"Les Ethiopiques" d'Héliodore
Dans mes jeunes années, je lisais l'Art du roman de Kundera, et je regrette aujourd'hui que cet auteur dans sa réflexion sur l'histoire du roman occidental n'ait pas accordé de place à l'influence du roman grec et latin du début de notre ère. Vous vous souvenez sans doute que, pour ma part, je n'ai pu m'empêcher de citer dans mon livre sur le nudité le roman de Leucippé et Clitophon d'Achille Tatius, mais un roman plus important encore dans l'histoire de notre littérature est Les Ethiopiques d'Héliodore (Αἰθιοπικά), dont Pierre Grimal situe l'écriture autour de 250-260.
Ce roman qui fut traduit en français par Jacques Amyot en 1547(qui, sous la protection de Marguerite d'Angoulême, reine de Navarre, y travailla pendant 10 ans à l'université de Bourges), en anglais par Thomas Underdowne en 1569, en espagnol par Fernando de Mena (professeur à l'université d'Alcala et médecin du roi d'Espagne) en 1581. Le Tasse, Cervantès, Shakespeare, Thomas Hardy, Calderon et Racine (qui se vantait de le connaître par coeur) ont lu ce livre et s'en sont inspirés. Le tableau d'Abraham Bloemaert peint en 1626 à Utrecht sur commande du prince Frédéric-Henri d'Orange-Nassau (héros de la guerre de sécession hollandaise) qu'on peut encore voir à la galerie royale de peinture Mauritshuis de La Haye illustre la popularité de ce roman grec encore au XVIIe siècle (cf ici à gauche). Ambroise Dubois illustra la version française vers 1609. Scarron le parodia dans les années 1650. Henry Desmarest, compositeur attaché à la cour du roi de Louis XIV, en fit un opéra en 1695, sur un livret du secrétaire du général des galères royales. Selon Otto Weinreich, puis Mary Jane Phillips-Matz, le roman d'Héliodore aurait aussi influencé le Aïda de Verdi. Dans la postérité de ce roman il faut aussi relever les considérations de l'universitaire sénégalais Jean-Georges Texier qui dans "Ethiopiques", Revue socialiste de culture négro-africaine de 1976 (n°7) fondée en 1975 par Senghor, y voyait une apologie du métissage et une volonté d'ouvrir la civilisation grecque à l'universel dans l'intégration du monde africain (éthiopien) - rappelons que Léopold-Sédar Senghor a fondé la revue .
Comme Leucippé et Clithophon, Les Ethopiques se passe en partie en Egypte. Il commence d'ailleurs sur les bords du Nil. Comme le roman d'Achille Tatius, celui d'Héliodore a pour héroïne une vierge lumineuse, au tein pâle, que les brigands prennent tantôt pour une déesse, tantôt pour une prêtresse voire pour un automate animée (très à la mode dans le monde héllénistique), en tout cas un personnage surnaturel. Ici elle se nomme Chariclée.