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Articles avec #christianisme tag

La solitaire des rochers

26 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

On trouve dans une bibliographie générale de 1856 "La solitaire des rochers ou correspondance de Jeanne-Marguerite de Montmorency avec le RP Luc de Bray son directeur 3e édition" en deux volume, publié chez de Périsse avec des notes de l'abbé Dabert, vicaire général de Viviers. Le Tome 1 du livre est accessible ici.

Bernard Duhoureau dans "Guide des Pyrénées mystérieuses" (1985 eds Sand) se fit l'écho des doutes d'Eugenio d'Ors dans Du Baroque (Gallimard 1968) sur l'authenticité de ces lettres diffusées dans l'entourage de Mme de Maintenon, épouse secrète de Louis XIV, et publiées bien plus tard en 1787, relève cependant que des détails de cette correspondance montrent qu'elle était vraiment écrite dans les Pyrénées. Selon un biographe anonyme (peut-être le dominicain janséniste Nicolson), il s'agirait de Jeanne-Marguerite de Montmorency, car cette grande famille avait bien perdu une enfant de ce nom en 1661, qui avait 15 ou 16 ans. C'est son confesseur, cordelier curé de la Trinité à Rochefort près de Versailles (décédé en 1699), qui lui recommanda cette retraite à la manière de Marie l'Egyptienne dans les Pyrénées, après que, dans un premier temps, l'adolescente eût seulement songé à se perdre dans le menu peuple à Paris puis chez un menuisier à Auxerre dont elle apprit l'art. De Bray lui imposait de lui écrire tous les trois mois.

Les lettres originales sont perdues. En 1998 un certain Noël Gardon dans le Bulletin de La Diana (Loire) précise que l'ermitage de cette femme ne pouvait être dans le Forez car il y est question d'ours (elle même portait un écureuil sur son épaule)  et d'une grotte souterraine grande comme une cathédrale, ce qui oriente vers les Pyrénées.

"Dans sa quinzième lettre commencée le 29 novembre 1697 et terminée le 6 avril 1698, elle explique que son désert est charmant, avec des fleurs en tous temps, beaucoup de fruits sauvages du chèvre-feuille toujours fleuri. Il n'y a pas de bêtes féroces, seulement d'énormes serpents qui ne lui disent rien mais qui éloignent les habitants du pays. C'est dans cette lettre qu'elle demande la permission d'aller faire un pélerinage à Notre-Dame-de-Mont-Serrat. Dans la lettre suivante elle raconte son voyage à Mont-Serrat qui, d'après son récit, se trouve à trois jours de marche de son second ermitage. "  Elle précise qu'elle n'est alors plus en France. C'est donc en Espagne. D'après l'auteur, en novembre 1697 elle pourrait être à Saint Chignian dans l'Hérault. Ils e peut que dans sa vie elle ait erré entre l'Aude et l'Ariège.

Bernard Duhoureau rappelle que les ascèses dans les Pyrénées sont fréquentes. Mlle de Montpensier et Mme de Longueville hébergées au château de Beaucens dans la vallée d'Argelès avaient conçu le projet de faire de même, avant de se raviser.

L'histoire de la jeune fille a quelque rapport avec celle de l'affrontement Fénelon/Bossuet dont on a parlé ici en 2019.

Le RP jésuite moderniste provençal Henri Brémond (mort en Béarn en 1933) s'était penché sur cette dimension dans Le Correspondant de 1910. Brémond est tenté de ne voir dans l'affaire de la Solitaire des Rochers qu'une supercherie du confesseur, mais se retient d'aller jusque là du fait que l'historien du jansénisme, Augustin Gazier (1844-1922) croyait à son authenticité (selon un article de l'Univers du 25 janvier 1904, article signé par l'abbé Delpode Gazier l'appelait Jeanne-Marguerite de Caylus et la possibilité qu'elle soit une "de Caylus" figure ici aussi, MMe de Caylus était une proche de Mme de Maintenon).

Il est plein d'ironie à l'endroit de l'ascète et écrit : "Des centaines de saints et de saintes sont allés beaucoup plus loin sur la route du renoncement. La solitaire tourne indéfiniment sa crécelle à chaque fois qu'elle va prendre la discipline. Quand il lui prend fantaisie de jeûner, Versailles est avertie de ce prodigieux événement. Les vrais saints font moins de fracas". Il doute de certains de ses témoignages comme celui-ci : "Il y a beaucoup de neige dans ce pays-ci; mais afin qu'on ne connût point mes pas, j'avais attaché par-dessous les semelles, à une méchante paire de souliers, des écorces d'arbres faites en forme de pied de biche, en sorte qu'il est impossible de connaître qui y avait passé."

Il est aussi sceptique devant ce genre de récit "Je me suis ressouvenue d'avoir vu, un dimanche, un cheval mort; j'en fus chercher la tête et la moitié du cou; je fis une fosse dans le sable, je me mis dedans de tout mon long et j'attirai sur moi cette carcasse qui ne sentait pas trop bon. "

Il trouve l'anecdote contradictoire avec le fait qu'elle écrive un peu plus loin : " Je n'ai pu, un jour, communier, ayant été obligée de boire la nuit, tant j'avais la poitrine échauffée, en partie, par la chaleur des chèvres qui ont une vilaine odeur qui affadit le coeur, et deux autres fois je ne pus prendre la discipline, parce que ces animaux se mirent tellement à crier, que cette femme crut que je les battais ou que je voulais les têter." Le RP Brémond observe que c'est bien la première fois qu'un "saint" peut refuser la communion à cause des odeurs de chèvres.

Fénelon, accusé de quiétisme, rappelle-t-il, avait avec lui les Jésuites (qui pourtant avaient condamné le quiétisme de Molinos), et contre lui non seulement Bossuet, mais aussi les jansénistes. Or les lettres de la sainte comprennent des "éléments de langage" empruntés au jansénisme. Par exemple lorsqu'elle déplore que le roi n'ait pas de bon conseiller spirituel (une attaque contre le Père La Chaise), ou critique le RP Guilloré (un adversaire de son confesseur). Le confesseur provoque à dessein et en des termes grossiers dès sa deuxième lettre de 1693 des prises de position de la sainte sur le quiétisme : "Demandez à Dieu, je vous prie, s'il est glorifié d'une dévotion qu'on appelle intérieure, sans agir ni prier" (ce qui caricature le quiétisme). Il l'informe aussi des "choses infinies mais bien abominables de Mme Guyon". A quoi la sainte répond l'année suivante : "Je prie le Seigneur que les évêques et les savants puissent connaître jusqu'où peut aller toute la malice et la contagion du quiétisme, afin qu'ils y remédient. Il est temps que le Seigneur y mette la main". Les critiques des positions quiétistes se font de plus en plus dogmatiques sous la plume de la gyrovague, et le RP Brémond qui les prête sans hésiter à De Bray  ou à quelque autre scribe de son clan, les trouve aussi vulgaires que les fantasmes sexuels (notamment saphiques)  que la sainte est censée avoir au contact du démon.

