Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Articles avec #sainte-baume tag

Les femmes disciples de Jésus

21 Mars 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Sainte-Baume, #down.under

 

Hier la chaîne Histoire rediffusait le documentaire de 2018 déjà diffusé le 9 août 2021 : " Les femmes disciples de Jésus" (2018) d’Anna Cox avec les historiennes Helen Bond et Joan Taylor (cf ci-dessous en anglais).

 Helen Bond est historienne spécialisée dans les origines du christianisme et chef de la Divinity School à l’Université d’Édimbourg et sa collègue Joan Taylor enseigne au King’s College.

Des éléments intéressants : une crypte supposément dédiée à Sainte Salomé près de Beit Lehi avec un graffiti implorant sa protection ; la fresque (découverte en 1971) du Ve siècle de Cerula dans les catacombes de Naples qui pourrait (sous réserve des éléments techniques de nuance que fournit ce site) représenter une femme évêque susceptible d'avoir officié au IIIe siècle ; l'expression étrange dans Marc 6:7 qui laisse entendre que Jésus a envoyé ses disciples en binômes mixtes (un homme une femme) dans les villes pour pratiquer les exorcismes ; la démonstration sur l'effacement progressif des femmes dans les représentations de la résurrection de Lazare sur les sarcophages au musée du Vatican entre 280 et le IVe siècle.

 

Un quart des sarcophages du National Treasures Storehouse de Beit Shemesh en Israël (datant de l'époque de Jésus) porteraient Marie comme nom (min 6'44). Marie-Madeleine, Marie de la Tour, est retenue comme étant la première des disciples, mais selon les historiennes, Joanna la femme de Chuza intendant d'Hérode (Luc 8:2-3) était probablement celle qui finançait les apôtres. Tous ces éléments sont instructifs et à ajouter à notre dossier sur la Sainte-Baume (et à nos remarques dans notre livre sur Lacordaire sur la réhabilitation de la féminité chrétienne après le saint-simonisme, voire à nos découvertes sur le  traité sur Marie-Madeleine de Demoulins de Rochefort à l'époque de François Ier).

Lire la suite

L'enseignement gnostique de Manjir Samanta-Laughton sur Marie-Madeleine

23 Février 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Sainte-Baume, #Pythagore-Isis, #Spiritualités de l'amour, #Médiums, #Christianisme

En général les New Agers/New Ageuses complètement évaporés, les artistes jouisseurs qui font semblant de s'intéresser à l'alchimie et autres doux rêveurs ne m'intéressent guère. Ils ne savent qu'étaler les délires de leur égo narcissique et ajouter à la confusion de notre époque. J'aurais classé le Dr Manjir Samanta-Laughton dans la même catégorie si je ne l'avais entendue ici dans une vidéo d'il y a dix ans fournir une critique sérieuse du livre de Lomas et Knight "The Second Messiah".

En l'entendant, je me suis dit qu'au moins elle était capable de faire fonctionner sa raison, son logos, et que donc, à supposer même qu'il y ait 80 % de mensonge dans son propos, je pourrais y trouver quelques vérités vérifiables, ou du moins des thèses dont je pourrais retrouver la "traçabilité historique".

Or, il se trouvait que cette chercheuse s'intéressait à Marie-Madeleine à l'égard de laquelle, comme le savent les lecteurs de mon livre "Les Médiums", j'ai une dette (qui que soit ou quelle que soit la mystérieuse entité qui agisse sous ce nom à la Sainte-Baume).

Parlons donc un peu de cette Manjir Samanta-Laughton, ancienne médecin généraliste, devenue bioénergéticienne.

Elle raconte dans cette vidéo "The Magdalene Prophecies 1" (un titre qu'elle a reçu par canalisation, qui doit aussi devenir celui de son livre) qu'en 2001,  au Nouveau Mexique (Etats-Unis) où elle s'était rendue pour la conférence "Science and Consciousness" d'Alburquerque qui réunissait mystiques et scientifiques, elle a rencontré une certaine Jenna Shulman qui l'invitée chez elle dans les collines de Santa Fé. "Tout d'un coup raconte-t-elle, cette fille juive et la fille hindoue que j'étais nous sommes d'un coup transformées en Marie-Madeleine et la femme qui allaient à la tombe de Jésus". A l'époque Madeleine ne représentait qu'une figure vague pour elle. "Toute la nuit il y eut une énergie qui me traversait, et nous savions toutes les deux de quelle énergie il s'agissait (...) Je devais prendre mon avion à 5 heures, mais à 3 heures nous étions encore éveillées, et toute la nuit je n'ai cessé d'avoir des visions tout le temps. Je voyais la mère de Jésus, très différente des représentations que j'en avais vues jusque là". "Un peu plus tard dans cette année, à la fin de l'automne, comme je rendais visite à une amie, elle eut un appel téléphonique et me laissa seule dans son salon avec une musique de Hildegarde de Bingen. Cette musique me fit partir en transe. Je commençai à avoir des visions Dans une j'étais avec  un groupe de gens et j'étais un jeune garçon avec des cheveux blonds bouclés qui attaquait un soldat romain. Et j'avais l'impression d'avoir déjà vu cela dans un film." Son amie eut la même vision en même temps. "Mon bras gauche est resté tendu en l'air pendant deux minutes,je ne pouvais pas le contrôler, comme si le soldat romain le tenait en l'air, ce qui me fit très mal au bras comme si ça avait duré longtemps". "Je changeai de pièce, mais dansl a cuisine de mon amie, je fus à nouveau transportée, avant la crucifixion, dans une école de mystères, celle de Marie Madeleine".  Manjir Samanta-Laughton  vante alors les pouvoirs de connaissance de cette sainte, et se perçoit comme le jeune garçon qui connaît bien Marie-Madeleine.

Puis elle a laissé cette expérience initiatique de côté, a écrit "Punk Science" et" Genius Group".

En 2003, après la sortie du Da Vinci Code (mais il n'était pas encore très connu), alors qu'elle va se coucher, elle est transportée dans la conscience de Marie-Madeleine, "quand elle accouchait" (sic)... Elle entendait ses pensées directement traduites en anglais. "Je sentais ce qui se passait dans son corps quand elle poussait le bébé, ce qui se passait dans ses hanches et tout". Elle voit un homme de 22 ans avec une barbe fine qui la regarde. Elle se dit "ce n'est pas le père de l'enfant, mais il est très proche d'elle pour être accepté dans la pièce juste après la naissance du bébé". Manjir Samanta-Laughton s'endort puis elle se réveille avec une autre vision, antérieure à cette scène : c'est le désert, avec des tentes, les femmes ont des tenues brunes et parlent un langage qu'elle ne connaît pas. Marie-Madeleine sort d'un bateau et marche vers ces tentes. Elle est enceinte et vient faire enregistrer "spirituellement" (sic) le bébé. Une femme qui ressemblait à Madonna (resic) - Samana-Laughton parle ailleurs de Katy Perry, on voit à quel imaginaire sataniste cela renvoie - lui tend un papier d'enregistrement avec des hiéroglyphes dessus.

