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Articles avec #histoire secrete tag

La Nestorienne d'André Maurois

27 Janvier 2024 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire secrète, #Christianisme, #Notes de lecture

En 1935, André Maurois/Émile Salomon Wilhelm Herzog (1885-1967) publie dans Le Figaro, puis dans le journal Le Canada qui le reprend (et ensuite dans "Choses Nues") ce compte rendu de conversation avec une Mongole nestorienne :

"- Non, dit-elle, je ne suis pas bouddhiste ; je suis nestorienne... Naturellement j'assiste aux cérémonies bouddhistes de mon peuple, qui sont si nobles et pures... Mais par tradition de famille nous avons toujours été nestoriens.

Nestorienne... Elle avait un beau visage mongol et parlait un français ravissant. Il y eut un silence.

Chacun remuait des souvenirs de lecture» sans y trouver la réponse à de muettes questions. Les plus heureux se souvenaient vaguement d'un patriarche Nestorius, d’une hérésie, de quelque synode ou concile, vers le cinquième siècle... Ou était-ce le sixième ?... Pensées qui demeuraient trop confuses pour être exprimées... L’un de nous osa demander, timidement :
— Existe-t-il encore une église nestorienne ?
— Bien sûr, dit-elle, un peu choquée... Entre Mossoul et le Kurdistan vit tout un peuple de Nestoriens. Ils ont leurs évêques, leurs églises sans images et leur Bible nestorienne... Ne savez-vous donc pas que, du huitième au douzième siècle, le nestorianisme s’était répandu en Syrie, en Arménie, en Perse et dans toute l'Asie ?... Ce sont les Nestoriens qui ont introduit le christianisme en Tartarie, aux Indes, en Chine... Marco Polo rencontra leurs prêtres depuis Bagdad jusqu'à Pékin. La croisade nestorienne" en Asie fut probablement, dans l’histoire du christianisme, la plus grande entreprise de conquête et de conversion. La fameuse légende du Prêtre Jean eut pour origine Ia conversion au nestorianisme d’un chef de tribu mongol...

De nouveau nous restâmes silencieux. Un continent couvert d’églises... Des siècles de luttes, de prédications. d ’enthousiasme... Des conflits, des persécutions, des martyrs, des saints... Une histoire assez belle et assez profondément gravée dans l’esprit des peuples pour qu ’elle devînt une légende universelle... Et nous ne savions même plus ce qu ’avait été cette
doctrine pour laquelle des nommes, pendant plus de mille ans, acceptèrent de s’exiler, de souffrir, de donner leur vie.

Rentrant chez moi, j’ouvris une Encyclopédie. Là, j’appris que Nestorius, patriarche de Constantinople de 428 a 431, enseigna qu'il fallait distinguer en Jésus-Christ, deux personnes, l'une divine et l'autre humaine, et que la Vierge Marie, considérée comme mère de la personne humaine, mais non de la personne divine, devait être appelée Mère du Christ, non Mère de Dieu. Ce fut donc autour du mot grec theotokos, Mère de Dieu, que s’engagea la lutte qui se termina par un schisme. *** Bizarrement ce passage a été coupé dans 'Choses nues' : Le Concile d’Ephèse condamna Nestorius qui d ’abord se réfugia dans un couvent d'Antioche, puis en Haute-Egypte. Mais ses fidèles, plutôt que d’accepter le mot theotokos, s’enfuirent en Perse et ce fut de là que Ia doctrine se répandit dans toute l’Asie. Ainsi, dix siècles plus tard, les Puritains, pour un autre mot, abandonnèrent l'Angleterre de Mary Tudor et fondèrent l’Amérique anglo-saxonne.***

Devant le dictionnaire encore ouvert, je rêvai : “Valéry nous enseigne, pensai-je, que l'histoire est grande maîtresse d ’erreurs... Ne serait-elle pas aussi sage maîtresse de modestie... Elle montre la cruauté et la folie de tant de souffrances que les hommes. ou lieu de s'unir pour lutter contre la misère, contre le désordre, s’infligent en vain les uns aux autres... Theotokos... A cause de ce mot, des familles divisées, des vieillards suppliciés, des maisons brûlées... Tout cela pour qu ’un jour, après quinze cents ans, quelques hommes cultivés se regardent, hésitants, et se demandent qui était Nestorius..."

