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Articles avec #histoire des idees tag

Sainte Hildegarde et les pierres

14 Juin 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Alchimie, #Histoire des idées, #Histoire secrète, #Christianisme, #Médiums, #Spiritualités de l'amour

J'ai acheté récemment une pierre de tourmaline, mais j'ai dû m'en défaire. Pour autant je ne nie point le pouvoir bénéfique de certaines pierres lié aux stoicheia. J'ai pu l'éprouver en 2014. Sainte Hildegarde de Bingen a développé ce thème dans ses écrits.

Je crois que c'est un sujet important. Par exemple si l'on reprend la procession des apôtres sur l'horloge de Prague (voyez ici) à la lumière des écrits de cette sainte pour chaque pierre qui y est symbolisée, on ferait sans doute des découvertes étonnantes.

Dans la vidéo ci-dessous (en espagnol) de la chaîne équatorienne des Chevaliers de la Vierge, le Père Ricardo Hucke, de la confrérie des Hérauts de l'Evangile nous offre une bonne introduction avec ce sujet. J'en retiens en particulier une bonne citation de Sainte Hildegarde sur le diamant, pierre de Lucifer dont la mission était de refléter pleinement la lumière de Dieu (ce qui explique son utilisation dans les sociétés secrètes et les productions culturelles qu'elles inspirent, notamment depuis Marilyn Monroe). 

J'ai vu aussi qu'en Colombie la Dre. Katiuska Villasmil fait une vidéo sur le sujet, mais j'ignore si elle bénéficie du même blanc-seing ecclésiastique que les Hérauts de l'Evangile.

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Genèse 6 rapproché de l'hermétisme

27 Mai 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Histoire secrète, #Pythagore-Isis, #Alchimie

Mon livre sur les Nephilim explore l'exégèse purement biblique du 6e chapitre de la Genèse. Mais Jean Borella, dans Problèmes de gnose p. 59, rappelle qu'il en existe une versant hermétique.

Il cite René Guénon, dans Le Règne de la quantité et le signe des temps, Gallimard p. 257-258 qui rattache les origines du satanisme à la disparition de l’Atlantide – dont la tradition égyptienne fut en partie l’héritière – et « aux données symboliques » fournies par Genèse 6

Ce texte explique l’union de certains anges avec les « filles des hommes ». Or un texte parmi d’autres dans la tradition hermétique met en rapport Seth-Typhon avec cet « événement mystérieux » : Isis la Prophétesse, y révèle à Horus qu’ « au moment où il allait partir pour la lutte contre Typhon (…) un des anges qui résident dans le premier firmament, l’ayant vue, voulut s’unir à elle dans un commerce d’amour » (Opuscule d’Isis à Horus 1 trad de AJ Festugière, La Révélation d’Hermès Trismégiste, Gabalda 1944, t1 p. 256 258

« Il s’agit évidemment, ajoute Borella, de la désignation symbolique d’une descente d’énergie du niveau spirituel au niveau psychique, d’une chute du céleste dans le terrestre et de sa commixtion profanatrice avec lui » (Borella renvoie au Livre d’Hénoch qui rattache l’événement au temps de Yéred qu’il rattace à l’étymologie yârad (descendre)

« Et la Bible met directement cet événement en rapport avec le déluge qui, selon Guénon, correspond à la disparition de l’Atlantide » (dans Formes traditionnelles et cycles cosmiques, p. 49)

Pour aller un peu au delà de ce résumé de Borella, j'ai retrouvé le passage exact de l'opuscule qui est ici


"I. xiii. — ISIS A HORUS
 Isis la Prophétesse à son fils.

1. Isis, la prophétesse à son fils Horus: Tu devais t’éloigner, mon enfant, et aller combattre contre l’infidèle Typhon, pour le trône de ton père. Moi-même m’étant rendue à Hermonthis, ville (où l’on cultive) l’art sacré de l’Égypte, j’y ai passé un certain temps. D’après le cours des circonstances, et la révolution nécessaire du mouvement des sphères, il arriva que l’un des anges qui résident dans le premier firmament, m’ayant contemplée d’en haut, voulut s’unir à moi. Il s’avança, se disposant à en venir à son but: mais je ne lui cédai point, voulant apprendre de lui la préparation de l’or et de l’argent. Comme je l’interrogeais là-dessus, il me dit qu’il ne lui était pas permis de s’expliquer à cet égard, vu la haute importance de ces mystères, mais que le jour suivant, il viendrait un ange plus grand, l’ange Amnaél, et celui-là serait en état de me donner la solution de la question.

