emerson. Nethersoll vénère les dieux de l'antiquité grecque et méprise le Moyen-Age qui enlaidit la nudité. Elle était persuadée que "les peuples latins (comme les français) mouraient du christianisme" (p. 139). Face à une Audifax qui défend mollement le christianisme, Jacinthe évoque son enfance à Boston pétrie de l'idée du beau et de la nécessité de l'incarner. Elle se sent missionnaire face aux Français qui "voient partout la plaisanterie et le libertinage".

Son amie Rozel Dunroë à Londres reconstitue les danses grecques, des danses à l'effet moralisateur qui enseignent l'eurythmie au monde sur un mode platonicien. "Les Américains ! Mais tout les désigne comme les héritiers des Grecs. Leurs lois d'hygiène, leur amour des sports, me type même de la race, qui, de plus en plus, modèle en têtes de médailles et en corps d'athlètes ! Donc, par patriotisme, elle cultivait cet art" (p. 147). Miss Nethersoll est convaincue "qu'un jour viendra où tous les corps étant beaux et sains, on ne les cachera plus au nom des anciennes pudeurs".

Audifax ne se laisse pas convaincre. Il connaît les salons parisiens remplis de "désenchantées de province, en quête d'enchantements faciles, prenant leur physique pour une métaphysique et le détraquement de leur sensualité pour une philosophie" (p. 154), mais il veut bien penser qu'en mettant la femme à la place des antiques déesses, Miss Nethersoll a des ambitions morales plus élevées.

Quelques jours plus tard elle lui explique que "Galathée" était en fait une des femmes attachées aux temples qui servaient de modèles aux peintres pour figurer les déesses et que Pygmalion amoureux de son modèle demanda à Vénus de la faire sortir du temple. Audifax réplique que dans la Légende dorée Galathée fut convertie au christianisme et donna son corps à tous (p. 166).

Luce de Marcillac qui se sent de plus en plus abandonnée cherche la protection de Sotter pour se lancer au théâtre, mais celui-ci lui propose plutôt de faire du music hall dénudé, ce qui la déçoit profondément. Elle tente en vain de récupérer Audifax. Celui-ci tente de dissuader Miss Nethersoll de se dénuder à nouveau. Il la trouve chez elle déguisée en Nari, "l'Isis indienne" (l'auteure a-t-elle lu "Addha-Nari ou L'occultisme dans l'Inde Antique" d'Ernest Bosc ?) à l'initative d'un certain Ermont de Logelbach (nom qui évoque les toiles indiennes Herzog de Logelbach). Il admet qu'il ne serait pas prêt à l'épouser (une allusion à Brunetière se glisse dans le chapitre).

Alors qu'il va chercher une invitation pour la soirée cher Ermont, il apprend d'Héribert que celui, comme Miss Nethersoll, et comme Léonard de Vinci, croit que "le corps humain est si beau, c'est une demeure si belle, qu'une âme vulgaire n'est pas digne de l'habiter" (p. 226). Il est trop tard pour qu'Audifax décroche son invitation. La danse nue chez Ermont a eu lieu la veille. Mais Héribert détrompe Audifax qu'il juge comme le représentant d'une tradition française démodée source de préjugés aveuglants : Miss Netehrsoll n'est pas la fillette qu'il a connue à Cannes. C'est une fille de pasteur de Philadelphie, une riche héritière devenue "professionnal beauty" par plaisir et non par nécessité, et Héribert va l'épouser. Audifax sort en suffocant. Avenue Marceau la jeune Mme Odette de Fondmaur, qu'Héribert ne veut plus recevoir, l'interpelle et lui confie sa jalousie à l'égard de Miss Nethersoll.

Le lendemain à 9 h Audifax met en scène son suicide et a convié par lettre Miss Nethersoll à y assister. Celle ci émue par le geste du prétendant lui avoue qu'elle n'a jamais songé à épouser Héribert. Apprenant qu'elle part pour Londres avec Sotter, Dépité Audifax blâme le narcissisme de son culte de l'art et fait un éloge des corps imparfaits, que Miss Nethersoll juge chrétien (p. 255). La danseuse déçue par son moralisme l'envoie consoler Odette de Fondmaur.

