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Articles avec #anthropologie du corps tag

Antoinette Bourignon et l'hermaphroditisme d'Adam

24 Novembre 2020 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées, #Anthropologie du corps, #Christianisme, #Notes de lecture

L'idée qu'Adam ait été à l'origine un androgyne (Genèse 1:27) et qu'Eve soit née d'une séparation de sa personnalité et de ses sexes est ancienne. On la trouve déjà chez Philon d'Alexandrie (-20/+45) et la rabbine Horvilleur dans "En tenue d'Eve" accorde du crédit à cette lecture de la Bible en se fondant sur la traduction du mot Tzela comme côté et non côte.

Voltaire connaissait cette tradition que, dans son Dictionnaire philosophique (article Adam), il attribue aux rabbins. et il attribue aussi la défense de cette idée à Mme Bourignon (1616-1680) : "La pieuse Mme Bourignon était sûre qu'Adam avait été hermaphrodite, comme les premiers hommes du divin Platon". (Il aurait pu ajouter qu'une secte sous le pape Innocent III l'avait affirmé aussi ainsi que Jakob Boehme).

Effectivement on lit dans « La Vie continuée de Mademoiselle Bourignon » :

« Adam, le premier homme, dont le corps était pur et plus transparent que le cristal, tout léger et volant pour ainsi dire ; dans lequel et au travers duquel on voyait des vaisseaux et des ruisseaux de lumière qui pénétraient de dedans en dehors par tous ses pores, des vaisseaux qui roulaient en eux des liquides de toutes sortes ; très vives et toutes diaphanes, non seulement d’eau, de lait, mais de feu, d’air et d’autres…

« Il était de stature plus grande que les hommes d’à présent ; les cheveux courts, annelés, tirant sur le noir, la lèvre de dessus couverte d’un petit poil ; et, au lieu des parties bestiales que l’on ne nomme pas, il était fait comme seront établis nos corps dans la vie éternelle, et que je ne sais si je dois dire : il avait dans cette région la structure d’un nez, de même forme que celui du visage ; et c’était là une source d’odeurs et de parfums admirables. De là devaient aussi sortir les hommes dont il avait tous les principes en soi, car il avait dans son ventre un vaisseau où naissaient de petits œufs et un autre vaisseau plein de liqueur qui rendait ces œufs féconds… Et cet œuf, rendu fécond, sortait quelque temps après par ce canal hors de l’homme, en forme d’œuf et venait peu après à éclore en homme parfait ».

Le Monde illustré du 18 mai 1935 présentait ainsi  Mme Bourignon :

"Antoinette Bourignon, vers 1640 est une lilloise illuminée, qui s'imagine n'être plus une femme tout en n'étant pas un homme. Antoinette devient une sorte d'idole villageoise, encensée par la comtesse, les paysans et le jeune curé Clergeot, que les jurassiens ont emmené avec eux. Le hasard fait que Clergeot n'est point aussi très bien fixé sur sa véritable nature. Antoinette Bourignon et la comtesse se le disputent. Antoinette emmène l'Eliacin à Lille où (déguisées en femmes), ils ou" elles dirigent un orphelinat, lequel «orphelinat se peuple bientôt d'enfants, ce qui donne à penser que Clergeot a choisi entre ses deux possibilités. Chassés de Lille, chassés de Flandre, Antoinette et ses paysans se réfugient en Hollande. "

Ce que ne dit pas le résumé c'est que son orphelinat de filles fut frappé d'un cas de possessions collectives, ce que nous apprend Reinach. Un mémoire de le Société des sciences de l'agriculture et des arts de Lille de 1853 a un avis plus nuancé sur la question, tout comme sur l'ensemble du personnage de Mlle Bourignon.

Celle-ci voulait en elle-même incarner le premier Adam hermaphrodite. C'est un de ses aspects les plus pittoresques.

Voltaire avait entendu parler de cette visionnaire par le Dictionnaire de Bayle.  Le critique d'art Louis de Fourcaud l'avait appréciée, au même titre que Mme Guyon.

J'aime bien à son propos cette anecdote relevée par Bayle qu'elle avait eu en 1666 une vision de Bruxelles en feu, qui la persuada de quitter la ville (alors que la capitale belge n'allait être bombardée qu'en 1695).  Et encore cette remarque de l'encyclopédie catholique disant qu'elle "  était d'une difformité et d'une laideur tellement repoussante, qu'à sa naissance une assemblée de famille discuta si elle ne devait être étouffée. Antoinette s'exila du monde, vécut dans la solitude où elle se livra avec passion à la lecture, séduisante pour elle, des livres mystiques." Dans un livre d'histoire du Dr Bouquet il est question de son bec de lièvre qui aurait disparu avec l'âge. Etait-elle vraiment si laide que cela ?

Dans les années 30 (en 1934 précisément)  André Thérive dans le roman "Le Troupeau galeux" essaie de rendre compte de l'épopée de cette cheffe de secte à travers le regard que porte sur elle un prêtre rescapé de l'incendie du village de Saint Claude dans le Jura par les troupes de Richelieu... Mais le roman a le défaut de toutes les approches "savantes" du XXe siècle. Il réduit le surnaturel à la psychologie. Cette Mlle Bourignon aux yeux de Thérive n'est plus qu'une solitaire à la fois géniale et détraquée qui aurait forgé son idéal androgynique après avoir été violée par un capitaine de l'armée, pour dépasser le traumatisme.

