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"Cette foi est la mienne" de Simone Weil : une dévotion païenne à la Terre mère ?
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Un ami m'a passé ce mois-ci le petit livre de la philosophe Simone Weil "Cette foi est la mienne" réédité en 2020, qui est en fait une lettre à un religieux qu'elle a rédigée en 1942. Je dois ici en dire un mot. Sa lettre comprend 35 points qui lui paraissent cruciaux sur la question du christianisme et du salut de l'âme, points dont certains incluent des opinions qu'elle qualifie de "douteuses" c'est-à-dire qu'il "n'est pas légitime de les nier catégoriquement", du fait qu'on ne peut savoir clairement si elles sont ou non incompatibles avec le dogme catholique. Elle les expose avec clarté, humilité et sincérité. Il conviendrita donc d'essayer de les aborder avec les mêmes vertus.
Le point 1 de son exposé, disons le tout de suite, est de ceux qui me persuadent le moins et me posent le plus de problèmes. Il s'agit d'une charge contre le Dieu d'Israël, présenté comme un Dieu guerrier assoiffé de sang, qui s'accompagne aussi d'une critique des prophètes antérieurs à Daniel "souillée de choses atroces". Cette charge s'effectue au nom d'un esprit de douceur et de charité dont les esprits païens (y compris les Egyptiens) auraient été mieux dotés que les Hébreux.
C'est là, soulignons-le, une critique assez habituelle du monothéisme depuis Voltaire et qui emplit l'ambiance néo-païenne de notre époque aussi.
A ce sujet on peut observer ceci. La soif de massacre telle qu'elle se révèle dans divers ouvrages comme le Livre de Josué, n'est pas l'apanage du peuple hébreu à l'époque de la sortie d'Egypte. La stèle de Tel Dan dont on parlait il y a peu montre qu'elle est symétrique de celle de leurs ennemis idolâtres.
Que Dieu laisse s'exprimer cette pulsion dans le livre censé porter sa parole n'est pas en soi le signe qu'il est un Dieu mauvais, mais peut simplement signifier qu'il y a une historicité de la révélation, historicité qui ne fait primer la douceur et la modération sur la violence qu'à partir d'Isaïe (ce qui a peut-être à voir avec l'âge axial de Jaspers, époque où l'individu commence à être simultanément valorisé dans plusieurs civilisations). La question d'ailleurs se pose jusqu'à quel point l'historicité de cette révélation perdure, puisqu'il est dit dans le Nouveau Testament que d'autres vérités seront révélées à la fin des temps (et toute la problématique du modernisme dans l'Eglise tient dans cette question très délicate, qui place toujours l'évolutionnisme à la limite de l'hérésie, puisque l'innovation peut toujours faire la part belle à Satan si elle est menée sans discernement). Le fait que Dieu ne pouvait tout de suite se révéler d'emblée comme un Dieu de douceur à un peuple cerné par des ennemis qui voulaient l'anéantir ne signifie pas qu'il fût particulièrement cruel.
En outre il faut intégrer un paramètres très important à cette dimension "guerrière" du Dieu d'Israël. C'est que derrière la guerre physique il y a une guerre spirituelle. C'est ce que signifie par exemple Rachi de Troyes dans son commentaire du psaume 91, quand il souligne que l'expression "que mille tombent à ton côté et dix mille à ta droite" fait référence à des démons. Et effectivement les découvertes de Qumran ont révélé que ce psaume était employé dans un contexte d'exorcisme. Et divers spécialistes des religions comme Salomon Reinach en son temps ont pu faire observer que dans ce psaume les démons sont aussi désignés sur un mode codé à divers endroits : lorsqu'il s'agit de la flèche qui vole pendant le jour, de la peste qui marche dans les ténèbres... Que la "guerre sainte" de l'Ancien testament ait une dimension méta-naturelle, beaucoup d'exégètes l'ont compris, comme je l'ai montré dans mon livre sur les Nephilim, à partir d'une lecture serrée de Genèse 6:1-4, de ses échos dans l'histoire des Géants en pays de Canaan, et d'un détour par le livre d'Hénoch dont les théories sur les anges déchus, qu'on le veuille ou non, sont bien reprises dans le Nouveau Testament, dans les lettres de Jude et de Pierre, qu'on attribue cela à une influence essénienne ou à autre chose : cela fait partie des Ecritures. Dans cette lecture, la poursuite du génocide (qui a valu à Saül, premier roi d'Israël, de perdre son onction parce qu'il ne l'avait pas prise au sérieux) n'est pas seulement défensive : elle est aussi nécessaire pour purifier la Terre de l'ADN des Nephilim comme le Déluge n'avait pas permis de le faire.
Qu'on suive ou non cette lecture littéraliste jusqu'à ses ultimes conséquences, on ne peut nier qu'il se révèle à travers elle, dans une dissection très minutieuse des versets de la Bible, des dimensions très inattendues de la guerre dans l'Ancien Testament à côté de laquelle Simone Weil, par vanité intellectuelle (parce qu'elle ne suspend pas assez son jugement devant un texte rempli de mystères), passe complètement.
Du coup, la volonté de gommer la guerre dans la religion est à son tour suspecte. Placer la charité au dessus de toute les vertus, peut revenir à désarmer le croyant dans le combat spirituel, et c'est précisément ce que cherche à faire l'Antéchrist avec son idéal de "tolérance".
Certes le sacrifice méthodique de la deuxième personne de la Trinité divine, agneau de Dieu, sous le gouvernement de Ponce Pilate pose aujourd'hui différemment la donne du combat spirituel, et la problématique de l'effacement de la descendance des beni elohim dans le monde matériel, dans la mesure où le sang versé sur la croix rachète tous les péchés si l'on prend part (à divers niveaux) au sacrifice. Pour autant Jésus n'étant pas venu abroger la Torah mais la réaliser (Matthieu 5:17) ni apporter la paix mais le combat (Matthieu 10:34), condamner les principes guerriers de l'Ancien Testament, s'évère extrêmement dangereux. Et d'ailleurs l'Apocalypse porte en lui un grand retour, final, de cet esprit guerrier.
Il est vrai que le combat, implacable contre les démons (les siens et ceux des autres), doit se faire dans la plus grande charité pour les êtres de chair qui nous entourent : ça c'est Saint Paul qui nous le dit (Ephésiens 6:12), car sans charité le coeur se racornit et le courant de la grâce ne passe plus (1 Corinthiens 13:1), mais refuser le combat au nom de la charité conduit clairement à capituler devant Satan. C'est pourquoi d'ailleurs le commandement d'obéissance à Dieu et d'amour de Dieu prime sur celui d'amour du prochain dans le message de Jésus comme dans le décalogue (Matth 22:36-40).
2ème point : "Ce que nous nommons idolâtrie est dans une large mesure une fiction du fanatisme juif" "Baal et Astarté étaient peut-être des figures du Christ et de la Vierge" etc.
On retrouve au point 2 le prolongement des erreurs du point 1. La haine du passé juif de la Révélation aveugle la philosophe au point de voir dans le Christ et la Vierge des répliques du couple Baal-Ishtar/Astarté dont j'ai montré sur la base d'un mémoire Gregory Dean en octobre 2015 ici, comment il reposait sur une dualité violence/magie sexuelle (avec la célèbre hiérodulie décrite par Hérodote), c'est-à-dire à dire en dernière analyse la sorcellerie : la manipulation de forces invisibles émanant de la Terre dont la révélation monothéiste nous a effectivement affranchis. Ironiquement le lien Marie-Astarté tracé par Simone Weil pour valoriser Astarté rejoint la continué Sémiramis-Ishtar-Marie tracée par les protestants pour disqualifier la Sainte Vierge. On ne peut pas nier que cette continuité existe dans l'iconographie, et cela pose problèmes quant aux forces spirituelles sous lesquelles on se place dans l'univers catholique (ce qui a conduit d'ailleurs semble-t-il a diminuer le rôle de la Sainte Vierge dans la messe catholique après Vatican II, comme le rôle des saints avait été réduit après le concile de Trente, grand concile de la contreréforme du XVIIe siècle).
Il y a dans cette tentative de réhabiliter le paganisme une volonté qu'on retrouve chez beaucoup de normaliens catholiques (y compris récemment chez Boutang et quelques autres), de "sauver leur Platon et leur Virgile", conserver quelque chose de la sagesse antique dans la révélation chrétienne - Bourdieu y aurait vu un symptôme de "scholastic view" et de volonté de sauvegarder la valeur d'un capital culturel acquis au prix de lourds sacrifices de jeunesse. Déjà ce mouvement est chez Saint-Augustin et il est dans la Bible : lorsque Saint Paul à Athènes rend hommage au chamane crétois Epimnide (voyez mon billet ici). La question de savoir si les civilisations païennes, y compris d'ailleurs celles qui portent les "sagesses asiatiques" qui maintenant contaminent le christianisme à travers le New Age, étaient sur certains points inspirées par l'Esprit saint avant la Révélation ou en dehors de celle-ci a été examinée par les théologiens pratiquement à chaque génération, et encore de façon éclatante dans une controverse impliquant les jésuites en Sorbonne en 1700.
Comme on va le voir c'est une question très difficile, mais qu'il faut surtout éviter de traiter avec un a priori de départ qui entraîne ensuite des biais d'analyse. Or Simone Weil ne craint ni les a prioris ni les biais qui en dérivent.
Ainsi si dans Colossiens 3:5 St Paul explique que la convoitise est "une idolâtrie", Simone Weil s'en empare pour qualifier d'idolâtre Israël parce que, dit-elle, "la véritable idolâtrie est la convoitise" et il y aurait convoitise dans l'apologie de soi-même comme peuple élu. Mais, tout comme le christianisme ne met pas le commandement de charité envers le prochain au dessus de celui qui impose d'aimer Dieu, jamais Paul n'a érigé la convoitise (qui est un péché envers le prochain) en critère "véritable" de l'idolâtrie. Il a seulement montré que non contente d'atteindre le prochain, cette convoitise vise aussi Dieu et en cela elle est idolâtre. Mais en plaçant une fois de plus la relation avec autrui (comme dans la charité) avant le rapport à Dieu, Weil fait de son christianisme une religion du monde, une religion horizontale, religion de la Terre, dans laquelle la faute envers autrui devient la faute cardinale. On sait d'ailleurs d'où vient ce primat de l'horizontalité, du relationnel humain : de la passion politique, qui a gagné les peuples européens après la révolutionnaires, et qui est devenue idéologiquement hégémonique dans l'humanisme du XXe siècle dont Weil est une des figures de proue (or l'humanisme a été condamné par l'Eglise comme une erreur théologique).
Et parce que cette philosophe place l'horizontalité au dessus de tout, autrui et la Terre comme critère majeur de tout Bien moral, elle pourra ensuite aimer avec fougue le paganisme, et omettre au passage la sorcellerie (celle d'Ishtar que dénonce le Livre de Nahoum dans l'Ancien Testament), émanation par excellence de la Terre (les médiums sont bien placés pour le savoir), qui infeste toute cette religion "naturelle".
