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Le Lévitikon de Fabré-Palaprat et le johannisme

23 Mars 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Histoire secrète, #Christianisme

On a commencé à évoquer il y a quelques jours le fondateur d'Eglise "johannique" Bernard-Raymond Fabré-Palaprat. Le Journal des débats politiques et littéraires du 10 janvier 1907 évoque en ces termes l'histoire des documents sur lesquels il fondait son Eglise (une charte de l'Ordre des Templiers et un "Levitikon"). "Au moment de mourir, Jacques de Molay avait laissé à un chevalier de Jérusalem, nommé Larmenius, la charte de son Ordre. Cette charte s'était perdue par le malheur des temps; mais en 1804 elle avait été retrouvée dans une boîte de bouquiniste par Philippe Ledru, fils du prestidigitateur Comus et père de Ledru-Rollin qui, en inventant le suffrage universel, devait rendre un nouvel essor à l'art de la prestidigitation".

Voici ce que Fabré-Palaprat lui-même disait du Lévitikon qu'il présentait comme datant du XIIe siècle :

"Ce manuscrit est en grec, sur parchemin ( grandes feuilles), en lettres d'or, et porte la date de 1154. Il est une copie ou apographe d'un manuscrit du cinquième siècle, conservé par nos frères d'Orient, et semblable à celui d'Occident, sauf les passages relatifs à l'Ordre des Templiers, incorporé dans l'Eglise primitive des son institution en 1118 ; et quelques notes et passages extraits du commentaire traditionnel de la doctrine religieuse, dont la Cour Apostolique a ordonné l'insertion dans toutes les traductions du codex lévitique.

Les Évangiles sont ceux qu'à écrits l'Apôtre Jean, auxquels on a ajouté, en regard, l'Evangile du même Apôtre, selon la Vulgate.

La Table d'Or contient la liste ou série chronologique , jusqu'en l'année 1154, des Souverains Pontifes et Patriarches, dont le dernier (ou le soixante-quatorzième) était le cinquième Grand-Maître du Temple.

Le Statut fondamental du gouvernement de l'Eglise, le Rituel cérémoniaire et les vingt-un articles de la profession de foi ou abrégé du Lévitikon, sont extraits d'un ancien manuscrit, contenant divers décrets de la Cour Apostolique , lesquels décrets ont été, dans les derniers temps, réunis en un seul code par ordre de la même Cour.

Pour éviter aux critiques, des répétitions inutiles, et aux fidèles des réponses à des argumens sans valeur, nous prévenons que les manuscrits dont il s'agit, et autres conservés dans les archives de l'Église, ont été examinés avec une attention scrupuleuse par un grand nombre d'hommes capables de les juger, entre autres par le savant et illustre Grégoire, ancien évêque de Blois, qui, dans son Histoire des Sectes religieuses, tome 2, page 4°7 et suivantes, édition de 1828, déclare partager le sentiment d'hellénistes distingués et versés, en outre, dans la paléographie, sur l'ancienneté du manuscrit, qui contient le Lévïtikon, les Évangiles et la Table d'Or, manuscrit qu'il dit être du treizième siècle, lorsque d'autres prétendent qu'il est antérieur (1 - la note dément cela en relevant que le texte mentionne   Souverain Pontife Bertrand do Blancfort, élu et sacré en cette même année 1154)."

Après une polémique  sur les objections théologiques de Grégoire, Fabré-Palaprat ajoute, sur la datation que Grégoire "pense, d'après ses propres investigations et celles d'un savant helléniste, professeur de la faculté de théologie de Copenhague, M. Hohlenberg, qui a lu notre manuscrit et l'a étudié avec soin ; il pense, dis-je, que ce livre est au moins du treizième siècle, et qu'il appartient à la famille de ceux de la recension byzantine ; mais que, d'après quelques idiotismes qu'on y remarque , et l'omission assez fréquente de l'article ô , il est probable que ce manuscrit a passé par des mains latines."

