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Merveilleux protestant : les chants de psaumes célestes à Orthez en 1685

31 Juillet 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète

Dans sa VIIe lettre pastorale du 1er décembre 1686, le calviniste Pierre Jurieu (1637-1713) écrit (p. 150 du recueil T. I), fait état "d'orages extraordinaires, de feux tombans du ciel ; d'autres sortant de la terre, de signes très parlants qui ont paru dans les airs, d'insectes de figure inconnue qu'on a cru voir tomber des cieux" et de "ce chant de psaumes qui a été entendu dans les airs en divers endroits".

Jurieu dit en avoir entendu parler, pour la première fois il y a"près d'un an" en Béarn, la "première province où fut envoyée la mission dragonne" de Louis XIV contre les protestants, du chant de psaumes. Le pasteur de l'Eglise d'Orthez Magendie ayant mené l'enquête a déclaré, dans une lettre du 23 novembre 1686 d'Amsterdam, qu'il recopie, que M. de Bazin s'étant promené avec un de ses amis aux alentours d'Orthez dans l'après-midi "ouit des voix qui chantaient les Psaumes, et, comme il crut que ce pouvaient être certaines femmes qui lavaient du linge" dans la rivière, "il courut à elles pour leur demander si c'était elles qui avaient chanté". "Elles lui dirent que ce n'étaient pas elles, et qu'il y avait longtemps qu'elles entendaient ce même chant de Psaumes" (p. 151). "Cela arriva quelques mois avant l'interdiction de nôtre temple". 

Par ailleurs Mademoiselle de Casenave, de la même ville, qui n'y croyait pas, reçut la promesse d'une femme qu'elle l'en avertirait si elle les entendait à nouveau. Lorsque cette femme, à 11 heures du soir "avec beaucoup d'autres personnes" se trouva à une extrémité d'Orthez, elle entendit les Psaumes. Elle courut chez Mlle Casenave qui sortit de son lit, fit lever une de ses voisines. Elles coururent à ce quartier d'Orthez éloigné de leur maison "où elles trouvèrent plusieurs personnes qui étaient ravies de cette douce mélodie, qu'elles entendaient dans les airs", et rentrent chez elles avec "cette grande consolation" de l'avoir entendue. Mme de Cazenave ajoute qu'après les Psaumes une voix parlait mais d'une façon peu compréhensible.

Les nombreuses personnes qui avaient entendu ce chant de Psaumes l'appelaient "le chant des anges". Cela les incitait à sortir la nuit et les jurats de la ville durent prendre une ordonnance d'interdiction de sortir la nuit.

Le ministre Garsin de l'église d'Orthez certifie (lettre du 23 septembre 1686 à Amsterdam) aussi que son beau-frère de Roux, avocat, entre 11h et minuit derrière sa maison dans cette ville a entendu un chant de psaume "au dessus de lui", puis d'un "endroit plus éloigné". L'avocat Clavier par ailleurs lui a dit que le curé Dufau, le sieur Lichirigai et un frère du curé, M. de la Roque, ont envoyé "quérir une fille papiste de Moncade pour savoir d'elle s'il était vrai qu'elle eût dit avoir oui ce chant de Psaumes" et "elle leur dit que oui". "Et lui ayant demandé comment elle savait que c'était le chant des psaumes, elle leur dit que c'était parce qu'elle avait oui la même chose que lorsqu'on chantait dans le temple". Comme les interrogateurs s'étonnaient qu'elle ait entendu ça au temple, elle précisé qu'elle "y avait été une fois à la suite d'un baptême, mais qu'allant à la fontaine, elle avait oui souvent ce chant passant devant le temple à l'heure des prêches et des prières."

Une autre attestation (du 22 novembre 1686) précise que dans l'année 1685, en août et septembre, Pierre de Maupoey, 23 ans, a oui "dans l'air chaud" à deux reprises un chant de psaume mélodieux, une fois devant la maison de Poey" où il était "à demi endormi, couché sur un banc", le chant l'a réveillé et a duré "près d'une demi-heure", puis il entra dans la maison de M. du Poey, marchant drappier, chez qui il travaillait. Il le dit à "mademoiselle du Poey et à ses filles". Elles le grondent de ne pas l'avoir averti. Huit jours plus tard, lui "et plusieurs autres" à 1 heure de matin se rendent à la Posterle (un lieu élevé de la ville) il entend "plusieurs voix dans l'air, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre". Il interroge Mlle Despagnou, fille de M. Dombideau, marchant d'Oloron, épouse d'un marchand tanneur accompagnée d'autres femmes du voisinage ": d'où venez vous ?" "Du gave, dirent-elles, près du moulin neuf". Il leur demande de quel côté venaient les voix. Elles disent qu'il leur semble que cela vient de la posterle. Mais lui même en venait et croyait que cela venait du moulin neuf. Ces personnes sont tombées d'accord pour estimer que cela était "dans les airs", "et que jamais elles n'avaient ouï de voix si belles"

Le père de Maupoey (qui avait changé de religion deux ans et demi plus tôt), voisin de Melle Despagnou et les autres femmes se tiennent sur la porte de la ville à 2 h du matin, avec un maréchal nomme Maresquas, "papiste de Lembeye, du quartier de Bitbil, qui ressort du Parlement de Navarre". Ceux-ci confirment qu'ils ont bien entendu un chant magnifique.