L'homme venu à l'issue de l'accouchement, dit-elle, c'est Thomas le jumeau de Jésus. La conférencière admet que tout cela était étrange pour elle qui venait d'un univers hindouïste sans rapport avec le christianisme. Elle s'intéressa alors aux évangiles gnostiques dont celui de Jean. L'enseignement principal, dit-elle, c'est que le Dieu de l'Ancien Testament n'est pas le vrai Dieu. Sophia a créé ce monde.

Yaldabaoth, créateur du monde matériel (que Samanta-Laughton  écrit de travers Yaldaboath, et le prononce aussi de travers, ce qui ne fait pas très sérieux), est le démiurge, dieu du chaos, YHWH, qui a oublié sa mère Sophia, mais celle-ci a placé l'étincelle divine dans l'humain.

Les êtres reptiliens comme le serpent à plume existent dans toutes les civilisations, comme des initiateurs mais aussi ennemis potentiels des hommes. Elle se réfère aussi, à l'écossais Graham Hancock, défenseur de l'ayahuasca, sur les neter dieux qui gouvernèrent l'Egypte par le passé. Elle défend l'idée de cycles des âges 26 000 de l'âge d'or à l'âge sombre qui revient suivant une courbe sinusoïdale.

Elle dit qu'elle a voyagé dans des "dimensions lémuriennes" qui sont en fait encore là. 2012 était la fin d'un cycle selon les Mayas. Il y a un effet d'accordéon qui fait que le voile va devenir fin à nouveau et les dieux vont devenir physiques à nouveau. L'Ancien Testament lui aussi témoigne de cette évolution sinusoïdale (elle dit "en spirale" mais ce n'est pas ce que montrent ses illustrations), et de l'intervention d'êtres d'autres dimensions. Manjir Samanta-Laughton parle aussi des "anciens astronautes" qui pour elle sont des anciens êtres interdimentionnels (voir mon livre sur les Nephilim : au fait je précise que Michael Heiser, que mon livre sur les Nephilim citait beaucoup, est mort le 20 février dernier d'un cancer du pancréas). Elle aborde le thème de la vente de l'âme au diable à travers cette problématique d'une transaction avec des énergies transdimensionnelles qui sont "hidden in plain sight" dans la culture et les représentations qui nous entourent.

A la lumière de ses théories sur les trous noirs et les dimensions interdimensionnelles, elle va expliquer dans une conférence sur le Suaire de Turin ici, que le Christ a émergé d'un "jet bipolaire", avec une collision de la matière avec l'anti-matière (à1h51 de la vidéo), ce qui a pu créer une image en négatif de son corps, l'anti-matière a pu l'emporter sur la matière créant une antigravité, à un moment où s'inversait le mouvement sinusoïdal du périgée de la chute dans l'Age sombre. Selon les gnostiques Jésus venait du royaume de Barbelo, royaume de la conscience. Il aurait par sa mort et sa résurrection traversé un jet bipolaire de trou noir envoyant une information dans l'univers holographique (voir le livre du Père Brune sur cette notion) provoquant une ascendance vers un nouvel Age d'Or.

Evidemment pas d'Apocalypse dans ce dispositif, pas de fin des temps, pas de pardon des péchés. Ca a un vernis scientifique un peu plus élaboré que les youtubeuses New Age ordinaires (vernis que je ne peux pas juger, mais que sans doute les vrais scientifiques contesteraient) et c'est un peu plus construit que le Manuscrit de Marie-Madeleine. Mais personnellement je ne suis pas convaincu du tout, et je n'ai pas (encore) trouvé d'aspects réellement exploitables ou à retenir dans cet enseignement. Le Père Brune qu'on citait plus haut avait lui au moins le mérite, tout en s'ouvrant aux considérations "quantiques" de maintenir le message moral du christianisme qui chez Samanta-Laughton est complètement élidé, pour laisser place à une attente sans discernement du contact avec des créatures de l'au-delà (avec le lot de tromperies et de possessions que cela implique). Bref, selon moi c'est du pur égarement.

 

PS : notons que la dame a une théorie intéressante sur les trous noirs multiples qui partout dans l'univers, y compris dans les volcans et au centre de la terre, produisent de la matière, y compris de l'eau, du pétrole etc.

Lire la suite

Paul Claudel et la Sainte-Baume

3 Décembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Sainte-Baume

Je lisais hier à la bibliothèque municipale Georges Brassens à Paris le journal de Paul Claudel.

A la date du 17 mars 194 on trouve ceci : "Un original de Provence nommé Trouin me demande de m'associer à un projet assez confus qui consisterait à consacrer à Sainte Marie-Madeleine une cathédrale souterraine à la Sainte-Baume, dans le genre de celle qu'il est question, paraît-il, de faire à Chicago sur mon idée. Malgré toute ma vénération pour la Sainte bien-aimée, je refuse de donner mon appui à une entreprise sans substance."

En 1997 un certain Claude Bergeron s'est penché sur ce sujet dans la Revue de l'Art n°118. Il retrace les projets architecturaux de Claudel, rappelant que chez lui le souterrain est associé au thème du pardon.

Sur le rapport de Claudel à la Sainte-Baume, l'auteur signale en note de bas de page :

 

Lire la suite

Le thème du Temple de Salomon dans l'Angleterre du XVIIe siècle

25 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Alchimie, #Histoire secrète, #Sainte-Baume

Je lis Frances A. Yates et MK Shuchard sur l'Angleterre du milieu du XVIIe siècle. Dans Rosicrucians, Yates explique le penchant des puritains anglais pour la kabbale. Après la défaite de Cromwell, la royauté s'appuya sur la Royal Society, fondée en 1662, qui comptait une composante maçonnique centrale consacrée à l'étude des sciences et à la magie. Elle défendait l'idée d'une harmonie sociale copiée sur la nature. Pour elle Dieu devient une sorte de monarque constitutionnel. Dès 1662, selon Marsha Keith Schuchard, Samuel Butler dénonça l'utilisation de la science juive par la Royal Society. L'astrologue néoplatonicien John Heydon qui avait l'oreille du roi pensait pouvoir reconstruire le Saint des Saints du temple de Salomon par la méditation sur les noms de Dieu. Le philosophe Kenelm Digby pensait que cette pensée sur le temple protègerait de l'athéisme naissant par exemple chez Hobbes. Et Christopher Wren construisait Saint Paul en lien avec le rabbin Jacob Judah Leon qui avait construit une maquette du Temple de Salomon modèle de la synagogue d'Amsterdam. Mais la publication de la Philosophia Naturalis, Principia Mathematica de Newton en 1687 discrédita la numérologie kabbaliste et bannissait les esprits de l'univers au profit d'une gravité magique. La kabbale n'allait plus se retrouver que dans la franc-maçonnerie, arme des whigs britanniques pour la dé-catholicisation de la France et du reste de l'Europe.

