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CR d'un ouvrage de référence sur la révolution néolithique

27 Juin 2010 , Rédigé par CC Publié dans #Notes de lecture

juillet_2006_033.jpgOn trouvera en suivant le lien http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=4&srid=4&ida=12401 mon compte-rendu de lecture de Naissance des divinités, naissance de l'agriculture - La révolution des symboles au Néolithique, de Jacques Cauvin, un ouvrage de référence.

Comment  les dieux créèrent des paysans

 

 

Jacques CauvinNaissance des divinités, naissance de l’agriculture

L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de l’Institut d’Etudes politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), Christophe Colera est l'auteur, entre autre, chez L’Harmattan, de Dialogue sur les aléas de l’histoire (2010).

 

Feu-Jacques Cauvin, préhistorien, directeur de recherche au CNRS qui dirigea de nombreux chantiers de fouilles au Liban en Syrie et en Turquie fut une sommité des études archéologiques françaises. Son livre « Naissance des divinités, naissance de l’agriculture », initialement paru en 1994, et qu’aujourd’hui les éditions du CNRS publient à nouveau, est désormais un grand classique de la réflexion sur les origines de l’agriculture dans l’histoire humaine : un livre dense, précis, extrêmement bien documenté, et qui, de surcroît, propose des pistes de réflexion nouvelles, une grille de lecture bien différente des préhistoriens antérieurs et riche en enseignements sur les moteurs de l’évolution qui firent du primate humain un animal sédentaire disposé à transformer profondément son environnement.

 

Le sujet n’est pas simple. Au Proche-Orient, autour de 9 000 avant J.-C. (au khiamien), des petites communautés sédentarisées ne se contentent plus de récupérer quelques graines de blé sauvage pour les semer de temps en temps et récolter quelques suppléments à leur menu habituel de chasseurs-cueilleurs (comme on le faisait au natoufien). Elles organisent toute leur société autour d’une économie des semailles et de la récolte annuelle. Pourquoi ?

 

Seule une étude minutieuse des civilisations qui apparaissent là permet d’éclairer ce mystère : celles du PPNA (Pre-Pottery Neolithic A) avec ses trois déclinaisons : le sultanien en Palestine, l’aswadien en Syrie, le mureybétien sur le Moyen Euphrate (qui est au cœur du processus) ; et celle du PPNB (Pre-Pottery Neolithic B).

 

L’agriculture, nous dit Jacques Cauvin, n’est pas le fruit d’une pénurie de gibier ni d’une pression démographique : elle résulte d’une révolution des symboles, qui n’est ni plus ni moins que l’invention du divin. Alors qu’à Lascaux en Europe, les Magdaléniens 6 000 ou 8 000 ans plus tôt peignent des successions d’animaux qui ne sont visiblement pas vouées à l’adoration (quelque sacralité qu’on puisse prêter à cet art pariétal), au Levant deux figures s’imposent : celle d’une forme féminine qui sera la déesse-mère (avec son cortège d’animaux inquiétants), et son pendant masculin, un taureau, souvent entourés de figures d’ « orants » qui manifestent leur transcendance (deux figures qui resteront prégnantes dans la haute antiquité levantine). L’invention de ces dieux induit une dynamique psychique particulière chez l’être humain : « Une topologie verticale, nous dit Jacques Cauvin, s’instaure alors dans l’intimité même du psychisme, où l’état initial d’angoisse peut se muer en assurance au prix d’un effort mental ascensionnel vécu comme un appel à une instance divin extérieure et plus élevée que lui » (p. 104), une révolution psychique qui ne peut qu’avoir de sérieuses implications sur les actes de nos ancêtres.

 

On est encore loin des sociétés hiérarchisées des grands empires agraires d’Egypte et de Mésopotamie. Point de chef doté des attributs divins de la souveraineté, point de caste cléricale (seulement quelques individus initiés, des chamans), mais déjà des cérémonies festives qui distinguent certains morts d’exception (sans doute des sacrifices humains, avec les cultes autour des crânes au PPNB), et des espaces particuliers dédiés au culte (des enclos, certains lieux domestiques) préfiguration des futurs grands temples.

 

L’agriculture vient après cette révolution religieuse. Elle en est, estime Jacques Cauvin, un prolongement, une « manifestation » au même titre que les autres pratiques rituelles censées faire passer dans le réel autour de soi le nouveau système symbolique qui a émergé dans les esprits. C’est d’une véritable interaction entre symbole et praxis dans l’espace environnant qu’il faudrait parler.

