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Pedro Aguilar (1819-1881)
Dans un des premiers billets de ce blog il y a presque dix ans, j'avais cité un extrait des mémoires de mon grand père paternel avant que les Editions du Cygne ne les publient. Cela parlait de mon arrière grand père, de son père etc et au fil des ans et des recherches par mots clés ce billet avait poussé des généalogistes amateurs à me contacter. Il avait eu cette utilité.
Du coup je crois devoir dire un mot ici d'un autre ancêtre de ma branche paternelle, plus précisément l'arrière grand père de ma grand mère paternelle, car j'ai exploité récemment l'autobiographie de quelques pages qu'il a laissée, ou du moins la synthèse dactylographiée qu'un de ses descendants a transmise à la famille. Cet homme a fini sa vie comme franciscain de l'ordre tertiaire, tout comme sa femme. Et donc, autant la biographie de mon aïeul plongeait le lecteur dans la vie de l'armée républicaine espagnole en Catalogne du XXe siècle, autant la sienne fait entrer dans l'univers catholique aragonais du siècle précédent.
Il se nomme Pedro Aguilar, né à Castelseras (pas très loin d'Alcaniz dans le Bas-Aragon) le 19 février 1819. Il a eu quinze enfants avec Valentina Gomez dont beaucoup moururent en bas âge. Il les liste dans sa biographie.Une d'entre elles fut mon arrière grand-mère, Maria Aguilar, née en 1845, qui allait devenir Maria Planchat le 21 janvier 1865. Un de ses fils Francisco allait être en 1870 prêtre à La Zoma dans un autre district aragonais, un autre Felipe sera aussi ordonné le 12 mars 1881, donnera sa première messe à Valdealgorfa, puis dans les jours qui suivirent affecté à la Zaida dans la province de Saragosse, il y mourut le 15 avril (vendredi saint) de la même année.
En dehors de la liste des naissances et des enterrements, peu de faits significatifs dans sa vie sauf quelques actes de dévotion assez pittoresques, comme celui-ci :
En 1862 (année pénible pour l'auteur car son fils Miguel né en avril mourut en septembre), il raconte : "J'ai voyagé pour chercher de l’eau miraculeuse de San Gregorio pour les villages d’Alcaniz, Valdealgorfa et Casteseras pour le prix de six duros chaque village. J'ai pris train de Saragosse le 17 septembre 1863. Au bout de six heures je suis arrivé à Pampelune. Là je me suis arrêté une journée et de là j'ai pris un fiacre jusqu'au pont de la Reine. Je suis passé par Estrella et le passage de la Mola jusqu’à l’ermitage qui est sur une montagne très haute et qui a une chapelle magnifique. L'eau passe par la tête du saint. Je suis reparti tout de suite et au retour je suis passé par les Arcs de Navarre et de là à Calahorra" puis à Saragosse. Il recommence le 16 octobre de la même année en suivant un autre itinéraire (et deux mois plus tard, le 29 décembre, Pedro Aguilar perdait sa mère Josefa Antolin morte à la maison de sa soeur à Alcaniz).
San Gregorio Ostiense, Saint Grégoire évêque d'Ostie est un saint italien du XIe siècle protecteur des champs qui faisait fuir les fléaux. Envoyé par le pape Benoît IX dans la vallée de l'Ebre à la demande des habitants il fit fuir criquets et pucerons, et il soulagea Calahorra des sauterelles. La dévotion à sa statue commença au XVIe siècle. Il était d'usage que les conseils municipaux envoient à la basilique dédiée à ses reliques, près de Sorlada (en Navarre), quelqu'un chercher de l'eau bénite que l'on faisait passer par le crâne de son saint (le reliquaire étant ouvert par le haut et par le bas) pour ensuite bénir les champs. "Andar más que la cabeza de San Gregorio" est un proverbe connu en Espagne.
L'Aragon est alors très pauvre, le choléra y sévit. Les récoltes sont souvent insuffisantes et le recours à Saint Grégoire est la seule solution.
Pedro Aguilar avait une dévotion particulière à la Sainte Vierge.
Il raconte "Le 11 août 1884, ont été organisés 3 jours de fête à La Codoñera pour la Vierge de Lorette pour l'accomplissement du centenaire de l'édification de la chapelle. Je suis reconnaissant à cette Vierge parce qu'à ce même endroit en un quart d'heure j'ai eu la vie sauvée trois fois pendant la guerre civile. Et j'ai connu un homme de village qui s'appelait Mariano Lusona qui, à l'âge de 80 ans, a vu des dents lui sortir comme à un enfant".
La guerre civile à laquelle Pedro Aguilar fait référence était la guerre carliste et plus précisément la bataille menée par les conservateurs carlistes sous la bannière du général Cabrera en 1868. Le centenaire de la chapelle de ND de Lorette le conduit à une digression sur cette année (16 ans plus tôt)
"La guerre de Cabrera fut très sanglante, écrit-il juste après, et aussi si cruelle que dans un camp de prisonnier ils en vinrent à se manger entre eux tant ils mouraient de faim, et à cette occasion un fils tua son père sans le connaître et après l'avoir tué il lui prit sa trousse de sergent et y trouva une lettre qu'il avait écrite à sa mère qui indiquait son adresse et disait qu'il était en Aragon pour quelque bien à faire et quand il vit que son père était mort il était désespéré par le regret et le même jour il vint se réfugier ici au village de Valdealgorfa".
C'est l'année de la "révolution glorieuse" qui renverse Isabelle II et s'accompagne de persécutions religieuses à Valdealgorfa (interdictions de messes et de fêtes).
Pedro Aguilar était devenu « hermano de la santisima trinidad » à Alcaniz le 7.8.1881, puis il il avait pris la bure franciscaine en 1882, sa femme fait de même l’année suivante mais meurt peu après. Pedro est atteint d'une paralysie provisoire en 1882. Valentina Gómez née à Madrid en 1820 mourut le 19 février 1883 après sept jours de pneumonie.
Il dit avoir assisté le 1er octobre 1890, à 81 ans, au second congrès espagnol eucharistique de Saragosse présidé par le cardinal Miravides en présence de trente archevêques et évêques. C'est l'avant dernier événement qu'il cite avant la mort de sa petite fille Candelaria seconde fille de sa fille Lucia en 1893.
Du point de vue de l'exorcisme et des malédictions transgénérationnelles, je dois expier du côté de cet aïeul son invocation du mort Grégoire d'Ostie, et son pacte avec la Reine des cieux qui l'a sauvé quatre fois.
Pakhon et le plaisir solitaire (Histoire lausiaque)
Pakhon, ou Pachon, ascète établi dans le monastère du désert de Scété à l'Ouest du delta du Nil (on sait quelle fascination le monachisme égyptien exerça sur tout le bassin méditerranéen et jusqu'en Irlande à la fin de l'Empire romain), avait expliqué à Pallade de Galatie (363-430), comme il le relate dans son Histoire Lausiaque (ch XXIII) qu'il trouvait trois causes au désir charnel : la santé de la chair, les idées suscitant les passions, et le démon. Agé de 70 ans il se vantait d'avoir été tenté chaque nuit entre 50 et 62, alors qu'il vivait au désert depuis 30 ans le démon l'avait tenté. Se croyant abandonné par Dieu, il avait abandonné son corps aux hyènes mais ne fut pas dévoré. Se croyant pardonné par Dieu, il retourna dans sa cellule. Le démon alors l'assaille. "S'étant donc transformé en une jeune fille éthiopienne, qu'autrefois dans ma jeunesse j'avais vue glanant en été, raconte Pakhon,elle s'assit sur mes genoux et m'excita au point que je crus avoir commerce avec elle. Cela étant, plein de fureur, je lui donnai un soufflet et elle devint invisible. Or pendant deux ans je ne pouvais plus supporter la mauvaise odeur de ma main. Etant réellement devenu découragé, je sortis errant çà et là dans le désert. Et, ayant trouvé un petit aspic et l'ayant pris, je le porte à mes parties génitales, afin que je mourusse (...) Je ne fus pas mordu. Alors j'entendis venir dans mon esprit une voix comme ceci 'va-t-en Pakhon,lutte. Car c'est pour ceci que je t'ai laissé avoir le dessous, afin que tu ne t'enorgueillisses pas' ". A partir du moment où il sut qu'il ne pouvait combattre la tentation sans Dieu, il ne fut plus provoqué par le démon sexuel.
