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Le chapeau de Liane de Pougy
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Lu dans Gil Blas du 3 mai 1910 à propos d'un personnage qu'on a découvert il y a peu.
Le petit "béquin" et le petit prince de Mme LIANE DE POUGY devant le juge de paix de Saint Germain
C'est un petit, tout petit chapeau, un tout petit « béguin », mais il est déjà grand dans l'histoire.
Simple tulipe en paille noire à la corolle épointée et bordée d'un ruban de dentelle blanche, il occupe depuis de longs jours l'attention du monde.
Mme Liane de Pougy le portait le lundi de Pâques dans les rues de St-Germain, où elle villégiature souvent, et le petit chapeau eut le. malheur de déplaire à un groupe d'autochtones: Deux femmes s'en moquèrent, et leurs maris eurent Ia faiblesse de les approuver. Alors le petit prince Ghika, chevalier servant de dame Liane, rappela les rieurs au respect que l'on doit à tout petit chapeau lorsqu'une jolie femme le porte.
En guise de réponse, l'un des maris, irascible le gifla. Puis, comme, les oreilles rouges, le petit prince levait le bras dans un geste de parade, le mari exaspéré, lui lança un vigoureux coup de poing sur les mâchoires et enfin, de plus en plus convaincu qu'il combattait pour la logique et la morale, étendit le bras une deuxième fois et te prince chancela. Entre temps, tel un guerrier grec pour s'exciter au courage, M. Martet, car c'était lui, invectivait le prince, La princesse Liane et jusqu'à leur compagne de promenade et amie, Mme d'Arvilly !
Attroupement La police accourt. Tout Je monde va au commissariat Le prince Ghika et Mme Liane de Pougy déposent une plainte, et Le petit chapeau, victime muette mais séduisante, vient demander justice.
* *
Le juge de paix de Saint-Germain, il y a quinze jours, s'offrit déjà à le venger. Mais les avocats qui le défendent voulurent des assignations en règle et rendez-vous fut pris alors pour hier après-midi.
a Tout le monde y fut exact. La rue, d'ordinaire si paisible, où se trouve l'entrée du prétoire, avait pris un aspect d'émeute. Les indigènes y criaient et sifflaient. Toutes les fenêtres encadraient trois, quatre, cinq curieux penchés vers la chaussée, prêts à tomber s'il le fallait. Le service d'ordre était débordé, c'était émouvant et splendide. Enfin, une automobile apparut. Sur le siège, près du mécanicien, un carton blanc : c'était le petit chapeau 1 On le descendit avec précaution. Mme de Pougy le suivit, accompagné du prince Ghika, de Mme d'Arvilly et de deux membres du barreau parisien, Me Bonzon et Périnne.
On s'empila dans l'étroite salle et les débats commencèrent.
* *
Le premier, le prince fut invité à refaire le récit de l'agression. Il s'avança pâle, livide. Sur un front d'ivoire les ondulations noires de ses longs cheveux rejetés en arrière lui donnaient un visage de fillette, de fillette bien ennuyée de se trouver là. Le souvenir de ces scènes violences l'affecte encore.
Après lui, Mme Liane de Pougy parla :
- Et puis M. Martet m'a donné des noms d'oiseau.
— Quel oiseau ? questionne, imposant, le juge de paix, M. Quesnel, transformé en président de tribunal de simple police.
— Un oiseau avec de grandes pattes,
— Une grue ?
— Oui, avoue Mme de Pougy, dans un souffle.
— Très bien, très bien, et après ?
Après ? mais, M. Martet a proféré dans la rue à l'adresse de la plaignante des injures graves et Ie prince a été victime de coups et violences ayant causé des blessures assez sérieuses.
Les témoins l'affirment. Mme Journet, pâtissière devant le magasin de qui se passait la scène, sa jeune employée, de simples passants, tout le monde a vu la colère terrible de M. Martet -
Aussi, son avocat, Me Morel, n'essaie-t-il pas de discuter les faits, mais, pour donner à son client au moins l'attitude du courage, il cherche à représenter le prince Ghika, si petit, si pâle, si frêle, comme un matador dangereux. Et deux témoins cités par Me Morel viennent raconter une histoire vieille d'un an !
