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Articles avec #philosophie tag

Mon vieux livre sur Nietzsche cité dans deux mémoires

3 Octobre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Philosophie, #Publications et commentaires

Ne le cachons pas : je m'amuse à voir mon mémoire de maîtrise de 1992 (soutenu à Paris IV-Sorbonne) légèrement augmenté pour prendre la forme d'un livre en 2004 être cité dans des mémoires universitaires. Je trouve que c'est lui faire beaucoup trop d'honneur, mais bon, si les étudiants l'utilisent comme une marchepied commode pour s'initier au nietzschéisme, pourquoi pas ? 

Il y a quelques années un étudiant congolais avait ouvert le bal en l'utilisant dans le cadre d'un travail sur les châtiments.  Puis en 2009, ça a été Esteban Sierra Montiel de l'université de Toluca au Mexique avec un mémoire de maîtrise El problema del sujeto en la obra de Nietzsche qui me cite assez abondamment et parfois en parallèle avec un livre de Marco Parmeggiani,dont le titre Perspectivismo y subjetividad en Nietzsche, évoque beaucoup le mien, paru à Malaga en 2002.

Puis en 2016, c'est Benoit Duval de l'université de Laval au Canada qui dans un mémoire de maîtrise Amor fati : entre stoïcisme et nietzschéisme me cite rapidement sur le thème de la souffrance pour apporter des nuances à mon propos.

Il faut accepter que les ouvrages qu'on publie ne nous appartiennent plus. Au moins, grâce à L'Harmattan, ces livres sont dans les universités et ils sont réimprimés par delà les décennies, ce qui n'est pas le cas des livres des grands éditeurs.

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L'Aphrodite ouranienne nue et l'Aphrodite Pandemos habillée

30 Septembre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Anthropologie du corps, #Nudité-Pudeur en Europe, #Philosophie, #Spiritualités de l'amour

Dans un commentaire sous mon billet "Le néo-platonisme est-il chrétien ?", le lecteur Hyarion me demandait de préciser ma remarque sur l'Aphrodite ouranienne nue et l'Aphrodite Pandemos habillée qui selon lui pourraient être toutes deux indifféremment nues.

Dans la limite de mon faible temps de disponibilité ce matin, je vais donc détailler ce point tout en précisant que je ne suis pas érudit en matière d'art antique ou d'art de la Renaissance. J'ai seulement croisé la problématique de la nudité dans les arts visuels (dans mon livre "La nudité pratiques et significations") à travers les réflexions profondes de François Jullien dans son dialogue original (mais controversé) avec l'art chinois et à travers la problématique pythagoro-platonicienne de la mathématisation du beau, plus deux ou trois lectures comparatives sur la nudité des dieux dans des cultures périphériques au monde greco-latin, et une réflexion sur Andromède que j'ai postée sur ce blog, bref, assez pour me donner deux ou trois intuitions, mais insuffisamment pour avoir un recul véritable par rapport à ce que je vais exposer ici (sauf le recul de mon expérience auprès des médiums relatée dans mon dernier livre paru chez L'Harmattan et qui est lié à la problématique de la nudité).

Le savoir que j'expose ici, je le tire d'Edgar Wind, "Mystères païens de la Renaissance" chapitre VIII, un livre anglais de 1958 qui s'inscrit dans la même veine d'intelligence que le "Les Grecs et l'irrationnel" d'ER Dodds quoiqu'il porte sur une période différente.

Voici donc ce que nous apprend Edgar Wind et qui mérite sans doute d'être médité.

Je vais tenter de l'exposer en des termes compréhensibles par tout le monde, quoique le sujet soit censé en réalité être très complexe et source d'un savoir hermétique, occulte, dont un esprit de notre époque ne peut nécessairement entrevoir que la face émergée.

A la base donc, il y a deux Vénus, ou deux Aphrodites. La Vénus du peuple ou de tout le monde (Venere vulgare) ou Aphrodite Pandemos, qui est la fille du roi des dieux Jupiter/Zeus et la Venus céleste (Venere celeste) ou Aphrodite Ourania, fille du dieu du ciel Ouranos. L'une est née de l'accouplement de Zeus avec Dioné la déesse grecque de la beauté, l'autre de la castration d'Ouranos dont le sperme forme l'écume de la mer d'où sort Venus (Wind p. 153).

