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Nigidius Figulus le néo-pythagoricien et Lucain

25 Mars 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Pythagore-Isis, #Histoire secrète

A la suite de Cicéron, les historiens attribuent au sénateur Nigidius Figulus (98-45 av JC), médium et voyant, la renaissance du pythagorisme à Rome (dont l'école après lui allait se réunir dans une basilique souterraine près de la porte majeure).

Cicéron dit de lui:

« Cet homme fut à la fois paré de toutes les connaissances dignes d'un homme libre et un chercheur (investigator) vif et attentif pour tout ce que la nature dissimule (quae a natura involutae videntur). Bref, à mon avis, après les illustres pythagoriciens dont l'enseignement s'est de quelque façon éteint après avoir fleuri pendant plusieurs siècles en Italie et en Sicile, il est l'homme qui s'est levé afin de le renouveler. » (Timaeus, I, 1, 2)

Quand César franchit le Rubicon, Lucain dans le livre I de la Pharsale décrit la terreur qui s'empare de nombreux Romains ("Oh ! Qu'aisément les dieux nous élèvent au comble du bonheur ! Que malaisément ils nous y soutiennent !").

On consulte le vieux devin étrusque Arruns de Luca (Lucques en Toscane), dit Lucain, qui lit dans le mouvement des oiseaux et émet un oracle au vu des entrailles d'un taureau : "O dieux ! Dois-je révéler au monde tout ce que vous me laissez voir ? Non, Jupiter, ce n'est pas à toi que je viens de sacrifier, j'ai trouvé l'enfer dans les flancs de ce taureau. Nous craignons d'horribles malheurs, mais nos malheurs passeront nos craintes. Fasse le ciel que ces signes nous soient favorables, que l'art de lire au sein des victimes soit trompeur, et que Tagès qui l'inventa nous en ait imposé lui-même."

Le second devin que l'on consulte, c'est Figulus qui est chargé de l'expliciter :

"Figulus (49), qu'une longue étude avait admis aux secrets des dieux, à qui les sages de Memphis l'auraient cédé dans la connaissance des étoiles et dans celle des nombres qui règlent les mouvements célestes, Figulus éleva sa voix : "Ou la voûte céleste, dit-il, se meut au hasard, et les astres vagabonds errent au ciel sans règle et sans guide ou, si le Destin préside à leur cours, l'univers est menacé d'un fléau terrible. La terre va-t-elle ouvrir ses abîmes ? Les cités seront-elles englouties ? Verrons-nous les campagnes stériles ? les airs infectés ? les eaux empoisonnées ? Quelle plaie, grands dieux ! quelle désolation prépare votre colère ? De combien de victimes un seul jour verra la perte ! Si l'étoile funeste de Saturne dominait au ciel, le Verseau inonderait la terre d'un déluge semblable à celui de Deucalion, et l'univers entier disparaîtrait sous les eaux débordées. Si le soleil frappait le Lion de sa lumière, c'est d'un incendie universel que la terre serait menacée ; l'air lui-même s'enflammerait sous le char du dieu du jour. Ni l'un ni l'autre n'est à craindre. Mais toi qui embrasses le Scorpion à la queue menaçante, terrible Mars, que nous réserves-tu ? L'étoile clémente de Jupiter est à son couchant, l'astre favorable de Vénus naît à peine, le rapide fils de Maïa languit ; Mars, c'est toi seul qui occupes le ciel. Pourquoi les astres ont-ils abandonné leur carrière, pour errer sans lumière dans le ciel ? Pourquoi Orion qui porte un glaive, brille-t-il d'un si vif éclat ? La rage des combats va s'allumer ; le glaive confond tous les droits ; des crimes qui devraient être inconnus à la terre obtiennent le nom de vertus. Cette fureur sera de longue durée. Pourquoi demander aux dieux qu'elle cesse ? La paix nous amène un tyran ! Prolonge tes malheurs, ô Rome ! traîne-toi d'âge en âge à travers des ruines. Il n'y a plus de liberté pour toi qu'au sein de la guerre civile."

