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Sainte Hildegarde et la symphonie de l'âme

8 Décembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Pythagore-Isis

En février 1947, Paul Claudel reçoit "un énorme volume fort nourri et fort intéressant, de Joseph Samson, maître de chapelle à la cathédrale de Dijon intitulé "Paul Claudel, poète-musicien". Il le mentionne dans son journal, et ajoute "Symphonialis est anima. Sainte Hildegarde". Cela m'a fait penser aux mystiques de la musique pythagoriciens, les acousmates.

Puis j'ai voulu  en savoir plus sur cette "âme est symphonique" de la mystique médiévale (1098-1179), et, comme je ne peux lire des traités en latin, j'ai d'abord regardé ce qu'en disait Georgina Rabasso docteur en philosophie, chercheuse à l'université de Barcelone dans "Redécouvrir les secrets de la voix".

Hildegarde, nous dit-elle, était souvent forcée au silence par la maladie. Néanmoins, "le silence contredisait les préceptes de la Divinité, qui lui a ordonné de parler et d'écrire sur ce qu'elle a vu et entendu. A la fin de sa vie, la hiérarchie ecclésiastique imposa silence à sa communauté mais Hildegarde, non sans effort, réussit à ramener la musique dans la vie quotidienne du monastère. Elle le fit en adressant une épître aux prélats de Mayence, dans laquelle elle plaidait à la fois contre l'interdiction de chanter pendant l'office divin, et fait l'éloge de la musique et du chant à partir d'une théorie suggestive néoplatonicienne-chrétienne de leur fonction dans l'univers et dans l'histoire de l'humanité".

Cette seule phrase de la chercheuse suffit à me faire penser que mon intuition sur le rapport avec Pythagore n'était pas si déplacée que cela. Le pythagorisme se reflétant dans le néo-platonisme.

Quelques années auparavant, précise Rabasso, Hildegarde de Bingen avait expliqué dans une lettre au moine Guibert de Gembloux comment "fonctionnaient" ses perceptions auditives mystiques. "Je n'entends pas ces choses, écrivait-elle, avec des oreilles corporelles, et je ne les perçois pas avec les cogitations de mon cœur ou l'évidence de mes cinq sens. Je ne les vois que dans mon esprit, les yeux grands ouverts, et ainsi je ne souffre jamais le défaut de l'extase dans ces visions. Et, pleinement éveillée, je continue à les voir jour et nuit". La compréhension du sens caché des choses que le divin donne à Hildegarde n'est pas seulement issu de l'intellect et de la vision mais aussi de l'audition. Il y a autant uisio intellectualis qu'auditio intellectualis, ce que Rabasso rapproche de certaines considérations de St Augustin dans son traité De musica.

Cet aspect auditif, Hildegarde a essayé de le restituer dans ses compositions musicales auxquelles le musicologue Marcel Pérès à Moissac essaie de rendre vie en partie dans une visée thérapeutique (ce qui est aussi très pythagoricien).

"Dans un passage autobiographique inclus dans sa Vita, note Rabasso, elle déclare qu'elle a composé des chants et des mélodies à la louange de Dieu et des saints sans avoir n'a jamais reçu de formation spécifique, et qu'elle les a jouées sans jamais avoir étudié ni la notation musicale pneumatique ni le chant. Juste de la même manière elle a déclaré qu'elle avait écrit ses œuvres en latin bien qu'elle ne connaisse pas la grammaire latine".

Dans une lettre à un prélat de Mayence de 1178-79, Hildegarde explique que l'interdiction du chant qu'avait imposée à sa communauté sa hiérarchie épiscopale était condamnée par ses voix intérieures qui avaient mis en avant les diverses louanges dont parle le roi David dans le Psaume 150:3-6. Elle ajoute que la voix d'Adam au principe était en harmonie avec les voix des anges. "A cause de la faiblesse que la Chute a imposée aux êtres humains, il n'a plus supporté la puissante sonorité son ancienne voix, mais celle-ci peut être restaurée par les chants de louange. "

"La symphonie réveille l'âme humaine léthargique et la met en mouvement vers la recherche de sa rationalité perdue." Hildegarde prévient en outre les prélats que leurs décisions renforcent les dissonances diaboliques dans le cosmos. A la fin de ses Sciuias, elle dit avoir entendu "une multitude « faisant de la musique en harmonie louant les rangs du Ciel» et qu'ils venaient d'un air plein de lumière". Cette multitude hétérogène produisait un son harmonieux qui, à travers ses louanges, faisait écho à l'harmonie céleste elle-même, ce que Rabasso rapproche de l'harmonie des sphères chez Pythagore.

Le sens des compositions d'Hildegarde est donc de permettre aux hommes de pouvoir par le chant et la symphonie interprétés à la fois par l'âme et le corps (par la voix et les instruments) remonter l'échelle de Jacob vers les sphères angéliques.

Une autre philosophe catalane avant Rabasso, dans les années 1990, Rosa Rius Gatell, dans la Revista d'Estudis Feministes 16-1999,  s'était intéressée au rapport d'Hildegarde à la musique, et elle avait ajouté que la sainte défendait la thèse platonicienne et stoïcienne d'un cosmos vivant dont les composantes sont en interaction sympathiques entre elles, avec une âme et un corps qui se fortifient mutuellement comme les planètes réchauffent le firmament. Dans ce dispositif, l'homo rationalis fait des choix qui rapprochent ou éloignent la réalisation du plan de Dieu. L'homme de Dieu (vir deus) est un intermédiaire du macrocosme qu'il reflète jusque dans sa physiologie. C'est par rapport à ce dispositif cosmique, dispositif qui a été "abîmé" par la Chute, que doit se comprendre l’œuvre rédemptrice de la musique. Hildegarde prend appui sur le Psaume 150 pour montrer que le choix adéquat des instruments harmoniques permet d'atteindre la science de Dieu originelle et son harmonie céleste.

On a là une théologie de la musique très hautement inspirée et qui bien sûr fait écho à d'autres formes de mysticisme musical dans d'autres cultures (Inde, Chine, Perse etc). Bien sûr, comme toutes les formes de mysticisme, celui de Ste Hildegarde subit beaucoup de distorsion, notamment dans la mouvance New Age, et il faut se méfier de ces égarements. Mais dans le message initial il y a quelque chose de très puissant (et d'ailleurs de très enraciné dans la Bible, dans les Psaumes), qu'il convient de méditer...

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