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Articles avec #anthropologie du corps tag

Encore un incident de baignade

4 Août 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Nudité-Pudeur en Europe, #Anthropologie du corps

C'est Breizh-info.com qui le rapporte hier : "La première quinzaine de juillet a été chaude à La Baule, notamment sur la plage. Ainsi, un peu avant le quatorze juillet, deux femmes, des « Gauloises » qui bronzaient seins nus sur la plage – une pratique courante dans nos pays encore libres – se sont faites agresser par d’autres femmes, d’origine maghrébine." L'article ajoute "Ces dernières, qui ne portaient pourtant par ailleurs aucun signe distinctif pouvant laisser penser à une appartenance à un islam rigoriste, vinrent ainsi les voir pour leur intimer de couvrir leur poitrine, prétextant que « cela ne se faisait pas ». Manque de chance, elles tombèrent pour le coup sur des femmes de caractère, qui les ont purement et simplement envoyées paître." et précise que, suite à une mobilisation des gens autour des "Gauloises" topless, les "forces de l'ordre" "embarquèrent illico ces représentant(e)s de la police de la poitrine." Et l'article de rapprocher la dimension communautaire de l'incident de celle de l'incident de Sisco en Corse que le sociologue JC Kaufmann décortique dans son dernier livre.

Rappelons aussi qu'il existe des incidents autour du topless qui sont sans rapport avec le communautarisme : voir celui de Châteauneuf-sur-Charente il y a un an.

Pendant ce temps des Algériennes organisent des opérations "bikini" sur les plages de leur pays contre les machistes (Le Monde a précisé que ce n'était pas politique).

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"Les sociétés secrètes érotiques" de Gisèle Laurent

29 Juillet 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Notes de lecture, #Nudité-Pudeur en Europe, #Shivaïsme yoga tantrisme, #Anthropologie du corps, #Histoire secrète

Un livre étrange d'une auteure dont Internet ne dit rien (on sait juste que Christophe Bourseiller l'a citée dans "Les forcenés du désir" en 2000). Publié en 1961 aux éditions Éditions De La Pensée Moderne, en 1961 en Algérie. En voici un résumé.

L'auteure détaille sur la base d'un témoignage autochtone et de celui d'Evola les rituels sexuels des Khlystis dont Raspoutine fut un initié errant (stranniki), les rituels de Raspoutine décrits par Vera Alexandrovna Choukovskaïa dans ses Mémoires, leur transposition en 1936-37 rue de Vavin à Paris par la comtesse de Naglowska disciple du staretz Tsarkoïe-Selo (c'est sans doute une erreur de plume de l'auteure car c'est là le nom de la résidence des tsars) ointe par les mariavites polonais(*) (la Messe d'Or, la "pendaison sacrée" aux origines sibériennes qui toutefois n'aurait été réellement mise en oeuvre que par Gustav Meyrinck à Prague), les rituels du groupe Kymris du belge Clément de Saint-Marcq au 27 rue Bleue, ceux du frère Michael à Sèvres disciple du Bogomile naturiste bulgare Peter Deunov (de l'ermitage d'Izgrev) (**). Puis elle fait un flash back sur le XVIIIe siècle : les messes noires de Lauzun, la tentative de conception d'un homoncule par Casanova avec la marquise d'Urfé (Mémoires T. VI ch VII), les messes noires de convulsionnaires ou "béguins" sur la tombe du diacre janséniste Pâris au cimetière St Médard jusqu'aux années 1850. Les orgies de la secte des Ansarieh près de Lattaquié en Syrie dans les années 1920, les rituels shivaïtes de Kanda-Swany décrits par Louis Jacolliot à la fin de 19e s, l'hiérodulie des sanctuaires de Kamashka et Shiroba dans l'enclave de Goa, le tantrisme "de la main gauche" des yogi, l'initiation des mao-mao via la sorcellerie sexuelle au Kenya dans les années 50, les pratiques sexuelles rosicruciennes du 17e siècle révélées dans "Le comte de Gabalis" par Nicolas Montfaucon de Villars. L'excision, la ganza africaine, le vaudou et le macumba sont aussi abordés dans le livre.

Gisèle Laurent cite aussi l'Eulis Brotherhood fondée par le "mage mulâtre" Paschal Beverley Randolph, ami d'Alexandre Dumas, formé dans les hauts grades de la Hermetic Botherhood of Luxor et auteur d'une "Magia sexualis" en 1872, trois ans avant sa mort violente et mystérieuse. Elle termine son livre sur les sorcières de Salem et le sabbat des sorcières vu par Margaret Murray comme un simple culte de la fécondité et ses survivances sur l'île de Man et dans les Highlands (pour elle, ces cérémonies s'accompagneraient de pratiques plus choquantes que ce qu'en dit Gardner).

Le livre est assez superficiel. On dirait un petit reportage pour épicer l'imagination du lectorat bourgeois de l'époque. Mais c'est sans doute une photographie exacte des "topoi", des points incontournables des références habituelles dans les années 1960 sur le mysticisme sexuel.