Il rejoint celle-ci 12 rue Vanneau où elle habite avec une sienne parente bonne soeur. Elle lui confie la dualité de sa dépendance à l'égard d'Héribert et de ses remords d'être sur le point de de devenir morphinomane pour satisfaire le besoin du peintre d'avoir cela pour modèle. L'image de ce sacrifice émeut Audifax. Il veut la sauver des multiples esclavages de sa vie. Le lendemain il la retrouve aux Thermes de Julien au musée de Cluny. Dans ce musé, il trouve aux Eves des tapisseries une ressemblance avec Odette, de même qu'à la dame à la Licorne dont la féminité se concentre dans son visage.

Inspiré par la tapisserie Audifax reconnaît dans Odette "la personificationhéraldique d'un monde et d'une France dont, instinctivement et par tradition, il portait le culte en lui" (p. 274).. Les forces du passé et de l'Histoire, le saint Martin aux membres grêles près de la piscine des Thermes face au buste païen d'Haidès le poussent vers Odette, la floraison mystique de l'âme contre le culte païen de la vie, et cela agit aussi sur Odette qui se rapproche d'Audifax. "Ne cherchez pas à devenr la Femme nouvelle, lui-dit-il. Restez ce que la volonté des morts de notre Race a voulu que vous fussiez". Il lui explique que Julien l'apostat n'est revenu au pagansme que par dilettantisme esthétique et lui montre la dame à la Licorne. Une force occulte nourrit son éloquence. "Votre beauté doit éclore dans l'omvre, lui-dit-il. Votre nudité n'est  pas faite, comme celle d'une Miss Nethersol pour s'étaler en pleine lumière, afin de tenter les hommes. Vous ne devez être belle que pour un seul amour". La peur même qu'elle éprouve du péché rend Odette aimable ax yeux d'Audifax. A ces paroles compréhensives, le visage d'Odette s'éclaireet frémit d'amour. "La Beauté, serait-ce donc la lueur adorable ey passagère qui, sous l'émoi intérieur, colore en de figitifs instants la face humaine ? ... La lueur divine qu'une minute emporte, qu'on ne reverra plus, mais dont le souvenir ne pourra s'effacer ?..."

Dans un dernier chapitre intitulé Parsifal, Rachel Gaston-Charles imagine une lettre d'Audifax à Odette où il lui confie tout ce que leur amour lui révèle sur l'humanité, mais lui annonce aussi son désir de la fuir. "Comme Parsifal, je puis dire : grande est la force de celui qui désire, plus grande encore est la force de celui qui renonce". Une annexe au roman "La sainte en voiles roses" explicite la version imaginée du mythe de Galatée évoquée plus haut

Il s'agit donc de toute évidence d'un roman chrétien qui se confronte aux modes artistiques parisiennes de son époque et à leur inspiration de la presse. C'est un procès de la vanité, du narcissisme parés d'oripeaux mystiques, avec toutes leurs dérives hérétiques - voir quand Rachel Gaston-Charles regrette que n'importe qui puisse se dire artiste, recherche la louange avec l'aide de la presse, et cède ainsi à l'orgueil. "Cabotins, peintres de Rose-Croix, statuaires moins forts que leurs patriciens, littérateurs de démarquage, nous assurent 'faire de l'Art'. Les femmes surtout s'y consacrent, comme autrefois elles se jetaient dans l'amour ou la dévotion" note-t-elle p. 82 (avec une référence remarquable à la Rose-Croix)

On peut s'étonner qu'un roman, qui tranche tant avec les moeurs du temps, ait trouvé un certain écho, et surtout un écho favorable dans la grande presse.

