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"Mystique et Magie" de Jean-Gaston Bardet

24 Janvier 2021 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Alchimie, #Spiritualités de l'amour, #Sainte-Baume, #Shivaïsme yoga tantrisme, #Anthropologie du corps, #Philosophie, #Histoire des idées

"Ne t'arrête pas de hurler sur le cadavre du genre humain que tu vois s'en aller vers des malheurs si grands que la langue ne peut les décrire" (Ste Catherine de Sienne, Le Livre des dialogues, CVII)

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Un lecteur de ce blog que j'interrogeais il y a peu à propos de la numérologie et des heures miroirs m'a conseillé la lecture de Jean-Gaston Bardet (1907-1989), architecte urbaniste qui étudia avec le docteur Alphonse Gay (un clinicien enseignant à la Faculté catholique) le fonctionnement des mystiques chrétiens mais aussi publia divers ouvrages sur la spiritualité (ce qui lui valut de devenir un conseiller du pape Jean XXIII). Je me suis procuré Mystique et magies, paru chez Trédaniel, 1972 puis réédité deux fois, et me suis décidé à le commenter sur ce site, particulièrement parce que cet ouvrage s'intéresse de très près à la problématique du double spirituel, que j'ai un peu abordée dans mon essai sur les médiums de 2017 et qui a pris une importance certaine dans mon expérience personnelle depuis lors. J'essaierai de présenter ici pas à pas le contenu de ce livre, tout en m'excusant auprès des lecteurs pour mes maladresses, mes approximations, et mon ingénuité, car je suis tout à fait Béotien dans les sujets que je vais exposer ici.

Le livre commence, en introduction, par cette problématique du dédoublement. Il en est de deux sortes, nous dit l'auteur : il y a la sortie du corps naturelle dans l'espace et le temps, auquel on peut parvenir dans des rites initiatiques ou par la consommation d'enthéogènes - ça, cela relève de la magie ; et puis il y a l'extase surnaturelle hors du continuum espace-temps, et cela, ça relève de l'expérience mystique.

D'emblée il annonce qu'il ne pourra pas examiner ces deux aspects de la sortie du corps sans avoir examiné la problématique de l'alphabet hébraïque, parce que "chacun sait, écrit-il p. 20, que la plupart des formules ou pantacles magiques (même si on les donne sous couvert de celtisme) renferment des expressions et des lettres hébraïques".

Qu'il me soit permis d'ouvrir une parenthèse ici. Je me souviens que Maurice Caillet, franc-maçon repenti converti au catholicisme, avait un jour dans une conférence témoigné qu'une femme avait été prise d'un malaise dans le cadre d'un cours lorsque l'orateur avait écrit des lettres hébraïques au tableau, ce dont ce dernier s'était excusé ensuite car il s'agissait effectivement des lettres d'un mot magique. Depuis lors, je suis tout à fait convaincu de la puissance des lettres hébraïques, et cette vidéo dans laquelle le rav Menahem Berros (dont on a déjà croisé le nom sur ce blog) raconte comment il a pu réaliser un exorcisme à partir d'une spéculation sur les lettres hébraïques finira, je pense, de vous en persuader...

Suit dans cette introduction une thèse un peu compliquée sur le fait que l'alphabet hébraïque n'est pas purement consonantique (sans quoi le tétragramme YHWH serait imprononçable), ce dont les Juifs eux-mêmes ont perdu le sens à partir de la codification d'Esdras (au IVe s av JC), avec notamment la perte du fait que dans le tétragramme, le vav porte aussi le "o" qui ouvre la voie à l'incarnation de Dieu. "La signification de l'Ecriture esdraïque étant perdue, deux grands courants se formèrent : le courant talmudique, moraliste et le courant kabbalistique ésotérique et mixturé de gnose alexandrine" (p. 28), le Talmud ayant oublié d'utiliser dans la Torah les lettres anormales et les kabbalistes (pour la gematria) les 5 lettres finales qui s'ajoutent aux 22 lettres. A partir d'une analyse serrée du bras de fer entre Moïse et les magiciens du Pharaon (autour de la question des divines proportions) et des compétences de Joseph et Daniel en matière d'interprétation des rêves, Bardet pose (p. 45) que les "Hébreux n'avaient rien à apprendre des Egyptiens ni des Chaldéens en matière de science divine" (ce qui est effectivement normalement le postulat de tout chrétien attaché à la Bible), ce qui lui permet de révoquer toute la numéralogie pythagoricienne prisée par l'ésotérisme français (Claude de Saint Martin, Papus), que Bardet considère comme fausse ("le pythagorisme est une véritable caricature de la Torah", écrit-il).

A la racine de l'erreur de la magie, nous dit Bardet, il y a l'acte de rébellion d'Eve qui, faisant confiance au serpent, croit qu'elle deviendra "comme Elohim", et, ce faisant, agit aussi sans référer à Adam qui est normalement sa tête (ce qu'a redit Paul dans sa première lettre aux Corinthiens). "C'est l'amorce du matriarcat, nous dit Bardet, période la plus funeste des sociétés humaines. La femme, physiquement plus faible cherchera ses pouvoirs dans le psychique, d'où les 'mille sorcières pour un sorcier' de Michelet" (p. 46).

J'ouvre ici une parenthèse pour noter que Bardet à la différence des Chrétiens d'inspiration hénochienne de nos jours (voir mon dernier livre là-dessus) identifie bien la faute d'Eve comme origine de la magie, et non pas l'union des Fils de Dieu/Veilleurs avec les Filles des hommes (Genèse 6:1-4).

L'opposition entre magie et mysticisme se découvre , nous dit Bardet, dans la différence entre le moment où Moïse extrait de l'eau en frappant un rocher de son bâton (Exode 17:5) avec un geste technique qui est celui du sourcier du cas où, dans Nombres 20:7, il est censé faire surgir de l'eau d'une seule parole sur ordre de Dieu (mais il commet ensuite l'erreur de frapper deux fois le rocher de son bâton de peur que cela ne marche pas...).