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(*) Les mariavites,condamnés par le Vatican en 1904 mais soutenus par l'occupant russe, étaient une secte quiétiste vouée à la mortification, dirigée par la visionnaire Falicia (Félicité) Kozlowska, tertiaire franciscaine à Plozk, violente à l'égard des prêtres catholiques mais tolérante envers les autres religions dans les écoles qu'ils administraient. Ils communiaient avec des petits papiers à l'effigie de Marie et prônaient la chasteté comme les manichéens. Ils ordonnaient des femmes, et, après la mort de Felicia Kozlowska en 1921, ils vénérèrent sa présence réelle dans l'hostie. L'archevêque Jean Kowalski qui avait pris l'ascendant sur la visionnaire de son vivant et, après sa mort, imposa le mariage mystique entre religieux arrangé par les chefs, et, au profit des hauts dignitaires, une polygamie, transformant le monastère de Plozk en harem personnel. Cela leur valut de rompre avec les vieux catholiques en 1924 après une rencontre entre Kennick et Kowalski à Berne. Les effectifs de la secte fondirent de quelques centaines de milliers avant guerre à moins de cent mille, et Kowalski fut condamné pour atteinte aux bonnes moeurs sur des mineures en 1928 (il ne purgea que 2 ans et 8 mois puis fut amnistié).

(**) Voir le reportage que lui consacre Paris-Soir en 1943.

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"Burkini" de JC Kaufmann

24 Juillet 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Notes de lecture, #Anthropologie du corps

Jean Claude Kaufmann n'a qu'un bon livre à son actif "Corps de femmes regards d'hommes" paru en 1995 qu'il a souvent plagié depuis lors.

Au fil des ans, le sociologue a tenté de jouer les théoriciens (par exemple avec son ouvrage "Ego") et du coup le péché d'orgueil l'a saisi. Par ce péché, le dernier livre de Kaufmann est très marqué (par exemple quand il claironne en p. 20 qu'à l'été 2016 les médias se sont bousculés pour l'interviewer sur le burkini et lui demander d' "énoncer le sens du bien et du mal" devant une "société sans repères", mais que lui, esprit supérieur, a refusé de répondre préférant pondre un livre sur le sujet (et quel livre hautement médité dont il a accouché en moins de six mois !). On attribuera sans doute à cette immodestie le côté intellectuellement très superficiel du livre, et aussi ses incroyables approximations factuelles : voyez par exemple en page 29 comment il traite l'incident de Châteauneuf-sur-Charentes "une jeune femme se baigne seins nus" écrit-il alors qu'elle jouait au ping pong (voir mon billet il y a un an), ce qui change toute la problématique contextuelle : un sein qui remue dans une activité sportive n'a rien à voir sur le plan des normes de pudeur avec le sein d'une baigneuse (on se demande comment un sociologue parvient à raisonner sur la base de faits inexacts... quand on fait de la sociologie journalistique, le minimum est de coller au réel...).

Comme toujours le style du sociologue est une resucée de la doxa contemporaine, même pas consciente de ressortir des clichés, étalée au mépris de la neutralité scientifique. Ainsi sans justification il écarte comme trop simpliste (p. 48) la thématique du néo-colonialisme avancée par certains intellectuels anglo-saxons pour expliquer l'hostilité française au burkini. Un coup à gauche contre les anti-impérialistes, un coup à droite contre les sarkozystes (p. 16), histoire de rester dans le camp d'une bien-pensance centriste. Encore un petit clin d'oeil aux clichés consensuels p.50  "Vues de Sydney, les plages étaient devenues assimilables à une sorte de Corée du Nord, soumises à des règles tout aussi incompréhensibles, grotesques et scandaleuses que celles qui prévalent dans le régime de Kim Jong-un" ("incompréhensibles, grotesques et scandaleuses", il faut y aller avec de gros sabots pour le lecteur bourgeois urbain, pour le cas où il n'aurait pas compris que la Corée du Nord est un pays ubuesque comme la grande presse le lui répète à longueur d'année).

L'auteur révèle ses lacunes historiques quand il juge "improbable" l'union entre le laïcisme de centre-gauche d'E. Valls et l'extrême droite (il ignore les connivences entre ces deux tendances dans le colonialisme du XIXe siècle ou au temps de la politique anti-voile du gouverneur général d'Algérie Lacoste en 1956-58) et l'on cherchera en vain des analyses sophistiquées dans son livre. Mais il a au moins le mérite de montrer que le burkini n'est pas un vêtement islamique intégriste, qu'il résulte d'un compromis entre religiosité et désir de vivre les plaisir de la mer. Il résume assez bien la thèse de Khaoula Matri sur le port du voile (p. 143), fournit des statistiques intéressantes sur les rapports des femmes musulmanes au voile (p. 112) et enseigne aux Français un épisode étouffé par les médias australiens en décembre 2005 : les rixes de la plage de Cronulla à l'origine de l'invention du burkini. Ce n'est déjà pas si mal.

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Fantasmes sur la nudité des puissants : le Bohemian Club

17 Juin 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Nudité-Pudeur en Amérique, #Anthropologie du corps, #Pythagore-Isis, #Christianisme

Le chancelier Helmut Kohl est mort. En 2015 un autre Helmut chancelier était décédé, Helmut Schmidt, son prédécesseur immédiat. A son décès des traditionalistes n'avaient pas hésité à le qualifier de "sataniste" sur la base d'un seul élément : ce leader social-démocrate s'était exprimé une fois (une photo en faisait foi ainsi qu'une ligne dans ses mémoires) en Californie, tout comme d'ailleurs en 1989 son camarade de l'Internationale socialiste Michel Rocard mort l'an dernier, devant les membres du Bohemian Club ou Bohemian Grove (le Bosquet bohémien).

L'accusation reflétait un débat virulent qui existe aux Etats-Unis depuis des années sur le statut et les pratiques de ce que le Huffington Post en 2008 présente comme une "colonie de vacances" d'hommes politiques et hommes d'affaire (2235 à l'époque) en général plutôt classé à droite voire très à droite (Nixon, Reagan, Kissinger, Colin Powell, Cheney, les Bush en ont fait partie).

