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Sertorius et le géant

27 Janvier 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire secrète

Ceux qui connaissent mon livre"Les Nephilim" savent que j'y ai abondamment parlé de ceux qui, encore de nos jours, recherchent dans le monde la trace des géants et la preuve de leur existence.

J'avoue que je ne m'attendais pas à trouver un précurseur de ce mouvement à l'époque de Pompée le Grand, du côté de la tragédie de Corneille à laquelle je m'intéressais il y a 8 jours (et en réalité depuis bien plus longtemps encore).

Nous allons voyager dans le temps, mais aussi dans l'espace, au Maroc antique, du côté de Tanger (les Romains ont appelé cela la "Maurétanie tingitane").

Ma source est Plutarque, que dont grand Condé parlait à Corneille, Plutarque, qui lui aussi me poursuite depuis mes jeunes années et chez lequel je trouve toujours des choses très intrigantes, par exemple à propos de la Lune.

Nous sommes en 81 ou 80 av JC (certaines sources indiquent 83). Sertorius a dans les 45 ans (pour mémoire César a 20 ans, Cicéron et Pompée 25, Caton d'Utique 11). C'est un homme sportif et vif, un général fugitif qui a pris le parti des "Populares" contre celui des défenseurs des privilèges de Sénat (les "Optimates") qui tiennent Rome sous leur botte en la personne du dictateur sanguinaire Sylla.

Sertorius est en Espagne avec quelques milliers de soldats, et cela se passe plutôt mal pour lui. Vaincu par le général Annius, dans une bataille navale à Carthagène lors de laquelle le vent a directement propulsé ses navires (et ceux de ses alliés pirates de Cilicie) contre les récifs, et survivant difficilement à dix jours de tempête, il passe le détroit de Gibraltar et se réfugie sur la côte au nord du Guadalquivir.

L'heure est à la déprime pour lui, tous ses projets sont en panne, mais il entend parler par des marins des îles des Bienheureux, du côté des Canaries dont certains (dont Homère) disent aussi qu'il est le séjour des héros après leur mort. Il y fait si beau et la terre y est si fertile que l'homme peut y vivre sans rien faire.

"Sertorius, nous dit Plutarque (IX:1) fut pris d'un désir extraordinaire d'aller s'établir dans ces îles et d'y vivre en repos, délivré de la dictature et des guerres incessantes".

Mais ses alliés pirates ne l'entendent pas de cette oreille, et, assoiffés de butin "pour se refaire" (comme on eût dit dans Astérix), il préfèrent se rendre au Maroc et y installer Ascalis à Tingis/Tanger (on ne sait pas trop qui était cet Ascalis et quel était son rapport avec la dynastie qui régnait sur la Maurétanie - n'était-il qu'un chef local ?).

Sertorius prend Tanger et c'est là que des Berbères (des Libyens, dit Plutarque) que se trouve enterré Antée, le géant brutal, fils de Poséidon et de Gaia (la déesse de la Terre), qui fut roi de Libye (d'Afrique) et dont la femme était la déesse Tingis. Ce roi cruel exterminait les commerçants au large de ses côtes. Hercule, le demi-dieu idole des stoïciens qui a laissé une empreinte durable dans l'Ouest du bassin méditerranéen (la fondation des Pyrénées, du détroit de Gibraltar), l'étouffa à mort en utilisant une méthode très particulière pour neutraliser ses pouvoirs : le soulever de la Terre pour qu'il ne dispose plus des énergies de sa mère (on sait que dans beaucoup de cultures païennes les géants sont issus de la Terre, l'étymologie grecque le dit). Pour les Romains l'Afrique était la terre du merveilleux et notamment chez Lucain (qui dans sa Pharsale allait parler du combat d'Hercule contre Antée), la Terre-mère africaine est particulièrement sauvage et inquiétante (d'ailleurs elle allait être le point final de l'aventure de Caton d'Utique et de la République).