L'opposition entre les deux nait des spéculations orphiques (ce mouvement poétique et religieux venu de Thrace et peut-être du chamanisme qui irrigua la culture grecque à partir du VIe s av JC), sachant que la castration d'Ouranos est une des figures du démembrement de Dionysos (ou d'Osiris), c'est-à-dire le démantèlement de la pureté du divin dans la matière.

Les platoniciens de la Renaissance florentine Politien, Marsile Ficin et Pic de la Mirandole méditèrent sur cette opposition entre les deux Vénus. Et cela aboutit aux deux tableaux de Botticelli, disciple de Ficin, Le Printemps et la Naissance de Vénus, qui provenaient de la même villa, celle de Lorenzo di Pierfrancesco de' Medici (p. 146) et se comprenaient donc par un effet de miroir. Dans "Le Printemps" ci-dessus est représentée au centre la Venus vulgaire, habillée, et dans "La Naissance de Vénus" (ici à droite), c'est la Vénus céleste.

Pourquoi la Vénus de tout le monde, qui "dans un bocage qu'illuminent des fruits d'or, préside avec douceurs aux rites de la Primavera" (p. 153) est-elle vêtue alors que la Venus céleste est nue ? Parce que "dans l'échelle platonicienne des choses, il s'agit d'une descente, d'une vulgarisation ; car la richesse de couleurs et la diversité de formes qui ravissent l'oeil lorsqu'il perçoit la beauté ne sont qu'un voile derrière lequel se cache la splendeur de la beauté céleste pure".

Plus on est dans le dépouillement de la nudité, et plus on est dans le divin. C'est pourquoi dès l'Antiquité par exemple, en ce qui concerne les trois grâces qui sont une émanation de Vénus, on finit par les parer de voiles transparents, puis, dès l'époque romaine, à les représenter nues, car on préférait toujours l'absence de vêtements pour illustrer la pureté divine (ce qu'on avait déjà vu avec les spéculations de François Jullien sur le sujet).

J'ajouterai que, selon Wind, et contrairement à ce qu'a voulu nous faire croire un documentaire diffusé sur Arte il y a quelques années (méfiez vous des simplifications outrancières de la télé), ce mystère n'est pas incompatible avec le christianisme intégriste de Savonarole qui avait été disciple de Ficin, mais je referme là la parenthèse.

Wind insiste sur le fait que cela ne signifie pas que la Vénus vulgaire "est purement sensuelle et n'a point part à la gloire céleste" puisque chez Platon, rappelle Pic, la beauté terrestre a à la fois un versant bestial et un versant humain. L'instinct bestial veut nous faire jouir érotiquement de la beauté terrestre mais l'amant humain "reconnaîtra que la Vénus qui paraît habillée d'un vêtement est une image de la Vénus céleste" (comme la souligné Plotin en appelant Vénus l'âme plongée dans la matière).

On peut aussi remarquer que, dans le système de Pic de la Mirandole disciple (infidèle) de Ficin, la Vénus céleste quant à elle, est d'autant plus divine qu'elle médiatise en elle-même deux opposés (le sang de la castration et l'écume de la mer), comme les grâces dans sa dialectique presque pré-hegelienne (mais Hegel et Pic ont puisé aux mêmes sources platoniciennes), conformément à l'idéal de réunion dans deux opposés dans un moyen terme tiers qu'incarnent les trois grâces.

Mais avec le système ternaire subtil de Pic, l'amour terrestre est aussi ternaire puisqu'il a deux composantes, céleste et animale, avec une troisième humaine qui en assure le moyen terme, de sorte qu'on pourra même parler d'un amour "céleste humain", qui apparente l'Aphrodite terrestre à son Idée céleste.

Botticelli (1445-1510) n'est pas le seul à avoir pris le parti de vêtir l'Aphrodite Pandemos en dénudant la l'Aphrodite Ourania.

Silvestro Calandra (1450-1503) à Mantoue mentionne "deux Vénus, l'une drapée, l'autre nue" dans une lettre où il décrit une toile de Mantegna achevée par Costa, La Légende du Dieu Comus, qui se trouve maintenant au Louvre. Dans une note de bas de page qui renvoie à un autre de ses livres (Bellini's Feast of the Gods p. 47), Wind fait remarquer que "dans cette œuvre, la caractérisation des deux Vénus ne laisse aucun doute sur le fait que, quoique inférieure à la nue, la Vénus habillée est aussi la plus humble des deux", ce qui dans mon esprit renvoie au livre dirigé par Masquelier que je cite dans "La nudité, pratiques et significations", qui lie habillement et modestie (en anglais, modesty c'est aussi la pudeur). Sous des cieux chrétiens cela rendrait aussi la Vénus "inférieure" au moins visuellement plus vertueuse... bref, on peut nuancer et complexifier à loisir.