Dans l'identité de ce club d'élite créé en 1872 où aucune femme n'est admise, la nudité occupe une place de choix : interrogé à ce sujet par un provocateur, l'ex-président démocrate Bill Clinton avait répondu devant les caméras de CNN en riant : "Le Bohemian Club ? C'est là où ces riches républicains vont et se tiennent nus contre des séquoias, n'est-ce pas ? Je n'y ai jamais été mais vous devriez y aller ça vous ferait du bien c'est de l'air pur" (That’s where all those rich Republicans go up and stand naked against redwood trees, right?"). Selon le Washington Times du 11 juin 1993, David Gergen, conseiller de Clinton avait démissionné du Bohemian Club trois jours après avoir déclaré qu'il n'irait pas "courir nu" à la réunion annuelle du Bohemian Grove (il avait aussi démissionné par la même occasion de 17 autres groupes d'intérêt dont la Commission Trilatérale et la Very Special Arts Foundation".

Depuis une quinzaine d'années à l'imagerie bucolique d'une nudité virile en pleine nature qui était associée à ce club s'est ajoutée celle des sacrifices humains à cause d'une cérémonie bizarre qui y est célébrée de nuit l'été, la "Cremation of care" (la crémation des préoccupations).

Alex Jones a infiltré le club en juillet 2000 et a assisté au rituel de "Cremation of Care" célébré par trente prêtres en robe noire devant une statue de 15 mètres à tête de chouette. Il atteste (avec une vidéo à l'appui mais dans laquelle on ne voit pas grand chose à part les commentaires qui sont imposés au spectateur, en tout cas pour la partie accessible sur le Net) qu'au moment de la crémation de l'effigie d'un corps (avec un doute, selon Jones, sur le fait que c'est une effigie !), il y a des incantations aux morts "ceux qui sont morts à Grove dans le passé que leurs esprits réapparaissent et soient ramenés ici" et des odes à Tyr et à Babylone. Pour Jones c'est un culte au dieu-chouette cananéen Molech.

Toute une littérature conspirationniste s'est emparée du sujet pour accuser les politiciens et hommes d'affaire de se livrer à des messes noires lucifériennes. Des photos ont été retrouvées qui sont censées montrées (mais se rapportent-elles bien au Bohemian Club ?) que le club en 1909 et 1915 mettait en scène des parodies de sacrifices humains.

Pour l'analyste de gauche Alexander Cockburn ce n'était qu'un rituel local de renouveau remis au goût du jour dans les années 1900 par George Sterling, poète californien et membre du cercle, auteur du "Triomphe de la Bohême" (la Bohême parisienne avait du succès aux Etats-Unis à l'époque). Avant Alex Jones, en 1989, Philip Weiss de Spy magazine avait infiltré le club. Sa vision de la "Cremation of care" était à ce moment-là bien moins alarmiste que celle qui s'est imposée dans les années 2000. Il s'agissait pour lui seulement d'un divertissement pour mettre les membres du club à l'aise et se destresser. Il notait à l'époque que la principale critique que cette cérémonie suscitait était qu'elle pouvait signifier qu'on brûlait toute forme de "care" (de souci) pour le monde extérieur. Dans la narration de Weiss les prêtres n'avaient pas des robes noires (peut-être le rituel a--il changé depuis lors). Aucune référence à Babylone ou Tyr qui auraient mis sur le la piste d'un dieu cananéen. Weiss identifiait plutôt des réminiscences "de rituels druidiques, de liturgie médiévale, de Livre de la Prière commune (Book of Common Prayer), de théâtre shakespearien et de rites des loges américaines du 19e siècle". On est assez loin du satanisme, même si d'un point de vue chrétien littéraliste tout cela peut revenir au même...

Le chroniqueur de droite Rush Limbaugh qui a aussi parlé chez eux, aujourd'hui encore assure qu'il s'agit simplement d'un "truc social" (social thing) où les gens vivent de façon rustique au bord de la "Russian river" qui n'a rien à voir avec des cérémonies occultes. Alors rituels purement récréatifs ou incantations lucifériennes ? Le débat sur ce point reste en tout cas vif, sur Internet notamment, avec souvent des surenchères dans les accusations (par exemple sur les meurtres d'enfants). Des polémiques très révélatrices de notre époque, et qui entrent en résonance avec beaucoup d'autres semblables (comme celles du "Spirit cooking" d'Hillary Clinton avec l'artiste serbe Marina Abramovic elle aussi très liée au thème de la nudité, des rapports de la monarchie anglaise ou de Hollywood avec les Illuminati etc)...

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La nudité des jeunes filles dans les lois de Lycurgue

2 Mars 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Anthropologie du corps, #Christianisme, #Nudité-Pudeur en Europe, #Pythagore-Isis, #Philosophie

Dans le 1er livre des Macchabées (Ancien Testament) il est écrit

"I M 12,5. Voici la copie des lettres que Jonathas écrit aux Spartiates:

I M 12,6. Jonathas, grand prêtre, les anciens de la nation, les prêtres et le reste du peuple juif, aux Spartiates, leurs frères, salut.

I M 12,7. Il y a longtemps que des lettres ont été envoyées à Onias, le grand prêtre, par Arius, qui régnait chez vous, car vous êtes nos frères, comme le montre la copie qui est jointe ici.

I M 12,8. Et Onias accueillit avec honneur l'homme qui avait été envoyé, et il reçut les lettres, où il était parlé d'alliance et d'amitié."