— Oui,, un jour sur la terrasse de Saint-Germain, le fox-terrier d'un officier de cuirassiers, au lieu de courir le museau aux fers du pur sang que montait son maître, alla faire un crochet sur le gazon et mordre, au passage, la levrette de Mme de Pougy. Le prince Ghika, toujours généreux, alla au secours de la petite chienne et, croyant ; les témoins propriétaires du fox, proféra à leur : égard des menaces de mort.
Quand les clercs de notaire, domiciliés dans le vertueux Saint-Germain, ont terminé leurs dépositions, le président fait placer entre eux le prince sanguinaire. Il apparaît doux, timide et grêle : comme devait être la levrette en face du fox-terrier,et les témoins ont l'air de bulls trapus et querelleurs. La cause est entendue.
*
Le président va juger quand Me Bonzon et Me Perinne, les avocats du prince Ghika el de Mme dé Pougy, le prient de se déclarer incompétent !
Comment ! lui qui avec tant de bonne humeur, d'esprit et de parfaite courtoisie a dirigé tes débats, il n'aura pas la joie de prononcer le jugement définitif ? Le coup est dur. L'excellent magistrat va s'enfermer dans la pièce voisine pour réfléchir. Il est six heures.
Des groupes sympathiques et animés se forment.
Les habitants de Saint-Germain qui, au cours des débats, ont souvent, par la voix des témoins ou les murmures dont ils soulignaient certaines dépositions, réclamé la qualité de « provinciaux », entourent le brave M. Martet, défenseur des modes assagies et de la morale des foyers réguliers aux joies chastes.
Ceux qui sont sensibles à la beauté, au charme et à la grâce s'empressent auprès de Mme Liane de Pougy.
Souriante et alanguie, un peu fatiguée peut-être par les émotions de cette journée, elle a besoin de s'épancher.
Elle glisse aux confidences :
— Certainement, elle va se marier, elle épousera le prince.
— A Saint-Ferdinand des Ternes, dans un mois, à une heure du matin,précise aimablement Mme d'Arvilly. La robe est déjà commandée l
— N'est-ce pas prince ?
Mais le prince est de plus en plus pâle. Ce procès le préoccupe. Ses parents, là-bas, en Roumanie, J'apprendront ; ils lui couperont tes vivres.
- Pauvre petit. Comment va-t-il faire ?
- Liane a cent mille francs de rente, explique Mme d'Arvilly.
Sur cette phrase (un quiproquo et non urne réponse), le pauvre président rentre. Il est résigné.
Il regarde cette belle salle qu'il ne retrouvera pas, les agents qui con-tiennent la foule, les jolies femmes, les modistes accourues de Paris, il regarde Mme Liane de Pougy, il regarde le petit chapeau, et enfin, d'une voix navrée, consomme le sacrifice : il se déclare incompétent !
Le petit chapeau va partir pour Versailles, la ville du grand roi, pour plaider en correctionnelle.
Je me suis procuré son "Mes Cahiers bleus". Le 17 décembre 1919, Liane de Pougy raconte les comment cela s'est passé. Le lundi de Pâques vers 4 heures, ayant fait le tour des Antiquaires avec son mari et une femme qu'elle appelle La Gigolette, elle s'en va prendre un chocolat chez Jousset, 18 rue au Pain.
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"Je portains un petit chapeau noir garni de grosse dentelle blanche, très simple, à la mode d'aujourd'hui, mais cela se passait en 1910, époque des derniers tromblons, des larges bords, etc. Nius croisons eux grosses bourgeoises empanachées d'autruche qui me désignent, éclatent de rire et disent à haute voix : "Oh, ce chapeau ! - C'est Liane de Pougy, une grue de Paris." Grue désignait les prostituées mondaines à l'époque.
Le prince Georges les dévisage et leur dit : "On devrait se regarder dans la glace avant de se moquer des autres !". Les deux maris suivaient, le "père Martet lui assène un coup de poing dans le menton. Georges qui a deux "salières ravissantes de la Compagnie des Indes" dans une main et "deux jolies miniatures Directoire" dans l'autre ne peut se défendre. On appelle un agent. Un procès verbal est dressé au poste. Le père Martet habitué à boire était éméché.