Sur le Net (ici, c'est un site catholique) on peut lire que la version racontée par le Journal des débats a été démentie par Pierre Adet (1763-1834), ambassadeur de France aux États-Unis et membre de l'Ordre du Temple, qui reçut les documents auprès du conseiller du roi et régent de l'Ordre Claude-Mathieu Radix-de-Chevillon du précédent Grand Maître Louis-Hercule Timoléon personnellement, et non dans un meuble acheté par Ledru.

Une autre version veut que le Danois Munster aurait découvert dans la bibliothèque du prince Corsini à Rome, la règle manuscrite de l'Ordre. Puis dans un meuble à double fond, on découvrit la Charte dite de Jean-Marc Larmenius, meuble que détenait un Anglais, cette Charte portait la signature des grands Maîtres qui se succédèrent jusqu'en 1804. Elle fut soumise à beaucoup d'expertises, papier, encre, écriture, signatures, et, finalement, deux camps apparurent : un camp de scientifiques et d'historiens affirmant qu'il s'agissait d'une supercherie grossière, et un autre camp acceptant cette charte comme véritable. Jean-Marc Larménius serait une totale invention de Fabré-Palaprat ou de Ledru selon Daniel Tant, employé des Archives municipales de Reims (article de 2008). Selon celui-ci Fabré-Palaprat aurait acheté le Lévitikon pour 25 francs à un bouquiniste.

Toutes ces affaires mêlent souvent vérités et mensonges et l'on ne sait jamais qui dit le vrai, de celui qui affirme ou de celui qui dément...

L'histoire de cette Eglise johannique selon Fabré-Palaprat, repose sur la transmission "des pouvoirs apostoliques-patriarcaux" au croisé Hugues de Payen (je renvoie à mon livre "Le complotisme protestant" à son sujet) par le 60ème patriarche Théoclet. Toutes ces généalogies font penser à la supercherie du Prieuré de Sion, mais ne sont-elles que cela ?

Notons que la Gazette des Armes en 1990 reprenait encore à son compte ce genre de récit.

Dans le Dictionnaire des Sciences Médicales T. 52 p. 260 et suiv., édité par Panckoucke, Pinel et Bricheteau ont examiné le cas Fabré-Palaprat sous le titre « Spasme avec lésion des facultés intellectuelles », mais on a le droit de douter de leur compétence quand on voit qu'ils classent aussi dans cette catégorie floue Saint Antoine, Saint Siméon Stylite, Sainte Marie-Alacoque, Cagliostro etc...

Ils écrivent d'une façon très détaillée :

"M. Fabre-Palaprat, médecin de Paris, aussi recommandable par ses talens que pour sa philanthropie, est âgé de quarante-six ans ; né sous un climat chaud, il a été dès sa jeunesse doué d'une imagination exaltée et d'un caractère méditatif, ne paraissant se complaire que dans la solitude, livré au travail et à la médication. Il avait parfois des accès de somnambulisme, et il assure avoir composé, dans un de ces accès, une pièce de vers latins qu'il se reconnaissait incapable de faire dans état de veille. A dix-huit ans, il fut délivré de cette fâcheuse incommodité, par un réveil en sursaut dans le temps même qu'il se livrait à une de ses excursions nocturnes (l'un de nous a été également somnambule dans sa jeunesse et une pareille aventure l'a délivré de cette maladie).

A peu près dans le même temps, le malade fut atteint d'une fièvre intermittente quarte, qui dura une année entière, et dont il fut guéri brusquement par un remède secret qu'il suppose être de l'arséniate de potasse.