Onias I er, fils de Jaddus, et père de Simon le Juste, qui furent aussi grands-prêtres (Sir 50:1, cf. Jos., Ant., XI, 8, fin ; XII, 6) exerça ses fonctions, précisent les historiens, après la conquête de la Judée par Alexandre le Grand. C'est à lui qu'aurait été adressée une lettre d'Arias (ou Arius), roi de Lacédémone sous le règne de Séleucos IV Philopator (187-175 av. J.-C.), lui offrant son alliance, au nom d'une prétendue origine commune des peuples juif et lacédémonien, selon Flavius Josèphe, juste avant la conquête de la Grèce par Rome en 146.

Cette admiration des Juifs à l'époque de Jonathas Macchabée (157-152 av JC) pour Sparte ne pouvait pas englober (à la différence de la République de Platon) une estime pour les lois de Lycurgue.

Selon Plutarque (Vie de Lycurgue) "Lycurgue porta toute l’attention possible à l’éducation des femmes. En tout cas, il fortifia le corps des jeunes filles par des courses, des luttes, le jet de disques et de javelots. (...) Pour leur ôter toute mollesse, toute vie sédentaire, toute habitude efféminée, il habitua les jeunes filles, non moins que les garçons, à défiler nues, et, pour certaines fêtes, à danser et à chanter dans cet état sous les yeux des jeunes gens. (...)Quant à la nudité des jeunes filles, elle n’avait rien de honteux, puisque la modestie y présidait et que le dérèglement n’y était pour rien ; elle donnait, au contraire, l’habitude de la simplicité et le désir ardent d’une santé robuste.(...)Voici ce qui excitait encore au mariage : les processions des jeunes filles, leur déshabillement et leurs combats sous les yeux des jeunes gens, qui, selon le mot de Platon , cédaient à des contraintes, non géométriques, mais érotiques. Lycurgue a même imprimé une note d’infamie aux célibataires. On les écartait du spectacle des gymnopédies [exercices des jeunes filles nues] ; et, l’hiver, les magistrats leur faisaient faire nus le tour de l’agora, en chantant une chanson composée contre eux, où il était dit qu’ils subissaient un juste châtiment, parce qu’ils désobéissaient aux lois."

Aux yeux des Juifs les lois de Lycurgue sur la nudité des jeunes filles auraient été jugées de nature à attirer des démons dans la cité, tout comme d'ailleurs l'installation des cimetières dans les murs de la ville, elle aussi décidée par Lycurgue selon Plutarque.

En 1604, le médecin conseiller du roi Louis Guyon (1527-1617) écrivit dans "Les diverses leçons de Loys Guyon, sieur de La Nauche,... suivans celles de Pierre Messie et du sieur de Vauprivaz" (p. 104 et suiv) :

"Ledit Licurgue en fit une autre,qu' il voulait que les filles allassent aux jeux & danses publiques toutes nues, sauf de petits brodequins de couleur découpés , qu'elles portaient aux jambes, & ce pour plusieurs raisons , que je vais alléguer. La première était, par ce qu'il apercevait plusieurs jeunes hommes être tant amoureux des filles & femmes, qu'ils en perdaient le jugement, & oubliaient tout devoir, si bien qu'ils semblaient plutôt bêtes qui sont en ruth ou en chaleur, qu'hommes raisonnables. Or iceux amoureux, sans doute se trouvaient à telles assemblées,pour voir leurs Déesses toutes nues, & voyants les parties peu honnêtes, & posées non guère loin d'un réceptacle de toutes les puantes immondices du corps humain,s'en devaient dégoûter, & abhorrer-telles .amours,& se devaient remettre en leurs devoirs : & que la chose ne méritait point qu'on se tourmentât tant, perdant le boire, le manger & le repos. L'autre raison était,à fin que les filles n'eussent point de honte des parties desquelles nature les avait pourvuës mais fussent vergogneuses de commettre aucun vice. Car il disait., que les filles & les femmes devaient plus rougir de commettre quelque péché, que de montrer la partie de leur corps, qui leur était nécessaire.

Les femmes & filles de par deça semblent avoir opinion que les hommes désirent qu'elles aient les fesses & les cuisses grosses & rebondies, comme les Catayens, par ce qu'elles s'étudient à persuader cela aux hommes"

S'ensuit une condamnation de l'usage des vêtements par les femmes pour stimuler le désir masculin, puis une interrogation sur la question de savoir si la nudité stimule plus le désir que l'habillement (à partir d'une étude des Catayens dont le nom a d'abord désigné les Chinois puis les Indiens du Canada semble-t-il, puis des Indiennes, africaines et brésiliennes). Il en conclut que la nudité tue le désir ce qui est mauvais pour la procréation,  que la nudité des femmes sous les tropiques est liée à la chaleur et peut se justifier seulement sous leur latitude parce que les femmes y sont bien faites (de sorte, note-t-il, qu'il n'y a pas besoin d'y appliquer la loi de Lycurgue qui prônait l'élimination des bébés mal formés), et s'en remet, pour l'Europe, au précepte évangélique "qui recommande sur toute charité, de donner moyen aux pauvres de se pouvoir vêtir non seulement pour les défendre du chaud, du froid,de la pluie,& des mouches piquantes,mais pour couvrir leurs parties honteuses."