Liane de Pougy ne mentionne pas la procédure à Versailles mais insiste sur le fait que cet incident dont une presse malveillante s'accapara eut le mérite de hâter son mariage. "Au fond cette Liane tant décriée, vilipendée, prise à partie, avait en elle tout ce qu'il fallait pour faire une bonne épouse, mérite que je veux d'ailleurs partager avec mon petit compagnon si calomnié également".
Contrairement à ce qu'en disaient Jean Dutourd et son préfacier dominicain, je pense que la plus grande partie du journal de Mme de Pougy est bon pour le bûcher des vanités - le récit de ses dîners avec Cocteau, ses savantes démonstrations, contre Ramon Gomez de Serna, sur la sensibilité des seins des femmes etc. Rien de très édifiant dans tout cela.
Stagnation
Les conditions dont les gens sont mis sur votre chemin en général sont assez mystérieuses. Des gens entrent en contact avec vous, puis disparaissent. On ne sait pas trop à quoi cela a servi. Je faisais un peu hier le bilan de mes rencontres au cours des huit dernières années, et il faut bien avouer que ce bilan était assez négatif. Les échanges que j'ai pu avoir avec les un(e)s et les autres ne m'ont pas apporté grand chose, à part me rendre sceptique sur beaucoup de sujets, et je n'ai pas non plus apporté beaucoup aux autres : je n'ai pas l'impression d'avoir fait avancer grand monde sur un plan spirituel, et encore moins sur un plan matériel. Il y en a même que j'ai sans doute fait reculer vu le ressentiment qu'ils/elles ont pu accumuler à mon égard. C'est bizarre parce qu'en 2014-2015 comme je le raconte dans mon livre sur les médiums, les rencontres avaient été très prometteuses. Il faut croire que la mécanique s'est grippée.
Sardou
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Cette année le mois d'août a été marqué par une polémique entre "progressistes" et "conservateurs" autour de la chanson "Les Lacs du Connemara" de Michel Sardou.
Quand j'avais 8-10 ans, entre 1978 et 1980, et encore quand j'eus 11 ans, alors que je venais d'entrer en 6ème au collège, mes parents et moi allions regarder la TV chez mon grand père maternel, veuf, pour le distraire un peu, le samedi soir. C'était la soirée variété devant les émissions de Marity et Gilbert Carpentier, puis celle de Michel Drucker, et même la série Dallas. C'était un univers étrange, car mes parents s'asseyaient à côté d'une cuisinière en fonte des années 1940, le carrelage au sol était de la même époque, et les décennies semblaient se télescoper alors que la télévision diffusait Goldorak et Droit de Réponse.
Tout était ritualisé. Mon grand père faisait chauffer du café dans une vieille casserole et moi, assis à la table de cuisine sur une toile cirée, je dessinais en regardant l'écran du téléviseur posé devant moi. Déjà créatif, en 1979 j'achetai un magnétophone et commençais à enregistrer des chansons (à défaut de magnétoscope qui n'allait arriver dans les foyers qu'à la décennie suivante). Je crois que c'est vers ce moment-là que j'enregistrai une émission spéciale de Drucker sur Sardou, avec des chansons comme "En chantant", "Musica", "La Pute"... Dans le milieu populaire où je vivais, en Béarn, nous n'étions pas intéressés par les polémiques gauche/droite qui existaient autour de ce chanteur. Il me semble que j'ai toujours su que sa chanson sur le "France" passait pour nationaliste, qu'il était pour la peine de mort etc, et j'ai lu vingt cinq ans plus tard un article de sociologie sur la polémique entre lui et Bernard Lavilliers qui disait de lui "Sardou c'est fasciste et puissant". Tout le monde savait que Sardou était de droite comme Yves Duteil et bien d'autres personnalité du petit écran, comme Dalida et Charles Trenet. Des pétitions qui ont circulé pour la présidentielle de 1981 qui se chargèrent de nous le faire savoir, mais peu importait. Ma mère, qui avait voté Mitterrand, accordait seulement de l'importance au fait qu'il avait une belle voix. Et moi j'ai appris ses chansons. Quand j'ai eu un dictionnaire français-anglais je me suis même amusé à traduire "Les lacs du Connemara" en anglais. C'est une chanson qui me faisait penser au "Monstre du Loachness" dont parlait Pif Gadget... J'y percevais quelque chose d'assez sombre, mais, à l'époque, l'obscurité faisait partie intégrante de beaucoup de productions culturelles qu'on nous servait sans discernement à des heures de grande écoute.
