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Un symposium sur l'IA et les "intelligences non-humaines" de la scolastique médiévale
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Un écho à ce qu'on disait récemment sur les enjeux spirituels de l'intelligence artificielle (et le rapport avec le thème de la possession) :
Un symposium universitaire international d'une journée coordonné par Dr. Denisa Reshef Kera "Design & Policy Lab" Maître de conférences Programme Science, technologie et société à l'Université Bar Ilan, Israël, aura lieu à Enschede aux Pays-Bas le 1er juillet 2025.
Titre du symposium : "Agents IA : intelligence artificielle, angélique ou antagoniste ?" Avec pour illustration de l'invitation, une scène d'exorcisme extraite du Rituale Romanum.
Présentation du symposium (traduction française) : "Les agents IA contemporains illustrent-ils ou réinterprètent-ils les débats oubliés sur les fonctions ontologiques et éthiques des intellects angéliques, des adversaires démoniaques et des phantasmata (machines) ? Ce symposium présente l’intelligence artificielle (IA) comme un catalyseur qui relance les discussions fondamentales sur l’agence, l’ontologie, l’épistémologie et l’éthique. Les débats sur les formes radicalement externalisées, affectives, distribuées, simulées ou émergentes de l’agence sont après tout enracinés dans les recherches scolastiques médiévales sur les intelligences non humaines. Revisiter ces paradigmes historiques nous permet de nous demander si l’IA fait revivre les ontologies prémodernes ou force leur reconfiguration radicale dans les conditions technologiques, éthiques et philosophiques contemporaines.
Nous accueillons avec plaisir des articles qui abordent de manière approfondie et créative la philosophie classique, la théologie et la recherche contemporaine en IA dans les sciences sociales et les disciplines connexes. Les soumissions doivent aller au-delà des dialogues simplistes avec l'IA pour offrir des engagements théoriques rigoureux sur l'agence, l'intelligence et l'éthique non humaines. Nous encourageons les contributions de domaines tels que les études médiévales, la philosophie de l'esprit, l'éthique de l'IA et les études sur la science, la technologie et la société (STS), entre autres. De plus, nous invitons les informaticiens et les chercheurs dans des domaines techniques qui souhaitent explorer ces questions interdisciplinaires.
En replaçant l’IA dans les traditions historiques et philosophiques, ce symposium vise à éclairer la manière dont l’agence, l’intelligence et la responsabilité morale sont redéfinies. Nous invitons les chercheurs à contribuer à cette conversation critique en examinant l’IA non seulement comme une extension de la cognition humaine, mais aussi comme un défi aux hypothèses fondamentales sur la connaissance, l’autonomie et l’existence partagée. Les articles doivent analyser de manière critique le statut ontologique et épistémique de l’IA, ses implications éthiques et son rôle dans la refonte des conceptions historiques et contemporaines de l’agence et de l’intelligence."
Laruns vu par L'Univers
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Alors que l'Empereur Napoléon III et son épouse sont à Gavarnie, le Mémorial des Pyrénées du 8 septembre 1859 publie le compte rendu des fêtes de Laruns du 15 août que Léon Aubineau a adressé au journal catholique l'Univers. On est dans l'âge d'or du renouveau du christianisme (voir mon livre sur Lacordaire). La génération romantique après l'athéisme révolutionnaire essaie de renouer avec la Religion saccagée (sauf quand elle sombre dans l'occultisme, le mauvais versant de la religieux). Veuillot, le fondateur de l'Univers était un converti, peut-être Aubineau aussi, je ne sais pas.
Elle prend le sujet souvent par le mauvais angle, celui du sentimentalisme, mais elle a le mérite d'essayer. Son naufrage viendra du ralliement des catholiques au Parti de l'Ordre, Napoléon, les riches (la dictature de la finance, déjà...), au mépris des aspirations du prolétariat à la justice sociale... En 1859 on n'est encore qu'au début de ce ralliement.