2. Et il me dit que celui-là porterait un signe sur sa tête et qu’il me montrerait un petit vase non enduit de poix, rempli d’eau transparente. Il (ne) voulut (pas) révéler la vérité.

3. Le jour suivant, lorsque le soleil était au milieu de sa course, apparut l’ange Amnaél, plus grand que le premier; pris du même désir à mon égard; il descendit vers moi, il ne resta pas immobile, mais se rendit en hâte au lieu où je me tenais; et moi je ne cessai pas de m’informer de la question.

4. Et comme il tardait (à me répondre), je ne me livrai point, mais je contins son désir jusqu’à ce qu’il m’eût fait voir le signe qu’il avait sur la tête et qu’il m’eût transmis sans réserve et avec sincérité les mystères que je cherchais."

On rappellera que Guénon dans Le Règne de la Quantité (p. 207) relie la métallurgie à la basse magie à cause du lien avec les planètes du système solaire (voyez là dessus Lili Kolisko).

A titre personnel j'ai tendance à penser que ce texte alchimique du IIIe siècle est tout de même assez éloigné de Genèse 6. Le seul point commun intéressant tient au fait qu'il s'agit d'anges haut placés dans la hiérarchie céleste, mais il peut s'agir d'un emprunt pur et simple au judaïsme très présent dans l'Egypte ptolémaïque et romaine. Le vocable Amnael lui-même évoque une construction hébraïque. Ou bien il peut s'agir comme le dit Borella d'une forme allégorique ad hoc, adaptée au propos alchimique, mais qu'il est probablement abusif d'étendre à l'histoire cosmique. D'ailleurs c'est Borella qui fait le lien avec l'Atlantide et pas, comme il l'affirme, Guénon dans Le Règne de la Quantité

Avant lui, le célèbre chimiste et homme politique Marcellin Berthelot avait fait de même dans son livre "Les Origines de l'alchimie" (1885). Celui-ci précisait :

" Les Saintes Ecritures rapportent qu'il y a un certain genre de démons ayant commerce avec les femmes. Hermès en a parlé dans ses livres sur la nature. Les anciennes et saintes Ecritures disent que certains anges, épris d'amour pour les femmes, descendirent sur la terre, leur enseignèrent les oeuvres de la nature; et à cause de cela ils furent chassés du ciel et condamnés à un exil perpétuel. De ce commerce naquit la race des géants. Le livre dans lequel ils enseignaient les arts est appelé Chêma : de là le nom de Chôma appliqué à l'art par excellence. » Ainsi parlait Zosime le Panopolitain, le plus vieux des chimistes authentiques, exposant les origines de la Chimie, dans son livre Imouth (c'est-à-dire dédié à Imhotep, dieu égyptien), livre adressé à sa soeur Théosébie. Ce passage est cité par Georges le Syncelle, polygraphe grec du VIIIe siècle (reproduit dans les Eusebiana de Scaliger p. 834 - Ed Goar 1852).

D'autres nous disent que ces œuvres de la nature, maudites et inutiles, enseignées par les anges tombes à leurs épouses, étaient l'art des poisons, des secrets des métaux et des incantations magiques (Tertullien).

Le nom du livre Chêma se retrouve en Egypte sous la forme Chemi, titre d'un traité cité dans un Papyrus de la XIIe dynastie et recommandé par un scribe à son fils (Masperc, Histoire ancienne des peuples de l'Orient, p. 125). Il est probable que le sujet en était tout différent. C'était un vieux, titre, repris plus tard pour s'en autoriser, comme il est arrivé souvent dans l'antiquité.

Quoiqu'il en soit, le passage de Zosime est des plus caractéristiques. Sans en conclure, avec les adeptes du IIIe siècle, que l'alchimie était déjà connue avant le déluge (3), il est certain qu'il nous reporte aux imaginations qui avaient cours en Orient dans les premiers siècles de l'ère chrétienne. Isis, dans son discours à son fils Horus, autre ouvrage alchimique des plus anciens, raconte également que la révélation lui fut faite par Amnael, le premier des anges et des prophètes, comme récompense de son commerce avec lui.