J'ai été surpris de voir ressurgir cet été la polémique sur les choix politiques de Sardou. Je ne puis m'empêcher d'y voir une sorte d'article de consommation, comme toute sorte d'autre débat pré-fabriqué absurde, uniquement destiné à "augmenter l'audimat" comme on disait jadis, provoquer des discussions absurdes sur les réseaux sociaux, mobiliser des énergies pour rien et détourner les gens des vrais sujets de leur vie.
Mais ce qui m'a plus étonné encore, ce fut de voir que des gens plus jeunes que moi voire carrément de la génération suivante connaissaient "Les lacs du Connemara" et même le chantaient dans des karaokés. Je suppose que c'est pour eux comme ce qu'étaient pour moi "Oh Catarinetta bella", "Le dimanche au bord de l'eau" et "La mer qu'on voit danser" que je fredonnais toujours, à 10-12 ans, avec un petite dose d'amusement attendri, comme on ressortirait de vieux articles auxquels nos aïeux accordaient quelque prix pour des raisons aujourd'hui inexplicables.
En ce qui me concerne, je n'ai plus maintenant aucun attachement aux chansons de Sardou. Son "Afrique adieu" que je passais à fond sur ma "chaîne stéréo" nouvellement achetée à Pau en 1982 est une apologie épouvantable de la sorcellerie africaine, qui plus est bourrée de clichés façon XIXe siècle sur le continent noir (à une époque pourtant où l'Angola, le Mozambique, le Burkina et la Tanzanie menaient des combats méritoires pour l'émancipation et la justice sociale). Tout l'imaginaire que ce chanteur mobilisait fait de sexe, d'alcool et de désespoir à deux balles, me paraît très brutal, et je n'accorde pas un centime à la nostalgie de pacotille dont il a fait son fond de commerce.
Il y a peu une Bigourdane qui a des dons de médiumnités me disait qu'elle avait vu des flammes et des formes très sombres apparaître à ses concerts. Je sais que ce genre de vision révèle des choses très profonds (mon fils, du temps où il avait aussi ce genre de don, qu'heureusement il n'a pas cultivé) avait perçu la même chose devant un clip de Mike Oldfield. Ce n'est pas le fruit de l'imagination, et il suffit de faire une analyse de texte des chansons balancées au public pour y trouver la confirmation des intuitions de cette Bigourdane. Je m'étonne même que Sardou n'ait pas balancé à son public des symboles liés au 666 comme le faisaient dans les années 1970 Johnny Hallyday, Queen ou Led Zepplin. Du coup, je suis assez enclin à croire ce que disait le "dealer des stars" Gérard Fauré à son sujet.
Cela ne veut nullement dire que les "progressistes" auxquels il s'oppose valent mieux que lui. Sur le plan des inspirations spirituelles, ce sont les deux faces d'une même pièce. Sardou est simplement utilisé comme la marionnette incarnant artificiellement le "boomer de droite" dans un exercice rituel de haine façon 1984 (ou de punition publique façon société secrète), mais tout cela est absolument fake, et il faut simplement rester totalement en dehors des manipulations d'émotions auxquelles les débats sur son compte peuvent donner lieu.
A propos des slows
J'écoutais hier une interview de l'écrivain Frédéric Beigbeder datant de 2022 dans l'émission de Patrick Simonin sur "France 5" "L'invité". Il y déclarait à propos du slow dans les années 1980 en minute 4'47 :
"Avec les slows, on pouvait aller voir une fille qu'on ne connaissait pas et être serré contre quelqu'un, contre une inconnue pendant trois minutes, quatre minutes, quelle merveille ! (...) et en fait comme on était contre quelqu'un pendant la durée de la chanson, et que la musique est tellement... les slows c'est quelque chose de déchirant, on en tombait amoureux en fait... on pouvait tomber amoureux plusieurs fois en une heure... c'était quelque chose d'étrange... c'est quelqu'un qu'on ne connaît pas, et on le serre contre soi. C'est l'antithèse de la distanciation (de l'époque du Covid). On est là à avoir ce cadeau merveilleux. Et alors quand il y avait le quart d'heure américain c'était encore mieux car on était invité par une femme".
Cela m'a évidemment rappelé le slow le plus marquant de toute ma vie, que j'ai vécu dans nuit du dimanche 1er au lundi 2 novembre 1987.