Tout cela sent le mauvais roman, estime l'auteur jésuite, même s'il y a peut-être eu réellement au départ une jeune ascète et quelques lettres d'elle (recopiées plusieurs fois et modifiées). Mme de Maintenon, crédule (qui aurait d'ailleurs hérité d'un crucifix sculpté par la sainte après la mort du RP De Bray, avant qu'il ne devînt propriété des Dames du Sacré Coeur d'Amiens), s'y sera laissée tromper, pour le plus grand profit des adversaires de Fénelon.

Avant Brémond, le jésuite belge François-Xavier de Feller (1735-1802) dans son Dictionnaire Historique de 1818-20 avait présenté l'éditeur des lettres de 1787 comme un "des plus fanatiques saltimbanques de Saint-Médard" et citait la phrase de l'abbé Bérault selon laquelle pour les jansénistes "c'eût été effectivement un beau sujet de triomphe qu'une jeune Montmorency, qui se dérobe  toutes les grandeurs du siècle, et va s'enterrer dans un désert inconnu, pour s'y faire janséniste. Mais qui serait assez dépourvu de bon sens pour croire à cette chimère ?" Cependant il estimait qu'on peut trier le bon grain de l'ivraie et trouver dans ses lettres le témoignage d'une réelle pureté de coeur de la Montmorency pénitente, ce que soulignaient aussi les revues catholiques des années 1840. L'article de Brémond en tout cas convainquit le spécialiste de Rousseau Pierre-Maurice Masson (1879-1916).

L'histoire souligne à nouveau le problème de  l'intermediation entre le/la mystique et son confesseur pour savoir ce qu'il se passait vraiment...

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Sainte Catherine de Ricci et le souvenir de Savonarole

19 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète

Catherine de Ricci (1522-1590) est une enfant de banquier florentin. En 1535 (à 12 ans) elle intègre le couvent de Saint-Vincent fondé en 1505 par de neuf filles spirituelles (de bonne famille) du prédicateur et réformateur républicain Savonarole mort en 1898 qui avait prophétisé cette sainte action (tout comme il avait prophétisé la destruction du monastère voisin infidèle de Sainte Catherine qui fut pillé par la soldatesque quand Charles Quint rendit Venise aux Médicis).  Le P. Bayonne fait un portrait touchant de ces nobles moniales et de leur piété, en reprenant le témoignage de Serafino Razzi qui fut confesseur à Saint-Vincent en 1591, un an après la mort de Ste Catherine de Ricci, et sexagénaire, fut très scrupuleux dans sa façon de recueillir les témoignage des anciennes.

Catherine de Ricci d'une nature très délicate, et par ailleurs très sujette aux évanouissements qui étaient en réalité des extases, fut assez isolée au début dans ce monastère.

Au mois de mars de l’année 1538, à l’âge de seize ans, elle fut tout à coup "assaillie par une maladie des plus graves et des plus singulières par ses complications. C’était à la fois une affreuse hydropisie qui envahissait tout son corps, les douleurs delà pierre qui lui déchiraient les reins, un asthme des plus violents, qui semblait à chaque instant lui refuser le souffle nécessaire à la vie, et enfin une fièvre ardente et continue. Une seule de ces maladies, avec son degré d’intensité, eût suffi pour la condamner à de cruelles souffrances et la conduire en peu de temps aux portes de la mort."

Ce supplice lui fut infligé sans interruption, sans le moindre relâche, pendant deux années consécutives. "Les médecins, que le caractère inouï du mal avait déconcertés dès le premier jour, le furent bien davantage, quand, en dépit de tous leurs efforts combinés, il se montra obstinément rebelle à tous leurs remèdes"

Après avoir invoqué divers saints pour elle, les nonnes font un voeu à Jérôme Savonarole à l'anniversaire de sa mort sur le bûcher. Ses cendres avaient été versées dans l'Arno sur ordre du pape, mais les religieuses en avaient conservé un peu, ainsi que des objets qui lui avaient appartenu. "Elles récitaient des prières devant ces reliques bénies, honoraient ses images , l’invoquaient avec confiance, et tous les ans célébraient le jour de sa mort comme la fête de sa nativité dans le ciel."

Sainte Catherine s'associe au voeu de ses soeurs pour obtenir sa guérison avant sa fête, qui était dans trois jours.

"Le 23 mai, veille du dernier jour, qui, cette année, était la veille de la Sainte-Trinité, elle avait demandé de demeurer seule dans sa cellule, afin dé prier ses saints avec plus de ferveur. Voilà que vers les quatre heures du matin , s’étant approchée du petit autel où se trouvaient leurs reliques, épuisée de fatigue, elle y appuya ses bras et sa tête, et s’endormit. « Alors, dit la chronique du couvent, trois frères, revêtus de l’habit de Saint-Dominique, lui apparurent environnés d’une grande splendeur, et celui qui était au milieu paraissait porté dans un nuage éclatant. Sœur Catherine, s’adressant à  celui-ci, lui dit : « Qui êtes-vous ? — Quoi, lui répondit le Frère, est-ce que tu ne me connais pas?  — Non, Père, dit Catherine, je ne vous connais « pas ! — Mais à qui demandes-tu ta guérison? répliqua-t-il. — Au frère Jérôme, répondit-elle « aussitôt.—Eh bien! c’est moi qui suis frère Jérôme et je viens te guérir. Mais avant promets-moi « d’obéir toujours fidèlement à tes supérieures et à ton confesseur, et puis d’aller te confesser ce matin pour faire la communion. Là-dessus, il fait un grand signe de croix sur elle, et elle se trouva parfaitement guérie. Effrayée d’abord d’une si subite et si grande transformation, sa frayeur disparut bientôt pour faire place à une immense allégresse et une vive reconnaissance envers Dieu . » Ce prodige est resté comme un des plus mémorables événements du monastère, à cause de la gloire du bienheureux Jérôme et de ses compagnons qu’il consacre d’une manière si éclatante. Il eut aussi pour résultat immédiat de modifier sensiblement l’attitude des sœurs vis-à-vis de notre sainte. La vertu héroïque qu’elle avait déployée dans cette longue maladie, et la protection merveilleuse du Ciel dont elle venait d’être l’objet, ne leur permettaient plus de la juger aussi défavorablement. Elles commencèrent à concevoir des doutes sur la nature de ses évanouissements et de ses sommeils, et à se dire que derrière ces apparences vulgaires pourraient bien se cacher des réalités d’un ordre supérieur."

