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Articles avec #pythagore-isis tag

La mort de Nicias et la Lune

24 Décembre 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire secrète, #Philosophie, #Pythagore-Isis

Je ne sais si je vous ai déjà parlé du livre de Plutarque sur le visage de la Lune. Ce soir inaugurant une nuit de pleine lune, je me permets d'y faire allusion même si c'est un livre compliqué que je ne suis pas qualifié pour commenter plus avant. Je note que dans ses Vies parallèles, Plutarque, qui compare le romain Crassus à l'athénien Nicias, attribue la défaite et la mort de ce dernier, en 413 av. JC à une mauvaise interprétation des signes divins, et plus précisément d'un signe lunaire.

Lors de sa bataille finale contre les armées de Syracuse, nous dit Plutarque, Nicias a commis deux erreurs. La première est d'avoir pris une éclipse de lune (le 27 août 413) pour un signe néfaste. Cette erreur fut due à l'absence de son devin Stilbidès, mort peu de temps auparavant, qui, d'ordinaire, le délivrait de ses craintes superstitieuses. S'appuyant sur Philochore, Plutarque estime que le signe était au contraire favorable puisque "l'obscurité est nécessaire aux actions accomplies dans la crainte".

La seconde erreur de Nicias fut d'avoir attendu la lunaison suivante pour passer à l'action (c'est à dire fuir de Sicile tant qu'il était encore temps). D'une part il oublia "qu'en général les gens ne tenaient compte des signes donnés par le soleil et la lune que pendant trois jours", d'autre part il ne vit pas que la lune s'était "purifiée tout de suite, une fois sortie de la zone d'ombre projetée par la terre". De sorte que Nicias, homme pieux mais trop pusillanime, fut attaquée par les soldats de Syracuse qui remportèrent la victoire et exhibèrent dans un sanctuaire le bouclier de Nicias jusqu'à l'époque de Plutarque.

La double erreur sur l'éclipse lunaire fut la cause métaphysique (liée à un défaut moral de manque d'audace) qui plongea le général athénien dans la défaite alors qu'il avait été jusque là militairement et politiquement avisé (il avait modéré l'impérialisme athénien comme le rappelle la fiche Wikipedia).

Le passage est aussi l'occasion de rappeler qu'à cette époque ceux qu'il appelle les "physiciens" comme Anaxagore ou Protagoras, les "bavards célestes" comme on les appelait (et comme les prêtres notamment les nommaient sans doute), étaient mal vus à Athènes où l'on comprenait les éclipses solaires mais pas celles de la lune. Les gens tenaient absolument à voir dans les différents aspects des astres des signes de la volonté des dieux, qui ne pouvait être réduite à des lois prévisibles. Car cela donnait l'impression que l'on voulait par ces lois enchaîner les plans divins. C'est seulement à partir de Platon que l'étude empirique des astres fut jugée respectable, parce que Platon était très prestigieux du fait de son charisme personnel et parce que son système philosophique, nous dit Plutarque, "subordonnait les nécessités physiques à des principes divins et souverains". On pourrait dire subordonnait "en dernière analyse", puisqu'à la fois il estimait que les phénomènes astronomiques suivaient des lois, et que ces lois obéissaient aux principes divins, ce qui ôtait à leur étude le soupçon d'impiété (et c'est grâce à cela sans doute que Pythéas de Marseille - ville intellectuellement influencée par Athènes -, quelques décennies après la mort de Platon, put avec son bagage pythagoricien s'embarquer pour le pôle nord afin de mesurer l'étendue de la terre, et étudier les marées).

La mort de Nicias est ainsi l'occasion d'une triple réflexion sur l'interprétation des signes lunaires, la bonnes mesure à accorder à la piété religieuse, et l'équilibre complexe entre le respect de la liberté des décrets divins et l'utilité de l'étude rationnelle "confiante" des phénomènes physiques dont procèdent ces décrets. Ces questions n'avaient rien de gratuit puisque l'avenir politique et militaire des cités sur le champ de bataille en dépendait.

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"La danseuse nue et la dame à la Licorne" de Mme R. Gaston-Charles

1 Décembre 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Nudité-Pudeur en Europe, #Philosophie, #Pythagore-Isis

"La danseuse nue et la dame à la Licorne" de Mme R. Gaston-Charles

Cinq ans avant que Georges Clemenceau n'écrive sa lettre déjà citée sur ce blog sur l'omniprésence de la nudité à Paris, un livre intrigant paraît sous la plume d'une certaine Mme Gaston-Charles, qui est probablement une dame mondaine habituée des ateliers de peintre et des conférences sur l'histoire de l'art. La dame n'a laissé aucune trace dans les dictionnaires littéraires. Même la fiche de la BNF ne peut donner que sa date de naissance (1868) mais pas celle de son décès, et lui attribue (à tort si l'on considère sa remise de prix de 1912 et ce qu'écrit sur elle Jules Bois) un sexe masculin. Peut-être s'agit-il d'un pseudo. Son prénom n'est jamais explicité dans les revues, on le trouve dans Anamorphoses décadentes d'Isabelle Krzywkowski et ‎Sylvie Thorel-Cailleteau - p. 221 : Rachel. Il semble qu'elle ait été aussi peintre (cf Le Figaro du 30 avril 1891). Dans son livre elle ne dit rien d'elle-même et son prénom n'est signalé que par son initiale "R".

Ce roman a pour exergue " "Rien n'est impur en soi ; une chose n'est impure qu'à celui qui a l'impureté en lui" St Paul, Ep. aux Romains XIV". Une exergue qui aurait pu être alchimique. J'ai cru au début que le roman était ésotérique et codé. A la réflexion il ne l'est probablement pas. C'est un roman philosophique sur le Beau, le corps, au début du XXe siècle, les valeurs qu'ils véhiculent. Et les discussions qu'il reflète éclairent les cent ans qui ont suivi.

Voici l'histoire. Mme Gervais de Pélus habite au 4ème étage sans ascenseur d'un immeuble avenue de Villiers à Paris (le roman ne cite même pas Paris..., mais bon...). Le héros Valentin Audifax, bourgeois descendant d'un maître des requêtes d'Henri IV, va y assister à une soirée, mais hésite à monter les escaliers (parcours initiatique), toutefois l'idée d'y retrouver la comédienne Luce de Marcillac (Luce est un prénom lumineux), qu'il a rencontrée l'été précédent près de Tours, le persuade de poursuivre "son ascension", bien que sa passion pour l'actrice soit déclinante.

Arrivé dans l'antichambre, il entend qu'on le complimente sur ses cheveux blonds, tandis que la maîtresse de maison, qu'il croyait "couronnée de cheveux blancs" montrait une mine qui n'était point celle d'une personne qui renonce". En fait elle a les cheveux acajou, le port majestueux. Epouse d'un grand d'Espagne, elle se console du déclin de ses charmes en accueillant chez elle de "jeunes bardes".