Si tel était le cas, elle n'aurait pas séduit autant d'esprits brillants de son époque qui ont tout abandonné pour sa prédication religieuse. Il y a autre chose, mais quoi ? Qui lui souffle ces idées sur Adam qui recoupent si étrangement une certaine mystique juive ? Qui lui dicte les centaines de pages qu'elle écrit ?

J'ai parcouru les témoignages de "Toutes les Oeuvres d'Antoinette Bourignon", un recueil de courriers détaillés de Flamands contemporains d'Antoinette qui certifient qu'elle était la plus honnête des personnes et la plus charitable. Ce sont pour la plupart des protestants qui saturent leurs commentaires de références bibliques pour assurer que rien chez "la Bourignon" ne dépassait de ce cadre et que c'était une vraie sainte. Une sainte ou une possédée ? Probe elle l'était, au point de rester attachée au catholicisme romain en terre réforme, malgré son excommunication : on ne peut pas lui reprocher de chercher à s'adapter à son auditoire, ce qui ne l'empêche pas de fasciner les calvinistes. Son austérité à l'égard de l'argent et des plaisirs de la chair ne fait pas de doute non plus - mais Hilaire Belloc ne disait-il pas que les hérétiques faisaient toujours surenchère de vertu, qu'ils étaient inspirés par le diable pour ce faire ? Dans le cas de Bourignon, on hésite tout de même, un peu comme à propos d'Origène. Comment tant de vertus et tant d'intuitions bibliques pourraient-elles n'avoir comme fin que la perte de la chrétienté ? Alors quoi ? Un christianisme alternatif, ou simplement "autre", qui aurait dû se voir reconnaître une place parmi d'autres options bibliques ? On ne sait. Antoinette Bourignon était convaincue d'être la voix du vrai christianisme, du seul, et pour elle toutes les églises protestantes comme catholiques mouraient d'hypocrisie et de dépravation, c'était la fin des temps, seuls ses disciples seraient sauvés. Orgueil des fondateurs de secte. Sans doute la plus grande preuve du luciférisme de cette dame. Mais faut-il mettre au compte aussi d'une inspiration sulfureuse les dons de discernement qu'elle avait qui lui faisaient voir qu'une femme avait épousé son mari seulement sous l'inspiration d'un démon (ce que ladite femme devait avouer spontanément à son curé en confession peu de temps après) ou repérer qui était son ennemi ou son allié au moindre coup d'oeil ? Avec le même discernement et la même foi elle pouvait prédire à quelqu'un qu'il guérirait bientôt, et à quelle condition ou qu'il mourrait. Cependant point de miracles à son actif comme à celui du Padre Pio. Pas de lévitation, pas de dédoublement, pas de guérisons spectaculaires. A ceux qui le regrettent les témoins répondent "sa personnalité seule, sa douceur, sa patience, son humilité et sa persévérance à elles seules valaient tous les miracles".

Etrange phénomène tout de même. Et ses disciples qui l'accompagnèrent d'une ville à l'autre aux Pays-bas fuyant les persécutions que sont-ils devenus après sa mort ? Croyaient-ils tous en l'idéal androgyne aussi fermement qu'elle même ? Il y aurait un livre à écrire sur eux.

Les visionnaires hérétiques sont toujours embarrassants. Parfois ils avancent des questions nouvelles voire des intuitions sur les textes sacrés qui peuvent stimuler les recherches. Il arrive souvent que des exégètes canoniques aillent regarder les "trouvailles" des hérétiques. Par exemple dans cette conférence à l'Ecole nationale des Chartes de 2015 (minute), l'historien de l'art Yves Christe rappelle que le donatiste Tyconius (IVe siècle) dans ses commentaires de l'Apocalypse était utilisé par les auteurs "orthodoxes", quoiqu'avec réticence : Primase évêque d'Hadrumète au milieu du VIe siècle dit à son propos qu'il l'a utilisé mais qu'il a été "chercher des perles dans du fumier". Bède le Vénérable dit qu'il est allé chercher "des roses parmi les épines". En se penchant sur certaines intuitions d'Antoinette Bourignon, risque-t-on de trouver des perles dans du fumier ?

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Au delà du naturisme... l'occultisme et l'unification planétaire

9 Octobre 2020 , Rédigé par CC Publié dans #Anthropologie du corps, #Généralités Nudité et Pudeur, #Histoire secrète, #Histoire des idées

Un prêtre dans une conférence du Club 44 sous le titre "La naturisme, un style de vie", le 17 avril 1980, le père Dominique Biondi, habitué de Montalivet,défend le naturisme, puis dit du bien de l'alchimie, du spiritisme, de la prière commune avec toutes les religions à travers le monde (dans l'esprit de ce que la Société de Théosophie et le Lucis Trust ont inspiré au niveau de l'ONU par exemple avec La Journée de la Terre), lâche, à la minute 1h20mn :"C'est comme une mission qui m'a été donnée, mais c'est une mission accessoire. J'ai parlé du naturisme ce soir parce que vous me l'avez demandé, mais il n'empêche que dans mon message naturiste je pense que vous avez compris qu'il y a autre chose et qu'il y a davantage dans ma tête que le fait de se mettre à poil dans un coin de plage, n'est-ce pas ?"