" Les Pyrénées ont eu à se louer cette année de la presse Parisienne; il y aurait injustice à le méconnaître. Pour notre part, nous ne croyons pouvoir mieux témoigner notre reconnaissance aux journaux qui ont bien voulu s’occuper de notre pays qu’en reproduisant les parties saillantes de leurs articles. On lira à ce titre, avec plaisir, la lettre suivante adressée à l' Univers par M. Léon Aubineau, un de ses principaux rédacteurs. C’est un compte-rendu pittoresque et religieux de ia fête de Laruns, dont il a été déjà parlé dans notre journal au point de vue artistique :
Le 15 août est le jour de la fête de Laruns. Cette année, dès midi, les voitures, selon la coutume , amenaient des hautes vallées les curieux qui venaient accroître la foule et augmenter le spectacle. Les fenêtres et les balcons étaient garnis de curieux. Les danses étaient formées sur la place. Les ménétriers , assis au milieu des rondes, jouaient de leurs instruments, et autour d’eux s’agitaient et se trémoussaient les danseurs. On sait que la danse , dans le midi de la France , n’a pas le même caractère que dans le Nord. Je ne sais ce qu’en pense M. le curé de Laruns, mais rien ne m’a paru plus décent et plus convenable que les danses de la place publique de sa paroisse , et au premier coup-d’œil il m’a semblé que j’y laisserais sans scrupule sauter et se balancer mes enfants. La ronde se compose d’un nombre indéterminé de garçons et de filles. Tous se tiennent par la main : c’est un garçon qui conduit la bande. Le cercle s’agite et tourne en s’élargissant et en se rétrécissant tour à tour. Celui qui ouvre la danse se retourne à chaque instant vers celle à qui il donne la main; c’est celui-là surtout qui donne à admirer son élégance et sa légèreté; il accompagne la musique en poussant des cris en cadence; il gesticule et s’agite , et fait de certains entrechats qui me paraissent du dernier fin. Chaque garçon , à son tour , devient le chef des autres, et lorsqu’il à terminé, il. se repose volontiers, ce n’est pas sans grand besoin, et quitte la danse quelques instants. Sa compagne, au contraire, est infatigable ; elle va prendre ia main des dernières danseuses et se met à leur suite.
Ce qui frappe au premier regard , c’est la légèreté et l’aisance du danseur. Mme de Sévigné parle quelque part des passe-pieds bretons si joliment dansés par M. de Loc-Maria. Je ne sais si les paysans de la vallée d’Ossau dansent des passe- pieds béarnais , mais ils exécutent bien joliment des pas assez compliqués et non dépourvus de grâce. Leur costume ajoute encore à leur bon air. On sait comment il se compose : des guêtres de laine blanche tricotée qui rejoignent aux genoux la culotte courte de velours noir , le gilet de laine blanche , la veste écarlate , le plus souvent jetée sur l’épaule et mise bas pour la danse, les larges manches de ia chemise fermées aux poignets , le col étroit dessinant le gosier et n’atteignant pas les joues , enfin le berret brun du pays de Béarn , forment un ensemble aussi pittoresque que gracieux. On dirait que tout dans ce riche costume a été calculé avec un raffinement de coquetterie savante pour faire valoir les avantages de ceux qui le portent: leur taille souple, leur jarret fin et musculeux, leur vigueur et leur agilité. De grands cheveux, pendant par derrière, tombent sur les épaules, tandis que ia tête , rasée au sommet et sur les tempes, laisse à découvert un front intelligent , un visage ouvert , noble et animé d’une fine gaité. Est-ce l'habitude de la montagne , des dangers et des fatigues qu’elle entraîne qui donne au paysan de la vallée d’Ossau cet air ouvert et poli? N’est-ce pas plutôt la pratique de la vie chrétienne depuis de longues générations et l’usage des sacrements qui, en maintenant dans ce peuple les qualités du cœur, lui conservent aussi cette élégance et cette noblesse extérieures ?
A mesure que les étrangers arrivaient, les garçons offraient aux dames des petits bouquets de (leurs de montagne , et ils le faisaient avec une bonne grâce, une politesse, un air respectueux et aisé qu’on ne trouve pas aujourd’hui dans tous les salons de Paris. La veille déjà, au petit village d’Aas, qui faisait sa fête , j’avais remarqué cet usage et la bonne grâce avec laquelle il était rempli....
Tandis que les filles et les garçons dansaient et sautaient , les anciens formaient des groupes , causaient et regardaient les rondes. Leur costume , à peu près pareil à celui des jeunes gens, en diffère seulement par les couleurs sombres qu’il affecte de préférence : la veste aussi , au lieu de s’arrêter à la taille , descend à grand pans et couvre les hanches. Les femmes qui ne prennent pas part aux danses sont groupées autour des maisons, debout ou assises sur le seuil. Tout cela cause , rit et s’agite. Les enfants circulent partout , s'accrochent partout, aux jambes de ceux qui causent, aux robes de celles qui sont assises ; ils traversent les rondes, coiffés pour la plupart de petits bonnets aux couleurs éclatantes et ornés d’une houpe de laine vers l’oreille droite. Mais au milieu de ce bruit et de ce mouvement règne une sorte de calme que les fêtes populaires du Nord ne connaissent pas. Point d’ivrognes, point de cabarets , aucun bruit de verres ni depots, pas même de cris discordants. Partout la gaîté, la décence et la gravité! N’esl-ce pas déjà un beau spectacle, bien rare aujourd’hui dans notre France? Et que pouvez-vous imaginer ici- bas de plus beau et de plus aimable que la créature humaine joyeuse et épanouie dans toute sa noblesse et sa simplicité?