Quelques lignes étranges du chapitre V de la Genèse, probablement d'origine babylonienne, ont servi de point d attache à ces imaginations.(…) Les auteurs.du n° et du 111e siècle de notre ère reviennent souvent sur cette légende. Clément d'Alexandrie la cite (vers 200 de notre ère) dans ses Stromates, I. V, Tertullien en parle longuement (De Idolatria IX, D, De cultu feminum X, De cultu veminarum I, II, B). "

Berthelot souligne que Tertullien rapproche l'expulsion des anges du ciel de celle des mages de Rome de son temps, et y voit un signe de la méfiance des autorités religieuses de tout bord à l'égard des aspirations de la première science (tout aussi chimérique qu'elle soit aux yeux de Berthelot) à libérer l'homme.

Rappelons que Borella tient Clément d'Alexandrie pour le plus grand détenteur de la gnose chrétienne authentique au sens où Saint Paul l'entendait.

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Pluralité des christianismes

9 Mai 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

Pour les Béotiens, ici un bon topo de Marie-France Baslez (que je lis depuis 1998) sur la pluralité des christianismes : l'affrontement des patriarcats d'Alexandrie et Antioche sur la christologie (une seule ou deux natures ?), l'imposition des dogmes par décrets impériaux, les querelles en Occident sur le salut (par la foi ou par les oeuvres ? Saint Jacques ou Saint-Paul ? Saint Augustin ou Pélage ?), le problème de l'Eglise dans la Cité. Attaché à l'oecuménisme (mais pas à n'importe quel prix doctrinal), j'ai écouté avec intérêt cette conférence.

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Le catholicisme de JD Vance

19 Avril 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Sociologie des institutions

Le catholicisme "post-libéral" du vice-président américain JD Vance en ce moment en visite au Vatican intéresse Le Monde. J'encourage mes lecteurs à lire "Comment j'ai rejoint la résistance" dans The Lamp Magazine ici (avec le navigateur Google Chrome et son traducteur automatique par exemple), le récit de sa conversion. Il y décrit le protestantisme assez déboussolé de sa famille prolétaire protestante, son engagement militaire en Irak en 2015, son ralliement à l'athéisme pour s'intégrer aux élites universitaires (il y montre notamment que le libertarianisme athée d'Ayn Rand pouvait être le vecteur d'une tell integération, ce qui est assez contre-intuitif pour un Français de mon âge).

Il fait une analyse intéressante du déficit moral qu'il ressentait dans cette nouvelle culture (à rapprocher selon moi sociologiquement du clivage de son habitus quand il était étudiant à Yale). Il semble qu'il ait commencé à trouver une voie de compromis (même s'il ne le formule pas comme cela) dans une citation de St Augustin dans la Cité de Dieu recommandant aux chrétiens de ne pas être ignorants des vérités scientifiques. Il détaille l'influence sur lui à partir de 2011 des théories de l'entrepreneur (et ex-élève de René Girard à Stanford) Peter Thiel sur la stagnation technologique mise en parallèle avec la rareté des postes de pouvoir.

 A propos de la théorie du bouc-émissaire de Girard, il écrit : "en 2013, elle reflétait si bien la psychologie de ma génération, en particulier de ses habitants les plus privilégiés. Embourbés dans le bourbier des réseaux sociaux, nous avons identifié un bouc émissaire et nous nous sommes jetés dessus. Nous étions des guerriers du clavier, nous déchargeant sur les autres via Facebook et Twitter, aveugles à nos propres problèmes. Nous nous disputions des emplois que nous ne voulions pas vraiment, tout en faisant semblant de ne pas nous battre du tout. Et au final, pour moi du moins, j'avais perdu le langage de la vertu. J'avais plus honte d'avoir échoué à un examen de droit que d'avoir perdu mon sang-froid avec ma petite amie. Il fallait que tout cela change. Il était temps d'arrêter de chercher des boucs émissaires et de me concentrer sur ce que je pouvais faire pour améliorer les choses."