Le parti pris de ce courant néo-platonicien de dénuder la seule Aphrodite céleste (celle qui est la moins matérielle) est un cas isolé de l'histoire de l'art, mais il me semble rendre le plus justice à l'essence du platonisme, voire, dans la logique de François Jullien, à l'essence de la pensée grecque, même si c'est ce qui peut sembler le plus contre-intuitif à notre époque.

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Le néo-platonisme est-il chrétien ?

24 Septembre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Philosophie, #Christianisme

Dans mon livre "Incursions en classes lettrées" j'ai expliqué combien, dans les années 2000, j'étais empreint de stoïcisme, au point de mettre la photo de Chrysippe sur un de mes livres publiés sous pseudo. Je crois que le stoïcisme a toujours été identifié comme une forme assez basse de spiritualité. Avec sa volonté de détrôner les planètes de leur statut divin, tout en soumettant chacun à l'acceptation d'un fatum astral, il fait jeu égal avec l'épicurisme dans la course à l'athéisme (et ce n'est point un hasard si Chrysippe eût un penchant épicurien avant de rejoindre Zénon), et je crois que son insistance sur l'universalisme et la philanthropie n'est pas plus de nature à le "sauver" de ce point de vue là que l'humanisme aujourd'hui ne peut racheter l'humanité de ses errances. 

De ce point de vue  je ne vois pas de différence entre le premier stoïcisme grec anarchisant et son pendant romain tardif impérial. Brunetière eut raison de reprocher à Marc-Aurèle (contre Renan) d'avoir torturé Sainte Blandine du haut de son orgueil (l'orgueil ennemi de chaque jour disait Augustin). Peut-être le platonisme a-t-il un peu relevé le stoïcisme chez certains nobles comme Caton (mort en relisant le Phèdon) tandis qu'à l'origine sa doctrine était écrite "sur la queue d'un chien" (celle des cyniques) c'est à dire sur l'antireligiosité même, là où St Paul voit dans la religiosité des athéniens l'unique de leurs vertus.

Il se peut que ce platonisme qu'en Terminale notre prof de philo voulait à tout prix "renverser" et dont le culte agaçait tant Stove soit effectivement la seule source de compréhension du spirituel comme le soutenait St Augustin. On sait combien il a irrigué le judaïsme via la kabbale, l'Islam au IXe siècle, et le christianisme notamment dans l'académie de Ficin. Mais dans ce dernier cas de figure où l'on synthétisait tout, et où l'on pratiquait magie, voyance et spiritisme à tout va (y compris et surtout dans les cercles platoniciens les plus érudits), était-on encore dans le christianisme ? Je m'étonne de voir que l'Eglise n'a jamais condamné ouvertement le néo-paganisme de la Renaissance. Il est vrai qu'il est au coeur de Saint-Pierre de Rome. Mais en quoi la ronde des Grâces (Voluptas,Castitas, et Pulchrito), les spéculations platoniciennes sur l'Aphrodite ouranienne nue et l'Aphrodite Pandemos habillée, ou sur le baiser de Jupiter à Leda sont-elles chrétiennes ? Il est vrai que le dernier peut être tiré du côté de la passion de Saint Paul "je désire partir pour être avec le Christ, car c’est bien préférable ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire" (Ph 1, 20c-24.27a), belle aspiration au divin "baiser de la mort" que tous les mystiques espèrent toute leur, Marguerite de Cortone en tête. On entend bien que le platonisme offre une voie pour trouver plus concrètement Dieu avant la mort physique (mais au prix d'une mort psychique) dans l'union douce-amère saphique d'Eros et de Thanatos que la messe dominicale. Mais n'est-ce pas une façon d'épouser des spectres plutôt que l'Etre aimé ainsi que Platon lui-même le reprochait à Orphée, en le blâmant d'avoir choisi la musique pour retrouver son Eurydice plutôt que la mort de l'amour véritable ? Allez savoir...