Les lois de Lycurgue (que certains disent inspirées de l'Inde) présentent un côté "meilleur de mondes" : elles renforcent l'Etat en imposant à la fois un équilibre des pouvoirs dans les institutions pour les stabiliser, un dévouement total des citoyens à la préparation à la guerre en cassant toute vie privée de nature à ramollir la psychologie des gens : par exemple les gens mangeaient dans des repas collectifs frugaux, les hommes n'avaient qu'un bref commerce sexuel avec leur femme de nuit, y compris lors de leur nuit de noces (Plutarque note que cela avait pour effet paradoxal d'entretenir fortement le désir et l'amour au sein des couples). La nudité des jeunes filles pour les endurcir tout en poussant les hommes à se marier s'inscrit dans cette logique. Ce côté "expérimentateur sur l'humain" dans le cadre d'un Etat fort qui va jusqu'à l'eugénisme a séduit Platon, et rappelle certains aspects du communisme, mais aussi du capitalisme actuel. Il est logique qu'en bon chrétien, le docteur Louis Guyon, après avoir interrogé la légitimité de ces lois à l'aune de la nudité des populations tropicales (tout comme la découverte des Amérindiens avait aussi conduit, une génération plus tôt Montaigne et ses contemporains à interroger le bien-fondé des moeurs européennes), revienne, au seuil de la Contre-réforme, à la rigueur des principes évangéliques à ce sujet.

Platon, lui, aborde la question de la nudité des filles à propos de la formation des gardiens de la ville dans le livre V de la République, thème dont Kingsley a montré qu'il avait un rapport avec la problématique chamanique pythagoricienne des veilleurs de nuit. Il s'agit de réfléchir à la question de savoir si les femmes doivent participer au combat. Cette question, comme celle de l'eugénisme, est abordée par Platon sous l'angle de l'analogie avec les chiens. L'obstacle principal est celui du ridicule et le philosophe ne l'esquive qu'en soulignant que la nudité des hommes au gymnase avait aussi suscité des railleries dans les générations qui ont immédiatement précédé le siècle d'or athénien, lorsque la Crête et Sparte l'ont adoptée (il y a des nuances entre auteurs grecs pour savoir si cela vint d'abord de Crête, que le néo-pythagoricien Apollonios de Tyane, cet autre grand admirateur de Lycurgue, selon Philostrate nommait la nourrice de Zeus). Juste après, pour les mêmes motifs d'efficacité militaire, Platon justifiera la vie en commun de tous les citoyens sur le modèle des lois de Lycurgue, le fait que les magistrats organisent les mariages entre les gardiens de la cité, et le fait que les guerriers à la retraite puissent s'accoupler avec toutes les femmes sans leur faire d'enfants, tandis que les enfants des guerrières sont pris en charge par des nourrices (alors que les nourrices de Sparte selon Plutarque avaient très bonne réputation). Platon comme Lycurgue ont eu une éducation égyptienne (selon Plutarque, Lycurgue aurait acquis en Egypte des idées sur la spécialisation militaire) mais cela ne semble pas avoir eu d'influence sur le thème de la nudité publique des femmes.

La référence au "ridicule" renvoie à Aristophane qui, dans Lysistrata, représentée à Athènes en 411 av JC, raille la nudité des femmes spartiates au gymnase, comme le pubis ("jardin") imberbe des Béotiennes et le côté prostitué des Corinthiennes.

Rappelons nous la réflexion de Sade dans "Français encore un effort" (dans La Philosophie dans le boudoir ed 1993 chez 10-18 p. 226) : "La pudeur, loin d'être une vertu, ne fut donc qu'un des premiers effets de la corruption, qu'un des premiers moyens de la coquetterie des femmes. Lycurgue et Solon, bien pénétrés que les résultats de l'impudeur tiennent le citoyen dans l'état immoral essentiel aux lois du gouvernement républicain, obligèrent les filles à se montrer nues au théâtre. Rome imita bientôt cet exemple : on dansait nu aux jeux de Flore ; la plus grande partie des mystères païens se célébraient ainsi ; la nudité passa même pour vertu chez certains peuples".

MI Finley dans Problèmes de la guerre en Grèce ancienne (Point Histoire p. 195) voit dans les coutumes spartiates comme les flagellations publiques des détournements politiques de rituels initiatiques et rappelle (p. 196) que "l'énumération de certains rites et institutions suffit à montrer que tout était mis en oeuvre pour que la fidélité se déplace de la famille ou du groupe de parenté vers les différents groupes masculins", d'où par exemple le droit de tout Spartiate adulte à exercer une autorité sur n'importe quel enfant. L'appropriation de la nudité des femmes par l'Etat va dans le même sens.

Les femmes participaient probablement aux gymnopédies (danses guerrières sans vêtements), et aux flagellations rituelles des plus plus jeunes au temple de Diane Orthia (liées à des sacrifices humains ?si la flagellation allait jusqu'à la mort - "On fouettait les enfants spartiates sur l'autel de Diane Orthia, jusqu'à l'effusion du sang, et lorsque les coups se ralentissaient, la prêtresse, tenant en main une petite statue, criait avec colère de frapper plus fort par ordre de la déesse ; ; il arrivait parfois que l'enfant était emporté criblé de blessures ou qu'il expirait sur l'autel" selon Foissac). Leur nudité publique sous les lois de Lycurgue doit aussi se penser sur cet arrière-plan de mort.

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Câlins gratuits à Pau

27 Février 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Anthropologie du corps, #Spiritualités de l'amour

Samedi dernier 25 février, place Clemenceau à Pau de 13h30 à 16h30, cinq Palois se sont installés place Clémenceau pour proposer des câlins aux passants sous la pancarte "câlins gratuits". La campagne "Free Hugs" lancée en 2004 fait des émules tous les ans dans tous les pays. Une des organisateurs Amina Bouzaboun, animatrice sur radio RPO, sur Facebook a annoncé que l'opération serait recommencée.

A New York l'an dernier, le "free hug" était topless... Attention, toute cette démarche procède d'une philosophie hindouiste qui produit des effets énergétiques spirituels qui ne sont pas forcément positifs.