Revenant à St Augustin, il y a trouvé une critique des inégalités et de la consommation qui l'a aiguillé très progressivement vers les "sagesses" (pour ainsi dire) du communautarisme catholique, en dialogue avec des frères dominicains. Il dit que depuis lors son épouse (une juriste hindoue) trouve que sa foi catholique est bonne pour sa santé (sic)... On n'est pas loin de la phrase d'Ariston de Chios "la vertu est la santé de l'âme", transformée par Nietzsche en "ta vertu est la santé de ton âme".

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Un symposium sur l'IA et les "intelligences non-humaines" de la scolastique médiévale

28 Février 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

Un écho à ce qu'on disait récemment sur les enjeux spirituels de l'intelligence artificielle (et le rapport avec le thème de la possession) :

Un symposium universitaire international d'une journée coordonné par Dr. Denisa Reshef Kera "Design & Policy Lab" Maître de conférences Programme Science, technologie et société à l'Université Bar Ilan, Israël, aura lieu à Enschede aux Pays-Bas le 1er juillet 2025.

Titre du symposium : "Agents IA : intelligence artificielle, angélique ou antagoniste ?" Avec pour illustration de l'invitation, une scène d'exorcisme extraite du Rituale Romanum.

Présentation du symposium (traduction française) : "Les agents IA contemporains illustrent-ils ou réinterprètent-ils les débats oubliés sur les fonctions ontologiques et éthiques des intellects angéliques, des adversaires démoniaques et des phantasmata (machines) ? Ce symposium présente l’intelligence artificielle (IA) comme un catalyseur qui relance les discussions fondamentales sur l’agence, l’ontologie, l’épistémologie et l’éthique. Les débats sur les formes radicalement externalisées, affectives, distribuées, simulées ou émergentes de l’agence sont après tout enracinés dans les recherches scolastiques médiévales sur les intelligences non humaines. Revisiter ces paradigmes historiques nous permet de nous demander si l’IA fait revivre les ontologies prémodernes ou force leur reconfiguration radicale dans les conditions technologiques, éthiques et philosophiques contemporaines.

Nous accueillons avec plaisir des articles qui abordent de manière approfondie et créative la philosophie classique, la théologie et la recherche contemporaine en IA dans les sciences sociales et les disciplines connexes. Les soumissions doivent aller au-delà des dialogues simplistes avec l'IA pour offrir des engagements théoriques rigoureux sur l'agence, l'intelligence et l'éthique non humaines. Nous encourageons les contributions de domaines tels que les études médiévales, la philosophie de l'esprit, l'éthique de l'IA et les études sur la science, la technologie et la société (STS), entre autres. De plus, nous invitons les informaticiens et les chercheurs dans des domaines techniques qui souhaitent explorer ces questions interdisciplinaires.


En replaçant l’IA dans les traditions historiques et philosophiques, ce symposium vise à éclairer la manière dont l’agence, l’intelligence et la responsabilité morale sont redéfinies. Nous invitons les chercheurs à contribuer à cette conversation critique en examinant l’IA non seulement comme une extension de la cognition humaine, mais aussi comme un défi aux hypothèses fondamentales sur la connaissance, l’autonomie et l’existence partagée. Les articles doivent analyser de manière critique le statut ontologique et épistémique de l’IA, ses implications éthiques et son rôle dans la refonte des conceptions historiques et contemporaines de l’agence et de l’intelligence."

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Laruns vu par L'Univers

17 Février 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Christianisme

Alors que l'Empereur Napoléon III et son épouse sont à Gavarnie, le Mémorial des Pyrénées du 8 septembre 1859 publie le compte rendu des fêtes de Laruns du 15 août que Léon Aubineau a adressé au journal catholique l'Univers. On est dans l'âge d'or du renouveau du christianisme (voir mon livre sur Lacordaire). La génération romantique après l'athéisme révolutionnaire essaie de renouer avec la Religion saccagée (sauf quand elle sombre dans l'occultisme, le mauvais versant de la religieux). Veuillot, le fondateur de l'Univers était un converti, peut-être Aubineau aussi, je ne sais pas.