Il faut que la Rédemption ait été à l'oeuvre dès le début, sans quoi ce serait injuste pour ceux qui ont précédé Jésus. D'ailleurs dit Weil, il est question de l' "agneau qui a été égorgé depuis la fondation du monde"(Apocalypse 13:1-8)... Sauf qu'on n'est pas sûr que cet agneau dont parle l'Apocalypse à propos du livre de Vie soit Jésus, et ils périlleux de déduire un critère de justice divine d'un raisonnement humain... même s'il est vrai que notre statut potentiel de Fils de Dieu, ayant quelque chose de l'image de Dieu en nous doit permettre à notre Raison de saisir quelque chose de la volonté et de la justice divine (ce que Vico appelait le Vero factum).
Je passe le point 3 qui n'est pas très intéressant pour nous (il repose sur une pure supposition historique). Weil au point 4 essaie de justifier son intuition d'un christianisme "hors les murs" déjà présent chez les païens par la figure de Melchisédech à laquelle j'avais justement consacré un billet en juin dernier (le Melchisédech qui porte le Graal à la cathédrale de Chartres au XIe siècle). "Rien n'interdit la supposition d'un lien entre Melchisédech et les mystères antiques" écrit la philosophe. Weil va très loin : sans citer le verset, mais on comprend qu'il s'agit d'Hébreux 7:3, Paul a pu sous-entendre que ce roi de Salem fut une première Incarnation du Verbe, un premier Jésus, puisqu'il n'a ni commencement ni fin. On sent qu'elle touche là à un très grand mystère. Mais au lieu de séjourner dans cette difficulté, elle en démultiplie la portée en avançant qu'alors Krisna ou Osiris pouvaient aussi avoir été de telles incarnations... Mais alors, aurait-on envie de demander, à quoi bon celle du fils de Joseph dans la maison de David sous le règne de César-Auguste ? Weil glisse vers un de ces christianismes ésotériques comme on en trouve chez Papus ou Saint-Yves d'Alveydre : Jésus incarnation de Dieu parmi d'autres, sage parmi d'autres...
Weil veut en fait couper le christianisme de la descendance de David (ce qui, au passage, ruine toute prétention de la France dont la monarchie se veut davidique à une mission spéciale devant Dieu), pour n'en faire que l'aboutissement des sagesses païennes - parce que "Hestia, Athéna et peut-être Héphaïstos sont des noms du Saint-Esprit, Hestia est le Feu central". Le propos comblerait de joie les alchimistes de tout bord (chrétiens et païens), sauf que cela ramène l'Esprit saint au niveau des stoicheia, ce que Saint Paul condamnerait sans doute... et qui ruine l'idée de sainte trinité... mais c'est cohérent avec ce que nous disions plus haut de la volonté de Weil de ramener la transcendance au niveau de la Terre...
Du coup, si l'Esprit saint est l'Esprit du feu, la Sainte Vierge qui était déjà Ishtar peut être l'essence mère de toutes choses et toujours intacte comme Déméter de Platon (sous un angle gnostique). Et ainsi, on peut se livrer à la construction autour de Pythagore et des Stoïciens d'une spiritualité de l'amour complètement affranchie de l'eschatologie judaïque pour n'être plus qu'une répétition cyclique des "feux de la charité" en quelque sorte, susceptible de se nourrir de n'importe quelle tradition polythéiste. La remarque n'est pas absurde. On sent bien que la caritas (charité) est un feu qui effectivement produit des effets de réchauffement voire de guérison dans le réel, et même qu'il n'est peut-être pas étranger, quand il brûle dans nos poitrines, au feu (inférieur) des stoïcheia (astrologiques et terrestres) : il y a peut-être un rapport à étudier sérieusement à ce niveau là, mais le travail chez la philosophe n'est pas fait. Quand aux propos de Simone Weil sur les sacrements comme rites initiatiques hérités de mystères antiques ils rejoignent d'ailleurs les analyses de CG Jung sur la messe comme rituel alchimique, et peut-être des travaux d'historiens qui vont relier le calendrier juif à celui de Babylone.
Du point de vue de la critique historique, la généalogie n'est pas fausse. Mais du point de vue spirituel le résultat n'est pas du tout le même. Et à trop insister sur la grandeur païenne on ne peut qu'aboutir à un processus régressif qu'on constate d'ailleurs de nos jours dans lequel la révélation chrétienne (comme ses antécédents juifs d'ailleurs) serait totalement superfétatoire.
D'ailleurs ce caractère superfétatoire de la révélation chrétienne, Simone Weil le proclame au point 8 quand elle explique que, puisqu'une citation d'Eschyle montre que les Grecs entrevoyaient la trinité ("auprès de Zeus se tiennent son acte et sa parole" - personnellement je ne vois pas du tout le rapport avec la Trinité mais bon...), elle va jusqu'à lancer que les missions chrétiennes dans les colonies étaient "inutiles" (sic)... Au point suivant elle précise que Pierre n'a pu s'engager à convertir un païen qu'après un rêve spécifique, ce qui prouverait que l'injonction de Jésus d'aller convertir les païens n'était pas claire : ce faisant Weil révèle sa complète incompréhension de l'essence de la collaboration avec Dieu, qui est justement d'attendre le rêve, le signe etc pour connaître le moment opportun et le modus operandi à suivre pour l'exécution de la mission préalablement définie en des termes généraux par le maître. Son aveuglement sur ce point en dit long sur sa faiblesse spirituelle.
Ensuite il y a le versant le plus facile des "questions" qu'elle prétend adresser au christianisme. Celui du procès des crimes de l'Eglise ("L'Eglise a porté trop de fruits mauvais pour qu'il n'y ait pas eu une erreur au départ" qui devient carrément ridicule quand elle affirme que "le christianisme n'est pratiquement pas sorti de la race blanche") : l'Afrique actuelle, les Antilles, et les 15 % de Chinois chrétiens témoignent du contraire...
Je n'ai pas été très impressionné par les passages de Weil sur les miracles qui n'ajoutent rien à ce que tout le monde dit. Plus intrigué par son analyse du rapport du christianisme à l'Empire romain. Elle cite la lettre de l'évêque Mélito (Méliton de Sardes) à Marc-Aurèle, citée par Eusèbe qui dit "Notre philosophie a eu son développement d'abord chez les barbares mais sa floraison parmi tes peuples sous règne d'Auguste" puis "la meilleure preuve que notre logos a grandi en même temps que le beau commencement de l'empire pour le bien, c'est qu'il n'a subi nulle humiliation de l'autorité d'Auguste, mais au contraire toute splendeur et toute gloire conformément aux voeux de tous". La philosophe se demande si ça ne fait pas référence à l'enfance de Jésus, une protection par Auguste hors de Palestine. Son inventaire des contradictions dans l'attitude des Romains païens à l'égard du christianisme, et ses interrogations sur l'utilité que cette religion a pu présenter pour les intérêts les plus matérialistes des Romains peuvent aussi éveiller notre curiosité.
Mais au total l'impression qui prédomine est quand même que Simone Weil, tout en mettant le doigt sur une vraie question, difficile, celle du rapport du christianisme aux sagesses païennes, s'est laissée allée à des provocations intellectuelles assez gratuites là où un examen plus attentif des Ecritures, notamment de l'Ancien Testament et de l'eschatologie messianique, aurait dû prédominer. Elle a un argument fort quand elle avance que les mystiques ont souvent utilisé la religion catholique comme porte vers la transcendance plutôt que comme une collection de dogmes auxquels il faut adhérer (et l'idée qu'on ne peut forcer l'intelligence à n'adhérer à rien, tout ce qu'on peut forcer, c'est le respect, et la religion servirait surtout à cela). Certaines bizarreries comme l'indulgence du Padre Pio pour Mme Bouvier, ou l'image d'une Bernadette Soubirous se barbouillant le visage de boue iraient dans ce sens (voyez aussi mon propos sur la soeur de Boujailles). Alors on ne serait pas loin de l'idée d'un Guénon et d'autres : la religion primordiale (dont la sorcellerie ne serait qu'une forme abâtardie ou une déviation) primerait sur les monothéismes... religion primordiale, et donc culte de la déesse-mère - ou de Lilith ?
Si l'on suit ce chemin là, alors il faut aller jusqu'au bout. Demander si les mystiques iraient jusqu'à renier l'ascendance davidique pour faire primer celle des druides - mais alors pourquoi beaucoup ont-ils vu le Grand Monarque français dans leur anticipation de la fin des temps -. Et si Zeus vaut Yahvé, pourquoi n'ont-ils pas vu Athèna et Arès dans leurs apparitions ?
Ce texte en dit trop ou pas assez. Parfois il vaut mieux ne rien écrire plutôt que de s'aventurer à tenir des propos "expérimentaux" qui n'engagent qu'une subjectivité dérisoire. Dans la version qui nous est parvenue, il penche clairement vers cette dernière, et ne peut être, me semble-t-il, que relégué au cabinet des curiosités, comme les aphorismes de Nietzsche, le travail intellectuel et spirituel sur les sujets abordés n'étant au fond ni fait ni à faire.
Quand L'Humanité faisait l'éloge d'Arthur Avalon et de la déesse-mère
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J'ai déjà rappelé ici que le socialisme révolutionnaire de Pierre Leroux et des saint-simoniens était très attaché à la figure de la déesse-mère. On oublie aussi souvent qu'un grand alchimiste, Jollivet-Castellot, fut un des fondateurs du Parti communiste français (et l'on sait le lien entre l'alchimie et la Terre-mère, Gaïa). On est là dans la tradition maçonnique (et médiumnique) du Nord-Pas-de-Calais (cf Facon).
On ne devrait donc peut-être pas être si surpris que cela de lire dans le célèbre journal communiste français L'Humanité du 3 février 1924, sous la plume de Maurice Parijanine (Maurice Donzel), journal pourtant en théorie principalement inspiré par le matérialisme dialectique de Marx, un éloge d'un poème d'Arthur Avalon dédié à la "Mère des Védas" et "Reine des Serpents". "Le culte de la mère, observe Parijine est très ancien, il appartenait déjà a la civilisation méditerranéenne la plus reculée" pour que ses lecteurs ne réduisent pas cela à une bizarrerie indienne. Puis il ajoute à l'intention des admirateurs de Lénine : "Nous avons encore beaucoup à apprendre de l'Asie. Certains révolutionnaires russes ont dit de leur pays qu'il est une Eurasie, une alliance foncière des deux continents. Il y a du vrai là dedans ; et, si nous persistons dans notre décadence occidentale, il se pourrait bien que le foyer de la civilisation dérivât lentement à l'opposé du soleil, vers les sources primitives des générations. Des poètes s'écrient l'Europe n'est plus. L'Asie seule contient l'avenir dans ses vallées sécrètes. Pour nous, engagés dans une lutte quotidienne, ces prévisions à lointaine portée ne semblent avoir qu'un intérêt relatif. Cependant, nous pouvons déjà compléter notre culture, rendre notre pensée largement humaine par l'observation des Orientaux. Des spécialistes nous ouvrent le trésor de leurs antiquités. Des écrivains d'envergure mondiale, tels que Romain Rolland et Rabindranath Tagore nous révèlent la conscience d'une Asie toute moderne. Entre les deux extrémités des temps connus, nous discernerons des traditions fécondes et notre désir d'Universalité spirituelle pourra s'assouvir". On est là encore assez proche de l'indophilie de Pierre Leroux, et pas très loin de sa religion de l'humanité, antichambre de la religion unique mondiale qui se met en place sous nos yeux.