Et une matrone qui, habitée par Phébus (un "esprit de Python" comme on dit dans les Actes des Apôtres, et le python est l'attribut d'Apollon et de sa prêtresse la Pythie, qui annonça la naissance de... Pythagore), va compléter :

"Telle des sommets du Pinde descend la bacchante pleine des fureurs du dieu d'Ogygie, telle à travers la ville consternée s'élance une matrone révélant par ces mots le Dieu qui l'oppresse. "Où vais-je, ô Péan ! Sur quelle terre au-delà des cieux suis-je entraînée ? Je vois le Pangée et ses cimes blanches de neiges, et les vastes plaines de Philippes au pied de l'Hémus. Phébus, dis-moi, quelle est cette vision insensée ? Quels sont ces traits, quelles cohortes romaines en viennent aux mains ? Quoi ! une guerre et nul ennemi ? Où suis-je ailleurs emportée ? Me voici aux portes de l'Orient où la mer change de couleur dans le Nil des Lagides. Ce cadavre mutilé qui gît sur la rive du fleuve, je le reconnais. Je suis transportée aux Syrtes trompeuses, dans la brûlante Libye, où la cruelle Erinys a jeté les débris de Pharsale. Maintenant je suis emportée par-dessus les cimes nuageuses des Alpes, plus haut que les Pyrénées dont le sommet se perd dans les airs. Maintenant je reviens dans ma patrie. La guerre impie s'achève au sein du Sénat. Les partis se relèvent ; je parcours de nouveau l'univers. Montre-moi de nouvelles terres, de nouvelles mers, Phébus, j'ai déjà vu Philippes (50)." Elle dit, et tombe épuisée sous le dernier effort de sa fureur."

Je tiens Lucain pour un esprit inspiré et sans doute néo-pythagoricien lui-même. Neveu de Sénèque, né à Cordoue comme lui (mais il n'y vécut qu'un an, puis fut un protégé de Néron). Surdoué comme son condisciple Perse, il fut contraint au suicide à 26 ans en raison de ses idées républicaines et de sa participation à la conjuration de Pison (en 65) - pour savoir tout le mal que Néron fit à la philosophie et au pythagorisme il suffit de lire la Vie d'Apollonios de Tyane.

Pour moi le seul fait qu'il ait écrit une Katabasis (une descente aux Enfers) est le signe qu'il bénéficiait d'une inspiration mystique comme tout le pythagorisme et cette inspiration traverse toute la Pharsale.

On peut se demander pourquoi lorsque la Rome républicaine s'effondre face à César, il confie à deux devins étrusques et à une femme possédée par Apollon la révélation sur son avenir.

Lucain a eu un condisciple illustre étrusque plus âgé que lui de 5 ans et qui mourut fort jeune aussi trois ans avant lui ,ce qui l'a peut-être sensibilisé à l'importance de la divination étrusque dans le dispositif républicain romain. Ils eurent tous deux pour maître stoïcien le libyen de Leptis Magna Cornutus (ce qui explique peut-être le fait que Lucain dans l'épisode sur le désert des Syrtes parle de l'Afrique comme la terre chérie d'Athéna, cela devait être mis en valeur à Leptis Magna et lui avait peut-être été transmis par Cornutus).

Dans Bottéro (Au commencement étaient les dieux p. 22) on lit : "Nous avons pu retrouver jusqu'en Etrurie des foies de bronze ou d'argile, directement imités de ceux de Babylone, utilisés pour l'aruspicine". Mais si Arruns en tant qu'aruspice se situe dans la tradition sumérienne-babylonienne, Bottéro situe Lucain dans la veine de l'Egypte (et d'Isis), ce qui sera prolongé par Apulée dans les générations suivantes.

Le culte de Figulus a-t-il été entretenu dans l'école stoïcienne du poête philosophe Cornutus ?