Pour mémoire Yates explique par ailleurs dans Science et Tradition herméneutique (et ce n'est pas sans importance pour notre problématique à la Simone Weil sur l'action de l'Esprit saint avant l'Incarnation) que la foi en la magie (qui à la Renaissance avait libéré une confiance en l'action humaine sur le monde) s'était nourrie de l'illusion de Marsile Ficin selon laquelle les Hermetica avaient eu la prémonition de l'Incarnation, alors qu'Isaac Casaubon en 1614 allait détruire cette croyance. Mais la dette à l'égard de la magie est restée tenace. Newton, rappelle Yates (p. 67), "en découvrant la loi de la gravitation et le système du monde qui lui est associé, croyait redécouvrir une vérité ancienne, déjà connue de Pythagore et cachée dans le mythe d'Apollon et de sa lyre à sept cordes". Newton passait plus de temps à étudier l'alchimie (à travers le rosicrucien Michael Maier) que les mathématiques, tout en appliquant à la première des règles de calcul rigoureuses. Et, il passa beaucoup de temps à travailler sur les proportions du Temple de Salomon, dont on disait à la Renaissance qu'il permettait de comprendre le plan divin de l'univers.

Shuchard a aussi un peu plus développé cette thématique du Temple de Salomon dans l'Angleterre du XVIIe siècle dans un article de 2019, intitulé Jacobite Jews and Faux Jacobite Jews: Some Masonic Puzzles.

En décembre 1583,  le protestant Jacques VI, Stuart roi d'Ecosse, nomma William Schaw, un catholique et politique modéré, maître des travaux royaux, et s'attela avec lui aux affaires architecturales, politiques et diplomatiques. Jacques et Schaw étudiaient la poésie de Guillaume de Salluste, sieur du Bartas , un protestant français, qui a inclus des thèmes salomoniens et des termes techniques de la maçonnerie opérative dans son œuvre importante pour le mysticisme architectural, Les Semaines. Du Bartas avait travaillé en étroite collaboration avec des maçons, auprès desquels il a appris les traditions salomoniennes du Compagnonnage français. Il avait instillé dans sa poésie une profusion de détails sur le métier de tailleur de pierre et la formation d'architecte.

En 1587, Jacques invita Du Bartas en Écosse, où ils se traduisirent mutuellement et  échangèrent des idées sur Dieu l'architecte. Quand Du Bartas fut rentré en France, il loua Jacques comme l'incarnation du grand rois juif ("le Scott'sh, ou plutôt le David hébreu"). L'identification de Jacques comme Salomon culmina en 1594, avec le baptême de son fils Henry et la reconstruction de la chapelle royale de Stirling sur le modèle du Temple de Jérusalem, avec l'aide des maçons opératifs, une cérémonie qui fut cependant très critiquée par les Presbytériens. Il transporta ensuite ce savoir maçonnique à la cour de Londres.

En 1631, son fils et successeur Charles, lui aussi maçon, accéda à la demande des maçons de Perth de financer la reconstruction du grand pont à onze arches sur la rivière Tay, qui avait été détruite par une inondation dix ans plus tôt. En prévision de la visite prévue du roi à Perth pour voir le projet de pont, le poète Henry Adamson composait un long poème sur le thème de l'architecture qui liait la construction à la réconciliation espérée entre l'Ecosse et l'Angleterre. Il y révélait également le lien croissant entre la franc-maçonnerie écossaise et le rosicrucianisme. Son architecte Inigo Jones (qui a d'ailleurs écrit sur Stonehenge, il faudra que je regarde cela à l'occasion) s'inspirait de la kabbale et de l'architecture jésuite de l'Escorial à Madrid.

Face à Cromwell, Cromwell, Charles s'assura le soutien des Juifs d'Amsterdam par l'intermédiaire de sa femme française versée dans l'ésotérisme qui était par ailleurs une fille de Marie de Médicis. En lisant cet article on comprend que le rabbin Judah Leon avait construit sa maquette pour contrer les thèses du jésuite espagnol Juan Baptista Villalpando, dont l'interprétation anachronique "sur-spiritualisait" le temple en le retirant de l'histoire juive. Après la décapitation de Charles,son fils Charles II exilé en France travaillait avec le réseau maçonnique écossais de Moray pour obtenir le soutien et le financement juifs pour sa restauration à "Jérusalem", ainsi qu'il appelait la Grande-Bretagne. Si Cromwell acceptait la banque juive à Londres, il gardait un agenda de conversion des Juifs que ceux-ci n'acceptaient pas, et ils lui préféraient donc les Stuarts. Après sa restauration, Jacques II fut tolérant envers les Juifs. Il obtint le soutien des partisans de Sabbatai Levi en 1665. La tolérance fut maintenue par son frère Charles II, converti au catholicisme, mais provisoirement abrogée par les protestants orangistes sous Guillaume III, ce qui allait aboutir à des luttes de factions dans la franc-maçonnerie britannique.

Il s'agit là d'un aspect peu connu de l'histoire européenne, à penser aussi avec ce que j'ai écrit il y a presque un an sur l'architecture secrète, néphilimesque, ou non, que j'avais découverte en 2014 à la Sainte-Baume, et plus récemment sur Louis Charpentier et sur Raoul Vergez. On retombe aussi sur certains thèmes de Barbara Aho (cf mon livre) concernant les savoirs architecturaux des jésuites qui seraient peut-être à creuser.

Lire la suite

Adamisme et théorie des champs morphiques

29 Octobre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Anthropologie du corps, #Généralités Nudité et Pudeur, #Histoire des idées, #Christianisme, #Spiritualités de l'amour, #Sainte-Baume

J'ai déjà évoqué sur ce blog la théorie des champs morphiques de Rupert Sheldrake, qui explique comment, lorsqu'une mésange apprend à décapsuler une bouteille de lait sur le pas du porte en Angleterre, d'autres mésanges ailleurs dans le monde vont se mettre à faire de même alors qu'elles n'ont pas réellement bénéficié d'une transmission ou d'un apprentissage. Cette théorie, qui ne cadre pas avec les cadres rigoureux de la science objectivable, permet d'expliquer pourquoi diverses inventions chez l'être humain apparaissent à divers endroits du Globe au même moment.

