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Articles avec #christianisme tag

Notre Dame du Rocher au Montenegro

24 Novembre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme

Une petite émission de France 3 Côte d'Azur en 2021 ci dessous mettrait en valeur, dans les Bouches de Kotor (Montenegro), l'île de Notre Dame du Rocher/de la Roche ou Sainte-Marie-de-Skrpelj (Gospa od Škrpjela), à la charge du père Don Srecko Majic, curé de la paroisse de St Nicolas de Perast depuis 42 ans, qui présentait les gravures en argent offertes après des miracles.

Le 22 juillet 1452 (fête de la Ste Marie Madeleine, certains écrivent par erreur 1542 ...) une icône fut trouvée miraculeusement posée sur un tout petit récif autour duquel toute l'île fut construite avec des cailloux (mais aussi en coulant des navires) pendant deux siècles. Des trois frères pêcheurs qui la trouvèrent, un était malade et guérit. L'icône a disparu, une copie a été placée dans l'église explique la guide Slavena Asanovic.

En 1624 des pirates nord-africains ont ravagé l'église. L'icône a protégé la région face aux Turcs en 1654.

Jacinta Kunić, Pénélope moderne, habitante de la ville de Perast, pour que son bien-aimé revienne sur des mers calmes, a confectionné pendant vingt-cinq ans à partir de 1803 une broderie aujourd'hui placée dans l'église.  

Elle utilisait de la toile damasquinée, très apprécié à l'époque. Elle mettait également des perles colorées pour les têtes des anges, de la Madone et de Jésus, et des mèches de ses propres cheveux. Lorsqu'elle a commencé à travailler sur le tableau, ses cheveux étaient foncés, mais après 25 ans, ils sont devenus blancs. A la fin, en 1828 elle avait pratiquement perdu la vue.

Isidora Milivojević lui a rendu hommage par une chanson (un fado) en 2021. "En tant que fille de marin, et enfant de la mer, déclare-t-elle au magazine "Gagner" j'attendais avec impatience le retour de mon père après de longs voyages". Etudiante en littérature française à Novi Sad puis en musicologie à Montpellier, elle vit et travaille à Kotor.

Voici ce que l'académicien français Xavier Marmier (1808-1892) écrivit en 1852 (Les Lettres sur l’Adriatique et le Monténégro. Paris : A. Bertrand, 1854. t II p. 92 et suiv) à propos du sanctuaire de Notre Dame du Rocher quand il aborda la Bouche de Kotor :

"A l'entrée de ce vaste défilé aquatique est la ville de Castelnuoyo, bâtie dans la situation la plus pittoresque au penchant d'une colline voilée par une verte forêt, et protégée par une enceinte de murailles qui ont eu à soutenir de nombreuses attaques. Un peu plus loin est un étroit passage que l'on fermait jadis en étendant une lourde chaine d'une de ses rives à l'autre. Il a conservé de cet ancien usage le nom de Cattene. Près de là est le village de Perasto, avec ses maisons blanches rangées le long de la côte, comme des navires le long d'une rade. Au milieu du limpide espace qui s'ouvre en face de ce village apparaissent deux petites Iles charmantes. L'une s'appelle l'île Saint-Georges; l'autre l'île de la Madone du Scapulaire. Sur la première est un couvent grec sur l'autre une chapelle catholique, vénérée dans tout le pays. Une tradition rapporte qu'au XV siècle, des marins virent un soir luire sur cette ile, alors déserte, une clarté extraordinaire. Les plus hardis, désirant savoir la cause de ce phénomène, mirent leur chaloupe à l'eau et trouvèrent sur une pointe de roc une image de la Vierge qui avait été déposée là par une main inconnue. Ils la prirent et l'emportèrent respectueusement dans l'église de Perasto. Le lendemain, l'image était retournée à son île. Trois fois on alla la rechercher, trois fois elle vola à la même place. A la fin, les religieux habitants de Perasto lui bâtirent, à l'endroit où elle voulait rester, une chapelle. Comme celle de Notre-Dame de la Garde qui, du haut de son sanctuaire, bénit le golfe de Marseille, comme celle de Notre-Dame de Honfleur qui regarde vers le lointain océan, cette chapelle est pleine d'ex-voto, signes d'une douleur humaine qui cherche un appui dans une sainte protection, témoignages naïfs d'une pieuse foi et d'une pieuse reconnaissance".

Et voilà encore ce qu'on lit dans F. (Frederick) Hamilton Jackson (1848-1923). The shores of the Adriatic, the Austrian side, the Küstenlande, Istria, and Dalmatia..., fully illustrated with plans, drawings, by the author, and photographs taken specially for this work [by Cooper Ashton]. John Murray (London, 1908) - chap XXIV :

"Devant Perasto se trouvent deux petites îles surmontées de bâtiments pittoresques : le Scoglio S. Giorgio et la Madonna del Scarpello, une petite église à coupole verte, contenant une image de la Madone attribuée comme d'habitude à S. Luc (*), une oeuvre byzantine ornée d'or et d'argent, apportée ici de Negropont (Eubée) en 1452. Pendant de nombreuses années, les Bocchesi ont apporté des navires chargés de pierre pour augmenter la taille de l'île, et encore, le 22 juillet de chaque année, un bateau chargé de pierre part de Perasto jusqu'au rocher. On y célèbre deux fêtes, dont la plus importante est celle de l'Assomption, le 15 août. L'autre, la Naissance de la Vierge, le 8 septembre, l'est moins. Il existe un proverbe « Entre le due Madonne cade la pioggia », la plus grande pluie se produisant entre les deux fêtes. Les jours de fête, le tableau est orné d'anneaux, de chaînes, etc., gardés sous clé à Perasto pendant le reste de l'année. La propriété de l'église s'élève à plus de 30 000 livres. Depuis cinq cents ans, c'est un centre d'intérêt dans la Bocche. Selon la légende, une figure lumineuse de la Madone fut aperçue par un marin sur le rocher le 22 juillet 1452 et à cet endroit une chapelle fut érigée. L'église actuelle a été construite en 1628. À l'intérieur se trouvent de nombreux tableaux de la fin du XVIIe siècle et, dans deux salles voisines, des tableaux votifs du type habituel. Il y a un café sur l'île pour les pèlerins."