Que sait-on de cette école ? Cornutus était un affranchi du clan des Annaei auxquels appartenait Sénèque, l'oncle de Lucain. Dans une thèse soutenue à Bucarest en 1968, Eugen Cizek écrivait  "Annaeus Cornutus ne fut du reste pas un brillant amateur de culture comme Sénèque, mais un professionnel quasi obligé, de par son humble condition, à faire de son école l'un des plus remuants cercles littéraires". Selon Cizek, l'école fut moins innovante que l'oeuvre de Sénèque, mais beaucoup de nobles romains venaient y entendre les vers de Cornutus et de ses disciples.

Carcopino a parlé d'une véritable secte républicaine résistante dans l' "église" néo-pythagoricienne, mais la thèse est contestée (voir wikipedia). Est-ce que l'école de Cornutus pouvait s'y rattacher ?

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Dilmun, le paradis des Sumériens

10 Mars 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Ishtar

gilgamesh.jpgDans  Dilmun and its neighbours, Harriet E. W. Crawford (Cambridge university Press, 1998) démontre en quoi l'identification entre Dilmun et le Bahrein est juste, bien qu'il n'y ait jamais eu de mines de métal au Bahrein, mais il était un entrepôt du cuivre de la péninsule d'Oman (Magan), à laquelle il est souvent associé dans les tablettes cunéiformes d'Akkad, ainsi que Meluhha (la culture de l'Indus). Dilmun est aussi associée à la pêche et aux perles.

 

En 1878, le capitaine Durand décrivit un pied de statue retrouvé dans une mosquée (mais détruit dans le blitz de Londres en 1940) portant une dédicace cunéiforme au dieu Inzak d'Agarum par un certain Rimum. Ce dieu est généralement présenté comme le principal dieu de Dilmun, et le fils du dieu de l'eau mésopotamien Enki.

 

Dès 2 200 av JC une ville de 30 ha existe au Bahrein derrièe des murailles, avec un Etat centralisé - voir le mémoire d'Ashkanani Diss "Interregional Interaction and Dilmun Power in the Bronze Age: A Characterization Study of Ceramics from Bronze Age Sites in Kuwait" University of South Florida in Spring 2014). Vers 2 000 les habitants de Dilmun ont colonisé l'île de Falaka au large du Koweit, qui éclipsa le Bahrein vers 1 500 et peut-être même le domina (cf Pott, 1983). Dans la seconde moitié du deuxième millénaire, elle devient une province de l'empire babylonien, dont les ressources sont exploitées, notamment le lapiz-lazuli.

 

Les textes du deuxième millénaire mésopotamiens décrivent Dilmun comme un paradis d'eau et de végétation. C'est là que Gilgamesh rencontre Ziusudra, survivant du déluge, rendu immortel pour avoir sauvé l'humanité. Cette idéalisation, nous dit Crawford, dans des traditions antérieures à 2800 av JC résulte peut-être d'une perte de contact avec Dilmun avant 3 200. Il ne réapparait que vers 3 000. Certaines thèses étendent Dilmun au delà du Bahrein à toute la côte de la péninsule arabique.

 

Gilgamesh apprend qu'il doit trouver des plantes ou des fleurs qui poussent sur le lit de la mer. Il attache des pierres à ses pieds ce qui évoque la tradition des pêcheurs de perles du Bahrein (cf Robin A. Donkin, " Beyond price - pearls and pearl fishing Origins to the Age of Discoveries, 1998, Publisher: American Philosophical Society p. 48). Les "fleurs d'immortalité" peuvent être des perles. En Sanskrit on les appelle manjari, fragments de bourgeons (cluster of blossoms). Il faut penser aux vertus médicinales des perles. Et les perles des huitres apparaissent là où l'eau salée s'est mélangée aux jets soys marins d'eau douce (superposition de deux eaux qui a donné le nom du Bahrein - bahrani). A moins que ces "fleurs" soient des coraux.

 

Mais Gilgamesh s'endort et un serpent vole ses fleurs d'éternité.