Hercule après la mort d'Antée s'unit en Tingis et selon la mythologie berbère eut pour fils le roi Sophax, ancêtre de la dynastie régnant sur le royaume maure (Plutarque quand il rappelle cela rend hommage au roi Juba II (l'érudit fils de Cléopâtre et de Marc-Antoine) dont il tient ce récit sur la postérité d'Hercule au Maroc.

Sertorius était un homme religieux comme tous les Romains, mais comme eux il ne croyait guère aux récits des barbares (quoiqu'il fût par nature plus ouvert à leur égard que la moyenne des légionnaires : il l'avait montré en se déguisant en Celte et en parlant leur langue lors de la bataille contre les Cimbres en Provence). Dans cette mesure on peut estimer qu'il était dans la même position à l'égard de cette histoire de mausolée de géant que les esprits modernes à l'égard de ces légendes. En outre le soi-disant tombeau d'Antée était énorme. Sertorius entreprit de le fouiller pour montrer aux Maures qu'ils avaient tort.

Or en explorant le monument, "il y trouva dit-on"(on ignore qui est ce "on") selon l'expression de Plutarque (I:7), un corps de 60 coudées de long - ce qui fait 27 mètres...(*)

"Frappé de stupeur, ajoute l'auteur, il immola une victime et fit recouvrir le monument, augmentant ainsi les honneurs et la gloire qui entouraient le géant". 

Donc, on le voit, bien qu'Antée eut été un géant sanguinaire, il était de rigueur de se montrer respectueux à l'égard d'une dépouilles surnaturelle, et Sertorius organisa même un sacrifice en son honneur.

Plutarque n'établit pas un lien de causalité entre les deux événements mais on peut remarquer que la fortune de Sertorius s'améliora sensiblement après cette découverte, puisque son administration de Tanger fut plutôt une réussite, et qu'ensuite, allié aux Portugais (les Lusitaniens) il obtint des victoires sur les peuples du Sud-Ouest de l'Espagne, et allait même recevoir d'un de ses alliés sa fameuse biche blanche, dont il faisait croire à ses soldats qu'elle était un cadeau de Diane et qu'elle lui révélait des secrets du monde invisible.

Il a été avancé que le Cromlech de M'zora (une enceinte mégalithique) pouvait être le tombeau d'Antée. La découverte des restes du géant et leur taille par Sertorius figurent dans Strabon (Géographie, XVII, III,8) qui renvoie à l'Histoire romaine de Gabinius qui est un contemporain de César. On est donc là en présence de sources qui ne sont postérieures que d'une quarantaine d'année aux faits relatés.

Le site a été un peu maltraité en 1935-36 par l'explorateur César Luis de Montalban, un personnage bizarre alors sexagénaire qui, presque vingt ans plus tôt dans La Nacion du 13 janvier 1918 se vantait d'avoir chassé le lion, assisté à des sacrifices humains et décodé le calendrier toltèque. Ni Montalban arrêté par les franquistes ni son successeur à la direction du musée archéologique de Tetuan ne purent écrire de compte rendu des fouilles, qui avaient notamment porté sur un tombeau. En 2018 Enrique Gozalbes Cravioto à partir d'archives familiales a reconstitué une partie de ce que Montalban  a pu trouver.

Le cromlech est décrit dans un bulletin scientifique français de 1878 ici, qui le compare avec une description par Sir Arthur de Capell Brooke en 1831 (Sketches in Spain and Morocco). Il y a ici une liste des ésotéristes qui se sont récemment intéressés à ce site et à son rapport avec les Atlantes, notamment l'inévitable Robert Temple.

Les archivistes de la revue belge Kadath (une revue qui était associée aux manifestations de l'AMORC) ont bien voulu m'envoyer le numéro de l'été 1985 (n°59) qui, en p. 39, présente le travail de John E. Palmer, artiste-peintre anglais résident aux Pays-Bas, Combattant la théorie selon laquelle il n'y aurait des cercles de pierre que sur le territoire britannique, il s'est rendu sur place, a interrogé un certain Michael Scot qui dans sa jeunesse s'était rendu sur le site quand Montalban l'explorait, ainsi que Marthe de Chambrun Ruspoli qui fit une déclaration relative à une photo prise pendant ces fouilles. Palmer cite aussi quatre visiteurs qui n'ont pas laissé de textes (Watson, Taradell, Tissot et Davidson) et les travaux de James W. Mavor dans la revue autrichienne Almogaren (vol. 11/1976 Akamemischer Druck Verlaganstalt, Graz).