Venons en maintenant à la question de dédoublement, de la dualité, abordée dans le chapitre II, qui a déjà son principe dans la dualité entre le monde d'en haut et celui d'en bas ("sur la Terre comme au Ciel"). L'humain comprend le rouach (l'esprit, pneuma, la lettre pi, qui vient du he hébraïque), et le nefesh (l'âme vitale, psyché, psi, qui vient du shin hébraïque). Le rouach, pneuma, commande tout. Il est non localisé par essence. Le nefesh-psyché coordonne les plans de vie. "Grâce à elle peuvent s'exprimer instrumentalement les actes intellectuels et libres de notre pneuma...Elle assure, à l'étage végétatif, la continuité nécessaire à la chair. Enfin, elle peut, hors du corps, continuer à assurer la vie. Soit dans le cas des âmes séparées après la mort ; soit dans le cas du dédoublement." (p. 70,

Au passage Bardet condamne Descartes qui coupe l'âme-psyché-nefesh du corps, mais aussi CG Jung qui appelle "âme" (Seele) aussi bien le rouach que le nefesh. On pourrait au passage reprocher à Bardet dans son obsession de tout dédoubler d'oublier au passage qu'il existe aussi dans le judaïsme un troisième élément, la neshama, dont il ne parle jamais.

Attaché à la démarche empirique, justement à cause du dédoublement (qui pour Bardet n'est pas démoniaque mais très ordinaire), il s'intéresse à des cas comme Léo Ferrer, adepte du yoga, ou du réalisateur (qu'il présente comme un peintre) Guy Casaril , auteur dans la collection "Maîtres Spirituels" (Editions du Seuil) de "Rabbi Siméon Bar Yochaï et la Kabbale", qui faisait des sorties du corps par la tête. Il évoque la vision du double dans un brouillard bleuté, transparent, blanc ou blanc violet, l'élévation du double au dessus du charnel. Ce n'est pas une bilocation précise-t-il sauf que ce corps ne peut être touché sans quoi il serait blessé en réintégrant le corps (il rapproche cela du corps de Jésus ressuscité qu'on ne peut toucher en Jean 20:17).

Il ne faut pas que ce soit un dédoublement volontaire comme le font les gourous indiens. Genese 15:10 est mal traduit selon Bardet : c'est Abram lui même qui se divise. A juste titre il critique les expériences de projection dans l'astral des rosicruciens (AMORC) qui peuvent faire perdre la raison (d'ailleurs au 9ème degré de l'AMORC on ne se dédouble qu'à 30 cm). Avec un oeuf de 80 cm qu'ils font tourner les rosicruciens projettent dans cette forme leur double pour y rencontrer des larves astrales.

Puis Bardet évoque les âmes du purgatoire (qui est un état et non un lieu) qui vont rencontrer les vivants comme l'autrichienne Maria Simma. Celle-ci souffrait pour elles et ajoutait que les âmes catholiques souffraient plus mais moins longtemps que les protestantes. Elles ne peuvent rien faire pour elles-mêmes, seules les prières des vivants peuvent les sauver. Ensuite c'est au tour des anges de trouver place dans le livre avec des souvenirs de l'auteur sur son expérience de guerre en 1940 et sa visite au Padre Pio en 1952 à l'invitation de Raoul Villedieu (un ange matérialisé dans un corps le guida comme dans Tobie 12:19). Sur les anges déchus il renvoie à Giovanni Papini - son livre sur les démons dans l'art contemporain (p. 104). On trouvera ensuite dans l'ouvrage de Bardet une critique de la "bêtise" des entités spirites qui rappelle celle (plus inspirée) que fait Guénon, et une analyse expérimentale d'une canalisation de Lola Montès par une certaine Mme Laval de Montauban en 1932 et de celle de Suzon Clairac.

En venant aux exorcismes, JG Bardet estime qu'ils ne doivent être accomplis que par des prêtres irréprochables et que l'Eglise catholique les minimise trop maintenant du fait d'une surévaluation du rôle des démons qu'il y eut auparavant pendant la contre-réforme. Il cite longuement des exorcismes figurant dans un ouvrage de Mgr Léon Cristiani paru en 1959, ce qui est peut être une façon, me semble-t-il, de leur faire un peu trop de publicité. Une petite anecdote "Le brave Père Lamy, curé de La Courneuve, voyait souvent Satan dans un coin de son église et il l'apostrophait : 'va t en sale Bête !'. Alors Marie présente intervenait : 'Souviens toi que c'est un Prince' ". Le Père Lamy a sa fiche Wikipedia aujourd'hui. Je ne suis pas sûr que cette anecdote serve sa cause. Bardet aurait mieux fait de citer Bérule

Au total le chapitre II "La structure humaine" apparaît assez banal et sans grande envergure. Le chapitre suivant sur la magie (que l'auteur situe dans la sphère du paranormal, entre le surnaturel et le naturel, et dans laquelle il voit surtout un facteur de déséquilibre cosmique), est très marqué par la figure de Papus que l'auteur a lu lorsqu'il était lieutenant dans le Génie à Metz. Il insiste sur la nécessité de s'y livrer dans un cercle protecteur (circulus) après avoir été exorcisé selon le rite romain par les quatre éléments, avec sur soi un pantacle et de faire preuve d'ascétisme.

Faisons une mention de ses remarques sur le rapport de la magie à l'eucharistie car c'est un élément important du débat actuel (comme ça l'a toujours été) avec les protestants. Il rapporte l'expérience de Papus qui avait amené un sujet hypnotisé à la messe et avait vu une lumière sortir du coeur de fidèles pour aller entourer le prêtre au moment de la communion. Ce qui recoupe le propos du théosophe Arthur E Powell (que Bardet orthographie par erreur "AF Powel" il y a quelques coquilles de ce genre dans son livre...).... tout en ajoutant : "Mais ce que Powel ne précise pas, c'est qu'il n'y a aucune manifestation dans le cas des pseudo-évêques théosophes". La même expérience a montré aussi une condensation de lumière en provenance des fidèles sur les hosties protestantes (mais pas sur le pasteur), et le voyant orthodoxe a vérifié la même choses sur les hosties orthodoxes lors de la communion. Bardet dit (p. 144) refuser volontairement de rapporter les expériences de voyants catholiques pour qu'il n'y ait pas de soupçon de partialité. Et comme beaucoup de catholiques l'auteur rappelle que l'utilisation des hosties consacrées par les satanistes qui les détournent (c'est encore arrivé récemment au Canada) suffit à en prouver le pouvoir. Bardet évoque aussi des expériences pendulaires sur du pain béni. Selon lui, la force de l'eucharistie aurait dû dispenser Papus et les autres de pratiquer la magie.

"Au lieu de s'adresser à des esprits qui réclameront un lourd paiement différé, l'ami de Dieu - par la prière, par l'oraison, par le secret des pères du désert, s'adresse directement à l'Essence créatrice. Il renoue le contact perdu" et l'attitude apparemment passive du mystique est "la plus haute forme d'action" disait Bergson...