(*) idem qu'à Aglona en Lettonie

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Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus en Croatie

11 Novembre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme

Le journal croate Narod (Le Peuple) expliquait hier 30 septembre pour la célébration du 25e anniversaire de la béatification du cardinal Aloys Stepinac, le samedi 30 septembre, au sanctuaire national de Marija Bistrica près de Zagreb, à l'initiative de la "Fondation Saintes Merveilles", 10 000 pétales de roses seraient lâchés du ciel sur l'espace extérieur de l'église en guise de dévotion à la Mère de Dieu et  de remerciement pour la béatification de Stepinac. cela coïncide aussi avec le 150ème anniversaire de la naissance de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus qui est aussi le 60ème anniversaire de la réouverture, autorisée par la censure communiste, de l'hebdomadaire "Glas Koncil" (La Voix du Concile), organe de presse du cardinal bienheureux .

"Il existe des liens spirituels profonds, expliquait le journal, entre le bienheureux cardinal Aloys et saint. Petite Thérèse. En tant qu'étudiant romain, il assista à sa canonisation à Rome le 17 mai 1925 ; la première paroisse à Zagreb qu'il fonda et ouvrit fut la paroisse de St. Petite Teresa à Miramarska (5 juillet 1936) ; on considère que sa piété est St. Teresa de Lisieux a contribué à son initiative de fonder le premier Carmel croate à Brezovica en 1939, et dans son testament de 1939, il a exprimé son désir que saint. Thérèse de l'Enfant Jésus, en tant qu'avocate, « soit présente à l'heure de la mort ». Le dernier livre qu'il a travaillé à traduire en tant qu'archevêque de Zagreb au palais de l'archevêché avant son arrestation s'intitulait « Notes sur la piété enfantine de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus ». Ce livre a été confisqué par les autorités communistes de l'époque et n'a jamais été publié."

Stepinac décédé en 1960 a passé 5 ans dans les geôles de Tito puis a été socialement déclassé, souffrance qui lui ont valu le titre de martyr et sa béatification le 3 octobre 1998. Cela avait été contesté car, si le cardinal a été lavé des accusations de collaborations avec le fascisme, la béatification intervenait seulement trois ans après le nettoyage ethnique des Serbes de Krajina par l'Opération Tempête.

Les premières pages de son autobiographie, intitulée « Histoire d'une âme », révèlent que Ste Thérèse a commencé à collecter ses pétales pour la « pluie parfumée » dès son enfance. La fondation basée à Split, qui a lancé l'initiative se réclame de Sainte Maravillas de Jésus, carmélite déchaussée madrilène du début du XXe siècle.

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Le thaumaturge Francis Schlatter

31 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Spiritualités de l'amour

Je trouve dans un vieux numéro de la revue maçonnique L'Initiation, ici, à côté d'un texte intéressant de Marie-Dominique Massoni sur le rapport des surréalistes à l'hermétisme, un article de l'éditeur Philippe Dugerey sur le guérisseur américain Francis/François Schlatter (1856-1896). Le Youtubeur Huillam Daverec avec sa partialité maladroite habituelle en a parlé il y a 9 jours. Il se garde d'ailleurs d'évoquer le détail des conditions de la mort du thaumaturge comme le fait Dugerey. Il ne dit pas non plus que Schatter prétendait être le Christ et termine lamentablement sa vidéo sur une tentative de culpabiliser son public sur le thème "si vous n'avez pas les dons de Schlatter, c'est parce que vous manquez de foi" (thème assez classique chez les charismatiques qui fait peser un poids psychologique criminel sur les adeptes de ce mode de pensée).

Il est sans doute légitime de comparer ce guérisseur à Maître Philippe dont j'ai parlé ici, ou à Bruno Gröning évoqué ici. Il soignait avec des mouchoirs comme une guérisseuse (*) de Jurançon (Béarn) dans les années 1940 (et sans doute ailleurs).  Ses écrits ne sont pas "bibliques", par exemple quand il qualifie les Indiens chactas chez qui il a séjourné de "vrais chrétiens" (A true account p 22), mais bon chacun en conclura ce qu'il veut.

Bon, je profite du fait que nous sommes aujourd'hui le jour d'Halloween pour vous recommander de ne pas célébrer cette fête. Cette affiche des néo-templiers de Disneyland (que j'ai photographie en région parisienne le 17 octobre) avec une enfant transformée en Cruella perverse (qui joue sur le noir et blanc maçonnique), devrait suffire à vous détourner de ce culte néo-païen qui ne dit pas son nom.

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(*) Pour les historiens amateurs ou professionnels qui voudront un jour se pencher sur  les "médiumnités" en milieu rural ou péri-urbain au XXe siècle, je donne cette piste de la guérisseuse de Jurançon. D'après ma mère (née en 1934) elle s'appelait Mme Chermieux. Initialement Mme Arribarat (nom de son premier mari qui était dans la marine), mais était divorcée. Son deuxième mari M. Chermieux était originaire du nord de la France, et s'était mis à la pratique du magnétisme comme elle (imposition des mains, souffle dans un mouchoir). Ce mari était dans la marine et, elle avait eu un fils et deux filles dont Colette, née en 1939 à Saïgon, morte le 25 janvier 2019 à Bizanos, que j'ai connue quand elle était vendeuse chez Printal à Pau (rue maréchal Foch - une dame qui a eu ensuite quelques problèmes d'alcoolisme). Ils avaient 

Ils étaient locataires au rez-de-chaussée de cette maison (à l'étage était M. Molinari, employé chez Rota), rue de la République. Elle avait fait un rituel sur la photo de ma mère pour son certificat d’études, et avait fait brûler des édredons à ma grand mère.

 

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La solitaire des rochers

26 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées

On trouve dans une bibliographie générale de 1856 "La solitaire des rochers ou correspondance de Jeanne-Marguerite de Montmorency avec le RP Luc de Bray son directeur 3e édition" en deux volume, publié chez de Périsse avec des notes de l'abbé Dabert, vicaire général de Viviers. Le Tome 1 du livre est accessible ici.

Bernard Duhoureau dans "Guide des Pyrénées mystérieuses" (1985 eds Sand) se fit l'écho des doutes d'Eugenio d'Ors dans Du Baroque (Gallimard 1968) sur l'authenticité de ces lettres diffusées dans l'entourage de Mme de Maintenon, épouse secrète de Louis XIV, et publiées bien plus tard en 1787, relève cependant que des détails de cette correspondance montrent qu'elle était vraiment écrite dans les Pyrénées. Selon un biographe anonyme (peut-être le dominicain janséniste Nicolson), il s'agirait de Jeanne-Marguerite de Montmorency, car cette grande famille avait bien perdu une enfant de ce nom en 1661, qui avait 15 ou 16 ans. C'est son confesseur, cordelier curé de la Trinité à Rochefort près de Versailles (décédé en 1699), qui lui recommanda cette retraite à la manière de Marie l'Egyptienne dans les Pyrénées, après que, dans un premier temps, l'adolescente eût seulement songé à se perdre dans le menu peuple à Paris puis chez un menuisier à Auxerre dont elle apprit l'art. De Bray lui imposait de lui écrire tous les trois mois.