Elle prend le sujet souvent par le mauvais angle, celui du sentimentalisme, mais elle a le mérite d'essayer. Son naufrage viendra du ralliement des catholiques au Parti de l'Ordre, Napoléon, les riches (la dictature de la finance, déjà...), au mépris des aspirations du prolétariat à la justice sociale... En 1859 on n'est encore qu'au début de ce ralliement.

" Les Pyrénées ont eu à se louer cette année de la presse Parisienne; il y aurait injustice à le méconnaître. Pour notre part, nous ne croyons pouvoir mieux témoigner notre reconnaissance aux journaux qui ont bien voulu s’occuper de notre pays qu’en reproduisant les parties saillantes de leurs articles. On lira à ce titre, avec plaisir, la lettre suivante adressée à l' Univers par M. Léon Aubineau, un de ses principaux rédacteurs. C’est un compte-rendu pittoresque et religieux de ia fête de Laruns, dont il a été déjà parlé dans notre journal au point de vue artistique :

Le 15 août est le jour de la fête de Laruns. Cette année, dès midi, les voitures, selon la coutume , amenaient des hautes vallées les curieux qui venaient accroître la foule et augmenter le spectacle. Les fenêtres et les balcons étaient garnis de curieux. Les danses étaient formées sur la place. Les ménétriers , assis au milieu des rondes, jouaient de leurs instruments, et autour d’eux s’agitaient et se trémoussaient les danseurs. On sait que la danse , dans le midi de la France , n’a pas le même caractère que dans le Nord. Je ne sais ce qu’en pense M. le curé de Laruns, mais rien ne m’a paru plus décent et plus convenable que les danses de la place publique de sa paroisse , et au premier coup-d’œil il m’a semblé que j’y laisserais sans scrupule sauter et se balancer mes enfants. La ronde se compose d’un nombre indéterminé de garçons et de filles. Tous se tiennent par la main : c’est un garçon qui conduit la bande. Le cercle s’agite et tourne en s’élargissant et en se rétrécissant tour à tour. Celui qui ouvre la danse se retourne à chaque instant vers celle à qui il donne la main; c’est celui-là surtout qui donne à admirer son élégance et sa légèreté; il accompagne la musique en poussant des cris en cadence; il gesticule et s’agite , et fait de certains entrechats qui me paraissent du dernier fin. Chaque garçon , à son tour , devient le chef des autres, et lorsqu’il à terminé, il. se repose volontiers, ce n’est pas sans grand besoin, et quitte la danse quelques instants. Sa compagne, au contraire, est infatigable ; elle va prendre ia main des dernières danseuses et se met à leur suite. 

Ce qui frappe au premier regard , c’est la légèreté et l’aisance du danseur. Mme de Sévigné parle quelque part des passe-pieds bretons si joliment dansés par M. de Loc-Maria. Je ne sais si les paysans de la vallée d’Ossau dansent des passe- pieds béarnais , mais ils exécutent bien joliment des pas assez compliqués et non dépourvus de grâce. Leur costume ajoute encore à leur bon air. On sait comment il se compose : des guêtres de laine blanche tricotée qui rejoignent aux genoux la culotte courte de velours noir , le gilet de laine blanche , la veste écarlate , le plus souvent jetée sur l’épaule et mise bas pour la danse, les larges manches de ia chemise fermées aux poignets , le col étroit dessinant le gosier et n’atteignant pas les joues , enfin le berret brun du pays de Béarn , forment un ensemble aussi pittoresque que gracieux. On dirait que tout dans ce riche costume a été calculé avec un raffinement de coquetterie savante pour faire valoir les avantages de ceux qui le portent: leur taille souple, leur jarret fin et musculeux, leur vigueur et leur agilité. De grands cheveux, pendant par derrière, tombent sur les épaules, tandis que ia tête , rasée au sommet et sur les tempes, laisse à découvert un front intelligent , un visage ouvert , noble et animé d’une fine gaité. Est-ce l'habitude de la montagne , des dangers et des fatigues qu’elle entraîne qui donne au paysan de la vallée d’Ossau cet air ouvert et poli? N’est-ce pas plutôt la pratique de la vie chrétienne depuis de longues générations et l’usage des sacrements qui, en maintenant dans ce peuple les qualités du cœur, lui conservent aussi cette élégance et cette noblesse extérieures ? 