Confronté à une forêt de nuques et de dos dénudés le long de sièges dorés, le héros passe au salon réservé aux artistes et y trouve Luce qui lui prescrit de trouver Tiburce Sotter, un "critique lanceur d'étoiles". Audifax feint d'obéir, car la "chair rousse fondante et rosée" de l'actrice l'incite à l'indulgence. Dans l'autre salon il est attiré par la blondeur pâle de la jeune Mme Rosine Eucher, fondatrice de revues qui après avoir été anarchiste féministe, mêlée à des complots, avoir tenté de récupérer l'Alsace-Lorraine au Kaiser, rêve "d'une place entre Jeanne d'Arc et Mme Roland". Leur conversation est interrompu par le début d'un concert - Mme Le Timorey chante dans Samson et Dalila, mais est ridicule dans ce dernier rôle. Les chanteurs se succèdent, Mlle de Marcillac lit des vers. Les chansonniers de la Butte évoquent les trouvères médiévaux aux oreilles du héros. Enfin à la fin des numéros un peintre "au visage d'ânier du Caire", Patrice Heribert, lui présente la femme au dos ambré nu qui l'avait hypnotisé, Miss Jacinthe Nethersoll.

Notons qu'il a réellement existé une Olga Nethersole, née à Londres en 1867, de mère espagnole qui fit ses débuts au théâtre de Brighton en 1887. Elle joua "Sapho" dans la pièce d'Alphonse Daudet adaptée par Clyde Ficht en Australie et en Amérique où elle fut inculpée pour "violation de la décence publique" avec son partenaire masculin mais fut relaxée. En 1902 L'Art dramatique et musical au XXe siècle p. 244 jugeait à propos de cette jouée en Angleterre que Nethersole était une véritable "fille de brasserie" (ce qui n'avait rien d'élogieux) En 1906 elle jouait encore Carmen aux Etats-Unis. Paul-Emile Chevalier dans le Ménestrel signale qu'elle a fait ses débuts à l'Odéon dans "La seconde madame Tanqueray" à l'Odéon en 1904 et blâme les fautes de goût dans le décor, les jeux de scène, l'utilisation d'un boa, qu'il juge étrangers aux habitudes françaises.

Dans la vraie vie c'est Miss Nethersole qui a joué dans Dalila. La revue "L'art dramatique et musical au XXe siècle" de 1904 ( p. 169) notait "Free dans le rôle d'un bossu qui tue une Dalila de bas étage, des noeuds de laquelle ne peut se détacher son seul ami, a élé admirable à son ordinaire, mais mademoiselle Nethersole dans le rôle de la Dalila a été aussi ridicule que ses toilettes". Les Annales du théâtre et de la musique de 1907 (p. 274) lui reconnaît au Théâtre Sarah-Bernhardt encore dans "La seconde madame Tanqueray" "des qualités très réelles,... des yeux doux et expressifs, la voix claire et bien timbrée, un jeu fin et discret dans les premiers actes, puis très saisissant à la fin de la pièce". Elle joue ensuite Magda, Sapho, Adrienne Lecouvreur, adaptée de la pièce de Scrive et Légouvé, Camille, qui adapte la Dame aux Camélias, et The Spanish Gipsy, adaptation de Carmen de Mérimée. Son jeu dans cette pièce est décrit par "Charles Martel" dans l'Aurore du 12 juin 1907 (le journal de Clemenceau) comme d'un "réalisme à rendre fou les habitués de l'Opéra Comique". "Carmen est une admirable bête de joie, fleurant plus ou moins bon toutes les grossières voluptés. Et dans cette vulgarité même, le type de la gitana prend sa grandeur et sa fatalité. Devant l'effet obtenu je n'ai pas le droit de reprocher certaines exagérations à miss Olga Nethersole, j'aime mieux, admirateur de son talent fougueux, joindre mon bravo aux acclamations". Elle allait pendant l'été se rendre comme tous les ans chez les Rostand à Cambo-les-Bains pour une semaine où le fils d'Edmond Rostand lui donnerait une traduction anglaise de "La Samaritaine" de son père (Miss Nethersole apparemment venait souvent chercher des pièces françaises pour les faire adapter et les mettre en scène elle même en Angleterre et aux Etats-Unis).

Olga Nethersole est l'inventrice du "soulkiss", (Comoedia 18 novembre 1908 p. 2). Le 17 novembre 1908 au théatre de l'Athénée une causerie sur le baiser donnée par Robert Eude sur la Baiser dans le décor du premier acte d'Arsène lupin allait expliquer que le baiser était un "lien mystérieux entre toutes les races", avant que Mlle Isis n'exécute une "danse antique des voiles et du Lotus" et la récitation d'un poème de Redelsperger, "Le Baiser" par Arlette Dorgère accompagnée au piano par Maurice Pesse. Le soulkiss est un baiser très long dont le record 1mn47sec est détenu par l'actrice miss Maud Adams, nous dit le journal.

La brune aux yeux bleus (mais aux membres longs et à la poitrine plate), aux gestes lents et à l'accent anglais a un teint d'Hindoue qu'elle tient de son aïeule fille de maradjah. Elle a passé son enfance aux USA. Dans son "subliminal self" elle a retrouvé les vieux temples mystérieux, celui des Devadassi, "prêtresses de Bouddha".

Luce de Marcillac, elle est une "vierge moderne", dévouée à l'art, qui est pour elle un Apollon Sôter, Alexikakos, qui la sauve de la servitude du mariage. A son temple rebâti s'y pressent aussi bien "des filles galantes ", "d'adroites marchandes" que des vestales convaincues. Luce tient de tout cela. Petite bourgeoise (Antoinette Chevrion de son vrai nom) déçue par une perspective de mariage triste avec un marchand de Provins, rêvant elle-même de l'or des Amériques, elle hésite à prendre pour amant Audifax qui connaît peu le monde du théâtre, n'aime pas le cabotinage et ne peut pas lui être très utile. Lui même, éduqué à l'ancienne par un père vieil humaniste professeur de droit, hésitait à prendre Luce comme maîtresse d'un jour.

Audifax va tenter de la revoir chez madame de Gervais lors d'une soirée où elle récite seule des vers, mais il n'a sollicité l'invitation que pour revoir mademoiselle Nethersoll.

A cette soirée il retrouve le peintre Héribert qui, en usant de l'argument artistique et en jouant de sa vanité d'être reconnue par un esthète, après avoir convaincu son mari d'acheter ses tableaux n'est pas loin de convaincre la jeune Odette de Fondmaur de ce que sa poitrine mériterait d'être montrée à tout le monde.

Celui-ci "se promettait de suivre, en alchimiste curieux, en artiste déliquescent, les progrès du ver qu'il introduirait dans le fruit", quitte à la rendre un jour "hystérique et éthéromane" (p. 63), telle une "colombe de sacrifice" (mais déjà Mme de Fondmaur avait déjà "un certain air sournois de pensionnaire émancipée" qui allait lui faire mériter cette punition . A la fin du récital, le peintre persuade mademoiselle Nethersoll de se donner en spectacle chez lui.