Les lettres originales sont perdues. En 1998 un certain Noël Gardon dans le Bulletin de La Diana (Loire) précise que l'ermitage de cette femme ne pouvait être dans le Forez car il y est question d'ours (elle même portait un écureuil sur son épaule)  et d'une grotte souterraine grande comme une cathédrale, ce qui oriente vers les Pyrénées.

"Dans sa quinzième lettre commencée le 29 novembre 1697 et terminée le 6 avril 1698, elle explique que son désert est charmant, avec des fleurs en tous temps, beaucoup de fruits sauvages du chèvre-feuille toujours fleuri. Il n'y a pas de bêtes féroces, seulement d'énormes serpents qui ne lui disent rien mais qui éloignent les habitants du pays. C'est dans cette lettre qu'elle demande la permission d'aller faire un pélerinage à Notre-Dame-de-Mont-Serrat. Dans la lettre suivante elle raconte son voyage à Mont-Serrat qui, d'après son récit, se trouve à trois jours de marche de son second ermitage. "  Elle précise qu'elle n'est alors plus en France. C'est donc en Espagne. D'après l'auteur, en novembre 1697 elle pourrait être à Saint Chignian dans l'Hérault. Ils e peut que dans sa vie elle ait erré entre l'Aude et l'Ariège.

Bernard Duhoureau rappelle que les ascèses dans les Pyrénées sont fréquentes. Mlle de Montpensier et Mme de Longueville hébergées au château de Beaucens dans la vallée d'Argelès avaient conçu le projet de faire de même, avant de se raviser.

L'histoire de la jeune fille a quelque rapport avec celle de l'affrontement Fénelon/Bossuet dont on a parlé ici en 2019.

Le RP jésuite moderniste provençal Henri Brémond (mort en Béarn en 1933) s'était penché sur cette dimension dans Le Correspondant de 1910. Brémond est tenté de ne voir dans l'affaire de la Solitaire des Rochers qu'une supercherie du confesseur, mais se retient d'aller jusque là du fait que l'historien du jansénisme, Augustin Gazier (1844-1922) croyait à son authenticité (selon un article de l'Univers du 25 janvier 1904, article signé par l'abbé Delpode Gazier l'appelait Jeanne-Marguerite de Caylus et la possibilité qu'elle soit une "de Caylus" figure ici aussi, MMe de Caylus était une proche de Mme de Maintenon).

Il est plein d'ironie à l'endroit de l'ascète et écrit : "Des centaines de saints et de saintes sont allés beaucoup plus loin sur la route du renoncement. La solitaire tourne indéfiniment sa crécelle à chaque fois qu'elle va prendre la discipline. Quand il lui prend fantaisie de jeûner, Versailles est avertie de ce prodigieux événement. Les vrais saints font moins de fracas". Il doute de certains de ses témoignages comme celui-ci : "Il y a beaucoup de neige dans ce pays-ci; mais afin qu'on ne connût point mes pas, j'avais attaché par-dessous les semelles, à une méchante paire de souliers, des écorces d'arbres faites en forme de pied de biche, en sorte qu'il est impossible de connaître qui y avait passé."

Il est aussi sceptique devant ce genre de récit "Je me suis ressouvenue d'avoir vu, un dimanche, un cheval mort; j'en fus chercher la tête et la moitié du cou; je fis une fosse dans le sable, je me mis dedans de tout mon long et j'attirai sur moi cette carcasse qui ne sentait pas trop bon. "

Il trouve l'anecdote contradictoire avec le fait qu'elle écrive un peu plus loin : " Je n'ai pu, un jour, communier, ayant été obligée de boire la nuit, tant j'avais la poitrine échauffée, en partie, par la chaleur des chèvres qui ont une vilaine odeur qui affadit le coeur, et deux autres fois je ne pus prendre la discipline, parce que ces animaux se mirent tellement à crier, que cette femme crut que je les battais ou que je voulais les têter." Le RP Brémond observe que c'est bien la première fois qu'un "saint" peut refuser la communion à cause des odeurs de chèvres.

Fénelon, accusé de quiétisme, rappelle-t-il, avait avec lui les Jésuites (qui pourtant avaient condamné le quiétisme de Molinos), et contre lui non seulement Bossuet, mais aussi les jansénistes. Or les lettres de la sainte comprennent des "éléments de langage" empruntés au jansénisme. Par exemple lorsqu'elle déplore que le roi n'ait pas de bon conseiller spirituel (une attaque contre le Père La Chaise), ou critique le RP Guilloré (un adversaire de son confesseur). Le confesseur provoque à dessein et en des termes grossiers dès sa deuxième lettre de 1693 des prises de position de la sainte sur le quiétisme : "Demandez à Dieu, je vous prie, s'il est glorifié d'une dévotion qu'on appelle intérieure, sans agir ni prier" (ce qui caricature le quiétisme). Il l'informe aussi des "choses infinies mais bien abominables de Mme Guyon". A quoi la sainte répond l'année suivante : "Je prie le Seigneur que les évêques et les savants puissent connaître jusqu'où peut aller toute la malice et la contagion du quiétisme, afin qu'ils y remédient. Il est temps que le Seigneur y mette la main". Les critiques des positions quiétistes se font de plus en plus dogmatiques sous la plume de la gyrovague, et le RP Brémond qui les prête sans hésiter à De Bray  ou à quelque autre scribe de son clan, les trouve aussi vulgaires que les fantasmes sexuels (notamment saphiques)  que la sainte est censée avoir au contact du démon.

Tout cela sent le mauvais roman, estime l'auteur jésuite, même s'il y a peut-être eu réellement au départ une jeune ascète et quelques lettres d'elle (recopiées plusieurs fois et modifiées). Mme de Maintenon, crédule (qui aurait d'ailleurs hérité d'un crucifix sculpté par la sainte après la mort du RP De Bray, avant qu'il ne devînt propriété des Dames du Sacré Coeur d'Amiens), s'y sera laissée tromper, pour le plus grand profit des adversaires de Fénelon.