Je suis frappé par les connotations isiaques de ce texte. La position de l'Ethopienne sur les genoux de l'ascète qui est aussi celle des succubes fait penser à celle d'Isis sur Osiris, et le recours à l'aspic sur un attribut sexuel pour se suicider à Cléopâtre "Nouvelle Isis" livrant son sein à la morsure de l'aspic après la défaite d'Actium.
Point aussi remarquable, ce récit n'exagère pas le risque de malédiction au contact d'un démon sexuel et y voit surtout un défi à l'orgueil voulu par Dieu.
Ce Pachon serait un saint, selon Les vies des Saints pères des déserts et de quelques saintes. Volume 2 p. 201 (1653) du conseiller d'Etat Robert Arnauld d'Andilly(1589-1674), selon le RP Jean-Baptiste Saint Jure dans l'Homme religieux (1663) p. 349, et selon l'abbé Laurent Durand dans ses Cantiques de l'Ame Dévote en 1824 p. 179, mais je ne trouve pas d'autres traces de Saint Pachon sur Internet et l'on peut douter que cet ermite connu seulement d'après Palladius ait été canonisé. Pakhon est par ailleurs le neuvième mois du calendrier égyptien antique correspondant à fin avril début mai.
Une affiche...
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Jeu : sur l'affiche ci-contre trouvez au moins trois détails apparemment "sympas" mais spirituellement assez démoniaques... Réponses : 1) le chanteur qui fait un signe diabolique à haut à droite ; 2) Gandhi (pour la promotion de la "sagesse" orientale) ; 3) les gens nus en bas à gauche (l'adamisme) ; 4) la Terre-mère au milieu ; 5) euh, peut-être le papillon au milieu si c'est une référence au mythe pythagoricien de Psyché... J'en oublie sûrement.
Lu dans "Le démon de Socrate" de Plutarque
"Infinis sont les chemins de vie, mais peu nombreux ceux où les hommes sont guidés par des démons" (§16 - p. 97).
"Homère, lui aussi, on le voit bien, connaît cette distinction dont nous parlons (entre hommes ordinaires et supérieurs) ; en effet il appelle certains devins augures et prêtres, mais il en est d'autres qui, selon lui,prédisent l'avenir parce qu'ils comprennent le langage des dieux eux-mêmes et sont dans le secret de leurs pensées" (propos de Theanor qui cite le cas d'Helenos fils de Priam) - §24 p. 115)
On peut lire le voyage astral de Timarque de Chéronée à Trophonios et celui d'Hermotimos de Clazomènes.
Une histoire secrète des Goths ?
Je ne prétends pas pouvoir dire quoi que ce soit de pertinent sur les Goths. Et je ne suis pas sûr que les universitaires puissent en dire grand chose non plus. Quand j'ai interrogé un spécialiste du sujet membre du CNRS, sur la question de savoir si les Goths peuvent être apparentés aux Gètes, comme beaucoup de sources médiévales l'ont suggéré, il m'a sèchement répondu il y a quatre mois "les Gètes sont les Thraces et donc ne sont pas les parents des Goths". Sauf que ça n'explique pas du tout pourquoi tant d'auteurs les rapprochent. Et puis il y a l'éternel problème : comment peut-on être catégorique sur une période où les sources documentaires font tant défaut.
Second point, je voudrais préciser que je suis méfiant à l'égard des travaux du journaliste belge Gérard de Sède, connu notamment pour ses enquêtes sur le mystère de Rennes-le-Château.
Ceci étant posé, ce n'est pas parce qu'on ne sait rien, et qu'on se méfie aussi bien de certaines sources universitaires que de certains journalistes qu'il faut s'interdire d'essayer d'avancer sur certains sujets.
Attaquons nous donc aux Goths. On sait qu'ils ont mauvaise presse dans l'univers catholique, parce qu'ils véhiculaient une hérésie religieuse, l'arianisme, qui était particulièrement brutale dans ses effets (on sait par exemple quelle violence Sébastien l'Arien, surnommé par Athanase "Sébastien le Manichéen" imposa en Egypte. Les catholiques du XIXe siècle comme Antoine-Frédéric Ozanam imputait cette violence à leur déisme (puisqu'en bon ariens ils déniaient à Jésus la nature divine, et donc refusaient d'admettre qu'un Dieu d'amour se soit incarné et soit mort sur la croix, Jésus n'est pour eux qu'une sorte de "maître ascensionné" comme dans la théosophie). Il faut rappeler cela aujourd'hui où le catholicisme a assoupli sa catéchèse et où la culture classique sur les religions s'est érodée.
Les Goths n'ont-ils fait que véhiculer l'arianisme ? Partons de cette question, et abordons là d'abord à travers De Sède, quelle que soit la méfiance qu'il nous inspire. Nous pourrons toujours corriger le tire ultérieurement.
De Sède dans "Le Mystère gothique" (Robert Lafont, 1976) nous explique d'abord qu'on ne sait pas bien d'où viennent les Goths. Jordandès, notaire goth qui se fit moine et finit évêque de Ravenne sous le règne de son compatriote Totila, dans son livre "De origine actibusque getorum" écrit vers 555 en complément d'un livre aujourd'hui disparu de Cassiodore, conseiller de Théodoric le Grand nous aurait enseigné que les Goths venaient de Scandinavie, mais, nous dit De Sève, on l'aurait mal interprété. Rien ne prouve que "l'île Scanzia" dont parle Jordandès serait cette péninsule, pas même la toponymie qui y évoque les Goths (car elle les évoque ailleurs aussi), ni les tombes muettes semblables à tant autres ailleurs que des gens comme Eric Oxternstiern ont commentées en 1948.
En relisant le passage de Jordanès, nous dit De Sède, on voit bien que Scanzia est l'endroit où ils arrivent et non d'où ils partent, et ils la nomme Gothiscanzia. Jordandès parle du goth Dicineus, philosophe harpiste, qui vivait du temps où Sylla dominait Rome. C'est lui qui aurait enseigné aux Goths les noms des étoiles, le zodiaque, l'évolution de la lune. De Sède en profite pour signale qu'Ostrogoths et Wisigoths pourraient signifier Goths brillants et Goths sages.
Puis, en partant de la Jewish encyclopedy tome VII, il note que pour les Pères de l'Eglise dans la Bible Gog (le roi de Magog) ce sont les Goths. Et, puisque Cassiodore et Jordanès nomment les Goths "Gètes", il remonte aux Massagètes des bords de la Caspienne cités par Hérodote, voit dans leur nom via le sanskrit le mot "mère des Gètes" et l'origine du mot Mesech, sur les bords de la Mer Noire où, selon Ezechiel, était le royaume de Gog,tandis que Tubal, où régnait aussi Gog, en Asie mineure, peut être le royaume des Amazones auxquelles les Gètes s'unirent selon Strabon et Jordandès pour conquérir la région du Danube.
Tout cela est un peu tiré par les cheveux vu qu'Hérodote et Strabon n'ont pas une rigueur scientifique, ni Ezechiel, mais c'est un élément versé au débat.
De la religion initiale des Goths on ne connait que les Eddas ("grands mères") dont il existe deux versions tardives : un Edda poétique islandais recueilli au 11e siècle et un prosaïque, Edda de Snorri, du 13e siècle.