J’imaginais une pièce de théâtre. Prologue : Dans un salon de 1935, des hommes et des femmes parlent gaiement. Conversation analogue à celle du début de cet article. “Et qui donc était Nestorius dit quelqu’un. A ce moment des vapeurs envahissent,la scène ; on entend glisser les décors. Quand la lumière revient, on est à Constantinople au temps de Nestorius. Suivent trois actes douloureux au cours desquels on verrait le lent sacrifice d'une famille à un mot. Puis, après la dernière réplique et quand le spectateur, conquis par la puissante suggestion du théâtre participerait enfin aux passion» soulevées par cette controverse défunte, ne nouveau la scène s’embrumerait et ce serait l'épilogue : une école en 1934 : un enfant, debout, récite sa leçon d'histoire. “Et qui était Nestorius ?" dit le professeur. L'enfant hésite, cherche : “Je ne sais pas."

Cet article fait un peu penser aux considérations d'Emmanuel Berl, qui lui aussi grenouillait dans les milieux bien-pensants parisiens de centre-gauche à la même époque, sur la face cachée ou oubliée de l'histoire.

La Croix, en décembre 1935, s'était indignée de cet article de Maurois : "Si nous comprenons bien, M. André Maurois s'étonne, peut-être même s'indigne-t-il, de ce qu'on puisse souffrir et mourir pour un mot.

Les hommes moururent-ils jamais dignement pour autre chose ? Car derrière le mot il y a l'idée et c'est un privilège humain que d'accorder quelque valeur à celle-ci, un privilège à la fois humble et superbe, douloureux et fécond. Quand l'idée a l'éclat du dogme, quand sa vérité s'appuie sur la révélation divine, quand la foi lui confère son prestige, alors il devient de nécessité vitale de souffrir et de mourir pour elle. L'union « pour lutter contre la misère, contre le « désordre », que souhaite M. André Maurois, s'opère à ce prix puisque la misère et le désordre naissent de l'erreur.

Que les siècles oublient cette dernière en cours de route avec le nom de son auteur, qu'importe, si la vérité a triomphé la vérité qui prend la forme de tel ou tel mot une forme immuable alors que l'erreur change et autour duquel les hommes accomplissent leur destin en continuant à lutter."

C'était le temps où ce journal, et toute l'Eglise catholique avec lui, avait un peu plus de convictions qu'aujourd'hui.

On ne sait pas qui était cette nestorienne mongole qui avait ouvert les yeux de ses commensaux parisiens sur l'histoire de sa religion en cette fin d'année 1935.

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Deux visages

27 Janvier 2024 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète, #Pythagore-Isis, #Philosophie

J'ai déjà fait plusieurs fois sur ce blog l'éloge d'Ariel Cohen Alloro. Je pense qu'il est un peu fou et que délibérément son flot verbal qui mêle anglais de débutant et hébreu est destiné à égarer les gens, en outre il manie un peu trop le paradoxe et la réhabilitation du Mal, mais il y a au moins 10 % de précieuses vérités à retirer de son discours (par exemple, comme je l'ai déjà souligné, à propos de Nathanael, du serpent et des douze apôtres).

J'aime bien aussi ses récentes réflexions (vidéo ci-dessous) sur le double visage de tout un chacun, qui renvoie en hébreu au pluriel panim. Il en tire une conclusion intéressante sur le verset Matthieu 5.39 "Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre" (même s'il faut se méfier des interprétations ésotériques de l'évangile, qui la tirent trop vers le savoir - et donc l'orgueil - au détriment de l'éthique et de l'humilité). Cela m'a rappelé cette représentation romaine de Sappho (une héroïne pythagoricienne) qui combine deux visages, comme la Joconde de Léonard de Vinci.

 

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L'action des planètes sur les métaux

4 Novembre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Alchimie, #Histoire des idées, #Histoire secrète

Dans cette émission (en 39ème minute) " Rencontre avec l’insolite" sur le Graal et le Mont Saint-Michel, Jean Phaure et Philippe Lavenu expliquent que l'anthroposophe Lili Kolisko (1889-1976), en 1926, alors qu'elle travaillait au Biological Institute du Goetheanum en Suisse parvint à démontrer scientifiquement (avec un critère de reproductibilité de l'expérience), l'influence des planètes sur les métaux dont elles ont, selon la tradition astrologique et alchimique, la tutelle.

Elle aurait pris des sels métalliques, pulvérisés dans une éprouvette, dilués dans de l'eau distillée. Puisque Saturne régit le plomb, elle observé le nitrate de plomb dans son tube à essai au moment où la planète Saturne était occultée par la Lune. Elle a constaté à ce moment là que la couleur qu'on obtenait avec du papier filtrant devenait de plus en plus clair et que le nitrate ne reprenait sa couleur initiale sombre lorsque Saturne n'était plus cachée par la Lune.