J'en ai facilement retrouvé la trace dans mon journal de l'époque (2/11/1987).
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"Hier soir, écrivais-je, au club Clan Campbell, j'ai obtenu deux slows avec M***. Deux slows exquis, l'un contre l'autre, le rêve d'une semaine. Si j'avais une définition à donner du paradis terrestre, je dirais : une vie entière à danser un slow avec M***.
Cette attitude de ma cavalière sur la piste de danse, sa tendresse docile, répondait à mes attentes. En dehors de cela, plus ou moins ostensiblement elle me fuyait. Je trouvais son attitude ambiguë à mon égard, mais l'était-elle vraiment ?
Quoi qu'il en fût, il fallait que j'en eusse le coeur net, et, lorsque la première série de slows s'acheva, je me retrouvai à nouveau bêtement dans l’effroyable doute, comme l'avais été tant de fois dans ma vie. Il n'est rien de pire que d'être entre chien et loup, d'avoir peur des éclaircissements autant qu'on les désire, et de ne voir aucune circonstance débrouiller la situation.
Le slow était notre seul point de rencontre, de communion même; Je priai donc pour que les rythmes de cette discothèque ralentissent, et que j'eusse le courage d'inviter une dernière fois M***. Je méditais, et l'idée que je réussisse à sortir avec elle n'avait aucune prise sur moi. Il fallait obtenir un 'non' sans appel, et l'obtenir dans les règles de l'art sans avoir rien à se reprocher comme maladresse ou lâcheté. Les autres qui me voyaient seul me croyaient triste, certains savaient cependant vers qui je tournais mes pensées. Je remercie Dieu pour l'élan de courage que vers 1h30 il me donna. Lorsque vint le dernier slow, je requérais M** qui consentit.
Par bonheur, elle avait envie de parler. Elle retirait par intervalles la tête de contre mon épaule. Elle commença par me parler des relations entre les gens de la classe. Elle dit que sans moi ce soir pour danser avec elle, elle eût été bien délaissée".
Je passe la suite du récit qui raconte comment la fille, au delà de sa "tendresse docile" au moment du slow, finalement m'attira plutôt sur le terrain de l'amitié alors que tous mes petits camarades étaient persuadés que nous "sortions ensemble", comme on disait. Le texte comporte aussi ensuite une sorte de "flashback" sur les premières heures de la soirée où je raconte les premières danses endiablées (ce fut une des rares fois où je me suis vraiment "lâché" sur une piste de danse dans l'ambiance bon-enfant du Béarn qui me mettait en confiance), et les filles un peu éméchées qui dissertaient sur le "cogito" de Descartes (nous étions une classe de Terminale littéraire qui découvrait la philosophie depuis peu) ce qui éclaire un peu ce qui s'est ensuite mis en place quand la musique a ralenti...
On aura compris qu'il y avait dans ce récit toute l’ambiguïté sensuelle qu'évoquait Beigbeder, laquelle fait qu'on tombe amoureux, mais seulement le temps d'une chanson. J'ai déjà évoqué l'action de la musique sur l'âme à propos de Hildegarde de Bingen. C'est un thème très connu depuis Pythagore et qui commence depuis peu à être mieux compris sur le plan scientifique, à défaut de l'être du point de vue spirituel, j'y reviendrai un jour. En fait, les slows (il me semble qu'il y avait notamment eu parmi les deux ou trois que j'ai dansés avec M*** Careless Whisper de George Michael, mais c'est très loin dans mes souvenirs maintenant) étaient conçus pour provoquer cet effet d'envoûtement qui faisait que, enlacés, nous ne savions plus vraiment qui nous étions ni ce que nous ressentions au-delà de l'instant partagé et que cela n'avait à nos yeux pas vraiment d'importance, au moins sur la piste de dans (même si ensuite, comme on le voyait, il allait falloir, à la fin de la musique, tirer une ou deux choses au clair). On pourrait probablement soutenir que cette "communion", au delà du rapport intersubjectif avec la personne avec qui l'on dansait, était peut-être aussi tournée vers autre chose, vers les entités qui ont présidé à la conception de ces musiques et dont les paroles parfois célèbrent les pouvoir "magiques" - je vous renvoie à toute la littérature sur l'occultisme dans la pop music et à mes remarques de 2014 sur un morceau peu ou prou lié au vaudou comme Let the music play de Shannon.