 

Cette révolution donne à sa culture un rayonnement spécifique qui va aussi lui conférer une dimension quasi « impérialiste » à travers laquelle l’agriculture comme mode de vie va pouvoir gagner d’autres peuples. Le cas est flagrant avec la « néolithisation » de l’Anatolie, à partir de la culture agricole du PPNB du Moyen Euphrate entre 8 000 et 7 000 avant J.-C.. L’homme de la fin du PPNB mettra ainsi en scène sa maîtrise de la nature dans la représentation de la tauromachie, construira des maisons rectangulaires en plein air, viriles et offensives, et non des maisons rondes enfouies dans le sol, se lance à l’assaut des mers jusqu’à Chypre, et du désert syrien, sans qu’aucune nécessité économique l’y pousse, simplement certain de sa vocation à dominer le monde.

 

A l’appui de sa démonstration, Cauvin mobilise et critique les réflexions de Ian Hodder, Claude Lévi-Strauss, Jean-Pierre Vernant sur les systèmes symboliques (p. 168-169). Prenant ses distances avec le logocentrisme du structuralisme, c’est principalement dans le sillage du troisième que l’auteur inscrit sa démarche, et donc aussi dans celui de Creuzer et Cassirer. Pour lui, « l’image symbolique précède le mythe, en donnant à voir immédiatement et avant tout discours, sous une forme concrète, et sensible "la présence de ce qui, en tant que divin, échappe aux limitations du concret, du sensible, du fini" ». En tenant ensemble la culture matérielle et les éléments non utilitaires, on peut ainsi reconstituer l’ossature de l’univers symbolique des premiers peuples néolithiques. Cette magistrale re-création à travers le legs de strates géologiques d’un monde qu’on pourrait croire perdu pouvait permettre à l’auteur de conclure, non sans un certain panache, contre la tradition des préhistoriens qui subordonnaient les progrès de notre espèce aux contraintes de leur environnement, et contre Marx pour qui le « fait brutal » devait vaincre l’idéalisme : « Il est piquant de constater que ce sont les « faits brutaux » de la stratigraphie qui contribuent à rendre dans ce domaine la position matérialiste intenable, en inversant l’ordre chronologique des facteur sur une tranche de l’histoire humaine de mieux en mieux connue. »

 

Bien sûr le lecteur sceptique peut émettre quelque doute sur la légitimité à en dire autant sur la base de traces aussi fragmentaires que celles que nous laissent des temps aussi anciens, au vu de leur nature même (du mobilier funéraire, des dépôts alimentaires) et du fait que Cauvin recourt à une grille d’interprétation très liée à la gestion des angoisses (il fait du reste ouvertement référence à la psychanalyse dans son introduction). Et d’ailleurs ces conclusions resteraient-elles valides si l’on venait demain à découvrir d’autres foyers de néolithisation dans des zones moins bien explorées que le Proche-Orient (en Afrique par exemple) ? Force est de constater en tout cas que ce travail riche en sources de réflexions philosophiques sur l’aventure humaine, reste au plus près des découvertes scientifiques de son époque. On est d’un bout à l’autre (à la différence d’anciennes spéculations sur la préhistoire comme celles de Georges Bataille par exemple) dans l’étude la plus minutieuse des trouvailles archéologiques les plus récentes (celles du début des années 1990). Cette rigueur rend parfois le livre un peu aride, mais demeure aussi, naturellement, la meilleure caution de la thèse très stimulante qu’il défend.

 

 

Christophe Colera

 

 

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Quelques remarques sur le sondage IFOP-TENA de 2009

2 Juin 2010 , Rédigé par CC Publié dans #Nudité-Pudeur en Europe

Le sondage IFOP-TENA de l'an dernier sur la nudité féminine dont j'ai déjà parlé, ne laisse pas de m'interroger. On peut le lire in extenso sur Internet (ce qui est rare).

 

Adepte d'une sociologie plutôt "qualitative", je ne crois pas trop aux agrégats quantitatifs, mais ils peuvent s'avérer utiles malgré tout, quelles que soient les réserves qu'on peut éprouver à l'égard de certaines questions.

 

On eût aimé que ce genre de sondage existât à d'autres époques, et dans d'autres sociétés.

1couv_nudite.jpg

Je lis : la nudité pour les femmes c'est d'abord le naturel, puis la beauté, ensuite la liberté (mais beaucoup moins), le désir. Plus on est vieux plus la nudité c'est le naturel. Plus on est jeune plus c'est le désir (30 %). Beaucoup de nudité-désir chez les ouvrières aussi (34%), fort peu chez les professions intellectuelles et les retraitées...

 

Pour plus de la moitié des femmes la nudité partielle est déjà une nudité. Surtout chez les plus jeunes. Mais dans l'ensemble les chiffres sont assez homogènes d'une catégorie à l'autre.