Elle a refait le même constat (minute 45) lors d'autres occultations de Saturne (ce qui apportait une garantie de reproductibilité de l'expérience). Elle a fait la même expérience avec le chlorure d'or pendant les éclipses du soleil (titulaire de l'or), et avec le chlorure d'étain pour une occultation de Jupiter par la Lune.

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Sainte Catherine de Ricci et le souvenir de Savonarole

19 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète

Catherine de Ricci (1522-1590) est une enfant de banquier florentin. En 1535 (à 12 ans) elle intègre le couvent de Saint-Vincent fondé en 1505 par de neuf filles spirituelles (de bonne famille) du prédicateur et réformateur républicain Savonarole mort en 1898 qui avait prophétisé cette sainte action (tout comme il avait prophétisé la destruction du monastère voisin infidèle de Sainte Catherine qui fut pillé par la soldatesque quand Charles Quint rendit Venise aux Médicis).  Le P. Bayonne fait un portrait touchant de ces nobles moniales et de leur piété, en reprenant le témoignage de Serafino Razzi qui fut confesseur à Saint-Vincent en 1591, un an après la mort de Ste Catherine de Ricci, et sexagénaire, fut très scrupuleux dans sa façon de recueillir les témoignage des anciennes.

Catherine de Ricci d'une nature très délicate, et par ailleurs très sujette aux évanouissements qui étaient en réalité des extases, fut assez isolée au début dans ce monastère.

Au mois de mars de l’année 1538, à l’âge de seize ans, elle fut tout à coup "assaillie par une maladie des plus graves et des plus singulières par ses complications. C’était à la fois une affreuse hydropisie qui envahissait tout son corps, les douleurs delà pierre qui lui déchiraient les reins, un asthme des plus violents, qui semblait à chaque instant lui refuser le souffle nécessaire à la vie, et enfin une fièvre ardente et continue. Une seule de ces maladies, avec son degré d’intensité, eût suffi pour la condamner à de cruelles souffrances et la conduire en peu de temps aux portes de la mort."

Ce supplice lui fut infligé sans interruption, sans le moindre relâche, pendant deux années consécutives. "Les médecins, que le caractère inouï du mal avait déconcertés dès le premier jour, le furent bien davantage, quand, en dépit de tous leurs efforts combinés, il se montra obstinément rebelle à tous leurs remèdes"

Après avoir invoqué divers saints pour elle, les nonnes font un voeu à Jérôme Savonarole à l'anniversaire de sa mort sur le bûcher. Ses cendres avaient été versées dans l'Arno sur ordre du pape, mais les religieuses en avaient conservé un peu, ainsi que des objets qui lui avaient appartenu. "Elles récitaient des prières devant ces reliques bénies, honoraient ses images , l’invoquaient avec confiance, et tous les ans célébraient le jour de sa mort comme la fête de sa nativité dans le ciel."

Sainte Catherine s'associe au voeu de ses soeurs pour obtenir sa guérison avant sa fête, qui était dans trois jours.

"Le 23 mai, veille du dernier jour, qui, cette année, était la veille de la Sainte-Trinité, elle avait demandé de demeurer seule dans sa cellule, afin dé prier ses saints avec plus de ferveur. Voilà que vers les quatre heures du matin , s’étant approchée du petit autel où se trouvaient leurs reliques, épuisée de fatigue, elle y appuya ses bras et sa tête, et s’endormit. « Alors, dit la chronique du couvent, trois frères, revêtus de l’habit de Saint-Dominique, lui apparurent environnés d’une grande splendeur, et celui qui était au milieu paraissait porté dans un nuage éclatant. Sœur Catherine, s’adressant à  celui-ci, lui dit : « Qui êtes-vous ? — Quoi, lui répondit le Frère, est-ce que tu ne me connais pas?  — Non, Père, dit Catherine, je ne vous connais « pas ! — Mais à qui demandes-tu ta guérison? répliqua-t-il. — Au frère Jérôme, répondit-elle « aussitôt.—Eh bien! c’est moi qui suis frère Jérôme et je viens te guérir. Mais avant promets-moi « d’obéir toujours fidèlement à tes supérieures et à ton confesseur, et puis d’aller te confesser ce matin pour faire la communion. Là-dessus, il fait un grand signe de croix sur elle, et elle se trouva parfaitement guérie. Effrayée d’abord d’une si subite et si grande transformation, sa frayeur disparut bientôt pour faire place à une immense allégresse et une vive reconnaissance envers Dieu . » Ce prodige est resté comme un des plus mémorables événements du monastère, à cause de la gloire du bienheureux Jérôme et de ses compagnons qu’il consacre d’une manière si éclatante. Il eut aussi pour résultat immédiat de modifier sensiblement l’attitude des sœurs vis-à-vis de notre sainte. La vertu héroïque qu’elle avait déployée dans cette longue maladie, et la protection merveilleuse du Ciel dont elle venait d’être l’objet, ne leur permettaient plus de la juger aussi défavorablement. Elles commencèrent à concevoir des doutes sur la nature de ses évanouissements et de ses sommeils, et à se dire que derrière ces apparences vulgaires pourraient bien se cacher des réalités d’un ordre supérieur."