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Recherche sur la nudité : appel à témoignage

17 Juillet 2020 , Rédigé par CC Publié dans #Généralités Nudité et Pudeur, #Anthropologie du corps

Il y a douze ans, j'ai publié une recherche en anthropologie "La nudité, pratiques et significations" (éditions du Cygne).

J'aimerais reprendre les interrogations posées dans ce livre à partir d'une autre perspective. Mais j'aurais besoin de témoignages. Si vous êtes facilement enclin à vous dénuder, y compris dans les endroits publics ou si vous connaissez des personnes qui ont ce penchant, svp n'hésitez pas à me contacter au moyen de ce formulaire. Merci.

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Une remarque de Reinach sur l'histoire des débats autour de la pudeur

4 Décembre 2019 , Rédigé par CC Publié dans #Généralités Nudité et Pudeur, #Anthropologie du corps

En octobre 2019, j'avais exhumé les thèses de la féministe franc-maçonne belge Céline Renooz (1840-1928) sur la pudeur féminine comme résultat d'une "censure masculine".

L'historien des religions et chantre de la "psychologie ethnique" Salomon Reinach (1858-1932) qui était un contemporain de Renooz dans un article sur la prohibition de l'inceste (Cultes, mythes et religions., p. 89) préfère, comme Durkheim (qui le rattachait au tabou du sang, le voile ayant pour effet de couper l'impact magique) déceler un tabou à l'origine de la pudeur féminine sans toutefois prétendre pouvoir expliciter de quel tabou il pouvait bien s'agir.

Pour lui, l'hypothèse selon laquelle la femme fut couverte uniquement pour servir l'égoïsme du mari possessif et jaloux est caractéristique des discussions du 18e siècle peu au fait de la méthode historique. Il évoque à ce propos les mémoires de Mme d'Epinay, l'amie de Rousseau et de Grimm, qui rapporte à ce propos une conversation dans son salon où le romancier Duclos défendait cette théorie. Pour Reinach ce genre d'hypothèse n'a pas plus de valeur que celle selon laquelle la pudeur est une simple coquetterie (Parny), celle de Schopenhauer qui voit dans la pudeur une honte naturelle qu'éprouveraient les organes à donner la vie (sic), ou l'idée que ce serait une timidité du corps (le journaliste Gabriel Charmes dans une lettre qu'il lui avait envoyée du Caire) ou quelque arme naturelle pour empêcher les promiscuité aveugle (Jean-Marie Guyau dans une lettre qu'il lui envoya en 1880 - à l'âge de 26 ans). Reinach dans ce chapitre critique aussi ce qu'il appelle le "darwinisme allemand" à travers une thèse qu'il trouve dans "Die Anfänge der Kunst" (p. 89) d'Ernst Grosse, selon laquelle le cache-sexe féminin initialement fait pour attirer l'attention de l'homme sur l'entre-jambe de la jeune fille (chez les aborigènes australiennes selon Brough Smyth, chez les andamanaises) aurait été ensuite inversée en outil de protection. Il estime cette inversion incompatible avec les principes mêmes de l'évolution.

A n'en pas douter la volonté de Reinach de s'appuyer sur l'histoire des peuples et l'ethnologie était louable, mais elle s'exposait aux dangers des biais des observateurs, comme ceux, devenus célèbres, de l'exploratrice Margaret Mead en Océanie.

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La québécoise

17 Novembre 2019 , Rédigé par CC Publié dans #Massages, #Anthropologie du corps, #Médiums

Rencontré une autre masseuse, "masseuse sophrologue" cette fois, jeudi dernier... Quadra, québécoise, très sympathique et cordiale. Mais au fond toujours le même arrière-plan spirituel : catholique d'origine, "tombée en amour" des représentations du Bouddha "symbole de l'équilibre", et, quand je lui demande "est-ce que vous n'êtes pas un peu médium ? est-ce que vous ne ressentez pas des présences ?", elle dit : "je refuse de répondre". Quand je précise "j'ai connu des masseuses médiums", elle hausse les épaules : "elles n'auraient pas dû vous le dire, ça peut faire flipper les gens - le magnétisme, la médiumnité, on l'a tous un peu en soi, on décide de le développer ou pas, c'est juste de la sensibilité". Preuve qu'elle en est un peu. Hélas cette idée "tarte à la crème" - "on l'a tous un peu, comme l'oreille musicale" - sent toujours par trop le piège et le soufre, pour mes narines délicates... D'ailleurs ces massages soi-disant relaxants au bout de 10 ou 12 heures font plus de mal que de bien. Ils éveillent des désirs, des incertitudes, quand ils ne plongent pas les gens dans de grosses fatigues. Une voie sans issue, comme notre époque en propose tant.