Les Eddas nous parlent de dieux réunis en deux clans : Ases et Vanes. Ils finirent par se réconcilier après la guerre. L'Ase suprême, Wotan (Odin) possède les runes (écritures magiques). De Wotan se détache Thor, l'Ase au marteau, dieu du tonnerre, et Freyr, l'Ase de la fécondité au sanglier d'or. Godh signifie dieu, qui peut s'écrire Goth. Les Goths se nomment aussi Gutan, c'est-à-dire Wotan, avait noté Pierre Borel au 18e siècle. Et les Jettes (les géants de la mythologie), cela peut s'écrire Gète. Dumézil a remarqué l'analogie entre Eddas et Mahabharata, notamment sur la mort de Baldur fils de Wotan, ce qui pourrait indiquer une origine dans le Pamir.
En 251 les Goths conquièrent la ville de Philippopoli en Macédoine. Au IVe siècle Hermanaric, surnommé par les Romains l'Alexandre des Goths quitte les rives du Dniepr et fonde un empire de la Baltique à la mer noire. Il meurt à 40 ans en 375 après être passé sous la vassalité des Huns. Son petit fils Theodoric, né juste après la mort d'Attila et élevé à Byzance, avec 250 000 hommes remonte le Danube, passe les Alpes, vainc le roi Hérule Odoacre et devient roi d'Italie en 493.
De Sède nous présente un Theodoric raffiné, religieusement tolérant et protecteur des arts (passant sous silence l'assassinat de Boèce) et accuse les chrétiens orthodoxes d'avoir accaparé son tombeau (devenu Ste Marie de la Rotonde) et d'avoir laissé son cadavre dans un cimetière voisin (ce serait le squelette casqué d'or retrouvé en 1854).
Dans la même veine enthousiaste il vante la prise de Rome par Alaric le wisigoth en 410, l'amour fou de son successeur Ataulf pour la sœur de l'empereur fantoche Honorius, Placidia, qu'il épouse en 414 à Narbonne, le royaume de Toulouse ville prospère quand Paris n'est qu'un bourg, la mort courageuse de Theodoric aux champs catalaunique contre Attila, le Missorium (un joyau) qu'Aetius offre à son fils Thorismond. Sur la base de Sidoine Apollinaire de Sède décrit une Toulouse grouillante de peuples variés (y compris les ambassadeurs de Perse) entre le Palais Narbonnais (actuel palais de justice) et l'église la Daurade couverte d'or (édifice décagonal à coupole ouverte sur le ciel). Tous les citoyens sont en armes quand le royaume est attaqué y compris les prêtres ariens qui troquent les chapes de fourrure contre des cuirasses. Les rois jurent fidélité aux coutumes du peuple. Pour de Sède, c'est l'ancêtre des fors.
Alaric II est vaincu en 507 à Vouillé par Clovis. Toulouse est envahie. Carcassonne fortifiée est sauvée avec son trésor par l'aide des ostrogoths de Théodoric le Grand. La Septimanie reste gothe, l'Espagne aussi. Sur l'Espagne gothe, De Sède reprend les idéalisations de Desdevies du Dézert de 1891.Il fait l'éloge de la simplicité de ses lois, de la pureté de ses moeurs quoique la femme y soit très libre. Les serfs disposent par testament de la moitié de leurs biens sept siècles avant que cela ne se fasse en France, la non hérédité des charges. Toujours partial De Sède ne dit rien de la fille de Clovis battue jusqu'au sang par son mari roi wisigoth d'Espagne. "En 589, croyant désarmer l'hostilité de l'Eglise catholique, le roi Reccared renoncera à l'arianisme, le royaume tombera peu à peu sous la tutelle des évêques à Rome, ce qui précipitera sa chute cent vingt huit ans plus tard" écrit de Sède dans sa veine anti-cléricale. Il accuse le clergé catholique espagnol d'avoir été si inculte qu'il aurait cru qu'Ildefonse avait reçu l'apparition de la Vierge. Il reproche aux catholiques d'avoir persécuté déjà à cette époque les Juifs que Titus avait installés en Espagne, ce qui les fit s'allier aux musulmans.
En 710 l'armée de Roderic (Rodrigue) renverse le roi Wititza dont les deux fils vont chercher l'aide du khalife Moussa en Afrique. En 711, à la bataille de Jerez une partie de l'armée gothe derrière le comte Julian passe aux Musulmans. C'est la fin du royaume wisigoth.
Les Goth depuis le début sont une confédération de peuples qui se déplacent en chariot et suivent les étoiles. On les surnomme amaxoluoï en grec, hommes du chariot mais aussi de la petite et de la grande ourse (amaxa, constellations du chariot). L'ours est leur emblème, bär, qui veut aussi dire "né" et donc noble. on peut dater leur religion du Ve s av JC parce qu'ils font naître les Ases sur le bord du fleuve Don. La rune pour ase désigne aussi lestuaire (donc le Don). Quand les Goths sont en Scandinavie, Thor dieu au marteau surclasse Odin. Puis c'est la conversion à l'arianisme.
Le message culturel des Goths aurait été transmis par leur orfèvrerie. A côté du Trésor royal (les recettes fiscales), le Trésor ancien (l'ancien butin) était magique et inaliénable. Il comprenait la Table d'Emeraude (Roderic de Tolède dit qu'elle était soutenue par 365 pieds d'or massif) et le Missorium, un vaisseau (vase ou plat) d'or massif enrichi de pierreries de 50 livres. Ce trésor était gardé par le Comte des Secrets (selon l'Histoire générale de l'Espagne de Menendez Pidal). Le chroniqueur marocain Aben Adhari parle de 64 serrures protégeant ce butin. Dagobert en 625 aurait poussé jusqu'à Saragosse pour le prendre à Swinthilla. Son successeur Sisenand, protégé des Francs, livre le Missorium à Dagobert, mais selon la Chronique de Frédégaire 23 des Wisigoths indignés attaquent le convoi et ramènent le Missorium à Tolède. Tariq ramena le Trésor à Damas au khalife Walid.
Un trésor gothique fut trouvé à Petroasa en Roumanie en 1837 qui allait connaître une histoire rocambolesque. Il pourrait s'agir du trésor du wisigoth païen Athanaric, poursuivi par les Huns, qui l'enfouit en 380 tandis que, selon Ammien Marcellin, le prince goth chrétien Fritigern allait se fixer au sud du Danube comme vassal de Constantinople.
A Toulouse et en Espagne il y eut au total 33 rois goths. Selon le chroniqueur arabe Al Kazarazdji 25 couronnes sont dans le trésor de Tolède en 711, une par roi avec son nom. 8 ont donc dû être cachées nous dit De Sède (p. 87). En 1859 un trésor est trouvé par des paysans à la Fuente de Guarrazar. Selon de Lasteyrie, le ministre des beaux arts de Napoléon III put mettre la main dessus rapidement pour son installation au musée de Cluny. Il s'y trouvait sept grosses couronnes, quatorze moindres, une colombe d'or, des vases etc. La plus grande couronne était du roi Receswinthe (653-672) 28ème roi qui réunit en un seul code les rois gothiques et romaines. Un recéleur en avait fait fondre une partie. Un autre avait restauré les couronnes. Un officier d'artillerie français lui racheté son butin. Mais une partie du trésor restait enfouie. S'y trouvait la couronne de Swinthilla (620-626) qu'un paysan allait redonner à la reine d'Espagne tandis que Pétain donna celle de Receswinthe à Franco en 1940.
Il y a aussi le trésor issu du sac de Rome par Alaric, dont l'Arche d'Alliance. El Maxin voit la table des pains d'oblation du temple de Salomon dans le trésor ramené à Damas en 711 mais la confond avec la Table d'Emeraude. Wallia, troisième roi wisigoth (415-419) a caché un temps le Trésor ancien à Carcassonne. Peut-être la partie héébraïque y est-elle restée. C'est l'avis d'Abadl de las Vinhyas et de Gaston Jourdanne. Les fouilles n'ont rien donné de ce côté là. De Sède pense qu'Amalric enterra le trésor sur le littoral languedocien. A Narbonne en 531 les Francs ne trouvèrent rien. Reste la forteresse de Rhedae, Rennes-le-Château...