Mais je n’ai pas tout dit. Le clocher de l’cglise apparaissait dans l’angle de la grande place où l’on dansait : un vieux cIocher massif dont je ne sais pas bien l’àge , tout revêtu de cette végétation que les archéologues détestent et qui se marie si bien aux vieux bâtiments. Vers trois heures , ce vieux clocher tout fleuri voulut montrer qu’il n’était pas un bâtiment inutile et mit ses cloches en branle. Les danses cessèrent aussitôt et la foule entra dans l’église pour assister à l'office des vêpres.
Vous savez bien ce que peut être l’église d’un gros bourg. Celle de Laruns est grande; elle se compose d’une seule et large nef; elle a d’assez belles voûtes. Tout cela parait dater du XVf siècle. Quatre chapelles flanquent la nef et remplissent les bas-côtés. A la porte, un bénitier en marbre blanc marqué du signe de Jésus et orné d’entrelacs; l’intérieur de la cuve présente trois figures dont une sirène tenant un poisson à la main ; et un centaure. Devant l'autel est suspendue une belle lampe en cuivre repoussé et doré, ornée,de têtes en haut relief avec toutes ses chaînes qui m’a paru de loin une fort belle pièce d’orfèvrerie du . XVII» siècle ; peut-être serait-ce un don de Louis , XIII rétablissant l’exercice public du culte ca„ Iholique dans le Béarn ? Je puis d’ailleurs me tromper dans ces appréciations ; j’avais à Laruns autre chose à faire que le métier d’archéologue. N’était- ce pas le jour de l’Assomption? Et toute cette foule qui remplissait l’église y était à l’intention de louer la bienheureuse Vierge. Je m’en serais voulu de ne pas me mettre à l’unisson et de pensera autre chose.
L’église était pleine. J’y reconnus les plus intrépides danseuses, encore tout échauffées et qui cependant n’avaient pas grand peine à se recueillir. Les danseurs étaient dans la tribune, car, selon un usage général , la nef est abandonnée aux femmes, tandis. qu’au fond de l’église une large tribune , est réservée aux hommes. Dans la foule, je distingue et je salue la longue cornette blanche recou-verte du capuchon et du manteau noir des Sœurs de Saint-André-de-la-Puye. Si l’église est la maison de tous , si tous les chrétiens s’y trouvent à l’aise, si ces murs bénits nous, disent quelque chose, le costume des Sœurs de Charité a aussi son langage. Ceux qui sont loin du foyer n’y trouvent-ils pas comme un sourire de la famille absente ? Il abrite des cœurs tendres et dévoués , vrais cœurs de mères pour les pauvres, les malades et les enfants. Les bonnes Sœurs, dans l’église de Laruns, étaient, fort occupées à faire placer et presser leurs élèves, dont les bonnets huppés et éclatants se serraient et s’agitaient snr les bancs. L’église semblait en effet trop étroite et les paroissiens avaient grande peine à retrouver leurs places envahies par les étrangers, jaloux de s’unir aux louanges de la Mère de Dieu.
Faut-il ajouter que ces belles et consolantes vêpres delà Sainte Vierge nous gardaient un petit mécompte. Un orgue-harmonium et des chanteurs et chanteuses s’étaient faufiiés dans l’église; au moment de la bénédiction ils on fait des leurs. Je ne leur en veux pas; l’art musical est un enfant prodigue , il ne faut pas le rebuter. Que deviendrait-il s’il trouvait un accueil sévère au seuil de la maison paternelle; il y a longtemps qu’il en est éloigné; on ne doit pas s’étonner s’il n’en sait plus le langage. Un jour viendra, qui est prochain peut-être, où il demandera lui-même la robe nuptiale, il comprendra alors que toute voix et tout son qui ne prient pas dans l’égfise est une dissonnance. La beauté du timbre et sa finesse, l’agilité et la force des doigts n’y font rien. Tout ce que la science, l'expérience et le don naturel posséderont jamais, pourra toujours être employé aux louanges de Dieu ; mais c’est toujours le cœur qui donne le ton et qui le module et en définitive c’est le cœur qui chante. Il n’v a point d’art musical sans le mouvement da cœur et l’état où est tombée la musique de nos jours le prouve bien. Le cœur, au contraire, sans îes ressources de l’art et laissé à lui-même peut encore se tirer d'affaire et louer Dieu dignement. J’en ai eu la preuve à Laruns et la manière dont toute l’assistance , sans fioriture et sur un mode familier à chacun , a chanté l' Ave maris Stella n’était-elle pas digne de la maison de Dieu , propre à réjouir la piété et à satisfaire l'oreille?