La magie s'est frayé un chemin au Moyen-Age sous couvert d'hébraïsme avec notamment Rachi de Troyes qui tirait profit de l'influence des foires de Champagne (Louis Chochod). Les chrétiens débattaient avec les rabbins, mais une fois découverte la kabbale, le concile de Latran IV impose l'étoile jaune en 1215, Saint Louis fait brûler le Talmud et l'Angleterre expulse les Juifs en 1290. En 1516 Venise crée un ghetto. Mais l'hébraïsme a déjà envahi l'Europe avec l'astrologie et l'alchimie "jusque dans les boucles d'oreille - à l'imitation des Maures et des Tsiganes - que portaient les Compagnons du Devoir".

Plus grave encore aux yeux de Bardet, les hérésies comme le catharisme dont le "consolamentum" provoque des décorporations sataniques calquées sur le Corpus Hermeticus (Jean Guiraud).

Bardet examine ensuite le Graal dont j'ai montré dans mon livre sur Barbara Aho qu'un courant évangélique (entre autres) lui prête une nature luciférienne. Pour Bardet il s'agit du Christ à double nature : shin (vert - Luc 23:31) et waw (rouge).

Selon Bardet, les Compagnons du Devoir détiennent un secret sur le Graal... Je pourrais développer le sujet dans un billet séparé. Mais cela me prendrait trop de temps et d'énergie, donc je préfère traiter la chose en quelques lignes ici même si cela risque de rendre le billet fort long. Disons que divers événements biographiques m'ont sensibilisé aux thématiques de Bardet sur le sujet. Concernant le Graal, j'ai vécu six mois à Troyes en 1994 (salut Valérie Gruyer et Héry Ramilijoana !) ce qui m'a sensibilisé à l'intérêt littéraire (sinon mystique). Et j'ai  connu les compagnons du devoir par le biais de la provençale New Age possédée dont je parle dans mon livre sur les médiums, j'ai même effectué une ascension initiatique de la Sainte Baume avec eux.

Jean-Gaston Bardet mentionne un "dit" (une tradition orale) des Compagnons du Devoir : "Le Saint Graal a été porté par trois tables, une ronde, une carrée et une bicarrée. Toutes les trois ont une même surface et leur Nombre est 21".

Bardet rappelle que les Compagnons sont nés dans la mouvance bénédictine et qu'une partie s'est compromise avec les Templiers : les "Enfants du Père Soubise, de Nogent-sur-Aube ou Nogent-en-Othe, composé exclusivement de charpentiers ("Bons-Drilles" ou "Passants") contre les "Enfants de Maître Jacques", qui ont été interpénétrés avec les Tziganes et les Francs-maçons, se réfèrent à la kabbale et effectuent leur Tour de France en sens inverse de celui des congrégations religieuses (pour mémoire il y a une statue de "Maître Jacques" de Molay, à la Ste Baume).

Le Compagnonnage bénédictin savait que la valeur du Shin est 21 (et non 300 comme dans la Kabbale et le tarot). Le Shin (corps du Christ) qui a la forme d'un vase utilise d'ailleurs les trois formes : ronde (le point sur l'axe), carrée (les têtes des Wawin), rectangulaire (la base). On renverra au livre (p. 162-163) pour la polémique mathématique que Bardet engage avec Raoul Vergez (dit "Béarnais") et Louis Charpentier sur l'exploitation du Shin dans les cathédrales.

Pour Bardet, le sens du Shin présent dans l'architecture de la cathédrale de Chartres (construite entre 1194 et 1220) s'est perdu ensuite dans l'art gothique par la "pénétration gnostique" substituant l'étoile magique au Tétragramme sacré.

Selon lui, la vérité originelle du Graal est dans ce savoir maçonnique bénédictin champenois autour du nombre, de la figure et du poids, que l'hermétisme spéculatif va défigurer en en faisant un objet de voyage alchimique, comme la Toison d'or, tandis que seule la Table ronde est conservée (sans les autres formes), "symbole d'égalité-fraternité", puis on ira même au XIII ème siècle jusqu'à y introduire de la magie celtique (Merlin) et même Alexandre le Grand, symbole du syncrétisme.

Shin est la lettre centrale dans le nom de Jésus au milieu du tétragramme : Y H Sh W H, et 21, sa valeur est la seule lame au tarot non numérotée au fronteau et le Shin y est surnommé "le Fou" à titre blasphématoire (Chochod). Tout homme normal a un shin à l'endroit au vertex et un shin inversé au pied et c'est l'inverse chez les satanistes (on renvoie à la p. 167 du livre pour une approche pendulaire des diverses dispositions de Shin chez des personnalités des années 1970).

Pour rapprocher le travail de Bardet de celui de l'évangélique Barbara Aho auquel j'ai consacré mon avant dernier livre, je dirais qu'ils partagent une même aversion pour le talmudisme, mais une même fidélité à l'hébraïsme originel revivifié par le sacrifice de Jésus-Christ. Cependant Bardet a un regard plus nuancé que la prédicatrice texane sur les Templiers dont il souligne l'utilité initiale. Toutefois il reconnaît des problèmes originels de symbolisme dans cet ordre (la croix renversée sur l'épaule gauche), le danger qu'il y avait à laisser une "armée coloniale" de ce type, même pourvue d'une règle de fer, évoluer "en vase clos", et le placement dans ces ordre, à titre de redressement, disciplinaire, de dignitaires cathares repentis. L'orgueil des Templiers à qui on put faire avaler qu'ils auraient des savoirs orientaux secrets sans en payer le prix, la compromission de Gérard de Ridefort, jusqu'à l'adhésion à la Sourate IV du Coran (Jésus n'est pas mort sur la croix), firent le reste ce qui explique que les Templiers aient ensuite volé à Constantinople en 1207 et caché le St Suaire (preuve de la crucifixion de Jésus) réapparu seulement en 1353 (46 ans après la dissolution de l'Ordre).

Pour Bardet, toutes ces magies prolongées par la rose-croix et la franc-maçonnerie recherchent le dédoublement psychique, le contact avec des entités, la promotion (comme les chrétiens sociaux) d'un Christ humain, dans la lignée de l'arianisme, au cœur même d'une France qui, placée sous le même archange (Michel) qu'Israël, est appelée à sauver le monde (p. 185). Papus avait déjà vu qu'en franc-maçonnerie, "les mystères du dédoublement conscient de l'être humain, ce qu'on a appelé la sortie consciente du corps astral... ont été développés pour constituer les degrés écossais, ajoutés par le Suprême Conseil de Charleston (en Caroline du Sud) vers 1802"... " et ces grades conduisant au dédoublement sont précisément, couronnés... par des grades Templiers" Cette maçonnerie "écossaise" était en fait américaine, et hébraïque avec la fondation du B'nai B'rith en 1843.