La question que je me pose aujourd'hui est la suivante : si l'on admet que les corps ont une dimension éthérique qui fait que leur union a son double dans les plans invisibles (ce qui fait dire à Saint Paul dans 1 Cor 6:16 que celui qui s'unit à une prostituée ne fait qu'un avec elle, et c'est ce qui fait que beaucoup de masseuse ont des expériences paranormales ou doivent recourir à des purifications rituelles après le contact tactile), se peut-il que les personnes qui ont dansé des slows ensemble à la fin du siècle dernier aient gardé aujourd'hui des scories de cette union éthérique (même en l'absence de rapport sexuel) dans les plans invisibles (ce que le New Age appelle le "plan astral") ? ou bien tout ceci était-il soumis à un régime de péremption de quelques jours, de sorte que les slows d'autrefois ne seraient plus que des curiosités archéologiques inoffensives dans un passé lointain ? A l'inverse si les scories existent, celles-ci doivent-elles être nettoyées ?
Des nouvelles des bords de la rivière Matarraña
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Il y a seize ans de cela, je vous parlais de la procession de la semaine sainte à Alcañiz, dans la comarque du Bas Aragon. Comme je prenais un verre avec mon cousin germain le plus jeune aux halles de Pau ce matin, il me disait que cette pratique venait d'être importée pour la semaine sainte à Valdeltormo dans la comarque voisine, celle du Matarraña/Matarranya...
Apparemment il n'y a plus de phénomènes paranormaux dans ce village, comme ceux que j'avais évoqués dans mon billet de juillet 2019, pas même au Tossal de Sainte Barbe. Mon cousin vient d'y reprendre l'exploitation des terres de ses grands-parents maternels. Il choisit l'agriculture entièrement biologique, avec couvert végétal naturel. "C'est mal vu là-bas, me disait-il, celui qui ne laboure pas passe pour un fainéant". Il a des amandiers, des oliviers. Il s'est lancé dans la chasse aux subventions européennes et cherche à acheter un tracteur. "Tout le monde en perçoit, mais ils sont cachotiers. Ils ont du beau matériels mais ils ne refilent pas de tuyaux pour savoir à quel guichet s'adresser pour avoir de l'argent".
La région change par rapport à ce qu'elle était du temps de mes ancêtres paternels (cf ici), et même à l'égard de ce que j'en ai connu il y a vingt ou trente ans. Selon son témoignage, "Valdeltormo est maintenant dirigé par une coalition PAR-PSOE (régionalistes et socialistes) et des slogans pour la défense des droits des femmes sont écrits sur les bancs publics". On lui a proposé la tête de liste aux prochaines élections municipales pour le parti socialiste, il a décliné l'invitation.
Quand on cherche "Matarraña" sur Gallica, on ne trouve que des récits de guerre, de 1839 dans Le Journal des Débats, ou d'avril 1938 dans Le Temps et bien d'autres journaux français. La région a payé un lourd tribut aux guerres civiles. Elle mérite sans doute les progrès économiques dont elle bénéficie aujourd'hui. Pourtant je ne suis pas sûr qu'avec ses implantations d'éoliennes et d'architectures en forme de cercles magiques comme du côté de Cretas elle soit nécessairement sur le meilleur chemin possible...
L'assemblée des anciens du lycée Louis Barthou de Pau
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Ambiance agréable au lycée Louis Barthou de Pau ce matin, réunion annuelle de l'association des anciens élèves. Je n'avais pas remis les pieds dans cet établissement depuis mes 18 ans en 1988. J'y étais avec mon complice Laurent Trouvé, aujourd'hui professeur des écoles, avec qui j'avais partagé la plupart des manifestations liées aux grèves de 1986. Je leur ai d'ailleurs remis un document sur ces grèves (un ensemble de tracts, d'articles, et d'extraits de mon journal de l'époque, assorti de photos). Ce fut l'occasion d'évoquer avec les plus âgés (les quatre cinquièmes des 60 participants étaient de promotions antérieures à 1972, d'où la faible présence de femmes, car c'était alors un lycée de garçons) un autre mouvement social, celui de mai 1968, où le chanteur Daniel Balavoine et le rugbyman Paparemborde avaient marqué les esprits. Partage entre les générations, hors de l'espace (très loin des régions où je vis le plus souvent), et hors du temps. Laurent Trouvé multipliait les remarques : "Tu as vu, dans la cour, ils ont ajouté ci et ça. Tu te souviens qu'on appelait une partie du gymnase 'la piscine' ?" Sa mémoire des détails de cette époque m'impressionne. Il est vrai que lui, palois depuis l'âge de 6 ans, n'a pas connu l'exil, et les violences que celui-ci inflige aux souvenirs.