A la Noël 1540 (elle a 18 ans) Savonarole lui apparaît encore amenant avec lui la Vierge Marie portant l'enfant Jésus. Les reliques de Savonarole produisirent encore d'autres miracles notamment en janvier 1541 en soignant une religieuse. Catherine avait aussi des visions de St Thomas d'Aquin, de Saint-Vincent-Ferrier (grandes figures de l'ordre dominicain).

Pour le deuxième anniversaire de sa guérison la nuit précédant le 23 mai 1542 elle a à nouveau une apparition de Savornarole qui l'amène à Jésus avec toutes les soeurs du couvent. Je passe ici les passages sur l'union mystique de Sainte Catherine à Jésus, ses stigmates etc.

"Le tribunal du Merveilleux" de Yvonne Chauffin et Marc Oraison, livre d'inspiration catholique mais enclin à rationaliser, dans les années 1970, les excès des mouvements charismatiques relativise un peu les témoignages des moniales dans monastères, à propos de la congrégation récente de soeur Yvonne-Aimée de Malestroit, ce qui vaut aussi sans doute pour les témoignages recueillis par Serafino Razzi. Et il faut prendre en compte aussi ce que disait le psychologue Boris Cyrulnik il y a 5 ans dans une conférence ici de la complexité du phénomène des extases.

Cependant on ne peut pousser le scepticisme jusqu'à penser qu'il ne se passait "rien" au couvent de Saint-Vincent, et ce qui est intéressant c'est que ces prodiges émanaient d'une figure dont le pape refusait de reconnaître la sainteté (à la différence par exemple de Philippe de Néri) à cause de son engagement supposé avoir été trop loin dans le sens de l'égalitarisme démocratique (et de l'anticapitalisme, si l'on veut utiliser un vocabulaire plus actuel). On a vu dans mon livre sur Lacordaire que les débats sur Savonarole ont pris une nouvelle tournure au XIXe siècle quand s'est posée la question d'un catholicisme républicain (le P. Bayonne y fait référence au début de son livre). L'Eglise a essayé de dire, tout en canonisant Catherine de Ricci, que celle-ci n'était liée qu'à l'enseignement moral de Savonarole (qui avait réalisé des exploits pour la réforme des moeurs et de la pratique religieuse de la bourgeoisie et du prolétariat florentins) et non à son engagement politique, mais séparer action politique et oeuvre morale chez ce prédicateur est assez arbitraire. Et, du coup, il y a là matière à interrogation sur ce que cette histoire dit de la mission politique du christianisme dans la société.

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La conversion de Liane de Pougy

14 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Sainte-Baume, #Christianisme, #Anthropologie du corps

Feu l'académicien Jean Dutourd, dans "La Chose Ecrite" (2009, p. 137) sous le titre "Marie Madeleine" nous décrit Liane de Pougy (Anne-Marie Chassaigne) qu'il resitue dans l'histoire des grandes courtisanes françaises dont il cite le nom et dans le contexte sociologique de celles des années 1900, qu'il cite aussi (Emilienne d'Alençon, Lina Cavalieri, la Belle Otero, Cléo de Mérode, les trois dernières n'étaient pas françaises, ce qui fit de Liane une gloire nationale) et dont il précise que son père, chirurgien parisien au début du siècle les avait aperçues chez Maxim's dans leur armure de "cuirassiers du plaisir" selon le mot de Cocteau qui les avait connues. En 1910, à 41 ans, elle avait abandonné sa fonction de cocotte, un an plus tard elle commence à écrire ses Cahiers bleus, un journal (dont Dutourd compare le style à celui de Morand), qu'elle allait léguer au père dominicain de la Sainte-Baume Rzewuski, ancien illustrateur de mode converti sous l'influence de Maritain en 1926, ami d'André Chouraqi etc.

Dans son "Nos Belles Mondaines" en 1895 le journaliste Gaston Bonnefont nous la dépeint à 26 ans dans son environnement ordinaire fait de luxe et de volupté. Le préfacier de ses Cahiers bleus allait décrire l'intérieur de son âme différemment comme "maladivement sensible et susceptible. Prompte à céder à des engouements et aux amitiés, elle l'est aussi pour qu'un rien puisse en causer la rupture".

Quarante-huit ans (en 1943) plus tard cette fille d'un capitaine des lanciers en retraite deviendra dominicaine tertiaire.

L'itinéraire de sa conversion dans les années 20 se nourrit de celui d'un autre bisexuel mondain devenu mystique, le poète Max Jacob, exilé au monastère vide de Saint-Benoît-sur-Loire, pour qui elle tricote des chaussettes et écharpes rouges. "Pourquoi ne deviendriez-vous pas une sainte ? Vous en avez l'étoffe", lui avait-il écrit. Jean Chalon qui a été le préfacier de leur correspondance (et l'auteur de biographies de femmes illustres) juge que "Max Jacob rencontra en sa princesse une pénitente de choix" et fut comme son directeur de conscience, ce qui est sans doute un peu exagéré.

A vrai dire dans le début de ses Cahiers bleus, en 1919 c'est plutôt elle qui se sent plus catholique que lui, car elle lui reproche d'avoir écrit dans "La Défense de Tartuffe" qu'il a eue une "sacrée apparition" de Jésus au lieu d'une "apparition sacrée".

Il semble que son mari Georges Ghika (1884-1945), prince roumain, fils d'ambassadeur, ait joué un rôle dans le cheminement chrétien de sa femme, comme de Max Jacob, ce dernier écrivant en août 1921 : "Georges m'a aidé dans ma marche vers la perfection en me donnant l'exemple des vertus chrétiennes, de l'éducation chrétienne, de l'esprit raffiné chrétien, de la réserve, de la dignité, de l'excessive modestie qui sont le christianisme même. Il est un Seigneur chrétien de l'histoire".

Les rapports avec Max Jacob furent en dent de scie comme avec tous ses amis avec qui elle rompait facilement pour se réconcilier avec eux tout aussi vite.

Le dominicain Alex-Ceslas Rzewuski, lui, avait rencontré Liane vers 1924 chez Mme Ganna Walska, chanteuse d'opéra américaine d'origine polonaise, épouse du magnat Mc Cormick.

