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Articles avec #down.under tag

Bric à brac ésotérique

7 Juillet 2014 , Rédigé par CC Publié dans #down.under, #Sainte-Baume, #Médiums

2011-0039.JPGDe nombreuses librairies ésotériques en France ont dans leurs rayons des ouvrages comme "La Numérologie révèle votre avenir" de Caroline Leroy (eds Exclusif), livres écrits en grosses lettres, avec peu de lignes par pages.

 

Celui-la comprend bien des approximations : Apollonios de Tyane mal orthographié (Caroline Leroy lui ajoute un "h"). L'auteure estime (p. 12) que "ses écrits manquent d'objectivité" (sic) alors que ce philosophe n'a laissé aucun texte, Philolaos est orthographié "Philocaos" (p. 13). Le livre nous dit que "Saint Augustin recommandera que la construction des églises romanes tiennent (sic) compte des structures géométriques harmonieuses" alors que l'art roman commence au XI sècle... à peu près 600 ans après la mort d'Augustin !

 

On y apprend que "le frère de Jésus, Jacques le Mineur dit aussi Simon le Zélote (le magicien), très proche des mages samaritains de Manassé et des thérapeutes de Qumran - communauté des gardiens de l'alliance fondée en 44 av. JC par Menahem, un essénien - grand père de Marie Madeleine. Menahem descend lui-même des prêtres asmonéens largement influencés par le pythagorisme (...). Les connaissances en arithmologie arrivent en France avec Simon le Zélote qui accompagne Marie-Madeleine puis elles transitent en Ecosse et en Irlande où les druides en feront grand usage".

 

Tout d'abord, on sait que les pythagoriciens ont influencé (sinon même créé) le druidisme via Marseille trois ou quatre siècles avant JC. Ensuite Qumran n'a pas été fondée en 44 av JC (date de la mort de César), on serait bien en peine de dater à l'année près ce genre de fondation et les historiens préfèrent la situer vers - 100 (alors pourquoi inventer 44 ? parce que le chiffre est joli ?). On voit bien que certaines évocations de la rencontre entre Jésus et Marie-Madeleine ont des relents pythagoriciens (l'image de Jésus écrivant sur le sable), en revanche l'apôtre Simon le Zélote évangélisateur des Berbères n'a rien à voir avec Simon le Mage, le gnostique, ni non plus avec l'arithmologie. Quant au lien entre Menahem l'Essénien mentionné par Flavius Joseph et Marie-Madeleine, il semble aussi gratuit que l'hypothèse qui fait de la sainte une prêtresse d'Isis.

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Ad Augusta per Angusta

21 Février 2014 , Rédigé par CC Publié dans #down.under, #Histoire secrète

Je méditais ces derniers jours sur César-Auguste et la Gigantomachie (le combat contre les Géants), qui le pose un peu enauguste.jpg vainqueur des puissances chthoniennes, à propos d'une amie qui avait eu des visions nocturnes angoissantes depuis l'enfance et avait longtemps aimé la figure de cet empereur (d'autant qu'elle était d'Autun - Augustodunum). Une version de sa Gigantomachie est sous la crypte de Notre Dame, endroit très bien choisi je trouve, d'autant que la Lutèce romaine lui doit son développement (île de la Cité et rive gauche). L'histoire des lieux est très importante, les lieux qu'ils dégagent aussi : avez vous entendu parler de cette fillette qui rêvait de combats à la hache alors qu'elle ne voyait jamais de scènes de violence, simplement parce qu'elle vivait dans une maison construite sur un ancien champ de bataille ?

Je me suis lancé dans la relecture de Suétone (lu pour la première fois à 16 ans, la vie de cet empereur qui rappelle son lien avec les Vestales, son lien avec la terre aussi, c'est un provincial qui comme l'avait noté je ne sais plus quel préfacier, était opposé à César l'épileptique imbu de conquêtes et d'horizons infinis, l'homme de l'exaltation permanente. Auguste pose les frontières, le limes, et construit sagement son empire à l'intérieur de ses limites. L'homme a des côtés un peu sadique comme la plupart des politiciens de son époque, mais il est dans l'ensemble bien raisonnable, il sauve Rome de plus de 50 ans d'horribles guerres civiles et fut si vénéré qu'il donna son nom à notre mois d'août. Il ne tenait pas au pouvoir et voulu rétablir la République à deux reprises. C'était un comédien qui sur son lit de mort dit avoir joué une pièce toute sa vie. Bref un grand homme.