Trois jours plus tard dans l'atelier d'Héribert, rue Clément-Marot, Audifax croise Odette de Fondmaur, petite provinciale bretonne dévote, mariée à 17 ans, devenue à Paris le jouet du peintre qui devenait l'équivalent de ses anciens catéchistes. Après le départ d'Audifax, Héribert lui propose de poser nue, mais, travaillée par le souvenir de la provinciale chrétienne du passé, cette "nouvelle Eve" tentée se souvient des sixième et neuvième commandements. Tentant de la persuader qu'on peut montrer ses seins aussi aisément que son visage. Audifax vante Phryné, inspiratrice de l'art grec, et Pauline Borghèse immortalisée par Canova. Partagée entre l'orgueil d'être élue par le peintre et la peur, elle s'enivre au charme des mots, et dégrafe son corsage, puis, comme le soleil vient baigner la pièce (signe divin), elle se ravise et songe qu'elle même ne s'est jamais regardée nue dans un miroir. Héribert parvient finalement à ses fins en l'entraînant dans une partie plus sombre de la pièce.

Audifax va encore faire des rencontres de dévôts de l'art qui dissimulent leurs travers dans cette religion. Héribert organise des fêtes à Pan et Adonis. La rousse Luce de Montillac parvient à attirer l'attention de Sotter, tandis qu'Odette de Fondmaur reste le jouet d'Héribert. Sa pudeur une fois de plus violentée chez Ermont, elle est secourue par Audifax. Celui-ci voit Miss Nethersoll danser une danse sacrée indienne connue des seules prêtresses. "Elle ne porte que deux plaques d'orfèvrerie moulant les seins et, retenue aux reins, une gaze d'argent mat lamée de raies brillantes." Les yeux se fixent sur la nudité de son ventre. Hiératique au début, elle cédait peu à peu à l'ivresse et arrachait ses voiles. A la fin Héribert la couvrait d'un manteau de soie myrte semée de roses. Audifax fasciné est jaloux du regard des autres posés sur la danseuse. Il se souvient qu'une petite Jacinthe lui avait jeté des fleurs à Cannes et qu'il avait vu s'exhiber nuitamment nue devant un vieil homme dans une crique.

Après qu'il eût conquis la confiance de Miss Nethersoll au bout de quelques jours celle-ci lui explique qu'elle veut "sculpter son idéal avec son corps" (p. 135) puisqu' "en art représentatif tout a été dit", elle veut "inspirer tous les esprits". Audifax y voit la trace des philosophies de Ruskin et Emerson. Nethersoll vénère les dieux de l'antiquité grecque et méprise le Moyen-Age qui enlaidit la nudité. Elle était persuadée que "les peuples latins (comme les français) mouraient du christianisme" (p. 139). Face à une Audifax qui défend mollement le christianisme, Jacinthe évoque son enfance à Boston pétrie de l'idée du beau et de la nécessité de l'incarner. Elle se sent missionnaire face aux Français qui "voient partout la plaisanterie et le libertinage".

Son amie Rozel Dunroë à Londres reconstitue les danses grecques, des danses à l'effet moralisateur qui enseignent l'eurythmie au monde sur un mode platonicien. "Les Américains ! Mais tout les désigne comme les héritiers des Grecs. Leurs lois d'hygiène, leur amour des sports, me type même de la race, qui, de plus en plus, modèle en têtes de médailles et en corps d'athlètes ! Donc, par patriotisme, elle cultivait cet art" (p. 147). Miss Nethersoll est convaincue "qu'un jour viendra où tous les corps étant beaux et sains, on ne les cachera plus au nom des anciennes pudeurs".

Audifax ne se laisse pas convaincre. Il connaît les salons parisiens remplis de "désenchantées de province, en quête d'enchantements faciles, prenant leur physique pour une métaphysique et le détraquement de leur sensualité pour une philosophie" (p. 154), mais il veut bien penser qu'en mettant la femme à la place des antiques déesses, Miss Nethersoll a des ambitions morales plus élevées.

Quelques jours plus tard elle lui explique que "Galathée" était en fait une des femmes attachées aux temples qui servaient de modèles aux peintres pour figurer les déesses et que Pygmalion amoureux de son modèle demanda à Vénus de la faire sortir du temple. Audifax réplique que dans la Légende dorée Galathée fut convertie au christianisme et donna son corps à tous (p. 166).

Luce de Marcillac qui se sent de plus en plus abandonnée cherche la protection de Sotter pour se lancer au théâtre, mais celui-ci lui propose plutôt de faire du music hall dénudé, ce qui la déçoit profondément. Elle tente en vain de récupérer Audifax. Celui-ci tente de dissuader Miss Nethersoll de se dénuder à nouveau. Il la trouve chez elle déguisée en Nari, "l'Isis indienne" (l'auteure a-t-elle lu "Addha-Nari ou L'occultisme dans l'Inde Antique" d'Ernest Bosc ?) à l'initative d'un certain Ermont de Logelbach (nom qui évoque les toiles indiennes Herzog de Logelbach). Il admet qu'il ne serait pas prêt à l'épouser (une allusion à Brunetière se glisse dans le chapitre).

Alors qu'il va chercher une invitation pour la soirée cher Ermont, il apprend d'Héribert que celui, comme Miss Nethersoll, et comme Léonard de Vinci, croit que "le corps humain est si beau, c'est une demeure si belle, qu'une âme vulgaire n'est pas digne de l'habiter" (p. 226). Il est trop tard pour qu'Audifax décroche son invitation. La danse nue chez Ermont a eu lieu la veille. Mais Héribert détrompe Audifax qu'il juge comme le représentant d'une tradition française démodée source de préjugés aveuglants : Miss Netehrsoll n'est pas la fillette qu'il a connue à Cannes. C'est une fille de pasteur de Philadelphie, une riche héritière devenue "professionnal beauty" par plaisir et non par nécessité, et Héribert va l'épouser. Audifax sort en suffocant. Avenue Marceau la jeune Mme Odette de Fondmaur, qu'Héribert ne veut plus recevoir, l'interpelle et lui confie sa jalousie à l'égard de Miss Nethersoll.

Le lendemain à 9 h Audifax met en scène son suicide et a convié par lettre Miss Nethersoll à y assister. Celle ci émue par le geste du prétendant lui avoue qu'elle n'a jamais songé à épouser Héribert. Apprenant qu'elle part pour Londres avec Sotter, Dépité Audifax blâme le narcissisme de son culte de l'art et fait un éloge des corps imparfaits, que Miss Nethersoll juge chrétien (p. 255). La danseuse déçue par son moralisme l'envoie consoler Odette de Fondmaur.