 

Pour Brigitte Lion (dans Représentations du temps dans les religions : Actes du colloque organisé p par le Centre d'Histoire des Religions de l'Université de Liège, dir Vinciane Pirenne-Delforge et Öhnan Tunca, Presses universitaires de Liège 2003), le paradis de Dilmun, figurant au début du mythe d'Enki et Ninhursag serait un monde à venir plus qu'un paradis originel. Elle exclut que ce mythe ait influencé la Genèse car il n'a pas eu d'écho après 1900 av JC (à la différence du Poème babylonien de la Création Enuma Elis, qui lui était lu à chaque fête du nouvel an à l'époque néo-babylonienne). Et d'ailleurs la notion de paradis seraitune invention hellénistique transformant le mot perse "gan" (jardin). Les premiers temps chez les sumériens n'auraient rien d'idylliques

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Le culte de la lune chez les Albaniens

7 Mars 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Histoire des idées

lune.jpgTémoignage de Strabon sur le culte de la Lune chez les Albaniens (Azerbaïdjan actuel) :

 

"Les principales divinités que les Albani adorent sont le Soleil, Jupiter et la Lune. Mais cette dernière est chez eux l'objet d'une vénération particulière. Elle a son temple tout près de la frontière d'Ibérie. Un grand prêtre, qui est après le roi le personnage le plus honoré du pays, est chargé de l'administration de la vaste et populeuse contrée qui dépend du temple et forme le territoire sacré en même temps que de la surveillance à exercer sur les hiérodules, lesquels comptent dans leurs rangs beaucoup d'enthousiastes et de prophètes. S'aperçoit-il en effet qu'un de ces hiérodules, sous le coup d'une possession plus complète, erre toujours seul dans les bois, le grand prêtre le fait enlever et charger des chaînes sacrées ; puis il le garde ainsi toute une année, ayant soin que sa nourriture soit la plus friande et la plus recherchée possible ; après quoi, le jour anniversaire de la fête de la déesse étant arrivé, il le fait oindre de parfums et conduire à l'autel pour y être immolé parmi les autres victimes. L'immolation a lieu de la façon suivante : un homme armé de la lance sacrée, instrument légal des sacrifices humains, sort de la foule et d'une main dès longtemps exercée perce le flanc du patient et lui enfonce le fer jusqu'au coeur. La victime tombe, de sa chute se tirent certains présages aussitôt publiés, puis le corps est porté en un lieu où tous viennent le toucher du pied pour se purifier à ce contact sacré."

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Lysis de Tarente et le premier pythagorisme

4 Mars 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Pythagore-Isis, #Médiums, #Histoire secrète, #Histoire des idées, #Philosophie

L'abbé provençal Barthélémy dans Voyage du jeune Anacharsis en Grèce tome 4 (1788) rappelle le souvenir (p. 185) de Lysis de Tarente qui, rescapé de la persécution des pythagoriciens, se réfugia à Thèbes où il fut accueilli par Polymnis et fut l'éducateur d'Epaminondas, fils de Polymnis, selon Diogène Laërce. A sa mort, Epaminondas le fit enterrer dans le rituel pythagoricien à Thèbes de sorte que Théanor venu d'Italie du Sud faire rechercher son corps put se réjouir du fait que tout avait été fait dans les règles. Il évoque aussi l'anecdote d'Euryphémus de Syracuse, autre pythagoricien, qui l'avait laissé en prière au temple d'Héra et l'y retrouva le lendemain matin (cité aussi par "La vie de Pythagore" de Dacier en 1706) . Un faux  intitulé Lettre de Lysis à Hippase, cité par Jamblique, qui fait l'éloge de la purification, affirme que Lysis fut dans la maison de Pythagore incendiée (Pythagore est mort vers 495, et Lysis vers 390, Epaminondas en 362).

L'auteur dit avoir écrit ce livre pendant trente ans à partir de 1757. C'est lui qui l'a fait entrer à l'Académie française.