On a vu qu'en France dans les années 1620 à 1640 des phénomènes adamites ont été constatés dans un couvent franciscain de Louviers (avec le cordelier Pierre David) puis à Toulouse (avec le jésuite Jean de Labadie) On sait aussi que les quakers firent de même en Angleterre dans les années 1660, mais avant eux, dans ce même pays, il y eut, dans les années 1630-1640, un mouvement adamite que les Eglises chrétiennes n'identifiaient à aucun courant connu. En attestent des opuscules comme The Adamite sermon d'Obadiah Couchman (1641) ou A new sect of religion descryed, called Adamites deriving their religion from our father Adam de Samoth Yarb/ Thomas Bray (1641).

La transmission directe d'un "penchant" pour le nudisme entre des couvents catholiques et l'Angleterre anglicane ou réformée est peu probable. On peut bien sûr soutenir que les uns et les autres ont pu "baigner" dans l'ambiance de la Réforme qui a pu favoriser le Mouvement du Libre Esprit, plaisamment caricaturé d'ailleurs par l'archevêque d'Avignon (voyez Le Fouet des Paillards) - et l'on se souvient d'ailleurs de la protection accordée par Marguerite de Navarre à Poque et Quintin chez qui on voit des préfigurateurs du libertinage). Mais pourquoi est-ce que ce "Mouvement du Libre Esprit" aurait pris spécifiquement la forme de l'adamisme, c'est-à-dire un retour à la nudité qui se veut ordonné au christianisme (et non pas un mouvement pur et simple vers la débauche comme précédemment) la vague idée d'un simple "imprégnation" dans toute l'Europe d'un esprit d'innovation lié à la Réforme ne permet pas d'en rendre compte...

Si l'on admet la théorie des champs morphiques, et l'idée que le sursaut de l'adamisme dans un couvent français peut rejaillir sur des protestants dissidents en Angleterre, alors cela peut avoir de très fortes implications pour la responsabilité individuelle de chacun. Car à la fois cela signifie que les pensées et comportements de chacun d'entre nous sont profondément influencés par des représentations et phénomènes qui sont "dans l'air du temps" (et je crois qu'à la base de notions philosophiques comme Weltanschauung, epistémé, etc il y a de cela) mais aussi que chacune de nos pensées ou chacun de nos comportements, comme la première initiative de la mésange pour percer une capsule de bouteille de lait, peut avoir des résonances ailleurs dans le monde. Un peu comme un signal que l'on envoie dans la matrice culturelle humaine qui enveloppe la planète, et qui trouvera des échos les plus inattendus, sous une forme purement mimétique ou déformée par d'autres influences.

Je crois que le phénomène de renoncement au monde que décrit en ce moment Pascal Bruckner pour la période actuelle dans "Le Sacre des Pantoufles" par exemple participe aussi potentiellement d'un champ morphique, même si celui-ci peut être plus visiblement renforcé par des messages médiatiques planétaires qui n'existaient pas quand l'adamisme bourgeonnait de façon sporadique en Europe. Pour moi le culte de Marie-Madeleine au XIXe siècle qui fait que la même année (1858-59) où le RP Lacordaire écrit sur cette sainte "à qui beaucoup a été pardonné parce qu'elle a beaucoup aimé", le socialiste Pierre Leroux en exil dans La Grève de Samarez écrit à peu près le même chose. Par delà les "petits cailloux" qu'avait semé le saint-simonisme autour de Marie-Madeleine dans les années 1820-1830, il y a peut-être quelque chose qui relève des champs morphiques dans la manière spécifique dont le thème "surgit" à l'esprit de ces personnages très différents au seuil de leur vie.

Lire la suite

Saint-Maximin, Vézelay et le chef de Marie-Madeleine

5 Juillet 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Sainte-Baume, #Histoire secrète, #Christianisme

Lacordaire, dans son Sainte Marie-Madeleine, raconte comment le chevalier Charles d'Anjou, neveu de Saint-Louis, (futur Charles II encore jeune prince de Salerne)  dévot de Marie-Madeleine, reçut de Dieu l'inspiration de faire ouvrir une tranchée dans la vieille basilique de St Maximin, au pied du massif de la Sainte Baume, s'employa lui-même à creuser avec les ouvriers et trouva le 9 décembre 1279 des reliques. Neuf jours plus tard il faisait rompre les sceaux du sarcophage et y trouva un parchemin portant cette inscription : "L'an de la nativité du Seigneur 710, le sixième jour du mois de décembre, sous le règne d'Eudes, très pieux roi des Français, au temps des ravages de la perfide nation des Sarrasins, le corps de la très-chère et vénérable Marie-Madeleine a été très-secrètement et pendant la nuit transféré de son sépulcre d'albâtre dans celui-ci, qui est de marbre, et d'où l'on a retiré le corps de Sidoine, afin qu'il y soit plus caché et à l'abri de ladite perfide nation."

"Une troisième fois, écrit Lacordaire, en présence d'une illustre et nombreuse assemblée, le prince de Salerne fit ouvrir le monument qui avait été scellé, et dont les sceaux furent reconnus intacts. Le chef de la sainte était entier, sauf l'os maxillaire inférieur, qui manquait; la langue subsistait, desséchée mais inhérente au palais; les membres ne présentaient à l'œil que des ossements dépouillés de leur chair, mais un parfum suave enveloppait ces restes rendus à la lumière du jour et à la piété des âmes."

Cette version sur la découverte du "chef" de Marie-Magdeleine (sa tête) ne fait pas l'unanimité et d'ailleurs Lacordaire le rappelle : le corps de la sainte a disparu au temps des croisades, et une rumeur dit qu’il se trouve à l’abbaye de Vézelay en Bourgogne, fondée par Gérard de Roussillon, comte et gouverneur de Provence (au IXe siècle). Lacordaire raconte l’effet de la bulle de Pascal II en 1203 qui autorisa le pèlerinage à Vézelay. « Ce fut un mouvement dont il est difficile de se faire une idée. On eut dit que toute la France courait à Vézelay, et ce lieu devint si grand dans l'opinion et la piété publiques, que Louis VII s'y rendit avec saint Bernard en 1147 pour y prêcher la seconde croisade. » (p. 186). La troisième y fut aussi préparée par Philippe-Auguste et Richard Cœur-de-Lion  en 1190. Mais, nous dit Lacordaire, le sire de Joinville (1224-1317), biographe de Saint Louis, le grand roi, sut rectifier l’erreur au retour de sa croisade, et discerna que les reliques étaient non à Vézelay mais encore à Saint-Maximin. En tout cas, les dominicains n'en ont pas douté, et en 1297, deux ans après l’installation des Prêcheurs à Saint-Maximin, l’Ordre, qui accordait dans sa liturgie une place exceptionnelle au culte de Marie-Madeleine, en élevant la fête de la sainte au plus haut degré de solennité, le même que pour les apôtres Pierre et Paul ou pour Jean-Baptiste, et chargeant le maître de l’Ordre de doter la messe d’une séquence appropriée, En 1297 enfin, deux ans après l’installation des Prêcheurs à Saint-Maximin, le chapitre général de l’Ordre accordait dans sa liturgie une place exceptionnelle au culte de Marie-Madeleine, le chapitre général élevant la fête de la sainte au plus haut degré de solennité, le même que pour les apôtres Pierre et Paul ou pour Jean-Baptiste, et chargeant le maître de l’Ordre de doter la messe d’une séquence appropriée, prescrivait de supprimer partout, dans la sixième lecture des matines, la mention relative à Vézelay.