Après le salut du Saint-Sacrement, on commença la procession. Cette procession est principalement l'objet de la curiosité des visiteurs, et elle mérite en effet d’ètre vue. Les jeunes garçons l’ouvrent, les hommes suivent, le clergé vient ensuite, des flambeaux en main. Derrière le clergé , les jeunes filles habillées de blanc portent une statue de la sainte Vierge : c’est la fête de Marie qu’on célèbre, c’est le vœu de Louis XIII qu’on exécute. Les Sœurs, derrière la statue de la Mère de Dieu , rangent et conduisent leurs enfantg; les femmes viennent en dernier lien. La procession est nombreuse; elle a un grand développement. Les costumes de !a vallée d’Ossan y brillent de tout leur éclat. Je les ai décrits; il faudrait signaler encore le manteau à grand capuchon , de coulenr brune ou grise, orné de houppes de laine de même couleur, vrai manteau de pasteur , propre à défendre de la pluie et des brouillards de la montagne , et qui jeté sur les épaules de ces hommes marchant à pas lents , les bras croisés , tombe à larges plis et ajoute singulièrement à la noblesse de la physionomie humaine. Un grand nombre de femmes supplée au capulet ou le couvre avec une sorte de grande mante en forme de sac , d’une grosse étoffe de laine blanche , descendant jusqu’à leurs pieds; vêtement singulier qui , s’il est sans élégance , n’est pas sans modestie ni sans caractère.
La procession traverse le bourg; elle passe sur la place où les danses avaient lien avant vêpres, où elles vont se reformer tout à l’heure. Elle n’y trouve d'autre foule que celle des étrangers. La population tout entière fait cortège à la statue de la sainte Vierge , et marche derrière le croix. Rien n’est beau comme une procession et rien n’est plus simple. Pourquoi ne peui-on considérer , sans être touché jusqu’aux larmes , ces deux longues files d’hommes marchant gravement derrière une croix et chantant les louanges du Seigneur ? pourquoi ? Ah ! pourquoi ! C’est que la Croix renferme tout ; elle est toute notre espérance et tout notre amour- nous ne vivons que par elle , c’est elle qui nous montre la patrie et qui nous y conduit ! et toutes les fibres d’une âme chrétienne tressaillent et s’émeuvent aux hommages qu’on lui rend. Au milieu d’une réjouissance populaire, ces hommages acquièrent quelque chose de plus pénétrant encore. A Laruns , les costumes sont beaux, éclatants , riches , singuliers ; les danseurs sont agiles, polis et aimables; le vrai charme de la fête , son prix et son éloquence , c’est l’apparition de la croix portée en triomphe sur le champ de la fête. C’est elle , en effet, elle seule qui répand partout cette gaîté discrète et tous ces,agréments qu’on ressent et qu’on ne sait définir. La procession explique tout et couronne tout merveilleusement. C’est l’esprit de l’Eglise de dilater et d’épanouir les cœurs ; elle ne répugne pas à s’unir aux divertissement populaires; elle leur donne la saveur et l’honnêteté. N’est-elle pas la mère de la piété comme ta source de la joie ? Léon Aubineau. "
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PS : A noter que le bénitier existe toujours dans l'église rénovée à Laruns. A l'entrée de l'église le centaure est décrit comme un sagittaire...
Swedenborg à l'origine du culte actuel de l'amour
Melisssa Dougherty, une copine de Doreen Virtue, explique ici (ci-dessous) que le culte actuel de l' "Amour" dans un sens hérétique (l'amour comme tolérance qui interdit tout jugement moral) très à l'honneur dans toute la culture populaire de notre temps (les chansons notamment), remonte au mage spirite suédois du XVIIIe siècle Swedenborg.
Comme je l'avais noté il y a quelques années, Swedenborg a beaucoup marqué son temps : Kant avait échangé avec lui (et pondu un livre très injuste à son sujet), beaucoup de protestants en Angleterre puis en Amérique s'étaient enflammés pour lui, mais aussi en France des catholiques un peu dissidents en mal d'ésotérisme (je crois me souvenir que Châteaubriand en parle, on citait ses révélations dans les salons chics parisiens).