A la Noël 1540 (elle a 18 ans) Savonarole lui apparaît encore amenant avec lui la Vierge Marie portant l'enfant Jésus. Les reliques de Savonarole produisirent encore d'autres miracles notamment en janvier 1541 en soignant une religieuse. Catherine avait aussi des visions de St Thomas d'Aquin, de Saint-Vincent-Ferrier (grandes figures de l'ordre dominicain).

Pour le deuxième anniversaire de sa guérison la nuit précédant le 23 mai 1542 elle a à nouveau une apparition de Savornarole qui l'amène à Jésus avec toutes les soeurs du couvent. Je passe ici les passages sur l'union mystique de Sainte Catherine à Jésus, ses stigmates etc.

"Le tribunal du Merveilleux" de Yvonne Chauffin et Marc Oraison, livre d'inspiration catholique mais enclin à rationaliser, dans les années 1970, les excès des mouvements charismatiques relativise un peu les témoignages des moniales dans monastères, à propos de la congrégation récente de soeur Yvonne-Aimée de Malestroit, ce qui vaut aussi sans doute pour les témoignages recueillis par Serafino Razzi. Et il faut prendre en compte aussi ce que disait le psychologue Boris Cyrulnik il y a 5 ans dans une conférence ici de la complexité du phénomène des extases.

Cependant on ne peut pousser le scepticisme jusqu'à penser qu'il ne se passait "rien" au couvent de Saint-Vincent, et ce qui est intéressant c'est que ces prodiges émanaient d'une figure dont le pape refusait de reconnaître la sainteté (à la différence par exemple de Philippe de Néri) à cause de son engagement supposé avoir été trop loin dans le sens de l'égalitarisme démocratique (et de l'anticapitalisme, si l'on veut utiliser un vocabulaire plus actuel). On a vu dans mon livre sur Lacordaire que les débats sur Savonarole ont pris une nouvelle tournure au XIXe siècle quand s'est posée la question d'un catholicisme républicain (le P. Bayonne y fait référence au début de son livre). L'Eglise a essayé de dire, tout en canonisant Catherine de Ricci, que celle-ci n'était liée qu'à l'enseignement moral de Savonarole (qui avait réalisé des exploits pour la réforme des moeurs et de la pratique religieuse de la bourgeoisie et du prolétariat florentins) et non à son engagement politique, mais séparer action politique et oeuvre morale chez ce prédicateur est assez arbitraire. Et, du coup, il y a là matière à interrogation sur ce que cette histoire dit de la mission politique du christianisme dans la société.

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Occultisme et dédoublement

14 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire secrète, #Médiums

Deux ans après mon passage chez les médiums divers phénomènes en rapport avec le dédoublement me sont arrivés, notamment il y a quelques années deux personnes à mon travail étaient prêtes à témoigner que j'étais entré dans leur bureau pour solliciter une tâche, alors qu'en réalité à ce moment là je potassais mes dossiers à 150 km de là. Les bilocations furent fréquentes chez les saints catholiques, et avant eux celle de Pythagore fut célèbre. Mais elles sont aussi liées à l'occultisme. Une de mes correspondantes m'écrivait hier : "Au moment où j'utilisais les tarots de ma grand-mère, il y a quelques années  plusieurs personnes ont dit m'avoir vue ailleurs, parfois dans des situations surprenantes. Je me rappelle entre autres, de l'une d'entre elle qui n'a jamais démordu de m'avoir vu à cheval en vallée de Bagnères-de-Bigorre,  alors que j'étais dans le Gers et que l'équitation n'était plus qu'un lointain souvenir."  Ces tarots avaient fini par lui jouer un mauvais tour (une décorporations aux conséquences effrayantes).