L'Allemand Christoph Meiners dans "Histoire de l'origine des progrès et de la décadence des sciences dans la Grèce" (traduit en France en 1798) précise que selon Plutarque "Théanor croyoit à la réalité des songes, savoit distinguer les apparitions des hommes morts de celles des hommes vivans" (Meiners méprise ce pythagorisme irrationnel auquel il rattache aussi Vatinius et Figulus à l'époque de Cicéron - il trouve l'anecdote dans un essai de Plutarque qu'il ne cite pas, en fait "Sur le démon de Socrate" mais dont il reconnaît avoir mis en cause l'authenticité dans le passé - pour lui toutes ces légendes sur le pythagorisme sont contemporaines de la décadence de cette philosophie à l'époque d'Apollonios de Tyane).

Pour ma part je trouve dans la dévotion de Lysis à la terre-mère comme dans les dons de médium de Theonor quelque chose de très proche du chamanisme pythagoricien décrit par Kingsley. Par effet de contraste la lecture de Meiners (qui méprisait tout ce qui était "barbare" y compris dans le pythagorisme, et qui fut un des pères du racisme scientifique) illustre tous les dangers qu'entraine l'enfermement de la philosophie dans un rationalisme et un culte du progrès étroits. Il faut refaire revivre ces premières figures du pythagorisme dans toute leur richesse et diversité mentale, ou peut-être spirituelle, pour avoir une vision plus exacte des origines de la philosophie, et de ce monde particulier qui se déployait, en Italie du Sud, entre Elée, Syracuse, Tarente et Métaponte.

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"Tantra Yoga" de Daniel Odier (Albin Michel, 1998)

28 Février 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Shivaïsme yoga tantrisme

Le livre commence par une version in extenso d'un des trois textes cardinaux du tantrisme, le Vijnanabhairava Tantra (Vigyan Bhairav Tantra), texte du début de notr ère (il y a 2 000 ans), central dans l 'école du shivaïsme du Cachemire (la trika), qui se présente comme un dialogue entre Shiva et Shakti.

Odier fait remonter le shivaïsme au sceau d'un seigneur des animaux Pashupati de 3 000 av JC qui serait un proto-Shiva ityphallique (mais cette thèse est contestée) de la civilisation dravidienne de Mohenjo-daro, auquel l'auteur trouve des traits shamaniques (bien sûr ces recherches d'origines anciennes sont toujours assez arbitraires).

 

Shiva_Pashupati.jpg

 

Le livre trace beaucoup de ramifications du shivaïsme. Bouddha fut disciple de Gosala, maître tantrique qui lui aurait enseigné l'abolition des castes. Kanishka

Odier cite un fondateur de "l'école du Krama" au VIIIe siècle, Shivâdanath aurait donné sa transmission à trois femmes yoginî (mais ce Shivâdanath est introuvable sur le Net et sur Gallica. Abhinavagupta au Xe siècle aurait aussi accordé une prorité aux femmes pour le tantrisme. L'empereur kouchan (dynstie venue du Xinjiang) Kanishka au IIe siècle réunit 18 sectes bouddhistes et leur fit adopter une ligne inspirée du tantrisme. Et Bodhidharma, père du premier zen chinois s'inscrit aussi dans la lignée shivaïte. Au VIIIe siècle Vasugupta reçut les Shivasûtra en rêve ou gravé sur une montagne et le Spandakarika ("chant tantrique du frémissement").

Le tantrisme partage avec le bouddhisme l'idée de la vacuité des êtres (ils n'existent que les uns par rapport aux autres) mais se sépare de lui sur le point de la vacuité de la conscience : pour lui la conscience n'est pas vide mais c'est un miroir nécessaire à la manifestation des êtres.