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La chamane Corine Sombrun

3 Novembre 2019 , Rédigé par CC Publié dans #Médiums, #Pythagore-Isis, #Anthropologie du corps

Vous vous en doutez : je ne suis pas du tout fan du discours transhumaniste de la chamane française formée en Mongolie qui s'exprime ci-dessous sous un angle utilitariste. Elle fait référence à des expériences sous LSD des années 1960 dont on sait qu'elles intéressaient de très près la CIA, puis dans l'autre vidéo à l'ayahuasca qui intéresse beaucoup la famille Bronfman dont on a parlé autour du scandale NXIVM, et on sent bien derrière cette volonté de réduire le spirituel à du scientifique un risque de se prostituer aux firmes pharmaceutiques. Pas sûr que les "esprits" qui ont choisi cette dame pour l'initier au chamanisme voulaient cela, ou alors ce sont les mêmes esprits que captent nos financiers internationaux dans leurs rituels nocturnes d'Halloween, au sein de leurs sociétés secrètes. Rien de bien recommandable (pas étonnant d'ailleurs que la dame se soit exprimée en 2012 aux conférences de TED l'organisation de la Fondation Chris Anderson, tout comme la sataniste Marina Abramovic). Néanmoins, par delà cette utilisation potentiellement très dangereuse de ses dons, le propos de cette dame est intéressant pour comprendre un peu ce qu'il se passe quand le "troisième oeil" est ouvert, ou lorsque quelque chose de comparable se passe (la transe, qui ressemble à une ouverture provisoire du troisième oeil) dans le corps et l'esprit d'un être choisi par des forces dont on ne sait si elles sont du deuxième ciel ou du troisième.

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Saint Paul, les "stoicheia", l'astrologie et la Déesse-Mère

26 Octobre 2019 , Rédigé par CC Publié dans #Christianisme, #Histoire des idées, #Pythagore-Isis, #Anthropologie du corps

Il y a quelques mois, on avait parlé ici de l'astrologie "chrétienne"(à supposer que ce ne soit pas un oxymore...) médiévale et contemporaine à propos d'un livre de Denis Labouré. Il me faut maintenant vous parler d'un texte de 2008 d'un certain Kevin von Duuglas-Ittu, un publiciste qui se présente aujourd'hui sur les réseaux sociaux comme un "écrivain spinoziste". Ce texte, très dense, à la fois évoque la question de l'astrologie, mais aussi ouvre intelligemment des pistes de réflexions sur le rapport du message christique à la sorcellerie de l'époque romaine, et de notre époque (qui paraît très pressée de retourner aux ombres d'il y a 2000 ans...).

Le texte, publié ici en anglais, s'intitule "The Condensation of Specificity: Paul’s Use of “stoicheia”" (la condensation de la spécificité, l'usage par Paul de 'stoicheia'). Je vais vous en exposer le contenu en ajoutant mes remarques personnelles et quelques ponts avec d'autres lectures.

Commençons tout d'abord par préciser que ce monsieur von Duuglas-Ittu, "spinoziste" n'est pas chrétien, ou, en tout cas, ce n'est pas en tant que chrétien qu'il a écrit sur Paul. Tout comme l'historienne française Renée Koch-Pètre dont j'ai souvent cité l'article d'il y a quinze ans sur Paul devant les philosophes de l'aréopage, l'auteur admire Paul l'intellectuel pharisien (celui qui a connu les écoles philosophiques de Tarse), et ses "stratégies discursives". Evidemment nous autres chrétiens savons que tout don intellectuel vient de Dieu, il a été façonné par lui avant notre naissance, parfois lui-même nous a encouragé à la cultiver, ou le diable s'en est emparé à certains moments de nos vies, mais, dans le cas de Paul, après sa conversion sur le chemin de Damas et son abandon total à Dieu et à Jésus-Christ dont il persécutait les disciples, par son intelligence l'Esprit saint lui-même parle, du moins la plupart du temps (il est des moments précis dans les épîtres où il annonce que les intuitions qu'il formule ne viennent pas de Dieu mais de lui-même, mais ce sont des cas très rares), et donc les "belles réussites" rhétoriques de Paul sont autant des accomplissements de l'Esprit saint en lui, que le résultat de la mise en oeuvre de dispositions antérieures à ses conversion. Ce sont des réussites "inspirées", qui sont donc riches d'enseignements pour les situations que nous mêmes devons affronter (puisqu'elles sont en tant que telles intemporelles) autant que pour comprendre en quoi l'apôtre a pu rapidement convertir les masses dans le bassin méditerranéen en son temps.

En prenant les choses seulement sous l'angle humain (avec tout le décodage que nous mêmes devons appliquer sur le volet surnaturel), la démonstration de von Duuglas-Ittu s'attache surtout à montrer que sur un mot, l'apôtre parvient à cristalliser de nombreuses significations et couvrir un panel sémantique très large, qui touche plusieurs publics à la fois, et plusieurs plans existentiels dans la vie des gens (de son époque - et, ajouterons nous, de la nôtre). Les deux termes grecs qui l'intéressent ici sont Nomos (la Loi) et Stoicheia (les Eléments naturels).

Le texte où se déploie l'assimilation entre les deux termes est le chapitre 4 de la lettre aux Galates, qui fait immédiatement suite au passage "il n'y a ni Juif ni Grec", ce qui interdit de n'y voir qu'un texte destiné à des Juifs. Il commence comme ça :

"01 Je m’explique. Tant que l’héritier est un petit enfant, il ne diffère en rien d’un esclave, alors qu’il est le maître de toute la maison ;

02 mais il est soumis aux gérants et aux intendants jusqu’à la date fixée par le père.

03 De même nous aussi, quand nous étions des petits enfants, nous étions en situation d’esclaves, soumis aux forces qui régissent le monde (ou les principes élémentaires du monde - stoicheia).

04 Mais lorsqu’est venue la plénitude des temps, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme et soumis à la loi (nomos) de Moïse,

05 afin de racheter ceux qui étaient soumis à la Loi (nomos) et pour que nous soyons adoptés comme fils.