Pierre Jurieu cite encore le témoignage de M. Bergeret : en septembre 1685 il se couche à 8 heures du soir. Une demi-heure plus tard quelques voisines viennent et lui demande s'il est assez fou pour chanter des psaumes interdits. Au même moment sa mère entre dans la chambre pour le réveiller en disant qu'on "chante des psaumes en l'air". Il prête attention et croit que l'on chante dans le jardin.  Il sort, tout le voisinage se retrouve dans la rue de Moncade où l'on entend les psaumes.

Jean de Bordette en septembre 1685 a aussi vers 8 h du soir entendu les psaumes dans la rue, mais sans pouvoir identifier de quels psaumes il s'agit.

Mlle de Formalagués (attestation signée à Amsterdam du 4 septembre 1686) l' a entendu trois fois en octobre. Un vendredi vers 8 ou 9 h des voisines viennent l'avertir chez elle. Elle sort rue Saint Gilles et y trouve diverses personnes accourues de toute part pour entendre ces chants : "Et à l'instant, atteste-t-elle, mes oreilles furent frappées d'une mélodie si ravissante, que je n'ai jamais rien oui de semblable. Je pouvais discerner l'air de nos psaumes qui était chanté admirablement bien". Certains ont reconnu le début du psaume 41 qui à l'époque était traduit par "ainsi qu'on oit le cerf bruire". Mlle de Formalagué n'a jamais pu distinguer les mots. "J'ouis seulement une musique charmante, qui me représentait un grand nombre de voix très bien accordantes ; il y en avait une qui s'élevait par dessus les autres et qui se faisait remarquer lorsque toutes avaient fini" . Les voix ensuite diminuent peu à peu et se perdent "insensiblement dans les airs". La demoiselle rentre chez elle et se retrouve sur le pas de sa maison avec ses voisines et là, le chœur des anges reprend pendant un quart d'heure, puis disparait.

Le mardi suivant, elle est avec un parent sur la porte de sa maison le soir. Un grand nombre de voix retentissent avec force dans les airs. Elle court à l'appartement du médecin papiste qui loge en sa maison et qui était cette année là un des jurats d'Orthez. Il la suit sur le pas de la porte, mais fait semblant de ne rien entendre. Les voix se font plus fortes : "alors ayant pressé ce jurat, de me dire s'il oyait ce chant, cet homme ne put dissimuler la vérité". Mais il dit qu'il entend un beau chant mais dit qu'il reconnaît les voix d'Orthéziens qu'il nomme et qui sont connus pour leur bel organe, pour ne pas avouer que ce sont les anges. Mlle de Formalaguès s'exclame "Monsieur, si les hommes se taisent, les pierres mêmes parleront".

Monsieur de Brassalay gentilhomme d'honneur, témoigne que quelques jours avant la fermeture autoritaire des temples en Béarn, l'avocat Lichigaray Brunier persécuteur des protestants se leva de son lit pour aller dire au curé qu'il entendait une assemblée chanter des psaumes hors de la ville. Il passe aussi voir le sergent Goulan, catholique, pour le conduire au lieu où il pourra arrêter les membres de ce choeur. Mais le sergent penché à la fenêtre voit bien que cela vient des airs et qu'il n'y a donc rien à faire. Puis les chants ont continué pendant plus d'un mois. Cela ne venait pas d'une caverne précise Jurieu car à Orthez il n'y a que des maisons et des vignes et champs autour, et le chant des psaumes était interdit depuis longtemps. Tout le monde a fini par en entendre et Lichigaray Brunier a pu identifier le psaume 138 verset 2.

Le médecin Du Faur, jurat de la ville, l'entendit mais dit que c'était l'oeuvre de sorciers. "Le parlement de Pau et l'intendant de Béarn en ont aussi rendu le témoignage par un arrêt, qui défend d'aller écouter le chant des psaumes" sous peine d'amende. P. 163 Jurieu cite ensuite un témoignage sur les chants de psaumes dans les Cévennes, où les psaumes sont encore plus clairement identifiés, et même parfois accompagnés de bruits de tambours.

Le téléfilm de 1969 "Le Huguenot récalcitrant" évoque cette thématique des chants de psaumes célestes pendant les dragonnades, et aussi les apparitions d'anges qui ont été nombreuses en pays protestant dans les années postérieures à 1685.

Difficile de savoir quelle signification avaient ces phénomènes censés encourager les huguenots et quelle en était la source spirituelle.

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