Il raconte en ces termes ses premières impressions sur le couple Ghika :

"On se mit à table. Je fus placé à la gauche de la maîtresse de maison dont la place d'honneur, à sa droite, fut occupée par une curieux personnage qui attira mon attention. Petit, le teint basané, je le pris pour quelque Américain du Sud, bien que son élégance ne manquât point d'une certaine distinction tout en gardant un léger caractère inquiétant.

Ma voisine de gauche était une ravissante personne. Très élégante, elle était vêtue d'un strict tailleur gris perle, de coupe classique et anglaise. On l'aurait facilement prise pour une lady arrivée d'outre-Manche si son joli chapeau, du même ton que son costume, ne lui avait apporté quelque chose de raffiné et très parisien.

Pouvait-on lui donner un âge ? Difficilement ; mais, malgré la souplesse de sa silhouette la parfaite beauté de ses traits, il me semblait qu'elle n'était plus d'une première jeunesse. Peut-être, me disais-je, avait-elle entre cinquante-cinq et soixante ans. S'il en était ainsi, elle les portait fort allègrement bien. Son parfait profil d'un antique camée, la beauté de son regard et le charme de son sourire n'avaient encore subi aucun des outrages du temps; Oui, ce sourire ! Il était certes bien joli et pourtant, sans atténuer la discrétion de l'ensemble de sa personne dont émanait une réelle distinction, il y avait en lui quelque chose d'indéfinissable, d'indéniablement équivoque, aux limites du "canaille".

L'échange aimable de banalités qui permet de découvrir l'identité d'une personne que l'on ne connaît pas et avec qui on voudra s'entretenir tout le long d'un grand repas me fit comprendre - car elle me parla aussitôt du voisin de droite de Ganna Walska comme de son mari - que ma charmante voisine n'était autre que la très célèbre courtisane de la fin du XIXe et du commencement du XXe siècle. Je compris aussi que le mystérieux monsieur auquel le protocole avait réservé la première place à la table était le prince roumain qu'elle avait épousé depuis quelques années, Georges Ghika".

Pendant la seconde guerre mondiale, Liane de Pougy et son mari Georges Ghika se réfugient en Suisse. Rzewuski, devenu dominicain en 1926 et directeur spirituel d'un séminaire international de son ordre à Fribourg, se rend parfois à Lausanne, rendre visite à une cousine paralysée à la clinique de Bois-Cerf tenue par des religieuses françaises. Alors qu'il s'apprête à prendre l'ascenseur dans cette clinique en froc blanc dominicain, il est interpellé par le prince Ghika car Liane (qui portait lorsqu'il a croisé le couple quelques jours plus tôt, un manteau de vison et un petit chapeau recouvert de longs voiles - ce qui ne fait pas très tertiaire dominicain) l'a reconnu lors de leur précédente rencontre et a mandé son mari pour le solliciter. Elle est maintenant alitée dans une chambre de la clinique presque tout le temps, mais souhaite le revoir.

Pendant cinq ans il allait tantôt déjeuner avec le couple dans la salle à manger de Bois-Cerf, tantôt la voir dans sa chambre dans son lit où tout était bleu pâle, "en l'honneur de la sainte Vierge à qui dès sa naissance sa mère l'avait consacrée".

"Peut-être sa figure s'était-elle légèrement émaciée et comme allongée, ce qui lui conférait quelque chose de serein et même d'un peu sévère. Etendue sur son lit, elle ne perdait rien de son élégance de jadis. Lorsqu'elle était assez bien pour déjeuner à la salle à mange, elle y venait de sa belle démarche souple de jadis, peut-être un peu ralentie, en s'appuyant légèrement au bras de Georges".

Bizarrement, alors que Max Jacob trouvait Georges très chrétien, Rzewuski le qualifie d’agnostique ("malgré son agnosticisme, Georges m'a toujours manifesté de l'amitié". Il précisera que Liane le décrivait comme "dégénéré, voire anormal et hystérique" (en 1919 elle disait qu'il est "un ange, un amour, un tout petit exquis, un vieux sage, un morne philosophe, un érudit etc. On lui reproche d'être... trop beau"). Il lui aurait empruntée un jour une de ses petites amies, ce qui allait inverser ensuite sa culpabilité à son égard d'avoir été une ancienne prostituée. Son agnosticisme est assez cohérent avec ce que Liane dit de sa belle-mère, qui avait seulement dix ans de plus qu'elle, qu'elle "ne croit ni à Dieu ni à diable, le crie tout haut".

Rzewuski la jugea digne de prendre le froc noir et blanc du tiers ordre de Saint-Dominique, ce qu'elle fit à la chapelle de la clinique. Elle récita après ça chaque jour comme le lui imposait la règle le petit office, le chapelet, la lecture de l'Evangile. Elle s'enthousiasma pour la lecture de L'imitation de Jésus-Christ de Thomas a Kempis dont elle lisait chaque jours un ou plusieurs chapitres. Son mari se plaignait qu'elle restât encore capricieuse et versatile, mais elle était devenue plus sereine et patiente.

Le dominicain jettera ce regard rétrospectif sur sa conversion . "On a souvent parlé et écrit à son sujet comme d'une conversion ? Etait-elle vraiment une convertie à l'instar d"un Saint Paul, d'un Saint Augustin, d'un Pascal, ou, de notre temps, d'un Claudel, des Maritain ? Ce serait plutôt à une Marie-Madeleine que son passé et son présent me font penser (...)

Dès son enfance Liane avait toujours eu la foi. Elle l'eut dès sa naissance entourée de sa pieuse famille. Adolescente, les bonnes soeurs de son pensionnat breton où ses parents l'avaient placée l'astreignirent aux pieux exercices de son temps et de son milieu : leçons du catéchisme, du chapelet et dévotion bretonne à Sainte-Anne-d'Auray.

On y prit soin aussi de sa bonne éducation, de ses  jolies manières (...). D'après ce qu'elle en dit, même durant ses années les plus orageuses, elle ne manquait pas, en passant près d'une église, d'y entrer et d'y allumer un cierge. En 1910, lorsque se posa le problème de son mariage avec le prince Ghika, elle voulut le faire célébrer selon sa religion dans une église catholique. Rien ne s'y opposait d'ailleurs car, quoique divorcée de son premier mari, le lieutenant de vaisseau Pourpre, celui-ci était décédé depuis déjà vingt ans. Pourtant, c'est la mort de son fils Marco, l'aviateur tombé au champ de bataille en 1916 qui lui porta le coup cruel qui lui redonna en nouvel élan de religiosité".