Avant Brémond, le jésuite belge François-Xavier de Feller (1735-1802) dans son Dictionnaire Historique de 1818-20 avait présenté l'éditeur des lettres de 1787 comme un "des plus fanatiques saltimbanques de Saint-Médard" et citait la phrase de l'abbé Bérault selon laquelle pour les jansénistes "c'eût été effectivement un beau sujet de triomphe qu'une jeune Montmorency, qui se dérobe  toutes les grandeurs du siècle, et va s'enterrer dans un désert inconnu, pour s'y faire janséniste. Mais qui serait assez dépourvu de bon sens pour croire à cette chimère ?" Cependant il estimait qu'on peut trier le bon grain de l'ivraie et trouver dans ses lettres le témoignage d'une réelle pureté de coeur de la Montmorency pénitente, ce que soulignaient aussi les revues catholiques des années 1840. L'article de Brémond en tout cas convainquit le spécialiste de Rousseau Pierre-Maurice Masson (1879-1916).

L'histoire souligne à nouveau le problème de  l'intermediation entre le/la mystique et son confesseur pour savoir ce qu'il se passait vraiment...

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Sainte Catherine de Ricci et le souvenir de Savonarole

19 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire secrète

Catherine de Ricci (1522-1590) est une enfant de banquier florentin. En 1535 (à 12 ans) elle intègre le couvent de Saint-Vincent fondé en 1505 par de neuf filles spirituelles (de bonne famille) du prédicateur et réformateur républicain Savonarole mort en 1898 qui avait prophétisé cette sainte action (tout comme il avait prophétisé la destruction du monastère voisin infidèle de Sainte Catherine qui fut pillé par la soldatesque quand Charles Quint rendit Venise aux Médicis).  Le P. Bayonne fait un portrait touchant de ces nobles moniales et de leur piété, en reprenant le témoignage de Serafino Razzi qui fut confesseur à Saint-Vincent en 1591, un an après la mort de Ste Catherine de Ricci, et sexagénaire, fut très scrupuleux dans sa façon de recueillir les témoignage des anciennes.

Catherine de Ricci d'une nature très délicate, et par ailleurs très sujette aux évanouissements qui étaient en réalité des extases, fut assez isolée au début dans ce monastère.

Au mois de mars de l’année 1538, à l’âge de seize ans, elle fut tout à coup "assaillie par une maladie des plus graves et des plus singulières par ses complications. C’était à la fois une affreuse hydropisie qui envahissait tout son corps, les douleurs delà pierre qui lui déchiraient les reins, un asthme des plus violents, qui semblait à chaque instant lui refuser le souffle nécessaire à la vie, et enfin une fièvre ardente et continue. Une seule de ces maladies, avec son degré d’intensité, eût suffi pour la condamner à de cruelles souffrances et la conduire en peu de temps aux portes de la mort."

Ce supplice lui fut infligé sans interruption, sans le moindre relâche, pendant deux années consécutives. "Les médecins, que le caractère inouï du mal avait déconcertés dès le premier jour, le furent bien davantage, quand, en dépit de tous leurs efforts combinés, il se montra obstinément rebelle à tous leurs remèdes"

Après avoir invoqué divers saints pour elle, les nonnes font un voeu à Jérôme Savonarole à l'anniversaire de sa mort sur le bûcher. Ses cendres avaient été versées dans l'Arno sur ordre du pape, mais les religieuses en avaient conservé un peu, ainsi que des objets qui lui avaient appartenu. "Elles récitaient des prières devant ces reliques bénies, honoraient ses images , l’invoquaient avec confiance, et tous les ans célébraient le jour de sa mort comme la fête de sa nativité dans le ciel."

Sainte Catherine s'associe au voeu de ses soeurs pour obtenir sa guérison avant sa fête, qui était dans trois jours.

"Le 23 mai, veille du dernier jour, qui, cette année, était la veille de la Sainte-Trinité, elle avait demandé de demeurer seule dans sa cellule, afin dé prier ses saints avec plus de ferveur. Voilà que vers les quatre heures du matin , s’étant approchée du petit autel où se trouvaient leurs reliques, épuisée de fatigue, elle y appuya ses bras et sa tête, et s’endormit. « Alors, dit la chronique du couvent, trois frères, revêtus de l’habit de Saint-Dominique, lui apparurent environnés d’une grande splendeur, et celui qui était au milieu paraissait porté dans un nuage éclatant. Sœur Catherine, s’adressant à  celui-ci, lui dit : « Qui êtes-vous ? — Quoi, lui répondit le Frère, est-ce que tu ne me connais pas?  — Non, Père, dit Catherine, je ne vous connais « pas ! — Mais à qui demandes-tu ta guérison? répliqua-t-il. — Au frère Jérôme, répondit-elle « aussitôt.—Eh bien! c’est moi qui suis frère Jérôme et je viens te guérir. Mais avant promets-moi « d’obéir toujours fidèlement à tes supérieures et à ton confesseur, et puis d’aller te confesser ce matin pour faire la communion. Là-dessus, il fait un grand signe de croix sur elle, et elle se trouva parfaitement guérie. Effrayée d’abord d’une si subite et si grande transformation, sa frayeur disparut bientôt pour faire place à une immense allégresse et une vive reconnaissance envers Dieu . » Ce prodige est resté comme un des plus mémorables événements du monastère, à cause de la gloire du bienheureux Jérôme et de ses compagnons qu’il consacre d’une manière si éclatante. Il eut aussi pour résultat immédiat de modifier sensiblement l’attitude des sœurs vis-à-vis de notre sainte. La vertu héroïque qu’elle avait déployée dans cette longue maladie, et la protection merveilleuse du Ciel dont elle venait d’être l’objet, ne leur permettaient plus de la juger aussi défavorablement. Elles commencèrent à concevoir des doutes sur la nature de ses évanouissements et de ses sommeils, et à se dire que derrière ces apparences vulgaires pourraient bien se cacher des réalités d’un ordre supérieur."

A la Noël 1540 (elle a 18 ans) Savonarole lui apparaît encore amenant avec lui la Vierge Marie portant l'enfant Jésus. Les reliques de Savonarole produisirent encore d'autres miracles notamment en janvier 1541 en soignant une religieuse. Catherine avait aussi des visions de St Thomas d'Aquin, de Saint-Vincent-Ferrier (grandes figures de l'ordre dominicain).