Wotan fut pendu à l'arbre Ygdrasil qui est l'axe du monde. Il y resta pendant neuf nuits, puis le jour se leva, il regarda la terre, vit les runes. Aussitôt il fut dépendu et se mit à grandir, il acquit le don d'ubiquité, celui de prendre la forme des animaux, de paralyser de terreur l'ennemi, racontent les Eddas. C'est un récit gnostique (p. 115).
Les runes sont des caractères magiques. Il y a des runes amères et des runes secourables, victorieuses, médicinales etc. Le magicien Egin guérit une fille folles après que des rues aient été mal écrites par un paysan sur des ouïes de poisson pour la guérir. "Que personne ne prene sur soi de tracer des runes s'il ne sait pas les disposer" dit-il. Le paysan avait en fait placé des runes d'amour (Mannrune) mal écrites dans le lit de la belle. on pouvait prédire l'avenir en agitant avec art et dans le bon sens des bâtons sur lesquels étaient gravés des runes (ce serait les ancêtres des baguettes magiques). Tacite l'affirme. Ces baguettes magiques "scythales" étaient peut-être des baguettes de déchiffrement. Runa veut dire secret. C'est une écriture hiéroglyphique que les Goths auraient pu recevoir des Egyptiens via les Sémites selon de Sède.
Bryljufsen les déchiffra en 1823 et Grimm écrivit sur elles. La première lettre faihu désigne le bérail et la dernière othal la propriété foncière (et Wotan). Cet alphabet a été simplifié au IXe s. La rune Othal fut supprimée et la rune maléfique pour grêle fut remplacée par poisson d'eau douce et qui forme aussi le monogramme du Christ apparu à Constantin. Et la rune de ase devient celle de frêne. Homme est remplacé par tombe pour rappeler le caractère mortel de l'homme, arc par calice (p. 126). Le collier d'or de Petroasa porte en runique l'inscription "du temple des goths sacrés je suis".
Le chanoine de Bayeux du 12e s Robert note que Wotan c'est Mercure-Hermès. H. Léo en 1822 nota qu'il était ignoré des Alamans, des Francs, des Burgondes. Les Goths le leur ont apporté avec les runes. James W Marchand en 1959 nota que les Goths ne parlaient plus runique au Ve s. De Sève pensent que les runes ont été cachées après la christianisation, mais Moreri en 1789 et un mémoire de Perpignan de la même époque font état d'écritures hiéroglyphiques sur écorce d'arbre dans les archives de Carcassonne (brûlées en l'an II de la République).
La bible de Wulfila est lieu de l'invention d'une synthèse de runique, grec et latin, ancêtre de l'alphabet gothique. Chaque lettre de l'alphabet wulfilien a une valeur numérique comme en grec et en hébreux, mais pas forcément la même. Son ordre diffère aussi des autres alphabets. Peut être s'est il agi de garder une possibilité d'interprétation kabbalistique à travers cet alphabet. Deux signes qui ne sont pas des lettres conservent la rune de l'Ase Wotan et celle de l'Ase Tyr (dieu de la guerre).
Le nom de Wulfila, le louveteau, et ses origines d'Asie Mineure (selon Pilostorge) font penser à la Lycie et à Lycaon premier roi d'Arcadie (où se trouve la cité d'Asea). Le loup (symbole de l'hiver) cosmique Fenfir fut vaincu par les Ases qui l'enchaînèrent. Il attent le Ragnarokr ("crépuscule des dieux" dans Wagner). Pour de Sède, Wulfila assume le rôle du loup Fenfir qui engendrera un nouveau Wotan (Vidar) en tuant le premier (d'où le fait que son logos lui survive sous forme de rune), ce qui fait de l'arianisme un renouvellement de la vieille religion et non une rupture.
Certes les Goths n'ont rien à voir avec les ogives gothiques du 12e siècle, mais la sculpture romane doit tout aux barbares comme l'a montré Véronique Schiltz à propos de l'exposition "l'or des scythes" de 1975, et les symboles asiatiques de nos cathédrales furent peut-être apportés par les Goths (qui d'ailleurs n'étaient pas barbares - de Sède s'oppose explicitement à Fulcanelli et Leduc Viollet là dessus). Les fibules franques digitées trouvées dans les tombes mérovingiennes mais aussi gothiques ont suivi le parcours des Goths dans le Caucase, en Hongrie etc et ne sont pas franques mais gothiques, tout comme bien d'autres bijoux.
Le Gothique vient des Goths par l'influence méridionale transmise des église espagnoles au roman, et par les Vikings adorateurs de Wotan.Tous les évêques architectes des cathédrales ont des noms à consonnance scandinave et même des noms d'initiés odinistes (p. 157) : Runfar de Carcassonne, Aetternwald d'Evreux, Frodomond de Coutances, Chrodegand de Sées etc (entre 526 et 1133). En 1431, au concile de Bâle, évêques scandinaves et espagnols se disputent la préséance au nom de leur ascendance gothique, vantant la foi des rois goths.
St Jean dans son Apocalypse mentionne les Goths sous les noms de Gog et Magog (XX, IX) pour une régénérescence cosmique identique au Ragnarokr.
Puis De Sède poursuite son enquête sur le gothique, va retrouver des runes dans les cathédrales (y compris Chartres), va chercher les origines de la langue des oiseaux du côté des Cagots (qui seraient une tribu qui aurait suivi les Goths) ou Gavots des Pyrénées-Atlantiques (en Béarn) et des langues sifflées des bergers, dans des villages comme Aas et Assat qui évoquent les Ases. Le Wisigoth Wititza (750-821), devenu St Benoît d'Aniane, évêque dans l'Hérault, initia le pèlerinage à St Jacques de Compostelle et fusionna l'ordre de Colomban avec les bénédictins. De cette synthèse est né "l'art roman du soleil" : à l'époque carolingienne des confréries d'artisans se développèrent autour de ces monastères, ancêtres du compagnonnage. L'emblème qui résume toute la tradition compagnonnique porte le nom de "Pendule à Salomon" ou "Chemin de Compostelle". Il comprend 32 lettres inspirées des runes. Il vient des goths par l'intermédiaire des Cagots. St Savin naquit à Barcelone au VI e siècle et se fit ermite près de Poitiers. St Sava le Goth se noya en Serbie dans le fleuve la Sava qui prit son nom. Il y a une Ste Savine à Ravennes, capitale des Ostrogoths. Savin veut dire sage en occitan. Savin est une synthèse de tout cela. Le compagnonnage resta clandestin jusqu'en 1789. Il avait été condamné au concile de Lavaur en 1368 pour son ésotérisme, puis par la Sorbonne en 1655. Etonnant que l'Eglise ait fait appel à eux pour construire ses cathédrales, nous dit de Sède, mais c'est parce qu'il avait le monopole de la main d'oeuvre qualifiée. Il cite beaucoup de points communs entre les Ases et l'alphabet des compagnons de la pendule à Salomon et révèle que l'emblème maçonnique X X (équerre et compas) engendre une série d'othal X X X X qu'on trouve dans des églises de l'aire wisigothique : Le Puy, Saintes, Lorigac, en Espagne et en Suède. Les animaux dans les cathédrales gothiques aussi sont des Ases, y compris l'âne à cause du jeu de mots Asinus-Asinius (âne-ase) mais aussi parce que pour les premiers chrétiens Jésus était un dieu-âne (d'où l'âne dans la fresque de la cathédrale de Lescar). il s'agit de créer des ponts entre les astrologies des cultures païennes et le protestantisme. Les Fêtes des Fous à l'issue des messes de l'âne furent longtemps célébrées selon Rouillard, notamment à Chartres. Les réminiscences des rites ondinistes y sont évidentes nous dit de Sède.