Effectivement le début de ses Cahiers Bleus, dès avant les années 20, comme on l'a déjà dit plus haut, révèle une inspiration chrétienne. Celle de la peintre diariste russe Marie Bashkirtseff, morte à 25 ans en 1884, qui était très dévôte, Le 2 juillet 1919, pour son 50ème anniversaire, elle précise que la Sainte Vierge était apparue en rêve à sa mère (43 ans, demi-espagnole par son père), assise dans un beau cerisier blanc et lui aurait dit "Tu auras une petite fille le jour de ma fête. Elle sera appelée Marie. Je la protègerai. Après une vie mouvementée elle finira grande sainte au paradis". Liane ne naquit pas le 15 août, mais le 2 juillet, jour de la visitation donc  la prédiction s'est réalisée. Elle fut marquée par la religiosité de sa mère mais aussi de sa voisine créole à l'accent des îles, qui fut pour elle une sorte de seconde mère. Il est possible que le christianisme de sa mère se soit construit par opposition à la frivolité de la grand mère maternelle qui, belle, avait eu une liaison avec Victor Hugo (sa mère fit détruire sa correspondance compromettante avec l'écrivain) et vécut dans le luxe.

Elle était sujette à des migraines une fois par mois. Le 3 juillet 1919, jour de migraine, elle éteint la lumière le soir, "un demi-coma la terrasse", elle veut "faire sa prière" et" au milieu de ses invocations à sa patronne chérie, Ste Anne d'Auray, elle voit nettement (son mari) couché dans la maison de santé du professeur Hartmann (à Neuilly)... prend sa main qui est déjà glacée",puis elle se rend compte que son mari dort près d'elle. "Elle se sent agitée, pénétrée de terreur, inondée de sueur, enfiévrée, tremblante", s'inquiète parce que son mari doit être opéré, demande des protections, promet d'aller à Lourdes et Auray et donner 5 000 francs aux pauvres si tout se passe bien.

Son problème était de réconcilier son passé de cocotte avec sa foi. "Mon père, sauf tuer et voler, j'ai tout fait" avait-elle dit au prêtre qui' l'avait confessée avant son mariage. Je soupçonne que - comme c'est souvent le cas quand les péchés sexuels sont abondants - parmi toutes ses fautes, il y eut l'occultisme. Le chapitre "L'alchimiste" de livre "Les sensations de Mlle de la Bringue" qu'elle écrivit en 1904 (alors qu'elle était encore courtisane) le laisse entendre.

Passant en voiture en Savoie en 1926, obéissant à une inspiration surnaturelle, elle alla sonner à la porte de l'Oeuvre de Sainte Agnès qui s'occupait d'enfants monstrueux. Devant cette humanité dégradée qui pousse des cris et des gloussements qui lui ont fait prendre conscience à elle de sa déchéance et de son besoin de Jésus, ce qui allait la conduire à se dévouer à cette oeuvre. Elle mourut en décembre 1950 au Carlton de Lausanne et enterrée en Savoie dans le cimetière qui recueillait les restes des enfants monstrueux de l'Oeuvre de Sainte-Agnès.

J'avoue que cette histoire de la prêtresse de Sappho "cuirassière du plaisir" devenue dominicaine m'a laissé assez perplexe. On sent qu'il manque beaucoup de pièces au puzzle pour pouvoir ne serait-ce qu'entrevoir l'arrière-plan spirituel de tout cela. Peut-être faudrait-il que je lise l'intégralité des Cahiers Bleus. Cette lignée maternelle bizarre qui va de Victor Hugo, à Sainte-Anne d'Auray. Cette Sainte Vierge qui annonce l'histoire d'une sainte (surtout d'une "grande sainte", ce qui n'est pas très chrétien : les plus grands sont ceux qui veulent être petits)... Au final la cocotte n'est pas vraiment devenue sainte pour ce qu'on peut en percevoir. Elle ne s'est même pas vraiment convertie. Elle s'est repentie, soit... et encore... elle porte encore du vison, elle n'a pas fait vœu de pauvreté et ne désavoue qu'à demi-mots au nom d'un assagissement bourgeois ses vices sexuels du passé (il en est d'ailleurs un essentiel dont elle ne se défera jamais tout à fait)... Mais en même temps, certes, devenir tertiaire dominicaine ce n'est pas rien... et cette "union" étrange avec une œuvre d'aide aux enfants monstrueux a quelque chose de très impressionnant, et, au fond, d'aussi mystérieux que les migraines dont souffrait la demi-mondaine, et que ses visions. D'un bout à l'autre il y a quelque chose de "bizarre" dans tout cela, d'étrange... même la caution de ce dominicain ancien illustrateur nous questionne tant elle baigne dans une sorte de gentille indulgence qui ne cherche pas vraiment à aller au fond des choses.

Notre époque hédoniste et nihiliste, qui ne s'intéressera qu'à la superficielle (et éphémère) beauté des belles éblouissantes des années 1900 ne s'interrogera pas sur l'envers religieux de ce que certaines devinrent ensuite, sur ce catholicisme tardif qui est un peu le pendant de la "Belle époque" parisienne, un peu comme le mysticisme de Jacqueline-Aimée Brohon était le pendant des "Lumières" rationalistes 180 ans plus tôt. Est-ce vraiment du catholicisme ? est-ce autre chose ? Est-ce le poids de l'âge ? la rançon de la perte d'un fils ? un mouvement de balancier comme la foi de sa mère par rapport àla frivolité de la grand-mère ? Quels ont été les fruits de tout cela auprès de l'entourage ? Ne fut-ce qu'un feu de paille au fond d'une clinique de Lausanne quand la beauté du corps a perdu ses éclats ? Pour les enfants malformés de Savoie ce ne fut pas seulement cela. Et pour d'autres ? On aimerait savoir.

En tout cas voilà encore quelqu'un qui est lié à la Ste Baume, où elle était allée. Voyez sa phrase du 1er avril 1932 (vendredi saint) : "J'ai écrit au dominicain dont l'éloquence m'avait frappée pendant mon séjour à la Sainte-Baume. Le Père Sineux est jeune, vibrant, son verbe entraîne. Il est prieur à Saint Maximin entre Toulon et le pieuse montagne". Il paraît qu'elle était déjà Madeleine dans ce tableau de 1891 (à 22 ans).

 

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Les contacts avec les morts qui s'imposent à nous : Lytta Basset

24 Septembre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Médiums

J'ai souvent dit que, si le spiritisme était condamnable, l'Eglise catholique a souvent admis les contacts avec les morts qui s'imposent aux gens sans qu'ils le recherchent.