Le Mercure de France p. 306 du 16 septembre 1908 note qu'Isadora Duncan mais comme Miss Nethersoll ne saurait pas marcher nue avec grâce dans la rue, qu'aucun modèle dans les ateliers d'artistes ne le savent. L'héroïne ne serait qu'une "féministe dernier bateau" qui veut se constituer "un harem d'homme par les yeux". L'article trouve l'histoire "très amusante" et note que l'art du déshabillage n'a pas de secrets pour l'auteur (mais ils ne savent pas que l'auteur est une dame). Une critique bien superficielle qui évite de prendre au sérieux le message chrétien du livre.

Dans la revue Critique des idées et des livres de juillet-septembre 1908 (p. 336) sous la plume de Camille Marrast (sans doute un pseudonyme) présente cette "étude de psychologie et d'art" comme un roman désarticulé" qui fait une apologie de la danse nue à travers le personnage de Miss Nethersoll, spécialiste de l'exposition de soi" et qui veut que les femmes deviennent des "statues animées" et inspirent les esprits. "Je veux être belle par devoir humain et non pour servir le flirt". Le roman vante, nous dit-on, le goût américain pour les sports violents, et le "music hall" aux "émotions plus pures que le théatre", la danse comme école d'eurythmie depuis Platon. Le héros Valentin Audifax ne se laissera pas convaincre. Là encore c'est manquer le message spirituel du livre, pour ne retenir que ce à quoi il s'oppose (le paganisme de Miss Nethersoll).

Dans les Annales politiques et littéraires p. 227 l'occultiste Jules Bois (amant de la cantatrice Emma Calvé) estime que "ce livre quoique écrit par une femme ne saurait être lu des jeunes filles" et ne lui consacre que quelques lignes.

Jules Bois,est comte de la Rose-Croix du Temple et du Graal, Supérieur Inconnu de l'Ordre martiniste, initié dans la loge Ahathoor n°7 fondée à Paris par son ami S. L. Methers, grand maître de l'Ordre Hermétique de la Golden dawn (qui fut le creuset du nazisme, si je m'en souviens bien, la Golden Dawn dérivait de la Société rosicrucienne en Angleterre, elle même issue de celle d'Ecosse), secrétaire actif à partir de mars 1907 de la Société des gens de Lettres. Il n'est pas suprenant que ce roman ne lui inspire pas grand chose. On peut quand même s'étonner qu'il ait pris la peine de le commenter. On notera aussi qu'à la différence de la revue "Le Mercure de France" (homonyme de l'éditeur), lui sait que R. Gaston-Charles était une femme.

Dans la rubrique « Chronique des romans », de La Phalange de novembre 1908, à propos du roman La Danseuse nue et la Dame à la licorne de R. Gaston-Charles, un autre adversaire du christianisme, G. Apollinaire, ancien élève des marianistes et lecteur de la Gnose, commente le livre et rappelle à cette occasion l'inimitié entre la licorne et l'éléphant. Hélas je n'ai pu accéder pour l'heure à son article.

En 1912 Mme Gaston Charles allait obtenir le prix de l'Erudition de la Vie heureuse (Revue de la prévoyance et de la mutualité (tome XXI 1912 p; 574) pour son autre roman "M. Charmeret en Italie" (eds Plon), puis sombrer dans l'oubli de l'histoire littéraire.

"Bâtissons les forteresses de Juda des débris et des ruines de celles de Samarie", Bossuet, Sermon sur la Providence.

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Akita

20 Novembre 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme

Un certain M. Dalibert dans un numéro des Missions catholiques : bulletin hebdomadaire de l'Oeuvre de la propagation de la foi de 1898 p. 140, raconte qu'un proverbe dit que les montagnes de l'Akita (ancienne Kubota) renferment l'or et l'argent dans leurs flancs mais que les montagnes du Shonaï l'attirent par leur sainteté. De l'or comme dans les montagnes de Rennes-les-Bains, et la spiritualité attire l'or (dans l'alchimie par exemple). Dalibert voulait établir un pèlerinage chrétien à la Vierge immaculée à Shonaï pour soustraire le Japon aux "erreurs shintoïstes et bouddhiques". Les secousses sismiques sont fréquentes dans cette région . Par exemple le 15 mars 1914 (dépêche de Reuters publiée dans Le Matin du 16 mars), faisant état de centaines de maisons effondrées dans la province du fait de l'activité du volcan Asama.