Il rejoint celle-ci 12 rue Vanneau où elle habite avec une sienne parente bonne soeur. Elle lui confie la dualité de sa dépendance à l'égard d'Héribert et de ses remords d'être sur le point de de devenir morphinomane pour satisfaire le besoin du peintre d'avoir cela pour modèle. L'image de ce sacrifice émeut Audifax. Il veut la sauver des multiples esclavages de sa vie. Le lendemain il la retrouve aux Thermes de Julien au musée de Cluny. Dans ce musé, il trouve aux Eves des tapisseries une ressemblance avec Odette, de même qu'à la dame à la Licorne dont la féminité se concentre dans son visage.

Inspiré par la tapisserie Audifax reconnaît dans Odette "la personificationhéraldique d'un monde et d'une France dont, instinctivement et par tradition, il portait le culte en lui" (p. 274).. Les forces du passé et de l'Histoire, le saint Martin aux membres grêles près de la piscine des Thermes face au buste païen d'Haidès le poussent vers Odette, la floraison mystique de l'âme contre le culte païen de la vie, et cela agit aussi sur Odette qui se rapproche d'Audifax. "Ne cherchez pas à devenr la Femme nouvelle, lui-dit-il. Restez ce que la volonté des morts de notre Race a voulu que vous fussiez". Il lui explique que Julien l'apostat n'est revenu au pagansme que par dilettantisme esthétique et lui montre la dame à la Licorne. Une force occulte nourrit son éloquence. "Votre beauté doit éclore dans l'omvre, lui-dit-il. Votre nudité n'est  pas faite, comme celle d'une Miss Nethersol pour s'étaler en pleine lumière, afin de tenter les hommes. Vous ne devez être belle que pour un seul amour". La peur même qu'elle éprouve du péché rend Odette aimable ax yeux d'Audifax. A ces paroles compréhensives, le visage d'Odette s'éclaireet frémit d'amour. "La Beauté, serait-ce donc la lueur adorable ey passagère qui, sous l'émoi intérieur, colore en de figitifs instants la face humaine ? ... La lueur divine qu'une minute emporte, qu'on ne reverra plus, mais dont le souvenir ne pourra s'effacer ?..."

Dans un dernier chapitre intitulé Parsifal, Rachel Gaston-Charles imagine une lettre d'Audifax à Odette où il lui confie tout ce que leur amour lui révèle sur l'humanité, mais lui annonce aussi son désir de la fuir. "Comme Parsifal, je puis dire : grande est la force de celui qui désire, plus grande encore est la force de celui qui renonce". Une annexe au roman "La sainte en voiles roses" explicite la version imaginée du mythe de Galatée évoquée plus haut

Il s'agit donc de toute évidence d'un roman chrétien qui se confronte aux modes artistiques parisiennes de son époque et à leur inspiration de la presse. C'est un procès de la vanité, du narcissisme parés d'oripeaux mystiques, avec toutes leurs dérives hérétiques - voir quand Rachel Gaston-Charles regrette que n'importe qui puisse se dire artiste, recherche la louange avec l'aide de la presse, et cède ainsi à l'orgueil. "Cabotins, peintres de Rose-Croix, statuaires moins forts que leurs patriciens, littérateurs de démarquage, nous assurent 'faire de l'Art'. Les femmes surtout s'y consacrent, comme autrefois elles se jetaient dans l'amour ou la dévotion" note-t-elle p. 82 (avec une référence remarquable à la Rose-Croix)

On peut s'étonner qu'un roman, qui tranche tant avec les moeurs du temps, ait trouvé un certain écho, et surtout un écho favorable dans la grande presse.

Le Mercure de France p. 306 du 16 septembre 1908 note qu'Isadora Duncan mais comme Miss Nethersoll ne saurait pas marcher nue avec grâce dans la rue, qu'aucun modèle dans les ateliers d'artistes ne le savent. L'héroïne ne serait qu'une "féministe dernier bateau" qui veut se constituer "un harem d'homme par les yeux". L'article trouve l'histoire "très amusante" et note que l'art du déshabillage n'a pas de secrets pour l'auteur (mais ils ne savent pas que l'auteur est une dame). Une critique bien superficielle qui évite de prendre au sérieux le message chrétien du livre.

Dans la revue Critique des idées et des livres de juillet-septembre 1908 (p. 336) sous la plume de Camille Marrast (sans doute un pseudonyme) présente cette "étude de psychologie et d'art" comme un roman désarticulé" qui fait une apologie de la danse nue à travers le personnage de Miss Nethersoll, spécialiste de l'exposition de soi" et qui veut que les femmes deviennent des "statues animées" et inspirent les esprits. "Je veux être belle par devoir humain et non pour servir le flirt". Le roman vante, nous dit-on, le goût américain pour les sports violents, et le "music hall" aux "émotions plus pures que le théatre", la danse comme école d'eurythmie depuis Platon. Le héros Valentin Audifax ne se laissera pas convaincre. Là encore c'est manquer le message spirituel du livre, pour ne retenir que ce à quoi il s'oppose (le paganisme de Miss Nethersoll).

Dans les Annales politiques et littéraires p. 227 l'occultiste Jules Bois (amant de la cantatrice Emma Calvé) estime que "ce livre quoique écrit par une femme ne saurait être lu des jeunes filles" et ne lui consacre que quelques lignes.

Jules Bois,est comte de la Rose-Croix du Temple et du Graal, Supérieur Inconnu de l'Ordre martiniste, initié dans la loge Ahathoor n°7 fondée à Paris par son ami S. L. Methers, grand maître de l'Ordre Hermétique de la Golden dawn (qui fut le creuset du nazisme, si je m'en souviens bien, la Golden Dawn dérivait de la Société rosicrucienne en Angleterre, elle même issue de celle d'Ecosse), secrétaire actif à partir de mars 1907 de la Société des gens de Lettres. Il n'est pas suprenant que ce roman ne lui inspire pas grand chose. On peut quand même s'étonner qu'il ait pris la peine de le commenter. On notera aussi qu'à la différence de la revue "Le Mercure de France" (homonyme de l'éditeur), lui sait que R. Gaston-Charles était une femme.

Dans la rubrique « Chronique des romans », de La Phalange de novembre 1908, à propos du roman La Danseuse nue et la Dame à la licorne de R. Gaston-Charles, un autre adversaire du christianisme, G. Apollinaire, ancien élève des marianistes et lecteur de la Gnose, commente le livre et rappelle à cette occasion l'inimitié entre la licorne et l'éléphant. Hélas je n'ai pu accéder pour l'heure à son article.

En 1912 Mme Gaston Charles allait obtenir le prix de l'Erudition de la Vie heureuse (Revue de la prévoyance et de la mutualité (tome XXI 1912 p; 574) pour son autre roman "M. Charmeret en Italie" (eds Plon), puis sombrer dans l'oubli de l'histoire littéraire.

"Bâtissons les forteresses de Juda des débris et des ruines de celles de Samarie", Bossuet, Sermon sur la Providence.

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Apollonios de Tyane, Vindex et Epaminondas

11 Juillet 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Pythagore-Isis, #Médiums, #Histoire secrète

Continuons notre lecture au hasard de la Vie d'Apollonios de Tyane...

