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Articles avec #histoire des idees tag

Knight et Lomas sur le Graal, Joseph d'Arimathie et les Templiers

25 Février 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Histoire secrète

J'ai abordé le Saint Suaire il y a six ans à travers les travaux d'Upinsky, récemment confirmés par une synthèse plus complète de JC Petitfils. Je pensais confronter cela aux affirmations de Christopher Knight et Robert Lomas dans "The Second Messiah: Templars, the Turin Shroud and the Great Secret of Freemasonry" paru 1997, mais le propos de leur livre sur le Suaire  étant surtout axé sur une datation au carbone 14 totalement fausse, c'est à un autre aspect de leur recherche que je vais m'intéresser ici : celui du rapport du Graal à Joseph d'Arimathie et aux Templiers.

J'avais déjà évoqué dans "Le Complotisme protestant" leur thèse sur le fait que les Templiers entretenaient un culte du divin féminin. Le père spirituel de leur ordre, Saint Bernard de Clairvaux, rappellent-ils, a écrit 300 sermons consacrés au Cantique des Cantiques dont le verset 1:5 dit "Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem", ce qui renverrait au culte de la Vierge noire, mais aussi de Marie-Madeleine la "papesse" du tarot (arcane II) et dont l'Evangile de Marie et celui de Philippe (apocryphes) nous disent qu'elle surpassait Pierre en sagesse. Knight et Lomas voient dans le tarot une arme pédagogique secrète des Templiers contre le pape.

Les auteurs de la saga du Graal proches des Templiers sont entrés en scène dans les années 1130. En 1136, 8 ans après la formation des Templiers, le gallois Geoffroy de Monmouth ré-invente le roi Arthur dans "The Matter of Britain" sur un mode très différent du seigneur Arthur cité par Nennius au VIe siècle (p. 105). Il prétendait tenir cette version de son oncle archidiacre d'Oxford dont personne n'a su retrouver la trace. Sa version de la fin d'Arthur blessé grièvement puis transporté à Avalon au delà des mers ouvre sur d'autres traditions. En effet, l'existence du pays idéal à l'Ouest au delà des mers, selon Flavius Josèphe, était enseignée par les Esséniens (et donc, ajoutent Lomas et Knight, par l'Eglise de Jérusalem, ce qui est peut-être une déduction un peu rapide)... Cela se retrouve chez les Mandéens, pour qui ce pays des bonnes âmes est marqué par l'étoile Merica (et c'est ce pays, le pays de "la Merica", que les Templiers allaient rechercher après leur dissolution).

Arthur est le bâtard d'une femme mariée qui n'avait pas fauté car elle était envoûtée. Il rassemble douze chevaliers comme les douze apôtres, il est blessé mais ne meurt pas. Il est le Rex Deus des Nasoréens. Sa bataille finale est celle de la chute de Jérusalem en 70. Selon les confidences de l'historien Tim Wallace-Murphy à Robert Lomas, à l'issue d'une conférence à Londres en 1994 un Français qui se disait descendant d'Hugues de Payen lui aurait expliqué que les partisans de Jacques (p. 78), successeurs de Jésus, qui se faisaient appeler le groupe "Rex deus"auraient placé ses ossements sous le temple de Jérusalem. De Payen et les autres initiateurs de la première croisade seraient des descendants de ces Juifs nazoréens dont le but était de récupérer ces reliques que, de fait, ils cherchèrent pendant neuf ans à Jérusalem.

Payen de Montdidier, un des 9 premiers chevaliers du Temple, est devenu Grand Maître d'Angleterre en 1128, et a construit une commanderie à Oxford sur une terre offerte par la princesse Mathilde. Il n'est pas impossible qu'il ait alors révélé certains savoirs de documents anciens trouvés à Jérusalem à Geoffroy de Monmouth...

Chez ce dernier, il n'y a pas de mention du Graal. Elle n'apparaît que sous la plume de Guillaume de Malmesbury, en 1140... Il fut le premier à affirmer que Joseph d'Arimathie serait arrivé à Glastonbury dans l'Ouest de l'Angleterre en 73 avec le Graal et l'arbre à épines de la couronne du Christ qu'il y planta. Son abbaye se trouvait à 40 km d'une commanderie de Payen de Montdidier. Il y eut des controverses entre Guillaume et Geoffroy, controverses sur lesquelles se sont penchés en détail Lomas et Knight (p. 109).

Mathilde, 26 ans, issue des lignées normande, anglo-saxonne et écossaise, veuve d'Henri V empereur d'Allemagne épousa en secondes noces en 1128 Jeoffroy IV d'Anjou, petit fils du roi de Jérusalem Baudouin II, et fils de Foulque V d'Anjou, sponsor des templiers. Empêchée d'accéder au trône d'Angleterre en 1135, dans sa résistance au nouveau roi, elle avait tout intérêt à attaquer Geoffroy de Monmouth qui pouvait servir l'idéologie de son rival Etienne de Blois...   

Le journaliste Graham Philips a souligné dans The Search of the Grail qu'en faisant de Perceval le descendant de Joseph d'Arimathie, la saga du Graal ouvre une voie particulière de succession apostolique. Dans les romans du Graal c'est à lui que Jésus donne la coupe à la Cène et non à Pierre. Il n'est pas impossible que, parmi les 619 qu'il y avait dans le Temple selon le rouleau de cuivre 3Q15, les templiers auraient pu en utiliser un qu'ils auraient identifié au Graal, selon Lomas et Knight.

Chrétien de Troyes qui fut central dans le conte du Graal disait le tenir du comte des Flandres, lié par sa famille à Payen de Montdidier, et aux fondateurs des Templiers. Après lui des cisterciens allaient normaliser le récit en le christianisant.

Je laisse de côté les considérations sur le Suaire et sur l'hypothèse que le dernier grand maître de l'Ordre des Templiers, Jacques de Molay, aurait été enterré dans ce suaire, hypothèse tirée très abusivement d'une datation au carbone 14 de toute façon fausse, comme cela fut démontré postérieurement.