On a recensé à Akita 3 messages mariaux (du 6 juillet au 13 octobre 1973 relatifs à des inondations et du feu qui tombera du ciel, à l'infiltration du diable dans l'Eglise) et 101 lacrimations (du 4 janvier 1975 au 15 septembre 1981, avec des larmes humaines selon des analyses scientifiques). L'apparition a été validée par le cardinal Joseph Ratzinger au Vatican en 1988. Soeur Agnès Sasagawa qui reçut le premier message avait été stigmatisée à la main de la même manière que la statue de la Vierge (une Vierge debout sur un globe et adossée à la Croix, réplique de la Vierge apparue à Amsterdam). En juin 1973, alors qu'elle était malade à l'hôpital, la soeur reçut une apparition de son ange gardien qui lui dit la prière de Fatima (inconnue au Japon à l'époque), à dire après chaque décade du rosaire, puis la soeur eut une blessure à la main, puis les apparitions eurent lieu (cf vidéo ci-dessous).

En 2011, les responsables de l'église japonaise ont confirmé que le diocèse de Niigata, dans le nord du pays, a été le plus durement touchés par le tremblement de terre de magnitude 8,8 - le pire dans l'histoire japonaise - et le tsunami qui en a résulté. Akita elle-même a été relativement épargnée quoique située à l'épicentre.

L'évêque Tarcisio Isao Kikuchi de Niigata (3 préfectures qui incluent Akita) confiait en 2014 qu'il était difficile de maintenir une présence catholique dans la région du fait de la laïcisation de la jeunesse, de la méfiance à l'égard des religions suscitée par les suicides occasionnés par les sectes, du fait du désir des campagnes de rester fidèles à leurs traditions, et du fait que les programmes d'aide à la population étaient gérés par l'Etat, le christianisme ne pouvant se faire connaître que par la charité (l'évêque dirige aussi Caritas au niveau du Japon). Il remarquait que les statistiques gouvernementales recensaient 3 713 187 de shintoïstes, 2 257 855 bouddhistes, ce qui est incohérent avec le fait que le diocèse ne compte que 4 488 904 habitants.

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Saint Christophe par et pour Christophe Colomb

17 Novembre 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Christophe

Saint Christophe par et pour Christophe Colomb

Léon Bloy l'écrit dans son "Le révélateur du globe, Christophe Colomb" : "Aucune chose en ce monde n'est livrée au hasard, et la divine Providence n'est nullement étrangère aux noms que doivent porter les chrétiens jusqu'à leur dernière heure, et sur lesquels ils seront crucifiés ou exaltés selon le caprice de l'inconstante populace humaine. Presque toujours nos noms enveloppent et déterminent nos destinées." (p. 103)

Je le crois bien volontiers, moi qui étais censé m'appeler "Christine" et qui ne suis devenu Christophe après ma naissance qu'au terme de recherches embarrassées. "Il y a 'Christ' dans votre nom" m'ont dit bien des médiums. C'est très vrai, et "Christ" devait s'y trouver de par la volonté de ma mère (inspirée par qui ?) même en version féminine. Ce nom devait donc absolument tendre vers le Christ. Une universitaire italienne vivant aux Etats-Unis acquise aux combats anti-colonialistes trouvait qu'il n'y avait point de prénom plus marqué à ses yeux par le christianisme que Christophe. "Cristoforo" disait elle avec un sourire ironique que les universitaire aussi pédants qu'ignorants comme il y en a tant de nos jours. C'est vrai qu'en italien, la notion de Christophore, fait mieux entendre le "porte-Christ" qu'en Français où "ore" a disparu (l'or de l'alchimiste dirait-on dans la langue des oiseaux, je vous renvoie à Fulcanelli sur St Christophe ici).