Pour le deuxième anniversaire de sa guérison la nuit précédant le 23 mai 1542 elle a à nouveau une apparition de Savornarole qui l'amène à Jésus avec toutes les soeurs du couvent. Je passe ici les passages sur l'union mystique de Sainte Catherine à Jésus, ses stigmates etc.

"Le tribunal du Merveilleux" de Yvonne Chauffin et Marc Oraison, livre d'inspiration catholique mais enclin à rationaliser, dans les années 1970, les excès des mouvements charismatiques relativise un peu les témoignages des moniales dans monastères, à propos de la congrégation récente de soeur Yvonne-Aimée de Malestroit, ce qui vaut aussi sans doute pour les témoignages recueillis par Serafino Razzi. Et il faut prendre en compte aussi ce que disait le psychologue Boris Cyrulnik il y a 5 ans dans une conférence ici de la complexité du phénomène des extases.

Cependant on ne peut pousser le scepticisme jusqu'à penser qu'il ne se passait "rien" au couvent de Saint-Vincent, et ce qui est intéressant c'est que ces prodiges émanaient d'une figure dont le pape refusait de reconnaître la sainteté (à la différence par exemple de Philippe de Néri) à cause de son engagement supposé avoir été trop loin dans le sens de l'égalitarisme démocratique (et de l'anticapitalisme, si l'on veut utiliser un vocabulaire plus actuel). On a vu dans mon livre sur Lacordaire que les débats sur Savonarole ont pris une nouvelle tournure au XIXe siècle quand s'est posée la question d'un catholicisme républicain (le P. Bayonne y fait référence au début de son livre). L'Eglise a essayé de dire, tout en canonisant Catherine de Ricci, que celle-ci n'était liée qu'à l'enseignement moral de Savonarole (qui avait réalisé des exploits pour la réforme des moeurs et de la pratique religieuse de la bourgeoisie et du prolétariat florentins) et non à son engagement politique, mais séparer action politique et oeuvre morale chez ce prédicateur est assez arbitraire. Et, du coup, il y a là matière à interrogation sur ce que cette histoire dit de la mission politique du christianisme dans la société.

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La conversion de Liane de Pougy

14 Octobre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Sainte-Baume, #Christianisme, #Anthropologie du corps

Feu l'académicien Jean Dutourd, dans "La Chose Ecrite" (2009, p. 137) sous le titre "Marie Madeleine" nous décrit Liane de Pougy (Anne-Marie Chassaigne) qu'il resitue dans l'histoire des grandes courtisanes françaises dont il cite le nom et dans le contexte sociologique de celles des années 1900, qu'il cite aussi (Emilienne d'Alençon, Lina Cavalieri, la Belle Otero, Cléo de Mérode, les trois dernières n'étaient pas françaises, ce qui fit de Liane une gloire nationale) et dont il précise que son père, chirurgien parisien au début du siècle les avait aperçues chez Maxim's dans leur armure de "cuirassiers du plaisir" selon le mot de Cocteau qui les avait connues. En 1910, à 41 ans, elle avait abandonné sa fonction de cocotte, un an plus tard elle commence à écrire ses Cahiers bleus, un journal (dont Dutourd compare le style à celui de Morand), qu'elle allait léguer au père dominicain de la Sainte-Baume Rzewuski, ancien illustrateur de mode converti sous l'influence de Maritain en 1926, ami d'André Chouraqi etc.

Dans son "Nos Belles Mondaines" en 1895 le journaliste Gaston Bonnefont nous la dépeint à 26 ans dans son environnement ordinaire fait de luxe et de volupté. Le préfacier de ses Cahiers bleus allait décrire l'intérieur de son âme différemment comme "maladivement sensible et susceptible. Prompte à céder à des engouements et aux amitiés, elle l'est aussi pour qu'un rien puisse en causer la rupture".

Quarante-huit ans (en 1943) plus tard cette fille d'un capitaine des lanciers en retraite deviendra dominicaine tertiaire.

L'itinéraire de sa conversion dans les années 20 se nourrit de celui d'un autre bisexuel mondain devenu mystique, le poète Max Jacob, exilé au monastère vide de Saint-Benoît-sur-Loire, pour qui elle tricote des chaussettes et écharpes rouges. "Pourquoi ne deviendriez-vous pas une sainte ? Vous en avez l'étoffe", lui avait-il écrit. Jean Chalon qui a été le préfacier de leur correspondance (et l'auteur de biographies de femmes illustres) juge que "Max Jacob rencontra en sa princesse une pénitente de choix" et fut comme son directeur de conscience, ce qui est sans doute un peu exagéré.

A vrai dire dans le début de ses Cahiers bleus, en 1919 c'est plutôt elle qui se sent plus catholique que lui, car elle lui reproche d'avoir écrit dans "La Défense de Tartuffe" qu'il a eue une "sacrée apparition" de Jésus au lieu d'une "apparition sacrée".

Il semble que son mari Georges Ghika (1884-1945), prince roumain, fils d'ambassadeur, ait joué un rôle dans le cheminement chrétien de sa femme, comme de Max Jacob, ce dernier écrivant en août 1921 : "Georges m'a aidé dans ma marche vers la perfection en me donnant l'exemple des vertus chrétiennes, de l'éducation chrétienne, de l'esprit raffiné chrétien, de la réserve, de la dignité, de l'excessive modestie qui sont le christianisme même. Il est un Seigneur chrétien de l'histoire".

Les rapports avec Max Jacob furent en dent de scie comme avec tous ses amis avec qui elle rompait facilement pour se réconcilier avec eux tout aussi vite.

Le dominicain Alex-Ceslas Rzewuski, lui, avait rencontré Liane vers 1924 chez Mme Ganna Walska, chanteuse d'opéra américaine d'origine polonaise, épouse du magnat Mc Cormick.

Il raconte en ces termes ses premières impressions sur le couple Ghika :

"On se mit à table. Je fus placé à la gauche de la maîtresse de maison dont la place d'honneur, à sa droite, fut occupée par une curieux personnage qui attira mon attention. Petit, le teint basané, je le pris pour quelque Américain du Sud, bien que son élégance ne manquât point d'une certaine distinction tout en gardant un léger caractère inquiétant.

Ma voisine de gauche était une ravissante personne. Très élégante, elle était vêtue d'un strict tailleur gris perle, de coupe classique et anglaise. On l'aurait facilement prise pour une lady arrivée d'outre-Manche si son joli chapeau, du même ton que son costume, ne lui avait apporté quelque chose de raffiné et très parisien.