Restons en à cette étrange théorie du groupe "Deus Rex" qui aurait été à l'origine de la première croisade - une théorie partiellement reprise par Barbara Aho dans sa démonstration que j'ai exposée dans "Le Complotisme protestant".

L'Américain Jason Colavito sur son blog a fait une critique intéressante de cette théorie en soulignant à juste titre qu'elle repose entièrement, au fond, sur le témoignage de ce Français en 1994. Colavito fait remarquer qu'il est un peu court d'estimer, comme le font Lomas et Knight, que ce narratif est plausible du seul fait qu'un Français entre deux âges était peu susceptible de forger un "hoax" (canular) par lui-même. Après tout Pierre Plantard ne l'avait-il pas fait avec son Prieuré de Sion ? Wallace-Murphy a présenté la thèse du "Français" en 2000, puis a récidivé en 2008  dans "Custodians of the Truth", mais cette fois en transformant ce Français en Anglais et en le nommant "Michael Monkton". Il a reconnu avoir lancé cette histoire après avoir lu "The Holy Blood and the Holy Grail", et son contenu variait sur certains points concernant la soi-disant fécondation de Marie par un prêtre du Temple qui figurait dans la première version.

Calavito rappelle aussi à juste titre le rôle de H. Blavatsky dans la diffusion de l'idée que les Templiers pouvaient vénérer une déesse-mère et convoyer une connaissance secrète.  Pour lui, rien dans cette histoire n'est à conserver.

Pour ma part, je me demande tout de même si le volet concernant la succession apostolique de Joseph d'Arimathie vers laquelle pointerait la saga de Perceval, n'est quand même pas une piste à creuser pour en savoir plus sur quelque tradition ésotérique qui aurait pu survivre en France et en Angleterre au bas-Moyen-Age autour de l'héritage de Marie-Madeleine.

En ce qui concerne le Graal en Grande-Bretagne, notons que dans son Histoire de France (tome 3, p. 392 et suiv), en 1833, Henri Martin estimait que le succès de la figure de Joseph d'Arimathie en Angleterre peut être dû à la lecture dans les premières communautés chrétiennes de l'île de l'Evangile de Nicodème, selon lequel Joseph détacha Jésus de la croix et fut ainsi au dessus de Pierre et des autres. "Une légende extraordinaire se construisit sur cette base, explique-t-il. A côté du néo-druidisme ou druidisme mêlé de christianisme, il s'était établi, dans l'église galloise, un christianisme modifié par le druidisme, anti-augustinien, anti-romain. Dans un coin de ce christianisme gallois, à une époque que nous ne saurions déterminer, fut couvée la légende en question. Toute la religion reposait là sur une forme particulière et toute symbolique du mystère eucharistique. Joseph d'Arimathie avait recueilli le sang des plaies du Sauveur dans le vase qui avait servi à la Cène : Jésus lui-même avait confié à perpétuité la garde de ce vase à Joseph et à sa race, et le neveu de Joseph, Allan (Alain, en français), l'avait porté dans l'île de Bretagne. Ce vase avait des propriétés incomparables : il assurait à ceux qui le contemplaient la compagnie du Seigneur Jésus et es joies indicibles du ciel ; il les nourrissait d'un aliment délicieux et intarissable ; il les mettait à couvert de l'injustice et de la violence des hommes. Mais on ne pouvait le contempler sans être en état de grâce. Il disparaissait aux regards des pécheurs, et les initiés à ses mystères devaient être muets devant les profanes."

Pour Martin, les Celtes christianisaient ainsi leur culte du bassin sacré, comme d'Eckstein et de la Villemarque en leur temps avaient aussi souligné que le culte germanique de la force se projetait dans celui de la lance sacrée qui avait percé le coeur de Jésus.

"Les premiers introducteurs des traditions bardiques et du cycle d'Arthur en France, ajoute Martin, Geoffroi de Monmouth, Wace, l'auteur quel qu'il soit, de la Vie de Merlin en vers latins, l'auteur ou les auteurs des fragments de Tristan en vers français, et même Chrestien de Troies, dans le Chevalier au Lion et le Chevalier de la Charette, n'avaient pas dit un mot de cette légende. Elle paraît être arrivée parmi les clercs et les trouvères de la cour de Henri II (1133-1189) quelques années après la rédaction du Brut de Wace". En France la saga arthurienne est totalement tournée vers le Graal et tous les chevaliers de la Table Ronde sont de la race de Joseph d'Arimathie (p. 396).  Perceval est le plus ascétique, Merlin perd sa nature diabolique. Le cycle du Graal devient une arme pour christianiser la chevalerie et la rendre ascétique, mais pas dans une veine romaine puisque c'est toujours sous les auspices de Joseph d'Arimathie et non de Pierre.

Wolfram d'Eschenbach (1170-1220), templier souabe, finalement placera le Graal dans la perspective des templiers, en disant s'inspirer de Guyot de Provins, bénédictin de Cluny hostile à la papauté. Il invente le héros Titurel qui construit en Gaule du Sud un temple pour le Graal, sous la direction du prophète Merlin initié par Joseph d'Arimathie qui se calque sur le temple de Salomon (mais finalement Perceval  récupèrera le Graal et construira le temple pour lui en Inde).

Cette chevalerie du Graal, ascétique, nous dit Martin, voulait remplacer la chevalerie amoureuse, mais elle échoua. L'Eglise romaine qui condamnait le culte de la créature était elle aussi hostile à la chevalerie courtoise, et tente d'en endiguer les excès (notamment avec les tournois), Mais elle est elle-même sous la coupe des femmes mystiques comme Hildegarde ou Julienne de Mont-Cornillon. Et le culte marial ne cesse de prendre de l'importance. Alors l'Eglise choisit donc la voie du culte de Marie (et de son Immaculée conception, à laquelle Bernard de Clairvaux était hostile) plutôt que la religion du Graal de Joseph d'Arimathie que préférait la papauté. Dominicains et franciscains seront les chevaliers de cette voie.