06 Et voici la preuve que vous êtes des fils : Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie « Abba ! », c’est-à-dire : Père !

07 Ainsi tu n’es plus esclave, mais fils, et puisque tu es fils, tu es aussi héritier : c’est l’œuvre de Dieu.

08 Jadis, quand vous ne connaissiez pas Dieu, vous étiez esclaves de ces dieux qui, en réalité, n’en sont pas.

09 Mais maintenant que vous avez connu Dieu – ou plutôt que vous avez été connus par lui – comment pouvez-vous de nouveau vous tourner vers ces forces inconsistantes et misérables, dont vous voulez de nouveau être esclaves comme autrefois ?

10 Vous vous pliez à des règles concernant les jours, les mois, les temps, les années !

11 J’ai bien peur de m’être donné, en vain, de la peine pour vous.

12 Frères, je vous en prie, devenez comme moi, car moi je suis devenu comme vous."

Ce texte fait suite à la tentation qu'ont eue certaines églises galates d'Asie mineure de rétablir en leur sein la circoncision. Comme le résume Kevin von Duuglas-Ittu, "en cherchant à se circoncire, les Galates risquent de retomber dans leur enfance sous le joug des stoicheia, des gardiens et domestiques du domaine"." Mais quels sont, ou qui sont les 'stoicheia' de Galatie ?" ajoute l'auteur qui ainsi va ouvrir une réponse assez vertigineuse.

Le terme a été controversé nous dit-il. Le théologien Eduard Schweizer (1913-2006), au vu de l'utilisation du vocable par la philosophie grecque et romaine, d'Empédocle à Plutarque en passant par Philon d'Alexandrie estime qu'il s'agit des éléments du monde naturel (par exemple, le feu, l'eau, la terre et l'air) et, ce ne seraient donc que des puissances «craintes mais non vénérées», bien distinctes d'un «groupe de démons» ou d'esprits susceptibles de gouverner le monde. Clinton Arnold, de l'université d'Aberdeen, a pour sa part repéré le sens très spécifique de stoicheia dans la magie et l'occultisme gréco-romains. Il se fonde notamment sur les Papirii magiques grecs (PGM IV .40-41), dans lesquels ce mot désigne les démons (mais oui !) qui régnaient sur chacun des 36 décans astraux du zodiaque et auxquels correspondaient une lettre (*)...  Cette signification technique du terme était répandue dans les textes occultes de l'empire romain et se retrouve même dans le texte de magie juive "Le Testament de Salomon.comme se référant aux mêmes «36 décans également appelés« démons »".

Personnellement je me suis déjà un peu arrêté à la lecture de ce passage, parce qu'il ne m'était même pas venu à l'esprit qu'on puisse appeler les décans du zodiaque des "démons", même si on laisse à ce terme le sens un peu neutre qu'il avait dans l'Antiquité (comme le démon de Socrate ou celui de Marc-Antoine). Même les prédicateurs les plus hostiles à l'astrologie sur You Tube se hasardent à assimiler les décans à des démons. Pour ma part j'ai découvert le mot stoicheia à travers une conférence du prédicateur suisse évangélique Pierre Amey, dans un contexte où il parlait d'astrologie (nombreux sont donc ceux qui rattachent les stoicheia au zodiaque), mais je ne l'avais pas du tout compris au sens de "démons".

Von Duuglas-Ittu propose de ne pas séparer ces deux niveaux de compréhension du terme. Pour un esprit antique, le feu peut être lié à un démon astrologique qui l'anime, et donc le terme stoicheia vaut pour l'élément naturel comme pour sa cause spirituelle.

Il encourage aussi à avoir une conception large de la Loi et des traditions auxquelles Paul rattache ces stoicheia. Comme on l'a souligné plus haut, le texte fait suite à une exhortation à ne plus distinguer Juifs et Grecs, il serait donc peu approprié de n'entendre la loi que comme celle de la Torah juive imposant la circoncision. En Galatie, observe von Duuglas-Ittu,  région peuplée de Celtes hellénisés, à l'époque de Paul le culte dominant est, depuis mille ans, celui d'Agdistis, que les Romains appellent Cybèle, la Grande Déesse Mère, qui inspira l'Artèmis d'Ephèse, et (voyez mon livre sur la Nudité) la première représentation d'une déesse nue par Praxitèle (dont on a reparlé ici en 2016), ce qui n'est pas sans importance pour notre compréhension de l'importance du nu féminin à la Renaissance et jusqu'à la pornographie contemporaine, bref, pour la compréhension de l'esthétique moderne : il faut remonter à Cybèle, et même à la nudité terrifiante d'Ishtar/Inanna qui régnait sur Israël à l'époque des prophètes. Comme l'écrivait en 1999 Susan Elliott (dans une étude biblique spécifique sur la Lettre aux Galates "Choose Your Mother, Choose Your Master: Galatians 4:21-5:1 in the Shadow of the Anatolian Mother of the Gods,"), «la région de Phrygie et de Galatie »(Actes 16: 6, 18:33) était dense en représentations locales de la Mère des Dieux. La liste des lieux de Phrygie qui attestent de la dévotion à la Mère des Dieux couvre de fait toute la carte »(673) (η). Toute référence à la loi, à la coutume et aux pouvoirs renvoie nécessairement, observe von Duuglas-Ittu, à cette divinité omniprésente : le public de Paul ne pouvait pas ne pas avoir cela à l'esprit.