 

(à suivre)

 

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Spinoza et les fantômes

18 Février 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Philosophie, #Médiums

En 1990 ou 91 (il faudrait que je vérifie dans mon journal), comme je trainais à la bibliothèque de Sciences Po, rue Saint Guillaume à Paris, j'ouvris au hasard le tome de la Pleïade consacré à Spinoza, et tombai sur cette lettre de Spinoza à Boxel de 1674. J'avais fait tourner des tables en 1989 à Montreuil mais cela ne m'avait guère marqué. Et je fus juste surpris de voir que Spinoza prenait le temps de débattre de l'existence des fantômes avec cet érudit protestant. Aujourd'hui encore j'aime la façon dont il récuse les arguments d'autorité en disant dans une autre lettre (pardon de l'écrire en anglais, c'est la seule version disponible en ligne) : "The authority of Plato, Aristotle, and Socrates, does not carry much weight with me. I should have been astonished, if you had brought forward Epicurus, Democritus, Lucretius, or any of the atomists, or upholders of the atomic theory. It is no wonder that persons, who have invented occult qualities, intentional species, substantial forms, and a thousand other trifles, should have also devised spectres and ghosts, and given credence to old wives' tales, in order to take away the reputation of Democritus, whom they were so jealous of, that they burnt all the books which he-had published amid so much eulogy. If you are inclined to believe such witnesses, what reason have you for denying the miracles of the Blessed Virgin, and all the Saints? "  .

 

arai.jpg

Mais en même temps cette réponse le place dans la frange la plus extrême du matérialisme (celle de Démocrite, d'Epicure), qu'il n'assumait pourtant que très rarement.

 

Au même moment que l'échange épistolaire entre Spinoza et Boxel, à quelques années près, à l'autre bout du monde, Arai Hakuseki (1657-1725), qui, semble-t-il, fut un grand penseur et homme politique japonais, écrivait : "Les rites alimentent les vivants, donnent congé avec honneurs aux morts et sont au service des fantômes et des esprits" et "Les fantômes sont les forces spirituelles du yin, les esprits sont les divinités du yang". Je ne suis bien sûr pas assez calé pour comprendre ce qu'Arai Hakuseki a bien voulu dire par là. Mais si un nipponiste passe par ce blog à l'occasion, je serais heureux de recevoir ses lumières...

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A propos du soufisme

13 Février 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Spiritualités de l'amour, #Pythagore-Isis

Le soufisme (dont le visage le plus connu est celui des derviches tourneurs) est un courant mystique sur le déclin dans le monde musulman d'aujourd'hui. C'était pourtant un de ses grands maîtres jadis qui jadis intronisait le sultan de Constantinople.

 

Eva de Vitray-Meyerovitch, décédée en 1999 à l'âge de 90 ans, lui a consacré une bonne partie de sa vie, après guerre après avoir lu un livre d'Iqbal, le père spirituel du Pakistan.

 

 

J'aime bien le témoignage de l'anthropologue marocain Faouzi Skali en 6ème minute. Cheikh Bentounes (en 19ème minute) raconte le rêve de l'auteure où elle se voit morte et au dessus de sa tombe son nom est écrit en arabe.

 

 

Je lis de cet auteure "Rûmî et le soufisme" publié pour la première fois en 1977. Elle raconte la vie de Muhammad Djalâl-od-Dîn dit Rûmî (1207-1273), ce professeur persan né en Afghanistan réfugié en Anatolie. J'ai été très intéressé par sa rencontre en 1244 (à 37 ans) à Konya avec le mystique Shams de Tabrîz âgé de 60 ans, et assassiné trois ans plus tard.

 

Rûmî tenta en vain de rechercher en Syrie son maître aimé, explique Vitray-Meyerovitch, puis prit pour instruire ses disciples l'enlumieur Salâh-od-Din, puis Husâm-od-Dîn Tchelebî. La légende dorée raconte qu'il avait de la compassion même pour les chiens qui écoutaient ses prêches (cela fait penser à Saint-François-d'Assise). Apprécié de toutes les religions, il aimait aussi les "infidèles" : "L'impiété et la foi courent toutes deux sur le chemin de Dieu" était un phrase de Sanâ'i qu'il aimait citer. Son petit-fils Amîr Arif Tchebeli allait construire des communautés (takyas) jusqu'à Vienne.