On voit que, à la différence de Knight et Lomas, Henri Martin, lui, n'attribuait pas aux Templiers un "savoir secret" dont ils auraient hérité depuis la chute du second temple par des familles qui l'auraient conservé jusqu'au lancement de la première croisade. La "lignée apostolique" de Joseph d'Arimathie, à supposer même que l'on doive aller jusqu'à employer ce terme, serait plutôt une fiction née du croisement entre l'Evangile de Nicodème et le culte celtique des bassines sacrées. Elle aurait servi à contrer l'amour courtois en christianisant la quête chevaleresque, et n'aurait finalement été "adaptée" à l'imaginaire templier que tardivement, en 1200, sous la plume de Wolfram von Eschenbach, avant d'intégrer la franc-maçonnerie, mais ce ne serait nullement une fabrication templière. On notera aussi que chez Henri Matin Marie-Madeleine ne joue aucun rôle dans cette filiation de Joseph d'Arimathie, pas plus d'ailleurs que la dimension féminine du Graal, qui n'est pas abordée...

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Saint Paul et le stoïcisme

14 Février 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Philosophie, #Christianisme

Carol Korak, enseignante d'un séminaire baptiste de Minneapolis, écrivait il y a 11 ans dans son article "The Influence of Philosophy in Early Christianity" :

"Lorsque Paul écrivait sa lettre aux Romains (vers 55‐58 de notre ère), Sénèque était  conseiller du jeune Néron.


   Thorsteinsson soutient que Paul, tout en proclamant le bien nouvelles, modifie les composants standard de l'éthique stoïcienne du premier siècle pour un plus spécifique application au sein de la communauté chrétienne, et j'offrirai plusieurs de ces exemples.

Premièrement, il fonde cette conclusion sur ce qu'il considère être des allusions claires au la termonoligie stoïcienne standard. Par exemple, l'utilisation par Paul de λογικος, pour définir la bonne façon dont les chrétiens doivent servir Dieu, fait allusion à la façon dont les stoïciens décrivent les relations entre l'homme, comme doté de raison (λογικοι), et Dieu comme λογος.

Deuxièmement, un autre parallèle peut être observé entre Sénèque,
Les idées très similaires d'Épictète et de Paul sur le culte. Pour les trois, adorer convenablement signifie s'efforcer de suivre et d'imiter Dieu, qui définit ce qui est moralement bon. Pour Epictète, c'est être guidé par la « Loi de Zeus »56 ; et pour Sénèque, cela signifiait se consacrer entièrement à un mode de vie et vision du monde :

"L'honneur qui est rendu aux dieux ne réside pas dans les victimes pour le sacrifice, bien qu'elles soient grasses et scintillantes d'or, mais dans le désir droit et saint des adorateurs. Les hommes bons doivent dont plaire aux dieux avec une offrande de farine et de bouillie; le mauvais par contre, n'échappent pas à l'impiété bien qu'ils teignent les autels avec des flots de sang." (Sénèque, "De Beneficiis," 1.6.3)


Dans Romains 12 : 1, Paul enseigne aux chrétiens qu’un culte convenable n’exige plus un sacrifice littéral de leur corps, mais qu'ils doivent vivre leur vie comme une incarnation de la volonté et des voies de Dieu dans le monde.

Troisièmement, il existe une similitude entre l'importance que le stoïcisme accorde à la nécessité de la transformation de l'esprit, comme fondement nécessaire à la vie morale, et l'appel de Paul à la transformation par le renouvellement de l'esprit dans Romains 12:2. 58

Selon Sénèque, « Celui qui a appris et compris ce qu'il doit faire et éviter, n'est pas un homme sage tant que son esprit ne prend pas la forme de ce qu'il a appris. » ("Epistulae Morales," 94.47‐8)


  Autrement dit, pour les deux, Sénèque et Paul, vivre des vies transformées confirme  la transformation intellectuelle. La différence entre les deux est que pour Paul cela commence par une transformation spirituelle, qui débute par le séjour du Saint-Esprit.

Quatrièmement, l'éthique stoïcienne du premier siècle est centrée sur les quatre vertus traditionnelles - la prudence (φρονσις), modération ou maîtrise de soi (σοφρουνη), justice (δικαιοσυνη) et courage (ανδρεια).
 
  Sénèque affirme que le but premier de la philosophie est d'offrir une direction aux gens,
au sein de la société, pour parvenir à une société dans laquelle l'unité et le soin mutuel se répandent.
 
  Selon Runar Thorsteinsson, l'appel de Paul à l'humilité et à la modération (Romains 12:1-6) des membres du corps de Christ, et son accent sur les dons individuels et la fonction donnée par Dieu pour le bénéfice de l'ensemble, coïncide avec l'éthique du stoïcisme du premier siècle.
 
  En plus de cela, la description de Paul du Christ comme le chef de l'église, et le l'Église comme son corps, est analogue à celui utilisé par Sénèque qui décrit Néron, comme le chef de l'empire, et appelle ses citoyens à agir avec humilité, modération et amour envers un
autrui. ( "De Clementia," 1.21.4; 1.11.2; 1.4.3; 1.5.1)


  Sénèque écrit :
"Et si les mains désiraient blesser les pieds, ou les yeux les mains ? Comme tous les membres de
corps sont en harmonie avec un autre parce que c'est à l'avantage de l'ensemble que les membres individuels soient sains et saufs, de sorte que l'humanité devrait épargner l'homme individuel, car tous sont nés pour une vie de camaraderie, et la société ne peut être sauvée que par la protection mutuelle et l'amour de ses parties"


Ces métaphores partagent non seulement un langage et une forme parallèles, mais les principes sous-jacents de ces métaphores sont les mêmes : 1) elles illustrent que le tout dépend de ses parties ; et 2) ils enseignent chacun le principe stoïcien de l'humanité universelle - chaque être humain est sacré.