L'abbé d'Aubignac
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Je lisais hier l'introduction à Sertorius de Corneille de Jeanne Streicher.On a oublié combien cette pièce fut jouée jusqu'aux années 1820. Elle fut la plus jouée de la troupe de Corneille. Une pièce marquée par le souvenir de la Fronde analogue de la guerre civile romaine (Corneille aurait lu le chapitre de Plutarque sur Sertorius sous l'inspiration de Condé très amateur d'histoire antique et qui fut aussi exilé). Jeanne Steicher exhume les critiques de l'abbé d'Aubignac, François Hédelin (et petit fils du célèbre chirurgien Ambroise Paré), contre cette pièce qu'on peut lire ici. L'abbé avait composé des pièces, notamment sur Jeanne d'Arc et sur la reine Zénobie. Certaines de ses critiques du style de Corneille sont intéressantes.
Mais l'histoire littéraire a gardé un mauvais souvenir de l'abbé. Voici ce qu'on écrivait encore sur lui au XIXe siècle :
"D'Aubignac chercha à ameuter une foule de petits poètes contre Corneille, qui trouva de plus sérieux défenseurs, Richelet entre autres. Des épigrammes sans nombre se croisèrent Mais la vanité de l'abbé fut si maladroite et sa mauvaise foi si évidente, que celui là même qui avait engagé la querelle contre Sophonisbe, De Visé, ne put supporter l'idée d'une confraternité d'armes entre lui et un homme aussi ouvertement injuste. Il avait été le premier à critiquer Corneille, il fut le premier à embrasser son parti quand il vit la discussion prendre ce caractère."
Il n'était peut-être pas très profond mais on lui doit un Traité de la nature des Satyres, Brutes, Monstres et Démons (1627) sujet qui, pour le lecteur d'aujourd'hui a au moins le mérite de l'originalité.
Le livre ne se trouve pas sur le Net. On peut supposer que c'est une compilation érudite des mythes gréco-romains.
Christianisme et société en 1971 et aujourd'hui : la question de la verticalité
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Je lis dans la revue communiste la Pensée de 1971 un article d'Antoine Casanova (1935-2017) à propos de Vatican II explique :
"Au premier chef, on assiste à une modification du visage de Dieu et des rapports des croyants avec Dieu. Chez les hommes qui transforment quotidiennement le monde naturel par une mise en œuvre rationnellement organisée des forces scientifiques et techniques, qui sont devenus conscients de la valeur universelle de leurs aspirations de travailleurs et des possibilités de l'action collectivement organisée, la catégorie idéologique de Dépendance est de moins en moins opératoire. Dieu n'est plus maître supérieur des phénomènes naturels, seigneur des hiérarchies sociales. Le croyant s'éprouve au contraire comme coresponsable de son œuvre et de son destin et « appelé à une relation personnelle qui le fait participer à la responsabilité de l'œuvre de création » et « on peut trouver là directement le fondement religieux des attitudes de base que réclame dans la société industrielle le travail communautaire des hommes dans le sens d'une association » 49. Dieu est de plus en plus vécu comme Dieu frère plutôt que comme Seigneur Père, Dieu partenaire engagé en un rapport de coopération et qui ne peut être saisi qu'au travers de la présence d'une communauté humaine, y compris dans l'Eucharistie définie comme « une célébration communautaire ou un partage de la parole et du pain » ce qui « est une expression minimaliste qui fait beaucoup plus penser à une agape fraternelle (partager le pain et le sel) qu'à la Sainte Cène du Christ » . La puissance du courant qui se rattache à cette nouvelle symbolisation a été maintes fois évoquée (et dénoncée) par les autorités romaines
Corrélativement est de plus en plus mis sur tous les signes qui représentent le salut comme affaire terrestre à dimension essentiellement communautaire. Nous retrouvons ici un autre aspect de la forte valorisation de l'aspect « repas » communautaire de la messe qui grandit tandis que « quittent l'avant-scène de la liturgie » des dévotions (l'adoration du Sacré-Cœur, du Saint-Sacrement) dont le symbolisme représentait une eschatologie individualiste.