Page 1182 du recueil de La Pleiade, la rencontre entre le grand pythagoricien thaumaturge Apollonios de Tyane et le gouverneur (qui n'est pas nommé) de Bétique (l'actuelle Andalousie).

Les rencontres entre les sages et les gouverneurs sont souvent mentionnées dans leurs biographies (ou leurs hagiographies). On connaît la rencontre entre Jésus et Pilate. Un peu moins celle entre Saint Paul et le gouverneur d'Achaïe qui était le frère de Sénèque...

Ici le biographe Philostrate nous dit que ce gouverneur est un opposant à Néron. La dictature de Néron incarne à l'époque l'anti-philosophie, et la théatrocratie (pour reprendre un terme de Platon) dans toute sa laideur. C'est un mélange de populisme et de despotisme de mauvais goût qui passe beaucoup par la chanson et l'image comme le pouvoir de nos médias de masse. La Vie d'Apollonios nous parle de ces chanteurs de cabarets qui déclament des poèmes de Néron et dénoncent à la police quiconque n'applaudit pas. Apollonios à Rome, où les philosophes sont interdits de séjour, s'est distingué par quelques actes de bravoure.

En Espagne, Apollonios séjourne à Gadès, l'actuelle Cadix, qui est la plus vieille ville de l'Ouest du bassin méditerranéen. C'est une ville fondée par les Phéniciens, qui baigne dans le culte de Baal et d'Ishtar-Astarté-Tanit. On a déjà parlé dans ce blog des danseuses nues de Gadès célèbres à Rome, comme la fameuse Télétuse qui doit son nom à la fervente dévote crétoise de la déesse égyptienne Isis dans la légende d'Iphis racontée par Ovide.

Apollonios fait venir le gouverneur (qui a peut être sa résidence à Hispalis) à Gadès. D'une part pour montrer que c'est le gouverneur qui doit se déplacer et non le philosophe. d'autre part parce que sans doute Gadès revêt une importance particulière pour lui (sans quoi il eût choisi un autre endroit).

Les pythagoriciens n'hésitaient pas à se mêler de politique, et Philostrate signale le goût d'Apollonios dans les cités grecques pour un système qu'on pourrait qualifier de "démocratie représentative" parce qu'il permet à deux partis de s'équilibrer. Et le biographe signale que, selon son secrétaire Damis Philosotrate aurait comploté pendant trois jours contre Néron avec le gouverneur puisqu'il lui aurait dit à la fin de la conversation "Souviens toi de Vindex". Vindex (que Philostrate crédite d'une inspiration philosophique, c'est à dire, dans sa bouche, divine ou pythagoricienne, pour lui ces mots sont équivalents) était un sénateur aquitain gouverneur de la Gaule lyonnaise, qui allait mener en 68 le premier soulèvement contre Néron qui allait constituer le début de sa fin. Philostrate crédite Apollonios d'une prescience de la prochain insurrection de Vindex qui n'a pas encore eu lieu. Apollonios s'embarque alors pour la Sicile. C'est là, au bout de plusieurs semaines qu'il apprend le suicide de Vindex (en juin 68) et l'échec provisoire du soulèvement. Et là Philostrate nous confie ceci :

"Comme ses compagnons lui demandaient à quoi cela aboutirait, et à qui finalement, appartiendrait le pouvoir, il répondit : 'A beaucoup de Thébains'. Car il comparait la puissance dont disposèrent, pour peu de temps, Vitellius, Galba et Othon, à celle des Thébains qui, pendant une période extrêmement brève, dirigèrent le monde hellénique".

J'ai déjà parlé dans ce blog d'Epaminondas, le général pythagoricien qui assura à la démocratie thébaine l'hégémonie, en abrogeant notamment dans la pratique militaire le tabou de l'usage de la main gauche. Je crois que la référence à Thèbes (la ville sacrée pillée par Alexandre, pour la reconstruction des murailles de laquelle l'hétaïre athénienne Phryné était prête à sacrifier sa fortune) va au delà d'une référence au caractère éphémère d'une hégémonie, et pointe plutôt vers une sacralité du pouvoir à venir d'Othon, Galba et Vitellius.

C'est l'occasion pour Philostrate de faire l'éloge de l'art divinatoire de la philosophie pythagoricienne (un art divinatoire qu'on avait vu aussi, dans la Pharsale de Lucain - le jeune écrivain inspiré assassiné par Néron - à travers la figure de l'astrologue étrusque néo-pythagoricien Figulus quand César entre à Rome) contre les magiciens (on dirait aujourd'hui "les médiums") que Philostrate qualifie de "plus infortunés des humains". Le philosophe, dit Philostrate, écoute les signes des dieux, là où les magiciens "ont tantôt recours à l'évocation, sous la contrainte, des esprits, tantôt à des sacrifices barbares, tantôt à des incantations ou à des onguents pour obtenir, disent-ils, que change le destin". Il souligne aussi que la philosophie pythagoricienne (dont Kingsley a bien montré les origines chamaniques en Asie mineure, et le lien avec la déesse mère), refuse de chercher à comprendre (par exemple pour Apollonios lorsqu'il était confronté à des automates en Grèce). C'est une philosophie de la soumission à l'essence des choses et de recherche de l'unité, contre l'affirmation des Egos (par une compréhension artificielle et une volonté d'agir sur les événements) et la recherche du conflit. Une philosophie de l'humilité et de l'harmonie.

Ce passage rappelle celui où le néo-platonicien Plutarque dans la Vie de Périclès fait l'éloge de l'herméneutique sacrée contre la science explicative (dans l'affaire du bélier à trois cornes), et aussi un autre passage de Plutarque dans son étude sur les visages de la lune où il tente de légitimer une religiosité grecque lunaire contre les pouvoirs magiques des Mèdes autour du culte superstitieux du feu. Dégager une religiosité philosophique "positive" des dérives de la magie noire est toujours un des enjeux majeurs de la pensée grecque de la période romaine.

Ce passage est un des plus politiques de la Vie d'Apollonios de Tyane, mais aussi un de ceux qui tracent le plus clairement le lien historique Pythagore-Epaminondas-Apollonios, et définissent leur rapport concret à l'être et aux modalités d'action humaines sur le devenir.

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Le regard de Plutarque sur Cléopâtre

13 Avril 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Pythagore-Isis

Le charme de Plutarque tient en partie à sa façon de tenir ensemble, dans ses récits historiques, les causes logiques et les causes divines, un principe qu'il énonce au début de sa Vie de Périclès et dont on trouve une illustration dans le récit de l'incendie de Persépolis.