L'appel de Paul dans Romains 12:14 pour bénir ceux qui vous persécutent, reflète également l'enseignement stoïcien. Cela pose la question de savoir si les enseignements de Paul peuvent ou non avoir leurs racines dans les enseignements de Jésus. Stanley Stowers souligne, cependant, que si Paul savait que Jésus avait un tel enseignement, il n'utilise pourtant pas l'idée que Jésus était un maître d'éthique même si plus tard les enseignements trouvés dans Matthieu et Luc recouperont plus tard ses propres enseignements.65

A la fois Épictète et Musonius plaident contre la vengeance, et dans le cas d'Épictète, il appelle même à la compassion (Epictète, 3.22.54. Musonius Rufus, "Fragment 41.136.").


Cinquièmement, dans Romains 13 : 8‐10, Paul réitère de nombreux commandements donnés à Moïse qui parlent de vivre en communauté, mais soulignent l'importance de l'amour envers
voisin comme accomplissant la loi. Cela coïncide avec l'enseignement moral de Sénèque, qui dit que l'on doit vivre pour son prochain, [comme] si l'on voulait vivre pour soi-même.67

  Mettre les besoins des autres sur le même niveau d'urgence que soi-même contribue également à affirmer le caractère sacré de toute l'humanité.


Enfin, la compréhension stoïcienne des choses indifférentes pourrait expliquer le raisonnement de Paul pour maintenir sa condition ou sa situation dans I Corinthiens 7:17‐20."

Évidemment la similitude entre Paul et les stoïciens de son temps peut trouver trois éléments d'explication non exclusifs entre eux : 1) Paul les avait entendus et lus à Tarse, ville de philosophes, et d'ailleurs c'est pourquoi il va encore dialoguer avec eux à Athènes, 2) il y a une sorte de phénomène de "champ morphogénétique" à la Sheldrake autour de l'apparition de ces idées, 3) c'est l'action simultanée du Saint-Esprit à la fois à Rome chez les philosophes et dans le monde hellénophone où Paul déploie sa prédication.

A rapprocher par exemple du fait que l’année même où la figure de proue du catholicisme libéral le RP Lacordaire installait les dominicains à Saint Maximin et publiait un livre sur Marie-Madeleine qui consacrait une part importante à la résurrection de Lazare son frère, comme paradigme du pouvoir de l’amitié, en 1859, le socialiste Pierre Leroux en exil à Jersey allait méditer dans le tome 2 de la Grève de Samarez (p. 394 et suiv) sur cette résurrection de Lazare (qu’il n’avait fait qu’effleurer dans De l’Humanité en 1840) pour y puiser sa définition des relations entre les deux sexes.

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Un sonnet étrange sur l'Immaculée conception

12 Février 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

Entendu hier sur la chaîne "Sur les Pas du Padre Pio" un récit qui selon le présentateur "donne la chair de poule" à un catholique (mais qui sans doute donnerait la nausée à un protestant) : il est extrait des mémoires du célèbre exorciste romain le P. Gabriel Amorth (1925-2016), et figure aussi sur le site Aletheia.

En 1823, à Ariano Irpino,un jeune homme est possédé. Deux dominicains réalisent l'exorcisme, et forcent le démon, pour l'humilier, à démontrer que Marie est immaculée et de le faire sous forme de sonnet (à rapprocher peut-être de ce que j'écrivais il y a 7 ans sur un exorcisme de 1610 à la Sainte-Baume, je referme la parenthèse). Voici quel en fut le résultat.

« Je suis la vraie Mère d’un Dieu qui est Fils
et je suis fille de Lui, bien que sa Mère.
Il est né de toute éternité, et c’est mon Fils,
Dans le temps je suis née, et pourtant je suis sa Mère.
Il est mon créateur et il est mon Fils
Je suis sa créature et je suis sa Mère.
C’est un prodige Divin que soit mon Fils
un Dieu Éternel, et de m’avoir pour Mère.
L’être est presque commun entre Mère et Fils
parce que l’être, c’est de son Fils que l’eut la Mère,
et l’être de la Mère, l’eut aussi le Fils.
Or si l’être du Fils l’eut la Mère,
Ou bien on dit que fut maculé le Fils
Ou sans tache on dira la Mère »

Je me garderai évidemment de tout commentaire sur ce texte étrange qui fut transmis trente ans plus tard au pape Pie IX qui proclama le dogme de l'Immaculée conception.

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Sur la magnétisation de l'eau

3 Février 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées

Le Dr Alexandre Baréty (1844-1918) un jour magnétisa, sans qu'on s'en aperçut, de l'eau dans un vase et ordonna ensuite à une jeune fille d'y tremper la main. Elle le fit et s'endormit. Il sortit alors la main de la jeune fille, et souffla sur l'eau ; puis il fit remettre la main dans l'eau, sur quoi la jeune fille se réveilla en sursaut. S'il prenait de l'eau ordinaire, qu'elle croyait cependant être magnétisée, le sommeil ne venait pas. S'il laissait tomber une goutte d'eau magnétisée sur sa langue; celle-ci se raidissait. S'il lui jetait un peu d'eau au visage, elle s'endormait aussi.

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La lévitation selon Alphonse Primot

2 Février 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Médiums, #Histoire des idées

Une analyse intéressante d'Alphonse Primot (chef de service au ministère des finances à la retraite, natif de Poligny dans le Jura en 1846, et positiviste repenti  converti au catholicisme *) en 1914 qui, après avoir cité les lévitations du curé d'Ars, des possédées de Louviers, et des médiums, écrit :

"Ainsi que je l'ai fait remarquer supra, n°328, si les lévitations du corps humain ne se produisaient que dans l'extase, telle que je l'ai définie, avec son caractère essentiellement religieux, et n'apparaissaient ainsi que comme une conséquence de cette puissante attirance que le monde divin parait exercer sur l'extatique, on pourrait être, dans une certaine mesure, fondé à admettre que cette attirance et l'intense désir d'union avec Dieu, qu'elle suppose, sont la cause déterminante du phénomène qu'on vient d'étudier.