Arthur Avalon (Sir John George Woodroffe), dans la Puissance du Serpent (The Serpent Power), fut le premier à mettre à la sauce occidentale de la Théosophie les chakras et la kundalini comme réalités énergétiques tangibles qu'il avait expérimentées dans le tantrisme indien.
Bien sûr Parijanine, s'il est en un sens représentatif d'un certain courant de la gauche révolutionnaire française, ne l'est probablement pas de l'ensemble du mouvement communiste. Traducteur de Trotsky il rejoignait cette dissidence à la fin des années 1920 et en 1929 polémiquait contre l' "écrivain officiel" (et membre de la fraternité des Veilleurs de Schwaller de Lubicz) Henri Barbusse. Son rapport à Avalon est peut-être inspiré de son propre vécu : il s'était en effet imprégné des campagnes russes entre 1917 et 1920 qui ont peut-être gardé à l'époque quelque choses du chamanisme initial, comme le shivaïsme.
Pour autant son goût pour la Terre-mère ne relève pas de l'idiosyncrasie, et d'ailleurs même si cela avait été le cas, le statut de chroniqueur littéraire qu'eut Parijanine à l'Humanité de 1923 à 1928 donnait une portée importante à ses particularités. On voit qu'il rattache le travail d'Avalon à celui de Romain Rolland, célèbre pacifiste socialiste, qui diffusa en Occident la pensée de Rabindranath Tagore et de Gandhi... On peut penser aussi au surréalisme qui avait aussi à l'époque le regard porté vers l'Orient. Tous ces courants convergeaient pour élargir les brèches antichrétiennes ouvertes par Mme Blavatsky et qui allaient trouver un boulevard à leur service dans le New Age. Et cela ressort à nouveau aujourd'hui, à la faveur du succès des thématiques écologistes (elles-mêmes très soutenues au sein de l'ONU par des sectes new age dans les années 1990) aussi bien à travers les "unes" que L'Humanité Dimanche consacre à des sorciers ou que des clins d'oeil à la santeria cubaine d'un Jean Ortiz.
Les charismes de la fin des temps
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Les chrétiens savent qu'à la fin des temps des dons spéciaux seront donnés, notamment en matière de connaissance (voir par exemple Daniel 12:4). Les musulmans ont la même conviction.
Le cheikh Nurjan Mirahmadi, professeur à Vancouver (Canada) de spiritualité soufie musulmane, enseigne les sciences spirituelles de l'islam classique, y compris la méditation ( tafakkur ), les points d'énergie subtils ( lata'if ), la guérison islamique, les secrets des lettres et des chiffres ( ilm huroof ), la discipline de soi ( tarbiyya ) et le processus d'autoréalisation ( ma'arifat ). Dans cette conférence de juillet 2021, il évoque les dons de la fin des temps à partir de cette histoire d'un comme qu'il surnomme "Muhammad Argentini" :
"Il était en Argentine, raconte-t-il, et il s'intéressait au soufisme. C'était avant même de rencontrer les cheikhs, car ce sont des prédestinations anciennes. Vous voulez rencontrer le cheikh mais n'est pas vous qui voulez rencontrer le cheikh, c'est Allah (AJ) qui met cela dans votre cœur, d'ailler trouver votre cheikh. Donc c'est déjà préécrit, ce n'est pas votre intelligence ou mon intelligence que nous avons trouvé de cette façon, Allah (AJ) l'a écrit pour nous que, 'Vous seriez sur ce turuq (chemins spirituels),' et c'est pourquoi nous disons que c'est un grand ni'mat (grâce) et une grande bénédiction d'être sur ce turuq. Muhammad Argentini était en Argentine et il entrait dans son cœur d'adhérer à l'islam, et il allait partout en essayant de trouver, 'Où vais-je aller à l'islam et je sens que je veux être parmi les soufis.' Il n'y avait pas de soufis à cette époque et il allait dans différents endroits et il est allé dans un bureau politique d'un groupe du Moyen-Orient, nous en resterons là. Et je ne peux pas pas trop m'étendre là-dessus mais il est allé et ces gens étaient bizarres, ils agissaient très bizarrement, ils prétendaient être musulmans, ils avaient toutes sortes de pratiques étranges, une énergie bizarre. Jusqu'à une fois, il est entré dans une pièce avec deux individus et leur réalité spirituelle est ressortie et elle était démoniaque. A ce moment-là, il a senti leur énergie démoniaque l'attraper, elle allait lui faire du mal. Il a dit : 'A ce moment-là…' plus tard, parce qu'il est venu et a finalement trouvé un centre à Los Angeles – notre centre et il est venu et a raconte son histoire et nous l'avons emmené à Mawlana (Q) et il a décrit l'histoire et il a dit : « C'est vrai. À ce moment-là, dit-il, "je n'avais rencontré personne mais j'étais attaqué et dès que j'étais attaqué, j'ai pensé que ces gens allaient me faire beaucoup de mal". Il a ajouté : « Alors deux cheikhs sont apparus dans ma vision et j'ai vu les cheikhs dans les airs. Dès qu'ils sont apparus, je me suis mis à parler parfaitement l'arabe. Il n'avait pas de formation arabe, il essayait de se convertir à l'islam. " Dès qu'ils sont apparus, j'ai commencé à réciter dans un arabe parfait et comme je récitais, mon énergie a saisi les djins qui l'attaquaient, les a soulevés et les a étouffés, sans les mains, juste sa capacité en arabe qui récitait et commençait à étouffer ces djins rien que par son énergie spirituelle. Lors un des deux cheikhs a dit: "Tu n'as pas de permission, Muhammad les libère." Et il les a lâchés et il est sorti en courant. Il a dit : 'A partir de ce moment, ils ne sont plus apparus. Ils ne sont apparus qu'à cet instant et j'ai couru mais j'ai su à ce moment-là que c'était quelque chose dont Dieu voulait que je fasse l'expérience.' Et il a pris son chemin pour retrouver les cheikhs, il a fini par se retrouver à Los Angeles, il a fini dans notre centre à Los Angeles et il a commencé à nous raconter cette histoire. Et j'ai dit: "Wow deux Cheikhs. D'accord, laissez-moi vous montrer les photos de nos Cheikhs, ceux de notre confrérie. J'ai vu la photo, 'Ce sont les Cheikhs, ce sont les Cheikhs !' Et il était tellement excité, a raconté l'histoire à tout le monde, puis nous l'avons emmené au centre de méditation à Mawlana (Q) à San Francisco, il a décrit l'histoire à tout le monde là-bas et c'était donc l'histoire de cet événement. Ainsi, Allah (AJ) peut soutenir n'importe qui quand Allah (AJ) le veut. Alors, ça peut être extra-ordinaire ou ordinaire, et le plus courant est de le pratiquer. Mettez de la discipline mettre en pratique votre spiritualité, accomplir ces pratiques, de les faire de sorte que lorsqu'un jour de pluie arrive, vous soyez prêt, et Allah (AJ) actionne l'interrupteur pour vous transmettre son énergie. Comment et de quelle manière les choses se produiront, vous ne pouvez l'imaginer. Nous avons dit que nous avons même eu des gens qui sont venus nous dire que la formation commençait. Alors, ils sont venus voir une de ces personnes et ils l'ont formé. Lorsque le cheikh a parlé des jours difficiles et de la nourriture, la personne avait une préoccupation particulière : "Comment vais-je avoir de la nourriture alors que les choses deviennent horribles." Puis dans un mélange de rêve et de visions ils ont eu des entités qui leur ont donné la réponse : "Ne t'inquiéte pas, du royaume des djinns (êtres invisibles), nous viendrons te montrer notre chemin." Ensuite, ils ont montré qu'ils prenaient un 'asaa (canne) qui n'avait pas d'embout à l'extrémité, ils ont dit: 'Tu plantes ce bâton dans le sol et tu commences à réciter ce que nous te disons de réciter et le lendemain matin, la nourriture dont tu auras besoin apparaîtra naturellement, tout ce qui vient d'Allah (AJ) (...) Nous raisonnons en termes de causes et d'effets mais dans les jours de la fin, il ne s'agira plus de causes et d'effets. Tout sera selon la volonté d'Allah. Ca ne sera plus tu fais ceci tu auras cela. Lorsque le Dajjal (l'Antéchrist) sera en mouvement, Allah tournera le bouton et le royaume des cieux sera enclenché"
Jacqueline Kelen et la spiritualité hérétique solitaire
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Je parcourais tout à l'heure "Sois comme un roi de ton coeur" de Jacqueline Kelen. J'essaie de m'intéresser à cet auteur ("cette autrice") parce que je veux toujours plus comprendre ce qui m'est arrivé en 2015 avec Ste Marie Madeleine (voyez mon livre sur les médiums), or elle a beaucoup écrit sur cette figure du christianisme. Mais j'avoue ne pas être à l'aise du tout dans la pensée de cette ex-productrice de France Culture. Elle a une âme profondément platonicienne (par nature très étrangère au monde, de sorte que la "sortie du monde" ne lui demande aucun effort), et visiblement très éclectique, et pour tout dire, hérétique. Elle aime tout : Victor Hugo, Fellini, Lewis Carroll... On peut me reprocher d'être très dogmatique, et j'essaie de lutter contre cette tendance, notamment par l'humilité et le silence. Mais quand des gens qui prétendent "témoigner de leur spiritualité" ouvrent grandes les portes du n'importe quoi, je peine à retenir mes mots. En page 75, elle cite Madame Guyon apparemment sans se soucier des aberrations dans lesquelles tomba cette mystique, qui alla jusqu'à se prendre pour la Femme de l'Apocalypse, ce qui attira tant de problèmes à Fénelon qui l'avait défendue (voyez notre billet ici). Quand on est solitaire mais entourée de micros prêts à faire la promotion de vos livres comme l'est cette Mme Kelen, on n'a peut-être pas peur d'entraîner avec soi des âmes vers des terrains marécageux. Mais je ne suis pas sûr que cette désinvolture décrochera quelque indulgence finale au jour du Jugement. "Ses nombreux péchés lui sont pardonnés, parce qu’elle a beaucoup aimé". A notre époque où l'amour est devenu l'alibi de toutes les complaisances et de toutes les trahisons, je doute que les âmes soient jugées à cette aune. Les lecteurs de Mme Kelen devraient prendre le temps d'y songer.
Passage chez les Antoinistes
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Le médium Reynald Roussel ayant dit sur YouTube récemment qu’il allait de temps en temps se recueillir chez les antoinistes (une "Eglise parallèle" de guérisseurs), cela m’a rappelé que Régis Dericquebourg, le préfacier de mon avant-dernier livre, avait enquêté sur leur compte. J’ai alors songé que pourrais peut-être moi aussi, leur rendre visite, et par exemple, puisque c’est une Eglise de guérison, leur soumettre une vieille tendinite que je traîne depuis des années. Je sais après mes expériences chez les médiums que ce genre d’aventure n’est jamais complètement « gratuit », il peut avoir des conséquences graves parfois, mais je n’aime pas vivre dans la peur, et puis j’ai tenté après tout des choses tout aussi périlleuses en février dernier lorsque je suis retourné voir en Béarn une magnétiseuse étrange qui avait été initiée chez les Tziganes…
J’ai donc saisi l’occasion de ma pause déjeuner pour me rendre en bus à l’église antoiniste de ma ville, qui se trouve dans un quartier un peu excentré.