A mesure que les étrangers arrivaient, les garçons offraient aux dames des petits bouquets de (leurs de montagne , et ils le faisaient avec une bonne grâce, une politesse, un air respectueux et aisé qu’on ne trouve pas aujourd’hui dans tous les salons de Paris. La veille déjà, au petit village d’Aas, qui faisait sa fête , j’avais remarqué cet usage et la bonne grâce avec laquelle il était rempli....

Tandis que les filles et les garçons dansaient et sautaient , les anciens formaient des groupes , causaient et regardaient les rondes. Leur costume , à peu près pareil à celui des jeunes gens, en diffère seulement par les couleurs sombres qu’il affecte de préférence : la veste aussi , au lieu de s’arrêter à la taille , descend à grand pans et couvre les hanches. Les femmes qui ne prennent pas part aux danses sont groupées autour des maisons, debout ou assises sur le seuil. Tout cela cause , rit et s’agite. Les enfants circulent partout , s'accrochent partout, aux jambes de ceux qui causent, aux robes de celles qui sont assises ; ils traversent les rondes, coiffés pour la plupart de petits bonnets aux couleurs éclatantes et ornés d’une houpe de laine vers l’oreille droite. Mais au milieu de ce bruit et de ce mouvement règne une sorte de calme que les fêtes populaires du Nord ne connaissent pas. Point d’ivrognes, point de cabarets , aucun bruit de verres ni depots, pas même de cris discordants. Partout la gaîté, la décence et la gravité! N’esl-ce pas déjà un beau spectacle, bien rare aujourd’hui dans notre France? Et que pouvez-vous imaginer ici- bas de plus beau et de plus aimable que la créature humaine joyeuse et épanouie dans toute sa noblesse et sa simplicité? 

Mais je n’ai pas tout dit. Le clocher de l’cglise apparaissait dans l’angle de la grande place où l’on dansait : un vieux cIocher massif dont je ne sais pas bien l’àge , tout revêtu de cette végétation que les archéologues détestent et qui se marie si bien aux vieux bâtiments. Vers trois heures , ce vieux clocher tout fleuri voulut montrer qu’il n’était pas un bâtiment inutile et mit ses cloches en branle. Les danses cessèrent aussitôt et la foule entra dans l’église pour assister à l'office des vêpres. 

Vous savez bien ce que peut être l’église d’un gros bourg. Celle de Laruns est grande; elle se compose d’une seule et large nef; elle a d’assez belles voûtes. Tout cela parait dater du XVf siècle. Quatre chapelles flanquent la nef et remplissent les bas-côtés. A la porte, un bénitier en marbre blanc marqué du signe de Jésus et orné d’entrelacs; l’intérieur de la cuve présente trois figures dont une sirène tenant un poisson à la main ; et un centaure. Devant l'autel est suspendue une belle lampe en cuivre repoussé et doré, ornée,de têtes en haut relief avec toutes ses chaînes qui m’a paru de loin une fort belle pièce d’orfèvrerie du . XVII» siècle ; peut-être serait-ce un don de Louis , XIII rétablissant l’exercice public du culte ca„ Iholique dans le Béarn ? Je puis d’ailleurs me tromper dans ces appréciations ; j’avais à Laruns autre chose à faire que le métier d’archéologue. N’était- ce pas le jour de l’Assomption? Et toute cette foule qui remplissait l’église y était à l’intention  de louer la bienheureuse Vierge. Je m’en serais voulu de ne pas me mettre à l’unisson et de pensera autre chose. 

L’église était pleine. J’y reconnus les plus intrépides danseuses, encore tout échauffées et qui cependant n’avaient pas grand peine à se recueillir. Les danseurs étaient dans la tribune, car, selon un usage général , la nef est abandonnée aux femmes, tandis. qu’au fond de l’église une large tribune , est réservée aux hommes. Dans la foule, je distingue et je salue la longue cornette blanche recou-verte du capuchon et du manteau noir des Sœurs de Saint-André-de-la-Puye. Si l’église est la maison de tous , si tous les chrétiens s’y trouvent à l’aise, si ces murs bénits nous, disent quelque chose, le costume des Sœurs de Charité a aussi son langage. Ceux qui sont loin du foyer n’y trouvent-ils pas comme un sourire de la famille absente ? Il abrite des cœurs tendres et dévoués , vrais cœurs de mères pour les pauvres, les malades et les enfants. Les bonnes Sœurs, dans l’église de Laruns, étaient, fort occupées à faire placer et presser leurs élèves, dont les bonnets huppés et éclatants se serraient et s’agitaient snr les bancs. L’église semblait en effet trop étroite et les paroissiens avaient grande peine à retrouver leurs places envahies par les étrangers, jaloux de s’unir aux louanges de la Mère de Dieu. 