Tout cela n'est que supercherie pour Bardet car les dédoublements volontaires (magiques) ne font rencontrer que des "larves astrales". Le psychisme ne sort pas de lui-même (idem dans les exercices ignaciens des jésuites p. 305).

Le vrai dédoublement s'obtient par la voie ascétique (celle de la mortification) et la voie mystique (la mort spirituelle), qui est le renoncement à la volonté personnelle (St Jean de la Croix, Eze 1:12). Là la chair s'aligne sur l'esprit, mais l'esprit a encore à progresser et s'affranchir de ses propres frasques, et il doit continuer à progresser vers les demeures les plus intérieures de son château (Ste Thérèse d'Avila). La grâce de l'entrée dans la 5eme demeure peut advenir au moment le moins attendu par l'extase des Ténèbres comme ce fut le cas pour J de J qui n'était jamais passé par l'étape de l'oraison. Elle arrivait à tout moment à Anne Marie Taïgi (p. 334).

Une petite parenthèse à ce stade : un lecteur de ce blog qui a bien connu Gaston Bardet, me précise : "Gaston Bardet avait  demandé au docteur  Charles Villandre  un crucifix  reproduit d'après les  travaux du Docteur Pierre Barbet au sujet du  Linceul de Turin. Il me semble que ce crucifix était grandeur nature et comportait les détails anatomiques les plus précis révélés par  les photos en négatif de la Sainte relique. Gaston Bardet entendait  battre le cœur de Jésus à l'intérieur de cette très fidèle reproduction . C'est à partir de ce moment qu'il  ajouta  le prénom de" Jean" au sien propre: "Gaston". Dans ses livres, il parle de J de J. Il s'agit de lui-même soit "Jean de la Joie" Il avait en effet reçu les "grâces de jubilation" si bien décrites par Sainte Thérèse d'Avila."

On oublie trop souvent, nous dit Jean-Gaston Bardet p. 336, que l'intelligence puissante de St Thomas d'Aquin s'enracinait dans une propension très forte pour l'oraison. Il pouvait, sur cette base, se provoquer des extases à volonté comme beaucoup d'autres saints selon Richard de Saint Victor. Selon son biographe (Vita Sancti Tomae), Guillaume de Toccoprocureur du couvent des frères Prêcheurs à Bénévent représenté  en bas à gauche du tableau de Zurbaran ici , très sensible à la douleur, il se provoquait des extases en lieu et place de nos anesthésies, lorsqu'un chirurgien devait effectuer sur lui une opération chirurgicale. Bardet précise dans une note de fin de chapitre que lui-même a tenté d'entrer en extase pour une opération mais que cette initiative combinée aux effets de l'anesthésie l'a plongé dans une syncope bleue. Il pense que St Thomas était un homme à la peau fine comme les sélectionnait Swami Vivekananda pour en faire ses disciples.

P. 338 Gaston Bardet s'essaie à des observations médicales sur les effets de l'oraison. Il relève notamment l'apaisement des névroses, des angoisses, lié à un ralentissement de la vie végétative (ce dont, note-t-il, les taoïstes et les "yoguins" abusent). Il étudie aussi les maladies de l'Esprit que peuvent occasionner les extases mais aussi l'effet étrange de la communion spirituelle sur ces maladies comme une bronchite qu'il avait lui-même contractée dans une extase mais qui fut ensuite stabilisée pendant trois semaines au point que son médecin lorsqu'il l'examina pensa qu'elle n'avait que trois jours. Il condamne au passage le mot de "faiblesse" forgé par Ste Hildegarde pour les léthargies extatiques, y voyant les premiers effets funestes d'un humanisme naissant (le bébé qui s'endort contre le sein de sa mère vivrait-il dans la faiblesse ? demande-t-il).

Ces effets de l'oraison lui paraissent diamétralement opposés à ceux des "états hypnoïdes" (pratiqués en sophrologie, chez certains médiums etc) qui "consistent en un clivage de plus en plus accentués du cerveau antérieur (hémisphères cérébraux et cerveau intermédiaire ou diencéphale) et du névraxe : moelle et cerveau postérieur. Ce clivage  entraîne une dissociation de plus en plus grave de l'intelligence et de l'imagination, de la volonté et de la sensibilité, de la mémoire des concepts et de la mémoire des images, une suppression de la sensibilité, puis, progressivement, des cinq sens ainsi que de la motricité". Dans le sujet animal coupé de son cerveau antérieur, l'hypnotiseur peut insérer une image, une suggestion, comme fait le démon dans la tentation qui agit par l'imagination (cela une voyante me l'avait déjà dit...). Joseph Breuer sur cette base introduisait des images inconscientes dans le cerveau animal qu'il pouvait ensuite refaire surgir et manipuler. L'AMORC (le rosicrucisme américain) l'utilise pour plonger les adeptes dans des états qui les font rencontrer des entités.

Le magnétisme plonge aussi dans un sommeil comme l'hypnose mais sur un mode plus progressif. Bardet en décrit les étapes et témoigne qu'il a pu faire parler en anglais un sujet en état de cataleptie magnétique (p. 350) ce qu'il rapproche des cas de possession décrits par Mgr Saudreau, cité par L. Christiani (et cela est à rapprocher aussi du programme MK Ultra de la CIA). Cela conduit à des états de somnambulisme, perception à distance etc.

Au delà, c'est la dissociation du corps subtil (le "ka" égyptien) chère aux adeptes du yoga, et obtenu électriquement par le colonel de Rochas à l'aide d'une machine Wimhurst. Hector Durville les photographia. Le journaliste anglais adepte du yoga Paul Brunton (Raphael Hurst), a raconté son expérience dans la Grande Pyramide de Khéops de déboublement dans les années 1930, qu'il vécut comme un début de mort, avec une remontée de l'âme vers la poitrine et le cerveau et la sensation de basculer dans l'infini. Bardet explique en note de fin de chapitre que "son dédoublement inopiné provient sans doute des radiations dangereuses qui baignent le tiers inférieur de la Pyramide" (nb : sur les pyramides et l'électricité voir notre billet ici) et observe qu'ensuite Brunton n'aura que des expériences décevantes en Inde. Pour lui, c'est une expérience de psyché (nephesh), pas de pneuma (rouach). La part du nefesh qui sort est un ectoplasme froid, reptilien, sans intelligence, physique et donc affecté par le chaud et le froid (je vous renvoie à mon billet de 2018 dans lequel je relevais cette anecdote racontée dans la revue Smash Hits de 1988 par la chanteuse californienne bouddhiste ex-cocaïnomane Belinda Carlisle, de son contact en 1977 - à 19 ans - à Londres avec un ectoplasme froid).