Le symbolisme qu'élaborent les masses tend en même temps à signifier leur volonté de libération des contraintes sociales d'exploitation. Les niveaux de signification sont ici complexes. Au premier chef et de façon générale, Dieu ne peut être imaginé qu'avec les attributs qui signifient l'éternelle stabilité de l'ordre des classes dirigeantes. L'or et les fastes ont de moins en moins leur place dans la symbolique religieuse populaire. L'expression du sacré par les symboles de l'accumulation des richesses s'est muée en « contre signe ». Il en a longuement été question à la première session du Concile dans les interventions des prélats réalistes attentifs à ne pas laisser s'accroître l'écart entre les aspirations religieuses spécifiquement populaires et l'image que propose la hiérarchie"
On trouve dans le même numéro un article sur les théories de Monod, mais laissons cela pour plus tard.
Aujourd'hui le projet de Vatican II apparaît au sein de l'Eglise usé et porté par une génération d'octogénaires (comme le pape actuel) dépassés par un renouveau conservateur (de plus en plus de prêtres en soutane, le succès du pèlerinage conservateur de Chartres cette année). Beaucoup en dénoncent les aspects marxisants ou à tout le moins progressiste de type maçonnique avec cette "démocratisation" de la hiérarchie (le "peuple de Dieu" censé jouer un rôle actif sans recevoir passivement les directives du clergé). Et c'est en même temps la "protestantisation" qui est dénoncée avec ce Dieu "frère" qui nous invite à son "repas".
J'ai été moi-même, paradoxalement sous l'influence des évangéliques, sensible à cette critique de la "réduction de Dieu" qu'opérait le modernisme dans l'Eglise.
Cependant la réhabilitation de la tradition et de la solennité de ses rituels (notamment dans la messe latine) porte aussi en germe des dangers comparables à ceux de la fascination actuelle de certains milieux de droite pour le trumpisme : la recherche d'une figure d'autorité salvatrice dont le chef charismatique est l'incarnation dans l'ordre politique et le Dieu "à l'ancienne" la sublimation religieuse.
Dans l'ordre des Ecritures saintes (la Bible) ont trouve autant d'arguments pour l'image paternelle royale de Dieu (l'Ancien Testament, l'Apocalypse), que pour celle d'un Dieu frère par le Christ (toutes les images de Jésus frère et ami dans l'Evangile).
Sur le plan philosophique Dieu est peut-être aux deux extrêmes du spectre (infiniment puissant et infiniment dépendant de la collaboration de l'homme, un paradoxe kabbalistique et dialectique qu'on ne peut pas totalement évacuer puisque Dieu est tout). Il n'est pas impossible que la re-transcendantisation de Dieu et du fait religieux, ne soit qu'un "moment" comme le retour de la pudeur, du moralisme etc. Mouvement de balancier dont on ne comprend pas vraiment la nécessité historique mais qui s'est souvent constaté dans le passé.
Faut-il complètement y adhérer ? N'y a-t-il pas dans le retour de la verticalité une inquiétante abdication de notre mission humaine ?
Les sacrifices d'enfants par les Cathares
Il n'est pas rare que de nos jours que l'on accuse les grands banquiers, des archevêques ou les hommes politiques de pratiquer en secret des sacrifices d'enfants (voyez mon livre sur le complotisme protestant ou encore les conférences et interviews de mon ancienne camarade de promo Hélène Pelosse).
Les hérétiques jadis étaient couramment accusés de ces pratiques, depuis au moins Irénée de Lyon. Ce fut notamment le cas des cathares de Mayence (cf Laurence Moulinier https://www.academia.edu/7201119/Le_chat_des_cathares_de_Mayence). Cela rejoint les accusations faites aux Juifs (cf l'affaire de Metz ici), une point qui n'est pas forcément très étonnant dans la mesure où une certaine littérature chrétienne rattachait les hérésies aux "manoeuvres" des Juifs (voyez le thème "du juif manès" à l'origine du manichéisme, or l'on reliait souvent les hérésies, notamment le catharisme, au manichéisme).
Un manuscrit rédigé vers 1169 par une nonne du monastère de Ste Hildegarde à Rupertsberg (selon les rationalistes) qui se présente comme un interrogatoire de démon dans un exorcisme (de la possédée Sigewize) accuse les cathares de Mayence (dont certains ont été brûlés dès 1143, Hildegarde elle-même prêcha contre l'hérésie à Cologne en 1163, Régine Pernoud dans sa biographie de la sainte cite des extraits de son sermon) d'avoir utilisé les cendres d’enfants nés de leurs orgies pour fabriquer une poudre diabolique.