 

Eva de Vitray-Meyerovitch explique divers rituels soufis à travers Rûmî. Par exemple la danse des derviches, dans une robe blanche symbole du linceul et toque de feutre image de la pierre tombale. Le cheikh représente l'intermédiaire entre ciel et terre. La main gauche du derviche tournée vers la terre redonne au monde la grâce reçue dans le coeur par la main droite tournée vers le ciel.  Il tourne comme les planètes. Le cheikh devient le soleil. Le tambour ce sont les trompettes du jugement dernier. Le son du pipeau (ney) symbolise l'union avec Dieu (avec une connotation plaintive, mais ce roseau est poison et antidote).

 

N'importe quelle émotion peut être prétexte à cette danse (Rûmî dansa quand au bazar de Konya il entendit Dil kou "où est le coeur" à la place dilkou, renard, que criait un vendeur de peaux). Le Coran condamne la prière en état d'ivresse, mais Rûmî refuse aussi l'ivresse : le derviche doit pouvoir s'arrêter net de danser à tout moment, sur un signe inopiné.

 

Konya, l'ancienne Iconium phrygienne, capitale des sultans turcs seljoukides (dont les Ottomans vassaux protégeaient les frontières), était encore florissante, mais du vivant de Rûmî, le sultanat allait être vaincu par les Mongols et devenir leur vassal. La cohabitation entre les communautés y était paisible. Les sultans épousaient des chrétiennes laissées libres (comme l'impose l'Islam) de pratiquer leur religion. Rûmî avait un ami proche chrétien et des anecdotes évoquent ses retraites dans les monastères orthodoxes. Les deux religions vouaient une sorte de culte (entre autres) à Platon.Toute une légende dorée entoure le rôle du renoncement des Mongols à détruire Konya devant la sainteté de Rûmî (les flèches qui n'atteignent pas Rûmî, les chevaux mongols qui refusent d'avancer).

 

Sharia (la loi) et Tariqa (la voie de l'unité des soufis) ont leur racine dans la notion de cheminement et sont complémentaires, l'une étant ouverte au plus grand nombre, l'autre à un nombre restreint.

 

"Si la connaissance ne t'enlève pas à toi même,

Mieux vaut l'ignorance qu'une telle connaissance"

Dîwan de Sanâ'î

 

Le but de la quête des soufis (soufi vient de "sûf" la laine de leur manteau) est le "voyage nocturne" dont le Prophète a fait l'expérience exemplaire.

 

Cela suppose de gravir une échelle :

 

"Dès l'instant où tu vins en ce monde de l'existence,

Une échelle fut placée devant toi pour te permettre de t'enfuir.

D'abord, tu fus minéral, puis tu devins plante ;

Ensuite, tu devins animal : comment l'ignorerais-tu ?

Puis tu fus fait home, doué de connaissance, de raison, de foi ;

Considère ce corps tiré de la poussière : quelle perfection il a acquise !

Quand tu auras transcendé la condition de l'homme, tu deviendras, sans nul doute, un ange.

Alors, tu en auras fini avec la terre ; ta demeure sera le ciel.

Dépasse même la condition angélique ; pénètre dans cet océan,

Afin que ta goutte d'eau puisse devenir une mer"

 

Odes mystiques II de Rûmî

 

Et dans le Mathnawî (IV, 3637 s.), Rûmî précise qu'en passant du minéral au végétal et du végétal à l'animal l'homme oublie son état antérieur mais peut en garder des inclinations (p. 88).

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"A story waiting to pierce you" de Peter Kingsley

12 Février 2015 , Rédigé par CC Publié dans #Pythagore-Isis

mongol.jpgUn livre publié en 2010 par le Golden Sufi Center à Point Reyes (en Californie).

 

Au VIe siècle, selon Hérodote, Platon et Lycurgue, un homme appelé Abaris, et venu de chez les Hyperboréens, visita la Grèce en portant une flèche à la main, voire en voyageant sur une flèche.

