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Was ist das, "Philosophie morale" ?

On peut se demander à l'infini pourquoi Onfray fait encore ça. Et pourquoi on le laisse faire cela, à quoi cela peut bien servir pour les gens, et pour les institutions qui orientent les goûts des gens. Est-il une soupape de sécurité pour un ordre social malmené ?
Depuis 25 siècles on se tourne vers la philosophie avec le sentiment que son geste, son mouvement, sera bénéfique à l'humanité même si les philosophes par eux-mêmes souvent ne le sont pas. On soupçonne qu'il y a quelque chose de précieux là-dedans, à tort ou à raison.
On ne peut dire cela sans immédiatement poser la question "qu'entend-on par philosophie ?". Est-ce que les incantations d'un chamane sont de la philosophie ? est-ce qu'une danse est philosophique ? Questions advenues avec la crise de la métaphysique, et que je ne puis évidemment qu'aborder allusivement ce soir. La philosophie, malgré ses prétentions radicales n'est-elle pas qu'une des formes de la spiritualité ? une spiritualité "à l'occidentale", une spiritualité adaptée à l'individualisme ?
Avant d'entendre Onfray je m'étais dit qu'aujourd'hui j'écrirais un billet sous le titre "De quoi Nietzsche est-il le nom" en pastichant une expression de Badiou devenue populaire. J'ai du mal avec le nietzschéisme, je ne puis le cacher. S'il n'y avait eu que Nietzsche dans la philosophie je n'y serais pas venu. Platon, Descartes, Hegel m'ont fasciné. Nietzsche n'était appréciable que comme un complément de cela, comme un éclat de rire final. Mais je n'aurais jamais aimé le nietzschéisme "tout seul". Aujourd'hui je vois bien que Nietzsche finit par fonctionner comme une sorte de paradigme à soi seul. Il est vrai qu'il peut le devenir parce qu'il est assez dense, assez vaste, et assez riche de contradictions (comme tout grand auteur) pour fournir des clés de réflexion. Et donc mieux vaut lui qu'aucun. Et mieux vaut Nietzsche que Hegel, car cela fait déjà une dose de religiosité en moins. Mais timeo hominem unius libri, et tout autant l'homme d'un seul auteur, ou d'un seul paradigme. Et ce paradigme là fait passer à côté de beaucoup d'autres choses.
Mais c'est un paradigme qui va bien avec la réduction de la philosophie à la philosophie morale. L'heure n'est plus aux grandes envolées (stimulantes) de la pensée métaphysique qui entendaient penser tout et le Tout. On a presque le sentiment que la philosophie, dépossédée par la science empirique - qui lui a volé les outils de pensée de la matière inerte, du vivant, et même du social - et par l'esprit démocratique - qui lui vole le politique, puisqu'il n'y a plus de "bergers des hommes" - se replie sur le pré-carré de la "construction de soi", de l' "éthos quotidien", du "comment dois-je me comporter avec mon voisin de palier ?" sur lequel viennent la rejoindre tous les gens un peu perdus, un peu fragiles. Ce n'est pas la première fois. Les grands replis sur la philosophie morale sont légions dans l'histoire de la discipline depuis Socrate. C'est même la fonction majeure que lui donna la Troisième République à ses époques les plus "centristes" (certains passage du livre de Pinto sur le métier de philosophe à cet égard sont bons à prendre).
Philosophie morale, micro-philosophie, le quotidien. Cette philosophie là, petite médication des âmes pour sujet en questionnement, est presque condamnée à forcer le trait de l'individualisme, je veux dire à accentuer le mythe de l'individu préexistant à lui-même, l'individu sans généalogie qui est son propre père, sa propre mère (je songe à Sloterdijk mais ne développons pas). Ce que j'ai toujours aimé chez Hegel, c'est sa manière réaliste de placer la société au principe, via la famille, comme mère de l'individu. Je comprends le geste de rupture à l'égard de cette pensée : oui, le sujet peut construire d'une certaine façon son statut d'orphelin, ou plutôt de monade autopoïétique, pour ainsi dire. Nous ne sommes pas enfermés dans l'Oedipe comme disait Deleuze. Mais il ne peut le faire dans un aveuglement adolescent sur la question de la dette, qui n'est pas dette à l'égard des géniteurs, mais dette à l'égard de la société et du monde (ce que Nietzsche lui-même dans ses moments conservateurs reconnaît avec beaucoup de lucidité). Et cette dette dépasse largement le volontarisme théorique de l'individualisme philosophique, et donc les artifices de la philosophie morale car elle est héritage en même temps que dette, héritage et donc formatage. Cette dette interdit même la possibilité d'une philosophie "réduite" à la philosophie morale. Car soyons clair : que vaut une philosophie du bonheur, ou de la construction de soi, si je vis dans une société où l'on me ment sur la guerre en Ossétie du Sud et sur tant d'autres choses (et où l'on m'encourage à me mentir à moi-même sur le monde où je vis) ? N'est-il pas urgent à ce moment-là que la philosophie réinvestisse le champ du politique (et pas seulement pour défendre les "acquis sociaux" comme l'a fait Onfray) ? que vaut une philosophie de l'individu qui ne place pas en son principe une étude de la biologie, du darwinisme, bref une philosophie qui ne se fait pas philosophie des sciences ?
Je dois un article à la revue Le Grognard, que je ne parviens pas à écrire, je m'en excuse auprès d'eux. J'avais été séduit, par le caractère modéré et sceptique de leur individualisme. Mais la philosophie morale individualiste même modérée n'est-elle pas encore trop dans l'abstraction et dans l'erreur ?
Paul Valéry à propos de Nietzsche
Lettre à Gide - 13 janvier 1899 (18 mois avant la mort de Nietzsche, mais 10 ans après sa chute)
"Quant à Nietzsche, diable ! Il me semble (si j'ai saisi, ce qui n'est pas encore sûr) que tu te presses un peu de l'unifier. Pour moi, il est avant tout contradictoire. Par exemple, il éreinte A par méthode B, et puis il démolit B ; et conserve les deux éreintements tout de même.
Donc, dans son ensemble, il y a des choses admirables ou naïves ou inutiles ; donc, il faut choisir ce qui convient et revenir soit à Stendhal soit à Descartes, car il n'y a guère de milieu possible. Souvent des chapitres entiers sont, comme dirait ton garçon de café, d'une gratuité terrible. Son grand tort à mes yeux est de vouloir faire une philosophie de la violence. Le résultat, c'est Mauclair - c'est clair !
(...) Le plus amusant chez lui, c'est l'air convaincu et la préoccupation éthique - chose qui me fait toujours rigoler - car en somme c'est une affaire de cuisine. Il veut travailler dans la morale, et il ne voit pas que le fond moderne de cela, c'est l'indifférence bien présentée. D'ailleurs, as-tu remarqué le truc merveilleux que constitue le Superuomo ? Cela permet à la fois d'être optimiste et pessimiste, d'où pages diverses; etc., d'être romantique et classique, etc. ad libitum. (...)
Nietzsche, qui est beaucoup plus métaphysicien que moi, - car je crois l'être aussi peu que cela est décent, a refait son Dieu, sa Cause, sa Force, sa Vie,etc, et il a pris le bon chemin traditionnel : la contradiction. Seulement, chez lui, elle n'est pas tant dans les termes, in terminis, que dans les choses (...) "