Voilà qui donne un peu le vertige...
La mort de Nicias et la Lune
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Je ne sais si je vous ai déjà parlé du livre de Plutarque sur le visage de la Lune. Ce soir inaugurant une nuit de pleine lune, je me permets d'y faire allusion même si c'est un livre compliqué que je ne suis pas qualifié pour commenter plus avant. Je note que dans ses Vies parallèles, Plutarque, qui compare le romain Crassus à l'athénien Nicias, attribue la défaite et la mort de ce dernier, en 413 av. JC à une mauvaise interprétation des signes divins, et plus précisément d'un signe lunaire.
Lors de sa bataille finale contre les armées de Syracuse, nous dit Plutarque, Nicias a commis deux erreurs. La première est d'avoir pris une éclipse de lune (le 27 août 413) pour un signe néfaste. Cette erreur fut due à l'absence de son devin Stilbidès, mort peu de temps auparavant, qui, d'ordinaire, le délivrait de ses craintes superstitieuses. S'appuyant sur Philochore, Plutarque estime que le signe était au contraire favorable puisque "l'obscurité est nécessaire aux actions accomplies dans la crainte".
La seconde erreur de Nicias fut d'avoir attendu la lunaison suivante pour passer à l'action (c'est à dire fuir de Sicile tant qu'il était encore temps). D'une part il oublia "qu'en général les gens ne tenaient compte des signes donnés par le soleil et la lune que pendant trois jours", d'autre part il ne vit pas que la lune s'était "purifiée tout de suite, une fois sortie de la zone d'ombre projetée par la terre". De sorte que Nicias, homme pieux mais trop pusillanime, fut attaquée par les soldats de Syracuse qui remportèrent la victoire et exhibèrent dans un sanctuaire le bouclier de Nicias jusqu'à l'époque de Plutarque.
La double erreur sur l'éclipse lunaire fut la cause métaphysique (liée à un défaut moral de manque d'audace) qui plongea le général athénien dans la défaite alors qu'il avait été jusque là militairement et politiquement avisé (il avait modéré l'impérialisme athénien comme le rappelle la fiche Wikipedia).
Le passage est aussi l'occasion de rappeler qu'à cette époque ceux qu'il appelle les "physiciens" comme Anaxagore ou Protagoras, les "bavards célestes" comme on les appelait (et comme les prêtres notamment les nommaient sans doute), étaient mal vus à Athènes où l'on comprenait les éclipses solaires mais pas celles de la lune. Les gens tenaient absolument à voir dans les différents aspects des astres des signes de la volonté des dieux, qui ne pouvait être réduite à des lois prévisibles. Car cela donnait l'impression que l'on voulait par ces lois enchaîner les plans divins. C'est seulement à partir de Platon que l'étude empirique des astres fut jugée respectable, parce que Platon était très prestigieux du fait de son charisme personnel et parce que son système philosophique, nous dit Plutarque, "subordonnait les nécessités physiques à des principes divins et souverains". On pourrait dire subordonnait "en dernière analyse", puisqu'à la fois il estimait que les phénomènes astronomiques suivaient des lois, et que ces lois obéissaient aux principes divins, ce qui ôtait à leur étude le soupçon d'impiété (et c'est grâce à cela sans doute que Pythéas de Marseille - ville intellectuellement influencée par Athènes -, quelques décennies après la mort de Platon, put avec son bagage pythagoricien s'embarquer pour le pôle nord afin de mesurer l'étendue de la terre, et étudier les marées).
La mort de Nicias est ainsi l'occasion d'une triple réflexion sur l'interprétation des signes lunaires, la bonnes mesure à accorder à la piété religieuse, et l'équilibre complexe entre le respect de la liberté des décrets divins et l'utilité de l'étude rationnelle "confiante" des phénomènes physiques dont procèdent ces décrets. Ces questions n'avaient rien de gratuit puisque l'avenir politique et militaire des cités sur le champ de bataille en dépendait.
"La danseuse nue et la dame à la Licorne" de Mme R. Gaston-Charles
Cinq ans avant que Georges Clemenceau n'écrive sa lettre déjà citée sur ce blog sur l'omniprésence de la nudité à Paris, un livre intrigant paraît sous la plume d'une certaine Mme Gaston-Charles, qui est probablement une dame mondaine habituée des ateliers de peintre et des conférences sur l'histoire de l'art. La dame n'a laissé aucune trace dans les dictionnaires littéraires. Même la fiche de la BNF ne peut donner que sa date de naissance (1868) mais pas celle de son décès, et lui attribue (à tort si l'on considère sa remise de prix de 1912 et ce qu'écrit sur elle Jules Bois) un sexe masculin. Peut-être s'agit-il d'un pseudo. Son prénom n'est jamais explicité dans les revues, on le trouve dans Anamorphoses décadentes d'Isabelle Krzywkowski et Sylvie Thorel-Cailleteau - p. 221 : Rachel. Il semble qu'elle ait été aussi peintre (cf Le Figaro du 30 avril 1891). Dans son livre elle ne dit rien d'elle-même et son prénom n'est signalé que par son initiale "R".
Ce roman a pour exergue " "Rien n'est impur en soi ; une chose n'est impure qu'à celui qui a l'impureté en lui" St Paul, Ep. aux Romains XIV". Une exergue qui aurait pu être alchimique. J'ai cru au début que le roman était ésotérique et codé. A la réflexion il ne l'est probablement pas. C'est un roman philosophique sur le Beau, le corps, au début du XXe siècle, les valeurs qu'ils véhiculent. Et les discussions qu'il reflète éclairent les cent ans qui ont suivi.
Voici l'histoire. Mme Gervais de Pélus habite au 4ème étage sans ascenseur d'un immeuble avenue de Villiers à Paris (le roman ne cite même pas Paris..., mais bon...). Le héros Valentin Audifax, bourgeois descendant d'un maître des requêtes d'Henri IV, va y assister à une soirée, mais hésite à monter les escaliers (parcours initiatique), toutefois l'idée d'y retrouver la comédienne Luce de Marcillac (Luce est un prénom lumineux), qu'il a rencontrée l'été précédent près de Tours, le persuade de poursuivre "son ascension", bien que sa passion pour l'actrice soit déclinante.
Arrivé dans l'antichambre, il entend qu'on le complimente sur ses cheveux blonds, tandis que la maîtresse de maison, qu'il croyait "couronnée de cheveux blancs" montrait une mine qui n'était point celle d'une personne qui renonce". En fait elle a les cheveux acajou, le port majestueux. Epouse d'un grand d'Espagne, elle se console du déclin de ses charmes en accueillant chez elle de "jeunes bardes".
Confronté à une forêt de nuques et de dos dénudés le long de sièges dorés, le héros passe au salon réservé aux artistes et y trouve Luce qui lui prescrit de trouver Tiburce Sotter, un "critique lanceur d'étoiles". Audifax feint d'obéir, car la "chair rousse fondante et rosée" de l'actrice l'incite à l'indulgence. Dans l'autre salon il est attiré par la blondeur pâle de la jeune Mme Rosine Eucher, fondatrice de revues qui après avoir été anarchiste féministe, mêlée à des complots, avoir tenté de récupérer l'Alsace-Lorraine au Kaiser, rêve "d'une place entre Jeanne d'Arc et Mme Roland". Leur conversation est interrompu par le début d'un concert - Mme Le Timorey chante dans Samson et Dalila, mais est ridicule dans ce dernier rôle. Les chanteurs se succèdent, Mlle de Marcillac lit des vers. Les chansonniers de la Butte évoquent les trouvères médiévaux aux oreilles du héros. Enfin à la fin des numéros un peintre "au visage d'ânier du Caire", Patrice Heribert, lui présente la femme au dos ambré nu qui l'avait hypnotisé, Miss Jacinthe Nethersoll.