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Théosophie, occultisme et caodaïsme au Sud-Vietnam

11 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire secrète, #Histoire des idées, #Médiums

En 2010, Jérémy Jammes, aujourd'hui professeur d'anthropologie et d'études asiatiques à l'IEP de Lyon, dans Thông thiên học ou la société théosophique au Sud du Vietnam s'était penché sur un sujet original : le rôle de la théosophie dans l'émergence du caodaïsme, mouvement politico-religieux de Cochinchine à la fin de l'époque coloniale française. Pour ce faire, il avait comparé des entretiens contemporains (auprès d’autres théosophes, d’adeptes Minh et caodaïstes vietnamiens) avec des documents scientifiques et confessionnels (théosophique, bouddhiste, Minh et caodaïste), tout en relevant que des archives théosophiques vietnamiennes expédiées en France par la Russie au début des années 2000 ne sont toujours pas disponibles.

Il y explique que dans le premier tiers du XXe siècle, le confucianisme et le bouddhisme ont perdu de leur autorité dans la société indochinoise. Dans ses  Notes sur le caodaïsme du 1er janvier 1952 au 1er juin 1954 (Archives Nationales, Section d’Outre-Mer), le commandant Savani reprend les propos de ses  prédécesseurs aux affaires politiques et administratives cochinchinoises, Lalaurette et Vilmont, qui mentionnent que « les ouvrages de Flammarion, Allan Kardec, Léon Denis et du colonel Olcott sont introduits en Indochine, lus, traduits et publiés ». Parallèlement se développe la Société Théosophique d'Helena Blavatsky se développait dans la région comme ailleurs et favorisait la réhabilitation d'un certain patrimoine culturel oriental. En Inde par exemple elle ouvre des écoles de pāli et de sanskrit, traduit et publie d’anciens textes indiens, forme des exégètes locaux, rédige un catéchisme bouddhiste, crée un Comité général des affaires bouddhiques, instaure la fête de Wesak (j'en avais parlé dans mon livre sur les médiums). Le colonel Olcott, théosophe américain, invente "l’étendard aux cinq couleurs brandi encore aujourd’hui par toutes les communautés affiliées au bouddhisme".

Au Vietnam à partir de 1923, un mouvement de rénovation du bouddhisme se développe qui s’applique à ce que la pagode devienne un lieu de culte et de réunion, redéfinit les pratiques individuelles et le lien d’appartenance communautaire par l’élaboration d’une communauté religieuse homogène et unifiée qui laisse de plus en plus de place au rôle des femmes et des associations d’entraide internationale.

Dans les années 1920 Phạm Ngọc Đa (de son nom de plume Bạch Liên), directeur de collège dans la ville reculée de Châu Đốc, frontalière d’avec le Cambodge intègre la Société théosophique (ST) de France tandis que Georges Raymonde, employé à la Compagnie franco-asiatique des pétroles crée la branche théosophique dite « branche de Cochinchine », puis s'en retourne assez vite en France. Cette église théosophique va donner des conférences sur le bouddhisme. Elle recrute dans la petite et moyenne bourgeoisie coloniale (pharmaciens, professeurs etc.) français et indigènes.

En 1929, les théosophes cochinchinois reçoivent la visite de Mgr Charles Webster Leadbeater (1854-1934) qui passait pour "le plus grand voyant du monde. Il développa en particulier un système extraordinaire d’arbre généalogique des réincarnations des membres les plus connus de la ST, s’étendant sur des milliers d’années." Il donnera son nom à une branche de la ST à Saïgon.

Les théosophes sud-vietnamiens pâtiront de la répression de la franc-maçonnerie par le régime de Vichy qui identifie la ST à la FM (en réalité les deux sont souvent liées mais pas identiques), puis allaient renaitre de leurs cendres dans les années 1950 et même avoir des membres dans la haute administration du Sud-Vietnam, jusqu'à sa dissolution par le régime communiste en 1975.