Je mobilisais un peu dans ma tête tout ce que j'avais pu savoir sur lui, et une citation latine que j'avais apprise à 10 ans me revint : "Ad Augusta per Angusta". En fait à 10 ans je l'avais mal recopiée dans mes carnets. J'avais noté "Ad Augusta per Augusta". Ad Augusta per Angusta est traduit généralement par "Vers des choses grandioses par des chemins tortueux"... En fait la traduction est mauvaise. Suétone dit que "augustus" qui est un surnom (puisque Auguste de son nom s'appelle Octave) est un adjectif qui au départ s'applique aux lieux saints, aux temples, et que les sénateurs ont trouvé très chic de trouver un nouvel usage à cet adjectif en le collant au nom du "princeps" (du premier d'entre eux)... Je trouve que cela va bien avec le côté enraciné, et attaché aux lieux du personnage. Donc pour être rigoureux il faudrait peut être dire "Vers ce qui caractérise les lieux divins par des chemins tortueux".

En fait "angusta" peut renvoyer à tortueux ou à étroit. Quiconque connait les langues latines notera la ressemblance avec angustia et angoisse. Et, cela est confirmé par les dictionnaires, dans les langues latines comme dans les langues germaniques, l'angoisse a la même éthymologie que l'étroitesse. L'angoisse est liée depuis le romantisme allemand à l'idée d'un sentiment sans objet (à la différence de la peur, par exemple l'angoisse du Dieu créateur).

J'ai une amie qui a connu une transformation profonde de son être, une nouvelle naissance même, un accouchement, en suivant par des chemins tortueux, la route vers un lieu divin, la grotte de Sainte Baume en provence (il est intéressant que les circonstances actuelles me ramènent vers la Provence en ce moment, comme en décembre 1996, la Provence étant associée pour moi aux tombes, pour des raisons personnelles, et donc aussi au monde chthonien). La grotte de Sainte Baume est un espace chthonien par excellence, qui plus est lié aux mathématiques (pour elle qui est matheuse et fixée sur les chiffres) puisqu'il s'y trouve un pentagramme (pythagoricien ?).

leornardoUn ami m'écrit ceci ce soir : "il me semble que cette grotte était un lieux de culte  très important dédié à Artémis d'Ephèse, déesse de la fécondité, mais disons de l'énergie vitale... comme en Ardèche l'équivalent gaulois Arduinna est devenue une vierge noire ; la force Yin, le féminin à son apogée ; la déesse des Amazones aussi et la déesse qui a donné son nom au genre botanique des artemisia de la famille des asteracae ; ce genre de plante ayant une action contre la multiplication des insectes, des bactéries, des champignons et des autres êtres : quelques plantes abortives parmi ce genre. C'est la version Yang de la déesse avec ses flèches. Les phocéens sitôt débarqués ont construit un éphésion en l'honneur de leur déesse mère."

La grotte est maintenant dédiée à Marie-Madeleine, la prostituée repentie qu'on invoque dans les chagrins d'amour, et celle qui fut la plus précieuse assistante de Jésus, jusqu'au pied de la croix.

Si vous avez très mal au ventre et vous sentez enceint ou enceinte de quelque chose ou d'une nouvelle vie en vous, rendez vous à Sainte Baume. De ce point de vue cette amie au milieu d'une crise personnelle profonde fut fort bien inspirée... Elle est allée vraiment "Ad Augusta per Angusta".

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Souvenirs de Jacqueline Commenges sur Jurançon

5 Novembre 2013 , Rédigé par CC Publié dans #down.under

Le chanoine Hourcade décède en juin 1946. Tout Jurançon défile devant sa dépouille mortuaire en tenue de prêtre au presbytère (actuellement rue de Borja à l'époque ''rue des Écoles''). Le chanoine Hourcade et l'Église étaient au cœur de la vie de Jurançon. Jusqu'au début des années 1960 les enfants en défilé derrière le curé jetaient des roses en chantant des cantiques sur la place du Junqué aux rogations, et des processions avaient lieu entre l'église, le crucifix de l'actuelle avenue Charles-Touze (restaurant Ruffet), et celui de la route de Gan pour la Trinité, la Fête Dieu, la Pentecôte.


Côté laïque le directeur de l'école laïque des garçons (lieu de l'actuelle poste) est M. Canone, et la directrice de l'école des filles (à l'endroit de l'actuelle école maternelle) Mme Prat. Tous les matins ils faisaient hisser le drapeau au chant de "flotte petit drapeau", et amenaient les élèves au monument aux morts, les meilleurs élèves faisant l'appel aux morts de la guerre de 14. La place du Junqué (devant la mairie) pendant la seconde guerre mondiale était sillonnée de tranchées où pouvaient se réfugier les élèves des écoles en cas de bombardements.