Cybèle, la déesse mère, était très associée à la conservation de l'autorité civique. Elliott a expliqué que son temple (le Metroion - la "maison de la mère", je rappelle au passage qu'on nommait ainsi également la maison de Pythagore à Cortone, car tous ces aspects de l'occultisme se tiennent) était souvent le lieu de stockage des lois (et notamment les lois de propriété, les testaments, ce qui "colle" parfaitement au propos de Paul sur l'hériter, propriétaire de la ferme), notamment à Athènes...

Pour les Galates, un enfant esclave dans une maison dominée par la loi est forcément sous l'emprise de la Cybèle.

Or, dans le temple de la déesse mère à Pessinonte, le centre national du culte de la déesse où l'on vénérait une pierre de foudre de la déesse, écrit Elliott, des adorateurs, après avoir revêtu une robe qui les féminisait, sous l'empire de la possession de la déesse, se castraient, et devenaient hiérodules, c'est à dires esclaves de la divinité. 

Lorsque Paul écrit au chapitre 5 verset 12 de la même lettre" Quant aux agitateurs, qu'ils s'émasculent eux-mêmes" (c'est ainsi qu'Elliott traduit la version très édulcorée de nos Bibles), les lecteurs galates de la lettre de Paul comprennent parfaitement ce que signifie l'équivalence tracée entre loi de circoncision et castration, qui renvoient au domaine des esclaves de Cybèle émasculés, travaillant pour des Temples où l'on archive les lois.

A titre personnel, je verrais tout autant le lien entre cet univers circoncision-déesse mère-loi, et le monde de l'astrologie. "Vous vous pliez à des règles concernant les jours, les mois, les temps, les années !" Qui ne voit pas qu'il s'agit là d'une référence aux cycles cosmiques et à la lecture des astres qui règlent l'organisation quotidienne de la cité et le travail de chacun ? Vous savez ce que dans le monde romain notamment - voir le livre de Schiavone sur l'invention du droit romain, et nos remarques sur la voyance étrusque chez Lucain).

Très justement von Duuglas Ittu en conclut que le propos de Saint Paul n'est pas de dire si les stoicheia, ces démons qui gouvernent les décans du zodiaques, et les éléments naturels, sont réels ou pas. Ce n'est pas une question d'ontologie. C'est une question d'éthique. On choisit d'être l'esclave de la loi et des stoicheia (et donc du système démoniaque de la déesse mère) ou celui de Jésus-Christ, et il n'y a pas de troisième option possible. C'est un choix entre deux univers dont toutes les connotations sont remarquablement condensées par la rhétorique paulinienne mais à laquelle nous qui ne connaissons pas la Galatie du Ier siècle de notre ère ne comprenons que très partiellement.

J'avoue que je ne m'attendais pas à trouver à cet endroit de la Bible un texte qui parle d'astrologie (c'est davantage l'Ancien testament qui la condamne en des termes non équivoques). Il le fait dans une résonance étrange avec le culte de la déesse-mère, avec le dispositif des lois gréco-romaines, et... avec la circoncision et la Torah... Cela me fait un peu penser à ce livre rempli de coquilles mais intriguant "Le quatrième royaume de Daniel selon l'Evangile" de l'anonyme Fidelis Verax qui voit dans la prophétie de Daniel l'annonce de l'alliance entre le Sanhédrin juif et la puissance romaine. Voilà un autre lien étrange qui se joue ici entre circoncision et loi impériale. La thèse de Barbara Aho que j'évoque dans mon dernier livre sur la dette de la kabbale juive à l'égard de la déesse-mère (et Lilith...) trouve aussi dans ce texte de Paul "raffraîchi" par Susan Elliott et par Kevin von Duuglas-Ittu un écho intéressant.

Il y a quelque chose de très édifiant dans cette féminisation de la Loi, qui n'est pas le "Non dupe erre" façon Lacan (ici au contraire de la psychanalyse le père donne l'Esprit et non la loi), mais une férule féminine. On n'est qu'à moitié surpris par les liens symboliques qui unissent astrologie, occultisme féminin (j'ai parlé de ses prolongements dans le féminisme de "Je suis Cute" en 2018) et par l'andogynisme auquel l'esclavage de la loi conduit (à rapprocher  de l'agenda "transgenre", "gender neutral" de l'ordre antéchristique actuel). Tout l'enjeu est de devenir fils du père (et cela vaut aussi pour les femmes puisque Paul a dit plus haut qu'il n'y avait pas d'hommes et de femmes en Christ) pour pouvoir régner sur la ferme ou sur le "ranch", et non pas soumis à la loi maternelle : Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie « Abba ! », c’est-à-dire : Père !

Il faut crier au père et non à la mère, et c'est le plus dur pour ces "baby christians" galates saturés d'effigies de la déesse-mère (leurs voisins d'Ephèse bientôt dans un concile resté célèbre dans les anales catholiques allaient proclamer Marie "mère de Dieu"). Sortir du zodiaque et de ses petits démons ensorceleurs, de ces dames qui vous font votre horoscope, des temples de la loi dédiés à Mère nature, et à ses cycles saisonniers funestes (et pour notre époque de l'obsession écologique pessimiste), pour devenir fils de Dieu maître en sa demeure, c'est à dire futur administrateur du royaume céleste qui vient, de la "Jérusalem d'en haut qui est libre" comme Paul le dit un peu plus loin dans la même lettre aux Galates (Gal 4-26)...