Au bout d’une demi-heure, j’étais aux abords d’un bâtisse des années 1930 ou 50. L’affiche à l’entrée indiquait généreusement que l’église était ouverte tout le temps. Je pousse la porte, elle est fermée à clé. Un mot écrit en petit indique de sonner si tel est le cas. Je sonne. Au bout de deux minutes une voix féminine me répond : « C’est pourquoi ? » « Pour une guérison », dis-je. « Vous êtes qui vous ? » ajouta la voix désagréable comme une employée de la Sécurité sociale. « Je croyais que l’Eglise est ouverte à tout le monde » dis-je. « - Oui, c’est vrai mais je ne vous vois pas bien à la caméra. Pouvez-vous reculer svp ?
Bon, je vous ouvre, mais ça va prendre 5 minutes le temps que j’arrive. »
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Enfin la voix ouvrit. C’était une petite dame sexagénaire, au cheveux assez courts frisés. Plus aimable qu’à travers l’interphone, elle me dit « entrez frère », puis commença à m’expliquer : « J’habite dans la partie arrière du temple. Je suis officiante avec mon mari. On peut dire bonne sœur. Vous venez pour quoi ? une prière ? Attendez je vais mettre ma tenue d’officiante. Entrez là en attendant, voici un dépliant que vous pouvez lire. C’est la première fois que vous venez ? La salle de prière est là à gauche. Et là à droite il y a les deux pièces où l’on reçoit les gens ». J’entre donc seul dans la partie gauche où je suis censé me recueillir. Cela ressemble à un temple protestant. En style dépouillé. Il y a au mur un portrait du père Antoine, le fondateur du mouvement dans les années 1900, portrait un peu gauche, et un de sa femme, ainsi que des écriteaux dont j’ai oublié le contenu. Au bout de quelques minutes, la dame ouvre la porte. Elle est vêtue de noir avec une coiffe sombre. Elle me présente son mari qui revient des courses, du même âge qu’elle, enrobé, qui me dit deux mots de leur « culte ». Il me dit qu’ils acceptent toutes les religions. « Nous ne sommes pas une secte » ajoute-t-il. « Oui, dis-je, c’est bien spécifié sur Wikipedia, la Mivilude ne vous classe pas parmi les sectes ». « Oui, surenchérit-il, tout le monde est libre de faire ce qu’il veut ici, on ne demande rien. Mais attention à Internet, il y a à boire et à manger sur ce qu’ils disent sur nous. Donc, oui, on accepte tout le monde. On reconnaît que chaque prophète a été utile à son époque : Moïse, Jésus, Antoine pour notre époque ». « - Il était médium, non ? » « Oui, au début » insiste-t-il comme pour laisser entendre que son envergure avait dépassé celle d’un médium par la suite. « Vous croyez que Jésus est ressuscité ? » demandé-je à tout hasard. L’homme est embarrassé. « Qu’il est ressuscité… heum… non, enfin chacun croit ce qu’il veut, mais nous pensons que c’est un prophète" "- Vous pensez que c'est un prophète comme les Musulmans" fis-je. Il ne relève pas et reprend "Un prophète qui a aidé l’humanité à avancer à son époque, comme Moïse avant lui. D’ailleurs il n’a pas renié Moïse n’est ce pas. Après chaque époque a cru sur lui ce qui lui était nécessaire. Et puis tout le monde évolue. L’Eglise catholique elle-même aussi non ? » « Oui, et pas toujours en bien » dis-je (évidemment je situais parfaitement le propos de mon interlocuteur qui du point de vue chrétien est antéchristique, puisque selon a Bible est Antéchrist quiconque ne croit pas que Jésus est ressuscité, et cela rappelle l’évolutionnisme du Dr Rozier (voyez mon billet de 2017 là dessus).
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La dame parut embarrassée de nous voir disserter de la sorte : "Oh ! moi pour un premier échange je ne dis jamais tout ça. Je suis plus terre à terre, plus pratique. Venez dans la pièce d'accueil (je ne sais plus comment elle appelait cette pièce) vous verrez les questions théoriques plus tard." On se retrouve dans une petite pièce avec là encore des portraits, des écriteaux. La dame fait préciser ce que je veux soigner. Je lui demande si je peux demander pour deux choses. Elle me répond "oh tout ce que vous voulez, vous pouvez même demander de gagner au loto. De toute façon le Père Antoine vous a pris dans son amour à partir du moment où vous avez franchi cette porte, maintenant vous allez voir il va se produire des choses étonnantes vous allez vois. Il y a une dame récemment qui est venue pour un cancer. Dans la foulée tout s'est combiné pour que ses rendez vous médicaux soient annulés et que tout s'arrange." Elle m'explique : "Je vais prier à voix haute. Mon mari, le frère officiant lui ne parle pas, mais moi je parle.
L'Eglise tient à l'anonymat pour que tout le monde se sente libre. Elle me demande quand même comment je les ai connus, ce qui me conduit à parler de mon livre sur les médiums.
Cela ne la fait pas réagir plus que cela. Elle me demande si je viens loin. Je dis le nom de mon quartier. Elle ne le connaît pas. Cela ne fait pas longtemps que le couple vit dans ma ville. Et l'église n'est ouverte en permanence que depuis juillet. Avant la dame a vécu à Auxerre, à Paris, à Valras, et même, toute petite, à Eaux Bonnes en Béarn. Elle a été comptable pour le magazine l'Express. "Vous avez été catholique ?" allais-je lui demander. "Oui" "- Vous avez donc quitté cette Eglise ?" "Non je ne l'ai pas quittée, je le suis encore différemment" allait-elle répondre. Chez les antoinistes on assume toujours le passé tout en le dépassant.
Mais pour l'heure elle fait la prière. Elle a dû briser un morceau d'anonymat en me demandant mon prénom. Donc devant la photo du fondateur elle dit "Voilà Christophe, qui n'est pas venu par hasard puisqu'il a cherché cette Eglise". Elle expose mon problème de tendinite. Puis termine sa prière avec "qu'il lui soit donné selon sa foi et son mérite". A la fin elle se tourne vers moi elle me dit : "Vous devriez aller voir une posturologue, pas une podologue, une posturologue. Comme on ne se connaît pas je ne peux pas vous en conseiller mais parmi les gens qui fréquentent le temple il y en a qui ont eu recours à ça". "C'est un message intérieur que vous avez reçu ?" demandé-je. "Je ne sais pas si l'on peut appeler ça comme ça, fait-elle, disons que ça m'est venu pendant la prière". Et comme elle a été aussi intuitive en songeant que j'avais peut être une jambe un peu plus courte que l'autre, elle ajoute "oh mais ici il n'est pas question de voyance, j'ai pensé à ça c'est tout".
Puis elle va me dire un mot sur leur Eglise devant une photo où l'on voit tous les temples de France (une trentaine peut-être). Leurs cérémonies, leurs prières. Il y a sept ou huit personnes qui y viennent régulièrement. Cela sent la religion sur le déclin. La dame, qui s'appelle Gabrielle je crois, dit qu'il n'y a pas assez de célébrants pour maintenir les temples ouverts. Comme j'ai demandé sur quoi portaient leurs lectures le dimanche, elle me montre deux livres noirs et un vert. Le vert est en vente. C'est la biographie "romancée" (précise-t-elle) du fondateur (ce culte de la personnalité fait vraiment penser au Cercle de Bruno Gröning. Les deux noirs sont les écrits du Père Antoine. Ils ne se vendent pas, mais les gens peuvent les avoir chez eux quand ils "montent" spirituellement en s'étant bien imprégné de l'esprit de leur Eglise. Voilà, elle me conseille de passer encore deux minutes en recueillement dans leur grande salle pour augmenter les chances de guérison. Elle insiste beaucoup sur leurs prochaines réunion de lecture, il y en a une ce soir si je veux. Trois ou quatre fois elle aura fait remarquer qu'on pouvait faire des dons mais que ce n'était pas obligatoire, qu'on était libre, même si enfin il fallait bien que l'Eglise vive, mais bon, de toute façon ils ne veulent rien savoir, tout est anonyme, donc soit on glisse dans la boîte aux lettres, mais ce n'est pas obligatoire.
Je suis parti en glissant discrètement 10 euros. Pas sûr que j'y retourne, sauf si ma curiosité de sociologue me poussait à vouloir en savoir plus sur les gens qui assistent aux lectures et aux "opérations" comme ils appellent leurs cérémonies dominicales. La tendinite est toujours sensible. Mais personne ne m'avait promis que je pourrais "gambader tout de suite comme un lapin" pour reprendre les mots de la dame.
Les enthéogènes
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On parle beaucoup depuis quelque temps de l'ayahuasca qui est un enthéogène, c'est à dire une substance (illégale en France, mais d'usage courant en Amazonie) qui provoque des états modifiés de conscience de nature à mettre en contact avec des entités de l'au-delà, dont les effets ont été étudiés de façon expérimentale dans les années 1990 par le psychiatre Rick Strassman et qui a même sa propre église, fortement soutenue par une des membres du clan Bronfman qui, en Amérique du Nord, s'est par ailleurs distingué par son rôle au service de la secte sexuel NXIVM.
Le dossier des entheogènes est très fourni. Pour l'heure je n'en traiterai qu'un aspect qui est un livre d'anthropologie écrit en anglais que j'avais lu en version espagnole du temps où je vivais à Madrid, en 1994 : "Persephone's Quest: Entheogens and the Origins of Religion", de Robert Gordon Wasson, Carl A.P. Ruck, Stella A. Kramrisch.
R. Gordon Wasson journaliste du Herald Tribune s'est consacré à partir de 1927 avec son épouse russe le docteur Valentina Pavlovna à l'étude du rôle des champignons dans la culture. Il étudia à partir des années 1950 les enthéogènes de la région d'Oaxaca au Mexique, puis en 1963 avec Roger Heim, directeur du Muséum d'Histoire naturelle de Paris ceux du peuple kuma en Nouvelle Guinée, et en 1968 le putka en Inde (le soma des indo-européens).
Il a identifié avec l'indianiste Stella Kramrisch, le soma indo-européen bu par les brahmanes comme provenant de l'amanite tue-mouche (amanita muscaria). Puis il a estimé que l'utilisation du claviceps purpurea (ergo du seigle) avec du paspalum distichum (paspale distique) a pu jouer un rôle dans les mystère d'Eleusis en Grèce. En août 1953 il put vérifier l’acuité des prévisions que donnaient les enthéogènes auprès d'un chamane mexicain.