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La faute sexuelle d'Hermas et la sibylle de Cumes

23 Novembre 2016 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Pythagore-Isis, #Histoire secrète, #Anthropologie du corps, #Histoire des idées

Les universitaires athées devraient être plus prudents qu'ils ne le sont, je crois, quand ils abordent des textes antiques, lesquels puisent souvent leur inspiration à des sources métaphysiques obscures.

Il faut être très modeste. Personne ne connaît ces sources. L'abord "psychologique" ne signifie rien, car la "psyché" est une idole de nos contemporains plus obscure encore que les mystères religieux.

J'en veux pour preuve le début d'un texte connu chez les historiens du christianisme, "Le Pasteur" d'Hermas, recueil de visions qui date de 120 (c'est à dire du règne de l'empereur Hadrien). Hermas est un père de famille, affranchi d'une dame chrétienne appelée Rhodè.

Peter Brown, auteur estimé dans les milieux académiques, réduit l'inspiration prophétique à des "marqueurs identitaires" desquels l'abstinence sexuelle ferait partie (Le renoncement à la Chair, 1995, p. 98) et fait un phénoménologie "neutralisante" (plus que neutre) des visions, en notant par exemple que "des vierges y apparaissent comme des prophétesses" (il se réfère à Eusèbe de Césarée). L'historien présente Hermas, auteur qui allait inspirer l'empire romain jusqu'en Egypte, comme "le seul prophète chrétien dont la vie visionnaire nous soit connue".

Il retrace le passage connu de son livre "Le Pasteur" que j'avais lu en 1995 dans lequel il confesse que, ayant aidé sa maîtresse Rhodè à sortir du Tibre où elle se baignait ("entièrement nue" précise Peter Brown, mais ce n'est pas écrit dans le livre), il avait songé qu'il serait heureux d'avoir "une femme de cette beauté et de cette élégance". Pour Brown, le problème pour Hermas était de se "laver" de cette faute afin de développer sa vocation prophétique et devenir "transparent" pour le Saint Esprit. Hermas, dit-il, enseigne la nepiotes, la simplicité enfantine, pour combattre le désir. Pour lui, il s'agissait de rassembler les "puissances virginales de l'âme" dans les "prairies vertes d'une Arcadie chrétienne", "à l'ombre des jeunes filles en fleur" dit même Brown, qui oppose ce côté "candide" du "Pasteur" d'Hermas à la dureté de la répression sexuelle en milieu chrétien après la multiplication des persécutions par le pouvoir romain païen.

Voilà pour la lecture mi-littéraire mi-anthropologique que Brown fait d'Hermas. Je ne suis pas du tout sûr que sa thèse sur un Hermas "candide" opposé au christianisme dur qui l'a suivi à cause des martyrs tienne la route (car des martyrs il y en a eu depuis la mort de Jésus), et je suis en tout cas à peu près certain que, comme toute la machine institutionnelle des facs de lettres en France, ce dispositif de lecture d'Hermas est surtout fait pour éviter de se poser les bonnes questions (je ne dis même pas espérer d'avoir les réponses) qui nous permettraient éventuellement d'aller au coeur de cette bizarrerie qu'est le livre "Le Pasteur".

La recherche intellectuelle et spirituelle passe par l'étonnement (thaumazein) nous a enseigné Aristote. Brown et ses commentateurs sont là pour le stériliser. Etonnons nous donc, et commençons par nous étonner des petites choses.

Moi, quand je lis Le Pasteur, 20 ans après avoir découvert le commentaire qu'en faisait Brown, des tas de détails m'interpellent, à la fois dans le texte lui-même et dans le commentaire que fournissait en 1990 pour les éditions du Cerf un certain Dominique Bertrand, "ancien directeur des sources chrétiennes" - avec lequel je suis tout autant en désaccord qu'avec Brown.

Tout d'abord je note que Bertrand pose comme un élément du consensus universitaire que le ton autobiographique du livre relève de l'artifice. Hermas ne serait pas un affranchi de Rhodè, il ne l'a pas vue se baigner dans le Tibre. Ah bon ? Mais Brown lui ne relève pas de ce consensus. Je sais bien qu'à l'époque on appréciait les romans comme celui de Leucippé et Clitophon dont on a déjà parlé sur ce blog, mais je ne vois pas pourquoi un auteur qui entreprend de décrire une vision dans laquelle sa maîtresse Rhodè lui apparaît aurait inventé de toute pièce l'identité de cette femme. Ce ne serait pas conforme à la notion même de vision prophétique... Je comprends que des éditions catholiques en 1990 (ce ne serait peut-être plus le cas aujourd'hui) préfèrent penser qu'Hermas a imaginé la fiction d'une femme se baignant dans le Tibre, mais à ce compte là, ils peuvent aussi classer tous les Actes des Apôtres et tous les Evangiles au registre de la fiction. Faire de la fiction sur des visions religieuses n'a pas de sens.

Bertand (p. 335) nous dit que ce qui était intéressant c'est que cette Rhodè était une dame romaine et il juge que la mention de Rome "n'est pas fictive" (allez savoir pourquoi). Moins polarisé par la papauté que lui, je ne suis pas pour ma part intéressé par la capitale de l'empire. Ce qui m'intéresse le plus, d'un point de vue à la fois spirituel et intellectuel, c'est que la première vision qu'Hermas va décrire, il l'a sur le chemin de Cumes (ville grecque de Campanie). Je dirai un peu plus loin pourquoi c'est essentiel.