J'ai raconté dans mon livre sur les médiums le rapport surnaturel que j'ai eu en 2014-2015 à la Sainte Baume. Or j'ai rencontré il y a trois semaines une femme "psychothérapeute" (en fait très branchée "développement personnel" et commerce avec les entités obscures sous des dehors très généreux) qui a eu, elle, un rapport intéressant à Vézelay où vivait sa grand-mère pendant son enfance. Une expérience teintée de spiritisme, à l'égard duquel, vous le savez, je reste très méfiant...

J'étais à deux doigts de me rendre à Vézelay aujourd'hui mais me suis ravisé quand j'ai appris que la gare se trouvait à 10 km de la basilique Sainte Marie-Madeleine. A défaut, j'ai commandé le livre de Jean-François Lecompte, "Vézelay une église guerrière", mais l'ouvrage est assez hélas mauvais. Il enfonce beaucoup de portes ouvertes du genre "la spiritualité est un combat", et comporte beaucoup d'hypothèses gratuites et d'approximations dans le style "il y avait une déesse égyptienne qui avait la forme d'un scorpion, en fait ce n'est pas un scorpion mais cela pourrait en être un etc", tout cela dans le but unique (très "new age") de rattacher la foi catholique aux antécédents païens (parce que Vézelay serait situé sur une colline "du scorpion"), ce qui au passage permet d'égyptianiser Marie-Madeleine et d'en faire l'auteur de la résurrection de Jésus (comme le terrible "Manuscrit de Marie-Madeleine", hélas en vente dans la librairie de la Sainte-Baume). D'ailleurs le livre renvoie à la "spirale de Lug" que Charpentier a identifiée dans notre bonne vieille Gaule à coup d'étymologies douteuses (j'en avais déjà dit bien du mal ici). Qui se ressemble s'assemble... L'auteur glisse bizarrement Léon Bloy au milieu de tout cela, ce qui encouragera peut-être certains à taxer l'auteur de "L'âme de Napoléon" de luciférisme... Je garde quand même de ce bouquin l'enseignement selon lequel au Moyen-Age les pèlerins partaient pour Compostelle soit à la Saint-Jacques, soit à la Sainte Marie-Madeleine... Ce qui laisse entendre tout de même que cette sainte avait une importance majeure, et, comme Saint-Christophe, un rapport spécial aux pèlerinages, dont l'analyse (si on la fait rigoureusement) pourrait peut-être révéler quelque vérité secrète importante...

Lire la suite

L'Heptaméron et Marie-Madeleine

4 Juin 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Sainte-Baume, #Histoire secrète, #Alchimie

Dans notre précédent billet sur Marguerite de Navarre et Ste Marie-Magdeleine, nous avons un peu laissé en suspens la question de savoir si l'Heptaméron était un recueil de nouvelles codées, et celle, plus spécifique, de savoir si la 32 ème nouvelle, dans laquelle une jeune et belle femme adultère en Allemagne est forcée par son mari de boire dans le crâne de son amant assassiné par ce dernier et d'avoir les os de ce dernier dans son armoire. parlait de la sainte pénitente d'un bout à l'autre (en langage codé) ou seulement à la fin (sur un mode manifeste).

L'historien de la poésie de la Renaissance François Rigoulot, s'est confronté à cette question dans Renaissance Quartely en 1994 en essayant quelques hypothèses sur une possible dénonciation "protestantisante" par la nouvelle du culte des reliques de la pénitente de la Sainte Baume, hypothèse quand même assez peu probable quand on songe au rapport de Marguerite de Navarre au catholicisme très bien disséqué par Jean-Marie Le Gall, dans  « Marguerite de Navarre : The Reasons for Remaining Catholic », A Companion to Marguerite de Navarre, p. 59-87, paru en 2013.

Plus récemment, dans un article paru en janvier 2021, « Véritable Histoire: L’Heptaméron et la Madeleine », Gary Ferguson s'interroge aussi sur ce qu'a pu être le rapport de la reine de Navarre aux reliques (elle qui s'est occasionnellement inclinées devant certaines, et a largement subventionné des institutions ou des mystiques très attachés à leur culte), et il montre que l'Heptaméron est assez modéré (comme son autrice) sur la question, ne tranchant pas la question de savoir s'il s'agit de superstition ou d'une marque sincère de piété (voir la nouvelle 65). Le protestant Théodore de Bèze allaient d'ailleurs lui reprocher d'avoir classé, avec Roussel, ce genre de dévotion au nombre des choses indifférentes.

Ferguson rappelle l'attitude sceptique du proche de Marguerite de Navarre, Demoulins de Rochefort, auteur de la Vie de la belle et clere Magdelene (1517), commandée par Louise de Savoie (la mère de Marguerite) après le pèlerinage de la famille royale à la Ste Baume, à l'égard de la relique du chef de la disciple de Jésus, et du bout de chair, le Noli me tangere, qu'il propose d'appeler le Noli me credere. Marguerite aurait été partagée entre les avis avancés des intellectuels sur la question des reliques et sur le fait que Marie Magdeleine ne pouvait être assimilée à une prostituée (qui est aussi la position, notons le, de la visionnaire allemande Soeur Catherine Emmerich à la fin du XVIIIe siècle), et les éléments de la tradition catholique.

Avant la nouvelle 32, la nouvelle 19 fait aussi référence à la sainte pénitente. raconte l'histoire de deux jeunes gens, un gentilhomme et sa bien-aimée Pauline, tous les deux au service du marquis et de la marquise de Mantoue. Après que leurs maîtres leur ont refusé la permission de se marier, les amoureux se font religieux franciscains. En conclusion, ils vivent, selon la narratrice, « si sainctement et devotement en leur observance, que l’on ne doit douter que celuy, duquel la fin de la loy est charité, ne leur dist à la fin de leur vie comme à la Magdaleine, que leurs pechez leur estoient pardonnez, veu qu’ils avoient beaucoup aimé ».