Bardet revient ensuite sur les bilocations, celles du Padre Pio dont on a beaucoup parlé sur ce blog, celles de Mère Yvonne-Aimée de Jésus (aussi citée sur ce blog) celles du dominicain péruvien Martin de Porres, bilocations liées à une union supérieure avec le Dieu trinitaire. La même méthode d'opposition du mysticisme chrétien à la magie païenne et juive revient dans le chapitre VII sur la kabbale où il invoque l'autorité de St Bonaventure (et même des qaraïtes p. 406) contre Gershom Sholem et les tarologues.

Ceux qui se confrontent couramment au yoga, au New Age, à tous les coachs de "développement personnel" très en vogue en ce moment et de bien être pourront lire avec profit le chapitre VIII. « Approché par la Route de l’Est (identification), avait écrit en août 1948 Teilhard de Chardin dans "Comment je vois", l’Ineffable n’est pas Aimable. Atteint par la Route de l’Ouest (union), Il est dans la direction prolongée de l’Amour. Ce critère très simple permet de distinguer et de séparer comme antithétiques des expressions verbales presque identiques chez un chrétien et un indou » . Le penseur, nous dit JG Bardet, après s'être égaré dans une "synthèse philosophico-scientifique" et une aberration comme le "rôle cosmique de la sexualité" retrouvait ainsi la voie de la Trinité : aucun salut ne vient de l'Orient. La France après l'Allemagne (où la syllabe "oum" servait à conjurer depuis le XVIe siècle) est devenue en 1945 une terre de mission pour le yoga. L'opération nous dit Bardet était coordonnée par les francs-maçons qui savaient que la théosophie n'avait pas suffi à garantir l'importation du culte de la déesse mère sous nos latitudes (il s'appuie à ce sujet sur le livre de Jacques Lantier "L'extraordinaire aventure de la théosophie" paru en 1970). Le celtisme en Bretagne et au Canada n'est qu'un auxiliaire de cette tendance : "ce dernier pue l'hitlérisme sous couvert d'aryanisme", note l'auteur p. 420 qui cite un extrait non daté de la "Revue du Québec Libre" celtisante lequel disait : "Pourquoi parler des camps de concentration dans l'Allemagne national socialiste où, d'ailleurs, aucune chambre à gaz n'a jamais existé ?"...

Pas toujours ordonné dans ses démonstrations (c'est le moins qu'on puisse dire), JG Bardet fait un détour par la vie affective désastreuse des piliers du mouvement théosophiques que furent Helena Blavatsky, Annie Besant et Anne Kingsford. Puis il se confronte à la civilisation indienne : "Ce pays de mathématiciens, d'idéalistes - et non de mystiques, c'est à dire de réalistes - a dévié la notion d'éternité : Eternel Présent" (p. 422), tandis que les Indiens s'interdisaient justement de penser l'éternité en ajoutant des zéros (leur invention) aux années, ce qui entraîna un désespoir collectif devant le réel représenté par la doctrine de la réincarnation des bouddhistes et des jaïnistes.

Le Hatha-Yoga, nous dit Bardet, ne conduit pas à "servir" Dieu "mais à se transmuer en dieu par la violence de son énergie sexuelle, et le Jnana-Yoga n'est qu'un enfermement orgueilleux dans la connaissance de soi. Seul le Bakhti-marga comme recherche de l'unité avec le Bien-aimé trouve grâce à ses yeux. Il évoque au passage un échange qu'il avait eu avec le Swami Siddheswarananda qu'il avait rencontré dans les années 1950 pour lui dire qu'il se trompait sur St Jean de la Croix et qui mourut ensuite "très vite d'un cancer consécutif à ses pratiques" (p. 424).

Pour JG Bardet, le Hatha-Yoga consiste à "transmuer l'énergie due à la respiration et l'énergie sexuelle en énergie dite cérébrale", et il se livre à une analyse de l'énergie de nature électrique (qui est aussi celle des magnétiseurs) dont on constate la circulation avec l'acupuncture chinoise et d'énergies purement spirituelles dont le "gayographe" avec lequel il a travaillé pourraient enregistrer les variations. De ces énergies invisibles l'hindouisme dégage la notion de corps subtil mais qui n'est qu'une partie du corps glorieux chrétien et qui, bien qu'il survive au corps "lourd" après la mort physique, est voué à terme à la dissolution. Le Hatha-Yoga, union du soleil (ha) et de la lune (tha), est un travail sur la Kundalini-Shakti, le Serpente originelle (Alain Daniélou, Yoga, méthode de réintégration, L'Arche, 1951). "Aujourd'hui, le yoga qui nous est transmis n'est pas le yoga initial, le mode d'union de la Révélation primitive, mais le Yoga sexualisé de l'ancien matriarcat, c'est à dire la pire dégradation satanique de la Révélation de la Vierge Marie" (condamnée par le Concile d'Ephèse de 431 qui en la proclamant theotokos rompt toute confusion possible avec la déesse mère). La contraction du périnée (yoni) à la base des postures (asanas) n'est pour JG Bardet qu'une activation d'une vulve en tout un chacun, et un massage des parties sexuelles qui active une énergie laquelle conduit à des vibrations de l'hypophyse analogues à celle que provoquent le chant et la psalmodie - à ce stade on peut émettre une réserve : toute séance de yoga n'implique pas des contractions du périnée.

En bout de chaîne, aux yeux de Bardet, il y a le tantrisme, dernière invention indienne (selon Mircea Eliade, mais ce point est controversé) sous l'influence du taoïsme (je précise que cela est confirmé par Van Gulik). Pour JG Bardet qui s'inspire toujours des travaux de Daniélou qu'on a cités sur ce blog il y a 13 ans, il y aurait là une sorte de revanche du shivaïsme dravidien sur les vedas aryennes : "le sang noir l'a emporté (comme chez les Soufis) pour pousser à l'orgie" (sic). Cham qui s'est moqué de l'ivresse (mystique) authentique de son père, Noé, a bien mérité d'être maudit" (p. 434). Ce passage révèle une connaissance très superficielle du tantrisme, avec des clichés raciaux dignes de Benoist-Méchin, et du style de pensée très années 40 de l'administration vichyssoise. Sans doute le pire passage du livre.