Sur ce chemin, tout en marchant, Hermas s'endort (ce que Bertrand juge "invraisemblable", ce commentateur, bien que chrétien, étant devenu si sceptique qu'il ne croit pas au somnambulisme inspiré). "L'esprit me saisit, dit Hermas, et m'emmena par une route non frayée, où l'homme ne pouvait marcher". Voilà un second détail fondamental. Tous les gens qui ont travaillé sur les médiums savent ce que ce passage évoque. L'auteur emploie le mot "esprit", pas Saint Esprit, et ce transport sur une route où l'homme ne peut marcher fait penser rigoureusement à un thème bien connu de l'occultisme : le voyage astral (qui n'est pas forcément nocturne mais est effectivement associé au sommeil)...

Avant de se demander pourquoi Hermas prône la continence sexuelle et quelle "stratégie" éventuelle cela peut servir comme le fait Brown, il faut savoir s'ouvrir à l'altérité antique : dans ce monde là, le voyage astral, l'interprétation initiatique des rêves, le dialogue avec les esprits etc étaient monnaie courante. On ne peut pas comprendre son rapport à sa maîtresse Rhodè sans cela, tout comme d'ailleurs on ne peut comprendre l'acte sexuel de Lucius avec son esclave thrace, qui va le transformer en âne, dans l'Ane d'Or d'Apulée sans connaître son rapport aux démons (qui lui valut de subir, dans sa vraie vie un procès en sorcellerie) et au culte sotériologique d'Isis.

Prenons donc le récit à la lettre : Hermas est sur la route de Cumes, et, en marchant, il vit un "voyage astral". L'endroit est escarpé, "déchiqueté par les eaux" nous dit le texte (les médiums connaissent le rapport du milieu aquatique aux démons). Il traverse le fleuve (ça aussi c'est initiatique), il arrive dans une plaine au sec (donc à distance des démons), là il s'agenouille et prie Dieu, et là il confesse ses péchés parmi lesquels, vu ce qu'il vient de raconter sur l'épisode du Tibre (notez au passage que cet épisode aussi était marqué par l'eau), la contemplation de la nudité partielle ou totale de sa maîtresse figure probablement.

Alors Rhodè surgit dans sa vision et lui dit qu'elle a été transportée au ciel pour dénoncer son péché et que Dieu, dans la perspective de la construction de l'église, est en colère lui. Il se défend en précisant qu'il a toujours considéré Rhodè comme une déesse (puisqu'elle était  "propriétaire" de sa personne) et comme une soeur (puisqu'ils n'ont jamais eu de rapports sexuels). Mais elle l'accuse d'avoir au moins eu un désir dans son coeur quand il l'a sortie du Tibre.

La première vision se termine. Hermas culpabilisant, désespéré, se demande comment réparer sa faute. Alors lui apparaît une vieille dame en habits resplendissants sur un siège garni de laine, blanc comme neige. Cette seconde vision est la réponse à sa question. La dame confirme sa faute, mais souligne que Dieu est irrité parce que ses enfants se sont mal conduits à l'égard du Seigneur et de leurs parents (p. 339 - des commentateurs parlent d'apostasie et de dénonciation aux autorités impériales). Elle l'encourage à raffermir sa maison, puis elle lit un texte dont Hermas ne retient que la fin qui porte sur la louange de Dieu. Quatre jeunes gens enlèvent le siège et s'en vont vers l'Orient. Elle touche la poitrine d'Hermas, lui demande ses impressions, puis deux hommes amènent la vieille vers l'Orient en la prenant par les bras. D'un air joyeux elle lui dit "sois un homme" (comme l'ange dans le martyre de Polycarpe).

L'année suivante Hermas reprend le même chemin. Et là, juste au même endroit, second voyage astral : "un esprit m'enlève" (pas l'Esprit saint...). A nouveau il voit la même femme âgée, debout cette fois, lisant un livre. Il recopie son texte sans le comprendre, puis, au bout de 15 jours de jeûne et de prières (comme Daniel), le texte révèle son sens et ses préceptes : l'abstention sexuelle avec sa femme et l'enseignement de la maîtrise de soi et la fidélité à Dieu aux autres chrétiens par la pénitence (la metanoia).

Voilà pour la troisième vision de Cumes. Hermas ne s'est jamais demandé qui était la vieille dame. En ce sens on est loin du temps où quelques siècles plus tard on jettera de l'eau bénite sur les apparitions pour être sûr qu'elles ne viennent pas du diable. Une quatrième vision vient, on ne sait plus où ni quand, probablement plus sur la route de Cumes, où un beau jeune homme lui demande s'il sait qui était cette vieille femme qui lui a communiqué ce livre. Hermas dit qu'il pense que c'était la Sibylle et le jeune homme répond qu'il fait erreur, que c'était l'Eglise.

La réponse d'Hermas était naïve. On peut penser qu'elle trahit un restant de paganisme comme le fait qu'il dise qu'il considérait sa maîtresse comme une déesse. D. Bertrand rappelle que les Juifs attribuaient déjà à la Sibylle d'avoir prophétisé sur le Messie et que le cantique Dies irae dit "David et la Sibylle l'ont annoncé". Mais à mon avis la question est bien plus compliquée que cela.

Je pense qu'il faut d'abord repasser par Virgile. Les pères de l'Eglise ont dit de lui qu'il avait entrevu la naissance de Jésus. Ce qui est certain c'est que son Enéide contient des vers très beaux sur la Sibylle. La Sibylle est à Cumes (d'où l'importance que les deux voyages astraux d'Hermas se passent sur le chemin de Cumes). Cumes est un oracle d'Apollon, comme Delphes. L'Enéide est une ode à César-Auguste qui, rappelons le, a introduit le culte grec d'Apollon à Rome, se disant lui même fils d'Apollon par un python (ou un serpent de cette famille) qui a fécondé sa mère. Tout cela se tient.