Même dans ce cas, d'ailleurs, et en supposant cette interprétation fondée, il resterait encore à savoir comment cette influence divine s'exerce, quelle force physique elle met en jeu dans l'organisme do l'extatique pour le soulever dans les airs et l'attirer, au mépris des lois connues de la pesanteur, vers les régions supérieures où, dans sa pensée, il place l'objet de son désir divin. Car Dieu, ou les puissances spirituelles qui s'associent à son œuvre, doivent en général, pour agir (c'est la conviction de beaucoup de théologiens), suivre les voies de la nature, et ils ne s'en départissent par une action véritablement miraculeuse, dans le sens strict du mot, que très exceptionnellement et lorsque les voies normales leur font défaut ou sont impuissantes à accomplir leur volonté.

Dès lors, l'intervention divine dans les lévitations fùt-elle démontrée, ne dispenserait pas de chercher en dehors d'elle la cause et le processus physiologique de ce phénomène. A plus forte raison est-il nécessaire de tenter cette recherche pour les lévitations d'un autre ordre que celle de l'extase et dans lesquelles le caractère divin fait complètement défaut.

339. — Après les explications fournies supra (nos 217 et s.) sur l'extériorisation psychique en général et, spécialement, sur l'extériorisation d'une force motrice et organisatrice dans l'hypnose et dans le médiumnisme, il semble bien que c'est précisément cette force — à laquelle sont dus, comme on l'a vu, tous les phénomènes plus ou moins extraordinaires (mouvements des tables, déplacements d'objets sans contact, écriture automatique, écriture directe, apports, phénomènes lumineux, matérialisations, etc.) observés dans les séances de médiumnisme — qui, en s'extériorisant, produit, sous certaines conditions physiologiques difficiles, sana doute, à réaliser, la lévitation du corps humain d'où elle se dégage, aussi bien d'ailleurs les lévitations de l'extase proprement dite que celles du somnambulisme, de l'hystérie et du médiumnisme.

Cette force, William Crookes a pu la mesurer au  moyen d'appareils d'une grande précision, et lui a donné, faute de mieux, le nom de force psychique. — Voir la description de ces expériences dans les ouvrages déjà cités : 1° de l'expérimentateur lui-même, Recherches sur les phénomènes du spiritualisme, pp. 22 à 27 et 55 à 72; 2° et de M. de Rochas, l'Extériorisation de la motricité, pp. 475 à 487 de la 4e édition.

Le grand savant autrichien, Reichenbach, dont j'ai, résumé les travaux sous mon chapitre IV (V'. supra, nos 84 et s.), en a fait une étude des plus approfondies et lui a donné le nom de force odique qui, aujourd'hui, semble avoir prévalu.

Et c'est enfin cette force qui joue le rôle capital, essentiel, dans la savante et lumineuse hypothèse au moyen de laquelle l'auteur du Traité de la Magie, l,e partie : la Physique magique 1, le grand psychologue allemand, Carl du Prel, a précisé les causes et analysé le processus physiologique du phénomène de la lévitation.

Je ne saurais me dispenser de donner à mes lecteurs un aperçu de cette étude magistrale, qui occupe les pages 159 à 205 du volume précité; on peut ainsi la résumer :

340. — Le mot pesanteur exprime un rapport entre deux corps, et non la propriété de l'un d'eux. Dire qu'une pierre est pesante, c'est constater l'action exercée sur la pierre par la terre, et non pas énoncer \\\w cause, une propriété résidant en elle.

Ce rapport entre la terre et la pierre, qui crée la pesanteur, est modifiable. Evidemment, on ne peut supprimer la terre, et, par conséquent, aucun corps ne peut être soustrait à son attraction. Mais « peut-être sa force d'attraction pourrait-elle être annulée par la mise en jeu de forces capables de transformer, sous des conditions données, la gravitation en lévitation »- De ces forces, il en existe certainement: par exemple,, celle que l'on constate dans le magnétisme minéral, et qui explique l'action exercée par l'aimant sur d'autres corps en un sens contraire à la loi de gravitation. Or, dès l'instant qu'une exception à cette loi est constatée, d'autres apparaissent comme possibles. Par exemple, si l'on admet, et de sérieuses considérations nous y autorisent, que la gravitation est identique à l'attraction électrique, il suffirait de supposer un changement dans la nature (positive ou négative) de l'électricité d'un corps, pour que la terre le repousse, au lieu de l'attirer, et que la gravitation se transforme pour lui en lévitation .

Aujourd'hui, on en est encore, dans la science, A nier le phénomène de la lévitation, parce qu'on le déclare impossible, comme étant contraire à la loi de gravitation. Mais il suffit de supposer un instant que la gravitation rentre dans les lois fondamentales de l'électricité, pour que la lévitation devienne aussitôt une des possibilités les plus nettes et que, par conséquent, l'objection disparaisse. Dès lors, en présence de faits établissant nettement la réalité du phénomène, comme ceux qui viennent d'être mis sous les yeux du lecteur, il semble permis et à propos, plutôt que de les nier, d'en rechercher la cause dans la mise en jeu des lois de polarisation du magnétisme animal, si bien étudiées par Reichenbach, et dont les multiples applications paraissent démontrer l'existence d'une force, la force odique, capable, sous diverses influences qui la renforcent ou l'extériorisent, telles que les passes magnétiques, les suggestions et auto-suggestions, et certaines dispositions physiologiques du sujet, de seconder ou de neutraliser, dans l'organisme humain, les effets de la loi de gravitation."

--- *il décéda en 1920.