C'est un procédé qu'on trouve aussi dans la Vie de Marc-Antoine quand il raconte son entrée à Ephèse précédé de femmes déguisées en Bacchantes, pour se présenter déjà comme un Neos Dionysos. Plutarque évoque aussi l'arrivée de Cléopâtre (28 ans à l'époque, en 41 av JC) sur son bateau, parée en Aphrodite (que la réforme de Manéthon a déjà identifiée à Isis). On voit bien que deux puissances divines se rencontrent là (tout comme deux daimon s'opposent quand Plutarque note que le daimon de Marc Antoine a peur de celui d'Octave). Cela d'ailleurs le conduit à accorder beaucoup d'importance aux rituels (l'usage des instruments de musique), et à faire signe vers la dimension "sociétés secrètes" (par exemple quand il conçoit le club des "vies inimitables" à Alexandrie créé par Antoine et Cléopâtre comme une sorte de thiase de Dionysos).

Les historiens actuels notent que Plutarque a le "mérite" d'insister autant sur le charme intellectuel de Cléopâtre que sur sa beauté physique, mais ne voient pas que l'arrière plan religieux est aussi très présent. Ils ne voient pas non plus tout l'humour de Plutarque quand il dit que Cléopâtre parle de nombreuses langues "barbares" - égyptien, hébreu (qui était déjà une langue morte à l'époque), parthe et même troglodyte (sic) qu'Hérodote présentait comme une langue complètement inhumaine - alors que les Ptolémées n'avaient pas cherché à apprendre l'égyptien, et même avaient oublié le macédonien...

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Sappho et la basilique néo-pythagoricienne

27 Mars 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Pythagore-Isis

En 1917 fut découvert près de la Porta Maggiore à Rome, un édifice souterrain rectangulaire "précédé d'une partie antérieure appelée pronaos  l'espace principal est divisé en trois nefs au moyen de six pilastres soutenant des voûtes en berceau - la nef central fermée, quant à elle, par une abside -, qui conserve les traes de l'existence d'une série d'autels et de sièges. Les parois et la voûte sont complètement revêtues d'une décoration en stuc blanc qui part d'un large socle rouge. C'est  seulement dans l'atrium que les décorations en stuc blanc se détachent sur un fond coloré " (cf La peinture romaine de l'hellénisme à l'Antiquité tardive, Ida Baldassare, Angelo Pontrandolfo, Agnès Rouveret, Actes Sud-Motta, 2006 p.. 179). L'édifice est daté entre le règne d'Auguste et celui de Claude. Il est du même style quant aux stucs que la maison d'apparat d'Auguste sur le Palatin.

 

sappho.jpgLes thèmes des décorations apparemment religieuses : bandelettes, guirlandes, hermès, jeux et exercices d'enfants à la palestre, scènes d'éducation intellectuelle, scènes de genre et tableaux mythologiques, plus une foule de motifs plus petits tant sur la voute que sur les parois : gorgoneia, figures de divinités et de dévots, tables avec objets de culte. Dans la partie centrale sont disposés trois panneaux, les deux premiers représentent l'enlèvement des Leucippides par les Dioscures, le troisième un personnage humain transporté par un personnage ailé. L'identification de ce dernier tableau avec l'apothéose de Sappho, la célèbre poêtesse, prêtresse d'Artemis Agrotera d'Artemis Thermia à Lesbos a justifié le lien établi entre cette "basilique" et le pythagorisme par l'inventeur de l'édifice. Récemment on a cependant avancé qu'il pouvait aussi s'agir d'Inno-Leucothée se jetant dans la mer avec le petit Mélicerte-Palémon ce qui invaliderait l'hypothèse pythagoricienne.

 

Dans les Histoires naturelles Pline l'Ancien livre 4 chapitre 2 : "Now called Capo Ducato or Capo tis Kiras. It is situated at the extremity of the island of Leucas, and opposite to Cephallenia. Sappho is said to have leapt from this rock on finding her love for Phaon unrequited: the story however is devoid of all historical truth."

 

Le saut de Sappho dans la mer évoquerait la libération de l'âme du poids du corps et sa métamorphose en une vie différente.

 

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Nigidius Figulus le néo-pythagoricien et Lucain

25 Mars 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Pythagore-Isis, #Histoire secrète

A la suite de Cicéron, les historiens attribuent au sénateur Nigidius Figulus (98-45 av JC), médium et voyant, la renaissance du pythagorisme à Rome (dont l'école après lui allait se réunir dans une basilique souterraine près de la porte majeure).

Cicéron dit de lui:

« Cet homme fut à la fois paré de toutes les connaissances dignes d'un homme libre et un chercheur (investigator) vif et attentif pour tout ce que la nature dissimule (quae a natura involutae videntur). Bref, à mon avis, après les illustres pythagoriciens dont l'enseignement s'est de quelque façon éteint après avoir fleuri pendant plusieurs siècles en Italie et en Sicile, il est l'homme qui s'est levé afin de le renouveler. » (Timaeus, I, 1, 2)

Quand César franchit le Rubicon, Lucain dans le livre I de la Pharsale décrit la terreur qui s'empare de nombreux Romains ("Oh ! Qu'aisément les dieux nous élèvent au comble du bonheur ! Que malaisément ils nous y soutiennent !").

On consulte le vieux devin étrusque Arruns de Luca (Lucques en Toscane), dit Lucain, qui lit dans le mouvement des oiseaux et émet un oracle au vu des entrailles d'un taureau : "O dieux ! Dois-je révéler au monde tout ce que vous me laissez voir ? Non, Jupiter, ce n'est pas à toi que je viens de sacrifier, j'ai trouvé l'enfer dans les flancs de ce taureau. Nous craignons d'horribles malheurs, mais nos malheurs passeront nos craintes. Fasse le ciel que ces signes nous soient favorables, que l'art de lire au sein des victimes soit trompeur, et que Tagès qui l'inventa nous en ait imposé lui-même."

Le second devin que l'on consulte, c'est Figulus qui est chargé de l'expliciter :

"Figulus (49), qu'une longue étude avait admis aux secrets des dieux, à qui les sages de Memphis l'auraient cédé dans la connaissance des étoiles et dans celle des nombres qui règlent les mouvements célestes, Figulus éleva sa voix : "Ou la voûte céleste, dit-il, se meut au hasard, et les astres vagabonds errent au ciel sans règle et sans guide ou, si le Destin préside à leur cours, l'univers est menacé d'un fléau terrible. La terre va-t-elle ouvrir ses abîmes ? Les cités seront-elles englouties ? Verrons-nous les campagnes stériles ? les airs infectés ? les eaux empoisonnées ? Quelle plaie, grands dieux ! quelle désolation prépare votre colère ? De combien de victimes un seul jour verra la perte ! Si l'étoile funeste de Saturne dominait au ciel, le Verseau inonderait la terre d'un déluge semblable à celui de Deucalion, et l'univers entier disparaîtrait sous les eaux débordées. Si le soleil frappait le Lion de sa lumière, c'est d'un incendie universel que la terre serait menacée ; l'air lui-même s'enflammerait sous le char du dieu du jour. Ni l'un ni l'autre n'est à craindre. Mais toi qui embrasses le Scorpion à la queue menaçante, terrible Mars, que nous réserves-tu ? L'étoile clémente de Jupiter est à son couchant, l'astre favorable de Vénus naît à peine, le rapide fils de Maïa languit ; Mars, c'est toi seul qui occupes le ciel. Pourquoi les astres ont-ils abandonné leur carrière, pour errer sans lumière dans le ciel ? Pourquoi Orion qui porte un glaive, brille-t-il d'un si vif éclat ? La rage des combats va s'allumer ; le glaive confond tous les droits ; des crimes qui devraient être inconnus à la terre obtiennent le nom de vertus. Cette fureur sera de longue durée. Pourquoi demander aux dieux qu'elle cesse ? La paix nous amène un tyran ! Prolonge tes malheurs, ô Rome ! traîne-toi d'âge en âge à travers des ruines. Il n'y a plus de liberté pour toi qu'au sein de la guerre civile."