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Les énergies des plantes

15 Septembre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Médiums, #Philosophie

Ce soir sur Ushuaïa TV (dans la série "Les nouvelles aventures des plantes" - "Dans les Alpes") un beau reportage sur des gens qui, dans le Tyrol, essaient de remettre au goût du jour les énergies des plantes (l'edelweiss, la fleur de saint Jean ou millepertuis, les bains de foin), et leurs vertus curatives. Pas besoin d'aller chercher des ingrédients asiatiques et des techniques dont on connaît mal le système métaphysique qui les entoure en Extrême-Orient. Et je suis d'accord avec Maurice Caillet, dont on connaît le grand parcours spirituel, quand il dit que les énergies naturelles (minéraux, végétaux, animaux) ne sont point condamnables en soi. Le problème, est ce que certains guérisseurs en font sous l'impulsion de forces qu'ils ne maîtrisent pas... Comment trier le bon grain de l'ivraie ?

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L'art africain

6 Septembre 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Philosophie, #Médiums, #Histoire des idées

Quand Emmanuel Berl dans ses "Trois faces du sacré", soulève un aspect important de la transposition de l'art africain sous nos latitudes à partir de la fin du 19e siècle....

Voyez ces pages (134-135) :

 

Un peu plus loin il emprunte à Paul Morand l'image de la danseuse Congo à Paris victime d'un envoûtement funeste et souligne avec ironie que, quelque sceptique que soient les artistes français qui s'inspirent de "l'art nègre", aucun ne voudrait connaître la mésaventure que vécut cette artiste et remarque qu'à cause cela cet art a provoqué un mélange de fascination et de panique en Allemagne, mais on ne sait trop à quoi il fait allusion à ce sujet. En tout cas il pose une question qui mérite qu'on s'y attarde. Prenons à la lettre le "objets inanimés avez vous donc une âme ?" de Lamartine.

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Anne Dufourmentelle

26 Juillet 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Philosophie

Il y a quelques années, j'écrivais pour Parutions.com une recension du livre "La femme et le sacrifice" d'Anne Dufourmentelle. Le weekend dernier on apprenait que l'auteure était décédée à Ramatuelle... en sacrifiant sa vie pour sauver deux enfants de la noyade...

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Jollivet-Castellot à propos des médiums

4 Juin 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Médiums, #Pythagore-Isis, #Philosophie

Une page intéressante d'un étrange alchimiste chrétien qui fut un des pionniers du Parti communiste français (SFIC) dont il fut rapidement exclu. Sa position rappelle un peu celle des jungiens de notre époque - comme Michel Cazenave par exemple. En termes rationnels, elle ne serait défendable qu'au prix d'un pari métaphysique : que chaque âme ait une univers pour elle-même. Mais on sent bien que dans l'ordre métaphysique, comme avec la phrase d'Apollonios de Tyane "Néron a creusé et n'a pas creusé le canal de Corinthe", l'énoncé est à la fois vrai et non-vrai...

"Concluons : L'Occultisme, la Magie, l'Astrologie, l'Alchimie, la Thérapeutique, le Psychisme, le Spiritisme, — branches de la Science Hermétique, reposent sur des phénomènes réels, de l'ordre naturel et universel que l'homme terrestre interprète suivant l'état actuel de son Verbe. Le Verbe humain terrestre, la science humaine, ne sont pas sur cette planète, encore assez parfaits pour que l'on puisse affirmer que les causes sont rigoureusement celles qu'on leur assigne.

Mais la Science et la Mystique qui, réunies, forment l'Hermétisme, nous enseignent certes que ces causes ne peuvent être en dehors de la conscience et des facultés de l'Homme, à différents états d'évolution. Causes naturelles. Verbe cosmique incarné par des êtres différents. Lois inflexibles, en tous cas, que nous ne savons encore formuler, mais qui ne sont que l'extension des lois que nous avons définies, ou cru définir jusqu'ici, et qui, supérieures ou autres, ne peuvent être jamais contradictoires.

C'est pourquoi l'explication spiritique des phénomènes dus à la force astrale ou psychique, est-elle enfantine et superstitieuse. Elle équivaut au bégaiement d'un enfant étonné qui croit aux revenants, aux fantômes, aux évocations que crée son imagination délirante ou morbide.

Les médiums, rigoureusement nécessaires à la production des phénomènes qui demeurent donc bien du champ de la faculté humaine — sont presque tous des détraqués, des malades, des hystériques, des névrosés qui, sursaturés de cette énergie « psychique » ou mieux astrale, la projettent et l'attirent, la concentrent et la repoussent brutalement, en provoquent le flux violent, capricieux, telle une machine à vapeur ou une dynamo qui s'emballe.