Il y aurait selon Bardet une catalepsie yogique qui accélère le pouls là où les catalepsies de magnétiseurs fonctionneraient plutôt sur des ralentissements du pouls (mais là encore cette remarque ne correspond guère aux pratiques actuelles en Occident pour ce que je peux en savoir).

Pour terminer JG Bardet fait l'éloge de l'hésychasme, au moins dans sa version originelle car selon lui au Mont Athos, en Grèce, il est dénaturé par une volonté de "faire descendre la prière dans le coeur"... Il y a peu, comme je lui parlais de Bardet, un de mes lecteurs m'a adressé le "scan" d'une dédicace du livre de l'indianiste béarnais Jean Biès sur le Mont Athos (Editions Albin Michel) ainsi rédigée : "A Monsieur Gaston Bardet, qui me révéla, entre autres, dans son huitième chapitre de "Je Dors", le secret de la prière perpétuelle, je suis heureux de faire don de ce premier livre mien, - un essai sur nos frères séparés, une description d'un des derniers promontoires dominant encore l'An 2000. Jean Biès. Arros de Nay, 6 novembre 1963".

Jésus-Christ disait qu'on reconnaissait un arbre à ses fruits. Jean Biès, guénonien, s'est suicidé en janvier 2014, à l'âge de 81 ans, n'ayant pas supporté le décès de sa femme Rolande, qui était une admiratrice de la très jungienne Marie Louise von Franz... Disons le tout net : je ne suis pas très adepte de l'hésychasme (même si je défends évidemment la prière permanente mais sous d'autres formes), et cette affaire de suicide ne révèle pas une présence spirituelle très positive dans la maison de Jean Biès. Si Jean Biès est le "fruit" de l' "arbre" Gaston Bardet, il y a matière à s'inquiéter.

Un de mes amis orthodoxes me disait il y a quelques années qu'il y a danger à pratiquer la "prière du coeur" sans l'encadrement d'un Staretz. Je le crois volontiers. Gaston Bardet, lui, suggère de se préparer à l'extase mystique par la simple répétition mentale perpétuelle "d'une phrase mariale" (p. 480). "Une paix, purement psycho-somatique, commence à se faire sentir. Quand vient le soir, il ne faut plus rien faire qui puisse empêcher l'invasion de l'Esprit. Pour faciliter cette plongée, il faut se garder de faire oraison à genoux ou dans toute position nécessitant le contrôle de l'équilibre". S'asseoir dans un fauteuil, dans le silence, réciter avec un rythme lent, pendulaire, des litanies. "Ne rien chercher, aucun exercice touchant de près, ou de loin, à l'hésychasme et au yoga" (sans doute vise t il l'hésychasme "dégénéré" qu'il n'avait pas encore bien identifié en 1963 quand Jean Biès lui dédicaçait son livre). Pour finir il décrit les effets de cet abandon, et même les observations qu'il a pu en tirer au "gayographe"...La démarche même de se mettre dans un fauteuil le soir pour se rapprocher de Dieu parce qu'on l'a lu dans le livre de Gaston Bardet ne serait-elle pas en soi contraire au principe même d'abandon à la volonté du Créateur qui exclut par principe toute initiative ou tout "plan" personnels ? Nous terminerons ici la lecture sur cette question.

Voilà, en résumé (un résumé fort long j'en conviens mais je m'en servirai comme d'un aide-mémoire), le contenu du livre que je voulais vous exposer. A l'heure d'émettre une appréciation globale, il est difficile de juger l'expérience et le savoir exposés par Jean-Gaston Bardet. Beaucoup sont prompts à catégoriser "c'est de Dieu" "c'est du diable"... Au niveau théorique, on ne sait ce que vaut son travail sur le "shin" et sur le tétragramme. La volonté de travailler sur une langue réputée venir directement de Dieu, l'hébreu, en la soustrayant aux erreurs de la sorcellerie kabbalistique (et maçonnique) est louable. Je suis bien incapable de dire si elle est réussie (j'espère seulement que la connaissance de la kabbale par l'auteur n'est pas aussi biaisée que celle du tantrisme...). Au niveau pratique, les extases sont réelles. Sont-elles de Dieu ? On ne sait ce qu'il faut déduire du fait que Bardet mente à leur sujet en les imputant à un certain J. de J. alors que c'est lui qui les a vécues. Ce geste, en tout cas, lui, n'est pas de Dieu. De même on peut s'interroger sur l'impact de tout cela sur sa vie, son remariage avec une jeune femme, dont il eut une fille qui aujourd'hui étale ses états d'âme dans les médias du système 666, exactement dans le langage que ceux-ci veulent entendre. On sait que Ste Marguerite de Cortonne avait abandonné son fils en entrant au couvent : Mauriac reconnaissait que c'était l'ombre principale au tableau de sa sainteté. Est-ce que le sort donné à la progéniture est le critère de vérité d'une doctrine ? Question délicate de l'articulation entre théorie et pratique... Il est possible que Bardet ait été encore trop tributaire de Papus et des expérimentateurs de tout poil auxquels il ne faisait que tenter d'opposer un christianisme pur, puisque son christianisme lui-même se faisait expérimental et spéculatif, avec un pendule à la main. Le statut de sa recherche renvoie à celui de la recherche empirique. Y a t il une "science chrétienne" ? Faut-il fuir le travail mi-rationnel mi-inspiré autour du surnaturel ? On sait quel tribut la protestante Doreen Virtue paya au fait d'avoir grandi dans une famille adepte d'un mouvement américain qui se baptisait lui-même "science chrétienne" (elle attribue à cela son errance dans le "New Age"). Mais condamner l'observation expérimentale, n'est ce point également condamner St Thomas d'Aquin et même St Augustin qui lui aussi s'était interrogé sur les fantômes et les bilocations (voir ici) ?

Peut-être Augustin eut-il au moins la sagesse de ne pas consacrer des livres entiers à cela, et, après avoir vaguement soulevé les questions, laisser l'entière réponse à Dieu. Le livre de Bardet a en tout cas le mérite de présenter un état des connaissances assez érudit sur le parapsychisme et le surnaturel à la date du début des années 1970, avec une volonté sincère de ne pas céder aux sirènes de l'orientalisme, de la sorcellerie ou du New Age. A ce titre, il mérite une place dans nos bibliothèques.