Paul de Saint-Père de Chartres, le premier, avait soutenu que les hérétiques brûlés à Orléans en 1022 l'avaient fait , Adémar de Chabannes reprit l’accusation (Ademari Cabannensis, Chronicon, éd. P. Bourgain,Turnhout, 1999), et, au début du XIIe siècle, Guibert de Nogent prêta le même comportement aux disciples de Clément et Evrard de Bucy près de Soissons (Guibert de Nogent, Autobiographie, éd. et trad. E .-R. Labande, Paris, 1981, p. 431 : « les gens [...] se passent l’enfant de main en main, puis le jettent dans les flammes où il va se consumer ; lorsqu’il se trouve réduit en cendres, ils fabriquent avec ces cendres un pain dont un morceau est distribué à chacun » - voir R. Moore, La Persécution….).
L'accusation est-elle fondée ?
D'un point de vue strictement théologique l'accusation de crime rituel contre les enfants peut se fonder sur l'insistance mise par Jésus dans l'Evangile à condamner le mal que font certains aux "tous petits" (cf Matthieu 18:6). On peut supposer que les forces des Ténèbres tirent une énergie particulière à profaner ce qui est innocent et ce que Dieu entend protéger le plus, indépendamment même de la thématique de l'adrénochrome très présente dans les débats actuels (mais il semble que ce soit assez récents).
Cependant quelques difficultés apparaissent quand on songe que, dans le document de la moniale de Rupertsberg, elle s'accompagne d'autres accusations comme celle de baiser illicite avec un chat de la taille d'un chien, accusation qui avait été aussi été portée contre d'autres hérétiques antérieurement. L'accusation d'infanticide est-elle sur le même plan que celle concernant le rapports aux chats ou d'autres accusations anecdotiques ? Si oui le chrétien doit-il valider tout le "package" comme on dirait aujourd'hui ?
Un problème plus important encore tient au fait que l'accusation est formulée par un démon que les clercs interrogent dans le cadre d'un exorcisme, un genre très répandu au Moyen-Age et jusqu'au XVIIe siècle (voyez l'histoire de l'exorcisme à la Sainte-Baume). Aujourd'hui encore des exorcistes citent des choses que les démons leur ont dites à travers les possédés, et l'on peut même trouver sur YouTube des vidéos de démons parlant par la bouche de possédés soumis à interrogatoire). Beaucoup de clercs doutent de la légitimité de cet exercice puisque les démons sont censés ne pas dire la vérité. En outre le possédé peut mêler aux propos de l'entité des considérations humaines propres à sa nature.
A supposer même que ce soit une entité qui parle par la bouche de Sigewize se peut-il qu'elle se contente de propager une rumeur déjà lancée par des religieux d'Orléans et de Bucy ? Ou se peut-il que Sigewize ait un peu "capté" un égrégore (ou un champ morphogénétique) religieux dont elle a repris plus ou moins consciemment le contenu pendant la séance d'exorcisme ?
Ou bien le récit de l'exorcisme est-il tout simplement déformé, son auteur y ayant introduit des éléments empruntés à une littérature antérieure à des fins d'édification ou d'endoctrinement (ce serait en quelque sorte un "pieux mensonge"), mais alors se pose la question de la compétence de l'auteur. Si, comme l'avance Laurence Molinier, dans le cas du couvent de Rupertsberg, il s'agit d'une simple moniale, comment a-t-elle pu connaître les accusations d'Orléans et de Bucy (entre autres). Est-ce quelque chose qui "se savait", qui flottait dans les conversations de monastères ? ou bien s'agit-il d'une écriture collective mobilisant des clercs savants ?
Evidemment si l'accusation est fondée, les cathares deviennent moins sympathiques au yeux du public actuel que ce que les littératures protestante et laïque en ont fait. La plupart des écrivains catholiques des deux derniers siècles (par exemple Hilaire Belloc) n'insistent pas sur les sacrifices d'enfants chez les Cathares. Ils se contentent de dire qu'ils prohibaient le mariage et la procréation, ce qui, en soi, suffisait à conduire la société au suicide collectif. C'était un chef d'accusation plus solide en effet puisque les inquisiteurs épargnaient ceux qu'ils accusaient d'hérésie dès lors qu'ils acceptaient de se marier et de fonder une famille.
Cassirer et la mana transcendantale
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Je parcours ce soir, par pure oisiveté, des considérations sur la pensée de Cassirer, une branche du néo-kantisme qu'on plaçait parfois dans les années 1990 aux origines de la sociologie de Durkheim, et par ricochet d'un pan de celle de Bourdieu (de vieux souvenirs).