Hermas a pris la vieille femme pour une pythonisse, et il est logique qu'il ait pensé à la Sibylle à cause de Cumes et aussi parce qu'elle lisait un livre comme les livres sibyllins, et donc sa voyance passe par la graphomancie... Qu'une prêtresse d'Apollon l'incite à la chasteté ne l'a pas plus surpris que cela, ni nous non plus quand on pense que les prêtres d'Isis eux aussi étaient privés de tout droit au rapport sexuel. Le rapport  à l'au-delà et à la prophétie suppose l'abstinence dans l'Empire romain quelle que soit la religion en cause (il n'y a pas d'école tantrique, et, peut-être existe-t-il des voies isiaques ou crypto-isiaques - pensons à Astarté - ou chamaniques orgiaques, mais ça ne correspond pas aux voies religieuses prisées par les lettrés qui sont quasiment les seuls porteurs de témoignages des cultes de cette époque auxquels nous ayons accès).

Je pense que tout ce début du récit le marque d'une coloration apollinienne très forte, et donc, pourrait-on dire d'un point de vue chrétien, d'une tonalité démoniaque. On sait que dans la Cité de Dieu quand Augustin (qui d'ailleurs dialogue aussi avec Apulée) raconte que Porphyre rapportait le témoignage d'une païenne dont le mari était chrétien qui avait interrogé la Pythie à propos de Jésus laquelle lui avait répondu que le Dieu des Juifs valait mieux que lui, ce qui donnait argument à Augustin pour voir dans l' "Apollon" de Delphes un démon. Je crois qu'on est ici exactement dans la même atmosphère, en fait plus démoniaque et païenne que chrétienne, de sorte que la comparaison entre les "stratégies" littéraires d'Hermas et celles de ses successeurs autour de la sexualité n'a pas beaucoup de sens. D'ailleurs il n'est pas non plus complètement exclu que les successeurs, même s'ils sont moins marqués par l' "Arcadie" (qui est aussi potentiellement un univers démoniaque, voir l'imaginaire de Rennes-le-Château "et in Arcadia ego") ou par les vierges bucoliques, soient eux aussi potentiellement démoniaques, surtout s'il y a un culte des reliques autour des martyrs. Simplement dans une autre veine... (Et on laissera de côté la question de savoir si les voies démoniaques sont malgré tout, in fine, des voies d'accès à Dieu...)

Restons en là de nos réflexions sur Hermas pour l'instant. Il n'est pas exclu que nous soyons amenés à revenir sur ce sujet dans quelque temps...

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Pakhon et le plaisir solitaire (Histoire lausiaque)

22 Octobre 2016 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Anthropologie du corps, #Pythagore-Isis

Pakhon, ou Pachon, ascète établi dans le monastère du désert de Scété à l'Ouest du delta du Nil (on sait quelle fascination le monachisme égyptien exerça sur tout le bassin méditerranéen et jusqu'en Irlande à la fin de l'Empire romain), avait expliqué à Pallade de Galatie (363-430), comme il le relate dans son Histoire Lausiaque (ch XXIII) qu'il trouvait trois causes au désir charnel : la santé de la chair, les idées suscitant les passions, et le démon. Agé de 70 ans il se vantait d'avoir été tenté chaque nuit entre 50 et 62, alors qu'il vivait au désert depuis 30 ans le démon l'avait tenté. Se croyant abandonné par Dieu, il avait abandonné son corps aux hyènes mais ne fut pas dévoré. Se croyant pardonné par Dieu, il retourna dans sa cellule. Le démon alors l'assaille. "S'étant donc transformé en une jeune fille éthiopienne, qu'autrefois dans ma jeunesse j'avais vue glanant en été, raconte Pakhon,elle s'assit sur mes genoux et m'excita au point que je crus avoir commerce avec elle. Cela étant, plein de fureur, je lui donnai un soufflet et elle devint invisible. Or pendant deux ans je ne pouvais plus supporter la mauvaise odeur de ma main. Etant réellement devenu découragé, je sortis errant çà et là dans le désert. Et, ayant trouvé un petit aspic et l'ayant pris, je le porte à mes parties génitales, afin que je mourusse (...) Je ne fus pas mordu. Alors j'entendis venir dans mon esprit une voix comme ceci 'va-t-en Pakhon,lutte. Car c'est pour ceci que je t'ai laissé avoir le dessous, afin que tu ne t'enorgueillisses pas' ". A partir du moment où il sut qu'il ne pouvait combattre la tentation sans Dieu, il ne fut plus provoqué par le démon sexuel.

Je suis frappé par les connotations isiaques de ce texte. La position de l'Ethopienne sur les genoux de l'ascète qui est aussi celle des succubes fait penser à celle d'Isis sur Osiris, et le recours à l'aspic sur un attribut sexuel pour se suicider à Cléopâtre "Nouvelle Isis" livrant son sein à la morsure de l'aspic après la défaite d'Actium.

Point aussi remarquable, ce récit n'exagère pas le risque de malédiction au contact d'un démon sexuel et y voit surtout un défi à l'orgueil voulu par Dieu.

Ce Pachon serait un saint, selon Les vies des Saints pères des déserts et de quelques saintes. Volume 2 p. 201 (1653) du conseiller d'Etat Robert Arnauld d'Andilly(1589-1674), selon le RP Jean-Baptiste Saint Jure dans l'Homme religieux (1663) p. 349,  et selon l'abbé Laurent Durand dans ses Cantiques de l'Ame Dévote en 1824 p. 179, mais je ne trouve pas d'autres traces de Saint Pachon sur Internet et l'on peut douter que cet ermite connu seulement d'après Palladius ait été canonisé. Pakhon est par ailleurs le neuvième mois du calendrier égyptien antique correspondant à fin avril début mai.

 

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