Après la Libération, un centre d'apprentissage est construit en pré-fabriqués sur les terres du château Louvie (qui deviendra le collège Ernest Gabard). Dans les 1950 l'école Louis Barthou est construite derrière l'école des filles, entre la place du Junqué et la place du Bernet (quartier des laveuses au bord du Néez)

Au début des années 60 l'équipe de Pierre Gabard a fait aménager le stade de football (au croisement des actuelles rues Coubertin et Gaston-Cambot, sur le terrain de l'actuel EPHAD). L'ancien stade, lui, dépendait de l'Union jurançonnaise (patronage catholique) et se trouvait au lotissement Constance (autour de l'actuel carrefour entre l'avenue Henri-IV et la rue Alfred-de-Vigny). Le quartier du stade se développe. Auparavant il s'agissait seulement de champs (les terrains de Durand et de Rembès) et d'une saligue, traversée par des chemins vicinaux et par la rue du Gave (où se trouvaient l'horticulteur Lartiguet, la teinturerie Dallis et la tannerie Cabanne). Près de l'actuel restaurant Cabanne se trouvait l'usine de bérets Crosnier(dépendant de Laulhère à Oloron).


En 1967-68, les tripiers jurançonnais du bord du gave, Latapie, Camy et Cascaro sont expropriés pour la construction du pont d'Espagne qui crée un nouveau lien entre Jurançon et Pau parallèlement au pont du 14 juillet. En 1973, ouvre l'école Jean-Moulin installée sur d'anciens jardins ouvriers.

--- Jacqueline Commenges a toujours vécu à Jurançon depuis 1934. Son témoignage a été recueilli en 2013.

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Un blog plus personnel ?

11 Janvier 2012 , Rédigé par CC Publié dans #down.under

swing-carrefour.JPGJe pourrais faire un blog plus personnel, vous parler de "Paris" de Depardon, du "Président" de Jeuland, de ma conception du silence. Au lieu de cela j'ai fait un blog "professionnel", pubicitaire, avec mes interviews dans la presse, mes bouquins, juste quelques billets philosophiques au milieu pour faire chic. Un blog pas libre parce qu'il n'y a pas de liberté possible sur Internet quand on écrit sous son vrai nom. Pourtant l'envie de fiche en l'air le cadre de ce truc me travaille aujourd'hui.

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Entraves

28 Juillet 2008 , Rédigé par CC Publié dans #down.under

Mon travail (celui que j'exerce à titre principal, mon gagne-pain) m'empêche absolument de disposer du temps et de l'énergie nécessaires pour synthétiser tout ce que j'ai écrit, lu, appris depuis 15 ans. Condamnée à grapiller quelques minutes par ci par là pour écrire des articles ou des bouquins, ma pensée ne peut s'offrir le "luxe" d'une totalisation. Et je ne peux rien attendre de la rentrée qui vient, laquelle s'annonce plus dure et plus cruelle encore que les précédentes.

Tout est si différent d'il y a 12 ans quand j'ai pris mes fonctions.

Et je sais que nombreux sont les gens de mon âge (et sans doute davantage encore les plus jeunes) qui subissent la même logique, dans les administrations comme dans le secteur privé, et qui, peut-être moins persévérants que moi, ou moins chanceux, ont dû carrément renoncer à toute velléité d'écrire et de penser par eux-mêmes.

Afin d'exiger toujours plus de productivité des individus, on tue en eux l'innovation, la créativité. Ou l'on veut que l'innovation ne soit tournée que vers toujours plus de productivité, dans un cercle sans fin jusqu'à l'abrutissement final. A moins que l'on ne choisisse l'enseignement ou la recherche, où là - si j'ai bien compris - la pensée ne meurt pas d'un excès de productivisme, mais d'une sorte de démoralisation générale qui frappe de plus en plus ce secteur, et d'un complexe d'enfermement.

Enfin, si tout va bien, deux de mes livres paraîtront à la rentrée. Deux livres que je n'aurai sûrement pas le temps de faire connaître, mais publier reste un moyen de se prouver à soi-même que l'on existe encore... Les temps sont durs.

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Retour à la philosophie

13 Octobre 2007 , Rédigé par CC Publié dans #down.under

Les hasards des livraisons de Parutions.com me conduisent à revenir à l'activité humaine que je place depuis mon adolescence au dessus de toutes les autres, car elle est à la fois la plus subtile, la plus dérisoire, la plus vaine, et la plus a-temporelle (pour ne pas dire intempestive) de toutes : la philosophie.