J'ai trouvé à cet égard le témoignage (Regards Protestants 27.19.2022) de Lytta Basset, théologienne protestante née en Polynésie, professeure à la Faculté de théologie de Neuchâtel en Suisse, assez instructif, parce qu'elle évoque un message de 2007 de son fils suicidé en 2001 délivré dans des circonstances vraiment atypiques où non seulement elle-même n'a rien choisi, mais où même la médium choisie n'avait jamais eu de contact de type spirite auparavant : "On m'a demandé d'assurer un cours sur la compassion, dit-elle, et à ce moment là il y a une personne qui ne souhaitait pas assister à ce cours a été sollicitée de tous côtés pour s'inscrire. Elle n'avait jamais entendu parler de moi (...) elle s'est inscrite un peu contrainte et forcée à ce cours, et dès le premier soir, elle sent une présence qu'elle ne s'explique absolument pas, très forte, très intense, et dans cette conférence inaugurale je parle du deuil. Et elle comprend très vite qu'en fait la personne qui  manifeste sa présence c'est notre fils Samuel. Dès les premières phrases que nous transmettait cette personne, ça correspondait à la réalité, la manière dont il est mort, pourquoi il l'a fait". Mme Basset allait ensuite elle-même éprouver cette présence directement. Elle souligne que ce contact répondait à une nécessité précise, revêtait une signification particulière, et qu'en général cela n'arrive pas pour simplement "épater la galerie".

Ce genre de contact (VSCD -Vécu Subjectif de Contact avec un Défunt) non voulu concernerait un quart de la population, et plus de 50 % chez les veufs.

Mais le témoignage de cette femme en laisse plus d'un sceptique aussi bien dans la section "commentaire" sur You Tube et en commentaire de son livre sur Amazon, car cela la place en contradiction avec sa prédication biblique.

Pour ma part j'observe qu'elle va assez loin dans sa relecture de la Bible, mobilisant le New Ager Deepak Chopra, le père François Brune avocat du spiritisme, ou le visionnaire Swedenborg. Elle minimise la notion de Jugement final, réduit à un choix que l'âme ferait pour son propre destin etc. Il y a là un assouplissement intéressant de l'interdit biblique du contact avec les défunts (assouplissement qui est aussi chez Saint Augustin, et dans le catéchisme catholique), mais un assouplissement qui va peut-être un peu trop loin. Et en lisant son livre, on sent que la façon dont l'intermédiaire (surnommée Myriam) a été sollicitée par la présence du fils défunt, d'une manière très prolongée et complexe, avec des références bibliques, et qui font directement appel aux origines hébraïques de l'une et l'autre des protagonistes, mériterait d'être analysée beaucoup plus en profondeur à la lumière du vécu de ces deux femmes, et peut-être même de celui de leurs ancêtres, pour comprendre ce qui s'est vraiment révélé dans cette expérience de VSCD et en quoi les leçons que Lytta Basset en tire sont si généralisables qu'elle prétend. Bref il y aurait un travail complémentaire de discernement à fournir, me semble-t-il.

La côté le plus intéressant du témoignage me semble être (dans le livre, car dans la vidéo elle n'a pas le temps de l'exprimer), cette dimension de réparation de ce que l'âme du défunt à travers le VSCD. La mère fait une sorte de "tiqqun" de ce qui a pu être manqué dans le rapport affectif du vivant de l'enfant, et l'intermédiaire du contact participe aussi de ce travail par ses propres émotions. Cela pourrait permettre une activité de sortie du purgatoire si l'on veut (mot non prononcé par Mme Basset qui est protestante) un peu différente des prières pour les défunts classiques (mais je parle au conditionnel, car le travail émotionnel peut être exploité par des forces tierces suspectes, on ne peut pas encourager cela sans poser des limites).

En matière de VSCD, il semble y avoir aussi un livre intéressant de 2004 qui s'appelle "Karine après la vie", dont la médium parle Sophie Lafalize, adepte des "dream catchers" (cf cette vidéo - ustensile toujours un peu suspect à mes yeux), interviewée par Reynald Roussel (vidéo mise en ligne le 16 septembre 2023). Mais je ne peux pas en dire plus, je ne l'ai pas lu.

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Le fouet des paillards (suite)

14 Septembre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Christianisme

Il y a un an, je m'étais penché sur l'histoire terriblement embrouillée de la possession de Louviers, qui a un rapport direct avec la question de la nudité publique et qui fut traité avec une mauvaise foi incroyable par Michelet (mais pas seulement lui).

Le curé de Mesnil-Jourdain, Mathurin Picard ou Le Picard qui fut condamné (peut-être à tort) par le Parlement de Normandie à titre posthume (on brûla son cadavre le 21 août 1647) avait publié en 1623 "Le Fouet des Paillards", qui se lit encore fort bien sur Google Books (ironiquement la livre est dédié à Robert le Roux, président du Parlement de Normandie, dont Mesnil Journain relevait - son auteur était loin de se douter du sort que lui réserverait ce Parlement).

Je reprend ici la p. 216-217 un passage (que j'avais déjà cité l'an dernier) qui donne un avant-goût de certaines dérives new-age libertaires du protestantisme anglo-saxon, et qui expliquait aussi pourquoi déjà l'époque de Calvin des libertin se mêlaient au mouvement protestant (il faut peser ici au livre "Le mouvement du libre-esprit" de Raoul Vaneigem).

"Florimond de Raymond, écrit Le Picard, remarque que, entre les sectes anabaptistes, qui sont plusieurs en nombre, il y en avait une qui s'appelait les Libres, qui ne sont sujets,, disent-ils, à payer aucun tribut, ni obéir aux princes. Ce sont qui disent le mariage être spirituel, et mettent es femmes en commun, avec cette brutale opinion, que ce mélange est sans péché : ainsi faisaient les gnostiques, écrivait St Epiphane (...). Ces Libres enseignent que toute femme doit accorder par charité qu'un homme de sa religion lui demande, lorsqu'inspiré de Dieu, il lui dit : mon esprit convoite ta chair, viens donc et faisons merveille : et cite à ce propos un auteur nommé Feliciatius Captinonus, qui fait un plaisant conte de ces inspirés, lequel, à l'entrée de la maison de l'un de ses amis, lui dit : Le St Esprit m'a commandé que je couche avec ta femme : je le veux, dit-il, et sur l'heure commande à sa femme de lui obéir. Comme elle fait préparer le lit, il jette les yeux sur sa fille plus belle, et plus jeune : non, dit-il à la femme, le St Esprit veut que ce soit ta fille : l'un et l'autre obéissent à ce commandement. Le mari de retour le matin, il trouve ce rustre entre les bras de sa fille; Comment, dit-il, le St Esprit est-il trompeur ? Il a commandé de te donner ma femme, et tu prends ma fille ?Ce même St Esprit me commande de t'en faire porter la peine. Sur quoi il lui enfonce un poignard dans le sein et le tue".