Emmanuel Besson qui l'a connu personnellement dans la revue Le Domaine du 1er avril 1932 reliait sa conversion (vers 1891) à l'entrée du défilé de Montcy dans la forêt des Ardennes près d'un lieu dans lequel certains ont cru identifier les ruines d'un temple de Vénus-Cythérée. Primot s'y promenait chaque jour avec sa femme.

Primot raconte ainsi l'histoire dans son livre :

"Un jour, au cours d'une de nos promenades habituelles dans les environs de Mézières, nous rencontrâmes une dame de cette localité avec laquelle ma femme était entrée en relations et qu'elle me présenta. La conversation s'engagea et je fus surpris de lui entendre émettre des idées élevées sur la destinée de l'homme et sur son immortalité. Elle avait sur ces mystérieux problèmes des solutions précises, très indépendantes de celles que fournit la foi religieuse, bien qu'elle fût pratiquante, et qui dénotaient en elle une conviction profonde et inébranlable. Je lui demandai d'où elle tenait ces certitudes; elle me répondit qu'ayant perdu un enfant tout jeune, elle avait eu la preuve réelle et sensible de sa survivance ; elle me parla de médiums, et, sur ma demande, m'expliqua qu'on entendait par là certaines personnes douées d'aptitudes spéciales qui leur permettent de servir d'intermédiaires entre les vivants et les morts et qui assurent ainsi, dans des circonstances et sous des conditions déterminées, la communication du monde visible avec l'invisible.

J'avoue que j'eus peine à dissimuler un sourire sceptique, tant ce langage était nouveau pour moi. Elle s'en aperçut et me dit qu'elle ne pouvait en quelques instants de conversation, mettre en évidence les éléments de sa conviction et les preuves sur lesquelles elle s'appuyait; mais elle m'offrit du me prêter quelques ouvrages qu'elle avait en sa possession et qui, s'ils ne parvenaient pas à me faire partager sa foi, ne manqueraient pas de m'intéresser et de m'ouvrir des aperçus nouveaux sur un monde dont je paraissais ne pas soupçonner l'existence.

J'acceptai son offre et je lus les quelques volumes qu'elle m'envoya. Cette lecture et quelques timides expériences que, sur ces entrefaites, je tentai dans l'intimité d'un groupe d'amis, et qui donnèrent dos résultats suffisants pour que mon incrédulité fût ébranlée, éveillèrent en moi le désir de pénétrer plus avant dans ce domaine mystérieux qui jusque-là m'était resté complètement fermé."

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Personnellement je ne suis pas sûr qu'éclairer une réalité obscure (la lévitation) par un concept obscur (la "force odique") soit très utile. Mais je relève l'argument pour justifier qu'on applique une grille d'analyse scientifique à une réalité religieuse : Dieu utilise autant qu'il le peut les lois naturelles... donc on est légitimé par la théologie même à explorer selon la méthode des sciences naturelles, le plus loin possible, les phénomènes apparemment surnaturels...

Pour le reste je conseille la lecture de ce livre qui montre combien au moment où Freud et Jung creusaient la notion de "subconscient" la notion de "subconscience" était déjà très largement explorée en France parmi les psychologues qui s'intéressaient au paranormal, qu'ils tentaient de ramener à l'action d'énergies psychiques.

 

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Encore un mot sur Richard Bentley

30 Janvier 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Médiums, #Sociologie des institutions

Dans mon livre sur les services juridiques de l'Etat (p. 298) j'ai parlé de l'histoire du principe du contradictoire ("audi alteram partem" : il faut écouter le point de vue de l'autre, entendre sa défense) et, encore il y a cinq ans,  je rappelais qu'une mésaventure survenue à Richard Bentley en 1723 fut à l'origine de l'invention en Angleterre de ce principe du contradictoire, transposé par les libéraux en France au XIXe siècle (notamment par les tendances anglomanes du Conseil d'Etat au XIXe siècle, ceux que Leroux appelait "la France carthaginoise". Finalement le principe s'est introduit dans toutes les procédures administratives en France et dans les autres pays européens)

Notons que Bentley fut par ailleurs auteur de "La friponnerie laïque des prétendus esprits-forts d'Angleterre, ou Remarques de Phileleuthere de Leipsick sur le Discours de la liberté de penser" qui fut traduit en français par Armand Boisbeleau de La Chapelle, écrivain protestant français exilé qui avait tout intérêt à faire cause commune avec Bentley. C'est une réaction à la parution sous couvert d'anonymat en 1713 du Discours sur la liberté de penser d’Anthony Collins qui avait mis Londres en ébullition et affaibli le parti Whig au pouvoir en Angleterre. Le livre allait si loin dans l'athéisme qu'il affaiblissait les défenseurs de la liberté en les faisant passer par ses excès pour des bandits anarchistes, et jetait l'opprobre sur le protestantisme capable de devenir un tel nid de vipères.

Collins avait, outre ce discours, fait paraître aussi en 1710 "Priestcraft in perfection" traduit en français par "La friponnerie ecclésiastique portée à son comble", que La Chapelle décrit comme une entreprise "don quichottesque" contre toute forme de cléricalisme auquel il finit par donner une portée totalement antichrétienne.

Parmi les réponses à cette provocation, celle de Bentley, nous dit La Chapelle, fut la plus impérieuse car à la fois elle démontait la lecture historique que Collins faisait des autorités ecclésiastiques et discréditait l'honnêteté intellectuelle de l'auteur (alors, nous dit le traducteur, que les déistes ont tendance à se draper dans la pureté morale).

Vous savez que depuis mon passage par les magnétiseurs, je prête une certaine attention à la question de la sorcellerie (cf mon livre). J'observe que la question n'est pas absente du livre. On se souvient que dans les années 1660 en Angleterre sous la plume notamment de Glanvill dont on a déjà parlé, la question était d'une certaine importance, alors qu'en France Louis XIV allait encore affronter une affaire de sorcellerie, et Colbert ne mettra fin à la condamnation des sorciers qu'en 1682.