Notons qu'il a réellement existé une Olga Nethersole, née à Londres en 1867, de mère espagnole qui fit ses débuts au théâtre de Brighton en 1887. Elle joua "Sapho" dans la pièce d'Alphonse Daudet adaptée par Clyde Ficht en Australie et en Amérique où elle fut inculpée pour "violation de la décence publique" avec son partenaire masculin mais fut relaxée. En 1902 L'Art dramatique et musical au XXe siècle p. 244 jugeait à propos de cette jouée en Angleterre que Nethersole était une véritable "fille de brasserie" (ce qui n'avait rien d'élogieux) En 1906 elle jouait encore Carmen aux Etats-Unis. Paul-Emile Chevalier dans le Ménestrel signale qu'elle a fait ses débuts à l'Odéon dans "La seconde madame Tanqueray" à l'Odéon en 1904 et blâme les fautes de goût dans le décor, les jeux de scène, l'utilisation d'un boa, qu'il juge étrangers aux habitudes françaises.
Dans la vraie vie c'est Miss Nethersole qui a joué dans Dalila. La revue "L'art dramatique et musical au XXe siècle" de 1904 ( p. 169) notait "Free dans le rôle d'un bossu qui tue une Dalila de bas étage, des noeuds de laquelle ne peut se détacher son seul ami, a élé admirable à son ordinaire, mais mademoiselle Nethersole dans le rôle de la Dalila a été aussi ridicule que ses toilettes". Les Annales du théâtre et de la musique de 1907 (p. 274) lui reconnaît au Théâtre Sarah-Bernhardt encore dans "La seconde madame Tanqueray" "des qualités très réelles,... des yeux doux et expressifs, la voix claire et bien timbrée, un jeu fin et discret dans les premiers actes, puis très saisissant à la fin de la pièce". Elle joue ensuite Magda, Sapho, Adrienne Lecouvreur, adaptée de la pièce de Scrive et Légouvé, Camille, qui adapte la Dame aux Camélias, et The Spanish Gipsy, adaptation de Carmen de Mérimée. Son jeu dans cette pièce est décrit par "Charles Martel" dans l'Aurore du 12 juin 1907 (le journal de Clemenceau) comme d'un "réalisme à rendre fou les habitués de l'Opéra Comique". "Carmen est une admirable bête de joie, fleurant plus ou moins bon toutes les grossières voluptés. Et dans cette vulgarité même, le type de la gitana prend sa grandeur et sa fatalité. Devant l'effet obtenu je n'ai pas le droit de reprocher certaines exagérations à miss Olga Nethersole, j'aime mieux, admirateur de son talent fougueux, joindre mon bravo aux acclamations". Elle allait pendant l'été se rendre comme tous les ans chez les Rostand à Cambo-les-Bains pour une semaine où le fils d'Edmond Rostand lui donnerait une traduction anglaise de "La Samaritaine" de son père (Miss Nethersole apparemment venait souvent chercher des pièces françaises pour les faire adapter et les mettre en scène elle même en Angleterre et aux Etats-Unis).
Olga Nethersole est l'inventrice du "soulkiss", (Comoedia 18 novembre 1908 p. 2). Le 17 novembre 1908 au théatre de l'Athénée une causerie sur le baiser donnée par Robert Eude sur la Baiser dans le décor du premier acte d'Arsène lupin allait expliquer que le baiser était un "lien mystérieux entre toutes les races", avant que Mlle Isis n'exécute une "danse antique des voiles et du Lotus" et la récitation d'un poème de Redelsperger, "Le Baiser" par Arlette Dorgère accompagnée au piano par Maurice Pesse. Le soulkiss est un baiser très long dont le record 1mn47sec est détenu par l'actrice miss Maud Adams, nous dit le journal.
La brune aux yeux bleus (mais aux membres longs et à la poitrine plate), aux gestes lents et à l'accent anglais a un teint d'Hindoue qu'elle tient de son aïeule fille de maradjah. Elle a passé son enfance aux USA. Dans son "subliminal self" elle a retrouvé les vieux temples mystérieux, celui des Devadassi, "prêtresses de Bouddha".
Luce de Marcillac, elle est une "vierge moderne", dévouée à l'art, qui est pour elle un Apollon Sôter, Alexikakos, qui la sauve de la servitude du mariage. A son temple rebâti s'y pressent aussi bien "des filles galantes ", "d'adroites marchandes" que des vestales convaincues. Luce tient de tout cela. Petite bourgeoise (Antoinette Chevrion de son vrai nom) déçue par une perspective de mariage triste avec un marchand de Provins, rêvant elle-même de l'or des Amériques, elle hésite à prendre pour amant Audifax qui connaît peu le monde du théâtre, n'aime pas le cabotinage et ne peut pas lui être très utile. Lui même, éduqué à l'ancienne par un père vieil humaniste professeur de droit, hésitait à prendre Luce comme maîtresse d'un jour.
Audifax va tenter de la revoir chez madame de Gervais lors d'une soirée où elle récite seule des vers, mais il n'a sollicité l'invitation que pour revoir mademoiselle Nethersoll.
A cette soirée il retrouve le peintre Héribert qui, en usant de l'argument artistique et en jouant de sa vanité d'être reconnue par un esthète, après avoir convaincu son mari d'acheter ses tableaux n'est pas loin de convaincre la jeune Odette de Fondmaur de ce que sa poitrine mériterait d'être montrée à tout le monde.
Celui-ci "se promettait de suivre, en alchimiste curieux, en artiste déliquescent, les progrès du ver qu'il introduirait dans le fruit", quitte à la rendre un jour "hystérique et éthéromane" (p. 63), telle une "colombe de sacrifice" (mais déjà Mme de Fondmaur avait déjà "un certain air sournois de pensionnaire émancipée" qui allait lui faire mériter cette punition . A la fin du récital, le peintre persuade mademoiselle Nethersoll de se donner en spectacle chez lui.
Trois jours plus tard dans l'atelier d'Héribert, rue Clément-Marot, Audifax croise Odette de Fondmaur, petite provinciale bretonne dévote, mariée à 17 ans, devenue à Paris le jouet du peintre qui devenait l'équivalent de ses anciens catéchistes. Après le départ d'Audifax, Héribert lui propose de poser nue, mais, travaillée par le souvenir de la provinciale chrétienne du passé, cette "nouvelle Eve" tentée se souvient des sixième et neuvième commandements. Tentant de la persuader qu'on peut montrer ses seins aussi aisément que son visage. Audifax vante Phryné, inspiratrice de l'art grec, et Pauline Borghèse immortalisée par Canova. Partagée entre l'orgueil d'être élue par le peintre et la peur, elle s'enivre au charme des mots, et dégrafe son corsage, puis, comme le soleil vient baigner la pièce (signe divin), elle se ravise et songe qu'elle même ne s'est jamais regardée nue dans un miroir. Héribert parvient finalement à ses fins en l'entraînant dans une partie plus sombre de la pièce.
Audifax va encore faire des rencontres de dévôts de l'art qui dissimulent leurs travers dans cette religion. Héribert organise des fêtes à Pan et Adonis. La rousse Luce de Montillac parvient à attirer l'attention de Sotter, tandis qu'Odette de Fondmaur reste le jouet d'Héribert. Sa pudeur une fois de plus violentée chez Ermont, elle est secourue par Audifax. Celui-ci voit Miss Nethersoll danser une danse sacrée indienne connue des seules prêtresses. "Elle ne porte que deux plaques d'orfèvrerie moulant les seins et, retenue aux reins, une gaze d'argent mat lamée de raies brillantes." Les yeux se fixent sur la nudité de son ventre. Hiératique au début, elle cédait peu à peu à l'ivresse et arrachait ses voiles. A la fin Héribert la couvrait d'un manteau de soie myrte semée de roses. Audifax fasciné est jaloux du regard des autres posés sur la danseuse. Il se souvient qu'une petite Jacinthe lui avait jeté des fleurs à Cannes et qu'il avait vu s'exhiber nuitamment nue devant un vieil homme dans une crique.