A peine cette fièvre avait-elle cessé, qu'il se manifesta une autre maladie périodique c'étaient de vives douleurs dans la poitrine, accompagnées d'anxiété, de mouvemens spasmodiques, avec une teinte jaune de la peau, un dérangement dans les fonctions digestives, etc. Ces accident survenaient à des intervalles éloignés à la suite du travail et de la méditation ils allaient toujours en croissant l'espace de huit ou dix jours, puis décroissaient successivement. Pendant plusieurs années qu'il fut affecté de ces spasmes de la poitrine, M. Fabré consulta à Montpellier, où il étudiait la médecine, plusieurs médecins distingués ( Fouquet Petiot, Dumas, etc. ), qui le crurent menacé de phthisie pulmonaire et lui prescrivirent des moyens appropriés cet état, etc. Il vint ensuite habiter Paris l'état de sa santé n'offrit rien de remarquable dans les premiers temps de son séjour en cette ville, si ce n'est des vomissemens de sang, qui étaient constamment causés par l'usage du beurre; effet singulier, dans la production duquel cependant l'influence de l'imagination n'avait aucune part, puisque le malade ayant un jour consenti à dîner chez un ami à condition qu'il ne mangerait rien au beurre ( condition qui ne fut point tenue ), il vomit une grande quantité de sang à l'issue du diner.

Vers trente-six ans, la maladie prit un autre caractère; les accès s'annonçaient par une grande irascibilité, une humeur fâcheuse dont les meilleurs amis du malade ont quelquefois éprouvé les effets; puis il survenait des vertiges, des spasmes dans tous les muscles soumis à la volonté, qui l'obligeaient à se jeter dans un fauteuil ou sur un canapé souvent il poussait un cri aigu, qui était suivi d'une roideur cataleptique de 3 quelques secondes seulement: bientôt après succédait une sorte de ravissement extatique avec une sensation de volupté indicible que l'on peut comparer, suivant luit aux jouissances de l'amour, mais qui est infiniment au-dessus. Les organes génitaux ne participaient d'ailleurs en rien à cet état d'exaltation, bien que le malade fût en général continent et vit rarement de femmes dans la crainte de se trouver mal, ce qui lui est arrivé quelquefois. Pendant la durée de l'extase, qui était communément de cinq à six minutes, M. Fabré ne perdait pas connaissance continuait de. converser mais ses discours avaient quelque chose de solennel de romanesque et de poétique. L'extase dissipée ou plutôt diminuée, l'accès se prolongeait jusqu'au huitième et dixième jour pendant lesquels le malade ne prenait aucun aliment ni boisson; il vaquait néanmoins à ses affaires, mais dans sa conversation on apercevait facilement que son imagination avait une teinte romanesque et que sa manière d'être était puissamment modifiée par un état d'exaltation et de contentement qui ne sont pas ordinaires dans la vie humaine. La durée du sommeil ne dépassait pas deux heures, et le reste de la nuit se passait dans une sorte de rêverie contemplative dont le vague berçait agréablement le malade.

Les accès de spasme extatique, tels que nous venons de les décrire, se sont d'abord manifestés tous les six mois ou environ, puis tous les quatre mois, ensuite de trois eu trois et de deux en deux mois, enfin tous les vingt-huit jours assez régulièrement à mesure que ces accès se rapprochaient et devenaient en même temps plus courts, l'extase était accompagnée de jouissances plus ineffables et cet état avait alors tant d'attraits pour le malade, qu'il s'y abandonnait involontairement malgré la conviction qu'il avait de pouvoir lutter avec avantage contre son développement. Un affaissement et une prostration très considérables des forces avec des sueurs abondantes, qui parfois avaient l'odeur du sperme, annonçaient, pour l'ordinaire la fin de l'accès et un prompt retour à l'état naturel.