Le direction de l'association, qui passe la main après 21 ans de mandat, nous réunissait sous cette belle chaire où nous faisions toutes nos photos de classe.
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J'ai retrouvé la statue de Louis Barthou devant laquelle le censeur du collège Gilbert Longhi en juin 1988 m'avait conduit avant de passer l'épreuve de philosophie du concours général en disant solennellement : "L'honneur du lycée est dans ta plume". Quelques semaines plus tard, je décrochais un premier accessit (alors qu'aucun deuxième prix n'était attribué), sur le thème "y a t il une unité sous-jacente par delà la diversité des langages" (j'ai raconté cet épisode dans mon livre "Incursion en classes lettrées", un sujet qui allait rebondir bizarrement ensuite en 2014, en Provence, mais c'est une autre histoire...).
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Le président de l'association, Marc Bourdat a évoqué un autre buste de Barthou, qui se trouve dans la cour, et qui a pu être réalisé plus récemment avec la collaboration de l'ambassade de Serbie, car il en existe deux autres, un à l'ambassade de ce pays à Paris et un autre à l'ambassade de France à Belgrade. J'avoue que je n'aime pas le personnage de Barthou, ce qu'il représente, mais son rôle dans l'amitié franco-yougoslave, dont il fut le martyr face au fascisme, est touchant et me renvoie au souvenir de mon propre engagement, sur les bords du Danube, en 1999 et 2000.
Dans l'assemblée il y avait un homme qui racontait que son père militaire est mort en Algérie en 1957 alors qu'il avait 3 ans. La famille de sa mère ne lui a donné aucune nouvelle de ses ascendants paternels, et, lors d'une réunion de l'association des anciens du lycée, il a rencontré une dame qui s'est trouvée être la soeur de feu son père, donc sa tante, qui a pu lever pour lui le voile de bien des mystères sur ce père presque inconnu.
Il y avait aussi là quatre ou cinq jeunes gens qui avaient eu leur bac après 2000. Dont un avait participé au marathon de Pyongyang. De la génération entre 1972 et 2000 il n'y avait que Laurent Trouvé et moi... De temps en temps, assis sur ma chaise à écouter les uns et les autres, je repensais à Pierre Bourdieu avec qui je correspondais dans les années 1990, à son beau texte sur les internes du lycée Louis Barthou en 1945-48, dans Esquisse pour une auto-analyse (2004). Personne n'a connu le lycée de son époque. Lui-même aurait 92 ans maintenant s'il n'était mort du cancer en 2002, deux ans de moins que Chomsky qui, lui, vit encore. Son ami d'enfance qui me l'a fait rencontrer est mort il y a quelques mois.
J'ai bien apprécié la conférence de Claude Laharie, qui fut professeur d'histoire dans ce lycée avant d'être connu dans le département comme le spécialiste du camp de Gurs. Il présentait son dernier livre sur les Basses Pyrénées en 1939-1945. Portrait étonnant d'un département où il y eut plus de justes qu'ailleurs (en pourcentage de la population), où les collaborationnistes étaient plus maréchalistes que pro-allemands, et où les résistants furent assez peu communistes, tandis que l'épuration fut modérée. Toujours un département dans les tons pastels sur le plan politique, depuis la Révolution, en retrait par rapport aux excès parisiens. Après son intervention l'orateur me parla quelques minutes de mon grand père paternel, qui avait été actif parmi les associations d'anciens internés de Gurs.