Et une matrone qui, habitée par Phébus (un "esprit de Python" comme on dit dans les Actes des Apôtres, et le python est l'attribut d'Apollon et de sa prêtresse la Pythie, qui annonça la naissance de... Pythagore), va compléter :

"Telle des sommets du Pinde descend la bacchante pleine des fureurs du dieu d'Ogygie, telle à travers la ville consternée s'élance une matrone révélant par ces mots le Dieu qui l'oppresse. "Où vais-je, ô Péan ! Sur quelle terre au-delà des cieux suis-je entraînée ? Je vois le Pangée et ses cimes blanches de neiges, et les vastes plaines de Philippes au pied de l'Hémus. Phébus, dis-moi, quelle est cette vision insensée ? Quels sont ces traits, quelles cohortes romaines en viennent aux mains ? Quoi ! une guerre et nul ennemi ? Où suis-je ailleurs emportée ? Me voici aux portes de l'Orient où la mer change de couleur dans le Nil des Lagides. Ce cadavre mutilé qui gît sur la rive du fleuve, je le reconnais. Je suis transportée aux Syrtes trompeuses, dans la brûlante Libye, où la cruelle Erinys a jeté les débris de Pharsale. Maintenant je suis emportée par-dessus les cimes nuageuses des Alpes, plus haut que les Pyrénées dont le sommet se perd dans les airs. Maintenant je reviens dans ma patrie. La guerre impie s'achève au sein du Sénat. Les partis se relèvent ; je parcours de nouveau l'univers. Montre-moi de nouvelles terres, de nouvelles mers, Phébus, j'ai déjà vu Philippes (50)." Elle dit, et tombe épuisée sous le dernier effort de sa fureur."

Je tiens Lucain pour un esprit inspiré et sans doute néo-pythagoricien lui-même. Neveu de Sénèque, né à Cordoue comme lui (mais il n'y vécut qu'un an, puis fut un protégé de Néron). Surdoué comme son condisciple Perse, il fut contraint au suicide à 26 ans en raison de ses idées républicaines et de sa participation à la conjuration de Pison (en 65) - pour savoir tout le mal que Néron fit à la philosophie et au pythagorisme il suffit de lire la Vie d'Apollonios de Tyane.

Pour moi le seul fait qu'il ait écrit une Katabasis (une descente aux Enfers) est le signe qu'il bénéficiait d'une inspiration mystique comme tout le pythagorisme et cette inspiration traverse toute la Pharsale.

On peut se demander pourquoi lorsque la Rome républicaine s'effondre face à César, il confie à deux devins étrusques et à une femme possédée par Apollon la révélation sur son avenir.

Lucain a eu un condisciple illustre étrusque plus âgé que lui de 5 ans et qui mourut fort jeune aussi trois ans avant lui ,ce qui l'a peut-être sensibilisé à l'importance de la divination étrusque dans le dispositif républicain romain. Ils eurent tous deux pour maître stoïcien le libyen de Leptis Magna Cornutus (ce qui explique peut-être le fait que Lucain dans l'épisode sur le désert des Syrtes parle de l'Afrique comme la terre chérie d'Athéna, cela devait être mis en valeur à Leptis Magna et lui avait peut-être été transmis par Cornutus).

Dans Bottéro (Au commencement étaient les dieux p. 22) on lit : "Nous avons pu retrouver jusqu'en Etrurie des foies de bronze ou d'argile, directement imités de ceux de Babylone, utilisés pour l'aruspicine". Mais si Arruns en tant qu'aruspice se situe dans la tradition sumérienne-babylonienne, Bottéro situe Lucain dans la veine de l'Egypte (et d'Isis), ce qui sera prolongé par Apulée dans les générations suivantes.

Le culte de Figulus a-t-il été entretenu dans l'école stoïcienne du poête philosophe Cornutus ?

Que sait-on de cette école ? Cornutus était un affranchi du clan des Annaei auxquels appartenait Sénèque, l'oncle de Lucain. Dans une thèse soutenue à Bucarest en 1968, Eugen Cizek écrivait  "Annaeus Cornutus ne fut du reste pas un brillant amateur de culture comme Sénèque, mais un professionnel quasi obligé, de par son humble condition, à faire de son école l'un des plus remuants cercles littéraires". Selon Cizek, l'école fut moins innovante que l'oeuvre de Sénèque, mais beaucoup de nobles romains venaient y entendre les vers de Cornutus et de ses disciples.

Carcopino a parlé d'une véritable secte républicaine résistante dans l' "église" néo-pythagoricienne, mais la thèse est contestée (voir wikipedia). Est-ce que l'école de Cornutus pouvait s'y rattacher ?

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Lysis de Tarente et le premier pythagorisme

4 Mars 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Pythagore-Isis, #Médiums, #Histoire secrète, #Histoire des idées, #Philosophie

L'abbé provençal Barthélémy dans Voyage du jeune Anacharsis en Grèce tome 4 (1788) rappelle le souvenir (p. 185) de Lysis de Tarente qui, rescapé de la persécution des pythagoriciens, se réfugia à Thèbes où il fut accueilli par Polymnis et fut l'éducateur d'Epaminondas, fils de Polymnis, selon Diogène Laërce. A sa mort, Epaminondas le fit enterrer dans le rituel pythagoricien à Thèbes de sorte que Théanor venu d'Italie du Sud faire rechercher son corps put se réjouir du fait que tout avait été fait dans les règles. Il évoque aussi l'anecdote d'Euryphémus de Syracuse, autre pythagoricien, qui l'avait laissé en prière au temple d'Héra et l'y retrouva le lendemain matin (cité aussi par "La vie de Pythagore" de Dacier en 1706) . Un faux  intitulé Lettre de Lysis à Hippase, cité par Jamblique, qui fait l'éloge de la purification, affirme que Lysis fut dans la maison de Pythagore incendiée (Pythagore est mort vers 495, et Lysis vers 390, Epaminondas en 362).

L'auteur dit avoir écrit ce livre pendant trente ans à partir de 1757. C'est lui qui l'a fait entrer à l'Académie française.