Comme on le sait, j'ai publié il y a quelques années un travail sur la subjectivité chez Nietzsche. Une recherche qui m'avait occupé à vingt-deux ans. Non point ce que l'on fait de plus haut ni de plus difficile dans l'ordre de la pensée (car à ce moment-là comme aujourd'hui, je devais concilier la philosophie avec d'autres préoccupations plus terre-à-terre), mais il semble que ce livre ait malgré tout rendu quelques menus services à des esprits curieux intéressés par Nietzsche, notamment si j'en juge par la petite recension obtenue dans une revue canadienne, et même par un courrier récent que m'a adressé le responsable d'une revue en ligne française. Cet ouvrage n'eut que le petit mérite de mettre en regard les notions d'individualité et de subjectivité, qu'on n'avait guère coutume de faire dialoguer quand on parlait de Nietzsche. Cela allait si peu de soi à l'époque que mon directeur de maîtrise avait mis en doute la pertinence du choix : "Je ne suis pas sûr, avait-il dit, que l'on puisse parler de subjectivité à propos de Nietzsche". Je pense avoir pu montrer que l'individualité chez lui pouvait être pensée comme une machine de guerre contre la subjectivité. 

L'autre mérite de l'ouvrage était de mobiliser autour de cette problématique des ressources interprétatives variées qui allaient du nietzschéisme "de gauche" français (Deleuze, Derrida) ou anglosaxon (Stauth et Turner) jusqu'à Heidegger en passant par des lectures plus canoniques. 

Les faiblesses du livre étaient cependant aussi criantes hélas que ses vertus : elles tiennent tout entières, me semble-t-il, dans le manque de temps qui m'empêcha d'aller plus loin dans le "décorticage" du corpus nietzschéen, et dans l'explicitation des mises-en-perspectives que j'esquisse. Avec le bouddhisme par exemple : d'autant que le livre de Conche est longtemps resté épuisé - j'ai vu qu'il est réédité depuis février dernier et vais me précipiter dessus,car j'ai entendu récemment de très belles choses sur le bouddhisme, qui remettent en cause ce que je croyais en avoir compris.

Les lacunes de l'ouvrage apparaissent notamment si on le compare à une cathédrale comme Nietzsche et la critique de la chair de Barbara Stiegler (paru en 2005), mais dans un sens je me réjouis de n'avoir pas écrit un livre comme celui-là, qui presque trop subtil, et qui en outre tire Nietzsche vers beaucoup de rigorisme (tout comme d'ailleurs on tire de plus en plus Deleuze vers ces rivages aussi, presque dans un esprit de revanche à l'égard de mai 68, peut-être finira-t-on par faire de ces penseurs de véritables maîtres du zen). nietzsche-stiegler.jpg

Pendant plusieurs années, je n'ai jamais su trop quoi faire de cet ouvrage, Individualité et subjectivité chez Nietzsche, qui avait été un pharmakon de ma jeunesse puisqu'il m'avait tout à la fois aidé à affronter un complexe d'enfermement en moi-même et conduit à d'autres formes d'impasses. J'ai pensé à des comparaisons avec l'Islam (le mysticisme soufi par exemple), mais je ne suis pas sûr que le jeu en vaille la chandelle.

Or j'ai vu passer chez Vrin le livre collectif d'Olivier Boulnois, la Généalogie du sujet, sur les origines de la subjectivité moderne, et je me dis que ce peut être un complément utile à mes lectures nietzschéennes. Je me consacre donc à sa lecture.

Boulnois précise dans son introduction que la notion cartésienne de sujet que nous apprenons dans les livres d'histoire est en fait une invention de Kant. A bien se rémémorer la Critique de la Raison pure et les Méditations métaphysiques (que notre prof de philo, grâce lui en soit rendu, nous fit lire en début d'année de Terminale). On ne peut que lui donner raison.

Une fois ceci posé, reste à refaire l'histoire de cette identification du sujet au moi et à l'homme, et de toutes ces problématiques autour de la connaissance de soi, de la connaissance de Dieu, des actes, de la volonté, qui ont tant influencé la pensée moderne (y compris les sciences sociales, je pense aux passages de Philippe Raynaud sur l'histoire de la doctrine du verum factum aux origines de la sociologie compréhensive....).