Au mois de mars 1818 d'après les instances de sa famille et de ses amis justement effrayés de la fréquence toujours croissante des retours de cette affection spasmodique, M. Fabré essaya de la combattre au moyen des pilules narcotiques de Méglin (composées de valériane d'oxyde de zinc et d'extrait de jusquiame, un grain de chaque) qu il porta successivement jusqu'à douze l'effet en fut assez marqué puisque l'accès, dont le retour devait être prochain fut retardé d'environ deux mois; mais comme si le mal n'eut été que comprimé pendant quelque temps, il reparut avec plus de violence, et pour ainsi dire sous une autre forme; car, à compter de cette époque, les accès ne furent que de courte durée, et se montrèrent quatre jours de suite les 13 14 15 et 16 mai. Le 14 l'extase voluptueuse se reproduisit jusqu'à six fois, ce qui fit au malade l'effet d'une violente courbature on remarqua, pour la première fois qu'il perdait connaissance pendant quelques secondes; on continua l'usage des pilules de Méglin que l' ou porta jusqu'à dix-huit à cette dose, la vue se trouva considérablement affaiblie, ainsi que la sécrétion urinaire.

Le 10 juin on observa tous les avant coureurs d'un accès qui cependant n'eut pas lieu. Le 8 août, à la suite d'une attaque légère M. Fabré joignit aux pilules de Méglin un demi-gros de valériane en poudre, et ensuite un gros avec quantité égale de quinquina. Ces médicamens fuient administrés ensemble pendant quelque temps, puis suspendus et repris; il ne se manifesta d'accès qu'en novembre, époque à laquelle on reprit l'usage de la valériane, du quinquina et des pilules de Méglin suspendu depuis quelques jours, et on continua d'administrer ces médicamens le reste de l'année 1818.

Au commencement de l'année 1819 le malade éprouva un accès de spasme extatique à la suite d une affection morale; il reprit alors l'usage de la valériane associée au quinquina, qu'il porta jusqu'à trois gros, toujours concurremment avec les pilules de Méglin, administrées d'une manière croissante et décroissante depuis une pilule jusqu'à dix-huit et vice versa. Pendant les huit mois qui suivirent, M. Fabré eut assez fréquemment de très-petites attaques, ou bien simplement observa chez lui quelques signes avant-coureurs qui n'avaient aucune suite. Il continua en général de faire usage des mêmes médicamens. L'objet du délire extatique, quand il survenait était toujours le même, c'est dire un sentiment indicible de bonheur et de ravissement auquel Je malade s'abandonnait avec délice aux approches de l'accès, bien qu'il fût persuadé que sa santé dut en recevoir une mauvaise influence; disposition que l'on peut comparer à celle-de ces individus faibles et irritables, très enclins aux plaisirs de l'amour, qui savent bien que la jouissance les use et les consume, mais ne la recherchent pas moins et s'y abandonnent avec une sorte d'instinct destructeur.

A la fin de l'année 1819, la maladie ne se montra plus que faiblement et sous un aspect différent l'état spasmodique, au lieu d'être suivi d'extase voluptueuse, n’offrait plus qu'un état plus ou moins prolongé d'anxiété et d'irascibilité, avec de violentes palpitations, de l'oppression, et quelquefois une abondante hémorragie du nez. La maladie, que l'on ne cessa pas de combattre par intervalles avec les moyens indiqués plus haut, continua à se manifester sous cette forme nouvelle jusqu'au mois d'avril 1820 La durée totale de chaque accès était alors de douze heures au plus; et l'on ne pouvait méconnaître combien le temps, d'un côté, et de l'autre une médication active et savamment combinée avaient changé la nature du mal et affaibli ses effets.

A la fin d'avril, l'affection se reproduisit sous la forme primitive avec extase et jouissance intuitive. Le 8 mai, pendant la nuit, M. Fabré éprouva un fort accès avec convulsion, roideur tétanique, perte de connaissance. Cet état dura quarante minutes et fut suivi d'extase voluptueuse, de courbature et d'accablement. Quelques autres accès qui survinrent ensuite, quoique beaucoup moins forts, tirent craindre au malade que l'affection spasmodique ne reparût avec son intensité première, et l'engagea à revenir à l'usage des médicamens ci-dessus mentionnés qu'il avait abandonnés, La valériane et le quinquina, associés ensemble, furent administrés de nouveau jusqu'à la dose de trois gros chaque, et les pilules de Méglin portées concurremment jusqu'à dix-neuf, d'où l'on revient en décroissant jusqu'à la dose la plus faible.