Je tombe sur ce passage :
"Il découvre chez un missionnaire anglais, Codrington, des observations qui lui permettraient de remonter à un stade plus originaire encore dans l’histoire de la formation des noms des dieux. L’ouvrage de Codrington11 avait paru quelques années avant celui de Usener. L’auteur y décelait chez les Mélanésiens ce qui lui semblait être la racine même du sentiment religieux, la « mana » — dont on a tant parlé depuis — force indifférenciée et mystérieuse diffuse dans la nature, et dont le reflet négatif, le « tabou », est ce dont il faut se garder de parler ou de prononcer le nom, sous peine de déclencher des effets imprévisibles, qu’on ne peut « évoquer » sans danger.
Or, la notion de ce principe indéterminé se retrouve avec une constance remarquable, non seulement dans les mers du Sud, mais aussi chez les Indiens d’Amérique, et en Australie. Malgré d’assez nombreuses et divergentes interprétations de la mana, Cassirer juge néanmoins légitime — quelle aubaine ! — d’y appliquer sa propre grille idéaliste, pour y voir le phénomène lié du mythe-langage : la mana représenterait ainsi le tout premier stade de la culture, celui où l’homme projette au dehors de lui la force spirituelle dont il n’est pas encore conscient d’être l’auteur. La mana ne serait encore ni matérielle ni spirituelle, elle précéderait ces oppositions, mais en préparant les scissions futures, tel le fractionnement en « dieux de l’instant »."
On est dans cette obsession philosophique du XIXe siècle qui se poursuivra jusqu'à Heidegger de recherche une unité antéprédicative, non objectale, que je repérais aussi jadis dans mon livre sur Nietzsche.
Il est amusant de voir qu'ici comme chez les "non-dualistes" de notre époque elle est posée comme étant "en nous", ou en tout cas nous en "serions l'auteur", idée qui n'a pas de sens si ce "nous" (ou "l'homme") est un sujet grammatical. En principe la mana (Mauss disait "lE mana") précède le sujet.
D'une habitude curieuse du Père Matéo Crawley-Boevey
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Alors que le pape publie une encyclique apparemment ennuyeuse sur le Sacré Coeur (un culte qui me paraît toujours assez étrange, ce qui ne signifie pas que je le désapprouve bien sûr, du reste qui serais-je pour le faire ?) je découvre ce soir cette anecdote que racontait le chanoine Elie Maire (1880-1949) à propos d'un artisan célèbre de la promotion de cette dévotion : "Le Père Matéo Crawley-Boevey, l’apôtre mondial de l’intronisation du Sacré-Cœur dans la famille, racontait naguère sous le manteau, en se mettant carrément en scène, un trait que l’on ne qualifiera pas de banal. Imaginez qu’il lui arrivait, jadis, à Paris, quand le trajet était moins dispendieux qu'aujourd’hui, de prendre deux tickets d’autobus ou de métro ou de bateau-mouche. L’un était à son usage. L’autre, à l’usage de l’autre. L’autre? Oui, le mystérieux compagnon qui ne le quitte jamais, jamais. Enfantillage? Si l’on veut. Peut-être aussi réfraction de la sublime simplicité de l’Eternel, du Seigneur Sabbaoth, de l’Amour."
Le prêtre était donc suivi par un double invisible. Fils de protestant anglais au Pérou, il avait trouvé à Paray-le-Monial la guérison d'une dépression et la mission d' "introniser" (selon l'expression consacrée) le Sacré Coeur dans toutes les familles (Roger Buck dit qu'en Irlande il était commun de demander aux gens pour qui on construisait une maison où ils placeraient leur Sacra Coeur). C'est comme un culte moderne des pénates, tourné vers les familles. Je ne sais pas si cet intérêt du père Mateo pour son "Autre" est aussi étrange que la coprophagie de Marie Marguerite Alacoque, fondatrice du culte du Sacré Coeur....
Règles pour les familles ayant effectué une intronisation :
"La mauvaise presse ne doit pas entrer dans une maison consacrée, et il ne doit pas non plus y avoir d'utilisation illimitée d'Internet sans la surveillance des parents. Bien entendu, aucun blasphème ou gros mot ne doit être prononcé ; l'impudeur vestimentaire doit être bannie ; les jours d'obligation et les jours de jeûne et d'abstinence doivent être observés ; L'anniversaire de la consécration devrait être un jour de célébration très spécial ; Les parents devraient avoir la pieuse coutume de bénir leurs enfants et les enfants de demander la bénédiction ; Il serait bon d'avoir une petite piscine d'eau bénite pour l'usage des personnes à la maison ; priez également le chapelet en famille et pratiquez les exercices des mois de juin (Sacré-Cœur), mai (mois de Marie) et mars (mois de Saint Joseph) ; Si possible, assistez ensemble à la messe dominicale et faites le catéchisme en famille."