Marie-Madeleine Fontaine dans "Marie Madeleine, une sainte courtisane pour les dames de cour", Female Saints and Sinners, Saintes et mondaines (France 1450-1650), dir. Jennifer Britnell et Ann Moss, Durham, Durham University, coll. Durham Modern Languages Series, 2002, p. 1-37, a montré que cette nouvelle est liée  au pèlerinage qu’a effectué la famille royale à la Sainte-Baume en janvier 1516. Dans la suite de François Ier à l’époque se trouvait Frédéric de Gonzague, qui avait été fait prisonnier pendant la campagne italienne. Celui-ci décrit le pèlerinage dans les lettres qu’il adresse à sa mère, Isabelle d’Este, marquise de Mantoue. Or, l’année suivante, en avril 1517 (voir ici), Isabelle décide de faire le même pèlerinage, retraçant à l’identique la route suivie par la famille royale française. Pour Marguerite, comme l’explique M. Fontaine, « tout cela défigurait et rabaissait en quelque sorte son propre pèlerinage, et surtout nuisait au caractère royal et national qu’elle a contribué à mettre en place avec sa mère autour de Madeleine ». La nouvelle 19 serait une vengeance contre Isabelle d’Este. On notera que ce pèlerinage de la Marquise de Mantoue eut quelques conséquences artistiques intéressantes aussi, puisqu'ensuite celle-ci commanda à Giulio Romano une Maddalena leggente inspirée d'un original perdu du Corrège, qui contribua à diffuser ce style de représentation inhabituel en Italie. Au delà des Alpes le pèlerinage d'Isabelle d'Este donna lieu à la rédaction par l'humaniste Mario Equicola d'un récit Iter in Narbonensem Galliam qui raconte de le pèlerinage et compare la marquise à la Madeleine, car son comportement fut stigmatisé quand son mari était prisonnier à Venise en 1509. Mario Equicola étant un disciple de Lefèvre d'Etaples, il y avait glissé que Magdeleine n'était pas la prostituée de chez Simon le Pharisien, les pages sur ce point furent censurées (couvertes de feuilles de papier). Le fils d'Isabelle d'Este, Federigo, allait ensuite commander au Titien une Madeleine "avant sa conversion" très sensuelle pour la très pieuse Vittoria Colonna (1490-1547), poétesse et marquise de Pescara, qui la trouva fort à son goût, ce qui conduit les historiens à débattre en profondeur sur le véritable sens

de cette nouvelle Magdeleine.

Pour revenir à Marguerite, ce qui intéresse Ferguson dans la nouvelle 32 c'est qu'une des commentatrices à la fin de l'histoire se demande si Magdeleine pécheresse repentie doit être regardée comme ayant ou non plus de mérite qu'une vierge. Il rappelle que les diverses iconographies (la nudité de Madeleine à la Ste Baume, les anges comme des cupidons à ses côtés) et la spéculation sur les femmes qui dans l’Évangile oignent les pieds et la tête du Christ ou seulement sa tête, tracent l’ambiguïté d'une Magdeleine prise entre ciel et terre, ambiguïté qui était aussi celle de la noblesse française et de la famille des Valois.

"Cette Madeleine double – spirituelle mais aussi noble, mondaine et sensuelle –, écrit Ferguson, même si elle est une fiction, a pu interpeller Marguerite, incarnant pour elle une vérité religieuse qui touchait de près à sa situation personnelle et à celle de sa famille, surtout à celle de son frère. Car la dualité était de nature réversible : si la sainte pénitente était toujours la pécheresse, les activités de sa jeunesse, à l’inverse – les fêtes, la chasse, les amourettes, illustrées avec tant de finesse par Godefroy le Batave –, ne sauraient être simplement dénoncées ; dans une certaine mesure, elles sont valorisées et douées d’un potentiel spirituel. Dans cette optique, la figure de la Madeleine serait comparable au discours néoplatonicien à la Renaissance. Si celui-ci prônait comme fin idéale la transcendance, il était souvent mobilisé pour justifier et anoblir des amours terrestres et physiques. "

Le sujet va très loin. Car il s'agit d'appliquer  1 Jean 4:20 "Si quelqu'un dit: J'aime Dieu, et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur; car celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas?" également à l'amour érotique (on n'est pas loin du tout là, pour le coup des saint-simoniens dont je parle dans mon livre sur Lacordaire, et cela donne une coloration très particulière au "C'est pourquoi je vous déclare, que beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé : " de Luc 7:47.

Certaines indulgences de Marguerite à l'égard des frasques amoureuses de François Ie y trouvent leur source (ce que d'ailleurs condamna explicitement Montaigne dans son Essai "Des prières")

"Ainsi la figure de Marie Madeleine, ajoute Ferguson, – celle de la tradition, la composite – a pu confirmer Marguerite dans la conviction que même si les plaisirs de la chair étaient des péchés, ils n’étaient pas les pires, ceux qui éloignaient le plus de Dieu ; voire, dans certains cas, ils pouvaient même conduire à lui".

Ferguson rappelle aussi que dans l'entourage de Marguerite de Navarre on était sensible au magistère de Marie Magdeleine. La Vie de Demoulins prolonge l’histoire en affirmant qu’après l’Ascension du Christ, l’apôtre des apôtres a prêché, aux côtés de ses condisciples masculins, dans la région de Judée. L'illustration de Godefroy le Batave souligne cette activité de prédication où on la voit parler l’index droit levé ou se tenant derrière une sorte de pupitre.

Marguerite  qui avait commandé une copie du Mystère des Actes des Apôtres (vers 1465), attribué à Simon Gréban, en un temps où l'on cherchait à se rapprocher des premiers chrétiens, pouvait être sensible au passage de la Vie de la belle et clere Magdalene qui la montre recevant l'Esprit saint avec les Apôtres à la Pentecôte (la nouvelle 67 de l'Heptaméron insiste sur le rôle évangélisateur des femmes).