Depuis cette époque, M. Fabré n'a, de temps à autre, que de l'oppression de l'anxiété, et quelques autres accidens nui composent ce qu'il appelle des soupçons d'attaque il se porte en général beaucoup mieux que par le passé et supporte bien les fatigues qu'exigent les soins de sa profession."

Voici ce qu'Eliphas Lévy, ami des mages Ganneau et Delaage (dont j'ai parlé dans mon livre sur Lacordaire), disait, quant à lui, de la tradition "johannique" revendiquée par Fabré-Palaprat au chapitre 35 de son Histoire de la Magie :

"La pensée secrète d’Hugues de Payens, en fondant son ordre, n’avait pas été précisément de servir l’ambition des patriarches de Constantinople. Il existait à cette époque en Orient une secte de chrétiens johannites, qui se prétendaient seuls initiés aux vrais mystères de la religion du Sauveur. Ils prétendaient connaître l’histoire réelle de Jésus-Christ, et, adoptant en partie les traditions juives et les récits du Talmud, ils prétendaient que les faits racontés dans les Évangiles ne sont que des allégories dont saint Jean donne la clef en disant, « qu’on pourrait remplir le monde des livres qu’on écrirait sur les paroles et les actes de Jésus-Christ ; » paroles qui, suivant eux, ne seraient qu’une ridicule exagération, s’il ne s’agissait, en effet, d’une allégorie et d’une légende qu’on peut varier et prolonger à l’infini.

Pour ce qui est des faits historiques et réels, voici ce que les johannites racontaient :

Une jeune fille de Nazareth, nommée Miryam, fiancée à un jeune homme de sa tribu, nommé Jochanan, fut surprise par un certain Pandira, ou Panther, qui abusa d’elle par la force après s’être introduit dans sa chambre sous les habits et sous le nom de son fiancé.

Jochanan, connaissant son malheur, la quitta sans la compromettre, puisqu’en effet, elle était innocente, et la jeune fille accoucha d’un fils qui fut nommé Josuah ou Jésus.

Cet enfant fut adopté par un rabbin du nom de Joseph qui l’emmena avec lui en Égypte ; là, il fut initié aux sciences secrètes, et les prêtres d’Osiris, reconnaissant en lui la véritable incarnation d’Horus promise depuis longtemps aux adeptes, le consacrèrent souverain pontife de la religion universelle.

Josuah et Joseph revinrent en Judée où la science et la vertu du jeune homme ne tardèrent pas à exciter l’envie et la haine des prêtres ; qui lui reprochèrent un jour publiquement l’illégitimité de sa naissance. Josuah, qui aimait et vénérait sa mère, interrogea son maître et apprit toute l’histoire du crime de Pandira et des malheurs de Mirjam. Son premier mouvement fut de la renier publiquement en lui disant au milieu d’un festin de noces : « Femme qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Mais ensuite pensant qu’une pauvre femme ne doit pas être punie d’avoir souffert ce qu’elle ne pouvait empêcher, il s’écria : « Ma mère n’a point péché, elle n’a point perdu son innocence ; elle est vierge, et cependant elle est mère ; qu’un double honneur lui soit rendu ! Quant à moi, je n’ai point de père sur la terre. Je suis le fils de Dieu et de l’humanité ! »

Nous ne pousserons pas plus loin cette fiction affligeante pour des cœurs chrétiens ; qu’il nous suffise de dire que les johannites allaient jusqu’à faire saint Jean l’Évangéliste responsable de cette prétendue tradition, et qu’ils attribuaient à cet apôtre la fondation de leur Église secrète.

Les grands pontifes de cette secte prenaient le titre de Christ et prétendaient se succéder depuis saint Jean par une transmission de pouvoirs non interrompue.