Un peu plus loin Paul (Gal 4:21 et suiv) dira aux Galates que s'ils veulent vraiment une loi (sous-entendu une mère), ils n'ont qu'à se mettre dans la filiation de celle qui enfante pour la liberté, non pas l'esclave d'Abraham, Agar ("le mont Sinaï en Arabie, elle correspond à la Jérusalem actuelle" sic) mais la Jérusalem céleste promise à la liberté. Je ne développe pas davantage sur cette Jérusalem actuelle assimilée à Agar (comme les musulmans !... lesquels eux aussi vénèrent leur bétyle à la Mecque...). Cette lettre aux Galates est une mine de réflexion !

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(*) On comprend mieux l'application du mot "stoicheia" à la succession des lettres des décans du zodiaque quand on lit dans le Grand Dictionnaire Larousse du XIXe siècle à la rubrique "élément" :

" Le mot élément vient directement du latin elementum, dont la signification propre et primitive était probablement lettre de l'alphabet. On a supposé, mais nous doutons fort qu'on l'ait fait sérieusement, que ce mot a une origine purement alphabétique et qu'il était formé de trois lettres l.m.n, comme le mot alphabe,- o alphabêtos,– ou comme nous disons l'ABC. Dans tous les cas, ta signification étymologique d'elementum n'est rien moins que claire, et l'on n'a pas encore donné une explication satisfaisante du grec stoicheion, qui en latin est rendu par elementum. On nous dit que stoicheion est un diminutif de stoichos, petite verge ou tige dressée, spécialement le style du cadran solaire ou l'ombre qu'il projette. Sous stoichos, nous trouvons la signification de rangée, d'enceinte de toiles de chasseurs, et on nous dit que le mot est identique avec stichos, ligne, et avec stochos, but. Comment la voyelle radicale a pu se changer d'i en o et en oi, c'est ce qu'on n'explique pas. On peut se demander, du reste, pourquoi ce nom de stoicheia a été donné par es Grecs aux éléments ou parties primordiales et constitutives des choses. C'est un mot qui a eu une longue histoire. De la Grèce il a passé dans presque toutes les parties du monde civilisé, et il mérite, par conséquent, que l'étymologiste s'arrête pour en retracer la généalogie, d'autant plus que l'origine de ce mot pourra nous servir à retrouver plus facilement celle de son analogue elementum. Le grec stoichos d'où vient stoicheion, signifie une file ou rangée, comme stix et stichos dans Homère. Le suffixe eios est le même que le latin eius, et signifie ce qui appartient à quelque chose ou en a la qualité. Stoichos signifiant rangée, stoicheion signifierait donc ce qui appartient à une rangée ou constitue une rangée. Est-il possible de rattacher ces mots à stochos, but, soit pour -la forme, soit pour le sens? Assurément non. Les racines formées de i peuvent subir le changement régulier de cet i en oi ou ei, mais non pas en o. Ainsi, la racine lip, que nous voyons dans elipon, prend les formes leipô et leloipa, et la même échelle de changements de voyelles peut être observée dans liph, aleiphô, êloipha, et dans pith, peilhâ, pepoitha. Stoichos présuppose donc une racine stich, et cette racine expliquerait en grec les dérivés suivants stix, stichos, rangée, ligne de soldats; stichos, rangée, ligne, et distichon un distique steichô estichon marcher en ordre, pas à pas, monter; stoichos, rangée, file; stoichein, marcher en ligne. En allemand, cette même racine donne steigen marcher, monter, et en sanscrit nous trouvons stigh, monter. Tout autre doit être la racine de stochos. Comme tomos présuppose une racine tam,temno, etamon, ou bolos une racine bal, belos, ebalon, ainsi stochos présuppose une -racine stach. Cette racine n'existe pas en grec sous forme de verbe, et n'a laissé après elle, dans la langue classique, que ce seul dérivé stochos, marque, point, but que l'on vise; d'où sont venus stochadzomai je vise, et antres dérivés analogues. Une racine semblable se trouve dans le gothique stiggan, l'anglais to sting, piquer. Une troisième racine étroitement apparentée à stach, dont elle est cependant distincte, a été plus féconde dans les langues classiques, c'est stig, piquer. Elle a donné en grec slizô, estigmai je pique, et ses dérivés en latin in-stigare stimulus et stilus pour stiglus; en gothique stikan, piquer; l'allemand stechen; l'anglais to stick. Le résultat auquel nous arrivons de cette manière est que stoicheion n'a aucune connexion avec stochos, et par suite qu'il n'a jamais pu avoir, ainsi que le prétendent les dictionnaires, la signification primitive de petite verge ou tige dressée ou de style du cadran solaire. Quand stoicheion est employé en parlant du cadran solaire, comme dans l'expression dekapoun stoicheion, c'est-à-dire midi, il signifie les lignes de l'ombre qui se suivent en succession régulière, ou, pour nous exprimer autrement, les rayons qui composent la série complète des heures décrites par le mouvement diurne du soleil. Ceci nous explique comment stoicheion est venu à signifier élément. Stoicheia sont les degrés qui conduisent d'une extrémité à une autre les parties constitutives d'un tout qui forment une série complète, ces parties étant soit les heures, soit les lettres, soit les nombres, soit les parties du discours, soit les éléments physiques, pourvu toujours qu'un ordre systématique unisse ces éléments les uns aux autres. C'est là le seul sens dans lequel Aristote et ses prédécesseurs ont pu se servir de ce mot dans le langage ordinaire et dans le langage technique. Nous appelons élément, stoicheion, disait Aristote ce qui compose quelque chose et qui en est la première substance, cette substance étant indivisible quant à la forme; par exemple, les éléments du langage, les lettres, dont le langage se compose, et dans lesquelles, comme étant ses dernières parties constitutives, il est possible de le résoudre, tandis qu'on ne peut pas résoudre les lettres en sons qui diffèrent par la forme mais si on les résout, les parties que l'on obtient sont homogènes, comme une particule d'eau est de l'eau; il n'en est pas ainsi des parties d'une syllabe. Ce sens s'accorde bien, du reste, avec l'explication de stoicheion, qui nous est fournie par la respectable autorité de Denis le Thrace. Voici cette étymologie telle que nous la lisons dans l'auteur de la première grammaire grecque Ta de auta kai stoicheia kaleitai aia to echein stoichon tina kai taxin; ces mêmes caractères sont aussi appelés stoicheia, parce qu'ils ont un certain ordre et arrangement. Pour quel motif les Romains, à qui l'idée d'élément fut sans doute révélée pour la première fois par leur commerce avec les philosophes et les grammairiens de la Grèce, ont-ils traduit stoicheia par elementa? C'est ce qu'il est plus difficile de déterminer. "