 

Hérodote (IV, 2-36) dit  "Je ne m'arrête pas en effet à ce qu'on conte d'Abaris, qui était, dit-on, Hyperboréen, et qui, sans manger, voyagea par toute la terre, porté sur une flèche" (ou portant une flèche - le débat est repris en note de bas de page sur le thème du vol des chamanes).

 

Platon dans le Charmide " if you already possess temperance, as Critias here declares, and you are sufficiently temperate, then you never had any need of the charms of Zalmoxis or of Abaris the Hyperborean".

 

Strabon (Geographie, livre 7, ch 3) : "And it was on this account that Anacharsis, Abaris, and other men of the sort were in fair repute among the Greeks, because they displayed a nature characterized by complacency, frugality, and justice. But why should I speak of the men of olden times? "

 

Mais c'est surtout le néo-platonicien Jamblique qui développe son histoire et son rapport avec Pythagore.

 

Abaris, veut dire "l'avar" en grec. Les Avars sont un peuple de Mongolie. L'art de fabriquer des flèches est très avancé dans ces régions. On en fabriquait même qui imitaient le sifflement des oiseaux pour les débusquer. Certaines avaient un brui terrifiant, et elles étaient à cause de cela un symbole de pouvoir. On était enterré avec ses flêches.

 

Les chefs politiques et spirituels, les khans, envoyaient des messagers munis de flèches en or. Selon la tradition grecque Abaris est un ambassadeur des Hyperboréens. Il est aussi présenté comme venant guérir les Grecs et prophétiser chez eux. La flèche est un instrument chamanique.

 

Pythagore s'est identifié devant Abaris (selon Jamblique et Porphyre) comme l'incarnation de l'Apollon hyperboréen en montrant sa cuisse d'or, un rituel qui, selon Kingsley et d'autres spécialistes, renvoie au chamanisme : les corps en Asie centrale étaient démembrés et certains de leurs membres étaient remplacés par des pièces ne métal, éventuellement en or.

 

Abaris "skywalker" était guidé en état de transe par sa flèche (ou sa phurba), lui parlait, et réalisait des prodiges grâce à elle, même voler grâce à elle, car oui, dit Kingsley, en acceptant la lenteur et le calme on accède à la rapidité et donc tout peut devenir possible (voilà qui expliquerait presque, me semble-t-il, la théorie de l'absence de mouvement dans les paradoxes de Zénon d'Elée). Il la donne à Pythagore qu'il reconnaît comme incarnation d'Apollon, c'est-à-dire comme un tulkou, et Pythagore lui-même se reconnaît comme Apollon hyperboréen (Apollon est le dieu le plus grec et le plus étranger, celui qui retourne sans cesse vers le nord). Les disciples de Pythagore ont complètement manqué ce geste d'ouverture à l'altérité de leur maître.

 

L'Ouest a oublié le chamanisme. L'Est aussi. Le 19 juin 1578 le khan mongol Altan Khan octroie au moine tibétain Sonam Gyatso et celui-ci reconnaît Altan Khan comme réincarnation de Koubilay Khan en échange de l'éradication violente du chamanisme en Mongolie.

 

A l'ouest après la destruction de l'école pythagoricienne, Archytas (l'homme qui utilisa des oiseaux mécaniques à des fins militaires comme les Chinois) la reconstruit à Tarente. On a retrouvé dans cette ville, remontant à son règne, le portrait d'un mongol.

 

Une légende très ancienne d'Asie centrale dit qu'une civilisation naît d'un trou fait dans la montagne par un loup, dans lequel un chamane tire une flèche pour tracer le chemin. C'est l'impossible devenu possible. Notre monde a trop de possibilités, dit Kingsley, et pour cette raison il n'a pas d'avenir.

 

L'essai de Kingsley mérite d'être traduit en français. Une seule réserve en ce qui me concerne : sa vision un peu trop idyllique de Gengis Khan et de la conquête mongole au Moyen-Age.

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