En France des dictons relient les truffes aux tonnerre qui aide à les faire pousser, de même Pline l'Ancien à propos des tuber (truffes et terfezia), Plutarque dit la même chose de l'hydnon, équivalent du tuber, ainsi qu'Athénée (dans ses Deipnosophistes) de son équivalent thrace, l'oiton. Dans l'est de la France on dit même que les bolets prolifèrent où tombe la foudre. Dans le piémont aujourd'hui, le lactaire sanguin est appelé champignon-tonnerre. Chez les Bédouins (p.107) les banaturrad, "filles du tonerre" qui se ramassent après les orages diluviens pourraient être les Helianthemum lippii (terfezia). On a là donc l'idée que le champignon peut faire système avec le tonnerre, et je vous renvoie là dessus au très intéressant cours de Gene Kim du 15 janvier dernier (en anglais) sur l'électricité dans la Bible : ici sur You Tube.
Je ne développerai pas les autres aspects intéressants de cet ouvrage collectif et me contenterai pour l'instant de terminer sur cette observation : une des nombreuses preuves du fait que ces enthéogènes ne sont pas de simples hallucinogènes mais bien des entheogènes qui font rencontrer des entités clairvoyantes se trouve en p. 37 de la version espagnole du livre. Le samedi 15 août 1953 au soir, à Huautla de Jimenez village de l'État de Oaxaca au Mexique, Wasson se trouve en présence de l'anthropologue Roberto Weitlaner à discuter avec le boucher borgne-chamane Aurelio Carreras. Carreras a fourni des champignons enthéogènes. Soudain, Weitlaner demande au chamane s'il veut bien l'aider. Le chamane hésite puis leur donne rendez-vous à 9 heures. Pendant la nuit il mange lentement les champignons sans incantation, puis parle (en mazatèque) dès que les champignons "parlent" en lui. Wasson et son épouse disent qu'ils veulent avoir des nouvelles de leur fils Pierre, 18 ans, qui n'est pas entré en contact avec eux depuis plusieurs jours. Le chamane Carreras leur demande où il se trouve. Ils répondent qu'il est près de Boston. Au début le chamane a du mal à le localiser car c'est pour lui une ville grande et étrange. Au bout d'un moment il dit : Peter est vivant mais "ils" essaient de l'envoyer à la guerre. Après une heure de silence il dit que Peter est chez lui à New York, que ses pensées sont avec ses parents jusqu'aux larmes. Vers 1h45 le chamane annonce à Wasson qu'un de ses parents sera gravement malade pendant l'année.
A leur retour les Wasson trouvent dans leur appartement à New York les restes d'une fête dont Peter put confirmer qu'il l'avait bien organisée là le 15 août au soir (alors que les Wasson le croyaient encore à Boston), ce que les factures des repas confirmaient. Ils n'avaient pas trop cru le chamane qui avait parlé d'un appel à la guerre car le jeune à 17 ans avait déjà fait son service militaire dans la garde nationale ce qui devait l'exempter de tout autre enrôlement. Mais, le 3 octobre, l'ethnologue recevait, à Genève, un télégramme de son fils lui annonçant qu'il s'engageait pour trois ans dans l'armée suite à une crise affective (une histoire de coeur) qui avait culminé quand ses parents avaient été au Mexique (ces pensées jusqu'aux larmes vues par le chamane) mais dont il ne leur avait rien dit. Enfin, en janvier 1954 un cousin de Wasson (qui n'avait qu'une famille très réduite car la génération précédente était morte), mourut d'une crise cardiaque alors qu'il était en pleine forme. Wasson y a vu la preuve que lorsque les champignons avaient "parlé", ils avaient fait bien autre chose que simplement provoquer une hallucination ou révéler une invention de la psyché du chamane.
Je précise que, de mon point de vue, ces entités, comme celles qui parlent aux voyants dans les taros (j'en ai parlé dans mon livre sur les médiums), ne connaissent pas l'avenir mais embrigadent dans des pactes ceux qui ne prennent pas de distances à l'égard de ce qu'ils annoncent. Mais cette anecdote, avec ses éléments de vérification externe, montre bien en tout cas que des entités s'exprimaient là, et non pas la psyché d'Aurelio Carreras.
"Mystique et Magie" de Jean-Gaston Bardet
"Ne t'arrête pas de hurler sur le cadavre du genre humain que tu vois s'en aller vers des malheurs si grands que la langue ne peut les décrire" (Ste Catherine de Sienne, Le Livre des dialogues, CVII)
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Un lecteur de ce blog que j'interrogeais il y a peu à propos de la numérologie et des heures miroirs m'a conseillé la lecture de Jean-Gaston Bardet (1907-1989), architecte urbaniste qui étudia avec le docteur Alphonse Gay (un clinicien enseignant à la Faculté catholique) le fonctionnement des mystiques chrétiens mais aussi publia divers ouvrages sur la spiritualité (ce qui lui valut de devenir un conseiller du pape Jean XXIII). Je me suis procuré Mystique et magies, paru chez Trédaniel, 1972 puis réédité deux fois, et me suis décidé à le commenter sur ce site, particulièrement parce que cet ouvrage s'intéresse de très près à la problématique du double spirituel, que j'ai un peu abordée dans mon essai sur les médiums de 2017 et qui a pris une importance certaine dans mon expérience personnelle depuis lors. J'essaierai de présenter ici pas à pas le contenu de ce livre, tout en m'excusant auprès des lecteurs pour mes maladresses, mes approximations, et mon ingénuité, car je suis tout à fait Béotien dans les sujets que je vais exposer ici.
Le livre commence, en introduction, par cette problématique du dédoublement. Il en est de deux sortes, nous dit l'auteur : il y a la sortie du corps naturelle dans l'espace et le temps, auquel on peut parvenir dans des rites initiatiques ou par la consommation d'enthéogènes - ça, cela relève de la magie ; et puis il y a l'extase surnaturelle hors du continuum espace-temps, et cela, ça relève de l'expérience mystique.
D'emblée il annonce qu'il ne pourra pas examiner ces deux aspects de la sortie du corps sans avoir examiné la problématique de l'alphabet hébraïque, parce que "chacun sait, écrit-il p. 20, que la plupart des formules ou pantacles magiques (même si on les donne sous couvert de celtisme) renferment des expressions et des lettres hébraïques".
Qu'il me soit permis d'ouvrir une parenthèse ici. Je me souviens que Maurice Caillet, franc-maçon repenti converti au catholicisme, avait un jour dans une conférence témoigné qu'une femme avait été prise d'un malaise dans le cadre d'un cours lorsque l'orateur avait écrit des lettres hébraïques au tableau, ce dont ce dernier s'était excusé ensuite car il s'agissait effectivement des lettres d'un mot magique. Depuis lors, je suis tout à fait convaincu de la puissance des lettres hébraïques, et cette vidéo dans laquelle le rav Menahem Berros (dont on a déjà croisé le nom sur ce blog) raconte comment il a pu réaliser un exorcisme à partir d'une spéculation sur les lettres hébraïques finira, je pense, de vous en persuader...
Suit dans cette introduction une thèse un peu compliquée sur le fait que l'alphabet hébraïque n'est pas purement consonantique (sans quoi le tétragramme YHWH serait imprononçable), ce dont les Juifs eux-mêmes ont perdu le sens à partir de la codification d'Esdras (au IVe s av JC), avec notamment la perte du fait que dans le tétragramme, le vav porte aussi le "o" qui ouvre la voie à l'incarnation de Dieu. "La signification de l'Ecriture esdraïque étant perdue, deux grands courants se formèrent : le courant talmudique, moraliste et le courant kabbalistique ésotérique et mixturé de gnose alexandrine" (p. 28), le Talmud ayant oublié d'utiliser dans la Torah les lettres anormales et les kabbalistes (pour la gematria) les 5 lettres finales qui s'ajoutent aux 22 lettres. A partir d'une analyse serrée du bras de fer entre Moïse et les magiciens du Pharaon (autour de la question des divines proportions) et des compétences de Joseph et Daniel en matière d'interprétation des rêves, Bardet pose (p. 45) que les "Hébreux n'avaient rien à apprendre des Egyptiens ni des Chaldéens en matière de science divine" (ce qui est effectivement normalement le postulat de tout chrétien attaché à la Bible), ce qui lui permet de révoquer toute la numéralogie pythagoricienne prisée par l'ésotérisme français (Claude de Saint Martin, Papus), que Bardet considère comme fausse ("le pythagorisme est une véritable caricature de la Torah", écrit-il).
A la racine de l'erreur de la magie, nous dit Bardet, il y a l'acte de rébellion d'Eve qui, faisant confiance au serpent, croit qu'elle deviendra "comme Elohim", et, ce faisant, agit aussi sans référer à Adam qui est normalement sa tête (ce qu'a redit Paul dans sa première lettre aux Corinthiens). "C'est l'amorce du matriarcat, nous dit Bardet, période la plus funeste des sociétés humaines. La femme, physiquement plus faible cherchera ses pouvoirs dans le psychique, d'où les 'mille sorcières pour un sorcier' de Michelet" (p. 46).
J'ouvre ici une parenthèse pour noter que Bardet à la différence des Chrétiens d'inspiration hénochienne de nos jours (voir mon dernier livre là-dessus) identifie bien la faute d'Eve comme origine de la magie, et non pas l'union des Fils de Dieu/Veilleurs avec les Filles des hommes (Genèse 6:1-4).
L'opposition entre magie et mysticisme se découvre , nous dit Bardet, dans la différence entre le moment où Moïse extrait de l'eau en frappant un rocher de son bâton (Exode 17:5) avec un geste technique qui est celui du sourcier du cas où, dans Nombres 20:7, il est censé faire surgir de l'eau d'une seule parole sur ordre de Dieu (mais il commet ensuite l'erreur de frapper deux fois le rocher de son bâton de peur que cela ne marche pas...).
Venons en maintenant à la question de dédoublement, de la dualité, abordée dans le chapitre II, qui a déjà son principe dans la dualité entre le monde d'en haut et celui d'en bas ("sur la Terre comme au Ciel"). L'humain comprend le rouach (l'esprit, pneuma, la lettre pi, qui vient du he hébraïque), et le nefesh (l'âme vitale, psyché, psi, qui vient du shin hébraïque). Le rouach, pneuma, commande tout. Il est non localisé par essence. Le nefesh-psyché coordonne les plans de vie. "Grâce à elle peuvent s'exprimer instrumentalement les actes intellectuels et libres de notre pneuma...Elle assure, à l'étage végétatif, la continuité nécessaire à la chair. Enfin, elle peut, hors du corps, continuer à assurer la vie. Soit dans le cas des âmes séparées après la mort ; soit dans le cas du dédoublement." (p. 70,
Au passage Bardet condamne Descartes qui coupe l'âme-psyché-nefesh du corps, mais aussi CG Jung qui appelle "âme" (Seele) aussi bien le rouach que le nefesh. On pourrait au passage reprocher à Bardet dans son obsession de tout dédoubler d'oublier au passage qu'il existe aussi dans le judaïsme un troisième élément, la neshama, dont il ne parle jamais.