"Dans certains cercles catholiques réformateurs en Italie, rappelle Ferguson, on accordait également beaucoup d’importance aux rôles des femmes dans l’Église et à Marie Madeleine : au couvent de Sainte-Marthe à Milan, par exemple (cette sainte Marthe, rappelons-le, que la tradition considérait comme la sœur de Marie Madeleine). Le couvent était dirigé par l’abbesse charismatique, Arcangela Panigarola. Entre 1512 et 1520, celle-ci a entretenu une correspondance avec Denis Briçonnet, ambassadeur extraordinaire de François Ier dans les années 1516-1519. Son frère aîné, Guillaume, a aussi échangé un certain nombre de lettres avec l’abbesse, quelques années avant de commencer sa correspondance plus célèbre avec Marguerite de Navarre (1521-1524). Le cercle milanais était influencé par les idées du franciscain, Frère Amédée Menez de Silva ou du Portugal (v. 1420-1482), qui mit par écrit une « révélation angélique » concernant, en partie, la Madeleine. Selon le Frère Amédée, celle-ci serait bien la sœur de Lazare et de Marthe, mais non pas la pécheresse notoire de l’Évangile selon saint Luc. Ce texte était connu de Marguerite de Navarre, parce que François Demoulins l’avait inclus, en latin et en traduction française, dans le manuscrit".

Dans un livre d’heures de Catherine de Médicis, qui avait peut-être été en la possession de François Ier, Marguerite elle-même semble être représentée sous les traits de Marie-Magdeleine. Fergusson conclut qu'elle a pu apprécier les ambiguïtés même de la figure traditionnelle de Madeleine (y compris sa dimension composite des trois Maries) sur laquelle de nombreuses interprétations peuvent se greffer, son caractère de support "indifférent" (ni bon ni mauvais pour la foi) qui requiert la bonne intention du croyant pour la rendre féconde pour les valeurs chrétiennes. Le statut de vérité assez opaque que l'on doit accorder aux figures prêtées à la sainte rejoint celui des contes soi-disant authentiques (alors que visiblement beaucoup ne le sont pas) de l'Heptaméron. L'objet étant par là, à travers l'ambiguïté même, d'atteindre un statut de vérité spirituelle plus profond.
 

A titre personnel, j'aurais envie d'ajouter un petit détail un peu étrange si l'on part sur l'idée que la 32e nouvelle de l'Heptaméron est codée que, à la fin du conte, quand l'envoyé du roi Charles VIII Bernage persuade le mari trompé de pardonner à sa femme au vu de son repentir, l'ambassadeur de retour à Paris demande à un certain "Jehan de Paris", peintre, d'aller faire le portrait de la repentante. Ce point tombe un peu "comme un cheveu sur la piste". L'éditeur de l'Heptaméron Michel François explique de Jean Perréal, dit de Paris, "peintre fameux de la fin du XVe siècle dont le nom même était resté à peu près ignoré jusqu'aux travaux du Comte Léon de Laborde" était célèbre dans la région de Lyon. Il fut peintre ordinaire et valet de chambre de Charles VIII, faveur qu'il conserva encore sous le règne de François Ier. La plupart de ses oeuvres sont perdues. André Vernet, futur membre de l'Institut, dans un article de 1943, Jean Perreal, poète et alchimiste, avait mis en lumière l'oeuvre d'alchimiste de ce peintre poête, et en 1948 lui avait attribué le poême Complainte de la Nature, première transcription en vers français du savoir alchimique. Depuis lors, dans les années 60 une enluminure de Perreal a été retrouvée, puis d'autres oeuvres lui ont été attribuées mais sans certitude.

Faut-il penser que l'alchimie de Perreal avait un rapport particulier à Marie-Madeleine (ce qui nous conduirait sur les terrains glissants d'une Madeleine liée au Grand-Oeuvre - cf le livre dirigé par Brigitte Barbaudy-Ngoma) ? ou s'agit-il une fois de plus d'une référence à la famille d'Este (comme dans la nouvelle 19), puisqu'il est avancé comme hypothèse qu'il a fait un portrait en 1492 de Béatrice d'Este, 17 ans, fort jolie soeur de la précitée Isabelle d'Este, à l'initiative d'un pèlerinage intempestif à la Sainte-Baume ?

Lire la suite

Marguerite de Navarre à la Sainte Baume

1 Juin 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Sainte-Baume, #Histoire des idées

Les éléments que je vais exposer ici sont principalement empruntés à l'excellent livre de Patricia Eichel-Lojkine, professeure de littérature française du XVIe siècle à l'université du Mans, "Marguerite de Navarre, Perle de la Renaissance" publié aux éditions Perrin en 2021.

Après la campagne de son frère François Ier dans la région de Milan (et la victoire de Marignan) en 1515, et la rencontre du roi avec le pape Léon X en décembre, Marguerite d'Angoulême (23 ans, duchesse d'Alençon et pas encore reine de Navarre) est censée le retrouver dans les Etats de Provence (qui ne sont français que depuis 35 ans), en janvier 1516. Là s'est développé depuis 300 ans un pèlerinage très important sur le lieu présumé de l'exil de Sainte Marie-Madeleine, la grotte de Sainte-Baume. Anne de Bretagne et Louis XII notamment l'avaient visité en 1503. La mère de Marguerite d'Angoulême, Louise de Savoie, voue une dévotion particulière à la sainte pénitente.

François Ier alla s'incliner devant les reliques de la sainte à Saint-Maximin le 20 janvier 1516. Dans son livre consacré à Marie-Madeleine, le théologien Maximin-Martial Sicard (1842-1918) précise que les femmes "fussent-elles princesses ou reines" n'avaient pas le droit d'entrer dans la crypte. La reine Claude, la reine-mère Louise de Savoie, Marguerite d'Angoulême et les femmes de l'aristocratie qui les accompagnaient se recueillirent donc à l'extérieur.

Le lendemain, le 21, ils montèrent ensemble à la grotte où l'église était délabrée (la famille royale allait faire un don pour la réparer ainsi que l'hospice des étrangers). Sicard précise (ce que Mme Lojkine hélas ne reprend pas) que François Ier "plaça un portique à l'entrée de la grotte. Il était orné d'un frontispice d'ordre corinthien, mêlé de gothique, avec entablement surmonté d'un fronton brisé au milieu, un bas-relief représentait sainte Marie-Madeleine portée par tes anges au Saint-Pilon. Le fronton était encadré par deux statues de trois pieds, l'une de saint François d'Assise, patron du roi, l'autre de saint Louis, roi de France, patron de Louise de Savoie, sa mère. Le fils et la mère se firent, en outre, représenter eux-mêmes à genoux entre ces deux statues et le bas-relief. L'ouverture de ce monument fut ménagée de telle sorte que tes rayons du soleil n'entraient, dit-on, dans la grotte que le 22 juin" (à moins que ce ne soit le 22 juillet fête de Marie-Madeleine, mais je ne crois pas que Sicard ait pu se tromper de mois).  François Ier allait y revenir en 1533 et cinq ans plus tard mettre la forêt à l'entour sous sa protection.

C'est lors de ce pèlerinage que Marguerite allait croiser pour la première fois Henri II d'Albret, 12 ans, qu'elle allait plus tard épouser en tombant fort amoureuse de lui.