Certains — très rares — parviennent à modérer la force, à la diriger parfois. Ils la modèlent selon leur intelligence et leur volonté, la revêtent de leur propre esprit souvent subliminal et inconscient.

Le Spiritisme n'a rien révélé d'important, ni de nouveau au monde. Il est la conscience humaine à ses divers degrés d'intelligence, d'évolution, de moralité — conscience projetée dans l'Au-delà de la Suggestion et des Forces encore imprécises ou formidables.

On n'y découvre point l'intervention d'entités étrangères, ni surtout supérieures au plan terrestre."

Nouveaux Évangiles : le christianisme libéral, la tradition occulte, métaphysique de l'hermétisme, l'Europe et la Chine, "finis Latinorum" / F. Jollivet-Castelot Eds Chacornac 1905 p. 171-172.

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Un commentaire de mon livre consacré à Nietzsche

30 Avril 2017 , Rédigé par CC Publié dans #Philosophie, #Publications et commentaires

Cela m'avait échappé, mais en 2012, un certain "Pripri" sur Senscritique.com avait produit un compte-rendu très bienveillant  de mon livre "Individualité et subjectivité chez Nietzsche".

Je ne veux pas ici "commenter ce commentaire". Beaucoup de gens vivent avec Nietzsche toute leur vie. Ca ne sera pas mon cas. J'ai croisé sa pensée à 17 ans, "Individualité et Subjectivité chez Nietzsche" est un mémoire que j'ai soutenu en Sorbonne à l'âge de 21 ans, puis que j'ai transformé en livre dans les années 2000. Les deux ou trois universitaires à qui je l'avais transmis n'ont pas jugé utile de le faire. Tant mieux si des personnes sur le Net reconnaissent à l'ouvrage quelque mérite, et s'il les aide à rassembler quelques problématiques - il était surtout destiné à cela, ratisser, rassembler, mettre un peu en ordre, et rien de plus. Je pense aujourd'hui qu'à la différence de ce que pensait Nietzsche, le problème de l'individualité doit se pense par rapport à "l'autre monde" dont il avait un peu trop vite refermé la possibilité. Mon dialogue (critique) avec les médiums qui ne fait que commencer porte sur ce thème là.

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« Individualité et subjectivité chez Nietzsche » est le fruit d’un travail précis et honnête.
L’auteur, Christophe Colera, se propose dans les premiers chapitres d’exposer les deux facettes de la critique nietzschéenne de la notion de sujet et de subjectivité - thème académique mais pas inintéressant, et s’approche naturellement dans le dernier d’une définition de ce que serait l’individualité aux yeux du « plus sublime des » syphilitiques. La plume de l’auteur est la plupart du temps très lisible, un peu mécanique mais puisqu’il se paye le luxe précieux de confronter ses thèses à celles de commentateurs plus renommés que lui (Heidegger, Jean Granier, Michel Haar et même Luc Ferry qui avait commis avec quelques autres un Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens) tout ça donne vite au lecteur un air très respirable. Si l’ouvrage est truffé de coquilles, la lecture n’en est pas pour autant rendu si désagréable, les chapitres étant aérés et les références au texte nietzschéen nombreuses et très pertinentes.

Une fois débarrassés des questions de forme, vous allez évidemment me demander ce qu’il y a au fond de la marmite. Comme je l’ai déjà écrit, les deux premières parties bien qu’assez classiques ne manquent pas de pédagogie et de précision pour exposer les différentes critiques que Nietzsche adresse à l’encontre de la notion de sujet. Le premier chapitre se contente de servir d’introduction correcte à cette critique en passant notamment en revue les raisons extra-épistémologiques qui ont motivé Nietzsche - pêle-mêle : l’importance du cas de la Grèce présocratique (où le sujet moderne n’existe pas), la volonté constante chez Nietzsche de dépasser sa maladie par la philosophie et pour finir l’influence majeure de l’art comme (nouveau ?) paradigme de la pensée. Le deuxième chapitre lui va au cœur du propos de Friedrich et énonce les arguments que ce dernier emploie à mainte reprises contre les avatars du sujet. Qu’il s’agisse de l’âme chrétienne, du libre-arbitre ou de la subjectivité libérale moderne (que Nietzsche hérite de sa lecture de Tocqueville selon l’auteur) chacun se voit mis à la porte de la Gaya Scienza dont le physionomiste (« Encore un black ! » « Non un allemand. ») est parmi les plus sévères que je connaisse. Le troisième chapitre est évidemment le plus dangereux car il s’agit là de réunir ce qui a été intentionnellement disséminé par le généalogiste à la fois dans les œuvres publiées - principalement le Gai Savoir, Ecce Homo et Par-delà bien et mal mais tristement pas la Généalogie de la morale qui est trop souvent exploitée par l’auteur comme un texte uniquement critique – mais également dans les Notes posthumes.