Les Italiens pensent davantage à Christophe Colomb que nous, les Espagnols aussi pour qui le mystérieux "phoros" grec est devenu un inélégant "bal" comme Balzébuth...

Pourtant ce sont les Français qui au XIXe siècle ont milité (en vain) pour la canonisation du navigateur, pour compenser disait Bloy le fait qu'à cause d'eux l'Amérique ne porte pas son nom. Moi l'image de Christophe Colomb m'a autant collé à la peau que celle du géant porteur de Jésus sur ma médaille de baptême. Peut-être parce que mon nom de famille commence aussi comme celui de la "colombe porteuse du Christ" ... par Col.

Christophe Colomb et son pendant satyrique, le "tonton Cristobal" de Pierre Péret, grand navigateur et aventurier lui aussi.

Je découvre aujourd'hui que Léon Bloy démontre, en s'appuyant avec brio sur son biographe catholique Roselly de Lorgues, que "sans Christophe Colomb, il est impossible d'expliquer la légende de St Christophe". L'image du géant qui traverse la mer avec le Christ sur son épaule ne peut être que prophétique, puisqu'elle ne valorise pas la prédication de St Christophe ni son martyr passés. La sphère dans la main de Jésus sur son épaule montre qu'elle vise la future découverte de Colomb. Son tronc est la verge fleurie d'Aaron, il porte des dattes qui sont déracinées pour être apportées au nouveau monde. Sa devise est Qui te mane vident, nocturno tempore rident (p. 109), ce qui vise le futur. Christophe Colomb, l'homme héroïque qui offrit avec un pieux désintéressement (à l'opposé des sordides conquistadores qui allaient lui succéder) la moitié inconnue du monde à l'Eglise, était annoncé par toute la dévotion médiévale comme un saint à venir, parachevant la prédication évangélique au delà de la mer la plus périlleuse et la plus ténébreuse. D'ailleurs après la découverte de l'Amérique la dévotion à St Christophe allait sérieusement décliner.

Christophorum videas, postea tutus eas.

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La nature selon l'alchimie grecque

14 Novembre 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Alchimie

Olivier Dufault, que nous avons cité récemment à propos de son article sur Zosime de Panopolis, a réalisé un effort de synthèse sur les tentatives de définition de la transmutation des métaux dans l'alchimie grecque de l'antiquité tardive autour de Zosime, de Synesius (que l'historien Martelli tient à distinguer de Synesius de Cyrène, le disciple d'Hypatie, mais nous en doutons) et Olympiodore d'Alexandrie. Il montre que le terme Ekstrophe ("inversion") s'appliquait à tout processus de transformation, même le simple changement de couleur. Il désigne une transmutation qui fait apparaître ce qui était déjà présent dans la nature de la matière.

L'alchimie grecque, expose Dufault, s'enracine dans le principe présocratique "hen to pan" (l'univers est un). On a décelé successivement trois théories de la nature au fondement de l'alchimie grecque

- la théorie de la sympathie naturelle (André-Jean Festugière). Une parenté entre les éléments. Festugière pensait que Bolos de Mendes serait le pseudo-Démocrite auteur de la Physica et Mystica et serait l'auteur de la maxime "la nature est charmée par la nature, la nature est la maîtresse de la nature, la nature conquiert la nature". Bolos aurait recherché à revenir à un substrat indéterminé (unqualified) par un processus d'obscurcissement de la matière, en mêlant certaines substances à de la masse obscure en fonction de leur réactivité. Mais en réalité l'obscurcissement n'est pas systématique et il n'existe pas de substrat indéterminé dans le texte du pseudo-Démocrite.