Après qu'il eût conquis la confiance de Miss Nethersoll au bout de quelques jours celle-ci lui explique qu'elle veut "sculpter son idéal avec son corps" (p. 135) puisqu' "en art représentatif tout a été dit", elle veut "inspirer tous les esprits". Audifax y voit la trace des philosophies de Ruskin et Emerson. Nethersoll vénère les dieux de l'antiquité grecque et méprise le Moyen-Age qui enlaidit la nudité. Elle était persuadée que "les peuples latins (comme les français) mouraient du christianisme" (p. 139). Face à une Audifax qui défend mollement le christianisme, Jacinthe évoque son enfance à Boston pétrie de l'idée du beau et de la nécessité de l'incarner. Elle se sent missionnaire face aux Français qui "voient partout la plaisanterie et le libertinage".
Son amie Rozel Dunroë à Londres reconstitue les danses grecques, des danses à l'effet moralisateur qui enseignent l'eurythmie au monde sur un mode platonicien. "Les Américains ! Mais tout les désigne comme les héritiers des Grecs. Leurs lois d'hygiène, leur amour des sports, me type même de la race, qui, de plus en plus, modèle en têtes de médailles et en corps d'athlètes ! Donc, par patriotisme, elle cultivait cet art" (p. 147). Miss Nethersoll est convaincue "qu'un jour viendra où tous les corps étant beaux et sains, on ne les cachera plus au nom des anciennes pudeurs".
Audifax ne se laisse pas convaincre. Il connaît les salons parisiens remplis de "désenchantées de province, en quête d'enchantements faciles, prenant leur physique pour une métaphysique et le détraquement de leur sensualité pour une philosophie" (p. 154), mais il veut bien penser qu'en mettant la femme à la place des antiques déesses, Miss Nethersoll a des ambitions morales plus élevées.
Quelques jours plus tard elle lui explique que "Galathée" était en fait une des femmes attachées aux temples qui servaient de modèles aux peintres pour figurer les déesses et que Pygmalion amoureux de son modèle demanda à Vénus de la faire sortir du temple. Audifax réplique que dans la Légende dorée Galathée fut convertie au christianisme et donna son corps à tous (p. 166).
Luce de Marcillac qui se sent de plus en plus abandonnée cherche la protection de Sotter pour se lancer au théâtre, mais celui-ci lui propose plutôt de faire du music hall dénudé, ce qui la déçoit profondément. Elle tente en vain de récupérer Audifax. Celui-ci tente de dissuader Miss Nethersoll de se dénuder à nouveau. Il la trouve chez elle déguisée en Nari, "l'Isis indienne" (l'auteure a-t-elle lu "Addha-Nari ou L'occultisme dans l'Inde Antique" d'Ernest Bosc ?) à l'initative d'un certain Ermont de Logelbach (nom qui évoque les toiles indiennes Herzog de Logelbach). Il admet qu'il ne serait pas prêt à l'épouser (une allusion à Brunetière se glisse dans le chapitre).
Alors qu'il va chercher une invitation pour la soirée cher Ermont, il apprend d'Héribert que celui, comme Miss Nethersoll, et comme Léonard de Vinci, croit que "le corps humain est si beau, c'est une demeure si belle, qu'une âme vulgaire n'est pas digne de l'habiter" (p. 226). Il est trop tard pour qu'Audifax décroche son invitation. La danse nue chez Ermont a eu lieu la veille. Mais Héribert détrompe Audifax qu'il juge comme le représentant d'une tradition française démodée source de préjugés aveuglants : Miss Netehrsoll n'est pas la fillette qu'il a connue à Cannes. C'est une fille de pasteur de Philadelphie, une riche héritière devenue "professionnal beauty" par plaisir et non par nécessité, et Héribert va l'épouser. Audifax sort en suffocant. Avenue Marceau la jeune Mme Odette de Fondmaur, qu'Héribert ne veut plus recevoir, l'interpelle et lui confie sa jalousie à l'égard de Miss Nethersoll.
Le lendemain à 9 h Audifax met en scène son suicide et a convié par lettre Miss Nethersoll à y assister. Celle ci émue par le geste du prétendant lui avoue qu'elle n'a jamais songé à épouser Héribert. Apprenant qu'elle part pour Londres avec Sotter, Dépité Audifax blâme le narcissisme de son culte de l'art et fait un éloge des corps imparfaits, que Miss Nethersoll juge chrétien (p. 255). La danseuse déçue par son moralisme l'envoie consoler Odette de Fondmaur.
Il rejoint celle-ci 12 rue Vanneau où elle habite avec une sienne parente bonne soeur. Elle lui confie la dualité de sa dépendance à l'égard d'Héribert et de ses remords d'être sur le point de de devenir morphinomane pour satisfaire le besoin du peintre d'avoir cela pour modèle. L'image de ce sacrifice émeut Audifax. Il veut la sauver des multiples esclavages de sa vie. Le lendemain il la retrouve aux Thermes de Julien au musée de Cluny. Dans ce musé, il trouve aux Eves des tapisseries une ressemblance avec Odette, de même qu'à la dame à la Licorne dont la féminité se concentre dans son visage.
Inspiré par la tapisserie Audifax reconnaît dans Odette "la personificationhéraldique d'un monde et d'une France dont, instinctivement et par tradition, il portait le culte en lui" (p. 274).. Les forces du passé et de l'Histoire, le saint Martin aux membres grêles près de la piscine des Thermes face au buste païen d'Haidès le poussent vers Odette, la floraison mystique de l'âme contre le culte païen de la vie, et cela agit aussi sur Odette qui se rapproche d'Audifax. "Ne cherchez pas à devenr la Femme nouvelle, lui-dit-il. Restez ce que la volonté des morts de notre Race a voulu que vous fussiez". Il lui explique que Julien l'apostat n'est revenu au pagansme que par dilettantisme esthétique et lui montre la dame à la Licorne. Une force occulte nourrit son éloquence. "Votre beauté doit éclore dans l'omvre, lui-dit-il. Votre nudité n'est pas faite, comme celle d'une Miss Nethersol pour s'étaler en pleine lumière, afin de tenter les hommes. Vous ne devez être belle que pour un seul amour". La peur même qu'elle éprouve du péché rend Odette aimable ax yeux d'Audifax. A ces paroles compréhensives, le visage d'Odette s'éclaireet frémit d'amour. "La Beauté, serait-ce donc la lueur adorable ey passagère qui, sous l'émoi intérieur, colore en de figitifs instants la face humaine ? ... La lueur divine qu'une minute emporte, qu'on ne reverra plus, mais dont le souvenir ne pourra s'effacer ?..."
Dans un dernier chapitre intitulé Parsifal,
Il s'agit donc de toute évidence d'un roman chrétien qui se confronte aux modes artistiques parisiennes de son époque et à leur inspiration de la presse. C'est un procès de la vanité, du narcissisme parés d'oripeaux mystiques, avec toutes leurs dérives hérétiques - voir quand Rachel Gaston-Charles regrette que n'importe qui puisse se dire artiste, recherche la louange avec l'aide de la presse, et cède ainsi à l'orgueil. "Cabotins, peintres de Rose-Croix, statuaires moins forts que leurs patriciens, littérateurs de démarquage, nous assurent 'faire de l'Art'. Les femmes surtout s'y consacrent, comme autrefois elles se jetaient dans l'amour ou la dévotion" note-t-elle p. 82 (avec une référence remarquable à la Rose-Croix)
On peut s'étonner qu'un roman, qui tranche tant avec les moeurs du temps, ait trouvé un certain écho, et surtout un écho favorable dans la grande presse.