L'Allemand Christoph Meiners dans "Histoire de l'origine des progrès et de la décadence des sciences dans la Grèce" (traduit en France en 1798) précise que selon Plutarque "Théanor croyoit à la réalité des songes, savoit distinguer les apparitions des hommes morts de celles des hommes vivans" (Meiners méprise ce pythagorisme irrationnel auquel il rattache aussi Vatinius et Figulus à l'époque de Cicéron - il trouve l'anecdote dans un essai de Plutarque qu'il ne cite pas, en fait "Sur le démon de Socrate" mais dont il reconnaît avoir mis en cause l'authenticité dans le passé - pour lui toutes ces légendes sur le pythagorisme sont contemporaines de la décadence de cette philosophie à l'époque d'Apollonios de Tyane).

Pour ma part je trouve dans la dévotion de Lysis à la terre-mère comme dans les dons de médium de Theonor quelque chose de très proche du chamanisme pythagoricien décrit par Kingsley. Par effet de contraste la lecture de Meiners (qui méprisait tout ce qui était "barbare" y compris dans le pythagorisme, et qui fut un des pères du racisme scientifique) illustre tous les dangers qu'entraine l'enfermement de la philosophie dans un rationalisme et un culte du progrès étroits. Il faut refaire revivre ces premières figures du pythagorisme dans toute leur richesse et diversité mentale, ou peut-être spirituelle, pour avoir une vision plus exacte des origines de la philosophie, et de ce monde particulier qui se déployait, en Italie du Sud, entre Elée, Syracuse, Tarente et Métaponte.

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A propos du soufisme

13 Février 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Spiritualités de l'amour, #Pythagore-Isis

Le soufisme (dont le visage le plus connu est celui des derviches tourneurs) est un courant mystique sur le déclin dans le monde musulman d'aujourd'hui. C'était pourtant un de ses grands maîtres jadis qui jadis intronisait le sultan de Constantinople.

 

Eva de Vitray-Meyerovitch, décédée en 1999 à l'âge de 90 ans, lui a consacré une bonne partie de sa vie, après guerre après avoir lu un livre d'Iqbal, le père spirituel du Pakistan.

 

 

J'aime bien le témoignage de l'anthropologue marocain Faouzi Skali en 6ème minute. Cheikh Bentounes (en 19ème minute) raconte le rêve de l'auteure où elle se voit morte et au dessus de sa tombe son nom est écrit en arabe.

 

 

Je lis de cet auteure "Rûmî et le soufisme" publié pour la première fois en 1977. Elle raconte la vie de Muhammad Djalâl-od-Dîn dit Rûmî (1207-1273), ce professeur persan né en Afghanistan réfugié en Anatolie. J'ai été très intéressé par sa rencontre en 1244 (à 37 ans) à Konya avec le mystique Shams de Tabrîz âgé de 60 ans, et assassiné trois ans plus tard.

 

Rûmî tenta en vain de rechercher en Syrie son maître aimé, explique Vitray-Meyerovitch, puis prit pour instruire ses disciples l'enlumieur Salâh-od-Din, puis Husâm-od-Dîn Tchelebî. La légende dorée raconte qu'il avait de la compassion même pour les chiens qui écoutaient ses prêches (cela fait penser à Saint-François-d'Assise). Apprécié de toutes les religions, il aimait aussi les "infidèles" : "L'impiété et la foi courent toutes deux sur le chemin de Dieu" était un phrase de Sanâ'i qu'il aimait citer. Son petit-fils Amîr Arif Tchebeli allait construire des communautés (takyas) jusqu'à Vienne.

 

Eva de Vitray-Meyerovitch explique divers rituels soufis à travers Rûmî. Par exemple la danse des derviches, dans une robe blanche symbole du linceul et toque de feutre image de la pierre tombale. Le cheikh représente l'intermédiaire entre ciel et terre. La main gauche du derviche tournée vers la terre redonne au monde la grâce reçue dans le coeur par la main droite tournée vers le ciel.  Il tourne comme les planètes. Le cheikh devient le soleil. Le tambour ce sont les trompettes du jugement dernier. Le son du pipeau (ney) symbolise l'union avec Dieu (avec une connotation plaintive, mais ce roseau est poison et antidote).

 

N'importe quelle émotion peut être prétexte à cette danse (Rûmî dansa quand au bazar de Konya il entendit Dil kou "où est le coeur" à la place dilkou, renard, que criait un vendeur de peaux). Le Coran condamne la prière en état d'ivresse, mais Rûmî refuse aussi l'ivresse : le derviche doit pouvoir s'arrêter net de danser à tout moment, sur un signe inopiné.

 

Konya, l'ancienne Iconium phrygienne, capitale des sultans turcs seljoukides (dont les Ottomans vassaux protégeaient les frontières), était encore florissante, mais du vivant de Rûmî, le sultanat allait être vaincu par les Mongols et devenir leur vassal. La cohabitation entre les communautés y était paisible. Les sultans épousaient des chrétiennes laissées libres (comme l'impose l'Islam) de pratiquer leur religion. Rûmî avait un ami proche chrétien et des anecdotes évoquent ses retraites dans les monastères orthodoxes. Les deux religions vouaient une sorte de culte (entre autres) à Platon.Toute une légende dorée entoure le rôle du renoncement des Mongols à détruire Konya devant la sainteté de Rûmî (les flèches qui n'atteignent pas Rûmî, les chevaux mongols qui refusent d'avancer).

 

Sharia (la loi) et Tariqa (la voie de l'unité des soufis) ont leur racine dans la notion de cheminement et sont complémentaires, l'une étant ouverte au plus grand nombre, l'autre à un nombre restreint.

 

"Si la connaissance ne t'enlève pas à toi même,

Mieux vaut l'ignorance qu'une telle connaissance"

Dîwan de Sanâ'î

 

Le but de la quête des soufis (soufi vient de "sûf" la laine de leur manteau) est le "voyage nocturne" dont le Prophète a fait l'expérience exemplaire.

 

Cela suppose de gravir une échelle :

 

"Dès l'instant où tu vins en ce monde de l'existence,

Une échelle fut placée devant toi pour te permettre de t'enfuir.

D'abord, tu fus minéral, puis tu devins plante ;

Ensuite, tu devins animal : comment l'ignorerais-tu ?

Puis tu fus fait home, doué de connaissance, de raison, de foi ;

Considère ce corps tiré de la poussière : quelle perfection il a acquise !

Quand tu auras transcendé la condition de l'homme, tu deviendras, sans nul doute, un ange.

Alors, tu en auras fini avec la terre ; ta demeure sera le ciel.

Dépasse même la condition angélique ; pénètre dans cet océan,

Afin que ta goutte d'eau puisse devenir une mer"

 

Odes mystiques II de Rûmî

 

Et dans le Mathnawî (IV, 3637 s.), Rûmî précise qu'en passant du minéral au végétal et du végétal à l'animal l'homme oublie son état antérieur mais peut en garder des inclinations (p. 88).

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