- la théorie de la maturation liée à l'idée que les métaux murissent sous terre et ont tous vocation à devenir de l'or à la fin (Mircea Eliade). L'idée que la terre produit les métaux était courante dans l'antiquité grecque et dans d'autres civilisation. Voilà pourquoi pour Zosime l'alambic est comme un utérus qui "cuit" le foetus, ou pour Stephanus plus tard l'alambic est l'univers. Mais croire que l'or est l'aboutissement nécessaire peut procéder d'une mauvaise compréhension de l'analogie. Cela n'est indiqué à titre littéral nulle part et l'idée de l'humidification ou de l'assèchement des métaux chez Aristote ne l'implique pas non plus.

- La théorie de la forme-transfert, inspirée de Karl von Prantl en 1856 : il y aurait d'abord réduction à la matière première ou indéterminée par obscurissement, puis vaporisation par le souffle, le pneuma (logoi spermatikoi selon Lippmann). Mais cette matière indéterminée des philosophes ne se trouve nulle part dans le corpus alchimique, comme l'a noté Cristina Viano, qui remarque que si les alchimistes empruntent au vocabulaire de Platon et Aristote (puissance, acte), mais n'en suivent pas fidèlement la physique.

Les philosophes n'avaient pas besoin d'un retour à la matière première pour créer de la transformation, et les alchimistes ne produisent pas vraiment une matière indéterminée. Selon Olivier Dufault, il n'y a pas une seule théorie de la transformation chez les alchimistes qui empruntent à plusieurs sources. Et s'il y a des emprunts aux philosophes, la théorie alchimique puise largement sa source dans d'autres références et d'autres vécus.

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Zozime l'alchimiste

11 Novembre 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Alchimie

J'ai découvert Zozime de Panopolis, l'Egyptien (IVe siècle, selon Martelli), il y a quelques mois en lisant Jung qui décortiquait ses rêves.

Zozime n'était pas identifié en son temps comme un alchimiste parce que le mot n'existait pas. C'était juste un philosophe, un esprit universel qui empruntait à Proclus, à la doctrine mithraïque, (qui associaient les métaux aux sphères célestes). Olivier Dufault de l'université de Munich dans une tentative (accessible sur le Net) de le resituer dans son environnement social le compare à un des lettrés (pepaideumenoi) comme les décrit Lucien de Samosate qui apportent le savoir (paideia) de leur temps à leurs élèves, y compris le savoir magique. Dans son "De la vaporisation de l'eau divine qui fixe le mercure" extrait de ses "Mémoires authentiques", Zozime raconte une réception chez la riche Theosebie (Theosebeia), on soupçonne que le cuisinier est un officiant versé dans l'alchimie qui investit ce savoir dans les plats. Zozime y décrit ses oppositions à l'égard d'autres alchimistes sur les questions des techniques, du destin, de la nature de l'humanité (notamment il leur reproche de s'en remettre à l'astrologie et aux volontés des démons pour le choix des gestes - une critique qui rappelle la dénonciation de l'astrologie par St Augustin, je trouve). Ces rivaux selon lui ignorent les "leçons du corps - somatika paideuteria), les choses matérielles, et suivent aveuglément le destin. Comme Epiméthée, ils s'en tiennent à l'humain extérieur (exo anthropos) appelé Thot ou Adam, et ignorent l'intérieur (esos anthropos) appelé phos, la lumière, comme dans la Gnose. Selon lui il faut être comme Prométhée et Phos et ne pas se contenter des fruits du destin (cela évoque aussi, je trouve, Apulée : Isis au dessus du destin). Ceux qui s'en remettent aux "teintures opportunes" (les teintures relevant du kairos, "teinteure" désignant toute transformation de métal, minerai ou textile) sont identifiés aux prêtres des temples traditionnels égyptiens qui utilisent la magie des minéraux à des fins de bénéfices pécuniaires et qui en sont venus à vendre leurs services aux riches protecteurs comme Theosebie, tout comme Zozime lui même. Olivier Dufault décrit par ailleurs les expériences mystique de descente aux enfers et ascension aux cieux qu'implique sa pratique de l'alchimie.

Pour vous distraire, (je vous la livre en hommage à une autre Blanche, Blanche de Navarre l'alchimiste) une lecture alchimique de Blanche-Neige selon Patrick Burensteinas :

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