A l'Ouest de la Cochinchine, région où vivent beaucoup d'ermites, en 1849 un paysan du delta du Mékong Đoàn Minh Huyên a atteint l'illumination et prend le titre de Phật Thầy Tây An, il annonce la venue d'un "roi éclairé". Au même moment en Inde A. Besant et l’ex-pasteur C.W. Leadbeater, voient en la personne d’un jeune indien, Jiddu Krishnamurti (1895-1986), fils de brahmane, un nouveau Messie. Ses textes sont traduits en Cochinchine. Dans une écriture vietnamiennes latinisée (et non plus des caractères chinois) les théosophes cochinchinois comme Phạm Ngọc Đa (ou Bạch Liên) réinterprètent à la lumière de la théosophie d’anciennes notions bouddhiques (Luân hồi ou Roue de la réincarnation, Quả báo ou Rétribution ou loi du karma, etc.), tout en introduisant les idées messianiques et le syncrétisme du récit initiatique de Krishnamurti. "De nouvelles méthodes d’apprentissage laïques de la méditation contemplative (tham thiền), écrit Jérémy Jammes, sont rendues accessibles lors de ces canaux de communication, réorganisant les rapports de maître à disciple qui prévalaient jusqu’alors sur ce thème. De même, les écrits théosophiques choisiront nettement le ton didactique et moralisateur, agissant parfois sur la peur des Enfers, pour enseigner « Le Chemin qui conduit aux maîtres de la sagesse »". Le rapport corps-esprit est indianisé et prend des couleurs scientifiques ("taux vibratoire", "corps éthérique" "corps astral" etc). "Le merveilleux scientifique constitue ainsi, ajoute-t-il, une composante cruciale de la ST, faisant de la science à partir de sujets mystiques ou religieux."

Elle procède aussi à une "laïcisation de la méditation" : "Jusque-là, une telle pratique ascétique était traditionnellement définie comme une affaire hasardeuse, dans laquelle le novice a constamment besoin d’être supervisé par un professeur expérimenté, gage de sérieux progrès et de sécurité, et ceci sur plus d’un an. À cette méditation « traditionnellement » transmise de façon informelle, d’un bonze à un autre, la large diffusion de la pratique de la méditation dans des traductions théosophiques a provoqué un énorme changement (... )Une fois les cours de méditation donnés (quotidiennement, de façon hebdomadaire ou lors de stages), dans des centres théosophiques ou chez les particuliers, les méditants repartent chez eux et pratiquent seuls, cherchant à « entrer en contemplation »".

Parallèlement à cette histoire de la théosophie vietnamienne, il y a celle du caodaïsme, qui s’est en partie nourrie de la première, au moins de la relecture qu'elle faisait du bouddhisme. Tout commence dans les années 1920 quand le fonctionnaire colonial Ngô Văn Chiêu (1878–1932) qui a été formé au spiritisme par  un maître taoïste, canalise l'esprit de l'empereur Jade, grand maître du taoïsme - un phénomène qui s'inscrit dans un arrière-plan de pratiques spirites développées par des sociétés secrètes chinoises Minh au Vietnam depuis 300 ans à partir de techniques d'écriture automatique (voyez dans la Revue caodaïste de septembre 1930 le récit sur la conversion d'un entrepreneur qui à l'invitation d'un membre d'une secte Minh-Ly assiste à la manifestation d'un esprit qui lui révèle sa mission caodaïste). Jérémy Jammes revient dans Exploring Caodai Networks and Practices in France, paru en 2023 rappelle qu'en 1927, un jeune employé des douanes coloniales cochinchinois, Phạm Công Tắc est muté à Phnom Penh au Cambodge. On se méfie de lui car un an plus tôt il a été nommé chef des médiums spirites du clergé caodaïste, presque tout dans cette religion reposant sur l'invocation (sur ce côté très simplifié de cette religion, voyez cet article de l'Echo annamite du 8 mars 1929). L'esprit de Victor Hugo lui est apparu pour protéger la Mission étrangère du caodaïsme, et allait continuer à "parler" à la secte jusqu'aux années 50. Et il n'est pas le seul. Tac a aussi canalisé Jésus, Jeanne D'Arc, La Fontaine, Aristide Briand etc.

Le spirite Gabriel Gobron  (1895-1941) fut appointé par un employé du musée de Phom Penh et bras droit de Tac Trần Quang Vinh comme porte parole du caodaïsme en France. En 1986 un temple caodaïste à été instauré à Alfortville puis à Vitry-sur-Seine.