Palmer a écrit à Mavor au Woods Hole Oceanographic Institute aux Etats-Unis et utilisa ses travaux. Il avait utilisé un avion et reçu l'assistance de la Société française d'archéologie de Tanger et de Si Belhoussine Drissi, inspecteur des monuments historiques et des antiquités du Maroc. Mavor et Drissi avaient pu établir le diamètre des cercles initiaux et les azimuts, ce qui persuada Palmer de la parenté avec les cromlechs britanniques.

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(*) Le « très-cordialement médiocre » (comme dit de lui Châteaubriand) Jean-Baptiste-Claude Delisle de Sales (1739-1816) dans son Histoire nouvelle de tous les peuples du monde (p. 4) remarqua à ce propos : "On ne s'attend pas en étudiant la vie d'un contemporain de Cicéron et de Lucrèce, de lire des Contes de l'Odyssée ou la Légende sacrée des Métamorphoses"

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Interviewé par France Info sur la médiumnité

27 Janvier 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Médiums

J'ai été interviewé par France Info sur la médiumnité. Une petite partie de mes propos a été intégrée à un documentaire bref paru sur Facebook (https://www.facebook.com/watch/?v=3704359016522523) notamment (il est aussi sur Instagram).

Pour ceux que ça intéresse, ci-dessous la version complète du topo que j'avais enregistré pour eux.

La méthode de l'interview m'a rappelé celle du temps où (dans les années 2010) j'étais interrogé sur la nudité. Les journalistes ont besoin d'une caution universitaire pour une thèse simple. Il me font un peu parler, gomment les nuances. C'est assez bizarre du coup parce que l'extrait sélectionné me fait passer pour un rationaliste pur sucre ou un zététicien, alors qu'au fond la critique majeure que j'ai à adresser à la médiumnité je l'adresserais plutôt d'un point de vue chrétien, à partir de ce que je sais maintenant de l'économie du monde invisible.

Mais bon cet effet déformant n'est pas très grave. Car malgré tout dans l'extrait sélectionné qui évoque les errements des médiums et mentionne leurs "fantômes" transparaît le coeur de mon expérience personnelle de 2014 (qui aussi celle de beaucoup d'autres que moi), et cela casse un peu lu discours du "don personnel" du médium, que je réinterprète en termes de suggestions par des entités°.

J'observe que ces formats de 2 min 30 même s'ils ne permettent pas de dire grand chose ont malgré tout un certains succès sur Instagram - 35 commentaires, plus de 200 likes au bout de 24 heures, alors qu'on reste à moins de 20 likes et 10 commentaires sur Facebook. Je soupçonne que sur Facebook un robot gonfle les vues (il y en avait 1 800 au bout d'une heure).

 

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Swedenborg à l'origine du culte actuel de l'amour

23 Janvier 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète, #Histoire des idées

Melisssa Dougherty, une copine de Doreen Virtue,  explique ici (ci-dessous) que le culte actuel de l' "Amour" dans un sens hérétique (l'amour comme tolérance qui interdit tout jugement moral) très à l'honneur dans toute la culture populaire de notre temps (les chansons notamment), remonte au mage spirite suédois du XVIIIe siècle Swedenborg.

Comme je l'avais noté il y a quelques années, Swedenborg a beaucoup marqué son temps : Kant avait échangé avec lui (et pondu un livre très injuste à son sujet), beaucoup de protestants en Angleterre puis en Amérique s'étaient enflammés pour lui, mais aussi en France des catholiques un peu dissidents en mal d'ésotérisme (je crois me souvenir que Châteaubriand en parle, on citait ses révélations dans les salons chics parisiens).