Je commence avec Saint Anselme de Cantorbéry, le moine du Bec-Hélouin - ceux qui connaissent cette abbaye normande auront tout de suite mille sensations, et mille intuitions à l'évocation de ce terme. Anselme le noble inventeur de la "preuve ontologique" de l'existence de Dieu, dont les rationalistes tendirent à abuser. saintanselme.jpg

A se replonger dans les définitions de la substance chez Anselme, les nuances qu'elle présente par rapport à ce qu'en dirent Boèce, Augustin ou Plotin, on redécouvre un monde enchanté où l'on valorisait par dessus tout ce qui est stable et ce qui résiste. Nietzsche, le chantre du devenir, l'avait finalement bien vu quand il place sa critique du sujet sous cette thématique, en créant l'amalgame entre sujet et âme. Il était au plus près de cette généalogie, dont  l'ouvrage de Boulnois veut rendre compte.

Je me suis précipité sur mon libraire en ligne, ce soir, quand j'ai découvert la réédition du livre de Conche. Car je sais que les bouddhistes ont des choses intelligentes à dire sur cette problématique du devenir. Or la thématique de la subjectivité, ne peut pas être pensée sans elle. Affaire à suivre...
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L'art divinatoire

1 Septembre 2007 , Rédigé par CC Publié dans #down.under

Je lisais ce matin un bouquin remarquable de Robert Van Gulik sur la Chine ancienne - j'aurai l'occasion d'y revenir, je crois, sur ce blog. Je tombe sur un passage assez étonnant : la théorie du Yin et du Yang, si structurante dans les comportements quotidiens des Chinois tout au long des siècles,  serait le résultat des techniques divinatoires antiques. L'auteur justifie cette thèse en expliquant comment fonctionnait la lecture des tige d'achillée (ne m'en demandez pas plus, car tout cela reste assez obscur pour moi).

A regarder de près une bonne partie de la divination avait à voir avec la prévision des phénomènes météorologiques. Nos sociétés rationalistes ont oublié combien la prédiction du futur fut d'une importance considérable dans l'organisation mentale, politique et morale des sociétés anciennes. Songez par exemple qu'à Rome on n'ouvrait jamais des séances d'assemblées ou des délibérations instutionnelles de tous ordres sans consulter les augures, et ceux-ci avaient une influence considérable sur le moment de la prise de décision voire sur son contenu. En Perse tout dépendait de la divination mages, et cela a déteint sur les califats ensuite. En Afrique, chez les Indiens d'Amérique, la compétence divinatoire du sorcier était au centre de tout.

A vrai dire, encore aujourd'hui la capacité de prédire l'avenir est une vertu magique très recherchée, qui peut fonder le pouvoir politique. Les économistes tirent leur légitimité de leur capacité (revendiquée quoique parfois douteuse) à prévoir les effets d'un déficit budgétaire ou d'une hausse des prix. Et voyez comme certains intellectuels (Régis Debray, Emmanuel Todd) ont gonflé leur plumage dans les années 1990 en s'exclamant "Moi le premier, m'entendez-vous, j'ai prédit la chute de l'URSS, alors que personne n'y croyait". La science a assis son autorité sur son aptitude à prévoir la position et l'état des objets en fonction des modifications que des facteurs extérieurs leur imposent. Un art aux ambitions plus limitées que l'anticipation des grands phénomènes sociaux ou psychologiques, mais dont la modestie même s'est révélé plus payante en terme de gains de pouvoir sur le long terme - je pense à la phrase de Chomsky qui dit à peu près : je ne ne peux pas prévoir si un cancrelas va tourner à droite ou à gauche sur son chemin dans deux secondes, alors ne me demandez pas de prédire l'avenir politique d'une société.

Je suis en tout cas fasciné par cette demande de prédiction qu'expriment les populations humaines, aujourd'hui encore, notamment dans les couches sociales les plus fragiles. Une des illustrations les plus éclatantes du phénomène (sans parler de l'astrologie) est le succès de la météorologie à la télévision. C'est une réalité dont on est peu conscient à Paris - où beaucoup de gens se vantent de ne pas avoir de poste de télé - mais dans de nombreux pays les "monsieur météo" ou "madame météo", les weathermen comme disent les anglo-saxons, sont des héros. Avant-hier par exemple je regardais Eveline Dhéliat, dont les jambes presque sexagénaires en font rêver plus d'un dans les maisons de retraite de France et de Navarre, et qui, tous les soirs, culpabilise les petites gens en leur demandant d'éteindre les lumières quand ils quittent une pièce parce que cela gaspille l'énergie et réchauffe la planète (on ne l'a pas encore entendue condamner les grands groupes industriels et les sociétés de transport dont le rôle néfaste pour l'écologie excède de loin celui de nos interrupteurs électriques). Quelqu'un a-t-il idée du pouvoir de cette dame sur les esprits des masses françaises ?