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"Tantra Yoga" de Daniel Odier (Albin Michel, 1998)

28 Février 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Shivaïsme yoga tantrisme

Le livre commence par une version in extenso d'un des trois textes cardinaux du tantrisme, le Vijnanabhairava Tantra (Vigyan Bhairav Tantra), texte du début de notr ère (il y a 2 000 ans), central dans l 'école du shivaïsme du Cachemire (la trika), qui se présente comme un dialogue entre Shiva et Shakti.

Odier fait remonter le shivaïsme au sceau d'un seigneur des animaux Pashupati de 3 000 av JC qui serait un proto-Shiva ityphallique (mais cette thèse est contestée) de la civilisation dravidienne de Mohenjo-daro, auquel l'auteur trouve des traits shamaniques (bien sûr ces recherches d'origines anciennes sont toujours assez arbitraires).

 

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Le livre trace beaucoup de ramifications du shivaïsme. Bouddha fut disciple de Gosala, maître tantrique qui lui aurait enseigné l'abolition des castes. Kanishka

Odier cite un fondateur de "l'école du Krama" au VIIIe siècle, Shivâdanath aurait donné sa transmission à trois femmes yoginî (mais ce Shivâdanath est introuvable sur le Net et sur Gallica. Abhinavagupta au Xe siècle aurait aussi accordé une prorité aux femmes pour le tantrisme. L'empereur kouchan (dynstie venue du Xinjiang) Kanishka au IIe siècle réunit 18 sectes bouddhistes et leur fit adopter une ligne inspirée du tantrisme. Et Bodhidharma, père du premier zen chinois s'inscrit aussi dans la lignée shivaïte. Au VIIIe siècle Vasugupta reçut les Shivasûtra en rêve ou gravé sur une montagne et le Spandakarika ("chant tantrique du frémissement").

Le tantrisme partage avec le bouddhisme l'idée de la vacuité des êtres (ils n'existent que les uns par rapport aux autres) mais se sépare de lui sur le point de la vacuité de la conscience : pour lui la conscience n'est pas vide mais c'est un miroir nécessaire à la manifestation des êtres.

 

(à suivre)

 

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Le shivaïsme (II)

12 Novembre 2008 , Rédigé par CC Publié dans #Shivaïsme yoga tantrisme

Reprenons ici notre lecture de Daniélou (je dirai un peu plus loin les critiques qu'il m'inspire) commencée ici.

Comme le néo-platonisme grec, le shivaïsme du 4 ème sècle ap JC va voir dans les dieux des symboles de forces physiques (la force d'éclatement de l'univers, la formation des entités matérielles, les quatre éléments) utiles à la dévotion populaire.

Un dravidien du Kérala, au IX ème siècle, Shankarâchârya (Shankara) initié et acculturé en langue sanskrite, mais selon Daniélou, profondément imprégné de shivaïsme, réalisa une grande synthèse bouddho-jaïno-shivaïte.

Ce serait sous l'influence du nestorisme et de l'Islam que l'hindouïsme se serait ensuite enfermé dans des spéculations métaphysiques abstraites sur le monisme, le dualisme etc, débats dont seraient nées les Vedanta.

Diverses sectes composaient le courant shivaïte : les vénérateurs du soleil, du soma (la liqueur sacrée), des esprits juvéniles (Gana) aux ordres du dieu-éléphant, des animaux. Tandis qu'à l'Ouest les dynasties scythes renforçaient le védisme, qui allait éliminer le bouddhisme. A partir de là va aussi se développer la bhakti, dévotion sentimentale et extatique à des dieux personnalisés (Râma et Krishna incarnations de Vishnu) qui s'alliera d'ailleurs à l'Islam dans le soufisme.

La pensée de Daniélou m'a fait songer aux spéculations sur l'hermétisme, et aussi, dans un autre registre, aux hypothèses de Panofsky sur l'origine asiatique des monuments médiévaux européens (d'ailleurs Daniélou y fait une vague allusion p. 59). Dans l'hermétisme on prétend que la religion égyptienne se serait "conservée clandestinement" jusqu'à la Renaissance, tout comme dans le shivaïsme se serait maintenu un vieux fond de croyances dravidiennes. Ces théories insistent d'ailleurs toutes sur le poids des  persécutions (par le christianisme pour l'hermétisme, par le védisme pour le shivaïsme) ce qui leur donne une petite coloration paranoïaque.

L'avantage de ce genre de théories, c'est qu'elles désignent l'activité souterraine de la pensée à travers les siècles, celle qui passe par la tradition orale. L'inconvénient évidemment c'est que, justement, comme elles décrivent des traditions "cachées", sans écriture, elle ne s'encombrent pas de rigueur pour en reconstituer la généalogie et on peut les soupçonner de dérailler de temps à autre. D'autant qu'il existe un arrière-plan politique évident à ces thèses qui critiquent en les mettant dans le même panier le monothéisme (même si Daniélou est moins polémique que les livres précités), le rationalisme moderniste et le marxisme (ce pourquoi d'ailleurs l'université qui a été marquée par ces trois traditions ne les aime pas). Le préfacier de Daniélou Jean-Louis Gabin rappelle qu'au 19 ème siècle beaucoup d'intellectuels attendaient une renaissance de la pensée occidentale par l'Inde. Il oublie de préciser qu'il s'agissait là des intellectuels réactionnaires (et Daniélou lui-même conseilla le parti traditionnaliste hindouiste), ce pourquoi d'ailleurs beaucoup de rationalistes préfèrent se désintéresser purement et simplement de la pensée indienne, mais je crois que c'est un tort : il faut au contraire l'appréhender et l'affronter, de préférence dans une perspective anthropologique.