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Tantrisme et pouvoir politique

22 Janvier 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Shivaïsme yoga tantrisme, #Histoire secrète

J'ai un peu écrit naguère sur le tantrisme comme "technique du corps" comme dirait l'autre, notamment dans son rapport aux déesses mères, mais j'ai négligé son lien historique avec la politique et la chose militaire.

Quelques lignes m'ont fait prendre conscience de mon erreur ce matin, des lignes sur le moine indien qui le premier a rendu le tantra "à la mode" en Chine : Amoghavajra  (705-774), disciple de Vajrabodhi. Il fit un gros travail de collection de textes tantriques en Inde, à Ceylan, en Indochine.

Il fut celui qui consacra le 11ème empereur chinois Tang Suzong en 759 (l'année où, en Gaule, Pépin le Bref reprenait Narbonne aux Musulmans), après que ses sortilèges aient permis de vaincre l'armée du rebelle An Lushan. Auparavant il avait aussi initié (cf les rituels ici) l'empereur tang Xuanzong.

Son rôle dans les victoires militaires est souvent sousestimé par les universitaires, mais il ne faut pas oublier que le tantrisme est chargé de rituels magiques. Souvenons nous de ce que Jonathan Black écrivait sur le rôle de Sainte Geneviève face à Attila (et peut-être de Roumi face aux Mongols) : l'enjeu était là une victoire sur une magie chamanique.

L'usage du tantrisme dans un cadre politique et guerrier se retrouve au XIIIe siècle avec Koubilay Khan, le petit-fils de Gengis Khan. Les chefs mongols étaient bouddhistes depuis 1246, après la mission du Tibétain Sakya Pandita. Koubilay fut notamment influencé par Phagpa, qui travailla à l'élimination du taoïsme de sa cour. Du succès de Phagpa la magie militaire n'est pas non plus absente.

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L'erreur du dolorisme

21 Janvier 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Otium cum dignitate, #Notes de lecture

Orwell dans un article (recueil "Une bonne tasse de thé") sur les soins et la mort dans un hôpital parisien du XVe arrondissent de Paris a les accents d'un Pierre Leroux dans "Y aura-t-il toujours des pauvres ?" à propos des hospices de son temps.

Dans certains milieux aujourd'hui on dénonce volontiers le "luciférisme" des modernistes et des francs-maçons, mais ces récits anciens rappellent dans quelle indifférence on traitait jadis la souffrance de l'indigent. Peut-être au nom d'un certain dolorisme chrétien... qui a fait "dialectiquement" le lit du progressisme.

Il y a plus drôle aussi dans l'article, heureusement. Ainsi on y apprend que les infirmières anglaises sont idiotes, qu'elles fétichisent la royauté et lisent l'avenir dans les feuilles de thé (sic !).

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L'abbé d'Aubignac

18 Janvier 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées

Je lisais hier l'introduction à Sertorius de Corneille de Jeanne Streicher.On a oublié combien cette pièce fut jouée jusqu'aux années 1820. Elle fut la plus jouée de la troupe de Corneille. Une pièce marquée par le souvenir de la Fronde analogue de la guerre civile romaine (Corneille aurait lu le chapitre de Plutarque sur Sertorius sous l'inspiration de Condé très amateur d'histoire antique et qui fut aussi exilé). Jeanne Steicher exhume les critiques de l'abbé d'Aubignac, François Hédelin (et petit fils du célèbre chirurgien Ambroise Paré), contre cette pièce qu'on peut lire ici. L'abbé avait composé des pièces, notamment sur Jeanne d'Arc et sur la reine Zénobie. Certaines de ses critiques du style de Corneille sont intéressantes.