Pouvait-on lui donner un âge ? Difficilement ; mais, malgré la souplesse de sa silhouette la parfaite beauté de ses traits, il me semblait qu'elle n'était plus d'une première jeunesse. Peut-être, me disais-je, avait-elle entre cinquante-cinq et soixante ans. S'il en était ainsi, elle les portait fort allègrement bien. Son parfait profil d'un antique camée, la beauté de son regard et le charme de son sourire n'avaient encore subi aucun des outrages du temps; Oui, ce sourire ! Il était certes bien joli et pourtant, sans atténuer la discrétion de l'ensemble de sa personne dont émanait une réelle distinction, il y avait en lui quelque chose d'indéfinissable, d'indéniablement équivoque, aux limites du "canaille".

L'échange aimable de banalités qui permet de découvrir l'identité d'une personne que l'on ne connaît pas et avec qui on voudra s'entretenir tout le long d'un grand repas me fit comprendre - car elle me parla aussitôt du voisin de droite de Ganna Walska comme de son mari - que ma charmante voisine n'était autre que la très célèbre courtisane de la fin du XIXe et du commencement du XXe siècle. Je compris aussi que le mystérieux monsieur auquel le protocole avait réservé la première place à la table était le prince roumain qu'elle avait épousé depuis quelques années, Georges Ghika".

Pendant la seconde guerre mondiale, Liane de Pougy et son mari Georges Ghika se réfugient en Suisse. Rzewuski, devenu dominicain en 1926 et directeur spirituel d'un séminaire international de son ordre à Fribourg, se rend parfois à Lausanne, rendre visite à une cousine paralysée à la clinique de Bois-Cerf tenue par des religieuses françaises. Alors qu'il s'apprête à prendre l'ascenseur dans cette clinique en froc blanc dominicain, il est interpellé par le prince Ghika car Liane (qui portait lorsqu'il a croisé le couple quelques jours plus tôt, un manteau de vison et un petit chapeau recouvert de longs voiles - ce qui ne fait pas très tertiaire dominicain) l'a reconnu lors de leur précédente rencontre et a mandé son mari pour le solliciter. Elle est maintenant alitée dans une chambre de la clinique presque tout le temps, mais souhaite le revoir.

Pendant cinq ans il allait tantôt déjeuner avec le couple dans la salle à manger de Bois-Cerf, tantôt la voir dans sa chambre dans son lit où tout était bleu pâle, "en l'honneur de la sainte Vierge à qui dès sa naissance sa mère l'avait consacrée".

"Peut-être sa figure s'était-elle légèrement émaciée et comme allongée, ce qui lui conférait quelque chose de serein et même d'un peu sévère. Etendue sur son lit, elle ne perdait rien de son élégance de jadis. Lorsqu'elle était assez bien pour déjeuner à la salle à mange, elle y venait de sa belle démarche souple de jadis, peut-être un peu ralentie, en s'appuyant légèrement au bras de Georges".

Bizarrement, alors que Max Jacob trouvait Georges très chrétien, Rzewuski le qualifie d’agnostique ("malgré son agnosticisme, Georges m'a toujours manifesté de l'amitié". Il précisera que Liane le décrivait comme "dégénéré, voire anormal et hystérique" (en 1919 elle disait qu'il est "un ange, un amour, un tout petit exquis, un vieux sage, un morne philosophe, un érudit etc. On lui reproche d'être... trop beau"). Il lui aurait empruntée un jour une de ses petites amies, ce qui allait inverser ensuite sa culpabilité à son égard d'avoir été une ancienne prostituée. Son agnosticisme est assez cohérent avec ce que Liane dit de sa belle-mère, qui avait seulement dix ans de plus qu'elle, qu'elle "ne croit ni à Dieu ni à diable, le crie tout haut".

Rzewuski la jugea digne de prendre le froc noir et blanc du tiers ordre de Saint-Dominique, ce qu'elle fit à la chapelle de la clinique. Elle récita après ça chaque jour comme le lui imposait la règle le petit office, le chapelet, la lecture de l'Evangile. Elle s'enthousiasma pour la lecture de L'imitation de Jésus-Christ de Thomas a Kempis dont elle lisait chaque jours un ou plusieurs chapitres. Son mari se plaignait qu'elle restât encore capricieuse et versatile, mais elle était devenue plus sereine et patiente.

Le dominicain jettera ce regard rétrospectif sur sa conversion . "On a souvent parlé et écrit à son sujet comme d'une conversion ? Etait-elle vraiment une convertie à l'instar d"un Saint Paul, d'un Saint Augustin, d'un Pascal, ou, de notre temps, d'un Claudel, des Maritain ? Ce serait plutôt à une Marie-Madeleine que son passé et son présent me font penser (...)

Dès son enfance Liane avait toujours eu la foi. Elle l'eut dès sa naissance entourée de sa pieuse famille. Adolescente, les bonnes soeurs de son pensionnat breton où ses parents l'avaient placée l'astreignirent aux pieux exercices de son temps et de son milieu : leçons du catéchisme, du chapelet et dévotion bretonne à Sainte-Anne-d'Auray.

On y prit soin aussi de sa bonne éducation, de ses  jolies manières (...). D'après ce qu'elle en dit, même durant ses années les plus orageuses, elle ne manquait pas, en passant près d'une église, d'y entrer et d'y allumer un cierge. En 1910, lorsque se posa le problème de son mariage avec le prince Ghika, elle voulut le faire célébrer selon sa religion dans une église catholique. Rien ne s'y opposait d'ailleurs car, quoique divorcée de son premier mari, le lieutenant de vaisseau Pourpre, celui-ci était décédé depuis déjà vingt ans. Pourtant, c'est la mort de son fils Marco, l'aviateur tombé au champ de bataille en 1916 qui lui porta le coup cruel qui lui redonna en nouvel élan de religiosité".

Effectivement le début de ses Cahiers Bleus, dès avant les années 20, comme on l'a déjà dit plus haut, révèle une inspiration chrétienne. Celle de la peintre diariste russe Marie Bashkirtseff, morte à 25 ans en 1884, qui était très dévôte, Le 2 juillet 1919, pour son 50ème anniversaire, elle précise que la Sainte Vierge était apparue en rêve à sa mère (43 ans, demi-espagnole par son père), assise dans un beau cerisier blanc et lui aurait dit "Tu auras une petite fille le jour de ma fête. Elle sera appelée Marie. Je la protègerai. Après une vie mouvementée elle finira grande sainte au paradis". Liane ne naquit pas le 15 août, mais le 2 juillet, jour de la visitation donc  la prédiction s'est réalisée. Elle fut marquée par la religiosité de sa mère mais aussi de sa voisine créole à l'accent des îles, qui fut pour elle une sorte de seconde mère. Il est possible que le christianisme de sa mère se soit construit par opposition à la frivolité de la grand mère maternelle qui, belle, avait eu une liaison avec Victor Hugo (sa mère fit détruire sa correspondance compromettante avec l'écrivain) et vécut dans le luxe.