Faut-il ajouter que ces belles et consolantes vêpres delà Sainte Vierge nous gardaient un petit mécompte. Un orgue-harmonium et des chanteurs et chanteuses s’étaient faufiiés dans l’église; au moment de la bénédiction ils on fait des leurs. Je ne leur en veux pas; l’art musical est un enfant prodigue , il ne faut pas le rebuter. Que deviendrait-il s’il trouvait un accueil sévère au seuil de la maison paternelle; il y a longtemps qu’il en est éloigné; on ne doit pas s’étonner s’il n’en sait plus le langage. Un jour viendra, qui est prochain peut-être, où il demandera lui-même la robe nuptiale, il comprendra alors que toute voix et tout son qui ne prient pas dans l’égfise est une dissonnance. La beauté du timbre et sa finesse, l’agilité et la force des doigts n’y font rien. Tout ce que la science, l'expérience et le don naturel posséderont jamais, pourra toujours être employé aux louanges de Dieu ; mais c’est toujours le cœur qui donne le ton et qui le module et en définitive c’est le cœur qui chante. Il n’v a point d’art musical sans le mouvement da cœur et l’état où est tombée la musique de nos jours le prouve bien. Le cœur, au contraire, sans îes ressources de l’art et laissé à lui-même peut encore se tirer d'affaire et louer Dieu dignement. J’en ai eu la preuve à Laruns et la manière dont toute l’assistance , sans fioriture et sur un mode familier à chacun , a chanté l' Ave maris Stella n’était-elle pas digne de la maison de Dieu , propre à réjouir la piété et à satisfaire l'oreille? 

Après le salut du Saint-Sacrement, on commença la procession. Cette procession est principalement l'objet de la curiosité des visiteurs, et elle mérite en effet d’ètre vue. Les jeunes garçons l’ouvrent, les hommes suivent, le clergé vient ensuite, des flambeaux en main. Derrière le clergé , les jeunes filles habillées de blanc portent une statue de la sainte Vierge : c’est la fête de Marie qu’on célèbre, c’est le vœu de Louis XIII qu’on exécute. Les Sœurs, derrière la statue de la Mère de Dieu , rangent et conduisent leurs enfantg; les femmes viennent en dernier lien. La procession est nombreuse; elle a un grand développement. Les costumes de !a vallée d’Ossan y brillent de tout leur éclat. Je les ai décrits; il faudrait signaler encore le manteau à grand capuchon , de coulenr brune ou grise, orné de houppes de laine de même couleur, vrai manteau de pasteur , propre à défendre de la pluie et des brouillards de la montagne , et qui jeté sur les épaules de ces hommes marchant à pas lents , les bras croisés , tombe à larges plis et ajoute singulièrement à la noblesse de la physionomie humaine. Un grand nombre de femmes supplée au capulet ou le couvre avec une sorte de grande mante en forme de sac , d’une grosse étoffe de laine blanche , descendant jusqu’à leurs pieds; vêtement singulier qui , s’il est sans élégance , n’est pas sans modestie ni sans caractère.