(On notera aussi que p. 83 le prêtre trace un lien intéressant entre la femme impudique et les géants)

 

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Physique quantique et loi d'attraction

14 Septembre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Médiums, #Christianisme

On parlait sur ce blog de physique quantique il y a peu. Voici une vidéo récente de Doreen Virtue (une des "héroïnes" de mon livre sur les médiums convertie au christianisme) qui, dans ses 10 premières minutes évoque d'une façon très juste le lien artificiel que le New Age trace entre physique quantique et loi d'attraction universelle (notamment autour du "cas" Deepak Chopra, un autre nom que vous trouverez dans mon livre). Elle invite pour en parler un repenti du système de la loi d'attraction Jon Clash, auteur de“Law of Attraction: A Gateway Drug to Spiritual Heroin".

J'ajoute aussi en dessous une vidéo d'une youtubeuse un peu bébête qui, après s'être complètement trompée dans les folies de la médiumnité new-age est revenue à une forme de petit rationalisme "de bon sens", autant dire qu'elle aura effectué un voyage dans la spiritualité comme Fabrice à Waterloo (chez Stendhal) pour rien, sans avoir rien compris. Alors qu'au moins Doreen Virtue, elle, après être allée aussi loin que possible dans l'erreur New Age, a trouvé la Bible au bout de son chemin.

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La Vierge et le serpent selon Saint Silouane

6 Août 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète

Comme il menait une vie de jeune paysan chrétien ordinaire dans son village de Chovsk (province de Tambov en Russie), Saint Silouane de l’Athos (né Syméon Ivanovitch Antonov 1866-1938) à jouer de l'accordéon sur la place centrale et même à entrer dans des bagarres pour sauver son honneur devant les filles s'assoupit un jour (dans les années 1880) et vit dans l'état d'un léger sommeil un serpent qui se glissait dans sa bouche et pénétrait dans son corps. A ce moment, il entendit une voix qui lui disait : "Tu as avalé un serpent en rêve, et cela te répugne. De même je n'aime pas voir ce que tu fais. " "Syméon ne vit personne, ajoute son disciple l'archimandrite Sophrony dans la biographie qu'il lui consacre (eds du Cerf p. 18) ; il n'entendit que la voix qui prononçait ces paroles. La douceur et la beauté de cette voix étaient tout à fait extraordinaires. Malgré toute la douceur de cette voix, l'effet en fut bouleversant. Selon la profonde et inébranlable conviction du Starets, la voix qu'il avait entendue était celle de la Sainte Vierge. Jusqu'à la fin de ses jours il rendit grâce à la Mère de Dieu de ce qu'elle ne l'avait pas dédaigné mais qu'elle avait bien voulu le visiter (...) Le Starets attribuait à l'impureté dans laquelle il se trouvait à ce moment le fait de n'avoir pas été jugé digne de voir la Reine des Cieux".

Silouane l'Athonite était sensible à l'histoire de Saint Antoine conduit par Dieu à admirer le cordonnier d'Alexandrie convaincu de ce que tout le monde serait sauvé sauf lui, et lui-même était enclin par le Créateur à "maintenir son âme en enfer".

Il y a aussi chez ce saint des considérations très intéressantes et nuancées sur la façon font le starets prodigue les conseils qu'il tient de Dieu ou fait la part entre la lumière qui vient de l'âme et celle qui vient du divin, ce qui prouve bien que toutes ces questions n'ont rien d'évident en soi. La seule chose très manifeste c'est la force de l'expérience intérieure que vit le mystique. 

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Merveilleux protestant : les chants de psaumes célestes à Orthez en 1685

31 Juillet 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète

Dans sa VIIe lettre pastorale du 1er décembre 1686, le calviniste Pierre Jurieu (1637-1713) écrit (p. 150 du recueil T. I), fait état "d'orages extraordinaires, de feux tombans du ciel ; d'autres sortant de la terre, de signes très parlants qui ont paru dans les airs, d'insectes de figure inconnue qu'on a cru voir tomber des cieux" et de "ce chant de psaumes qui a été entendu dans les airs en divers endroits".

Jurieu dit en avoir entendu parler, pour la première fois il y a"près d'un an" en Béarn, la "première province où fut envoyée la mission dragonne" de Louis XIV contre les protestants, du chant de psaumes. Le pasteur de l'Eglise d'Orthez Magendie ayant mené l'enquête a déclaré, dans une lettre du 23 novembre 1686 d'Amsterdam, qu'il recopie, que M. de Bazin s'étant promené avec un de ses amis aux alentours d'Orthez dans l'après-midi "ouit des voix qui chantaient les Psaumes, et, comme il crut que ce pouvaient être certaines femmes qui lavaient du linge" dans la rivière, "il courut à elles pour leur demander si c'était elles qui avaient chanté". "Elles lui dirent que ce n'étaient pas elles, et qu'il y avait longtemps qu'elles entendaient ce même chant de Psaumes" (p. 151). "Cela arriva quelques mois avant l'interdiction de nôtre temple". 

Par ailleurs Mademoiselle de Casenave, de la même ville, qui n'y croyait pas, reçut la promesse d'une femme qu'elle l'en avertirait si elle les entendait à nouveau. Lorsque cette femme, à 11 heures du soir "avec beaucoup d'autres personnes" se trouva à une extrémité d'Orthez, elle entendit les Psaumes. Elle courut chez Mlle Casenave qui sortit de son lit, fit lever une de ses voisines. Elles coururent à ce quartier d'Orthez éloigné de leur maison "où elles trouvèrent plusieurs personnes qui étaient ravies de cette douce mélodie, qu'elles entendaient dans les airs", et rentrent chez elles avec "cette grande consolation" de l'avoir entendue. Mme de Cazenave ajoute qu'après les Psaumes une voix parlait mais d'une façon peu compréhensible.

Les nombreuses personnes qui avaient entendu ce chant de Psaumes l'appelaient "le chant des anges". Cela les incitait à sortir la nuit et les jurats de la ville durent prendre une ordonnance d'interdiction de sortir la nuit.

Le ministre Garsin de l'église d'Orthez certifie (lettre du 23 septembre 1686 à Amsterdam) aussi que son beau-frère de Roux, avocat, entre 11h et minuit derrière sa maison dans cette ville a entendu un chant de psaume "au dessus de lui", puis d'un "endroit plus éloigné". L'avocat Clavier par ailleurs lui a dit que le curé Dufau, le sieur Lichirigai et un frère du curé, M. de la Roque, ont envoyé "quérir une fille papiste de Moncade pour savoir d'elle s'il était vrai qu'elle eût dit avoir oui ce chant de Psaumes" et "elle leur dit que oui". "Et lui ayant demandé comment elle savait que c'était le chant des psaumes, elle leur dit que c'était parce qu'elle avait oui la même chose que lorsqu'on chantait dans le temple". Comme les interrogateurs s'étonnaient qu'elle ait entendu ça au temple, elle précisé qu'elle "y avait été une fois à la suite d'un baptême, mais qu'allant à la fontaine, elle avait oui souvent ce chant passant devant le temple à l'heure des prêches et des prières."