Quid alors de cette reconstitution à la Isis ? Il me faut tout de suite reconnaître que l’auteur ne démérite pas et prend le soin d’accuser premièrement l’indécrottable aspect métaphorique de la pensée de l’individualité chez Nietzsche, deuxièmement le caractère incertain d’une telle recomposition et troisièmement le paradoxe qui nourrit cette conception déterrée. En effet, cette individualité nietzschéenne qu’il faudrait retrouver repose sur trois éléments majeurs de la philosophie du moustachu qui la soutiennent (l'individualité, pas la moustache). Le premier élément c’est la nouvelle conception du Corps qui marque l’arrêt de mort de la distinction sujet-monde et ouvre quelque part la voie au Dasein heideggérien ; ‘’l’individu’’ avant d’être tel est d’abord un corps, une multiplicité d’affects, de volontés qui combattent les unes contre les autres pour imposer leur perspective. Le deuxième élément c’est la doctrine de l’Eternel Retour du Même dont la conception cyclique du temps permet, si elle est tenue pour vrai par l’individu, d’atteindre le troisième élément capital et nécessaire qu’est l’ego-fatum, pendant théorique de l’amor fati.

C’est ici que réside le paradoxe de l’individualité nietzschéenne : l’individu n’est certainement pas une unité mais une multiplicité (d’affects, de petites volontés) qui se donnent l’apparence de l’unité, qui se croit identique à elle-même à travers le défilement des instants. Plus précisément encore c’est sur l’instant que repose l’individualité que reconstruit ici Christophe Colera : l’individu n’est pas ni ne se fait lui-même, il est fait à tout bout de champ. A chaque instant c’est par un devoir-être (!), par une sélection éthico-pratique qu’il advient tout en étant dépassé par ce qui le meut (soit les instincts nihilistes triomphent, soit ce sont les instincts supérieurs – il n’y a pas de voie intermédiaire ou attentiste dans cette ‘’éthique’’). Christophe Coléra écrit : « Le vouloir issu d’une solitude individuelle se révèle ainsi comme étant virtuellement porteur d’une volonté passive-active du monde, laquelle est indéfiniment en attente de sa reprise dans un instant quelconque, sans sujet pour en gouverner le destin » (p.126). On oubliera donc les versions à l’aspartam d’un Nietzsche-Victor Novak éducateur, venu prêcher la bonne parole pour élever les bonnes âmes humanistes à la libération de l’aliénation et au sapere aude des Lumières. ‘’L’individu’’, du point de vue de la volonté de puissance, est l’outil de cette dernière. ‘’L’individu’’, du point de vue de la conscience claire, n’est individu que lorsqu’il accepte de se comprendre comme volonté de puissance, lorsqu’il accepte de se voir comme « plusieurs âmes dans un seul corps » - comme voulu par un Destin.

On pourrait objecter à nos auteurs que la notion d’individualité perd alors complètement son sens : l’individu se retrouve entièrement soumis, à chaque instant, au travail interprétatif de ces petites âmes, de ces affects qui cherchent à commander la perspective sur le monde, qui cherchent à imposer les mobiles de l’action à venir aussi. Eh bien c’est exactement ça, l’individualité est toujours à venir et ne cesse jamais de l’être (sinon la circularité du temps perçue via l’Eternel Retour n’aurait pas lieu d’être pensée) et l’individu n’advient qu’en acceptant de jouer le jeu de son Corps, en évitant de se méconnaître au point de se mortifier (soi ou les autres d’ailleurs). Les vieux briscards ne s’étonneront pas du paradoxe car Nietzsche n’a de cesse de penser en-dehors, à côté, en-deçà des antinomies du langage. En une phrase : « la transmutation de l’individu en monde, l’éclatement du sujet, se joue là dans un acte pur, c’est-à-dire dans un verbe pur, à l’infinitif, sans sujet grammatical et, qui plus est, un verbe qui possède les deux modes actif-passif » (p.126). Moralité de l’histoire : devenez ce que vous êtes.

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