Collins, note Bentley, attribuait aux progrès de la liberté de penser un mérite : celui d'avoir fait déchoir en Grande-Bretagne "le pouvoir que l'on attribue au diable dans les possessions, et dans les sortilèges" (p. 78 de la traduction). Le théologien répliquait que c'était faux car les prêtres anglicans estimaient que les sortilèges existaient, et que c'est la loi votée en 1562 à l'initiative de la chambre basse qui avait qualifié d'acte de félonie "l'usage et la pratique des enchantements, de la magie et des sortilèges" de sorte qu'on ne pouvait en imputer le responsabilité aux ecclésiastiques.

A propos de la loi sur les sorcières, La Chapelle se réfère à John Stype, et cite ce passage en note de bas de page : "La raison qui fit porter ce Projet, vint du grand nombre d'Enchanteurs, de Sorciers & de gens qui invoquent le malin Esprit, qui s'accréditèrent dès les premiers momens de l'Avénement de la Reine à la Couronne, & peut-être auparavant. Ces gens-là se mêlaient des Affaires de l'Etat, & se servaient de Sortilèges, & de la Magie noire, pour ôter le Royaume à cette Princesse (Elizabeth Ie). On remarquait d'ailleurs qu'il régnait beaucoup de Maladies extraordinaires, qu'il y avait beaucoup „ de gens qui perdaient la parole, ou l'usage des sens, qui tombaient en langueur, ou dont la chair pourrissait ; ce que l'on crut avec raison, „ être les effets des Conjurations & des Enchantemens. Aussi est-ce ce que l'on dit dans le préambule de l'Acte" (Strype Annales t 1, ch 2 p. 61).

En réponse à Bentley, Collins allait d'ailleurs reconnaître que le clergé anglican n'était pas responsable des excès de la lutte contre la sorcellerie, notamment dans le procès d'Hertford de 1712 (dernière condamnation de sorcière en Angleterre).

Bentley poursuit son propos sur la sorcellerie en estimant qu'avant la Renaissance et la Réforme c'est une faiblesse générale de l'esprit humain et non une "friponnerie ecclésiastique" qui faisait imputer au diable beaucoup de problèmes aux causes naturelles : "les délires, les convulsions, les envies de manger" etc.  Seules les "lumières de la philosophie et de la médecine" ont eu le mérite de régler le problème, il revient donc "aux Boyles, et aux Newtons, aux Sydenhams, et aux Ratcliffs". "Lorsque ce peuple vit que des ordonnances de médecins guérissaient des maux qu'il imputait au Sortilège, il n'en fallut pas davantage pour le guérir lui-même de ses préjugés". Bentley salue d'ailleurs le travail contre la superstition de pasteurs comme le hollandais Balthazar Becker (1634-1698) et l'archevêque d'York Samuel Harsnet (1561-1631).

La Chapelle précise ceci  en note de bas de page à propos de Harsnett : "En 1586 , un jeune homme nommé Darrel s'érigea en Exorciste, & fit imprimer des Relations de quelques-unes de ses prouesses. La prétendue guérison d'un garçon de 14 ans faite à Barton en 1596, fit un grand bruit. A cette occasion Harsnet, qui n'était encore que Chapelain de l'Evêque Bancroft, écrivit un Ouvrage, intitulé, Découverte des Pratiques frauduleuses du Ministre".

Bentley était donc un théologien aux tendances rationalistes (à la différence de ce qu'allait être un Wesley par exemple), tout en étant très opposé au déisme.

Pour ma part, en tout cas, je compte appliquer le principe "audi alteram partem" dans un billet que j'écrirai dans quelques semaines sur le Suaire de Turin.

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Morand sur le Journal de Claudel

30 Janvier 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

Puisque je citais il y a peu le Journal de Claudel, voici ce que Morand en disait en avril 1969, dans son propre journal :

Bourdieu disait que Bakhounine avait la vérité sur Marx et réciproquement. Morand livre-t-il là une part de vérité sur Claudel ? Ailleurs dans ce journal il dit que ce dernier n'aimait personne, qu'il était profondément anti-démocrate ce qui aurait pu lui valoir des problèmes dans sa carrière de diplomate à la fin des années 1910 sans la protection de Berthelot (Morand diplomate à la même époque était bien placé pour le savoir, et il avait fréquenté Claudel d'assez près).

On est loin des paroles cordiales de Claudel sur Romain Roland et des amabilités que celui-ci lui rendait. Là les roses, avec Morand les épines. Mais Morand est toujours âpre avec tout le monde, et toujours mauvaise langue comme les diplomates aiment l'être.

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Le thème du Temple de Salomon dans l'Angleterre du XVIIe siècle

25 Novembre 2022 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Alchimie, #Histoire secrète, #Sainte-Baume

Je lis Frances A. Yates et MK Shuchard sur l'Angleterre du milieu du XVIIe siècle. Dans Rosicrucians, Yates explique le penchant des puritains anglais pour la kabbale. Après la défaite de Cromwell, la royauté s'appuya sur la Royal Society, fondée en 1662, qui comptait une composante maçonnique centrale consacrée à l'étude des sciences et à la magie. Elle défendait l'idée d'une harmonie sociale copiée sur la nature. Pour elle Dieu devient une sorte de monarque constitutionnel. Dès 1662, selon Marsha Keith Schuchard, Samuel Butler dénonça l'utilisation de la science juive par la Royal Society. L'astrologue néoplatonicien John Heydon qui avait l'oreille du roi pensait pouvoir reconstruire le Saint des Saints du temple de Salomon par la méditation sur les noms de Dieu. Le philosophe Kenelm Digby pensait que cette pensée sur le temple protègerait de l'athéisme naissant par exemple chez Hobbes. Et Christopher Wren construisait Saint Paul en lien avec le rabbin Jacob Judah Leon qui avait construit une maquette du Temple de Salomon modèle de la synagogue d'Amsterdam. Mais la publication de la Philosophia Naturalis, Principia Mathematica de Newton en 1687 discrédita la numérologie kabbaliste et bannissait les esprits de l'univers au profit d'une gravité magique. La kabbale n'allait plus se retrouver que dans la franc-maçonnerie, arme des whigs britanniques pour la dé-catholicisation de la France et du reste de l'Europe.