Attaché à la démarche empirique, justement à cause du dédoublement (qui pour Bardet n'est pas démoniaque mais très ordinaire), il s'intéresse à des cas comme Léo Ferrer, adepte du yoga, ou du réalisateur (qu'il présente comme un peintre) Guy Casaril , auteur dans la collection "Maîtres Spirituels" (Editions du Seuil) de "Rabbi Siméon Bar Yochaï et la Kabbale", qui faisait des sorties du corps par la tête. Il évoque la vision du double dans un brouillard bleuté, transparent, blanc ou blanc violet, l'élévation du double au dessus du charnel. Ce n'est pas une bilocation précise-t-il sauf que ce corps ne peut être touché sans quoi il serait blessé en réintégrant le corps (il rapproche cela du corps de Jésus ressuscité qu'on ne peut toucher en Jean 20:17).
Il ne faut pas que ce soit un dédoublement volontaire comme le font les gourous indiens. Genese 15:10 est mal traduit selon Bardet : c'est Abram lui même qui se divise. A juste titre il critique les expériences de projection dans l'astral des rosicruciens (AMORC) qui peuvent faire perdre la raison (d'ailleurs au 9ème degré de l'AMORC on ne se dédouble qu'à 30 cm). Avec un oeuf de 80 cm qu'ils font tourner les rosicruciens projettent dans cette forme leur double pour y rencontrer des larves astrales.
Puis Bardet évoque les âmes du purgatoire (qui est un état et non un lieu) qui vont rencontrer les vivants comme l'autrichienne Maria Simma. Celle-ci souffrait pour elles et ajoutait que les âmes catholiques souffraient plus mais moins longtemps que les protestantes. Elles ne peuvent rien faire pour elles-mêmes, seules les prières des vivants peuvent les sauver. Ensuite c'est au tour des anges de trouver place dans le livre avec des souvenirs de l'auteur sur son expérience de guerre en 1940 et sa visite au Padre Pio en 1952 à l'invitation de Raoul Villedieu (un ange matérialisé dans un corps le guida comme dans Tobie 12:19). Sur les anges déchus il renvoie à Giovanni Papini - son livre sur les démons dans l'art contemporain (p. 104). On trouvera ensuite dans l'ouvrage de Bardet une critique de la "bêtise" des entités spirites qui rappelle celle (plus inspirée) que fait Guénon, et une analyse expérimentale d'une canalisation de Lola Montès par une certaine Mme Laval de Montauban en 1932 et de celle de Suzon Clairac.
En venant aux exorcismes, JG Bardet estime qu'ils ne doivent être accomplis que par des prêtres irréprochables et que l'Eglise catholique les minimise trop maintenant du fait d'une surévaluation du rôle des démons qu'il y eut auparavant pendant la contre-réforme. Il cite longuement des exorcismes figurant dans un ouvrage de Mgr Léon Cristiani paru en 1959, ce qui est peut être une façon, me semble-t-il, de leur faire un peu trop de publicité. Une petite anecdote "Le brave Père Lamy, curé de La Courneuve, voyait souvent Satan dans un coin de son église et il l'apostrophait : 'va t en sale Bête !'. Alors Marie présente intervenait : 'Souviens toi que c'est un Prince' ". Le Père Lamy a sa fiche Wikipedia aujourd'hui. Je ne suis pas sûr que cette anecdote serve sa cause. Bardet aurait mieux fait de citer Bérule.
Au total le chapitre II "La structure humaine" apparaît assez banal et sans grande envergure. Le chapitre suivant sur la magie (que l'auteur situe dans la sphère du paranormal, entre le surnaturel et le naturel, et dans laquelle il voit surtout un facteur de déséquilibre cosmique), est très marqué par la figure de Papus que l'auteur a lu lorsqu'il était lieutenant dans le Génie à Metz. Il insiste sur la nécessité de s'y livrer dans un cercle protecteur (circulus) après avoir été exorcisé selon le rite romain par les quatre éléments, avec sur soi un pantacle et de faire preuve d'ascétisme.
Faisons une mention de ses remarques sur le rapport de la magie à l'eucharistie car c'est un élément important du débat actuel (comme ça l'a toujours été) avec les protestants. Il rapporte l'expérience de Papus qui avait amené un sujet hypnotisé à la messe et avait vu une lumière sortir du coeur de fidèles pour aller entourer le prêtre au moment de la communion. Ce qui recoupe le propos du théosophe Arthur E Powell (que Bardet orthographie par erreur "AF Powel" il y a quelques coquilles de ce genre dans son livre...).... tout en ajoutant : "Mais ce que Powel ne précise pas, c'est qu'il n'y a aucune manifestation dans le cas des pseudo-évêques théosophes". La même expérience a montré aussi une condensation de lumière en provenance des fidèles sur les hosties protestantes (mais pas sur le pasteur), et le voyant orthodoxe a vérifié la même choses sur les hosties orthodoxes lors de la communion. Bardet dit (p. 144) refuser volontairement de rapporter les expériences de voyants catholiques pour qu'il n'y ait pas de soupçon de partialité. Et comme beaucoup de catholiques l'auteur rappelle que l'utilisation des hosties consacrées par les satanistes qui les détournent (c'est encore arrivé récemment au Canada) suffit à en prouver le pouvoir. Bardet évoque aussi des expériences pendulaires sur du pain béni. Selon lui, la force de l'eucharistie aurait dû dispenser Papus et les autres de pratiquer la magie.
"Au lieu de s'adresser à des esprits qui réclameront un lourd paiement différé, l'ami de Dieu - par la prière, par l'oraison, par le secret des pères du désert, s'adresse directement à l'Essence créatrice. Il renoue le contact perdu" et l'attitude apparemment passive du mystique est "la plus haute forme d'action" disait Bergson...
La magie s'est frayé un chemin au Moyen-Age sous couvert d'hébraïsme avec notamment Rachi de Troyes qui tirait profit de l'influence des foires de Champagne (Louis Chochod). Les chrétiens débattaient avec les rabbins, mais une fois découverte la kabbale, le concile de Latran IV impose l'étoile jaune en 1215, Saint Louis fait brûler le Talmud et l'Angleterre expulse les Juifs en 1290. En 1516 Venise crée un ghetto. Mais l'hébraïsme a déjà envahi l'Europe avec l'astrologie et l'alchimie "jusque dans les boucles d'oreille - à l'imitation des Maures et des Tsiganes - que portaient les Compagnons du Devoir".
Plus grave encore aux yeux de Bardet, les hérésies comme le catharisme dont le "consolamentum" provoque des décorporations sataniques calquées sur le Corpus Hermeticus (Jean Guiraud).
Bardet examine ensuite le Graal dont j'ai montré dans mon livre sur Barbara Aho qu'un courant évangélique (entre autres) lui prête une nature luciférienne. Pour Bardet il s'agit du Christ à double nature : shin (vert - Luc 23:31) et waw (rouge).
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Selon Bardet, les Compagnons du Devoir détiennent un secret sur le Graal... Je pourrais développer le sujet dans un billet séparé. Mais cela me prendrait trop de temps et d'énergie, donc je préfère traiter la chose en quelques lignes ici même si cela risque de rendre le billet fort long. Disons que divers événements biographiques m'ont sensibilisé aux thématiques de Bardet sur le sujet. Concernant le Graal, j'ai vécu six mois à Troyes en 1994 (salut Valérie Gruyer et Héry Ramilijoana !) ce qui m'a sensibilisé à l'intérêt littéraire (sinon mystique). Et j'ai connu les compagnons du devoir par le biais de la provençale New Age possédée dont je parle dans mon livre sur les médiums, j'ai même effectué une ascension initiatique de la Sainte Baume avec eux.
Jean-Gaston Bardet mentionne un "dit" (une tradition orale) des Compagnons du Devoir : "Le Saint Graal a été porté par trois tables, une ronde, une carrée et une bicarrée. Toutes les trois ont une même surface et leur Nombre est 21".
Bardet rappelle que les Compagnons sont nés dans la mouvance bénédictine et qu'une partie s'est compromise avec les Templiers : les "Enfants du Père Soubise, de Nogent-sur-Aube ou Nogent-en-Othe, composé exclusivement de charpentiers ("Bons-Drilles" ou "Passants") contre les "Enfants de Maître Jacques", qui ont été interpénétrés avec les Tziganes et les Francs-maçons, se réfèrent à la kabbale et effectuent leur Tour de France en sens inverse de celui des congrégations religieuses (pour mémoire il y a une statue de "Maître Jacques" de Molay, à la Ste Baume).
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Le Compagnonnage bénédictin savait que la valeur du Shin est 21 (et non 300 comme dans la Kabbale et le tarot). Le Shin (corps du Christ) qui a la forme d'un vase utilise d'ailleurs les trois formes : ronde (le point sur l'axe), carrée (les têtes des Wawin), rectangulaire (la base). On renverra au livre (p. 162-163) pour la polémique mathématique que Bardet engage avec Raoul Vergez (dit "Béarnais") et Louis Charpentier sur l'exploitation du Shin dans les cathédrales.
Pour Bardet, le sens du Shin présent dans l'architecture de la cathédrale de Chartres (construite entre 1194 et 1220) s'est perdu ensuite dans l'art gothique par la "pénétration gnostique" substituant l'étoile magique au Tétragramme sacré.
Selon lui, la vérité originelle du Graal est dans ce savoir maçonnique bénédictin champenois autour du nombre, de la figure et du poids, que l'hermétisme spéculatif va défigurer en en faisant un objet de voyage alchimique, comme la Toison d'or, tandis que seule la Table ronde est conservée (sans les autres formes), "symbole d'égalité-fraternité", puis on ira même au XIII ème siècle jusqu'à y introduire de la magie celtique (Merlin) et même Alexandre le Grand, symbole du syncrétisme.
Shin est la lettre centrale dans le nom de Jésus au milieu du tétragramme : Y H Sh W H, et 21, sa valeur est la seule lame au tarot non numérotée au fronteau et le Shin y est surnommé "le Fou" à titre blasphématoire (Chochod). Tout homme normal a un shin à l'endroit au vertex et un shin inversé au pied et c'est l'inverse chez les satanistes (on renvoie à la p. 167 du livre pour une approche pendulaire des diverses dispositions de Shin chez des personnalités des années 1970).
Pour rapprocher le travail de Bardet de celui de l'évangélique Barbara Aho auquel j'ai consacré mon avant dernier livre, je dirais qu'ils partagent une même aversion pour le talmudisme, mais une même fidélité à l'hébraïsme originel revivifié par le sacrifice de Jésus-Christ. Cependant Bardet a un regard plus nuancé que la prédicatrice texane sur les Templiers dont il souligne l'utilité initiale. Toutefois il reconnaît des problèmes originels de symbolisme dans cet ordre (la croix renversée sur l'épaule gauche), le danger qu'il y avait à laisser une "armée coloniale" de ce type, même pourvue d'une règle de fer, évoluer "en vase clos", et le placement dans ces ordre, à titre de redressement, disciplinaire, de dignitaires cathares repentis. L'orgueil des Templiers à qui on put faire avaler qu'ils auraient des savoirs orientaux secrets sans en payer le prix, la compromission de Gérard de Ridefort, jusqu'à l'adhésion à la Sourate IV du Coran (Jésus n'est pas mort sur la croix), firent le reste ce qui explique que les Templiers aient ensuite volé à Constantinople en 1207 et caché le St Suaire (preuve de la crucifixion de Jésus) réapparu seulement en 1353 (46 ans après la dissolution de l'Ordre).