Mais l'histoire littéraire a gardé un mauvais souvenir de l'abbé. Voici ce qu'on écrivait encore sur lui au XIXe siècle :

"D'Aubignac chercha à ameuter une foule de petits poètes contre Corneille, qui trouva de plus sérieux défenseurs, Richelet entre autres. Des épigrammes sans nombre se croisèrent Mais la vanité de l'abbé fut si maladroite et sa mauvaise foi si évidente, que celui là même qui avait engagé la querelle contre Sophonisbe, De Visé, ne put supporter l'idée d'une confraternité d'armes entre lui et un homme aussi ouvertement injuste. Il avait été le premier à critiquer Corneille, il fut le premier à embrasser son parti quand il vit la discussion prendre ce caractère."

Il n'était peut-être pas très profond mais on lui doit un Traité de la nature des Satyres, Brutes, Monstres et Démons (1627) sujet qui, pour le lecteur d'aujourd'hui a au moins le mérite de l'originalité.

Le livre ne se trouve pas sur le Net. On peut supposer que c'est une compilation érudite des mythes gréco-romains.

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Christianisme et société en 1971 et aujourd'hui : la question de la verticalité

15 Janvier 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Christianisme, #Philosophie

Je lis dans la revue communiste la Pensée de 1971 un article d'Antoine Casanova (1935-2017) à propos de Vatican II explique :

"Au premier chef, on assiste à une modification du visage de Dieu et des rapports des croyants avec Dieu. Chez les hommes qui transforment quotidiennement le monde naturel par une mise en œuvre rationnellement organisée des forces scientifiques et techniques, qui sont devenus conscients de la valeur universelle de leurs aspirations de travailleurs et des possibilités de l'action collectivement organisée, la catégorie idéologique de Dépendance est de moins en moins opératoire. Dieu n'est plus maître supérieur des phénomènes naturels, seigneur des hiérarchies sociales. Le croyant s'éprouve au contraire comme coresponsable de son œuvre et de son destin et « appelé à une relation personnelle qui le fait participer à la responsabilité de l'œuvre de création » et « on peut trouver là directement le fondement religieux des attitudes de base que réclame dans la société industrielle le travail communautaire des hommes dans le sens d'une association » 49. Dieu est de plus en plus vécu comme Dieu frère plutôt que comme Seigneur Père, Dieu partenaire engagé en un rapport de coopération et qui ne peut être saisi qu'au travers de la présence d'une communauté humaine, y compris dans l'Eucharistie définie comme « une célébration communautaire ou un partage de la parole et du pain » ce qui « est une expression minimaliste qui fait beaucoup plus penser à une agape fraternelle (partager le pain et le sel) qu'à la Sainte Cène du Christ »  . La puissance du courant qui se rattache à cette nouvelle symbolisation a été maintes fois évoquée (et dénoncée) par les autorités romaines

Corrélativement est de plus en plus mis sur tous les signes qui représentent le salut comme affaire terrestre à dimension essentiellement communautaire. Nous retrouvons ici un autre aspect de la forte valorisation de l'aspect « repas » communautaire de la messe qui grandit tandis que « quittent l'avant-scène de la liturgie » des dévotions (l'adoration du Sacré-Cœur, du Saint-Sacrement) dont le symbolisme représentait une eschatologie individualiste.

Le symbolisme qu'élaborent les masses tend en même temps à signifier leur volonté de libération des contraintes sociales d'exploitation. Les niveaux de signification sont ici complexes. Au premier chef et de façon générale, Dieu ne peut être imaginé qu'avec les attributs qui signifient l'éternelle stabilité de l'ordre des classes dirigeantes. L'or et les fastes ont de moins en moins leur place dans la symbolique religieuse populaire. L'expression du sacré par les symboles de l'accumulation des richesses s'est muée en « contre signe ». Il en a longuement été question à la première session du Concile dans les interventions des prélats réalistes attentifs à ne pas laisser s'accroître l'écart entre les aspirations religieuses spécifiquement populaires et l'image que propose la hiérarchie"

On trouve dans le même numéro un article sur les théories de Monod, mais laissons cela pour plus tard.