Selon Jérémy Jammes il doit exister une diaspora de 15 000 ou 20 000 caodaïstes, dont quelques centaines en France, des descendants de boat people. Il brosse le portrait de la spirite Diệu Thê (1913–2000) fondatrice du temple d'Alfortville, entraînée dans le caodaïsme par ses parents à Saïgon dès le plus jeune âge, et qui, à Paris, reçut instruction de l' "esprit" d'une femme qu'elle avait connue à Strasbourg pour fonder ce temple. Elle chercha un lieu pendant des années et fut aussi encouragée par le politicien nationaliste caodaïste réfugié aux USA Đỗ Vạn Lý (1910–2008) qui rendit visite à la communauté à Paris. Jammes décrit ainsi les temples : "Le temple de Vitry a été fondé par par une commerçante, Nam, qui est une visionnaire.  l'intérieur de la maison de Vitry recréait l'atmosphère d'un temple dans chaque salle, au décor abondant, une statuaire éclairée électroniquement au rez-de-chaussée et au premier étage, nombreux rideaux colorés, etc. Tandis que a statuaire d'Alfortville se veut minimale et limitée aux principales divinités du panthéon, une caractéristique remarquable de ce temple de Vitry était l'abondance d'icônes, provenant non seulement du panthéon Caodai mais aussi du religion populaire bouddhiste et vietnamienne"

La fondatrice du temple d'Alfortville avait en 1989 ramené du Vietnam un cơ bút, instrument de communication spirite comme le oui-ja mais en forme d'une corbeille à bec, qu'elle avait obtenu d'une autre médium là bas, dans un temple de Tay Ninh, mais que les adeptes s'accordent à ne pas utiliser car les conditions de pureté ne sont pas réunies. Le temple de Vitry lui utilise cet instrument.

Au Vietnam même il y aurait encore entre un et sept millions d'adeptes au Vietnam qui seraient attirés par les oracles sur cơ bút (voir le récit d'une séance par Germain Ross dans l'Ere nouvelle du 23 mars 1929). La branche de Ben Tre (ville de 140 000 habitants) fait exception. Elle a été fondée par un homme dont le fils fut communiste, ce qui a  contribué à ce qu'elle ne soit pas trop persécutée. Mais surtout la bienveillance du régime à son regard est qu'elle a renoncé au cơ bút, le maître de cette branche régionale, Nguyen Ngoc Tuong ayant inventé sa propre technique de méditation pour sortir seul de son corps et entrer en contact avec les "immortels".

Cette religion caodaïste est peu connue, mais je crois qu'il est utile de se pencher sur son cas pour mieux comprendre l'ampleur sociale que peut prendre de nos jours la médiumnité.

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Le pythagorisme astral de Scipion l'Africain

13 Août 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire secrète, #Pythagore-Isis

 

Il y a 14 ans sur ce blog j'avais dit un mot de l'excellent livre de Schiavone sur l'histoire du droit romain.

Je retombe aujourd'hui dans cet ouvrage sur les pages où il explique comment dans son organisation du corpus juridique, Quintus Mucius Scaevola (140 av JC-82 av JC) essaya de rénover l'héritage sans pour autant accepter une refonte suivant les canons de la philosophie grecque comme la proposait Cicéron.

A partir d'une citation de Mucius par St Augustin, Schiavone note notamment que ce jurisconsulte (qui fut pontifex maximus en 89) refusa la théorie stoïcienne selon laquelle les héros (Hercule, Castor et Pollux) ou même des dieux comme Esculape étaient des humains divinisés car cette idée pouvait donner de mauvaises idées aux généraux et aventuriers prêts à prendre le pouvoir dans la République finissante (qui pourraient se légitimer en se présentant comme des dieux potentiels).

J'ai pensé en lisant cela aux vers de Lucain qui racontent l'apothéose de Pompée, mais Schiavone, lui, cite Scipion l'Africain, Marius et César (p. 251)

"Le risque n'était pas imaginaire, car la professionnalisation et la prolétarisation de l'armée, écrit Schiavone, rendaient ces fantasme réels. Du reste, une partie de l'aristocratie n'était nullement épargnée par ces influences, qui se répandront de façon plus ou moins souterraine à partir du 'mysticisme' pythagoricien de l'Africain jusqu'à toucher jusqu'à César".

En 2014, à propos de Massalia, j'ai rappelé en quoi pythagorisme allait plutôt de pair avec républicanisme. Mais ce républicanisme n'est pas antithétique du recours à l'homme providentiel si celui-ci est un philosophe.

Schiavone ne développe pas la question du "mysticisme pythagoricien" du vainqueur de Carthage Scipion l'Africain (236 av JC-183 av JC) et ne renvoie à aucune référence. Je vais donc ici la creuser en suivant une autre piste, celle d'un article du philologue Jean Préaux (1920-1978) intitulé "Caeli civis" extrait de : L'Italie préromaine et la Rome républicaine. I. Mélanges offerts à Jacques Heurgon de 1976  .