Avant la dévotion à Ste Marie Magdeleine, la princesse et les reines parties d'Angers le 20 octobre 1515 sont passées par Lyon en décembre, Valence, Montbéliard, Pont-Saint-Esprit, Orange, Avignon. D'Avignon elles ont pris le bateau jusqu'à Tarascon où elles ont fait leurs dévotions au sanctuaire de Sainte-Marthe, la soeur de Marie-Madeleine. Puis elles ont poursuivi vers Salon, Aix et Saint-Maximin où elles sont arrivées le 31 décembre 1515.

Patricia Eichel-Lojkine ne dit rien de l'ascension de la Sainte-Baume le 21 janvier (cependant on peut en trouver une brève description ici), mais précise (p. 58) que le 12 février, la reine-mère Louise de Savoie, sur la Drôme, reçoit une révélation intérieure : de demander à son fils François Ier de réciter le Psaume 26, ce qui dans le langage de l'époque sera formulé ainsi "Madame fut spirituellement admonestée de faire parler son humilité à l'obéissance du roi son fils, et le supplier que pour oraison dévote il prît le psaume 26e, lequel est convenable pour lui". On ne sait quel danger elle avait pu sentir sur la rivière.

En souvenir du pèlerinage à la Sainte-Baume commande est passée à François Demoulins de Rochefort pour deux écrits sur la repentance et la modestie : une glose en français du psaume protecteur et une hagiographie de Marie-Madeleine.

Les pages du commentaire du Psaume 26 seront illustrées par Godefroy le Batave. On y voit Louise de Savoie et François Ier contemplant le crucifix. Les illustrations célèbrent la piété filiale de François envers sa mère et leur dévotion. La reine-mère sera si satisfaite qu'elle attribuera une généreuse pension à l'artiste.

Pour mémoire le Psaume 26 commence ainsi :

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

Le traité sur Marie-Madeleine de Demoulins de Rochefort est consultable ici. Il est assez étrange. On y trouve par exemple une condamnation des pleurs qui sont pourtant un attribut important de la pénitente.

"Larmes humaines sont inutiles", écrit l'auteur, et l'enluminure jointe précise "Prier sert, pleurer est folie" autour d'une représentation de Marthe, Magdeleine et Lazare.

Le traité raconte (en s'inspirant d'on ne sait quelle tradition) comment Lazare et ses soeurs "abandonnèrent les sépultures de ceux qui les avaient engendrées" et se partagèrent leur héritage : "Lazare prit ce qui était en Hiérusalem, Marthe ce qui était en Béthanie, et le château de Magdalon fut pour la belle Magdelene". "La pauvre Magdalene était trompée, car elle aimait les fils des hommes et dansait avec eux non advertie que le fils de Dieu qui en beauté surmontait toutes créatures humaines était venu en ce monde pour son salut."

Ce texte est si intéressant que je préfère en réserver l'analyse pour un autre billet, afin de ne pas trop surcharger celui-ci.

Patricia Eichel-Lojkine souligne (p. 59) que le pèlerinage à Saint Maximin et la Sainte-Baume et l'expérience spirituelle du recueillement autour de Marie-Madeleine a "transformé la famille (royale) unie dans l'humilité". Du côté de Marguerite d'Angoulême, cela se traduira par une approche de son frère comme un nouveau roi David placé "sous le tabernacle de divine protection". Et Marguerite va désormais nourrir une véritable fascination pour Marie-Madeleine.

L'enseignante écrit (p. 59) : "La lecture de la vie de la pénitente et la vue des reliques en Provence la marquent durablement puisqu'elle y fera encore une allusion dans un de ses contes ( l'Heptaméron 32e nouvelle)". Je suis pour ma part assez réservé sur cet argument car la seule allusion à Magdeleine se trouve à la fin du conte quand Ennasuitte demande "Dites moi si la Magdeleine n'a pas plus d'honneur entre les hommes maintenant, que sa soeur qui était vierge ?". Mais cette seule mention sur 72 nouvelles est tout de même légère, compte tenu de la popularité de la sainte pénitente dans la chrétienté, cette vingtaine de mots sous la plume d'une écrivaine très croyante ne trahit pas l'existence d'une dévotion particulière. Sauf à considérer l'ensemble du conte comme un récit à clé, et voir par exemple dans les mentions des os de l'amant et du crâne une allusion aux reliques de la sainte (j'ai montré dans le même sens dans mon récit sur Lacordaire que son rapport au crâne de Mme de Sévigné pouvait anticiper sur la thématique du crâne chez l'ascète de la Sainte-Baume), mais il est assez hasardeux de s'aventurer sur ce chemin ne serait-ce que parce que je souscris à l'opinion du préfacier Michel François dans l'édition de 2005 selon laquelle les contes de l'Heptaméron sont des histoires vraies).

Demoulins de son côté va se lancer dans la recherche des "trois Maries" (Marie de Magdala, Marie la pécheresse et Marie de Béthanie soeur de Marthe) et montrer que le nom de Marie-Madeleine ne peut condenser ces trois personnages comme l'a cru à tort le pape Grégoire le Grand. Le savant sexagénaire Jacques Lefèvre d'Etaples dans son traité De Maria Magdalena de 1517 ira dans le même sens. Marguerite et Louise de Savoie soutiendront Lefèvre et Demoulins sera nommé grand aumônier de France en 1519. L'appui à Lefèvre, attaqué par la Sorbonne après la condamnation des thèses de Luther en 1521, n'allait jamais se démentir de la part des Valois..

Patricia Eichel-Lojkine raconte ensuite l'arrivée de la famille royale à Marseille où l'on vénère les reliques de St Louis d'Anjou. Elle y entre sous escorte de 1 500 chevaliers, 2 000 jeunes filles aux cheveux dénoués les accueillent et les accompagnent à la chapelle Notre-Dame de la Garde. L'historienne raconte la bataille de galères à coup d'oranges à la place des obus dans le port et la rencontre entre François Ier et un rhinocéros à corne unique de Goa à l'île d'If que le roi du Portugal veut offrir au pape.

Mais restons en à ces sujets de réflexion autour de l'influence de Marie-Madeleine sur la reine de Navarre. Je crois qu'il y a beaucoup à creuser de ce côté-là et que Patricia Eichel-Lojkine n'a fait qu'ouvrir le chemin. D'ailleurs ne faut-il pas voir encore une synchronicité autour de la famille de Béthanie, dans le fait que c'est un Charles de Sainte-Marthe , théologien poitevin disciple de Lefèvre d'Etaple, qui fut son protégé à Alençon et à Nérac, qui prononcera son éloge funèbre en 1559 ?

Lire la suite
<< < 1 2 3 4 > >>