Aujourd'hui le projet de Vatican II apparaît au sein de l'Eglise usé et porté par une génération d'octogénaires (comme le pape actuel) dépassés par un renouveau conservateur (de plus en plus de prêtres en soutane, le succès du pèlerinage conservateur de Chartres cette année). Beaucoup en dénoncent les aspects marxisants ou à tout le moins progressiste de type maçonnique avec cette "démocratisation" de la hiérarchie (le "peuple de Dieu" censé jouer un rôle actif sans recevoir passivement les directives du clergé). Et c'est en même temps la "protestantisation" qui est dénoncée avec ce Dieu "frère" qui nous invite à son "repas".

J'ai été moi-même, paradoxalement sous l'influence des évangéliques, sensible à cette critique de la "réduction de Dieu" qu'opérait le modernisme dans l'Eglise.

Cependant la réhabilitation de la tradition et de la solennité de ses rituels (notamment dans la messe latine) porte aussi en germe des dangers comparables à ceux de la fascination actuelle de certains milieux de droite pour le trumpisme : la recherche d'une figure d'autorité salvatrice dont le chef charismatique est l'incarnation dans l'ordre politique et le Dieu "à l'ancienne" la sublimation religieuse.

Dans l'ordre des Ecritures saintes (la Bible) ont trouve autant d'arguments pour l'image paternelle royale de Dieu (l'Ancien Testament, l'Apocalypse), que pour celle d'un Dieu frère par le Christ (toutes les images de Jésus frère et ami dans l'Evangile).

Sur le plan philosophique Dieu est peut-être aux deux extrêmes du spectre (infiniment puissant et infiniment dépendant de la collaboration de l'homme, un paradoxe kabbalistique et dialectique qu'on ne peut pas totalement évacuer puisque Dieu est tout). Il n'est pas impossible que la re-transcendantisation de Dieu et du fait religieux, ne soit qu'un "moment" comme le retour de la pudeur, du moralisme etc. Mouvement de balancier dont on ne comprend pas vraiment la nécessité historique mais qui s'est souvent constaté dans le passé.

Faut-il complètement y adhérer ? N'y a-t-il pas dans le retour de la verticalité une inquiétante abdication de notre mission humaine ?

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Les sacrifices d'enfants par les Cathares

11 Janvier 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Histoire secrète

Il n'est pas rare que de nos jours que l'on accuse les grands banquiers, des archevêques ou les hommes politiques de pratiquer en secret des sacrifices d'enfants (voyez mon livre sur le complotisme protestant ou encore les conférences et interviews de mon ancienne camarade de promo Hélène Pelosse).

Les hérétiques jadis étaient couramment accusés de ces pratiques, depuis au moins Irénée de Lyon. Ce fut notamment le cas des cathares de Mayence (cf Laurence Moulinier https://www.academia.edu/7201119/Le_chat_des_cathares_de_Mayence). Cela rejoint les accusations faites aux Juifs (cf l'affaire de Metz ici), une point qui n'est pas forcément très étonnant dans la mesure où une certaine littérature chrétienne rattachait les hérésies aux "manoeuvres" des Juifs (voyez le thème "du juif manès" à l'origine du manichéisme, or l'on reliait souvent les hérésies, notamment le catharisme, au manichéisme).

Un manuscrit rédigé vers 1169 par une nonne du monastère de Ste Hildegarde à Rupertsberg (selon les rationalistes) qui se présente comme un interrogatoire de démon dans un exorcisme (de la possédée Sigewize)  accuse les cathares de Mayence (dont certains ont été brûlés dès 1143, Hildegarde elle-même prêcha contre l'hérésie à Cologne en 1163, Régine Pernoud dans sa biographie de la sainte cite des extraits de son sermon) d'avoir utilisé les cendres d’enfants nés de leurs orgies pour fabriquer une poudre diabolique.