Revenons donc au shivaïsme, et plus précisément à la dimension qui intéressait Onfray. Shiva, nous dit Daniélou, représente la totalité du pouvoir de procréation qui se trouve dans l'univers et le phallus (linga) est l'image de Shiva, et l'acte sexuel est sacré. Le Linga est d'ailleurs vénéré comme l'était le phallus dans l'univers dionysiaque grec. Il est représenté enserré dans le Yoni (sexe féminin). Daniélou rapporte un mythe du Shiva Purâna sur un Shiva exhibitionniste dont le sexe tombe après que les ermites se soient révoltés contre lui (du fait que leurs femmes se battaient pour le toucher). Son linga brûle la terre, monte au ciel, et ravage tout sur son passage. Sur les conseils de Brahma, les ermites demanderont à la grande déesse Pârvâti de prendre la forme d'un vagin dans lequel le linga enfin stabilisé sera enserré et vénéré. Le culte du Linga, observe Daniélou, est le culte du divin, de l'harmonie, de la permanence de l'espèce par delà les individus (je décèle là un écho à la thèse nietzschéenne du Dionysos opposé au principium individuationnis apollinien). Le rituel érotique d'initiation tantrique est ce par quoi l'humain accède à l'intellect pur et au divin par "l'illumination du plaisir", dit Daniélou (p. 105). C'est la voie la plus rapide d'accès au divin mais aussi la plus dangereuse (l'autre misant davantage sur une énergie diffuse dans l'être humain). Tout ceci évidemment doit être pensé dans le cadre de la technique corporelle du yoga, dont la finalité est d'émanciper l'individu des contraintes de son ego et des contradictions du monde par un retour à un état d'indifférenciation.

Voilà donc où en sont mes lectures sur le sujet. Je suis encore loin de pouvoir me faire une opinion sur cette présentation, à part les quelques remarques que j'ai introduites au fil de mon résumé. On a un peu le sentiment qu'à la différence du mouvement dionysiaque qui était importé d'Asie le shivaïsme fonctionne comme un substrat "autochtone" pré-aryen. Je ne suis pas convaincu cependant par Onfray qui en fait une doctrine de "paysans" face aux gens des villes (Daniélou ne va pas du tout dans ce sens là). Peut-être joue-t-il un rôle analogue au taoïsme en Chine, qui est aussi un mouvement plus proche de la religion originelle de la Chine (et que VanGulik disait matriarcale, ce qu'aurait été aussi le shivaïsme, mais ce serait à discuter). Le shivaïsme serait entré en rivalité ou en conflit avec des doctrines fondées sur l'écriture comme le védisme et le bouddhisme comme, d'une certaine façon, le taoïsme l'était face au confucianisme (encore que ces conflits, comme on le souligne souvent, ne soient pas sanglants compte tenu de l'orientation pluraliste des sociétés en cause). Encore une fois je signale tout cela sous réserve d'investigations plus approfondies.



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Le shivaïsme (I)

10 Novembre 2008 , Rédigé par CC Publié dans #Shivaïsme yoga tantrisme

Il faut qu'à quelque chose malheur soit bon. Je suis parti des énoncés malheureux d'Onfray dans son dernier livre ("le culte de Shiva constitue la spiritualité généalogique des Veda... mais aussi hors d'Inde, de toutes les traditions philosophiques qui suivront - notamment en Grèce" p. 132, "Le shivaïsme illustre un genre de spinozisme avant Spinoza" p. 138 et autres énoncés à l'emporte-pièce dont le seul but est d'arriver toujours à la même conclusion creuse "vive le désir, à bas le christianisme !"). Et j'ai tenté de comprendre un peu mieux le shivaïsme.

Il n'est pas facile de trouver des livres sobres et impartiaux sur le sujet. Le premier sur lequel je suis tombé, "Shivaïsme" de Bernard Dubant était très apologétique à l'égard de cette religion, et très polémique à l'encontre du monothéisme "dépendant de la suspecte "révélation" d'un imposteur psychopathe" (p. 9) - pourquoi diable trouve-t-on si peu de neutralité dans la littérature sur les religions orientales ?

Je me suis donc rabattu sur "Shivaïsme et Tradition primordiale" d'Alain Daniélou.

Je suis pas à pas ce qu'il explique. Que l'être qui a créé le monde est au delà de l'existence (comme dans certaines traditions soufis), que le monde est formé d'une masse d'énergie que le principe d'individuation qui anime tout atome et tout conglomérat fait que celui-ci est doté d'une conscience (voilà qui rejoint mes travaux sur Nietzsche, n'est ce pas, il y avait cette intuition chez lui). Il y a aussi toute une physique dans le shivaïsme, comme chez les épicuriens et les stoïciens. Une physique dont la doctrine religieuse est très fortement dépendante (et même indissociable, je pense, ce qui relègue définitivement le shivaïsme au passé de l'humanité selon moi, et ce qui m'incline à suivre Dawkins dans son refus d'accorder quelque pertinence que ce soit aux religions pour penser le monde d'aujourd'hui).

On y apprend aussi que le shivaïsme, religion de la nature (à laquelle est lié le yoga, le tantrisme aussi) et le jaïnisme, religion de la morale (d'où provient la théorie du karma), ont préexisté à l'hindouïsme et l'ont irrigué. A partir du III ème siècle, la révolution bouddhiste s'essouffle, et l'hindouïsme védique aussi. J'aime beaucoup cette idée de Daniélou (qui n'est peut-être pas nécessairement seulement la sienne) selon laquelle la révolution bouddhiste a affaibli le védisme (le brahmanisme), et l'a contraint à incorporer la non-violence,le yoga, le tantrisme. Très intéressant aussi son développement sur la dynastie bouddhiste scythe des Kushâna, protectrice des arts du Gandhara (voir notre article sur les grecs bouddhistes l'an dernier) avec notamment Kanishka qui réunit le concile duquel naquit le Grand Véhicule (Mahâyâna). Dans la foulée de cette réforme religieuse, dans le Sud de l'Inde renaît le shivaïsme, comme réaction, nous dit Daniélou (p. 46) à la fois au bouddhisme et au védisme perçus comme des religions étrangères. Daniélou fait une analogie : c'est un peu comme si la Grèce asservie par Rome avait reconquis son indépendance (ou encore, avec mes mots à moi, si Mithridate l'avait emporté à la fin du 2 ème siècle av JC). Le bouddhisme, inspiré par le jaïnisme, perd sa raison d'être en Inde lorsqu'il a intégré l'hindouïsme sous Kanishka (on voudrait en savoir plus là dessus), et le jaïnisme connaît le même renouveau que le shivaïsme.

Ce nouveau shivaïsme, nous dit Daniélou, utilise un peu les vedas comme un faux nez, ce qu'il fera aussi de Bouddha dans le cadre du Hinâyana. A partir de 319 et des débuts de la dynastie Gupta au Nord-Est de l'Inde, le néo-shivaïsme du Sud va aussi reconquérir cette zone. C'est à ce moment-là que le vieux fond religieux shivaïte clandestin, autrefois mémorisé oralement  en vers, va être couché dans les livres en sanskrit sous forme de sûtra, pour contrer les livres védiques et bouddhistes (ces derniers écrits en langue populaire pakrit).

... (à suivre

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