Pourtant la météo ne sert vraiment qu'à un nombre limité de personnes dont le travail dépend directement du temps qu'il fait (les agriculteurs, les ouvriers du BTP). Pour la plupart, la seule utilité de son bulletin quotidien est de rassurer les gens sur la capacité qu'a acquise l'être humain de prévoir l'avenir, et donc d'une certaine façon, de se certifier à lui-même que le soleil se lèvera et se couchera, et que le monde ne sera pas un horrible chaos sur lequel il n'a aucune maîtrise. Dans la plupart des cas l'unique fonction de la météo est d'atténuer une angoisse socio-psychologique, de rassurer sur l'ordre des choses. Evidemment ensuite, les gens passeront leur temps à protester contre la météo qui "se trompe tout le temps" (et qui donc les trompe, comme les patrons et les gouvernants). Mais cela ne les empêchera pas de la regarder tous les soirs, et d'en faire le pivot des conversations entre voisins. "Ils ont annoncé du beau temps, c'est quand même une bonne nouvelle". C'est surtout une prédiction. Et donc, en soi, une bonne chose...

 

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Les Grecs bouddhistes

2 Juin 2007 , Rédigé par CC Publié dans #down.under

Je lis et relis sans m’en lasser L’art du Gandhara de Mario Bussagli (paru en livre de poche en 1996 l’original est de 1984). Je suis bien loin d’en tout comprendre, et d’en tout pouvoir retenir. L’érudition artistique et la science des religions peuvent faire système mais c’est toujours un système exotique pour un esprit occidental quand il s’agit de cultures orientales, et bien complexe quand s’enchevêtrent des héritages hétérogènes. 

Il faut simplifier le propos, à l’aide de la philosophie. Aller tout de suite à l’essentiel, aux enjeux pour l’espèce humaine, pour son intelligence d’elle-même. De quoi s’agit-il ? Un peuple grec, laissé là par les armées d’Alexandre. Nécessairement aventurier et courageux. Ce sont des soldats perdus dans un milieu étranger : de grandes civilisations, persanes et indiennes (il faut entendre par civilisations, des cives, des réseaux de villes) mais aussi des nomades, belliqueux menaçants. Ces Grecs sont donc en Bactriane, et en Inde (le Gandhara).

Ils composent des royaumes plus ou moins éphémères. Un de leurs rois, Ménandre, après la chute de l’empire maurya, règnera même sur le tiers de l’Inde.

Ces hommes, ces militaires – mais aussi des artisans, des administrateurs, des paysans – coupés de leur univers d’origine (la Méditerranée) par l’effondrement de l’empire séleucide et le royaume des Parthes (trait-d’union culturel entre les Grecs et l’Inde, mais aussi barrière politique pendant plusieurs siècles) conservent une culture : celle des dieux de l’olympe.

Mais pas seulement : ils échangent aussi avec les populations autochtones, et leurs voisins – de culture indienne ou persique – et sont influencés par eux. De ce point de vue leur art, est un syncrétisme intéressant d’hellénisme et « d’autre chose », comme l’est l’art de Palmyre entre hellénisme et culture persane (Veyne en parle magnifiquement) et peut-être Olbia entre culture grecque et scythe, ou Massilia entre culture grecque et gauloise (mais ce sont des sujets que je connais moins).

Tous ces syncrétismes de cultures de troupes coloniales coupées de la mère-patrie sont toujours ethnologiquement intéressants. Qu’on songe aux Espagnols créolisés d’Amérique du Sud, aux Français d’Algérie, aux Russes d’Extrême-Orient. Comment se font les mélanges ? sur quelle base ? que prend-on ? que conserve-t-on ? Pourquoi tel héritage est-il conservé, l’autre abandonné ? quel principe organise le compromis ? Dure tâche de l’archéologue quand il s’agit de comprendre tout cela à partir de faibles indices. Risque de dérive subjective : l’imaginaire personnel, les présupposés académiques aussi – les peuples de cette époque étaient-ils si savants que l’érudit qui tente de les comprendre ? l’étaient-ils de la même façon ?

A ces problèmes de relations interculturelles s’ajoute au Gandhara et en Bactriane, un enjeux religieux colossal : ces Grecs sont devenus bouddhistes !  Le vocabulaire académique nous égare. On parle d’art gréco-bouddhiste, comme s’il s’agissait d’un mélange d’une culture grecque et d’une culture bouddhiste. Ca n’a pas de sens ! C’est de l’art grec bouddhiste. Car ce sont des gens de culture principalement grecque – quels que soient les compromis passés avec les cultures de la zone – qui ont adopté une doctrine (et non une autre culture), universelle (même si en son principe elle parlait la langue d’Inde du nord) : la culture bouddhiste.