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L'erreur tantrique

19 Octobre 2019 , Rédigé par CC Publié dans #Shivaïsme yoga tantrisme, #Spiritualités de l'amour, #Anthropologie du corps, #Christianisme, #Philosophie

J'écoutais tantôt sur mon téléphone portable, une émission très "grand public" du 6 septembre 2016 animée par la présentatrice Flavie Flamant (ici) sur le tantrisme. Cette présentation en faisait un "remède" pour grand malade (au sens où Nietzsche disait qu'un nihiliste prend toujours le remède entre guillemets qui va aggraver son état de santé). Cela semblait être destina aux gens inquiets (au sens où 90 % de nos contemporains le sont), intoxiqués par notre monde, incapables de vivre au jour le jour, aux mâles qui ne perçoivent le sexe qu'à travers le porno, aux femmes qui manquent de confiance en elles, aux gens qui ne sont pas ouverts à eux-mêmes et aux autres, aux âmes sans Dieu, desséchées.
 
Encore une fois cela fait beaucoup de monde, et cependant on se dit : certes ces gens peuvent gagner quelque chose sur le plan psychologique à expérimenter ce genre de pratique, mais combien ils risquent d'y perdre spirituellement aussi s'ils y voient l'alpha et l'omega de leur vie comme cette dame qui téléphonait pour dire que le tantra avait sauvé son couple. On se dit qu'il serait mieux pour tous ces gens, à la base, de ne pas se laisser intoxiquer, c'est à dire de laisser leurs téléphones portables, laisser de côté le bruit et les modes du monde, oublier leur Moi, leurs peurs, s'en remettre complètement avec confiance à Dieu. Ils n'auraient pas ensuite besoin de ce remède un peu... biaisé...
 
Car par delà cette présentation grand public, il y a aussi la version "savante" (par exemple ici la conférence de Véronique Kohn) qui est sans doute plus proche de l'essence profonde de cette pratique, et qui en dit encore plus les dangers. Dans cette version savante, le tantra, comme le yoga, a moins à voir avec l'acceptation de soi même et du corps de l'autre que la dissolution de l'âme dans l'Unité du monde. C'est l'opposé de ce que le christianisme a construit pour l'Occident depuis 2000 ans (mais il est vrai que nous sommes si conditionnés maintenant à haïr l'Occident et ce qu'ont fait nos aïeux...) c'est surtout l'opposé du message du Christ sur Terre, tel que la Bible l'a consigné, et qui n'est point de dissoudre l'âme dans l'Univers, mais de la restaurer dans sa pureté pour la préparer pour le Royaume qui vient, lequel n'aura pas de fin : la passer par le feu, lui enseigner l'obéissance et la confiance, mais pas la fondre dans un Tout indifférencié, dans une nuit où toutes les vaches sont grises, qu'on appelle à tort Lumière, Eveil, Illumination, et qui n'est qu'un autre nom pour le Chute.
 
On sent bien que pour enseigner à l'âme à prendre "joug" de son Créateur fait homme et mort pour elle, afin de labourer (humblement mais dans la joie) avec lui chaque arpent de terre que sa journée lui donnera, il faut que cette âme puisse être plus à l'aise avec son propre corps et le corps des autres, que ce que certaines théologies du passé, fondées sur la peur, lui ont enseigné. Mais, pour ma part, je serais prêt à parier qu'une voie chrétienne de la réconciliation avec les corps est possible. Une voie qui ne soit pas tantrique. Un ancien jésuite qui vit en Australie, Jean-Robert Dupuche, a récemment défendu un tantra catholique (voir ici). Je ne suis pas certain que la notion même de tantra mérite d'être conservée. On en reparlera.
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