Pour mémoire Yates explique par ailleurs dans Science et Tradition herméneutique (et ce n'est pas sans importance pour notre problématique à la Simone Weil sur l'action de l'Esprit saint avant l'Incarnation) que la foi en la magie (qui à la Renaissance avait libéré une confiance en l'action humaine sur le monde) s'était nourrie de l'illusion de Marsile Ficin selon laquelle les Hermetica avaient eu la prémonition de l'Incarnation, alors qu'Isaac Casaubon en 1614 allait détruire cette croyance. Mais la dette à l'égard de la magie est restée tenace. Newton, rappelle Yates (p. 67), "en découvrant la loi de la gravitation et le système du monde qui lui est associé, croyait redécouvrir une vérité ancienne, déjà connue de Pythagore et cachée dans le mythe d'Apollon et de sa lyre à sept cordes". Newton passait plus de temps à étudier l'alchimie (à travers le rosicrucien Michael Maier) que les mathématiques, tout en appliquant à la première des règles de calcul rigoureuses. Et, il passa beaucoup de temps à travailler sur les proportions du Temple de Salomon, dont on disait à la Renaissance qu'il permettait de comprendre le plan divin de l'univers.

Shuchard a aussi un peu plus développé cette thématique du Temple de Salomon dans l'Angleterre du XVIIe siècle dans un article de 2019, intitulé Jacobite Jews and Faux Jacobite Jews: Some Masonic Puzzles.

En décembre 1583,  le protestant Jacques VI, Stuart roi d'Ecosse, nomma William Schaw, un catholique et politique modéré, maître des travaux royaux, et s'attela avec lui aux affaires architecturales, politiques et diplomatiques. Jacques et Schaw étudiaient la poésie de Guillaume de Salluste, sieur du Bartas , un protestant français, qui a inclus des thèmes salomoniens et des termes techniques de la maçonnerie opérative dans son œuvre importante pour le mysticisme architectural, Les Semaines. Du Bartas avait travaillé en étroite collaboration avec des maçons, auprès desquels il a appris les traditions salomoniennes du Compagnonnage français. Il avait instillé dans sa poésie une profusion de détails sur le métier de tailleur de pierre et la formation d'architecte.

En 1587, Jacques invita Du Bartas en Écosse, où ils se traduisirent mutuellement et  échangèrent des idées sur Dieu l'architecte. Quand Du Bartas fut rentré en France, il loua Jacques comme l'incarnation du grand rois juif ("le Scott'sh, ou plutôt le David hébreu"). L'identification de Jacques comme Salomon culmina en 1594, avec le baptême de son fils Henry et la reconstruction de la chapelle royale de Stirling sur le modèle du Temple de Jérusalem, avec l'aide des maçons opératifs, une cérémonie qui fut cependant très critiquée par les Presbytériens. Il transporta ensuite ce savoir maçonnique à la cour de Londres.

En 1631, son fils et successeur Charles, lui aussi maçon, accéda à la demande des maçons de Perth de financer la reconstruction du grand pont à onze arches sur la rivière Tay, qui avait été détruite par une inondation dix ans plus tôt. En prévision de la visite prévue du roi à Perth pour voir le projet de pont, le poète Henry Adamson composait un long poème sur le thème de l'architecture qui liait la construction à la réconciliation espérée entre l'Ecosse et l'Angleterre. Il y révélait également le lien croissant entre la franc-maçonnerie écossaise et le rosicrucianisme. Son architecte Inigo Jones (qui a d'ailleurs écrit sur Stonehenge, il faudra que je regarde cela à l'occasion) s'inspirait de la kabbale et de l'architecture jésuite de l'Escorial à Madrid.

Face à Cromwell, Cromwell, Charles s'assura le soutien des Juifs d'Amsterdam par l'intermédiaire de sa femme française versée dans l'ésotérisme qui était par ailleurs une fille de Marie de Médicis. En lisant cet article on comprend que le rabbin Judah Leon avait construit sa maquette pour contrer les thèses du jésuite espagnol Juan Baptista Villalpando, dont l'interprétation anachronique "sur-spiritualisait" le temple en le retirant de l'histoire juive. Après la décapitation de Charles,son fils Charles II exilé en France travaillait avec le réseau maçonnique écossais de Moray pour obtenir le soutien et le financement juifs pour sa restauration à "Jérusalem", ainsi qu'il appelait la Grande-Bretagne. Si Cromwell acceptait la banque juive à Londres, il gardait un agenda de conversion des Juifs que ceux-ci n'acceptaient pas, et ils lui préféraient donc les Stuarts. Après sa restauration, Jacques II fut tolérant envers les Juifs. Il obtint le soutien des partisans de Sabbatai Levi en 1665. La tolérance fut maintenue par son frère Charles II, converti au catholicisme, mais provisoirement abrogée par les protestants orangistes sous Guillaume III, ce qui allait aboutir à des luttes de factions dans la franc-maçonnerie britannique.

Il s'agit là d'un aspect peu connu de l'histoire européenne, à penser aussi avec ce que j'ai écrit il y a presque un an sur l'architecture secrète, néphilimesque, ou non, que j'avais découverte en 2014 à la Sainte-Baume, et plus récemment sur Louis Charpentier et sur Raoul Vergez. On retombe aussi sur certains thèmes de Barbara Aho (cf mon livre) concernant les savoirs architecturaux des jésuites qui seraient peut-être à creuser.

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