Pour Bardet, toutes ces magies prolongées par la rose-croix et la franc-maçonnerie recherchent le dédoublement psychique, le contact avec des entités, la promotion (comme les chrétiens sociaux) d'un Christ humain, dans la lignée de l'arianisme, au cœur même d'une France qui, placée sous le même archange (Michel) qu'Israël, est appelée à sauver le monde (p. 185). Papus avait déjà vu qu'en franc-maçonnerie, "les mystères du dédoublement conscient de l'être humain, ce qu'on a appelé la sortie consciente du corps astral... ont été développés pour constituer les degrés écossais, ajoutés par le Suprême Conseil de Charleston (en Caroline du Sud) vers 1802"... " et ces grades conduisant au dédoublement sont précisément, couronnés... par des grades Templiers" Cette maçonnerie "écossaise" était en fait américaine, et hébraïque avec la fondation du B'nai B'rith en 1843.
Tout cela n'est que supercherie pour Bardet car les dédoublements volontaires (magiques) ne font rencontrer que des "larves astrales". Le psychisme ne sort pas de lui-même (idem dans les exercices ignaciens des jésuites p. 305).
Le vrai dédoublement s'obtient par la voie ascétique (celle de la mortification) et la voie mystique (la mort spirituelle), qui est le renoncement à la volonté personnelle (St Jean de la Croix, Eze 1:12). Là la chair s'aligne sur l'esprit, mais l'esprit a encore à progresser et s'affranchir de ses propres frasques, et il doit continuer à progresser vers les demeures les plus intérieures de son château (Ste Thérèse d'Avila). La grâce de l'entrée dans la 5eme demeure peut advenir au moment le moins attendu par l'extase des Ténèbres comme ce fut le cas pour J de J qui n'était jamais passé par l'étape de l'oraison. Elle arrivait à tout moment à Anne Marie Taïgi (p. 334).
Une petite parenthèse à ce stade : un lecteur de ce blog qui a bien connu Gaston Bardet, me précise : "Gaston Bardet avait demandé au docteur Charles Villandre un crucifix reproduit d'après les travaux du Docteur Pierre Barbet au sujet du Linceul de Turin. Il me semble que ce crucifix était grandeur nature et comportait les détails anatomiques les plus précis révélés par les photos en négatif de la Sainte relique. Gaston Bardet entendait battre le cœur de Jésus à l'intérieur de cette très fidèle reproduction . C'est à partir de ce moment qu'il ajouta le prénom de" Jean" au sien propre: "Gaston". Dans ses livres, il parle de J de J. Il s'agit de lui-même soit "Jean de la Joie" Il avait en effet reçu les "grâces de jubilation" si bien décrites par Sainte Thérèse d'Avila."
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On oublie trop souvent, nous dit Jean-Gaston Bardet p. 336, que l'intelligence puissante de St Thomas d'Aquin s'enracinait dans une propension très forte pour l'oraison. Il pouvait, sur cette base, se provoquer des extases à volonté comme beaucoup d'autres saints selon Richard de Saint Victor. Selon son biographe (Vita Sancti Tomae), Guillaume de Tocco, procureur du couvent des frères Prêcheurs à Bénévent représenté en bas à gauche du tableau de Zurbaran ici , très sensible à la douleur, il se provoquait des extases en lieu et place de nos anesthésies, lorsqu'un chirurgien devait effectuer sur lui une opération chirurgicale. Bardet précise dans une note de fin de chapitre que lui-même a tenté d'entrer en extase pour une opération mais que cette initiative combinée aux effets de l'anesthésie l'a plongé dans une syncope bleue. Il pense que St Thomas était un homme à la peau fine comme les sélectionnait Swami Vivekananda pour en faire ses disciples.
P. 338 Gaston Bardet s'essaie à des observations médicales sur les effets de l'oraison. Il relève notamment l'apaisement des névroses, des angoisses, lié à un ralentissement de la vie végétative (ce dont, note-t-il, les taoïstes et les "yoguins" abusent). Il étudie aussi les maladies de l'Esprit que peuvent occasionner les extases mais aussi l'effet étrange de la communion spirituelle sur ces maladies comme une bronchite qu'il avait lui-même contractée dans une extase mais qui fut ensuite stabilisée pendant trois semaines au point que son médecin lorsqu'il l'examina pensa qu'elle n'avait que trois jours. Il condamne au passage le mot de "faiblesse" forgé par Ste Hildegarde pour les léthargies extatiques, y voyant les premiers effets funestes d'un humanisme naissant (le bébé qui s'endort contre le sein de sa mère vivrait-il dans la faiblesse ? demande-t-il).
Ces effets de l'oraison lui paraissent diamétralement opposés à ceux des "états hypnoïdes" (pratiqués en sophrologie, chez certains médiums etc) qui "consistent en un clivage de plus en plus accentués du cerveau antérieur (hémisphères cérébraux et cerveau intermédiaire ou diencéphale) et du névraxe : moelle et cerveau postérieur. Ce clivage entraîne une dissociation de plus en plus grave de l'intelligence et de l'imagination, de la volonté et de la sensibilité, de la mémoire des concepts et de la mémoire des images, une suppression de la sensibilité, puis, progressivement, des cinq sens ainsi que de la motricité". Dans le sujet animal coupé de son cerveau antérieur, l'hypnotiseur peut insérer une image, une suggestion, comme fait le démon dans la tentation qui agit par l'imagination (cela une voyante me l'avait déjà dit...). Joseph Breuer sur cette base introduisait des images inconscientes dans le cerveau animal qu'il pouvait ensuite refaire surgir et manipuler. L'AMORC (le rosicrucisme américain) l'utilise pour plonger les adeptes dans des états qui les font rencontrer des entités.
Le magnétisme plonge aussi dans un sommeil comme l'hypnose mais sur un mode plus progressif. Bardet en décrit les étapes et témoigne qu'il a pu faire parler en anglais un sujet en état de cataleptie magnétique (p. 350) ce qu'il rapproche des cas de possession décrits par Mgr Saudreau, cité par L. Christiani (et cela est à rapprocher aussi du programme MK Ultra de la CIA). Cela conduit à des états de somnambulisme, perception à distance etc.
Au delà, c'est la dissociation du corps subtil (le "ka" égyptien) chère aux adeptes du yoga, et obtenu électriquement par le colonel de Rochas à l'aide d'une machine Wimhurst. Hector Durville les photographia. Le journaliste anglais adepte du yoga Paul Brunton (Raphael Hurst), a raconté son expérience dans la Grande Pyramide de Khéops de déboublement dans les années 1930, qu'il vécut comme un début de mort, avec une remontée de l'âme vers la poitrine et le cerveau et la sensation de basculer dans l'infini. Bardet explique en note de fin de chapitre que "son dédoublement inopiné provient sans doute des radiations dangereuses qui baignent le tiers inférieur de la Pyramide" (nb : sur les pyramides et l'électricité voir notre billet ici) et observe qu'ensuite Brunton n'aura que des expériences décevantes en Inde. Pour lui, c'est une expérience de psyché (nephesh), pas de pneuma (rouach). La part du nefesh qui sort est un ectoplasme froid, reptilien, sans intelligence, physique et donc affecté par le chaud et le froid (je vous renvoie à mon billet de 2018 dans lequel je relevais cette anecdote racontée dans la revue Smash Hits de 1988 par la chanteuse californienne bouddhiste ex-cocaïnomane Belinda Carlisle, de son contact en 1977 - à 19 ans - à Londres avec un ectoplasme froid).
Bardet revient ensuite sur les bilocations, celles du Padre Pio dont on a beaucoup parlé sur ce blog, celles de Mère Yvonne-Aimée de Jésus (aussi citée sur ce blog) celles du dominicain péruvien Martin de Porres, bilocations liées à une union supérieure avec le Dieu trinitaire. La même méthode d'opposition du mysticisme chrétien à la magie païenne et juive revient dans le chapitre VII sur la kabbale où il invoque l'autorité de St Bonaventure (et même des qaraïtes p. 406) contre Gershom Sholem et les tarologues.
Ceux qui se confrontent couramment au yoga, au New Age, à tous les coachs de "développement personnel" très en vogue en ce moment et de bien être pourront lire avec profit le chapitre VIII. « Approché par la Route de l’Est (identification), avait écrit en août 1948 Teilhard de Chardin dans "Comment je vois", l’Ineffable n’est pas Aimable. Atteint par la Route de l’Ouest (union), Il est dans la direction prolongée de l’Amour. Ce critère très simple permet de distinguer et de séparer comme antithétiques des expressions verbales presque identiques chez un chrétien et un indou » . Le penseur, nous dit JG Bardet, après s'être égaré dans une "synthèse philosophico-scientifique" et une aberration comme le "rôle cosmique de la sexualité" retrouvait ainsi la voie de la Trinité : aucun salut ne vient de l'Orient. La France après l'Allemagne (où la syllabe "oum" servait à conjurer depuis le XVIe siècle) est devenue en 1945 une terre de mission pour le yoga. L'opération nous dit Bardet était coordonnée par les francs-maçons qui savaient que la théosophie n'avait pas suffi à garantir l'importation du culte de la déesse mère sous nos latitudes (il s'appuie à ce sujet sur le livre de Jacques Lantier "L'extraordinaire aventure de la théosophie" paru en 1970). Le celtisme en Bretagne et au Canada n'est qu'un auxiliaire de cette tendance : "ce dernier pue l'hitlérisme sous couvert d'aryanisme", note l'auteur p. 420 qui cite un extrait non daté de la "Revue du Québec Libre" celtisante lequel disait : "Pourquoi parler des camps de concentration dans l'Allemagne national socialiste où, d'ailleurs, aucune chambre à gaz n'a jamais existé ?"...
Pas toujours ordonné dans ses démonstrations (c'est le moins qu'on puisse dire), JG Bardet fait un détour par la vie affective désastreuse des piliers du mouvement théosophiques que furent Helena Blavatsky, Annie Besant et Anne Kingsford. Puis il se confronte à la civilisation indienne : "Ce pays de mathématiciens, d'idéalistes - et non de mystiques, c'est à dire de réalistes - a dévié la notion d'éternité : Eternel Présent" (p. 422), tandis que les Indiens s'interdisaient justement de penser l'éternité en ajoutant des zéros (leur invention) aux années, ce qui entraîna un désespoir collectif devant le réel représenté par la doctrine de la réincarnation des bouddhistes et des jaïnistes.
Le Hatha-Yoga, nous dit Bardet, ne conduit pas à "servir" Dieu "mais à se transmuer en dieu par la violence de son énergie sexuelle, et le Jnana-Yoga n'est qu'un enfermement orgueilleux dans la connaissance de soi. Seul le Bakhti-marga comme recherche de l'unité avec le Bien-aimé trouve grâce à ses yeux. Il évoque au passage un échange qu'il avait eu avec le Swami Siddheswarananda qu'il avait rencontré dans les années 1950 pour lui dire qu'il se trompait sur St Jean de la Croix et qui mourut ensuite "très vite d'un cancer consécutif à ses pratiques" (p. 424).