Celui qui se parait, à l’époque de la fondation de l’ordre du temple, de ces privilèges imaginaires se nommait Théoclet ; il connut Hugues de Payens, il l’initia aux mystères et aux espérances de sa prétendue Église ; il le séduisit par des idées de souverain sacerdoce et de suprême royauté, il le désigna enfin pour son successeur.

Ainsi l’ordre des chevaliers du temple fut entaché dès son origine de schisme et de conspiration contre les rois.

Ces tendances furent enveloppées d’un profond mystère et l’ordre faisait profession extérieure de la plus parfaite orthodoxie. Les chefs seulement savaient où ils voulaient aller ; le reste les suivait sans défiance.

Acquérir de l’influence et des richesses, puis intriguer, et au besoin combattre pour établir le dogme johannite, tels étaient le but et les moyens proposés aux frères initiés. « Voyez, leur disait-on, la papauté et les monarchies rivales se marchander aujourd’hui, s’acheter, se corrompre, et demain peut-être s’entre-détruire. Tout cela sera l’héritage du temple ; le monde nous demandera bientôt des souverains et des pontifes. Nous ferons l’équilibre de l’univers, et nous serons les arbitres des maîtres du monde.

Les templiers avaient deux doctrines, une cachée et réservée aux maîtres, c’était celle du johannisme ; l’autre publique, c’était la doctrine catholique-romaine. Ils trompaient ainsi les adversaires qu’ils aspiraient à supplanter, Le johannisme des adeptes était la kabbale des gnostiques, dégénérée bientôt en un panthéisme mystique poussé jusqu’à l’idolâtrie de la nature et la haine de tout dogme révélé. Pour mieux réussir et se faire des partisans, ils caressaient les regrets des cultes déchus et les espérances des cultes nouveaux, en promettant à tous la liberté de conscience et une nouvelle orthodoxie qui serait la synthèse de toutes les croyances persécutées.

Ils en vinrent ainsi jusqu’à reconnaître le symbolisme panthéistique des grands maîtres en magie noire, et, pour mieux se détacher de l’obéissance à la religion qui d’avance les condamnait, ils rendirent les honneurs divins à l’idole monstrueuse du Baphomet, comme jadis les tribus dissidentes avaient adoré les veaux d’or de Dan et de Béthel.

Des monuments récemment découverts, et des documents précieux qui remontent au XIIIe siècle, prouvent d’une manière plus que suffisante tout ce que nous venons d’avancer. D’autres preuves encore sont cachées dans les annales et sous les symboles de la maçonnerie occulte. »

Mais Eliphas Lévy est-il crédible vu les cercles assez "étranges" auxquels il se rattachait ?

L'exégèse du Lévitikon que fournit Fabré en tout cas dit seulement (p. 62) que Jésus a été élevé dans le collège de prêtres d'Alexandrie. Il n'est pas certain que l'introduction de cette hypothèse atténue par elle-même le fait que Jésus serait vraiment fils de Dieu, recevant ses dons du Père. Simplement il est vrai que le détour par une technique magique (à laquelle fait un peu référence Meheust aussi dans son "Jésus guérisseur") "associe" en quelque sorte un peu plus le paganisme à l'apport de l'Incarnation, paganisme saisi comme dépositaire d'une certaine sagesse divine.

D'ailleurs Fabré s'en tient à une position minimaliste concernant les attributs du Christ. Au vu des ambiguïtés des Evangiles sur son statut divin, et même sur la question de savoir s'il est le Messie, les membres de l'Eglise johannique s'en remettent à la volonté de Dieu pour éclairer chacun là dessus et admettent toutes les opinions (p. 74-75).

En revanche ce qui est carrément hérétique dans le propos de Fabré c'est sa compréhension de l'Esprit saint comme simple intelligence du Père (ce qui est très en déçà des vertus que lui attribue Saint Paul par exemple). Est-ce une inflexion intellectualiste personnelle que Fabré apporterait à l'héritage johannique ?

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