Belle victoire d’Asoka et de ses décrets publiés aux quatre coins de l’Empire maurya et gravés dans la pierre au III ème siècle avant Jésus-Christ. Grâce au « Constantin du bouddhisme », les descendants des soldats d’Alexandre ont adhéré à la philosophie de l’Illumination. Ils seront même les artisans de sa conservation, tout comme le sera l’île de Ceylan après que l’effondrement de l’empire maurya ait abouti à la restauration du pouvoir brahmanique en Inde du Nord – tout comme aussi, si l’on veut, les Irlandais et les barbares francs seront les acteurs de la conservation du catholicisme quand les hordes de Goths ariens se seront jetés sur l’Empire romain d’Occident.

Disons les choses clairement : je ne comprends rien au bouddhisme. Depuis des années je lis des ouvrages à son sujet – y compris celui que lui consacra Borges –. Ils me tombent des mains. Mais le phénomène m’intéresse, en tant que révolution spirituelle qui, comme le zoroastrisme ou le confucianisme, semble avoir apporté beaucoup de choses nouvelles à beaucoup de gens, et entraîné pour eux des changements irréversibles. Plus précisément j’ai tendance à voir le bouddhisme à travers les yeux de Nietzsche. Donc je le considère, à l’instar du catholicisme, comme une vaste révolution, potentiellement très égalitariste (puisqu’elle refusait le système des castes) et largement inspiré par le refus de la vie (identifier le désir et la volonté à la souffrance, n’est ce point le principe du nihilisme, dont Schopenhauer fit son miel ?). Peut-être est-ce une lecture trop wagnérienne, et trop allemande. Je ne sais. Je suspens mon jugement sur des subtilités du genre « le Nirvâna est-il le néant ? ».

En tout cas le bouddhisme a visiblement impressionné beaucoup de monde, et donc il m’impressionne à ce titre. Je suis toujours aussi sensible au fait qu’une doctrine si philosophique puisse toucher à ce point les masses. Le spectacle du renoncement – avec ses cohortes de moines et d’ascètes – frappe toujours les imaginaires (Veyne a raison sur ce point : peu de gens sont des religieux et des esthètes mais une majorité sont toujours sensibles aux grands déploiements de foi ou de virtuosité artistique que déploie une minorité). Il frappe aussi le mien, en un sens, indépendamment même du fait qu’il ait rallié des foules immense à sa cause. Ces décrets d’Asoka, précisément, qui proclament aux quatre coins de l’empire – et dont Asoka fit porter le texte en Egypte et en Grèce – qu’on ne mange plus de viande à la table du grand roi, sauf quelques paons de temps en temps, et qu’on a construit des hôpitaux pour les pauvres et pour les animaux. Tout cela ne peut pas vous laisser de marbre, même si vous n’y comprenez rien.

Donc les Grecs du Gandhara et de Bactriane, eux, y ont compris quelque chose. Ils sont devenus ardemment bouddhistes, tout comme le seraient peut-être devenus ceux de la Méditerranée si les ambassades d’Asoka avaient atteint Alexandre Magas et Ptolémée, si elles ne s’étaient perdues en cours de route (auquel cas nous serions aujourd’hui tous e Europe bouddhistes et non chrétiens).

Voilà qui est passionnant vraiment. Ces gens se sont mobilisés pour la doctrine de l’Illuminé. On peut imaginer qu’eux aussi construisirent des monastères et des hôpitaux pour les animaux, ce qui ne les empêcha pas de continuer à guerroyer et à conquérir des royaumes (comme nos bons rois chrétiens poursuivirent les massacres).

Ils furent manifestement de fervents serviteurs de la Cause, aussi endoctrinés que les protestants d’Amérique à leur descente du May Flower. Et, forts de leur savoir-faire en représentation d’Apollon et d’Hermès, ils prirent sur eux la lourde responsabilité d’établir la première représentation humaine du Bouddha.

Une initiative insolite, aux conséquences multiples, pour ces Grecs tout d’abord, puisque pendant plusieurs générations leurs royaumes allaient être remplis d’icônes de l’Illuminé – et faire l’objet d’une vénération fétichiste –, pour l’ensemble de l’Asie ensuite puisque leurs statues, imitées, recopiées, déformées, allaient devenir le support de la diffusion de cette doctrine dans tout le sud du continent et au-delà.