Préaux montrait comment le récit classique (par trois auteurs romains) du retrait de Scipion dans le temple de Jupiter à minuit pour dialoguer avec la divinité était construite sur la base d'un thème classique : l'image de Pythagore scrutant la voûte céleste sur les épaules du titan Atlas (dans Ovide, Métamorphoses15). Atlas, comme Prométhée, Héraclès et Iopas, connaissent les lois du monde, en tant qu'astronomes et astrologues (concernant Atlas, voir aussi Martianus Capella ici).

L'astronomie, mesure du ciel explorée par les titans, comme la géométrie est mesure de la terre, "prépare, nourrit et organise grâce aux connaissances des rythmes saisonniers, bref par la science du calendrier, garante de la supériorité 'divine' du chef de guerre". Scipion en avait percé les secrets quand il a fait  retraite au temple de Jupiter. Dans son Cato Maior (49), Cicéron a montré que dans la famille de Marius il y avait cette idée que le chef de guerre était initié à l'astronomie, et Paul-Emile vainqueur de Pydna avait un astronome auprès de lui qui prédit l'éclipse de lune du 21 au 22 juin 168 av J.-C.

La familiarité de Scipion avec l'astrologie-astronomie se retrouve dans cette allusion de Cicéron "nous avons vu un Gallus de la famille de votre père, Scipion, à la poursuite de la libération du ciel et de la terre." Elle relie Scipion à S. Sulpicius Gallus qui après l'assassinat d'Archimède en 212 avec la prise de Syracuse permit à Rome de déchiffrer son planétaire.

L'épitaphe d'Ennius à Scipion renvoie à une apothéose par le succès des armes, mais qui a été précédée par lui de l'étude des astres :  "Si je fais ce qu'il faut, c'est à n'importe qui de monter au ciel. la plus grande porte de mon soleil est ouverte sur le ciel, . . c'est vrai, Africain; car la même porte était ouverte à Hercule."

D'ailleurs quand Scipion en 204 remporte une victoire sur les Carthaginois en Sicile, il préfère jouer les philosophes au gymnase de Syracuse (selon Tite Live). Le savoir des muses dans Horace recommande une puissance raisonnée et non pas privée de réflexion. C'est le propre de celle d'Alexandre et de Scipion.

Tite-Live précise : P. Cornelius Scipio Africanus, avant de partir, a placé un portique dans le Capitole face à la route par laquelle il monte au Capitole, avec sept statues dorées et deux chevaux et deux lèvres de marbre devant le portique.

Sept, comme les sept planètes alors connues, les deux chevaux représentent les Dioscures, maîtres des hémisphères ou le cheval à dompter dans le Phèdre.

Préaux conclut son texte en se disant persuadé que la songe de Scipion a une base historique : "maints traits de la biographie de Scipion l'Africain relèvent de l'histoire plus que de la légende, même lorsque Cicéron fera de l'homme et du citoyen éclairés le héros d'une révélation sur l'au-delà". D'après lui, il était un initié d'une religion astrale.

Il faut ajouter que Tite-Live écrit aussi que "chaque fois ou presque qu’il parlait à la foule, ou bien il faisait
état d’apparitions nocturnes ou bien il invoquait des avertissements divins". Scipion en Espagne fait écarter les eaux pour faire passer ses légions et l'on ne sait si cela relève du calcul ou de la magie divine car Scipion l'attribue aux dieux : "Attribuant ce qui était le résultat d’une enquête soigneuse et du calcul à un prodige et aux dieux, qui écartaient la mer pour livrer passage aux Romains, supprimaient les lagunes et ouvraient des routes jamais encore foulées par un pied humain, Scipion leur ordonnait de suivre Neptune qui leur montrait le chemin et par le milieu de la lagune, de parvenir jusqu’au rempart". N'oublions pas comme on l'a vu avec Pytheas de Massalia que le travail sur les marées est typiquement pythagoricien, et le pythagorisme lie calcul et mysticisme indissociablement. Sur les vertus romaines (mais aussi pythagoriciennes) qui accompagnent la religiosité de Scipion voyez aussi le mémoire ici.

La remarque de Schiavone sur le mysticisme pythagoricien de Scipion apparaît donc fondée, quoiqu'il faille tout de suite ajouter qu'il s'agit là d'un mysticisme "pratique" nourri notamment d'études astrologiques.

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