Le Mercure de France p. 306 du 16 septembre 1908 note qu'Isadora Duncan mais comme Miss Nethersoll ne saurait pas marcher nue avec grâce dans la rue, qu'aucun modèle dans les ateliers d'artistes ne le savent. L'héroïne ne serait qu'une "féministe dernier bateau" qui veut se constituer "un harem d'homme par les yeux". L'article trouve l'histoire "très amusante" et note que l'art du déshabillage n'a pas de secrets pour l'auteur (mais ils ne savent pas que l'auteur est une dame). Une critique bien superficielle qui évite de prendre au sérieux le message chrétien du livre.
Dans les Annales politiques et littéraires p. 227 l'occultiste Jules Bois (amant de la cantatrice Emma Calvé) estime que "ce livre quoique écrit par une femme ne saurait être lu des jeunes filles" et ne lui consacre que quelques lignes.
Dans la rubrique « Chronique des romans », de La Phalange de novembre 1908, à propos du roman La Danseuse nue et la Dame à la licorne de R. Gaston-Charles, un autre adversaire du christianisme, G. Apollinaire, ancien élève des marianistes et lecteur de la Gnose, commente le livre et rappelle à cette occasion l'inimitié entre la licorne et l'éléphant. Hélas je n'ai pu accéder pour l'heure à son article.
"Bâtissons les forteresses de Juda des débris et des ruines de celles de Samarie", Bossuet, Sermon sur la Providence.
Apollonios de Tyane, Vindex et Epaminondas

Continuons notre lecture au hasard de la Vie d'Apollonios de Tyane...
Page 1182 du recueil de La Pleiade, la rencontre entre le grand pythagoricien thaumaturge Apollonios de Tyane et le gouverneur (qui n'est pas nommé) de Bétique (l'actuelle Andalousie).
Les rencontres entre les sages et les gouverneurs sont souvent mentionnées dans leurs biographies (ou leurs hagiographies). On connaît la rencontre entre Jésus et Pilate. Un peu moins celle entre Saint Paul et le gouverneur d'Achaïe qui était le frère de Sénèque...
Ici le biographe Philostrate nous dit que ce gouverneur est un opposant à Néron. La dictature de Néron incarne à l'époque l'anti-philosophie, et la théatrocratie (pour reprendre un terme de Platon) dans toute sa laideur. C'est un mélange de populisme et de despotisme de mauvais goût qui passe beaucoup par la chanson et l'image comme le pouvoir de nos médias de masse. La Vie d'Apollonios nous parle de ces chanteurs de cabarets qui déclament des poèmes de Néron et dénoncent à la police quiconque n'applaudit pas. Apollonios à Rome, où les philosophes sont interdits de séjour, s'est distingué par quelques actes de bravoure.
En Espagne, Apollonios séjourne à Gadès, l'actuelle Cadix, qui est la plus vieille ville de l'Ouest du bassin méditerranéen. C'est une ville fondée par les Phéniciens, qui baigne dans le culte de Baal et d'Ishtar-Astarté-Tanit. On a déjà parlé dans ce blog des danseuses nues de Gadès célèbres à Rome, comme la fameuse Télétuse qui doit son nom à la fervente dévote crétoise de la déesse égyptienne Isis dans la légende d'Iphis racontée par Ovide.
Apollonios fait venir le gouverneur (qui a peut être sa résidence à Hispalis) à Gadès. D'une part pour montrer que c'est le gouverneur qui doit se déplacer et non le philosophe. d'autre part parce que sans doute Gadès revêt une importance particulière pour lui (sans quoi il eût choisi un autre endroit).
Les pythagoriciens n'hésitaient pas à se mêler de politique, et Philostrate signale le goût d'Apollonios dans les cités grecques pour un système qu'on pourrait qualifier de "démocratie représentative" parce qu'il permet à deux partis de s'équilibrer. Et le biographe signale que, selon son secrétaire Damis Philosotrate aurait comploté pendant trois jours contre Néron avec le gouverneur puisqu'il lui aurait dit à la fin de la conversation "Souviens toi de Vindex". Vindex (que Philostrate crédite d'une inspiration philosophique, c'est à dire, dans sa bouche, divine ou pythagoricienne, pour lui ces mots sont équivalents) était un sénateur aquitain gouverneur de la Gaule lyonnaise, qui allait mener en 68 le premier soulèvement contre Néron qui allait constituer le début de sa fin. Philostrate crédite Apollonios d'une prescience de la prochain insurrection de Vindex qui n'a pas encore eu lieu. Apollonios s'embarque alors pour la Sicile. C'est là, au bout de plusieurs semaines qu'il apprend le suicide de Vindex (en juin 68) et l'échec provisoire du soulèvement. Et là Philostrate nous confie ceci :
"Comme ses compagnons lui demandaient à quoi cela aboutirait, et à qui finalement, appartiendrait le pouvoir, il répondit : 'A beaucoup de Thébains'. Car il comparait la puissance dont disposèrent, pour peu de temps, Vitellius, Galba et Othon, à celle des Thébains qui, pendant une période extrêmement brève, dirigèrent le monde hellénique".
J'ai déjà parlé dans ce blog d'Epaminondas, le général pythagoricien qui assura à la démocratie thébaine l'hégémonie, en abrogeant notamment dans la pratique militaire le tabou de l'usage de la main gauche. Je crois que la référence à Thèbes (la ville sacrée pillée par Alexandre, pour la reconstruction des murailles de laquelle l'hétaïre athénienne Phryné était prête à sacrifier sa fortune) va au delà d'une référence au caractère éphémère d'une hégémonie, et pointe plutôt vers une sacralité du pouvoir à venir d'Othon, Galba et Vitellius.
C'est l'occasion pour Philostrate de faire l'éloge de l'art divinatoire de la philosophie pythagoricienne (un art divinatoire qu'on avait vu aussi, dans la Pharsale de Lucain - le jeune écrivain inspiré assassiné par Néron - à travers la figure de l'astrologue étrusque néo-pythagoricien Figulus quand César entre à Rome) contre les magiciens (on dirait aujourd'hui "les médiums") que Philostrate qualifie de "plus infortunés des humains". Le philosophe, dit Philostrate, écoute les signes des dieux, là où les magiciens "ont tantôt recours à l'évocation, sous la contrainte, des esprits, tantôt à des sacrifices barbares, tantôt à des incantations ou à des onguents pour obtenir, disent-ils, que change le destin". Il souligne aussi que la philosophie pythagoricienne (dont Kingsley a bien montré les origines chamaniques en Asie mineure, et le lien avec la déesse mère), refuse de chercher à comprendre (par exemple pour Apollonios lorsqu'il était confronté à des automates en Grèce). C'est une philosophie de la soumission à l'essence des choses et de recherche de l'unité, contre l'affirmation des Egos (par une compréhension artificielle et une volonté d'agir sur les événements) et la recherche du conflit. Une philosophie de l'humilité et de l'harmonie.
Ce passage rappelle celui où le néo-platonicien Plutarque dans la Vie de Périclès fait l'éloge de l'herméneutique sacrée contre la science explicative (dans l'affaire du bélier à trois cornes), et aussi un autre passage de Plutarque dans son étude sur les visages de la lune où il tente de légitimer une religiosité grecque lunaire contre les pouvoirs magiques des Mèdes autour du culte superstitieux du feu. Dégager une religiosité philosophique "positive" des dérives de la magie noire est toujours un des enjeux majeurs de la pensée grecque de la période romaine.
Ce passage est un des plus politiques de la Vie d'Apollonios de Tyane, mais aussi un de ceux qui tracent le plus clairement le lien historique Pythagore-Epaminondas-Apollonios, et définissent leur rapport concret à l'être et aux modalités d'action humaines sur le devenir.