Toute la science de Bussagli est précieuse à ce sujet concernant les raisons proprement dogmatiques – directement déduites du corpus canonique du bouddhisme – qui ont conduites à ce choix, éclairées par des raisons plus proprement ethnologiques, ou héritées d’un corpus canonique hétérogène, celui de l’héritage grec. M’intrigue beaucoup notamment ce que dit Bussagli de Philon d’Alexandrie à propos de son égalité : anthropos = logos. Elle aurait joué un rôle dans le choix de représenter le Bouddha. Mais de quelle manière puisque Philon est postérieur à l’invention de cette iconographie ? L’égalité serait-elle inhérente à la façon de voir des Grecs ? voilà qui m’intéresserait car voilà plusieurs mois que j’essaie de penser la singularité grecque en faisant abstraction du fait que j’en suis l’héritier (au même titre que tous les Occidentaux de notre époque). C’est aussi ce que tente de faire François Jullien dans son dialogue avec la Chine, plus précisément dans son livre Le nu impossible, pour qui toute la culture grecque (notamment sa métaphysique) dériverait de sa représentation de la nudité masculine. Au fait, pourquoi les descendants des soldats d’Alexandre n’ont-ils jamais représenté le Bouddha nu ? J’ai mille questions en réserve d’ailleurs sur cette affaire de nudité. Je lisais sur je ne sais plus quel forum américain sur Internet récemment que les artistes du Gandhara, puis les Indiens qui recopiaient les modèles grecs, ont adopté le nu grec masculin, pas le féminin. Pourquoi ? Je repense à Praxitèle. La révolution que représenta son Aphrodite nue. Révolution inspirée des Perses dit Bonfante. Pourquoi cela ne plut-il pas aux Indiens qui pourtant ont des déesses nues ? Après tout peut-être les gens de ce forum qui ne citaient aucun ouvrage disaient-ils n’importe quoi.

Donc revenons à ces Grecs convertis par Asoka et sa secte bouddhiste devenue religion d’Etat. On dit que leur idée de représenter le Bouddha s’inscrit dans le développement du Grand véhicule (la définition d’un bouddhisme exotérique, populaire, que Bussagli relie au fait qu’on demandait de plus en plus aux moines de faire acte de magie et de lire dans les astres – Veyne rappelle aussi que les succès des chrétiens en matière de thaumaturgie à Rome fut beaucoup dans leur prestige auprès des gens ordinaires). Je me demande si leur grande ferveur religieuse ne fut pas, au bout du compte, la clé du dynamisme de leur culture pendant plusieurs siècles. Veyne dit dans son dernier bouquin que Constantin, parce qu’il était un grand empereur, avait besoin d’une grande religion, et que ce fut la raison de sa conversion : sa mégalomanie. On peut penser symétriquement que les descendants des troupes d’Alexandre, parce qu’ils héritaient d’une grande culture, eurent besoin d’une grande doctrine, universaliste, révolutionnaire et sotériologique, comme le bouddhisme pour perpétuer leur énergie et leur singularité loin de l’Heimat originel – et sans anabase possible…

Tout cela est assez fascinant, et l’on regrette surtout qu’il ne reste plus aucun texte pour témoigner de la vision et des projets de ce peuple de pionniers convertis. Seules les statues et les fresques nous en parlent, par le truchement des érudits qui en décryptent le message.

Bussagli, pour nous conforter dans notre intérêt et notre admiration, souligne que les Romains tenaient en grande estime la religiosité des Grecs de Bactriane et du Gandhara (comme celle des Juifs au même moment – certains faisaient d’ailleurs le lien entre les deux) auquel Plotin aurait voulu rendre visite – après d’autres philosophes – et auquel les premiers textes chrétiens font aussi référence (car il y aurait eu une évangélisation aussi, partielle, de cette contrée). On peut concevoir qu’il s’agissait donc bel et bien d’un de ces hauts lieux de prédication qui contribuèrent fortement au progrès moral de l’humanité. Je trouve vraiment cela très intriguant.

Je ne puis enfin, pour terminer, m’empêcher de songer à l’Islam qui a recouvert tout cela – et qui dans sa version très récente fit sauter les statues géantes de Bouddha en Afghanistan, mais c’est la partie la moins intéressante du questionnement – comme il a recouvert les grands centres de religiosité chrétienne de Syrie, d’Egypte et du Maghreb (sans aucun conflit apparent comme le note Veyne). Dans quelle mesure s’est-il nourri de cette effervescence spirituelle du passé ? Peut-être ne s’est-il installé au nord de l’Inde qu’alors que les cendres de cette prédication étaient déjà tout à fait refroidies, et que, « Rome n’étant plus dans Rome », le Volksgeist du bouddhisme grec de Bactriane et du Gandhara s’était déplacé plus à l’Est en Asie (au Tibet par exemple).

Je ne sais pas. Ce serait une question à creuser.

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