Elle était sujette à des migraines une fois par mois. Le 3 juillet 1919, jour de migraine, elle éteint la lumière le soir, "un demi-coma la terrasse", elle veut "faire sa prière" et" au milieu de ses invocations à sa patronne chérie, Ste Anne d'Auray, elle voit nettement (son mari) couché dans la maison de santé du professeur Hartmann (à Neuilly)... prend sa main qui est déjà glacée",puis elle se rend compte que son mari dort près d'elle. "Elle se sent agitée, pénétrée de terreur, inondée de sueur, enfiévrée, tremblante", s'inquiète parce que son mari doit être opéré, demande des protections, promet d'aller à Lourdes et Auray et donner 5 000 francs aux pauvres si tout se passe bien.

Son problème était de réconcilier son passé de cocotte avec sa foi. "Mon père, sauf tuer et voler, j'ai tout fait" avait-elle dit au prêtre qui' l'avait confessée avant son mariage. Je soupçonne que - comme c'est souvent le cas quand les péchés sexuels sont abondants - parmi toutes ses fautes, il y eut l'occultisme. Le chapitre "L'alchimiste" de livre "Les sensations de Mlle de la Bringue" qu'elle écrivit en 1904 (alors qu'elle était encore courtisane) le laisse entendre.

Passant en voiture en Savoie en 1926, obéissant à une inspiration surnaturelle, elle alla sonner à la porte de l'Oeuvre de Sainte Agnès qui s'occupait d'enfants monstrueux. Devant cette humanité dégradée qui pousse des cris et des gloussements qui lui ont fait prendre conscience à elle de sa déchéance et de son besoin de Jésus, ce qui allait la conduire à se dévouer à cette oeuvre. Elle mourut en décembre 1950 au Carlton de Lausanne et enterrée en Savoie dans le cimetière qui recueillait les restes des enfants monstrueux de l'Oeuvre de Sainte-Agnès.

J'avoue que cette histoire de la prêtresse de Sappho "cuirassière du plaisir" devenue dominicaine m'a laissé assez perplexe. On sent qu'il manque beaucoup de pièces au puzzle pour pouvoir ne serait-ce qu'entrevoir l'arrière-plan spirituel de tout cela. Peut-être faudrait-il que je lise l'intégralité des Cahiers Bleus. Cette lignée maternelle bizarre qui va de Victor Hugo, à Sainte-Anne d'Auray. Cette Sainte Vierge qui annonce l'histoire d'une sainte (surtout d'une "grande sainte", ce qui n'est pas très chrétien : les plus grands sont ceux qui veulent être petits)... Au final la cocotte n'est pas vraiment devenue sainte pour ce qu'on peut en percevoir. Elle ne s'est même pas vraiment convertie. Elle s'est repentie, soit... et encore... elle porte encore du vison, elle n'a pas fait vœu de pauvreté et ne désavoue qu'à demi-mots au nom d'un assagissement bourgeois ses vices sexuels du passé (il en est d'ailleurs un essentiel dont elle ne se défera jamais tout à fait)... Mais en même temps, certes, devenir tertiaire dominicaine ce n'est pas rien... et cette "union" étrange avec une œuvre d'aide aux enfants monstrueux a quelque chose de très impressionnant, et, au fond, d'aussi mystérieux que les migraines dont souffrait la demi-mondaine, et que ses visions. D'un bout à l'autre il y a quelque chose de "bizarre" dans tout cela, d'étrange... même la caution de ce dominicain ancien illustrateur nous questionne tant elle baigne dans une sorte de gentille indulgence qui ne cherche pas vraiment à aller au fond des choses.

Notre époque hédoniste et nihiliste, qui ne s'intéressera qu'à la superficielle (et éphémère) beauté des belles éblouissantes des années 1900 ne s'interrogera pas sur l'envers religieux de ce que certaines devinrent ensuite, sur ce catholicisme tardif qui est un peu le pendant de la "Belle époque" parisienne, un peu comme le mysticisme de Jacqueline-Aimée Brohon était le pendant des "Lumières" rationalistes 180 ans plus tôt. Est-ce vraiment du catholicisme ? est-ce autre chose ? Est-ce le poids de l'âge ? la rançon de la perte d'un fils ? un mouvement de balancier comme la foi de sa mère par rapport àla frivolité de la grand-mère ? Quels ont été les fruits de tout cela auprès de l'entourage ? Ne fut-ce qu'un feu de paille au fond d'une clinique de Lausanne quand la beauté du corps a perdu ses éclats ? Pour les enfants malformés de Savoie ce ne fut pas seulement cela. Et pour d'autres ? On aimerait savoir.

En tout cas voilà encore quelqu'un qui est lié à la Ste Baume, où elle était allée. Voyez sa phrase du 1er avril 1932 (vendredi saint) : "J'ai écrit au dominicain dont l'éloquence m'avait frappée pendant mon séjour à la Sainte-Baume. Le Père Sineux est jeune, vibrant, son verbe entraîne. Il est prieur à Saint Maximin entre Toulon et le pieuse montagne". Il paraît qu'elle était déjà Madeleine dans ce tableau de 1891 (à 22 ans).

 

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Les contacts avec les morts qui s'imposent à nous : Lytta Basset

24 Septembre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Médiums

J'ai souvent dit que, si le spiritisme était condamnable, l'Eglise catholique a souvent admis les contacts avec les morts qui s'imposent aux gens sans qu'ils le recherchent.