Si la qualité du repas au restaurant fut des plus décevantes (quoique l'excellence de l'armagnac in fine rattrapât pour ainsi dire les insuffisances du reste) au moins les émotions ont été belles, presque irréelles. On ne peut certes taire la vague mélancolie qui sous-tendait tout cela. Le fond de l'air est froid, les feuilles jaunissent, et les ombres de nos chers disparus sont maintenant légion. Un homme à table, qui écrivait sur son aïeul résistant, me disait : "nos petits enfants ne s'intéressent pas à ce que nous pouvons leur apporter". Grave erreur, ce conclave d'anciens, auquel Laurent et moi nous mêlions de bon coeur, bien que nous n'ayons pas encore atteint le troisième âge, avait un mérite extraordinaire. Il traçait une permanence dans le temps, elle posait une borne, le genre de repère sans lequel le cours du monde ne serait qu'instabilité et folie.
Dépayser le regard
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Cette semaine, avant de m'endormir, je regardais, sur une chaîne de télévision thématique, documentaire sur Botticelli, un de ces documentaires américains à la Discovery Channel doublés en français. C'était idiot et brutal, comme tout ce que l'on propose au grand public maintenant. Les soi-disant universitaires interrogés se répandaient en inepties racoleuses et stériles du genre "Botticelli était un influenceur", "il était malin", "il savait ce qu'il voulait" etc.
Vous savez que dans mon dernier ouvrage sur Lacordaire je suis loin d'avoir adhéré inconditionnellement au point de vue de cet auteur. Et cependant je dois dire que je suis heureux d'avoir pu approfondir le regard que lui et sa génération (celle de Stendhal, de Montalembert) ont porté sur la Renaissance italienne, un regard qui n'est pas plus exact que celui des autres époques mais qui au moins m'aide à échapper à la barbarie de celui de notre siècle.
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De même en ce moment je lis en traduction automatique, grâce au site Google Translate, la Chronique d'Henri de Livonie écrite à la fin des années 1220 sur la christianisation des Pays Baltes. Je crois que je n'aurais jamais eu la patience d'en éplucher les chapitres, de me plonger dans cette ambiance étrange qui n'est pas sans évoquer celle du Far-West au XIXe siècle, des moines et chevaliers germains face aux peuples païens (toujours fourbes et renégats) sans avoir lu auparavant les pages enthousiastes de Lacordaire sur les missionnaires dominicains au Pérou et en Chine. Le clergé n'a pas eu entièrement raison dans sa lecture du passé, ses opposants non plus. Mais il faut lire son point de vue (ce qu'on ne fait plus guère), comme il faut lire les autres, et une des portes d'accès commodes, peut-être plus proches de nous que celle des écrivains du Grand Siècle par exemple, à l'heure où l'on construisait les premières lignes de chemin de fer entre Paris et Saint-Germain-en-Laye et entre Avignon et Marseille, se trouvent bien chez ces auteurs des années 1840. Un peu revenus de la candeur médiévale autant que des critiques cyniques de l'époque des Lumières, tentant de préserver une certain objectivité sans pour autant brider le sentiment et l'imagination, ils sont pour moi une clé excellente de dépaysement du regard. Remarquez d'ailleurs que tous les écrivains d'après 1880, en assimilant Victor Hugo et Lamartine, ne faisaient rien d'autre que de toujours tremper leur sensibilité dans les lacs de cette génération-là, ce qui confirme bien son importance pour la construction de notre propre approche, de ce qu'on ose encore appeler "notre culture".
Fin de vacances
Je m'amuse devant le silence embarrassé de toutes les personnes (notamment les intellectuels dominicains et le curé de Saint-Maximin) devant mon livre sur Lacordaire, que je leur ai adressé par la poste au printemps. Cela n'a de toute façon aucune importance. On n'écrit pas en fonction d'un lectorat.
Le romancier Grégory Bernard m'ayant récemment encouragé à retourner à ma biographie de Leroux que je fais traîner en longueur depuis plusieurs mois, je m'y suis un peu remis aujourd'hui, et suis tombé sur un charmant article de Clemenceau en "une" du Journal de 1896 que l'on peut lire ici. Il y a comme une nostalgie du futur "tigre" alors quinquagénaire, à l'égard du temps de Leroux, comme il y en avait chez Leroux à l'égard du temps de Saint-Just. Clemenceau insiste sur l'intégrité de Leroux et son absence d'égoïsme. Ses vertus n'allaient effectivement pas trouver d'égal à gauche sous la IIIe République...
Je découvre aussi une délicieuse préface de Leroux aux fables de Lachambeaudie.