Pour JG Bardet, le Hatha-Yoga consiste à "transmuer l'énergie due à la respiration et l'énergie sexuelle en énergie dite cérébrale", et il se livre à une analyse de l'énergie de nature électrique (qui est aussi celle des magnétiseurs) dont on constate la circulation avec l'acupuncture chinoise et d'énergies purement spirituelles dont le "gayographe" avec lequel il a travaillé pourraient enregistrer les variations. De ces énergies invisibles l'hindouisme dégage la notion de corps subtil mais qui n'est qu'une partie du corps glorieux chrétien et qui, bien qu'il survive au corps "lourd" après la mort physique, est voué à terme à la dissolution. Le Hatha-Yoga, union du soleil (ha) et de la lune (tha), est un travail sur la Kundalini-Shakti, le Serpente originelle (Alain Daniélou, Yoga, méthode de réintégration, L'Arche, 1951). "Aujourd'hui, le yoga qui nous est transmis n'est pas le yoga initial, le mode d'union de la Révélation primitive, mais le Yoga sexualisé de l'ancien matriarcat, c'est à dire la pire dégradation satanique de la Révélation de la Vierge Marie" (condamnée par le Concile d'Ephèse de 431 qui en la proclamant theotokos rompt toute confusion possible avec la déesse mère). La contraction du périnée (yoni) à la base des postures (asanas) n'est pour JG Bardet qu'une activation d'une vulve en tout un chacun, et un massage des parties sexuelles qui active une énergie laquelle conduit à des vibrations de l'hypophyse analogues à celle que provoquent le chant et la psalmodie - à ce stade on peut émettre une réserve : toute séance de yoga n'implique pas des contractions du périnée.
En bout de chaîne, aux yeux de Bardet, il y a le tantrisme, dernière invention indienne (selon Mircea Eliade, mais ce point est controversé) sous l'influence du taoïsme (je précise que cela est confirmé par Van Gulik). Pour JG Bardet qui s'inspire toujours des travaux de Daniélou qu'on a cités sur ce blog il y a 13 ans, il y aurait là une sorte de revanche du shivaïsme dravidien sur les vedas aryennes : "le sang noir l'a emporté (comme chez les Soufis) pour pousser à l'orgie" (sic). Cham qui s'est moqué de l'ivresse (mystique) authentique de son père, Noé, a bien mérité d'être maudit" (p. 434). Ce passage révèle une connaissance très superficielle du tantrisme, avec des clichés raciaux dignes de Benoist-Méchin, et du style de pensée très années 40 de l'administration vichyssoise. Sans doute le pire passage du livre.
Il y aurait selon Bardet une catalepsie yogique qui accélère le pouls là où les catalepsies de magnétiseurs fonctionneraient plutôt sur des ralentissements du pouls (mais là encore cette remarque ne correspond guère aux pratiques actuelles en Occident pour ce que je peux en savoir).
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Pour terminer JG Bardet fait l'éloge de l'hésychasme, au moins dans sa version originelle car selon lui au Mont Athos, en Grèce, il est dénaturé par une volonté de "faire descendre la prière dans le coeur"... Il y a peu, comme je lui parlais de Bardet, un de mes lecteurs m'a adressé le "scan" d'une dédicace du livre de l'indianiste béarnais Jean Biès sur le Mont Athos (Editions Albin Michel) ainsi rédigée : "A Monsieur Gaston Bardet, qui me révéla, entre autres, dans son huitième chapitre de "Je Dors", le secret de la prière perpétuelle, je suis heureux de faire don de ce premier livre mien, - un essai sur nos frères séparés, une description d'un des derniers promontoires dominant encore l'An 2000. Jean Biès. Arros de Nay, 6 novembre 1963".
Jésus-Christ disait qu'on reconnaissait un arbre à ses fruits. Jean Biès, guénonien, s'est suicidé en janvier 2014, à l'âge de 81 ans, n'ayant pas supporté le décès de sa femme Rolande, qui était une admiratrice de la très jungienne Marie Louise von Franz... Disons le tout net : je ne suis pas très adepte de l'hésychasme (même si je défends évidemment la prière permanente mais sous d'autres formes), et cette affaire de suicide ne révèle pas une présence spirituelle très positive dans la maison de Jean Biès. Si Jean Biès est le "fruit" de l' "arbre" Gaston Bardet, il y a matière à s'inquiéter.
Un de mes amis orthodoxes me disait il y a quelques années qu'il y a danger à pratiquer la "prière du coeur" sans l'encadrement d'un Staretz. Je le crois volontiers. Gaston Bardet, lui, suggère de se préparer à l'extase mystique par la simple répétition mentale perpétuelle "d'une phrase mariale" (p. 480). "Une paix, purement psycho-somatique, commence à se faire sentir. Quand vient le soir, il ne faut plus rien faire qui puisse empêcher l'invasion de l'Esprit. Pour faciliter cette plongée, il faut se garder de faire oraison à genoux ou dans toute position nécessitant le contrôle de l'équilibre". S'asseoir dans un fauteuil, dans le silence, réciter avec un rythme lent, pendulaire, des litanies. "Ne rien chercher, aucun exercice touchant de près, ou de loin, à l'hésychasme et au yoga" (sans doute vise t il l'hésychasme "dégénéré" qu'il n'avait pas encore bien identifié en 1963 quand Jean Biès lui dédicaçait son livre). Pour finir il décrit les effets de cet abandon, et même les observations qu'il a pu en tirer au "gayographe"...La démarche même de se mettre dans un fauteuil le soir pour se rapprocher de Dieu parce qu'on l'a lu dans le livre de Gaston Bardet ne serait-elle pas en soi contraire au principe même d'abandon à la volonté du Créateur qui exclut par principe toute initiative ou tout "plan" personnels ? Nous terminerons ici la lecture sur cette question.
Voilà, en résumé (un résumé fort long j'en conviens mais je m'en servirai comme d'un aide-mémoire), le contenu du livre que je voulais vous exposer. A l'heure d'émettre une appréciation globale, il est difficile de juger l'expérience et le savoir exposés par Jean-Gaston Bardet. Beaucoup sont prompts à catégoriser "c'est de Dieu" "c'est du diable"... Au niveau théorique, on ne sait ce que vaut son travail sur le "shin" et sur le tétragramme. La volonté de travailler sur une langue réputée venir directement de Dieu, l'hébreu, en la soustrayant aux erreurs de la sorcellerie kabbalistique (et maçonnique) est louable. Je suis bien incapable de dire si elle est réussie (j'espère seulement que la connaissance de la kabbale par l'auteur n'est pas aussi biaisée que celle du tantrisme...). Au niveau pratique, les extases sont réelles. Sont-elles de Dieu ? On ne sait ce qu'il faut déduire du fait que Bardet mente à leur sujet en les imputant à un certain J. de J. alors que c'est lui qui les a vécues. Ce geste, en tout cas, lui, n'est pas de Dieu. De même on peut s'interroger sur l'impact de tout cela sur sa vie, son remariage avec une jeune femme, dont il eut une fille qui aujourd'hui étale ses états d'âme dans les médias du système 666, exactement dans le langage que ceux-ci veulent entendre. On sait que Ste Marguerite de Cortonne avait abandonné son fils en entrant au couvent : Mauriac reconnaissait que c'était l'ombre principale au tableau de sa sainteté. Est-ce que le sort donné à la progéniture est le critère de vérité d'une doctrine ? Question délicate de l'articulation entre théorie et pratique... Il est possible que Bardet ait été encore trop tributaire de Papus et des expérimentateurs de tout poil auxquels il ne faisait que tenter d'opposer un christianisme pur, puisque son christianisme lui-même se faisait expérimental et spéculatif, avec un pendule à la main. Le statut de sa recherche renvoie à celui de la recherche empirique. Y a t il une "science chrétienne" ? Faut-il fuir le travail mi-rationnel mi-inspiré autour du surnaturel ? On sait quel tribut la protestante Doreen Virtue paya au fait d'avoir grandi dans une famille adepte d'un mouvement américain qui se baptisait lui-même "science chrétienne" (elle attribue à cela son errance dans le "New Age"). Mais condamner l'observation expérimentale, n'est ce point également condamner St Thomas d'Aquin et même St Augustin qui lui aussi s'était interrogé sur les fantômes et les bilocations (voir ici) ?
Peut-être Augustin eut-il au moins la sagesse de ne pas consacrer des livres entiers à cela, et, après avoir vaguement soulevé les questions, laisser l'entière réponse à Dieu. Le livre de Bardet a en tout cas le mérite de présenter un état des connaissances assez érudit sur le parapsychisme et le surnaturel à la date du début des années 1970, avec une volonté sincère de ne pas céder aux sirènes de l'orientalisme, de la sorcellerie ou du New Age. A ce titre, il mérite une place dans nos bibliothèques.
Le souffle qui ressuscite
Dans l'évangile de Jean 20-22, il est écrit que Jésus ressuscité "souffla sur les apôtres), et leur dit: Recevez le Saint-Esprit."

Peu de temps avant d'avoir lu cet étrange passage, j'avais écouté le mystique Sadhguru expliquer qu'un adepte du tantrisme adepte du Surya Sparsh à Bénares (Varanasi) était capable de ressusciter pour plus d'une heure les oiseaux morts depuis moins de trois heures (non encore rigide) en activant les énergies invisibles qui restaient encore en lui en utilisant la lumière du soleil. Un chef musulman tenta d'ailleurs de le forcer à ressusciter son fils, mais il ne put pas le faire notamment parce que le chef voulait que cela se fasse en dehors du temple hindou. Ce yogi disait que son maître pouvait faire vivre l'oiseau plus longtemps encore. Il s'agit là d'une résurrection (provisoire) par la lumière. Est-ce de la sorcellerie ? Personnellement je suis enclin à me méfier de tout ce qui vient d'Inde, et encore plus depuis que j'ai lu la couverture de la revue "New Witch" qui dans un même mouvement vante le féminisme, la nudité publique et... l'Ayurveda... On a presque là le tableau complet de tout ce qu'il faut fuir dans l'occultisme...

Plutôt que de s'intéresser à ces procédés de revitalisation par la lumière, je me demande s'il n'y a pas plus d'intérêt sur le plan spirituel à réfléchir au pouvoir du souffle.
Ce matin, je parcours "La Sagesse des Prophètes" du musulman Ibn 'Arabi. Etrangement le chapitre sur Jésus est surtout consacré au pouvoir qu'il avait de ressusciter les morts par le souffle, qu'il relie à sa substance divine qu'il aurait tirée de l'ange Gabriel. Le Coran, comme des Evangiles apocryphes, explique que Jésus pouvait transformer un oiseau d'argile en oiseau réel en soufflant en lui.
Ibn 'Arabi raconte que le "sultan des sages" Abu Yazid-al-Bistani "qui souffla sur la fourmi qu'il avait tuée lafit revivre". Il sut bien, ajoutait-il, que c'était par Dieu qu'il soufflait ; sa contemplation était christique". Le théologien rattache ce souffle à l'Expir divin dont tout le monde procède.
A creuser...