J'ai trouvé à cet égard le témoignage (Regards Protestants 27.19.2022) de Lytta Basset, théologienne protestante née en Polynésie, professeure à la Faculté de théologie de Neuchâtel en Suisse, assez instructif, parce qu'elle évoque un message de 2007 de son fils suicidé en 2001 délivré dans des circonstances vraiment atypiques où non seulement elle-même n'a rien choisi, mais où même la médium choisie n'avait jamais eu de contact de type spirite auparavant : "On m'a demandé d'assurer un cours sur la compassion, dit-elle, et à ce moment là il y a une personne qui ne souhaitait pas assister à ce cours a été sollicitée de tous côtés pour s'inscrire. Elle n'avait jamais entendu parler de moi (...) elle s'est inscrite un peu contrainte et forcée à ce cours, et dès le premier soir, elle sent une présence qu'elle ne s'explique absolument pas, très forte, très intense, et dans cette conférence inaugurale je parle du deuil. Et elle comprend très vite qu'en fait la personne qui  manifeste sa présence c'est notre fils Samuel. Dès les premières phrases que nous transmettait cette personne, ça correspondait à la réalité, la manière dont il est mort, pourquoi il l'a fait". Mme Basset allait ensuite elle-même éprouver cette présence directement. Elle souligne que ce contact répondait à une nécessité précise, revêtait une signification particulière, et qu'en général cela n'arrive pas pour simplement "épater la galerie".

Ce genre de contact (VSCD -Vécu Subjectif de Contact avec un Défunt) non voulu concernerait un quart de la population, et plus de 50 % chez les veufs.

Mais le témoignage de cette femme en laisse plus d'un sceptique aussi bien dans la section "commentaire" sur You Tube et en commentaire de son livre sur Amazon, car cela la place en contradiction avec sa prédication biblique.

Pour ma part j'observe qu'elle va assez loin dans sa relecture de la Bible, mobilisant le New Ager Deepak Chopra, le père François Brune avocat du spiritisme, ou le visionnaire Swedenborg. Elle minimise la notion de Jugement final, réduit à un choix que l'âme ferait pour son propre destin etc. Il y a là un assouplissement intéressant de l'interdit biblique du contact avec les défunts (assouplissement qui est aussi chez Saint Augustin, et dans le catéchisme catholique), mais un assouplissement qui va peut-être un peu trop loin. Et en lisant son livre, on sent que la façon dont l'intermédiaire (surnommée Myriam) a été sollicitée par la présence du fils défunt, d'une manière très prolongée et complexe, avec des références bibliques, et qui font directement appel aux origines hébraïques de l'une et l'autre des protagonistes, mériterait d'être analysée beaucoup plus en profondeur à la lumière du vécu de ces deux femmes, et peut-être même de celui de leurs ancêtres, pour comprendre ce qui s'est vraiment révélé dans cette expérience de VSCD et en quoi les leçons que Lytta Basset en tire sont si généralisables qu'elle prétend. Bref il y aurait un travail complémentaire de discernement à fournir, me semble-t-il.

La côté le plus intéressant du témoignage me semble être (dans le livre, car dans la vidéo elle n'a pas le temps de l'exprimer), cette dimension de réparation de ce que l'âme du défunt à travers le VSCD. La mère fait une sorte de "tiqqun" de ce qui a pu être manqué dans le rapport affectif du vivant de l'enfant, et l'intermédiaire du contact participe aussi de ce travail par ses propres émotions. Cela pourrait permettre une activité de sortie du purgatoire si l'on veut (mot non prononcé par Mme Basset qui est protestante) un peu différente des prières pour les défunts classiques (mais je parle au conditionnel, car le travail émotionnel peut être exploité par des forces tierces suspectes, on ne peut pas encourager cela sans poser des limites).

En matière de VSCD, il semble y avoir aussi un livre intéressant de 2004 qui s'appelle "Karine après la vie", dont la médium parle Sophie Lafalize, adepte des "dream catchers" (cf cette vidéo - ustensile toujours un peu suspect à mes yeux), interviewée par Reynald Roussel (vidéo mise en ligne le 16 septembre 2023). Mais je ne peux pas en dire plus, je ne l'ai pas lu.

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Le fouet des paillards (suite)

14 Septembre 2023 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Christianisme

Il y a un an, je m'étais penché sur l'histoire terriblement embrouillée de la possession de Louviers, qui a un rapport direct avec la question de la nudité publique et qui fut traité avec une mauvaise foi incroyable par Michelet (mais pas seulement lui).

Le curé de Mesnil-Jourdain, Mathurin Picard ou Le Picard qui fut condamné (peut-être à tort) par le Parlement de Normandie à titre posthume (on brûla son cadavre le 21 août 1647) avait publié en 1623 "Le Fouet des Paillards", qui se lit encore fort bien sur Google Books (ironiquement la livre est dédié à Robert le Roux, président du Parlement de Normandie, dont Mesnil Journain relevait - son auteur était loin de se douter du sort que lui réserverait ce Parlement).

Je reprend ici la p. 216-217 un passage (que j'avais déjà cité l'an dernier) qui donne un avant-goût de certaines dérives new-age libertaires du protestantisme anglo-saxon, et qui expliquait aussi pourquoi déjà l'époque de Calvin des libertin se mêlaient au mouvement protestant (il faut peser ici au livre "Le mouvement du libre-esprit" de Raoul Vaneigem).

"Florimond de Raymond, écrit Le Picard, remarque que, entre les sectes anabaptistes, qui sont plusieurs en nombre, il y en avait une qui s'appelait les Libres, qui ne sont sujets,, disent-ils, à payer aucun tribut, ni obéir aux princes. Ce sont qui disent le mariage être spirituel, et mettent es femmes en commun, avec cette brutale opinion, que ce mélange est sans péché : ainsi faisaient les gnostiques, écrivait St Epiphane (...). Ces Libres enseignent que toute femme doit accorder par charité qu'un homme de sa religion lui demande, lorsqu'inspiré de Dieu, il lui dit : mon esprit convoite ta chair, viens donc et faisons merveille : et cite à ce propos un auteur nommé Feliciatius Captinonus, qui fait un plaisant conte de ces inspirés, lequel, à l'entrée de la maison de l'un de ses amis, lui dit : Le St Esprit m'a commandé que je couche avec ta femme : je le veux, dit-il, et sur l'heure commande à sa femme de lui obéir. Comme elle fait préparer le lit, il jette les yeux sur sa fille plus belle, et plus jeune : non, dit-il à la femme, le St Esprit veut que ce soit ta fille : l'un et l'autre obéissent à ce commandement. Le mari de retour le matin, il trouve ce rustre entre les bras de sa fille; Comment, dit-il, le St Esprit est-il trompeur ? Il a commandé de te donner ma femme, et tu prends ma fille ?Ce même St Esprit me commande de t'en faire porter la peine. Sur quoi il lui enfonce un poignard dans le sein et le tue".

(On notera aussi que p. 83 le prêtre trace un lien intéressant entre la femme impudique et les géants)

 

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