Une autre attestation (du 22 novembre 1686) précise que dans l'année 1685, en août et septembre, Pierre de Maupoey, 23 ans, a oui "dans l'air chaud" à deux reprises un chant de psaume mélodieux, une fois devant la maison de Poey" où il était "à demi endormi, couché sur un banc", le chant l'a réveillé et a duré "près d'une demi-heure", puis il entra dans la maison de M. du Poey, marchant drappier, chez qui il travaillait. Il le dit à "mademoiselle du Poey et à ses filles". Elles le grondent de ne pas l'avoir averti. Huit jours plus tard, lui "et plusieurs autres" à 1 heure de matin se rendent à la Posterle (un lieu élevé de la ville) il entend "plusieurs voix dans l'air, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre". Il interroge Mlle Despagnou, fille de M. Dombideau, marchant d'Oloron, épouse d'un marchand tanneur accompagnée d'autres femmes du voisinage ": d'où venez vous ?" "Du gave, dirent-elles, près du moulin neuf". Il leur demande de quel côté venaient les voix. Elles disent qu'il leur semble que cela vient de la posterle. Mais lui même en venait et croyait que cela venait du moulin neuf. Ces personnes sont tombées d'accord pour estimer que cela était "dans les airs", "et que jamais elles n'avaient ouï de voix si belles"

Le père de Maupoey (qui avait changé de religion deux ans et demi plus tôt), voisin de Melle Despagnou et les autres femmes se tiennent sur la porte de la ville à 2 h du matin, avec un maréchal nomme Maresquas, "papiste de Lembeye, du quartier de Bitbil, qui ressort du Parlement de Navarre". Ceux-ci confirment qu'ils ont bien entendu un chant magnifique.

Pierre Jurieu cite encore le témoignage de M. Bergeret : en septembre 1685 il se couche à 8 heures du soir. Une demi-heure plus tard quelques voisines viennent et lui demande s'il est assez fou pour chanter des psaumes interdits. Au même moment sa mère entre dans la chambre pour le réveiller en disant qu'on "chante des psaumes en l'air". Il prête attention et croit que l'on chante dans le jardin.  Il sort, tout le voisinage se retrouve dans la rue de Moncade où l'on entend les psaumes.

Jean de Bordette en septembre 1685 a aussi vers 8 h du soir entendu les psaumes dans la rue, mais sans pouvoir identifier de quels psaumes il s'agit.

Mlle de Formalagués (attestation signée à Amsterdam du 4 septembre 1686) l' a entendu trois fois en octobre. Un vendredi vers 8 ou 9 h des voisines viennent l'avertir chez elle. Elle sort rue Saint Gilles et y trouve diverses personnes accourues de toute part pour entendre ces chants : "Et à l'instant, atteste-t-elle, mes oreilles furent frappées d'une mélodie si ravissante, que je n'ai jamais rien oui de semblable. Je pouvais discerner l'air de nos psaumes qui était chanté admirablement bien". Certains ont reconnu le début du psaume 41 qui à l'époque était traduit par "ainsi qu'on oit le cerf bruire". Mlle de Formalagué n'a jamais pu distinguer les mots. "J'ouis seulement une musique charmante, qui me représentait un grand nombre de voix très bien accordantes ; il y en avait une qui s'élevait par dessus les autres et qui se faisait remarquer lorsque toutes avaient fini" . Les voix ensuite diminuent peu à peu et se perdent "insensiblement dans les airs". La demoiselle rentre chez elle et se retrouve sur le pas de sa maison avec ses voisines et là, le chœur des anges reprend pendant un quart d'heure, puis disparait.

Le mardi suivant, elle est avec un parent sur la porte de sa maison le soir. Un grand nombre de voix retentissent avec force dans les airs. Elle court à l'appartement du médecin papiste qui loge en sa maison et qui était cette année là un des jurats d'Orthez. Il la suit sur le pas de la porte, mais fait semblant de ne rien entendre. Les voix se font plus fortes : "alors ayant pressé ce jurat, de me dire s'il oyait ce chant, cet homme ne put dissimuler la vérité". Mais il dit qu'il entend un beau chant mais dit qu'il reconnaît les voix d'Orthéziens qu'il nomme et qui sont connus pour leur bel organe, pour ne pas avouer que ce sont les anges. Mlle de Formalaguès s'exclame "Monsieur, si les hommes se taisent, les pierres mêmes parleront".

Monsieur de Brassalay gentilhomme d'honneur, témoigne que quelques jours avant la fermeture autoritaire des temples en Béarn, l'avocat Lichigaray Brunier persécuteur des protestants se leva de son lit pour aller dire au curé qu'il entendait une assemblée chanter des psaumes hors de la ville. Il passe aussi voir le sergent Goulan, catholique, pour le conduire au lieu où il pourra arrêter les membres de ce choeur. Mais le sergent penché à la fenêtre voit bien que cela vient des airs et qu'il n'y a donc rien à faire. Puis les chants ont continué pendant plus d'un mois. Cela ne venait pas d'une caverne précise Jurieu car à Orthez il n'y a que des maisons et des vignes et champs autour, et le chant des psaumes était interdit depuis longtemps. Tout le monde a fini par en entendre et Lichigaray Brunier a pu identifier le psaume 138 verset 2.

Le médecin Du Faur, jurat de la ville, l'entendit mais dit que c'était l'oeuvre de sorciers. "Le parlement de Pau et l'intendant de Béarn en ont aussi rendu le témoignage par un arrêt, qui défend d'aller écouter le chant des psaumes" sous peine d'amende. P. 163 Jurieu cite ensuite un témoignage sur les chants de psaumes dans les Cévennes, où les psaumes sont encore plus clairement identifiés, et même parfois accompagnés de bruits de tambours.

Le téléfilm de 1969 "Le Huguenot récalcitrant" évoque cette thématique des chants de psaumes célestes pendant les dragonnades, et aussi les apparitions d'anges qui ont été nombreuses en pays protestant dans les années postérieures à 1685.

Difficile de savoir quelle signification avaient ces phénomènes censés encourager les huguenots et quelle en était la source spirituelle.

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