Paul de Saint-Père de Chartres, le premier, avait soutenu que les hérétiques brûlés à Orléans en 1022 l'avaient fait , Adémar de Chabannes reprit l’accusation (Ademari Cabannensis, Chronicon, éd. P. Bourgain,Turnhout, 1999), et, au début du XIIe siècle, Guibert de Nogent prêta le même comportement aux disciples de Clément et Evrard de Bucy près de Soissons (Guibert de Nogent, Autobiographie, éd. et trad. E .-R. Labande, Paris, 1981, p. 431 : « les gens [...] se passent l’enfant de main en main, puis le jettent dans les flammes où il va se consumer ; lorsqu’il se trouve réduit en cendres, ils fabriquent avec ces cendres un pain dont un morceau est distribué à chacun » - voir R. Moore, La Persécution….).

L'accusation est-elle fondée ?

D'un point de vue strictement théologique l'accusation de crime rituel contre les enfants peut se fonder sur l'insistance mise par Jésus dans l'Evangile à condamner le mal que font certains aux "tous petits" (cf Matthieu 18:6). On peut supposer que les forces des Ténèbres tirent une énergie particulière à profaner ce qui est innocent et ce que Dieu entend protéger le plus, indépendamment même de la thématique de l'adrénochrome très présente dans les débats actuels (mais il semble que ce soit assez récents).

Cependant quelques difficultés apparaissent quand on songe que, dans le document de la moniale de Rupertsberg, elle s'accompagne d'autres accusations comme celle de baiser illicite avec un chat de la taille d'un chien, accusation qui avait été aussi été portée contre d'autres hérétiques antérieurement. L'accusation d'infanticide est-elle sur le même plan que celle concernant le rapports aux chats ou d'autres accusations anecdotiques ? Si oui le chrétien doit-il valider tout le "package" comme on dirait aujourd'hui ?

Un problème plus important encore tient au fait que l'accusation est formulée par un démon que les clercs interrogent dans le cadre d'un exorcisme, un genre très répandu au Moyen-Age et jusqu'au XVIIe siècle (voyez l'histoire de l'exorcisme à la Sainte-Baume). Aujourd'hui encore des exorcistes citent des choses que les démons leur ont dites à travers les possédés, et l'on peut même trouver sur YouTube des vidéos de démons parlant par la bouche de possédés soumis à interrogatoire). Beaucoup de clercs doutent de la légitimité de cet exercice puisque les démons sont censés ne pas dire la vérité. En outre le possédé peut mêler aux propos de l'entité des considérations humaines propres à sa nature.

A supposer même que ce soit une entité qui parle par la bouche de Sigewize se peut-il qu'elle se contente de propager une rumeur déjà lancée par des religieux d'Orléans et de Bucy ? Ou se peut-il que Sigewize ait un peu "capté" un égrégore (ou un champ morphogénétique) religieux dont elle a repris plus ou moins consciemment le contenu pendant la séance d'exorcisme ?

Ou bien le récit de l'exorcisme est-il tout simplement déformé, son auteur y ayant introduit des éléments empruntés à une littérature antérieure à des fins d'édification ou d'endoctrinement (ce serait en quelque sorte un "pieux mensonge"), mais alors se pose la question de la compétence de l'auteur. Si, comme l'avance Laurence Molinier, dans le cas du couvent de Rupertsberg, il s'agit d'une simple moniale, comment a-t-elle pu connaître les accusations d'Orléans et de Bucy (entre autres). Est-ce quelque chose qui "se savait", qui flottait dans les conversations de monastères ? ou bien s'agit-il d'une écriture collective mobilisant des clercs savants ?

Evidemment si l'accusation est fondée, les cathares deviennent moins sympathiques au yeux du public actuel que ce que les littératures protestante et laïque en ont fait. La plupart des écrivains catholiques des deux derniers siècles (par exemple Hilaire Belloc) n'insistent pas sur les sacrifices d'enfants chez les Cathares. Ils se contentent de dire qu'ils prohibaient le mariage et la procréation, ce qui, en soi, suffisait à conduire la société au suicide collectif. C'était un chef d'accusation plus solide en effet puisque les inquisiteurs épargnaient ceux qu'ils accusaient d'hérésie dès lors qu'ils acceptaient de se marier et de fonder une famille.

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