 

Le maquillage est un vêtement pour 30 % des femmes (mais le chiffre tombe sous les 30 % chez les ouvrières et les employées... pourquoi ?). La nudité partielle dérange : les seins nus dans les jardins publics 57 % (et même 65 % des moins de 30 ans, et plus de 60 % en région parisienne, chez les femmes qui se trouvent laides, chez celles qui ont des fuites urinaires - intéressant que l'interviewer ait retenu ce paramètre), de même les femmes nues sur les plages naturistes dérangent 48 % des femmes (dont 66 % des 18-25 ans, une moitié des ouvrières et des employées, les pudiques, les plus libérales en revanche étant de loin les femmes du Sud-Ouest...). Sur cette dernière question les chiffres sont très homogènes, seuls 66 % des 18-25 ans se distinguent (celles-là même qui lient la nudité au désir). On peut s'étonner que la "territorialisation" de la nudité sur des plages répertoriées ne suffise pas à en neutraliser les effets. La nudité féminine dérange aussi la majorité des femmes de 18 à 24 ans dans les vestiaires de sport (contre 40 % de l'ensemble des interviewées, ce qui est tout de même beaucoup). La nudité publicitaire, elle, dérange le plus les deux extrêmes de la pyramide d'âge (les 18-25 et les plus de 60 ans) mais pas dans des proportions majoritaires. La gène n'est majoritaire que dans les professions libérales et chez les cadres supérieurs (et là encore Paris se distingue du reste de la France). Les seins nus sur les plages et l'allaitement sont les seuls (avec le nu pictural) à ne guère gêner le regard des femmes.

 

Une majorité relative de femmes veulent voir moins de nudité (masculine ou féminine), ou à la rigueur plus de nudité masculine pour équilibrer (sans différence significative selon les catégories). Les femmes plébiscitent la nudité de Laetitia Casta et d'Emmanuelle Béart là encore d'une façon assez homogène d'une catégorie à l'autre.

 

Les chiffres de pratiques de la nudité révèlent une banalité devant le conjoint (98 %),  un partage 40-60 sur la nudité devant les enfants, et 37-63 devant les amies,une pratique beaucoup plus rare devant les parents, dans un jardin ou sur une plage naturiste. Le tabou de la pratique devant les enfants dépasse les 60 % dans les classes populaires et en région parisienne (contre 59 % pour l'ensemble des interrogées), avec un pic à 89 % chez les 18-24 ans. Sans surprise les femmes qui se déclarent "impudiques" sont majoritaires dans toutes les catégories de pratique de la nudité, sauf toutefois la pratique devant les parents ou les amis masculins, la nudité au jardin, le naturisme (pratique dans laquelle les femmes du Sud-Ouest se distinguent - 6 points au dessus de la moyenne qui est à 13 %). Les cadres supérieurs et professions libérales sont toujours au dessus de la moyenne pour toutes les pratiques.

 

Sur les pratiques sexuelles,on note que l'acceptation de la lumière (64 %) est plus forte dans les classes supérieures. La nudité intégrale est plébiscitée par 76 % des femmes, notamment les plus jeunes, avec une échelle de fluctuation qui n'est pas énorme suivant les catégories.

 

88 % des femmes se disent pudiques sans grande fluctuation suivant les catégories (avec sans surprise un pic chez celles qui n'aiment pas leur corps). Un peu moins de la moitié des femmes aiment leur corps (seulement 5 % "oui tout à fait" mais 11 % chez les 25-34 ans). Un chiffre qui culmine chez les 18-24 à 62 % et chez les cadres supérieurs pour chuter à 37 % chez les ouvriers. C'est dans le monde rural et chez les 25-49 ans qu'on aime le moins son corps (44 %).

 

Evidemment il faut être très prudent avec tous ces chiffres. L'impression qu'on peut dégager c'est au fond une assez grand homogénéité des réponses d'une catégories à l'autre. Des réflexes de pudeur assez persistants (ce qui recoupe ce que j'ai écrit dans La Nudité, pratiques et significations). Un lien fort entre nudité et désir qui peut nourrir une gêne à ce sujet chez les plus jeunes et les classes populaires, avec cependant une nuance : les jeunes femmes conjuguent souvent leur gêne avec un amour de leur corps, alors que les ouvrières et les employées versent plus souvent dans le désamour (désamour tout de même relatif puisque les réponses sont concentrées dans le "plutôt oui" "plutôt non" au lieu du "tout à fait" ou "pas du tout"). Les plus à l'aise étant plutôt dans les classes sociales supérieures.

 

C'est affaire de nuance. La question ensuite étant de savoir si l'homogénéité prédominante est affaire de conditionnement social ou de dispositions hormonales naturelles, ce qui devrait être discuté question par question.

 

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