La procession traverse le bourg; elle passe sur la place où les danses avaient lien avant vêpres, où elles vont se reformer tout à l’heure. Elle n’y trouve d'autre foule que celle des étrangers. La population tout entière fait cortège à la statue de la sainte Vierge , et marche derrière le croix. Rien n’est beau comme une procession et rien n’est plus simple. Pourquoi ne peui-on considérer , sans être touché jusqu’aux larmes , ces deux longues files d’hommes marchant gravement derrière une croix et chantant les louanges du Seigneur ? pourquoi ? Ah ! pourquoi ! C’est que la Croix renferme tout ; elle est toute notre espérance et tout notre amour- nous ne vivons que par elle , c’est elle qui nous montre la patrie et qui nous y conduit ! et toutes les fibres d’une âme chrétienne tressaillent et s’émeuvent aux hommages qu’on lui rend. Au milieu d’une réjouissance populaire, ces hommages acquièrent quelque chose de plus pénétrant encore. A Laruns , les costumes sont beaux, éclatants , riches , singuliers ; les danseurs sont agiles, polis et aimables; le vrai charme de la fête , son prix et son éloquence , c’est l’apparition de la croix portée en triomphe sur le champ de la fête. C’est elle , en effet, elle seule qui répand partout cette gaîté discrète et tous ces,agréments qu’on ressent et qu’on ne sait définir. La procession explique tout et couronne tout merveilleusement. C’est l’esprit de l’Eglise de dilater et d’épanouir les cœurs ; elle ne répugne pas à s’unir aux divertissement populaires; elle leur donne la saveur et l’honnêteté. N’est-elle pas la mère de la piété comme ta source de la joie ? Léon Aubineau. "

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PS : A noter que le bénitier existe toujours dans l'église rénovée à Laruns. A l'entrée de l'église le centaure est décrit comme un sagittaire...

Laruns vu par L'Univers
Laruns vu par L'Univers
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Swedenborg à l'origine du culte actuel de l'amour

23 Janvier 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète, #Histoire des idées

Melisssa Dougherty, une copine de Doreen Virtue,  explique ici (ci-dessous) que le culte actuel de l' "Amour" dans un sens hérétique (l'amour comme tolérance qui interdit tout jugement moral) très à l'honneur dans toute la culture populaire de notre temps (les chansons notamment), remonte au mage spirite suédois du XVIIIe siècle Swedenborg.

Comme je l'avais noté il y a quelques années, Swedenborg a beaucoup marqué son temps : Kant avait échangé avec lui (et pondu un livre très injuste à son sujet), beaucoup de protestants en Angleterre puis en Amérique s'étaient enflammés pour lui, mais aussi en France des catholiques un peu dissidents en mal d'ésotérisme (je crois me souvenir que Châteaubriand en parle, on citait ses révélations dans les salons chics parisiens).

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L'abbé d'Aubignac

18 Janvier 2025 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées

Je lisais hier l'introduction à Sertorius de Corneille de Jeanne Streicher.On a oublié combien cette pièce fut jouée jusqu'aux années 1820. Elle fut la plus jouée de la troupe de Corneille. Une pièce marquée par le souvenir de la Fronde analogue de la guerre civile romaine (Corneille aurait lu le chapitre de Plutarque sur Sertorius sous l'inspiration de Condé très amateur d'histoire antique et qui fut aussi exilé). Jeanne Steicher exhume les critiques de l'abbé d'Aubignac, François Hédelin (et petit fils du célèbre chirurgien Ambroise Paré), contre cette pièce qu'on peut lire ici. L'abbé avait composé des pièces, notamment sur Jeanne d'Arc et sur la reine Zénobie. Certaines de ses critiques du style de Corneille sont intéressantes.

Mais l'histoire littéraire a gardé un mauvais souvenir de l'abbé. Voici ce qu'on écrivait encore sur lui au XIXe siècle :

"D'Aubignac chercha à ameuter une foule de petits poètes contre Corneille, qui trouva de plus sérieux défenseurs, Richelet entre autres. Des épigrammes sans nombre se croisèrent Mais la vanité de l'abbé fut si maladroite et sa mauvaise foi si évidente, que celui là même qui avait engagé la querelle contre Sophonisbe, De Visé, ne put supporter l'idée d'une confraternité d'armes entre lui et un homme aussi ouvertement injuste. Il avait été le premier à critiquer Corneille, il fut le premier à embrasser son parti quand il vit la discussion prendre ce caractère."

Il n'était peut-être pas très profond mais on lui doit un Traité de la nature des Satyres, Brutes, Monstres et Démons (1627) sujet qui, pour le lecteur d'aujourd'hui a au moins le mérite de l'originalité.

Le livre ne se trouve pas sur le Net. On peut supposer que c'est une compilation érudite des mythes gréco-romains.

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